Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée était infirmière à l’Établissement de Matsqui - elle a été suspendue pour une durée indéterminée, puis licenciée à la suite d’événements survenus entre le 16 et le 21 août 2006 - la fonctionnaire s’estimant lésée aurait administré les mauvais médicaments aux détenus, apporté des modifications inappropriées au RSDC, en violation des règles et des procédures applicables, et indûment changé le décompte de comprimés établi par deux collègues infirmières, contrairement aux exigences légales - l’employeur a d’abord suspendu la fonctionnaire s’estimant lésée afin d’effectuer une enquête sur les incidents allégués - l’employeur a soulevé une objection à la compétence de l’arbitre de grief concernant la suspension pour une durée indéterminée, soutenant que cette mesure n’était pas disciplinaire, puisqu’il n’avait pas l’intention de punir la fonctionnaire s’estimant lésée - la fonctionnaire s’estimant lésée a nié les allégations et n’a pas témoigné à l’audience - à l’audience, le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a présenté des preuves indiquant que cette dernière a été injustement ciblée pour l’imposition de mesures disciplinaires, tandis que d’autres infirmières ont, dans le passé, modifié à tort le RSDC sans être punies - on a également soulevé la question de la santé mentale de la fonctionnaire s’estimant lésée pour expliquer son comportement et atténuer sa responsabilité - l’arbitre de grief a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée a commis une inconduite professionnelle grave - il a également conclu que la tolérance n’a pas été prouvée et que la fonctionnaire s’estimant lésée ne souffrait pas d’une maladie mentale susceptible d’atténuer sa responsabilité ou d’expliquer son comportement - enfin, il a conclu que les chances de réadaptation de la fonctionnaire s’estimant lésée étaient minces, étant donné ses constantes dénégations à l’égard de sa responsabilité et son écart de conduite - le grief sur le licenciement a été rejeté. L’arbitre de grief a conclu que la suspension pour une durée indéterminée était une mesure disciplinaire et qu’il a été saisi à bon droit de ce grief - il a soutenu que, bien que l’employeur ait le droit d’effectuer une enquête sur les gestes allégués d’un employé et de suspendre ce dernier en attendant les résultats, la durée de l’enquête disciplinaire (sept mois) dans ce cas était excessive - tôt dans le processus, l’employeur disposait de suffisamment d’information pour prendre une décision éclairée concernant l’emploi de la fonctionnaire s’estimant lésée. Grief sur le licenciement rejeté. Grief sur la suspension pour une durée indéterminée accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-11-09
  • Dossier:  566-02-858, 1010 et 1243
  • Référence:  2011 CRTFP 127

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GLORIA BAPTISTE

fonctionnaire s’estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Baptiste c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l´arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Roger Beaulieu, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée:
Harinder Mahil et Arlene Francis, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Abbotsford et à Vancouver (Colombie-Britannique),
du 2 au 5 juin, du 7 au 11 juillet et du 29 juillet au 1er août 2008,
et du 12 au 16 janvier, du 23 au 27 mars, du 20 au 24 juillet et du 26 au
30 octobre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Je suis saisi de trois griefs présentés par Gloria Baptiste, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »). Dans le premier grief, la fonctionnaire conteste sa suspension avec traitement le 25 août 2006. Dans le second, elle conteste sa suspension sans traitement le 5 septembre 2006. Dans le troisième, elle conteste son licenciement qui a eu lieu le 10 avril 2007. Les trois griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). L’avocat de l’employeur a soulevé une objection de compétence relativement à l’arbitre de grief pour trancher les deux griefs portant sur la suspension de la fonctionnaire, faisant valoir que les suspensions étaient des mesures administratives, ne constituaient pas une mesure disciplinaire et que, par conséquent, elles n’étaient pas assujetties à l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

2 Lors de l’audience, le représentant de la fonctionnaire a retiré le grief portant sur la suspension avec traitement (dossier de la CRTFP 566-02-1010). Par conséquent, ce dossier est classé. Je demeure donc saisi des griefs portant sur le licenciement (dossier de la CRTFP 566-02-1243) et la suspension sans traitement pour une durée indéterminée (dossier de la CRTFP 566-02-858).

3 La fonctionnaire est une infirmière autorisée qui a travaillé à ce titre au sein du Service correctionnel du Canada (SCC, ou l’« employeur ») à l’Établissement de Matsqui (l’« établissement ») pendant l’essentiel de ses quelque 17 années de service.

4 Les événements ayant donné lieu à ces trois griefs se sont produits à l’établissement, principalement au cours d’une période relativement brève, soit entre le 16 et le 21 août 2006. Au moment des événements allégués, la fonctionnaire n’avait jusqu’alors aucun dossier disciplinaire. La preuve présentée durant l’audience était commune aux trois griefs.

5 Une dizaine d’allégations ont été formulées à l’égard de la fonctionnaire; ces allégations peuvent être résumées comme suit :

  • Le 20 août 2006, elle aurait administré les mauvais médicaments au détenu X, lui causant une blessure. Elle aurait également administré les mauvais médicaments à trois autres détenus durant la période pertinente (détenus S, J et Y).
  • Elle aurait modifié le Registre des stupéfiants et des drogues contrôlés (RSCD) relativement à ces trois derniers détenus (S, J et Y).
  • Elle aurait modifié le décompte matinal des stupéfiants administrés inscrit au RSDC par les infirmières Mathieson et Plate le 21 août 2006.
  • Elle n’aurait pas suivi les procédures normalisées en apportant des corrections au RSDC entre le 16 et le 21 août 2006.

6 Il convient de noter qu’en regard des mêmes événements, la fonctionnaire a également déposé deux griefs d’interprétation individuels qui ont aussi été renvoyés à l’arbitrage. Une décision a été rendue à cet égard dans Baptiste c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 105.

7 Je me pencherai tout d’abord sur le grief portant sur le licenciement. Je reconnais que l’audience a été particulièrement longue, ardue et complexe, mais la question principale à laquelle je dois répondre peut se résumer en ces termes : L’employeur était-il justifié de licencier la fonctionnaire? Cette question peut être décomposée en trois questions sous-jacentes : L’employeur a-t-il prouvé ses allégations? Est-ce que la conduite de la fonctionnaire justifiait l’imposition de mesures disciplinaires? Est-ce que la conduite de la fonctionnaire justifiait son licenciement?

8 Tout en étant bien au fait de la somme phénoménale des éléments versés au dossier, j’ai retenu uniquement les éléments de preuve et l’argumentation pertinents en ce qui a trait à la question principale précitée. J’ai donc fait abstraction de tout ce que j’estimais non pertinent en ce qui a trait à la question principale.

II. Résumé de la preuve

9 Les deux parties ont signé un exposé conjoint des faits, dont voici la teneur :

[Traduction]

[…]

Les parties s’entendent sur les faits suivants :

1. Mme Gloria Baptiste a commencé à travailler auprès du Service correctionnel du Canada le 30 avril 1990.

2. Mme Baptiste a travaillé à l’Établissement de Matsqui pendant l’essentiel de sa carrière.

3. Mme Baptiste était une infirmière autorisée aux groupe et niveau NU-HOS-03. Ses conditions d’emploi étaient régies par la Convention entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, Groupe : Services de santé, échue le 30 septembre 2007.

4. Trois (3) notes de service, respectivement datées des 5 et 8 septembre et du 13 octobre 2006, ont été remises à Mme Baptiste afin de l’aviser de la tenue d’une enquête disciplinaire à son sujet relativement à son inconduite alléguée.

5. L’employeur a placé Mme Baptiste en congé administratif, avec salaire, du 25 août au 4 septembre 2006. La position de Mme Baptiste à cet égard est plutôt qu’elle a été suspendue durant cette période.

6. Mme Baptiste a été suspendue sans traitement pour une période indéterminée le 5 septembre 2006.

7. Mme Baptiste a été licenciée le 10 avril 2007.

8. Mme Baptiste conteste sa suspension et son licenciement.

10 Le 29 mai 2008, lors des discussions avec les parties dans le cadre de la conférence préparatoire à l’audience, j’ai rendu une ordonnance enjoignant à l’employeur de divulguer certains renseignements.

11 Le 2 juin 2008, au début de l’audience, le représentant de la fonctionnaire m’a demandé de rendre une autre ordonnance de divulgation et de la faire tenir à l’avocat de l’employeur, ce que j’ai fait. Cette requête du 2 juin 2008 a de nouveau fait l’objet de discussions avec les parties. Celles-ci ont convenu du libellé suivant de cette ordonnance. J’ai indiqué aux parties que je traiterais notamment de cette question en rendant ma décision dans cette affaire; cette dernière ordonnance est libellée comme suit :

[Traduction]

Je rends par la présente une autre ordonnance de divulgation à l’intention de l’employeur, que je qualifierais d’ordonnance complémentaire à celle rendue le 29 mai 2008. En premier lieu, les deux parties reconnaissent et conviennent que l’employeur s’est conformé à l’ordonnance de divulgation rendue à l’origine, le 29 mai 2008, mais que des renseignements complémentaires sont requis de l’employeur aux fins de la préparation par le représentant de l’IPFPC, Harinder Mahil, de l’expert médical de l’IPFPC en ce qui a trait aux questions précisées ci-après, et ce, aux fins du témoignage du premier témoin de l’employeur, que l’on désignera aux fins de la présente affaire comme le « détenu X ».

L’ordonnance est à savoir que les renseignements précisés ci-après soient fournis à M. Mahil relativement au détenu X :

1) Le rapport d’administration des médicaments (RAM)

2) Les rapports d’observation du progrès de ce détenu établis par son médecin

3) Les différentes ordonnances médicales prescrites et les analyses prescrites ou requises par un médecin, quel qu’il soit, pour le détenu X

4) Une copie de la photographie de la prétendue ecchymose sur le corps du détenu X, demandée dans le cadre de l’ordonnance de divulgation initiale, mais pas encore reçue.

Il a de plus été convenu par les parties que les renseignements communiqués par l’employeur au représentant de l’IPFPC seront divulgués uniquement au représentant de l’IPFPC, M. Mahil, à l’expert médical de l’IPFPC, Arlene J. Francis, et à la fonctionnaire, Mme Baptiste.

Cette ordonnance doit être exécutée par l’employeur aujourd’hui, le 2 juin 2008, tel que convenu mutuellement entre les parties devant moi […]

A. Pour l’employeur

12 L’employeur a cité comme témoin 18 personnes durant l’audience. En vue de la rédaction de la décision, les parties ont convenu des modalités d’identification de certains témoins afin de protéger la vie privée et la confidentialité de ces derniers. Je présenterai un compte rendu du témoignage de chacun des témoins.

1. Le détenu X

13 Le détenu X a témoigné qu’en 1999 il [traduction] « fumait de l’héroïne », est devenu dépendant à cette substance et a commencé à commettre des introductions par effraction pour subvenir à son accoutumance. Il a été accusé de plusieurs chefs d’introduction par effraction et de recel (d’un véhicule automobile), a plaidé coupable et, au moment des événements, purgeait une peine de trois ans moins quatre mois à l’établissement.

14 En août 2006, pendant son séjour à l’établissement, le détenu X prenait trois médicaments licites sur ordonnance, soit le Voltaren (pour des maux de dos), du Tylenol 3 (un antidouleur), et du Zoloft (de la sertraline, un antidépresseur qui lui avait été prescrit à l’origine alors qu’il était à l’Établissement Ferndale). La posologie du Zoloft était de 150 mg par jour. Le détenu X a témoigné qu’avant le mois d’août 2006, la posologie de ce médicament selon l’ordonnance à cet égard pouvait aller jusqu’à 250 mg par jour. Le détenu X s’administrait lui-même ses médicaments.

15 Il faisait partie d’un groupe de détenus gardés en ségrégation dans l’unité appelée Unité de détention temporaire (UDT). Lui et son compagnon de cellule (le détenu C) faisaient partie d’un groupe de cinq détenus servant les repas tous les jours aux autres détenus et qui gagnaient chacun 5 $ par jour en contrepartie de ces services, en plus de bénéficier de certains privilèges de circulation au sein de l’établissement, dont le privilège de sortir de leur cellule plus tôt que les autres détenus.

16 Le 20 août 2006, le détenu X a demandé à la fonctionnaire si elle pouvait lui renouveler sa prescription de Zoloft, car il ne lui en restait plus. Lorsqu’il est retourné pour chercher sa dose habituelle de Zoloft lors de la remise des médicaments aux détenus en soirée, la fonctionnaire ne lui a pas remis sa plaquette alvéolaire habituelle et lui a remis à la place, dans une petite enveloppe brune, six comprimés de ce qu’il croyait être du Zoloft. Le détenu X a témoigné que la fonctionnaire lui aurait alors expliqué qu’il ne lui restait plus de Zoloft en comprimés de 50 mg et qu’elle lui remettait donc 6 comprimés de 25 mg en remplacement de la prescription d’origine de 3 comprimés de 50 mg. L’enveloppe brune était adressée à la main au nom du détenu X et portait la mention suivante [traduction] : « Dose de 150 mg de Zoloft X 6 comprimés » (pièce E-1).

17 Le détenu X a témoigné qu’il était retourné à sa cellule et avait avalé quatre des six comprimés et s’était rendu compte que l’inscription sur les deux comprimés restants ne correspondait pas à ce qu’il pensait être l’appellation générique du Zoloft (sertraline), et les avait donc laissés dans l’enveloppe brune. Ces deux comprimés ont été produits en preuve (pièce E-2), et ils sont en ma possession, du consentement des parties. Il a été mis en preuve que le Zoloft est un antidépresseur et que les six comprimés remis par la fonctionnaire au détenu X étaient du Seroquel (fumarate de quétiapine). Il s’agit d’un antipsychotique employé cliniquement pour soigner la schizophrénie ou les troubles bipolaires chez les patients adultes.

18 Le détenu X a témoigné qu’il avait fait une chute dans sa cellule le soir du 20 août 2006 après avoir ingéré quatre comprimés du médicament erroné, lui causant un problème discal au dos.

19 Le lendemain, après avoir servi le petit-déjeuner à l’heure habituelle avec son compagnon de cellule, il a rencontré l’infirmière en chef intérimaire, Donna Raketti, et lui a remis l’enveloppe brune, cette dernière y apposant sa signature en guise d’accusé de réception. Mme Raketti a aussitôt obtenu un rendez-vous pour faire passer une radiographie de l’ecchymose du détenu X, car elle voulait que cela soit fait dans les plus brefs délais puisque le détenu X devait être libéré dans les prochains jours. De plus, avant de remettre la petite enveloppe brune à l’infirmière Raketti, le détenu X avait parlé à l’agent correctionnel Sean Koch et a obtenu sa signature sur l’enveloppe brune à titre de témoin.

20 La radiographie, passée le 22 août, a révélé une ecchymose de la taille d’un œuf, sans présence évidente de sang ni de fracture ni d’anomalie osseuse. Le Dr F. Kuhn, médecin attitré de l’établissement, a effectué la radiographie.

21 En contre-interrogatoire, le détenu X a admis [traduction] « avoir une dépendance aux drogues dures ». Il a consommé de l’héroïne, de la cocaïne, du LSD et de la morphine. Il a également admis que ses nombreuses incarcérations jusqu’à ce jour étaient en raison de condamnations pour des introductions par effraction et des vols, des infractions perpétrées pour assouvir sa toxicomanie.

22 Le 21 août 2006, à la suite de sa chute et de sa blessure dans sa cellule, il a déposé une plainte. Quand le SCC l’a informé qu’on ne trouvait plus sa plainte, il a dit que cela ne le surprenait pas parce que la première fois qu’il avait été détenu à cet établissement, il avait également déposé une plainte et n’avait jamais obtenu une réponse.

23 Le détenu X a reconnu qu’avant le mois d’août 2006, il avait reçu sa médication de la fonctionnaire sans problème ni quelque erreur de médication. Le détenu X a par ailleurs témoigné qu’il n’avait pas de démêlés avec d’autres détenus, qu’il n’a jamais été impliqué dans une bagarre en prison, et qu’il ne volait pas d’effets dans les cellules des autres détenus.

24 Puisque le détenu X et son compagnon de cellule étaient affectés au service des repas aux autres détenus de l’établissement, leur cellule était toujours déverrouillée avant celle des autres détenus. Cependant, les cellules de tous les détenus étaient verrouillées à 22 h. Les lumières des cellules sont alors éteintes au même moment. Les agents correctionnels circulent à intervalles d’une heure et, de l’extérieur, ils vérifient l’intérieur de chaque cellule à l’aide d’une lampe de poche. En d’autres termes, une fois que les lumières des cellules sont éteintes, il y fait noir.

25 Le détenu X se souvient qu’il a rédigé sa plainte de cinq pages à la main (pièce E-4), le 21 ou le 22 août 2006.

26 Lors de son témoignage, le détenu X a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne se souvient pas d’habitude de ce qui n’a pas pour lui une certaine importance. Si quelque chose est insignifiant ou, du moins, est insignifiant à ses yeux, il ne s’en rappellera pas.

27 Contrairement à ce que la fonctionnaire a affirmé, le détenu X a témoigné que le 20 août il n’avait pas avalé de médicaments en sa présence. Il dit qu’au contraire, il a pris les six comprimés dans l’enveloppe brune et s’est rendu à sa cellule. Il en a avalé seulement quatre vers 19 h environ.

28 Le 21 août, le détenu X a rencontré M. Koch très tôt en matinée, l’a informé de l’incident du 20 août et du fait qu’il était tombé de la couchette du haut du lit superposé dans sa cellule et s’était alors blessé, après avoir ingéré les médicaments erronés qui lui avaient été remis par la fonctionnaire. M. Koch est l’un des signataires ayant identifié l’enveloppe brune en question. Le détenu X a aussi demandé à M. Koch de parler de cet incident à l’infirmière en chef et du fait qu’on lui a donné le mauvais médicament.

29 À la question [traduction] « Est-ce que votre médecin vous a avisé que le Voltaren que vous prenez vous rend plus susceptible aux ecchymoses? », le détenu X a répondu par la négative.

30 Le détenu X a affirmé que sa santé s’était détériorée depuis sa blessure occasionnée après avoir ingéré le mauvais médicament le 20 août 2006.

31 Le 21 août 2006, le détenu X a fait part au surveillant correctionnel, Matt Lister, des renseignements recueillis par sa sœur au sujet des décès de détenus qui avaient été incarcérés dans cet établissement. Lors de cet entretien, il a informé M. Lister de son intention de soulever auprès de son avocat la question des décès de détenus à cet établissement, notamment ceux dans lesquels la fonctionnaire aurait pu être impliquée.

32 En contre-interrogatoire, le détenu X a témoigné que ses antécédents médicaux incluent notamment des hospitalisations après avoir été happé par une voiture, une fracture du crâne, une rotule fracturée, une fracture de la clavicule à deux occasions, puis des opérations au dos en raison d’un problème discal. Toutes ces interventions ont eu lieu avant l’incident dans sa cellule.

33 Il est intéressant de noter que, bien que plusieurs agents aient été au courant des incidents du 20 et du 21 août, aucune note ou mention dans un registre quelconque n’a été inscrite par quelque service que ce soit au sujet des incidents précités ni en signalant l’existence. Pourtant, une mention a été inscrite au registre de l’UDT concernant une conspiration entre quelques-uns des détenus servant les repas, dans laquelle il est fait mention du détenu X.

2. Le détenu C

34 Le détenu C était le compagnon de cellule du détenu X durant la période du 16 au 23 août 2006.

35 Au moment de l’incident, le détenu C avait 34 ans et purgeait une peine de plusieurs années pour homicide involontaire. Il avait fait la connaissance du détenu X alors que ce dernier avait auparavant purgé une peine au même établissement que lui. En août 2006, tous les deux étaient affectés à l’UDT et faisaient partie d’une équipe de cinq détenus qui servaient les repas aux autres détenus de l’établissement. Leur fonction leur valait le privilège de jouir d’une plus grande mobilité au sein de l’établissement en plus d’une rémunération de 5 $ par jour.

36 À titre d’observation préliminaire, le détenu C a indiqué que sa demande de libération conditionnelle relativement à sa condamnation pour homicide involontaire [traduction] « serait entendue bientôt » et qu’il [traduction] « ne voulait pas s’en mêler ». Il a ajouté que [traduction] « tout ce qui [l’]intéressait c’était de dire ce qu’[il] avait vu et ce qu’il savait à propos de l’incident. [Il n’avait] aucun autre intérêt dans ce cas. »

37 Le détenu C a témoigné que, le soir du 20 août, il était revenu à sa cellule vers 21 h. Il était surpris de constater que le détenu X était déjà endormi, alors il s’est couché. On a demandé au détenu C s’il dormait dans la couchette du haut ou du bas du lit superposé. Il a répondu qu’il dormait dans la couchette du haut. Il a affirmé ensuite que le détenu X l’avait réveillé lorsque celui-ci était descendu de sa couchette et avait uriné sur le plancher de la cellule. Le détenu C lui aurait alors dit qu’il aurait à nettoyer son dégât le matin venu. Peu après, le détenu C a été encore une fois réveillé par le détenu X lorsque ce dernier, selon le détenu C, a glissé dans son urine et s’est lourdement écrasé sur le plancher de la cellule. Le détenu C lui a demandé si tout allait. Le détenu X lui a répondu [traduction] « Ouais », puis a regagné sa couchette. Cela s’était produit vers minuit.

38 Le matin venu, le détenu X a nettoyé son dégât, et a servi comme d’habitude le petit-déjeuner avec son compagnon de cellule de 7 h 30 à 8 h. Le détenu C a raconté au détenu X ce qui s’était produit la veille, et alors le détenu X lui a montré la petite enveloppe brune. Le détenu C a remarqué une ecchymose sur le corps du détenu X et une éraflure, mais pas de trace de sang.

39 Il m’apparaît clairement du témoignage du détenu C que le détenu X ne serait pas tombé de sa couchette et blessé dans sa chute, mais qu’il était plutôt tombé et s’était blessé en glissant dans son urine.

40 Lors de l’audience, le détenu C a affirmé qu’il n’avait pas revu le détenu X ni eu quelque communication avec lui depuis sa libération. Le détenu C a témoigné qu’il prenait des antidépresseurs en août 2006 et qu’il participait à une formation donnée par le conseil des aînés de sa communauté autochtone pour l’aider à maîtriser sa colère.

41 En contre-interrogatoire, le détenu C a témoigné qu’il n’avait pas songé à utiliser le bouton d’urgence de la cellule parce qu’il n’avait pas jugé grave la chute du détenu X. Il n’a pas non plus informé le lendemain un agent correctionnel de la chute du détenu X. Personne de l’établissement n’a demandé au détenu C de remplir une déclaration au sujet de la chute du détenu X.

42 Le détenu C a affirmé qu’il avait des troubles de mémoire qui remontaient à l’époque de son passage dans les pensionnats. Il dit qu’il avait également des problèmes de consommation de drogues illégales, comme d’autres détenus qui s’adonnent au trafic de drogue en prison. Le détenu C a également parlé du Seroquel, disant que c’était un relaxant et une [traduction] « drogue à la mode », consommée couramment par les détenus. Il a toutefois tenu à préciser que lui-même ne prenait pas de Seroquel.

43 Enfin, le détenu C a précisé qu’il avait encouragé le détenu X à dénoncer aux instances responsables le fait qu’on lui avait donné le mauvais médicament. Il est au courant du fait que le détenu X aurait déposé une plainte écrite, bien qu’il ne l’ait pas lue lui-même. Il a tenu à ajouter que [traduction] « vous devez remplir un formulaire pour obtenir quelque chose, sinon vous n’obtenez rien ».

3. William D. Thorpe

44 J’ai déclaré William D. Thorpe témoin spécialiste de l’expertise judiciaire des écritures, en raison de ses compétences professionnelles à ce titre avec plus de 31 années de service auprès du Service de police de Vancouver, dont 28 au laboratoire d’analyse des écritures. Il exerce également en pratique privée depuis 22 ans. Il a analysé jusqu’à présent des milliers de documents. Il a été reconnu à titre de témoin expert dans 440 cas devant toutes les instances judiciaires en Colombie-Britannique, devant la Cour du Banc de la Reine au Manitoba et en Alberta, et devant la Cour supérieure de l’État de Washington.

45 M. Thorpe a commencé son témoignage en présentant deux documents originaux (pièce E-6) qu’il a personnellement analysés et dont il atteste qu’il s’agissait de documents émanant de la fonctionnaire et signés par celle-ci ou sur lesquels elle avait apposé ses initiales. Il s’agissait de documents manuscrits. M. Thorpe a ensuite comparé l’écriture sur ces documents à celle figurant sur la petite enveloppe brune (pièce E-1) et a conclu que l’écriture et les initiales figurant sur l’enveloppe étaient bien de la main de Mme Baptiste.

46 Cette information et cette preuve n’ont pas été contestées.

4. James Glen Brown

47 Au moment de l’incident du 20 août 2006, James Glen Brown (le « directeur ») était le directeur de l’établissement. Il est un vétéran expérimenté, ayant commencé sa carrière auprès de l’employeur en 1978 à l’Établissement Kent et gravi ensuite les échelons au sein de divers établissements, dont au sein de l’administration régionale. Il a été directeur adjoint de cet établissement de 1996 à 2005, et y est le directeur depuis juin 2005.

48 Au moment des événements en cause, les Services de soins de santé de l’établissement relevaient de Kristan Brodoway, qui agissait à titre de directrice intérimaire en l’absence de M. Brown. Ce dernier est rentré au travail vers la fin du mois d’août 2006. Dès son retour et une fois mis au fait de tous les éléments se rapportant aux incidents du 20 et du 21 août, le directeur a décidé d’entreprendre une enquête disciplinaire. Le 5 septembre 2006, il a avisé Mme Baptiste qu’elle était suspendue sans traitement pour une période indéterminée, en attendant les conclusions de l’enquête disciplinaire. Sa décision de suspendre Mme Baptiste était motivée par le fait qu’il estimait que celle-ci représentait un risque pour l’établissement en raison de l’allégation d’administration par cette dernière d’un médicament erroné qui a résulté en des blessures à un détenu, qu’elle aurait modifié un dossier médical, et qu’elle était incapable de réfuter ces allégations. Le directeur estimait que pour ces motifs, le bris du lien de confiance l’empêchait de la réaffecter à d’autres fonctions au sein de l’établissement.

49 Le directeur a reconnu que le représentant de l’agent négociateur de la fonctionnaire, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « syndicat »), a demandé que l’enquête disciplinaire ait lieu dans les plus courts délais. Lorsque le représentant a formulé sa demande, il y avait quatre allégations visant la fonctionnaire. Cependant, après la consigne du 31 août 2006, 6 autres allégations se sont ajoutées durant l’enquête, formant ainsi un total de 10 allégations.

50 Le directeur a reconnu qu’il savait que Mme Baptiste travaillait seule la fin de semaine des 19 et 20 août 2006. Il a en outre reconnu, comme cela a aussi été produit en preuve, qu’elle avait travaillé des quarts de 12 heures les deux jours de cette fin de semaine et avait été rémunérée au taux des heures supplémentaires pour ces deux journées en raison du volume de travail.

51 Le directeur a reconnu que les infirmières ont une clientèle d’au moins 100 détenus par jour durant un quart de travail de 12 heures, en plus des interventions d’urgence qui peuvent survenir. Aucune preuve de cas d’urgence ne m’a été présentée relativement à la fin de semaine en cause.

52 Le directeur a convenu qu’au premier stade de l’enquête, le syndicat lui avait fait valoir ses préoccupations quant à l’équité procédurale et au respect des règles de justice naturelle. Le directeur a toutefois témoigné à cet égard que, dans l’ensemble, la fonctionnaire n’avait pas été avenante dans la présentation de sa version des faits et qu’elle n’avait pas collaboré à l’enquête, en particulier lorsque l’enquête s’est élargie pour examiner non plus 4, mais 10 allégations.

53 Le directeur a convenu que l’équité procédurale et la justice naturelle étaient certes des principes importants, tout en soulignant que les allégations d’inconduite étaient tout aussi critiques.

54 Le directeur a indiqué qu’il était indisposé par l’absence de réponses élaborées de la part de la fonctionnaire aux diverses allégations, et ce, malgré ses demandes répétées et par écrit adressées tant au syndicat qu’à la fonctionnaire à ce sujet.

55 Le directeur s’est dit préoccupé par le manque de franchise et le refus, aussi bien de la fonctionnaire que de son représentant, de participer à l’enquête. Il a écouté les enregistrements de la conduite de l’enquête afin de mieux comprendre les événements qui se sont produits du 16 au 21 août 2006.

56 En se fondant sur l’absence de responsabilisation et de remords de la fonctionnaire, et après avoir entendu les enregistrements du récit des événements et de l’ensemble des témoignages, le directeur a conclu que la fonctionnaire avait fait preuve d’inconduite.

57 Le témoignage du directeur est qu’il a tenu compte de tous les facteurs atténuants pertinents, notamment les quelque 17 années de service de la fonctionnaire auprès du SCC (dont l’essentiel à cet établissement). Il a en outre tenu compte de son dossier disciplinaire vierge. La preuve révèle par ailleurs qu’il savait qu’elle avait déjà été mutée de l’établissement à un autre établissement pour assurer sa sécurité durant l’enquête qui avait eu lieu après le décès de détenus à l’Établissement de Matsqui vers la fin des années 1990. L’enquête du coroner menée relativement à ces décès avait conclu à l’absence de faute de la part de Mme Baptiste, et elle avait été réintégrée à Matsqui quelques mois plus tard. Un autre incident s’était également produit à l’établissement impliquant Mme Baptiste avant les événements d’août 2006. La preuve veut que le directeur savait que certains détenus n’aimaient pas ou n’appréciaient pas Mme Baptiste; elle était la seule infirmière d’origine afro-canadienne travaillant à l’Établissement de Matsqui. Le fait que le directeur ait eu connaissance et ait été pertinemment conscient de l’historique du parcours de Mme Baptiste à cet établissement n’est pas mis en doute. Il savait pertinemment que la fonctionnaire faisait l’objet de remarques désobligeantes à connotation raciste de la part de certains détenus et que cela s’était produit régulièrement depuis la fin des années 1990.

58 Le directeur a témoigné qu’il avait suivi de près ce dossier et qu’il était régulièrement informé par le personnel qui lui rend compte de la situation dans l’établissement et notamment relativement à tout ce qui concerne les antécédents professionnels de la fonctionnaire au sein de l’établissement.

59 L’avocat de l’employeur a produit en preuve, par le biais du directeur, la preuve documentaire suivante :

a) Pièce E-10 – Le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, doit être lu en entier. À la page 5 de cette pièce comptant 16 pages, sous le titre « Fonctionnaires », il y est énoncé spécifiquement que : « Le Code s’inscrit dans les conditions d’emploi à la fonction publique du Canada. » Au moment de signer une lettre d’offre, les fonctionnaires reconnaissent que le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique est une condition d’emploi. Il incombe à tous les fonctionnaires de s’y conformer dans l’exercice de leurs fonctions et, en particulier, de manifester, par leurs gestes et leurs comportements, les valeurs de la fonction publique[je souligne].

b) Pièce E-11 – L’énoncé de la mission et des priorités du Service correctionnel du Canada en date du mois d’août 2006, document qui doit être lu en entier.

c) Pièce E-12Une déclaration signée par la fonctionnaire en date du 22 juillet 1993, dans laquelle elle accuse réception des documents intitulés « Règles de conduite professionnelle » et « Code de discipline » énonçant les normes auxquelles elle doit se conformer dans l’exercice de ses fonctions [je souligne].

d) Pièce E-13 – Une copie du document intitulé « Règles de conduite professionnelle », qui doit être lu en entier.

e) Pièce E-14 – Une copie du document intitulé « Code de discipline » du Service correctionnel du Canada, tel qu’il était établi en date du mois d’août 2006, qui doit être lu en entier.

60 En contre-interrogatoire, le directeur a reconnu qu’il était au courant d’un incident mettant en cause Mme Baptiste survenu plusieurs années avant les incidents qui nous occupent en l’instance, où des détenus de l’établissement avaient accusé Mme Baptiste d’avoir tué un détenu en lui administrant un médicament qui lui a été fatal. Le décès a fait l’objet d’une enquête du coroner, dont les conclusions n’attribuaient aucun blâme envers Mme Baptiste. Toutefois, avant que la décision finale du coroner ne soit rendue, elle avait été mutée à un autre établissement pour sa propre sécurité et sa protection. Elle a travaillé à l’autre établissement pendant quelques mois avant d’être réintégrée à l’établissement dans ses fonctions d’infirmière. Le représentant syndical a souligné que, dans le cas de cette allégation grave d’avoir causé la mort d’un détenu, le SCC avait volontairement accepté d’accorder un accommodement à Mme Baptiste et de lui permettre de travailler dans un autre établissement. Cependant, en l’espèce, l’employeur a refusé de considérer son transfert à un autre établissement en attendant les conclusions de l’enquête, celle-ci s’étant étirée sur une période de sept mois.

61 Le directeur a aussi reconnu qu’il était au courant d’un autre incident impliquant des détenus et Mme Baptiste en 2004, lequel avait également fait l’objet d’une enquête.

62 En réponse à une question sur la consommation de drogues illicites au sein de l’établissement, le directeur a affirmé qu’il n’était pas surpris du fait que des drogues illicites circulaient au sein de l’établissement, précisant que non seulement cela constituait un problème important au sein de l’établissement, mais qu’il s’agissait d’une problématique d’une ampleur grandissante dans tous les pénitenciers fédéraux au Canada. La sécurité est un élément vital et une préoccupation de tous les instants au sein des établissements. À son avis, la consommation croissante de drogues illicites à l’intérieur des murs constitue une menace constante à la sécurité dans tous les établissements.

63 Questionné au sujet de la teneur des pièces U-10 et U-11, deux publications de l’employeur intitulées respectivement [traduction] Les drogues dans les établissements correctionnels et [traduction] Évolution de la population carcérale,il a indiqué qu’il était d’accord avec ce qu’il y est mentionné et qu’effectivement on observe une augmentation de la consommation de drogues illicites au sein de la population carcérale, avec les conséquences que cela entraîne.

64 La problématique de la consommation de drogues illicites est au cœur des enjeux liés à la sécurité dans le système carcéral. À cet égard, le représentant de la fonctionnaire a produit en preuve les documents suivants en signalant leur lien étroit avec les enjeux de sécurité : pièce U-12 (SCC – Formulaire de déclaration d’un agent); pièce U-13 (Services de santé régionaux – Ordonnances de services de santé); pièce U-14 (Guide et lignes directrices sur la rédaction des rapports); pièce U-15 (Directives du commissaire 568, « Gestion des renseignements de sécurité »); pièce U-16 (Directives du commissaire 568-1, « Consignation et signalement des incidents de sécurité »); pièce U-17 (Directives du commissaire 568-2, « Consignation des renseignements de sécurité préventive »); pièce U-18 (Directives du commissaire 568-4, « Protection des lieux de crime et conservation des preuves »); pièce U-19 (Directives du commissaire 041, « Rapports d’incidents »).

65 En se prononçant au sujet des pièces précitées, le directeur a affirmé que toute activité impliquant un détenu et susceptible d’avoir un effet perturbant doit faire l’objet d’un signalement et on doit y donner suite. Il a en outre souligné que tous les surveillants étaient tenus de se conformer à ces directives.

66 En réponse à une question du représentant de la fonctionnaire à savoir que l’employeur n’avait pas de plainte écrite du détenu X, le directeur a affirmé que si le détenu X avait déposé une plainte, il serait surpris que le SCC ne l’ait pas.

67 Le directeur a témoigné qu’il voulait que l’enquête disciplinaire visant la fonctionnaire soit effectuée le plus minutieusement possible, et que tous les témoins potentiels, y compris la fonctionnaire et les agents du SCC présents à la ligne de distribution des médicaments le 20 août 2006, soient rencontrés dans les meilleurs délais pendant que les événements sont encore frais à leur esprit.

68 Le directeur a aussi mentionné que la directrice adjointe de l’établissement, Kristan Brodoway, agissait à titre de directrice intérimaire pendant l’absence du directeur en août 2006. Dès qu’elle a été avisée de l’incident du 20 août, Mme Brodoway a mis sur pied, avec l’aide d’autres membres du personnel de l’établissement et de l’administration régionale, une équipe chargée de recueillir tous les renseignements possible au sujet de l’incident.

69 La directrice intérimaire Brodoway a pris des décisions préliminaires à partir des renseignements obtenus d’un certain nombre d’individus. Ces renseignements ont été colligés et produits sous les pièces U-51 (onglet 5 d’un document intitulé [traduction] « Enquête disciplinaire », signé par Randie Scott), U-52 (onglet 6 du même document, signé par Matt Lister), et dans le texte [traduction] « Enquête disciplinaire » (onglet 7 du même document, signé par Sean Koch).

70 Le directeur a témoigné qu’une fois mis au fait du dossier à son retour au travail en août 2006, il a alors su que le détenu X avait l’intention d’éventer l’affaire dans les médias. Il a aussi été mis en preuve que le directeur a été informé par son équipe de gestion de tous les faits et des discussions ayant eu lieu à cet égard, notamment des notes personnelles de M. Scott à ce sujet, datées du 22 août 2006. Il est d’ailleurs non contesté que le détenu X a effectivement intenté des poursuites après sa libération de l’établissement, notamment contre le SCC, la fonctionnaire et d’autres parties, relativement à l’incident du 20 août 2006.

71 Le directeur a témoigné qu’il n’était pas au courant de quelque contravention aux dispositions du document intitulé [traduction] « Politiques et Procédures » du College of Registered Nurses of British Columbia (CRNBC) par d’autres membres du personnel infirmier travaillant au sein de l’établissement. Il a toutefois affirmé que tout le personnel de soins infirmiers de la Colombie-Britannique était assujetti aux règles du CRNBC ainsi qu’aux lois et règlements régissant le RSDC.

72 Le 18 juillet 2006, l’infirmière chef Linda Dean a présenté une proposition détaillée au directeur, visant à réduire le nombre d’heures de garde du personnel infirmier dans l’Unité des soins de santé, de 16 heures par jour, 7 jours sur 7, à 12 heures de garde par jour. Elle a proposé ce changement en raison des postes de soins infirmiers non comblés et du nombre considérable d’heures supplémentaires devant être comblées par le personnel infirmier en poste au sein de l’établissement (pièce U-45). Après avoir consulté tous les intervenants affectés, le directeur a approuvé la réduction des heures, devant prendre effet à la mi-août 2006. Le changement faisait en sorte entre autres qu’une infirmière devait dorénavant combler seule les quarts de travail de 12 heures les fins de semaine. Mme Baptiste a été la première à être affectée au nouveau quart de travail de fin de semaine, au cours duquel l’incident du 20 août a eu lieu.

73 Selon le témoignage du directeur Brown en contre-interrogatoire, celui-ci était au courant des demandes du syndicat formulées dans les pièces U-2 (le 4 octobre 2006) et U-3 (le 19 octobre 2006). Les deux demandes lui avaient été adressées et visaient la mutation de la fonctionnaire à un autre poste durant l’enquête disciplinaire, comme cela avait été fait lors de l’enquête de la fin des années 1990 et encore lors de celle vers le milieu de l’année 2004, alors que des détenus avaient formulé des accusations à l’égard de Mme Baptiste qui s’étaient avérées non fondées à la suite de ces enquêtes. Dans ces deux cas, on lui avait permis de travailler ailleurs dans le réseau du SCC pendant le long cheminement de ces enquêtes.

74 Toutefois, selon le témoignage du directeur, il avait étudié et tenu compte de tous les éléments de ce cas, y compris les lignes directrices en matière de mesures disciplinaires (pièce U-55) et il avait pris sa décision en considérant l’absence de remords de la fonctionnaire, ses manquements aux règles, ses erreurs et manquements dans la fourniture des médicaments, l’altération des registres, les blessures subies par le détenu X, et le défaut de rendre compte de ses actions, tous ces éléments ayant mené à une rupture du lien de confiance avec son employeur et sa conviction, à titre de décideur ultime, que la fonctionnaire n’était plus en mesure de s’acquitter convenablement de ses fonctions professionnelles en tant qu’infirmière auprès du SCC, peu importe l’établissement où elle serait affectée.

75 Enfin, le directeur Brown a conclu qu’afin de rendre sa décision définitive telle qu’exprimée dans la pièce E-9, il avait considéré tous les scénarios de réinstallation possible et en était néanmoins venu à la conclusion que les facteurs précités primaient et qu’aucun élément de la pièce U-56 (des coupures de journaux portant sur le décès de détenus survenus à l’établissement en 2000) n’avait motivé sa décision de mettre fin à l’emploi de la fonctionnaire.

5. Kristan Brodoway

76 Au moment des incidents du mois d’août 2006, Mme Brodoway agissait à titre de directrice intérimaire en l’absence de M. Brown. Elle travaillait au SCC depuis 10 ans, aux établissements de Ferndale et de Mission puis à l’Établissement de Matsqui depuis 2004.

77 Mise au fait des incidents, Mme Brodoway a aussitôt rassemblé une équipe chargée de recueillir les renseignements pertinents, constituée de collègues de l’Établissement de Matsqui et de personnes possédant l’expertise requise au sein de l’administration régionale. À son avis, la décision de retourner Mme Baptiste à la maison en lui versant son salaire a été prise afin de [traduction] « geler la situation afin que tout le monde soit en sécurité ». Elle a témoigné que cela avait été surtout fait par mesure de précaution et n’était pas censé être une mesure disciplinaire ou punitive. L’opportunité de déployer la fonctionnaire à un autre établissement avait alors été évoquée; toutefois, Mme Brodoway a témoigné qu’après avoir mis le directeur au fait du dossier, elle n’a pas été impliquée dans la décision finale de suspendre la fonctionnaire sans traitement ni dans la décision de la licencier.

78 Mme Brodoway a témoigné qu’elle s’était aperçue, selon les renseignements initiaux, que la situation pouvait avoir des conséquences au plan de la responsabilité juridique et pouvait dégénérer, en particulier si le détenu X en parlait à d’autres détenus. Par conséquent, elle y voyait un incident de sécurité potentiel. Elle était également au courant de l’intention du détenu X d’obtenir les conseils d’un avocat au sujet de l’incident du 20 août 2006, et aussi des recherches sur Internet effectuées par la sœur du détenu au sujet de Mme Baptiste. Elle savait que le détenu X avait déposé une plainte le 21 août 2006, affirmant à cet égard qu’elle [traduction] « n’était pas surprise qu’elle ait été perdue ».

6. Sean Koch

79 M. Koch est un agent correctionnel (CX-02) comptant 11 années de service au sein de la fonction publique, dont la plupart à l’établissement. M. Koch a connu l’infirmière Baptiste alors qu’il travaillait à l’UDT. Il a témoigné que, le 21 août 2006, le détenu X l’avait informé, lui et l’infirmière Raketti, qu’il était tombé de la couchette du haut et lui avait demandé d’accepter de signer l’enveloppe brune (pièce E-1).

80 De l’avis de M. Koch, le détenu X n’avait pas été gravement blessé lors de sa chute, car s’il avait subi des blessures graves, quelqu’un aurait activé la sonnette d’urgence dans la cellule, mais ce ne fut pas le cas. De plus, estimant qu’il ne s’agissait pas d’un incident de sécurité, il n’a rien écrit dans le registre.

81 M. Koch a confirmé que des détenus avaient tenu des propos désobligeants à caractère raciste envers Mme Baptiste.

7. Diane Thiessen

82 Mme Thiessen agit présentement à titre de directrice intérimaire des services cliniques du SCC, région du Pacifique, et relève du directeur régional des Services de santé du SCC. Elle travaille au sein de la fonction publique depuis 1992. Au moment de l’audience, elle travaillait auprès du SCC depuis cinq ans.

83 Mme Thiessen avait été nommée par le directeur à la coprésidence de l’équipe de deux personnes qui était chargée de l’enquête disciplinaire sur les incidents mettant en cause Mme Baptiste. Elle avait auparavant participé à deux autres enquêtes disciplinaires.

84 Après avoir étudié les 10 allégations et les pièces présentées à leur appui, Mme Thiessen a conclu que les modifications apportées au RSDC étaient dans plusieurs cas illisibles et souvent faites après coup, en [traduction] « falsifiant les écritures » consignées au registre à tel point que l’on ne pouvait plus savoir quelle médication avait effectivement été donnée à certains détenus. Elle a illustré ses propos en présentant son analyse des modifications apportées au registre dans les cas des pièces E-15 et E-15A.

85 Interrogée sur la gravité des manquements de l’infirmière Baptiste à cet égard, Mme Thiessen a répondu qu’il s’agissait de manquements graves aux normes professionnelles, à la législation établissant le RSDC ainsi qu’aux politiques du SCC.

86 En contre-interrogatoire, il a été établi que Mme Thiessen s’occupait en particulier des questions de nature médicale au sein du comité chargé des enquêtes disciplinaires. Elle a témoigné que plusieurs erreurs avaient été faites dans le RSDC par d’autres infirmières aussi, outre Mme Baptiste. Elle a admis que la [traduction] « falsification des écritures » n’avait pas été signalée au Bureau des substances contrôlées comme cela était requis. Elle a ajouté que l’on n’avait jamais pensé au sein de l’établissement que Mme Baptiste se soit livrée au vol de stupéfiants, qu’elle ait pu s’adonner à quelque activité liée à la drogue, ni qu’elle ait bénéficié personnellement, directement ou indirectement, de quelque activité liée à la drogue. Mme Thiessen se disait essentiellement soucieuse de s’assurer que les détenus puissent compter sur des soins infirmiers compétents et sécuritaires, et que les procédures de tenue des registres soient suivies comme il se doit.

8. Katherine Mathieson

87 L’infirmière Mathieson travaille au sein de la fonction publique depuis 10 ans, auprès du SCC. Elle est affectée à l’établissement depuis les cinq dernières années. À l’époque des incidents du mois d’août 2006, elle relevait directement de Donna Raketti, l’infirmière chef intérimaire.

88 L’infirmière Baptiste était sa collègue à l’établissement. Mme Baptiste était la seule infirmière de garde la fin de semaine du 19 et 20 août 2006. Les fins de semaine, seulement l’infirmière de garde a accès au RSDC et elle est la seule ayant les clés de la pharmacie. Les agents correctionnels n’ont pas les clés donnant accès à la pharmacie. Aucun agent correctionnel n’est affecté au service des soins de santé de l’établissement durant les fins de semaine.

89 Le lundi matin, le 21 août 2006, les seules personnes ayant accès au RSDC étaient les quatre infirmières suivantes : Mme Mathieson, Mme Raketti, Mme Plate et Mme Baptiste. Vers 13 h, l’infirmière Mathieson a aperçu Mme Baptiste en train d’écrire dans le RSDC. Elle a demandé à Mme Baptiste s’il y avait un problème. Cette dernière lui a répondu [traduction] « Non, j’étais un peu mêlée en fin de semaine. » Peu après, l’infirmière Mathieson a examiné le RSDC et remarqué que le décompte matinal des comprimés avait été modifié. Les infirmières Mathieson et Plate, qui avaient conjointement signé le décompte matinal, ont reconnu l’écriture de l’auteur de la modification, notamment les initiales et la signature, comme étant l’écriture de Mme Baptiste (pièce E-15A) se fondant sur leur expérience de plusieurs années à travailler avec cette dernière. Elles ont notamment reconnu sa signature particulièrement caractéristique. L’infirmière Mathieson a aussitôt informé l’infirmière chef intérimaire, Mme Raketti, de cet incident.

90 L’infirmière Mathieson estimait que la modification du décompte des comprimés témoignait à la fois d’un manque de professionnalisme et d’un manque de respect envers ses collègues. Elle a affirmé que [traduction] « lorsqu’un professionnel modifie le travail d’un collègue sans l’aviser à l’avance, il met en péril le permis d’exercice de l’auteur de l’inscription. Il s’agit également d’un manque de respect, parce qu’un des préceptes de la profession est que l’on doive se fier sur le fait qu’un autre membre de la profession n’apportera pas des modifications au travail d’un collègue sans l’avertir au préalable. »

91 Sur la question de la confiance, l’infirmière Mathieson a affirmé qu’elle n’avait pas confiance en Mme Baptiste parce qu’elle estimait que cette dernière n’agissait pas de manière responsable dans l’exercice de sa profession. Elle a ajouté qu’elle ne voulait pas être obligée de travailler de nouveau avec Mme Baptiste et qu’elle démissionnerait sur-le-champ si Mme Baptiste devait être réintégrée dans son poste, disant qu’elle ne voulait pas mettre en péril son permis d’exercice et la santé de ses patients.

92 Mme Mathieson a alors avisé le pharmacien de l’établissement, le Dr Jason Wong. Ce dernier lui a dit d’inscrire la mention appropriée dans le RSDC, ce qu’elle fit, et y a apposé ses initiales. Elle a aussi identifié les initiales de Mme Baptiste sur la petite enveloppe brune (pièce E-1). Elle a confirmé que l’établissement ne disposait pas de comprimés de Zoloft en doses de 25 mg. Elle sait cela non seulement en raison du témoignage du Dr Wong, mais aussi du fait que durant l’année précédant l’incident du mois d’août 2006, elle avait activement participé aux activités du comité chargé de la pharmacie de l’établissement.

9. Jason Wong

93 Le Dr Wong est le pharmacien régional responsable à l’établissement. Il a confirmé que le détenu X avait une prescription de Zoloft, ayant une dose quotidienne de 150 mg devant être prise une fois par jour, au coucher, du mois de juillet au mois d’août 2006.

94 Le Dr Wong a aussi produit en preuve la pièce E-38 (un comprimé de 50 mg de Zoloft), que le détenu X utilisait lorsque ce médicament n’était pas disponible en comprimé de 150 mg. Il devait alors prendre 3 comprimés de 50 mg pour satisfaire ses besoins médicaux quotidiens. Le Dr Wong a confirmé que seulement 2 détenus prenaient du Zoloft, dont le détenu X, au cours de la période pertinente, et que les 2 recevaient uniquement des comprimés en dose de 50 mg. Il appert du témoignage non contredit du Dr Wong que pendant cette période, aucun comprimé de 25 mg de Zoloft n’avait été dispensé à l’établissement.

95 Le 21 août 2006, l’infirmière Mathieson a communiqué avec lui pour l’informer qu’une collègue avait de son propre chef modifié le RSDC et que non seulement cela l’avait profondément troublée, mais qu’elle s’inquiétait du fait que son permis d’exercice de la profession d’infirmière était susceptible d’en être entaché. L’infirmière Mathieson a indiqué que Mme Baptiste était la personne fautive, parce que d’expérience elle connaissait l’écriture de Mme Baptiste. Il a confirmé à l’infirmière Mathieson qu’il était inapproprié pour quiconque de modifier une écriture dûment contresignée d’une autre infirmière au RSDC sans en aviser au préalable l’infirmière ayant consigné l’écriture au registre. Il a aussi témoigné que ce geste constituait une infraction en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. C-19 (LRCDAS) (onglet 25 du document sur l’enquête disciplinaire), en particulier l’article 59, lequel s’énonce comme suit :

59. Nul ne peut sciemment, dans un livre, registre, rapport ou autre document – quel que soit son support matériel – à établir aux termes de la présente loi ou de ses règlements, faire ou consentir à ce que soit faite une déclaration fausse ou trompeuse, participer à une telle déclaration ou y acquiescer.

96 Le Dr Wong a témoigné que le Seroquel est un médicament bien connu en milieu carcéral, qui y est souvent appelé [traduction] « héroïne junior ». Le Dr Wong a précisé que c’était un neurodépresseur souvent utilisé par les détenus pour faire du troc. Il a confirmé que le détenu X ne prenait pas ce médicament.

97 La preuve présentée par l’employeur en ce qui a trait au Zoloft et au Seroquel, dont une volumineuse documentation produite dans la pièce E-37 (dont un extrait du Compendium of Pharmaceuticals and Specialities: The Canadian Drug Reference for Health Professionals (CPS)), fait notamment état des divers effets indésirables de ces deux médicaments chez les personnes qui les consomment, soit des troubles cardiovasculaires, dont des palpitations; des troubles du système nerveux central et périphérique, dont des maux de tête et des étourdissements; des troubles gastro-intestinaux, dont la nausée et la diarrhée; des troubles psychiques, dont l’insomnie, la dysfonction sexuelle (chez les hommes), la somnolence, l’agitation, la nervosité, et l’anxiété.

98 Il est en outre précisé dans le CPS que pour les deux médicaments une surveillance et un suivi rigoureux s’imposent de la part des divers professionnels de la santé. On y attire notamment l’attention du lecteur sur les contre-indications et les mises en garde se rapportant à ces médicaments et aux effets indésirables potentiels liés à la prise concurrente d’autres médicaments licites en même temps que ces médicaments d’ordonnance. On y souligne en outre l’importance de ne pas consommer d’alcool ou des drogues illicites en même temps que l’on prend ces médicaments licites, puisque la consommation d’alcool ou de drogues illicites peuvent occasionner des effets toxiques et des interactions médicamenteuses graves imprévisibles parfois violentes, débilitantes, voire fatales. Comme pour tout médicament actif, les médecins doivent soigneusement évaluer leurs patients afin de déceler tout antécédent de toxicomanie, et assurer auprès d’eux un suivi rigoureux et les observer afin de repérer quelque signe d’usage contre-indiqué ou abusif de ces médicaments.

99 À la question [traduction] « Quelle est la procédure indiquée en cas d’erreur dans la médication administrée à un patient? », le Dr Wong a répondu qu’en cas d’erreur de médication, il faut tout d’abord admettre sans délai le fait que l’on se soit trompé. Suivant les circonstances, la personne ayant commis l’erreur doit en aviser le médecin ou le patient de manière à ce que le patient puisse recevoir les soins appropriés sans tarder sinon aussitôt que faire se peut. La personne ayant commis l’erreur doit faire preuve de franchise et la signaler afin que le patient reçoive sans délai les soins qui s’imposent.

100 Enfin, le Dr Wong a affirmé que, dans le cadre de ses responsabilités de vérification, il avait effectué le 10 septembre 2006 un contrôle du décompte des stupéfiants à l’établissement, portant sur une période de cinq ans jusqu’au 7 septembre 2006.

10. Angeline Slater, Ann Gregory, James Smith, Pierre Bell et Denise O’Hara

101 L’employeur a cité comme témoins des infirmières et des infirmiers ayant déjà travaillé avec Mme Baptiste à différentes périodes au sein de l’établissement. L’essentiel de leur témoignage respectif était à savoir que la fonction d’infirmière ou d’infirmier en milieu carcéral nécessitait un très haut niveau de confiance, qu’ils étaient au courant des allégations visant Mme Baptiste, qu’ils n’avaient pas confiance en elle, et qu’ils ne voulaient plus travailler avec elle. Ils ont de plus affirmé qu’advenant sa réintégration à l’établissement, ils demanderaient d’être mutés à un autre établissement ou prendraient leur retraite.

102 L’infirmier Pierre Bell a témoigné qu’il était un délégué syndical de longue date au sein du syndicat. Il a confirmé que le Seroquel était un médicament dont les détenus faisaient une surconsommation et servait de monnaie d’échange pour les détenus, en raison de son effet euphorisant (comme si l’on était en état d’ébriété, selon ce que des détenus lui auraient expliqué).

103 L’infirmier Bell a témoigné que Mme Baptiste avait également fait l’objet d’une enquête en 2004-2005 à la suite de plaintes portées par des détenus à son endroit. On lui avait alors retiré ses responsabilités d’infirmière pour l’affecter à des tâches administratives durant l’enquête; elle avait par la suite été réintégrée à ses fonctions d’infirmière au sein de l’établissement.

104 L’infirmier Bell a aussi témoigné qu’avant l’incident de 2004-2005, la fonctionnaire avait aussi fait l’objet d’une longue enquête entreprise à la suite d’allégations de la part de détenus à savoir qu’elle aurait été impliquée dans le décès de détenus. Il a signalé que cette enquête [traduction] « avait fait l’objet d’une couverture médiatique intense de la part de la SRC en Colombie-Britannique ». À son avis, Mme Baptiste avait été mutée à un autre établissement fédéral pour sa propre sécurité pendant le déroulement de l’enquête. Elle avait été réintégrée à ses fonctions normales à la suite de l’enquête, alors qu’elle avait été blanchie des allégations à son endroit.

105 Selon l’infirmier Bell, cet incident a ravivé les injures à connotation raciale dont elle faisait déjà l’objet de la part de certains détenus.

106 L’infirmier Bell a témoigné que durant les mois de juillet à août 2006, il y a avait une pénurie chronique de personnel infirmier à l’établissement, tel qu’illustré à la pièce U-59. Il s’agit du document de discussion sur les problématiques en soins infirmiers soumis à l’étude de la direction de l’établissement en juillet 2006.

107 L’infirmier Bell a témoigné que, après discussion de cette problématique en juillet 2006, la direction avait réduit les heures de travail du personnel infirmier de 16 à 12 heures par jour, ce changement prenant effet le 8 août 2006. Cette modification aux heures de travail du personnel infirmier est décrite en détail à la pièce U-46, où il est en outre précisé que le facteur ayant motivé ce changement était la diminution importante observée au niveau des effectifs du personnel infirmier à l’établissement. La modification avait notamment pour effet de toucher le nombre d’infirmières ou d’infirmiers devant combler les quarts de travail des fins de semaine. En d’autres termes, au lieu d’avoir deux infirmières ou infirmiers de garde pendant une fin de semaine, chacun devant travailler un quart de 16 heures, seulement une infirmière ou un infirmier travaillerait des quarts de travail de 12 heures durant la fin de semaine à compter du 8 août 2006, en plus de couvrir les situations d’urgence, le cas échéant.

108 L’incident du 20 août 2006 s’est produit durant la première affectation de Mme Baptiste à travailler seule la fin de semaine depuis la mise en place du nouveau quart de travail de 12 heures.

11. Jennifer Plate

109 L’infirmière Plate travaille pour la fonction publique depuis 23 années. Formée et diplômée en soins infirmiers en Angleterre, elle est arrivée au Canada en 1971. Elle a d’abord travaillé comme infirmière dans la région de Vancouver avant d’aller à l’établissement en 1985. Elle connaît Mme Baptiste et a travaillé avec elle pendant la totalité de la carrière de Mme Baptiste à l’Établissement de Matsqui. Elle la connaît en tant que collègue et est au courant de l’essentiel des allégations à son égard dans le présent cas.

110 À l’époque des événements en question, l’infirmière Plate relevait de Mme Raketti, laquelle agissait à titre de directrice intérimaire des soins de santé à l’établissement, en remplacement de l’infirmière en chef Dean. En 2006, elle était en autre responsable du programme de méthadone. Elle exigeait que tout le personnel infirmier soit titulaire d’un permis d’exercice en règle et soit assujetti tant aux règles du CRNBC que du SCC.

111 Mme Plate a décrit sommairement les événements survenus le 21 août 2006. C’était un lundi, et elle travaillait depuis déjà très tôt au petit matin, s’affairant à préparer sa routine quotidienne de méthadone. Avec l’infirmière Mathieson, elles ont procédé au décompte matinal des comprimés aux fins du RSDC. Une fois satisfaites de l’exactitude du décompte et qu’il était lisible, elles ont apposé leur signature au registre à 7 h.

112 Mme Baptiste avait travaillé durant la fin de semaine du 19 et du 20 août. Elle était la seule à avoir accès au RSDC durant cette fin de semaine-là. Au cours de la matinée du 21 août, les infirmières Plate, Mathieson, Raketti et Baptiste étaient les seules infirmières de garde. Les infirmières Plate et Mathieson ont témoigné que, lorsqu’elles ont inscrit le décompte matinal à 7 h ce matin-là, elles avaient trouvé le RSDC [traduction] « dans un pauvre état ».

113 Vers 13 h le 21 août, l’infirmière Plate a entendu un cri lancé par l’infirmière Mathieson, en émoi après s’être aperçue que quelqu’un avait modifié le décompte matinal des comprimés, et que ni l’une ni l’autre n’était en cause. En fait, les deux ont alors reconnu l’écriture et les initiales de la fonctionnaire.

114 L’infirmière Mathieson a aussitôt avisé le DrWong de la modification du décompte inscrit au RSDC. Il a conseillé à l’infirmière Mathieson de corriger la modification en suivant la procédure appropriée. Tant l’infirmière Plate que l’infirmière Mathieson étaient perturbées par l’incident, précisant toutes les deux que cela les avaient amenées à remettre sérieusement en cause leur confiance envers leur collègue, l’infirmière Baptiste.

115 L’infirmière Plate a témoigné qu’en cas d’erreur de médication, il faut signaler l’erreur dans les plus brefs délais car l’effet du médicament erroné sur le patient est inconnu; il faut aussi en aviser dès que possible le patient, lui prodiguer les soins médicaux requis et assurer un suivi rigoureux de son état.

116 À la question de l’avocat de l’employeur à savoir quel était le degré de confiance auquel elle s’attend d’un collègue infirmier ou infirmière, Mme Plate lui répondu qu’un degré très élevé de confiance est requis. Elle a affirmé, comme d’autres témoins l’ont fait, qu’elle n’avait pas confiance en Mme Baptiste, qu’elle ne se sentirait pas à l’aise de travailler de nouveau avec elle, et qu’elle prendrait sa retraite si elle devait être réintégrée dans ses fonctions.

117 L’avocat de l’employeur a invité l’infirmière Plate à formuler des commentaires au sujet des pièces U-36 et U-37. Elle a indiqué que les deux documents étaient des rapports d’observation devant être rédigés afin d’assurer le suivi documentaire qui s’impose en cas d’incident ayant trait au RSDC. L’infirmière Plate a alors précisé qu’au moment de rédiger et de signer la pièce U-36, elle s’était trompée sur l’heure de son observation. Elle a aussitôt corrigé cette erreur dès qu’elle s’en est rendu compte. La correction apparaît à la pièce U-37. Elle a signé et daté le document dûment corrigé le 28 septembre 2006.

118 L’avocat de l’employeur a invité l’infirmière Plate à formuler des commentaires au sujet des pièces E-15 et E-15A (le RSDC). Après avoir minutieusement examiné les deux documents, elle a témoigné qu’elle était d’avis que la personne ayant modifié ces deux documents n’avait pas assumé sa responsabilité à cet égard comme il se doit.

119 Enfin, l’infirmière Plate a été invitée à examiner la pièce E-1 (la petite enveloppe brune) et à dire si elle pouvait identifier l’écriture de la personne ayant inscrit les mentions apparaissant au-dessus des signatures figurant près du bas de la page. L’infirmière Plate a répondu sans hésiter qu’il s’agissait de l’écriture de Mme Baptiste, qu’il lui avait été donné de voir à plusieurs reprises au fil des nombreuses années pendant lesquelles cette dernière avait été une de ses collègues de travail dans ses fonctions à titre d’infirmière.

120 L’infirmière Plate a témoigné qu’un infirmier ou une infirmière n’a rien à gagner à distribuer le mauvais médicament à un patient et a convenu qu’il pouvait arriver à l’occasion que le personnel infirmier commette des erreurs. Elle a précisé que lorsqu’une modification est apportée au RSDC, la personne effectuant la modification doit apposer ses initiales en regard de la modification ainsi apportée au registre. Elle a conclu son témoignage en soulignant que [traduction] « l’enjeu essentiel n’est pas tant de savoir si une erreur a été commise que d’établir la responsabilité incombant à quiconque se hasarde à modifier les chiffres inscrits par une autre personne ».

12. Kevin Morgan

121 M. Morgan est un fonctionnaire comptant de longs états de service auprès du SCC, ayant travaillé pendant plus de 27 années dans divers établissements du SCC en Colombie-Britannique, dont au sein de l’administration régionale. Dans le présent cas, M. Morgan a présidé le comité d’enquête disciplinaire constitué de deux personnes ayant mené l’enquête dans ce dossier. Il était chargé de s’assurer qu’une enquête disciplinaire minutieuse, exhaustive et équitable soit menée au sujet des allégations visant Mme Baptiste. Il a remis son rapport d’enquête au directeur au début février 2007.

13. Donna Raketti

122 L’infirmière Raketti a obtenu son diplôme en sciences infirmières en 1971, et a travaillé comme infirmière à compter de 1976 à Montréal, puis de 1980 à 1982 en Ontario, et à compter de 1982 à Terre-Neuve. Elle a commencé à travailler pour le SCC en 1993; en août 2006, elle était la directrice intérimaire des soins de santé à l’établissement, remplaçant l’infirmière Dean durant son absence. L’infirmière Raketti était de plus une déléguée syndicale, et connaissait bien la fonctionnaire, ayant été son supérieur. Elle avait en outre réalisé des évaluations du rendement de la fonctionnaire vers la fin des années 1990.

123 Le lundi 21 août 2006 en matinée, entre environ 8 h 30 et 8 h 45, l’infirmière Raketti a eu un entretien avec le détenu X qui lui a expliqué brièvement qu’on lui avait donné le mauvais médicament (du Seroquel) la veille, qu’il s’était levé durant la nuit pour uriner, qu’il avait glissé dans son urine et était alors tombé sur le plancher de sa cellule et s’était blessé. Il a alors montré l’ecchymose à l’infirmière Raketti et lui a remis une petite enveloppe brune contenant deux comprimés de Seroquel; elle a apposé sa signature sur cette enveloppe. M. Koch a également apposé sa signature sur l’enveloppe.

124 L’infirmière Raketti a alors demandé au détenu X de se présenter au bureau des Services de soins de santé pour une évaluation. Le détenu X a obtempéré à cette consigne et a été vu par le personnel de ce service. Il a subi un examen médical et le médecin lui a fait passer une radiographie. L’examen radiologique a conclu qu’il n’y avait pas de fracture, pas de côtes brisées ni quelque autre dommage corporel outre une ecchymose, mais sans trace de saignement.

125 Le jour même, l’infirmière Raketti a rencontré Mme Baptiste au travail et lui a fait part des événements que lui avait relaté le détenu X au cours de la matinée, notamment qu’il avait reçu le mauvais médicament, soit 6 comprimés de 25 mg de Seroquel qui lui avaient été remis dans une petite enveloppe brune. Selon le témoignage de l’infirmière Raketti, Mme Baptiste lui aurait alors répondu [traduction] « Non, je lui ai donné 150 mg de Zoloft. » Elle a alors demandé à la fonctionnaire s’il était possible qu’elle se soit trompée en raison du fait qu’elle avait dû travailler seule pendant toute la fin de semaine et avait été très occupée. Mme Baptiste a maintenu qu’elle avait bien remis au détenu X le médicament qui lui avait été prescrit, soit une dose de 150 mg de Zoloft. Elle lui a de plus affirmé qu’elle n’avait pas remis d’enveloppe brune à quiconque, précisant que la dernière fois qu’elle l’avait fait c’était lors de la dernière fois que les détenus avaient dû être isolés dans leurs cellules, soit au printemps 2006.

126 Le 21 août 2006, l’infirmière Raketti a été informée que le décompte dans le RSDC pour la fin de semaine avait été modifié. Aussitôt après avoir été ainsi informée de la modification du décompte, dont l’exactitude avait été confirmée à 7 h du matin le 21 août par la signature des deux infirmières Mathieson et Plate, l’infirmière Raketti a demandé qu’on fasse une photocopie de la page du décompte du RSDC (pièce E-15), ce qui a été fait à 14 h le 21 août(pièce E-15A).

127 Quand elle s’est entretenue avec Mme Baptiste cette journée-là, l’infirmière Raketti a suivi la procédure qui s’impose et pris les mesures requises en cas d’erreur de médication, soit :

  1. Lorsqu’une erreur de médication est signalée, le patient doit subir un examen médical dans les plus brefs délais.
  2. Le médecin de l’établissement (Matsqui) doit être avisé sans délai de l’erreur de médication.
  3. Le bureau du pharmacien de l’établissement doit être avisé sans délai.
  4. Une fois ces mesures prises, l’infirmier ou l’infirmière ayant signalé l’erreur doit dresser un rapport, le Rapport d’observation du personnel infirmier.

128 L’infirmière Baptiste a reconnu qu’elle connaissait la procédure, ajoutant toutefois qu’elle n’avait pas commis d’erreur de médication et n’avait pas modifié le décompte des comprimés du RSDC le 21 août 2006. L’infirmière Raketti a précisé qu’elle avait alors expliqué à l’infirmière Baptiste que le décompte des comprimés constituait une obligation légale; si le décompte est erroné, le personnel infirmier présent ne doit pas quitter les lieux avant que l’erreur soit réconciliée. L’infirmière Raketti a aussi témoigné qu’elle n’avait pas modifié le décompte des comprimés le 21 août 2006.

129 L’infirmière Raketti a également témoigné qu’en examinant de plus près le RSDC le 22 août 2006, elle a constaté que Mme Baptiste avait apposé ses initiales en regard de toutes les modifications apparaissant à la pièce E-15, mais non au décompte des comprimés inscrit à 7 h du matin le 21 août 2006.

130 À la question suivante de l’avocat de l’employeur [traduction] « Quelle est l’importance de la diligence dans le signalement d’une erreur de médication? », l’infirmière Raketti a répondu que, selon le médicament ingéré, cela pouvait faire la différence entre la vie et la mort de l’individu.

131 Enfin, l’avocat de l’employeur a posé la question suivante à l’infirmière Raketti : [traduction] « Quel était votre degré de confiance envers l’infirmière Baptiste? ». Mme Raketti lui a répondu que [traduction] « la confiance de la part d’un professionnel en soins infirmiers est essentielle. Les soins infirmiers nécessitent l’intégration à une équipe médicale qui doit fonctionner de manière efficace et efficiente. Chaque membre de cette équipe doit être responsable de ses gestes sur le plan professionnel. Je n’ai pas confiance en la responsabilité de Gloria Baptiste. » Elle a ajouté que si Mme Baptiste devait être réintégrée, elle se chercherait sans doute une autre affectation ailleurs. Il y a présentement une forte demande pour les infirmières dans la communauté de la vallée du Fraser.

132 L’infirmière Raketti a convenu que le fait d’assumer seule les fonctions d’une infirmière pendant la fin de semaine constituait une charge de travail considérable sur un quart de travail de 12 heures, en plus de devoir composer avec les imprévus et les urgences. Ayant elle-même travaillé des quarts de 12 heures les fins de semaine, elle sait que le personnel infirmier peut commettre des erreurs. Elle a toutefois précisé qu’il y a en place un protocole à suivre en cas d’erreur de médication et tout le personnel infirmier, y compris Mme Baptiste, connaît pertinemment les mesures à prendre dès qu’une erreur de médication se produit.

133 Elle savait qu’en 2006 le détenu X avait aussi une infection de l’oreille, en plus de ses autres problèmes de santé dont une toxicomanie sévère révélée par un test positif aux stupéfiants. Le personnel infirmier sait qu’une infection à l’oreille occasionne des étourdissements et des troubles de l’équilibre au point de causer des chutes à cause d’une perte d’équilibre au niveau des jambes.

134 L’infirmière Raketti a affirmé être au courant des insultes à connotation raciste et des commentaires désobligeants, dont Mme Baptiste avait été victime au fil des ans de la part de certains détenus. Elle était également au courant de l’attitude négative de certains détenus à l’endroit de Mme Baptiste, car elle avait été citée à témoigner en février 2000 dans le cadre d’une enquête du coroner, la SRC l’ayant décrit à l’époque présentée, dans le cadre de l’émission The Fifth Estate, comme étant un suspect dans le décès de détenus. L’enquête avait duré plusieurs mois et Mme Baptiste avait alors été mutée à un autre établissement pendant ce temps. En fin de compte, elle avait été exonérée de tout blâme. Pourtant, à son retour à l’établissement, la stigmatisation à son égard ne s’est jamais vraiment dissipée. L’infirmière Raketti a aussi affirmé qu’elle était au courant d’une autre enquête mettant en cause Mme Baptiste en 2004-2005, à la suite de plaintes déposées par des détenus à l’endroit de cette dernière. Encore une fois, elle a été exonérée de tout blâme et a repris ses fonctions d’infirmière à l’établissement après plusieurs mois d’absence.

135 Enfin, l’avocat de l’employeur a demandé à l’infirmière Raketti s’il était [traduction] « chose courante pour une infirmière ou un infirmier de nier avoir commis une erreur de médication ». Elle a répondu que [traduction] « cela n’était pas chose courante parce qu’en temps normal, quand un infirmier ou une infirmière commet une erreur de médication, il ou elle cherchera à corriger cette erreur dans les plus brefs délais parce que, pour le personnel infirmier, c’est tout d’abord la santé du patient qui prime par-dessus tout ».

136 L’infirmière Raketti a aussi indiqué qu’elle était au courant du fait que l’infirmière en chef de l’établissement Dean avait déposé une plainte auprès du CRNBC dans laquelle elle demandait la révocation du permis d’exercice de Mme Baptiste. Le CRNBC a rejeté cette demande.

137 L’infirmière Raketti a aussi témoigné qu’elle savait qu’au fil des ans, d’autres infirmières et infirmiers de l’établissement avaient été blâmés en raison de fautes ou d’erreurs et qu’on leur avait parlé en ce qui concerne les contraventions aux règles du SCC et du RSDC, mais qu’à sa connaissance aucun d’entre eux n’avait fait l’objet de sanctions disciplinaires à cet égard. L’employeur a admis que cela était effectivement le cas.

14. Dr Alexander L. Levine

138 L’employeur a cité à témoigner le Dr Levine en réponse à l’évaluation médicale de la fonctionnaire produite par le Dr William J. Koch, un psychologue cité comme témoin expert, à la demande de la fonctionnaire. Après avoir été assermenté et déclaré témoin expert en psychiatrie, le Dr Levine a affirmé qu’il était arrivé à la conclusion médicale que Mme Baptiste [traduction] « n’était pas atteinte d’une maladie mentale ni d’un trouble de la personnalité pouvant justifier les problèmes dans l’accomplissement de ses fonctions à l’Établissement correctionnel de Matsqui ».

139 D’après le témoignage du Dr Levine, il en était arrivé à cette conclusion en se fondant sur :

  1. son entrevue exhaustive avec Mme Baptiste et les tests qu’il lui a administrés;
  2. tous les documents que lui avaient fournis les deux représentants, y compris l’opinion experte du Dr Koch;
  3. l’ensemble de la littérature médicale psychiatrique à laquelle il renvoie dans son opinion médicale, produite en preuve et à laquelle il a fait référence dans le cadre de son témoignage.

140 L’évaluation psychiatrique de Mme Baptiste effectuée par le Dr Levine est reproduite dans son rapport d’expertise daté du 29 juillet 2009, déposé en preuve par l’employeur comme la pièce E-63(B). Il s’y dit d’avis, essentiellement, que Mme Baptiste ne souffre pas d’un trouble de la personnalité et qu’elle [traduction] « […] présente des traits de personnalité mésadaptés, caractérisés par le narcissisme et la méfiance ». Il souligne que le Dr Koch, dans le cadre de son expertise médicale, n’avait pas posé un diagnostic de trouble de la personnalité à l’égard de Mme Baptiste mais avait émis des commentaires au sujet de son caractère narcissique et méfiant à titre d’élément sous-jacent à sa personnalité narcissique.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

141 Le syndicat a cité six témoins à comparaître; la fonctionnaire n’a pas été citée comme témoin. Le représentant de la fonctionnaire a soulevé une défense médicale afin de justifier le fait que la fonctionnaire ne témoignerait pas.

1. Eva Sabir

142 L’infirmière Sabir est une infirmière autorisée depuis 1974 et a travaillé dans divers établissements tant du secteur privé que du secteur public en Colombie-Britannique. Elle travaille auprès du SCC depuis 1996. Elle a travaillé à l’établissement de 1996 à 2003. Elle a été une collègue de travail de Mme Baptiste pendant toutes ces années.

143 Après avoir été assermentée, l’infirmière Sabir a affirmé qu’elle était au courant de la question dont ce tribunal était saisi. Elle a témoigné clairement, sans hésiter, répondant directement à toutes les questions qui lui étaient posées. Elle a travaillé avec la fonctionnaire de 1996 à 2003. Elle a témoigné au sujet de divers incidents mettant en cause la fonctionnaire ou dont elle avait été témoin à l’établissement.

144 Mme Sabir a notamment témoigné au sujet d’un incident s’étendant sur la période de 1999 à 2001, alors qu’une enquête avait été ouverte relativement au décès d’un détenu à l’établissement. Des détenus avaient accusé l’infirmière Baptiste d’avoir été responsable du décès d’un détenu, ce décès ayant alors fait l’objet d’une enquête du coroner. À l’époque, l’affaire avait fait l’objet de plusieurs reportages dans les médias tant nationaux que régionaux, notamment par la SRC, à l’émission The Fifth Estate diffusée par la SRC, et dans divers autres reportages dans lesquels on avait publiquement identifié Mme Baptiste à titre de suspect dans le cadre de l’enquête.

145 Selon Mme Sabir, il en est résulté que plusieurs détenus n’aimaient pas Mme Baptiste. Elle faisait l’objet d’insultes et d’injures à connotation raciste, ayant une incidence négative et durable à l’époque car l’enquête publique s’était prolongée sur plusieurs mois. Pendant cette longue enquête, la direction de l’établissement, soucieuse de la sécurité de Mme Baptiste, a muté celle-ci à un autre établissement du SCC. Elle est revenue à l’établissement plusieurs mois plus tard. L’enquête publique l’avait exonérée de tout blâme.

146 Mme Sabir a fait part d’un autre incident comportant des insultes et des injures à connotation raciste, provenant cette fois non pas d’un détenu, mais de la directrice des Services de soins de santé de l’établissement, l’infirmière Sharon Greye, qui avait alors traité Mme Baptiste de [traduction] « chienne noire » en présence de Mme Sabir et d’autres personnes. La preuve présentée par l’employeur à cet égard dans la pièce E-54 (une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) du 6 novembre 2001) révèle que cet incident n’était pas un événement isolé, mais un incident parmi au moins deux autres incidents distincts.

147 Mme Sabir a témoigné qu’à son avis, Mme Baptiste ne recevait pas le soutien requis de la part de ses collègues et de la direction, et que cette [traduction] « apparence de tolérance » avait fait en sorte que les insultes et les injures à connotation raciste allaient en augmentant car [traduction] « on n’a pas demandé qu’elles cessent ». Mme Sabir a affirmé qu’après le décès du détenu ayant déclenché l’enquête du coroner, Mme Baptiste se faisait appeler [traduction] « l’ange de la mort » tant par des détenus que dans certains médias. La longue enquête a causé beaucoup de stress à Mme Sabir et ses collègues, y compris Mme Baptiste. L’infirmière Sabir était également présente le soir d’un tournage par la SRC dans le cadre d’un reportage sur la mort du détenu à l’établissement.

148 L’infirmière Sabir a relaté un autre incident qui s’est produit pendant qu’elle distribuait les médicaments aux détenus. Alors qu’elle remettait ses médicaments à un détenu, celui-ci lui a dit qu’il [traduction] « était content que ce soit une blanche qui lui servait ses médicaments et que ce ne serait pas la chienne noire qui toucherait à ses médicaments ». Mme Sabir a ajouté à ce sujet [traduction] « qu’il y avait beaucoup de haine dans l’air ».

149 Mme Sabir a signalé que Mme Baptiste n’était pas toujours facile à aborder dans le cadre de ses relations avec ses collègues infirmières et infirmiers, son comportement faisant parfois en sorte [traduction] « qu’elle s’attirait des problèmes » lors de ses interactions avec ses collègues. Selon Mme Sabir, l’infirmière Baptiste était devenue [traduction] « renfrognée » dans ses interactions avec ses collègues au fil du temps, et aussi avec les détenus qui s’en prenaient à elle.

150 En réponse à la question [traduction] « Est-ce que l’infirmière Baptiste était traitée de la même manière que les autres infirmières ou infirmiers à Matsqui? », Mme Sabir a répondu [traduction] « Non, elle était tenue à une norme plus élevée que les autres infirmières et infirmiers, au plan de la reddition de compte [je souligne]. »

151 En réponse à la question [traduction] « Est-ce que Gloria Baptiste admettait facilement ses erreurs? », Mme Sabir a répondu [traduction] « Non ».

152 Mme Sabir a témoigné qu’il était arrivé, alors qu’elle était de garde et travaillait en présence de l’infirmier Bell, que ce dernier n’ait pas tenté de dissuader un détenu qui invectivait une autre infirmière. Elle a affirmé que l’infirmier Bell n’a rien dit et n’est pas intervenu auprès du détenu en question. Selon son témoignage non contredit, elle aurait alors fait rapport au sujet de cet incident à sa supérieure immédiate, l’infirmière Dean.

153 Enfin, selon le témoignage non contredit de Mme Sabir, après son départ de l’Établissement de Matsqui, elle avait travaillé comme infirmière autorisée dans deux autres établissements du SCC, dont le Centre régional de traitement (CRT) d’Abbotsford, en Colombie-Britannique, et que les deux établissements avaient une politique de tolérance presque zéro en ce qui avait trait aux insultes à connotation raciste et aux propos désobligeants des détenus envers le personnel infirmier et les autres employés de ces établissements. À titre d’illustration, elle a affirmé qu’à un de ces établissements, un détenu ayant proféré des insultes à connotation raciste et des propos désobligeants avait été transféré temporairement à un établissement à sécurité plus élevée. En conclusion, son témoignage est à l’effet que le niveau de tolérance à l’égard des invectives par les détenus envers le personnel infirmier et les autres employés était plus élevé à l’Établissement de Matsqui que dans les deux autres établissements correctionnels où elle avait travaillé.

2. M. Adil S. Virani

154 M. Adil S. Virani est un pharmacien titulaire d’un permis d’exercice en Colombie-Britannique, et possède une expertise clinique exhaustive de plus de 16 ans en pratique pharmaceutique, en pratique fondée sur des éléments probants et en psychopharmacologie, ainsi que dans le traitement de divers troubles psychiatriques, notamment au plan de la recherche sur des médicaments employés pour traiter divers troubles dépressifs, troubles psychotiques, troubles psychiatriques pédiatriques, et la toxicomanie. Je l’ai déclaré témoin expert. Il a énoncé l’opinion qui suit au sujet de l’effet des médicaments sur le détenu X.

155 Le détenu X est un homme âgé de 40 ans (poids : 210 lb; taille : 6’6), présentant divers troubles médicaux dont une blessure au dos (hernie au L4-L5) subie en 1994, des fractures multiples (tibia gauche, rotule de la jambe droite, traumatisme crânien, clavicules (à deux occasions), pied droit, et bras droit), dépression, acné, folliculite, toxicomanie, et problèmes dentaires. Il est titulaire d’un diplôme universitaire et a été emprisonné à plusieurs reprises pour des introductions par effraction.

156 Le détenu X a reçu plusieurs traitements afin de soigner ses troubles médicaux, notamment des interventions chirurgicales (dont l’insertion de tiges de titane dans le dos) en plus de prendre plusieurs médicaments dont des médicaments contre la douleur, antihistaminiques, antidépresseurs et antibiotiques.

157 Pour soulager la douleur, le détenu X utilisait divers médicaments anti-inflammatoires, notamment ceux de la famille des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) dont le kétorolac (Toradol), le diclofénac (Voltaren) et l’ibuprofène (Motrin, Advil), ainsi que de l’acétaminophène (Tylenol et Tylenol 3). Il consommait ces médicaments depuis au moins deux ans (certains sur une base régulière, d’autres au besoin) avant l’incident du 20 août 2006.

158 Le 27 novembre 2004, on a prescrit au détenu X du Seroquel 50 mg au coucher (au besoin) pour l’aider à dormir (il se plaignait qu’il avait de la difficulté à s’endormir et de ne dormir que 20 minutes par nuit avec le trazodone). Il n’a reçu que quelques doses à l’époque, et l’ordonnance a pris fin le 8 décembre 2004.

159 Le détenu X a des antécédents bien documentés de consommation abusive de substances diverses (parfois tous les jours). Parmi ces substances, signalons la marijuana, l’héroïne dite odieuse par intraveineuse (2 mg/jour), la cocaïne, et la morphine. Il a eu des crises en réaction au sevrage de drogues (dont la dernière en octobre 2003). De plus, sa libération conditionnelle avait été révoquée le 15 février 2006 parce qu’il avait consommé de l’héroïne. Cela avait été confirmé par les résultats d’analyse de son urine les 9 et 14 février 2006 (suggérant également la présence de morphine et de cocaïne). En mars 2006, on a jugé que le programme de méthadone n’était pas approprié dans son cas.

160 Le 21 juin 2005, le détenu X a commencé une thérapie pharmacologique à la sentraline (Zoloft 50 mg) pour traiter ses symptômes dépressifs, des pensées persistantes, le sentiment d’être dépassé par les événements et des troubles obsessionnels. Il prenait donc du Zoloft depuis plus d’un an avant que ne se produise l’incident du 20 août 2006, sauf l’exception notée en mars de la même année à savoir qu’il avait cessé d’en prendre le mois précédent.

161 Le détenu X n’a pas d’allergies connues. Selon ses antécédents documentés d’effets indésirables induits par sa médication (tel qu’en font foi des documents fournis au Dr Virani), il s’était plaint de difficultés à tolérer la trazodone (voir la pièce E-49). Les médicaments de la famille des AINS lui occasionnaient des douleurs d’estomac, et le Seroquel lui causait [traduction] « des problèmes aux jambes » (pièce E-50).

162 Le 21 août 2006, le détenu X s’est plaint qu’on lui avait donné par erreur 6 comprimés de 25 mg de Seroquel (150 mg) le 20 août 2006, au lieu de sa dose habituelle de 150 mg de Zoloft. Le détenu X a affirmé que vers 19 h le 20 août, il avait avalé 4 des 6 comprimés de Seroquel (soit 100 mg) et qu’il avait décidé de ne pas prendre les 2 comprimés qui restaient.

163 De plus, le détenu X a témoigné qu’après 19 h le 20 août 2006, il avait perdu connaissance (ne se souvient de rien de ce qui s’était passé) et il avait appris de son compagnon de cellule qu’à un certain moment durant la nuit du 20 août, il s’était levé et mis à parler de manière incohérente, avait uriné sur le plancher, avait glissé dans son urine, et était tombé, se blessant sur le côté droit du corps. Le dossier médical du détenu X contient en outre des photographies prises du côté droit de son corps ainsi qu’une radiographie prise le 22 août 2006 (laquelle n’a pas décelé de fracture ni d’anomalie osseuse).

164 Il semble donc qu’en date du 20 août 2006, le détenu X prenait régulièrement les 3 médicaments suivants, à savoir du Zoloft, 150 mg une fois par jour au coucher, du Tylenol 3, à 6 comprimés par jour, et du Voltaren SR, 75 mg deux fois par jour au besoin. Selon ce qu’en a compris le Dr Virani, le détenu X a reçu le Voltaren en vrac (aux fins d’une auto-administration); par conséquent, ce médicament ne serait pas parmi les médicaments pour lesquels il fallait signer tous les jours dans le rapport d’administration médicale (RAM).

165 Dans le rapport d’expert qu’il a déposé (pièces U-82 et U-82a), U-82b) et U-82c)), le Dr Virani a répondu à des questions spécifiques visant à savoir si le Seroquel (100 mg) pouvait occasionner le type de réactions décrites par le détenu X. Le Dr Virani a affirmé qu’il ne pouvait répondre simplement par un oui ou par un nom à une telle question, en raison de la variabilité inhérente des réactions de chaque individu aux différents médicaments psychotropes. Certains individus sont capables de consommer des fortes doses de médicaments psychotropes et présenter peu d’effets, alors que d’autres peuvent être gravement affectés après en avoir pris des doses relativement faibles. Il a affirmé que [traduction] « l’on doit considérer comment cette personne a métabolisé des médicaments qui sont assimilés par des voies similaires, comment elle a réagi par le passé à d’autres médicaments, et évidemment, l’importance d’une quantité de 100 mg de Seroquel pour le détenu X ».

166 Selon l’opinion professionnelle du Dr Virani, compte tenu de la réaction du détenu et des doses relatives des autres médicaments pris par le détenu par le passé (que l’on pourrait considérer comme étant des doses normales à élevées), la perte de connaissance, la perte de mémoire et la perte de coordination (ainsi que la présence d’ecchymoses) ne sont pas ce qu’on aurait pu prévoir ou ce à quoi on se serait attendu de la prise d’une telle dose de Seroquel, si le détenu X avait effectivement pris ce médicament. À son avis, il semble qu’il ait quelque peu exagéré à cet égard, étant donné les circonstances de ce cas et la capacité du détenu à composer avec d’autres médicaments et des substances illicites. Pour qu’une telle réaction se soit produite chez lui en raison du Seroquel, l’on se serait attendu à une réponse aussi exagérée à d’autres médicaments similaires et à la prise de 50 mg de Seroquel pour traiter ses problèmes de sommeil à quelques occasions en novembre 2004.

167 Le Dr Virani a précisé que cela ne signifiait pas qu’il était impossible que cette réaction se soit produite, mais que cela était plutôt improbable et qu’il ne s’agissait pas de la réaction de la moyenne des gens (même si le médicament avait été pris en combinaison avec les autres médicaments qu’il prenait à l’époque), compte tenu de toutes les circonstances de ce cas. Le Dr Virani a ajouté qu’en plus de 16 années de pratique, il n’avait pas vu ni entendu parler d’une telle réaction de la part de ses collègues consultés à cet égard.

168 Au vu de la conclusion du témoignage du Dr Virani, l’employeur avait déjà complété sa preuve. Cependant, Dre Linda Healy, une psychiatre au service de l’employeur, était présente à l’audience afin d’entendre le témoignage du Dr Virani et donner son avis à cet égard à l’avocat de l’employeur.

169 Après des discussions demandées par les deux avocats et avec leur consentement, j’ai permis que la Dre Healy témoigne à titre de témoin expert sur la question de la réaction du détenu X le 20 août 2006, et en particulier au sujet de l’affirmation du détenu quant à [traduction] « [sa] perte de connaissance, perte de mémoire et perte de coordination » après avoir ingéré les 100 mg de Seroquel.

170 Au départ, lorsque la Dre Healy a lu l’opinion médicale du Dr Virani (pièce U-82 et appendices), elle était arrivée à la même conclusion que le Dr Virani, à savoir qu’une telle réaction de la part du détenu X était [traduction] « possible, mais plutôt improbable ». Toutefois, après avoir examiné la pièce E-49 (Ordre du médecin et observations sur le progrès du détenu X du 24 novembre 2004 au 1er décembre 2004), la Dre Healy a changé d’avis après avoir remarqué que les effets occasionnés par le Seroquel pris par le détenu X en 2004, soit des nausées, des étourdissements et des vomissements, étaient possiblement les mêmes effets indésirables que ceux relevés lors de l’incident du 20 août 2006, selon les dires du détenu X. Ainsi, l’opinion de la Dre Healy à cet égard a changé, passant de [traduction] « possible, mais plutôt improbable » à [traduction] « possible, mais davantage probable » que le détenu X ait ainsi réagi au Seroquel le soir du 20 août 2006.

171 Après le témoignage de la Dre Healy, j’ai permis au Dr Virani de témoigner en réplique à ce point précis. Il a maintenu son opinion professionnelle voulant que le fait que se soient produits les effets tels que décrits par le détenu X était [traduction] « possible, mais plutôt improbable ».

3. Dr Jason Wong

172 Dans son témoignage rendu plus tôt à la demande de l’employeur, le Dr Wong a témoigné que le 5 janvier 2009 il avait effectué une vérification après l’incident du 20 août 2006 impliquant Mme Baptiste et le détenu X.

173 Le 26 octobre 2009, le Dr Wong avait été cité comme témoin par le représentant de la fonctionnaire aux fins de produire en preuve le rapport de vérification qu’il avait rédigé le 7 septembre 2006 et envoyé alors à Debra Gaskell, la fonctionnaire à l’échelon le plus élevé au service des soins de santé de l’administration régionale du Pacifique du SCC, relevant directement d’Ottawa (pièce U-83). Le rapport de vérification couvre diverses périodes des inscriptions au RSDC pour les années 2000, 2001, 2002, 2003, 2004 et 2006. Quatre des cinq conclusions du rapport avaient trait aux allégations visées par l’enquête disciplinaire dans ce cas. Le Dr Wong a affirmé que, pour la période de vérification comprise entre l’an 2000 et le 7 septembre 2006, il avait examiné uniquement les incidents mettant en cause la fonctionnaire, qui avait commis 78 erreurs.

174 Après la conclusion du témoignage du Dr Wong le 26 octobre 2009, les parties ont présenté en preuve, par consentement mutuel, la poursuite intentée devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique par le détenu X, à titre de demandeur, contre Gloria Baptiste, le SCC, l’Établissement de Matsqui, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée à cette fin par le procureur général du Canada, le défendeur anonyme no 1, le défendeur anonyme no 2, la défenderesse anonyme no 1 et la défenderesse anonyme no 2, à titre de défendeurs (pièce E-55).

4. Linda Dean

175 Mme Dean était la chef des Services des soins de santé à l’Établissement de Matsqui de janvier 1998 à novembre 2001, puis de 2004 jusqu’à la fin de l’année 2006 et a été la superviseure de Mme Baptiste pendant plusieurs années.

176 Vers la fin des années 1990, après le décès des détenus F et P, malades en phase terminale, et à la suite d’allégations par le détenu B que l’infirmière Baptiste avait été aperçue près des cellules des détenus décédés le jour même de leur décès, une enquête du coroner a été ordonnée afin de faire enquête sur le décès de ces détenus. Durant l’enquête, la SRC et l’émission The Fifth Estate ont présenté Mme Baptiste comme étant un suspect. En fin de compte, elle avait été exonérée de tout blâme. Mme Dean a expliqué que l’infirmière Baptiste avait alors été mutée à un autre établissement du SCC, tel que précisé à la pièce U-57, pour sa propre sécurité, et ce à compter du 8 février 1999. Elle a réintégré ses fonctions habituelles à l’établissement en septembre 2000.

177 Mme Dean a témoigné que Mme Baptiste avait par la suite fait l’objet d’une autre enquête, en octobre 2004, relativement à des incidents survenus dans l’unité de ségrégation, à la suite de plaintes formulées à son endroit en août 2004. Pendant le déroulement de l’enquête, elle avait été affectée à des fonctions administratives, sans interaction avec des détenus, jusqu’à ce que l’enquête soit complétée. Elle a repris ses fonctions habituelles d’infirmière à l’établissement en juin 2005.

178 À la suite de l’enquête d’octobre 2004 sur l’incident de l’unité de ségrégation, Mme Dean a déposé une plainte officielle auprès du CRNBC au sujet des aptitudes à exercer la profession d’infirmière de Mme Baptiste (pièce U-85). Le CRNBC a répondu à cette plainte le 23 mai 2006, précisant alors que [traduction] « le CRNBC est satisfait que l’infirmière inscrite [Gloria Baptiste] est au courant des responsabilités professionnelles qui lui incombent et qu’aucune autre mesure n’est requise de la part du CRNBC » (pièce E-61).

179 En octobre 2006, après avoir reçu la réponse du CRNBC et en raison de l’événement subséquent impliquant Mme Baptiste en août 2006 qui en était à l’étape de l’enquête, Mme Dean a de nouveau présenté une demande au CRNBC, remettant en cause l’aptitude de Mme Baptiste d’exercer la profession d’infirmière de manière avisée, sécuritaire et compétente. Dans cette deuxième demande au CRNBC, datée du 17 octobre 2006, Mme Dean, en sa qualité de chef des Services des soins de santé de l’établissement, demandait en concluant que [traduction] « le CRNBC suspende le permis d’exercice de Mme Baptiste jusqu’à ce que le CRNBC ait évalué et confirmé de nouveau sa compétence dans la prestation de soins infirmiers à la population. Si Mme Baptiste demeure autorisée à exercer la profession d’infirmière pendant l’étude de son dossier, la sécurité du public continuera à être mise en péril » (pièce U-84).

180 La nouvelle demande adressée par Mme Dean au CRNBC était accompagnée d’une série de documents (les pièces U-84 a), b), c), d), e) et f)), des documents présentés au CRNBC afin de justifier l’allégation d’incompétence à l’égard de Mme Baptiste. Il s’agit en outre d’une lettre de Mme Dean à Mme Baptiste datée du 7 janvier 2006, des évaluations de rendement visant plusieurs années antérieures, ainsi que le rapport de vérification signé par le Dr Wong et adressé à Mme Gaskell, à l’administration régionale de la région du Pacifique du SCC, daté du 10 septembre 2006. Au moment de l’audience, aucune suite n’avait encore été donnée à cette demande.

181 Mme Dean a reconnu qu’elle s’était interrogée au sujet de la santé mentale de Mme Baptiste dans une lettre adressée à Beth Tyler, au service des Ressources humaines à l’administration régionale du SCC (pièce U-86). Enfin, Mme Dean a témoigné qu’elle n’avait jamais pris de mesures disciplinaires envers la fonctionnaire.

5. Pierre Bell

182 L’infirmier Bell avait témoigné plus tôt à l’audience en tant que témoin de l’employeur. Par la suite, l’infirmière Sabir a témoigné qu’elle était de garde et travaillait en présence de l’infirmier Bell alors qu’un détenu avait proféré des injures et fait des remarques désobligeantes envers une infirmière, et que M. Bell n’avait rien dit et n’était pas intervenu auprès du détenu en question afin de l’empêcher ou de le dissuader d’injurier l’infirmière.

183 L’infirmier Bell n’a pas nié le témoignage de Mme Sabir et a ajouté que cela était tout à fait inacceptable pour un détenu de faire des remarques désobligeantes ou d’injurier des infirmiers ou des infirmières, et que cela ne devait pas être toléré. Il a précisé qu’il avait lui-même déjà fait l’objet d’insultes à connotation raciste de la part de détenus, ayant trait dans son cas à ses origines culturelles francophones. Il a été interrogé à propos des insultes à connotation raciste qu’auraient proférées Mme Greye envers Mme Baptiste. L’infirmier Bell a indiqué qu’il était présent à cette occasion et avait effectivement entendu Mme Greye appeler Mme Baptiste une [traduction] « chienne noire ». Il a souligné qu’il estimait que cette remarque raciste avait été lancée [traduction] « dans un élan de frustration ». Il a toutefois témoigné que [traduction] « cela n’excusait pas ses propos » et que [traduction] « de tels commentaires désobligeants et insultes à connotation raciste étaient inacceptables ».

6. Dr William J. Koch

184 Comptant plus de 23 années d’expérience dans la prestation de témoignages devant divers tribunaux dans des affaires similaires à celle-ci, le Dr Koch a été déclaré témoin expert en psychologie. Son opinion était précédée de ce commentaire :

[Traduction]

[…] [sa] confiance limitée dans [ses] opinions en raison de la disparité marquée entre le récit de ses antécédents professionnels par Mme Baptiste et ses antécédents professionnels tels qu’ils figurent dans son dossier d’emploi et ses dossiers disciplinaires, et son attitude défensive dans une situation d’entrevue et d’administration de tests psychologiques.

185 Le témoignage du Dr Koch est que Mme Baptiste ne souffre pas de troubles de santé mentale graves. Il estime toutefois qu’elle présente des traits de personnalité mésadaptés, caractérisés par le narcissisme et la méfiance, pouvant intervenir dans son adaptation à certaines situations dans sa vie professionnelle. Dans un contexte de santé mentale, le narcissisme, tel que défini par le Dr Koch, caractérise la tendance d’un individu à nier de façon déraisonnable ses propres fautes et à faire preuve de peu d’empathie ou de considération à l’égard du point de vue des autres. La méfiance, toujours dans un contexte de santé mentale, caractérise la manière dont un individu a tendance à interpréter un événement social (par exemple, la promotion d’un collègue, estimant que cela est attribuable au fait que l’individu est un ami personnel d’un superviseur, plutôt que d’interpréter l’événement comme étant une promotion accordée en raison du bon rendement de l’individu ou de sa réussite lors de l’entrevue).

186 Le rapport détaillé du Dr Koch a été déposé comme pièce U-90B).

187 Enfin, il convient de souligner que la fonctionnaire n’a pas témoigné.

III. Résumé de l’argumentation

188 En plus des arguments présentés verbalement au cours de l’audience, l’avocat de l’employeur ainsi que le représentant de la fonctionnaire ont présenté des arguments écrits à la fois volumineux et exhaustifs. Je fais ici un résumé de leurs arguments respectifs dans le cadre de cette décision, mais les parties peuvent être assurées que j’ai étudié minutieusement la totalité de leur argumentation avant de disposer des griefs dont je suis saisi.

A. Pour l’employeur

189 L’avocat de l’employeur a affirmé qu’en ce qui a trait au licenciement, la question était simple à trancher. Soit l’employeur a fait la preuve de ses allégations, soit il n’en a pas fait la preuve. S’il en a fait la preuve, alors en raison des mensonges et de l’absence de remords de la part de la fonctionnaire, le lien de confiance ne peut être rétabli et, partant, le licenciement de la fonctionnaire doit être maintenu.

190 L’avocat de l’employeur a affirmé de plus qu’on était ici devant deux récits divergents : soit que la fonctionnaire ne dit pas la vérité, ou alors une kyrielle de témoins cités par l’employeur ont conspiré, sans raison évidente, pour que la fonctionnaire soit licenciée et, ce faisant, pour tromper le tribunal.

191 L’avocat de l’employeur a notamment fait valoir ce qui suit :

  1. L’employeur a le fardeau de la preuve afin d’établir les allégations énoncées dans la lettre de licenciement (pièce E-9).
  2. La fonctionnaire a le fardeau de la preuve tant en ce qui a trait à sa défense médicale que de l’allégation à savoir que l’employeur cautionnait la situation. L’employeur ne répondra qu’en réplique, puisque le fardeau initial incombe à la fonctionnaire.
  3. La norme de preuve tant pour l’employeur que la fonctionnaire a été établie dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, et récemment réaffirmée dans F.H. c. McDougall, 2008 RCS 53; la norme de preuve en common law au Canada est celle de la prépondérance des probabilités.
  4. L’employeur a étudié chacune des allégations ayant fait l’objet de l’enquête de l’équipe chargée de l’enquête disciplinaire. Au départ, la fonctionnaire faisait l’objet de quatre allégations, mais à mesure que l’enquête progressait, l’équipe chargée de l’enquête a mis au jour six autres allégations. Par conséquent, 10 allégations ont été énoncées dans la lettre de licenciement de l’employeur datée du 10 avril 2007 signée par le directeur.

192 L’avocat de l’employeur a proposé que je tienne compte notamment des éléments suivants en procédant à l’analyse de la preuve :

  1. puisque la fonctionnaire n’a pas témoigné, il y a lieu d’en tirer une conclusion négative;
  2. chaque incident dans lequel l’employeur a allégué qu’il s’agissait de l’écriture de la fonctionnaire a effectivement été confirmé par l’expert en écriture qui a témoigné devant moi sinon par le témoignage des collègues de la fonctionnaire qui avaient par ailleurs témoigné de leur connaissance approfondie de son écriture. Par conséquent, la preuve se rapportant à l’écriture a été faite et n’a pas été contestée.

193 L’avocat de l’employeur a soutenu que la fonctionnaire avait donné le mauvais médicament au détenu X. Le témoignage du compagnon de cellule du détenu X a établi sa crédibilité et corroboré le fait que le détenu X s’était blessé en tombant après avoir ingéré le mauvais médicament. L’avocat de l’employeur a de plus fait valoir que le témoignage du détenu X était également corroboré par l’enveloppe qui contenait les deux comprimés restants. L’enveloppe portait le nom et l’identification du détenu X, y compris la mention manuscrite du nom du médicament et des doses. L’enveloppe a été contresignée par Mme Raketti et par le Dr Koch, accusant ainsi réception de l’enveloppe qui leur a été remise par le détenu X et dans laquelle il y avait les deux comprimés restants. La fonctionnaire a nié avoir remis l’enveloppe au détenu X puis nié qu’il s’agissait de son écriture sur l’enveloppe. Dans les heures suivant l’incident, en réponse aux questions de Mme Raketti au sujet de l’enveloppe, la fonctionnaire a encore nié l’avoir remise au détenu X. M. Thorpe a témoigné que l’écriture apparaissant sur l’enveloppe était bien celle de la fonctionnaire. Ce n’est qu’après le témoignage de l’expert en écriture cité par l’employeur et des trois collègues de la fonctionnaire confirmant qu’il s’agissait effectivement de l’écriture de la fonctionnaire, que le représentant de cette dernière, dans son exposé introductif, a admis pour la première fois qu’il s’agissait effectivement de l’écriture de la fonctionnaire.

194 Sur cette base, l’avocat de l’employeur a soutenu que la crédibilité de la fonctionnaire avait été mise à néant et qu’elle avait menti afin de camoufler son erreur. Il a ajouté qu’en plus, la fonctionnaire avait menti dès qu’elle avait été confrontée à ce sujet et par la suite tout au long du processus d’enquête.

195 De plus, il était inscrit à la main sur l’enveloppe la mention [traduction] « Dose de 150 mg de Zoloft » (6 comprimés de 25 mg de Zoloft). Selon le témoignage non contredit du Dr Wong, le Zoloft n’est pas disponible sous la forme d’un comprimé, mais plutôt en capsule. Le Dr Wong a aussi témoigné que l’établissement ne disposait d’aucune capsule de 25 mg de Zoloft. Mme Mathieson et Mme Plate ont témoigné par ailleurs qu’il n’y avait jamais eu à l’établissement du Zoloft offert en doses de 25 mg.

196 L’avocat de l’employeur a soutenu que les ecchymoses subies par le détenu X lorsqu’il est tombé après avoir ingéré le mauvais médicament étaient suffisamment graves pour que le médecin de l’établissement lui fasse subir une radiographie.

197 L’avocat de l’employeur a fait des observations au sujet du témoignage de M. Virani et m’a incité à conclure que, selon la prépondérance des probabilités, la prise du mauvais médicament a occasionné la blessure subie par le détenu X.

198 L’avocat de l’employeur a également fait valoir que, parmi tous les facteurs à considérer en appréciant la preuve, il fallait en outre tenir compte du fait que la fonctionnaire a choisi de ne pas témoigner. Ce principe est notamment énoncé dans l’ouvrage de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration (4e édition) :

[Traduction]

[…]

Les arbitres ont, règle générale, adopté la même perspective que les tribunaux civils en ce qui concerne les conclusions pouvant être tirées du fait de ne pas citer à témoigner une personne qui aurait par ailleurs pu être citée à comparaître et qui aurait pu témoigner au sujet de faits dont il ou elle aurait eu connaissance. Partant, lorsqu’une partie peut, par son propre témoignage, élucider une question en particulier et choisit de ne pas le faire, un arbitre est alors en droit de tirer la conclusion que ce témoignage n’aurait pas permis d’appuyer sa position. Il en est ainsi également alors que le défaut de citer un témoin à comparaître, qui était par ailleurs disponible à cette fin, et lorsque ce témoignage serait pertinent, peut mener à une conclusion similaire et la preuve non contredite de la partie adverse est ainsi acceptée. Ce qui plus est, lorsque le témoignage d’un témoin n’est réfuté que par la présentation d’une preuve par ouï-dire alors qu’il aurait pu être contredit au moyen d’une preuve directe, l’arbitre peut alors accepter une preuve directe qui n’est pas nécessairement satisfaisante par ailleurs.

[…]

[L’avocat de l’employeur souligne]

Ce principe a d’ailleurs été adopté dans Ayangma c. Conseil du Trésor du Canada (ministère de la Santé), 2006 CRTFP 64.

199 Dans sa réfutation, l’avocat de l’employeur a fait valoir la position de l’employeur à savoir que [traduction] « les arbitres de grief doivent être prudents lorsqu’ils créent des exceptions à la règle sur l’omission de témoigner », en particulier alors que la fonctionnaire a le fardeau de la preuve quant à la justification de son omission de témoigner, dans le cadre de sa défense médicale. Afin de pouvoir établir qu’il était inapte à témoigner, le fonctionnaire s’estimant lésé doit fournir une preuve médicale non équivoque permettant de démontrer son inaptitude à témoigner. Or, en l’instance, même en acceptant comme tel le témoignage du Dr Koch à cet égard, la preuve ainsi présentée ne satisfait pas au degré de preuve élevé requis à cette fin. En effet, le Dr Koch n’a pas dit que la fonctionnaire était [traduction] « inapte à témoigner » (tel que cette expression avait été employée dans Vancouver (City) v. Canadian Union of Public Employees, local 1004, [2002] B.C.C.A.A.A., no 81 (QL), citée par la fonctionnaire). Le Dr Koch a témoigné qu’elle serait défensive et évasive. Bon nombre de témoins sont défensifs et évasifs, a souligné l’avocat de l’employeur, mais cela ne les rend pas pour autant [traduction] « inaptes à témoigner ». Il a aussi soutenu qu’il y avait lieu de préférer le témoignage du Dr Levine, et qu’il n’y avait pas lieu non plus d’accepter l’excuse médicale que la fonctionnaire avait tenté de faire valoir pour justifier son omission de témoigner.

200 En terminant son argumentation à ce sujet, l’avocat de l’employeur a signalé que la fonctionnaire avait témoigné devant le TCDP, qui a rendu la décision Baptiste c. Service correctionnel du Canada, [2001] (T.C.D.P.) no 35 (QL) (pièce E-54).

201 L’avocat de l’employeur a soutenu qu’à la lumière de ces faits, l’employeur avait dûment établi l’allégation 1. Il a de plus fait valoir que cela était de plus appuyé par le fait que, lorsque confrontée aux faits qui lui étaient reprochés, la fonctionnaire a menti et a continué à mentir tout au long de l’enquête disciplinaire.

202 L’avocat de l’employeur a ensuite passé en revue minutieusement la preuve et m’a invité à en conclure que les allégations visant Mme Baptiste, soit d’avoir donné un mauvais médicament, d’avoir ensuite modifié le RSDC sans suivre les procédures normales à cet égard, puis d’avoir camouflé son erreur, étaient établies selon la prépondérance des probabilités.

203 L’avocat de l’employeur a aussi fait valoir que la fonctionnaire avait le fardeau d’établir une défense médicale (Canadian Labour Arbitration, Gorsky et al., chapitre 9.4(e)), et Kelly c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2002 CRTFP 74, au paragraphe 99) et qu’elle ne s’était pas acquittée de ce fardeau (Canada Safeway Ltd. and UFCW (Brandse), (2000) 94 LAC (4e) 86).

204 L’avocat de l’employeur a commenté le témoignage de Mme Sabir, affirmant que son témoignage était troublant. Toutefois, il a soutenu que sa prétention voulant que des membres du personnel encourageaient des détenus à faire des commentaires désobligeants à connotation raciste envers la fonctionnaire, et même approuvaient ces comportements, n’était pas du tout crédible. En outre, son incapacité à préciser les noms ou les circonstances (outre l’incident en présence de l’infirmier Pierre Bell) est de nature à remettre en cause l’authenticité de ses affirmations.

205 À cet égard, l’avocat de l’employeur m’a renvoyé à la décision précitée du TCDP, en citant l’extrait ci-dessous :

Lors de son témoignage, Eva Sabir a dit avoir entendu Jenny Plate, entre autres, utiliser des épithètes racistes au lieu de travail, mais elle n’a pas fourni de détails ou d’exemples. Jenny Plate, qui m’a donné l’impression d’être un témoin crédible, a nié avoir jamais utilisé un tel langage, et personne d’autre n’a confirmé l’avoir entendu proférer des choses du genre. J’ai certaines réserves quant à la crédibilité de Mme Sabir, qui m’a paru bien intentionnée, mais quelque peu portée à exagérer. […] Le désir évident de Mme Sabir d’appuyer Mme Baptiste semble s’être reflété sur son objectivité […]

[L’avocat de l’employeur souligne]

206 Le témoignage de M. Bell est à savoir que cet unique incident décrit par Mme Sabir n’avait jamais eu lieu et que, à part le seul exemple des propos tenus par Mme Greye en 1996, aucun membre du personnel n’avait tenu des propos désobligeants à l’égard de Mme Baptiste. Ceci a également été confirmé par Mme Dean.

207 L’avocat de l’employeur m’a demandé avec insistance à rejeter l’argument voulant que l’employeur ait en quelque sorte approuvé la conduite de Mme Baptiste et qu’elle ait été ciblée afin que des mesures disciplinaires soient prises contre elle. Tout d’abord, cette question a été soulevée pour la première fois uniquement à l’arbitrage, et n’est pas crédible. Ensuite, la fonctionnaire n’a pas établi que [traduction] « […] les circonstances matérielles dont se plaint la fonctionnaire sont essentiellement similaires aux circonstances des personnes ayant été traitées de manière plus clémente » (Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, à la page 7-230). Selon l’avocat de l’employeur, aucune preuve n’a été faite que d’autres employés se seraient adonnés à des actes répréhensibles semblables à ceux reprochés à Mme Baptiste, à savoir :

a) l’erreur de médication visant le détenu X et l’omission de reconnaître son erreur dès qu’elle a été confrontée et alors qu’une intervention médicale pouvait encore être pertinente;

b) le fait d’avoir modifié le décompte des comprimés inscrit par d’autres infirmières au registre des stupéfiants et de nier ce fait lorsque confrontée à ce sujet;

c) le fait d’avoir modifié le registre des stupéfiants dans le but de camoufler ses erreurs, ce que Diane Thiessen a appelé une [traduction] « falsification des écritures ».

208 L’avocat de l’employeur a de plus soutenu que le présent cas ne se prêtait pas non plus au versement d’une indemnisation à la place de la réintégration et que l’employeur avait établi un motif valable justifiant le licenciement de la fonctionnaire. Il a soutenu que le lien de confiance entre l’employeur et la fonctionnaire avait été irrémédiablement rompu, et qu’un tel lien de confiance ne pouvait pas être reconstruit sur une base de mensonges. La jurisprudence à cet égard est claire. Dans Francis c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-24111 (19931007), l’arbitre de grief s’est exprimé comme suit :

[…]

Je n’accepte pas non plus que le fonctionnaire, après avoir choisi de garder le silence tout au long de l’enquête et de la procédure de règlement des griefs, puisse à l’arbitrage produire pour la première fois des explications sur sa conduite. Sur ce point, je souscris à l’observation suivante que l’arbitre Tarte a faite dans Yvan Bell et autres (supra) :

Dans un dossier comme celui-ci, le fonctionnaire assujetti à une mesure disciplinaire doit en temps opportun fournir à l’employeur toutes les explications qu’il veut faire valoir pour justifier ou atténuer ses gestes.

[…]

209 Dans Oliver c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 43, l’arbitre de grief a écrit ce qui suit :

[…]

[103] La reconnaissance de la culpabilité ou d’une certaine responsabilité pour ses actions est un facteur essentiel dans l’évaluation du caractère approprié de la mesure disciplinaire. Il en est ainsi puisque la possibilité de réhabilitation du fonctionnaire s’estimant lésé est fondée sur la confiance, et la confiance est fondée sur la vérité. Si un fonctionnaire s’estimant lésé a trompé son employeur, a omis de coopérer à une enquête légitime d’allégations de conflit d’intérêts et refuse d’admettre toute responsabilité en dépit des preuves qui montrent une faute, alors le rétablissement de la confiance nécessaire à une relation d’emploi est impossible.

[…]

210 Dans Royal Columbian Hospital v. Hospital Employees’ Union, [2001] B.C.C.A.A.A. no 39 (QL), l’arbitre a écrit ce qui suit au paragraphe 119 :

[Traduction]

[…]

Une question essentielle à considérer afin d’évaluer si le lien d’emploi a été irrémédiablement rompu consiste à savoir si la fonctionnaire s’estimant lésée a véritablement reconnu et admis ses torts de telle sorte que l’on puisse en conclure qu’elle ne répèterait pas de tels gestes répréhensibles à l’avenir si l’employeur devait la réintégrer […]

[…]

211 Dans Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, l’arbitre de grief a souligné que les aveux de responsabilité de dernière minute qui sont faits pour la première fois à l’arbitrage arrivent trop tard dans le processus. L’admission de la fonctionnaire, par l’entremise de son avocat, qu’il s’agissait effectivement de son écriture sur l’enveloppe ne m’apparaît qu’être un acte de contrition par commodité. Comme l’a écrit l’arbitre de grief dans Brazeau, au paragraphe 184, « [e]n ce qui concerne l’aveu de responsabilité du fonctionnaire s’estimant lésé relatif au conflit d’intérêts, j’estime qu’il s’est fait trop attendre pour être considéré comme un facteur atténuant » et, au paragraphe 190, « [j]e suis également d’avis que le manque de franchise du fonctionnaire s’estimant lésé au cours de l’enquête menée par le défendeur constitue un facteur déterminant de son potentiel de réadaptation et de la possibilité de rétablir la nécessaire relation de confiance avec son employeur».

212 L’avocat de l’employeur a souligné que la fonctionnaire ne pouvait avoir le beurre et l’argent du beurre. On ne peut s’abstenir de participer à un processus disciplinaire et tenter de tromper son employeur, puis ensuite demander sa réintégration si l’employeur prouve ses allégations.

213 L’avocat de l’employeur a affirmé qu’en raison de la gravité des gestes posés par la fonctionnaire, sa réintégration n’aurait été envisageable que si elle avait avoué ses torts dès qu’elle a été confrontée, ce qu’elle n’a pas fait. De plus, il a aussi fait valoir que le fait que la fonctionnaire ait continué à lui mentir tout au long du processus d’enquête était un facteur aggravant venant fondamentalement mettre en cause sa fiabilité.

214 L’avocat de l’employeur a aussi souligné le témoignage de plusieurs infirmiers et infirmières ayant travaillé avec la fonctionnaire et qui ont affirmé sans ménagement et sous serment ne plus avoir confiance envers Mme Baptiste et leur désir de ne plus avoir à travailler avec elle.

215 L’avocat de l’employeur a aussi mis l’accent sur les faits saillants du témoignage du directeur de l’établissement, le fonctionnaire occupant le plus haut échelon au sein de l’établissement et qui a pris la décision de suspendre la fonctionnaire puis de la licencier. Il a souligné la gravité des incidents, l’absence de tout remords et l’omission d’assumer la responsabilité de ses gestes dans les moments qui ont suivi les incidents et ensuite tout au long du processus d’enquête.

216 En conclusion, l’avocat de l’employeur a soutenu que les griefs devaient être rejetés. Il a soutenu qu’à défaut d’une telle décision, si le grief visant le licenciement devait être accueilli, et comme il est indiqué dans son exposé introductif, l’employeur demande que l’arbitre de grief demeure saisi de l’affaire en ce qui a trait au redressement requis (ou mesure d’atténuation, selon le cas) dans l’éventualité où les parties n’en arrivaient pas à une entente à cet égard.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

217 Le représentant de la fonctionnaire a d’abord commenté le fait que Mme Baptiste n’a pas témoigné. La raison pour laquelle elle n’a pas témoigné est qu’elle se fiait à l’expertise médicale du Dr Koch. Le représentant de la fonctionnaire a présenté un cas pour réfuter l’argument de l’employeur selon lequel une conclusion défavorable découlerait du fait que la fonctionnaire n’a pas témoigné. Pour appuyer son argument, le représentant de la fonctionnaire a cité le paragraphe 57 de Vancouver (City) :

[Traduction]

[…]

57 Mme Kearney, vice-présidente de la Commission des relations de travail, a examiné cette question récemment dans RE Steele. Elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 22 :

La règle générale lorsqu’il est question d’une conclusion défavorable est que, lorsqu’une partie ne soumet pas une preuve dans un document ou par l’intermédiaire d’un témoignage, et qu’on attendrait naturellement d’elle qu’elle présente cette preuve au juge des faits, on peut tirer une conclusion défavorable à son endroit. La conclusion défavorable est que la preuve, si on l’avait déposée, aurait nui à la cause de la partie ou, du moins, ne l’aurait pas appuyée. La conclusion n’affecte pas toute l’affaire de la partie, mais seulement les faits que la preuve, si elle avait été déposée, aurait pu appuyer. Cependant, la partie qui n’a pas soumis la preuve peut fournir une explication (p. ex. le témoin en question est inapte à témoigner). Si l’explication est satisfaisante, aucune conclusion défavorable ne sera tirée.

[…]

218 Le représentant de la fonctionnaire a indiqué que l’explication du Dr Koch est satisfaisante et qu’aucune conclusion défavorable ne devrait être tirée du fait que la fonctionnaire n’a pas témoigné.

219 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que l’enquête comportait des failles. La fonctionnaire n’a pas reçu un traitement équitable pendant le processus d’enquête. Elle a d’abord été envoyée en congé administratif payé le 23 août 2006, puis elle a été suspendue sans traitement le 5 septembre 2006. L’employeur a reçu le rapport d’enquête en février 2007, et il a licencié la fonctionnaire le 10 avril 2007. Le processus d’enquête disciplinaire a duré environ huit mois.

220 Selon les lignes directrices du Conseil du Trésor concernant la discipline, les enquêtes doivent être réalisées de manière équitable et objective et le plus tôt possible après l’incident. Cela n’a pas été le cas dans cette affaire. Résultat : les témoins potentiels de l’incident lié aux médicaments survenu le 20 août 2006 n’ont pas été interrogés, ce qui a nui injustement à la cause de la fonctionnaire. De plus, le compagnon de cellule du détenu X, qui était un témoin de l’incident, n’a pas été interrogé par les enquêteurs. Selon ce compagnon de cellule, la première fois qu’on l’a interrogé concernant l’incident est quand on lui a demandé de témoigner à l’audience, environ un an plus tard. Il a finalement témoigné à l’audience. Le détenu X a soutenu avoir déposé une plainte concernant l’incident, mais cette plainte n’a pas été retrouvée.

221 Les lignes directrices du Conseil du Trésor concernant les enquêtes disciplinaires prévoient que les enquêtes doivent être réalisées de manière équitable et objective. En l’espèce, l’enquêteur a fourni à l’employeur de l’information qui a par la suite servie de fondement aux six allégations supplémentaires contre la fonctionnaire. La fonctionnaire a indiqué que ces allégations supplémentaires ont sérieusement compromis l’enquête disciplinaire. Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que la personne chargée de rendre une décision devrait être impartiale et agir de bonne foi, et que cette personne ne peut pas être une des parties de l’affaire. C’est pourtant ce qui s’est produit dans ce cas-ci. Par ailleurs, la fonctionnaire, sur la recommandation de son représentant syndical, a avisé l’employeur qu’elle ne rencontrerait pas les membres du comité d’enquête pour répondre aux allégations supplémentaires. L’employeur a conclu de ce refus que la fonctionnaire et son représentant tentaient de retarder l’enquête.

222 Le détenu X devait être libéré le 23 août 2006, soit trois jours après l’incident lié aux médicaments. Le jour de l’incident, les agents de sécurité responsables de l’UDT (l’unité où résidaient le détenu X et son compagnon de cellule) ont inscrit à 7 h 30 l’information suivante dans leur registre (pièce U-27, pages 20 et 21) :

[Traduction]

Serveurs libérés. Nota *Il semble y avoir une conspiration parmi les serveurs, à l’exception possible de P – H – D – les surveiller de près quand ils sont à l’extérieur de leur rangée et ne pas permettre au détenu X de descendre à la cuisine sans supervision, puisqu’il essaie de parler à « GP » et aux chefs de cuisine.

223 La preuve dans ce cas laisse entendre que les cinq serveurs, y compris le détenu X et son compagnon de cellule, faisaient partie d’une conspiration. Le représentant de la fonctionnaire a indiqué que l’employeur n’avait pas interrogé l’agent de sécurité qui avait écrit cette note.

224 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que le fardeau de la preuve incombe à l’employeur. Il a cité Samra c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), dossier de la CRTFP 166-02-26543 (19960911), dans laquelle l’arbitre de grief a déclaré que « […] dans les cas de prétendue inconduite grave, particulièrement lorsque l’emploi et la réputation d’une personne sont en jeu, l’employeur doit prouver par des preuves claires, convaincantes et solides que les faits allégués se sont produits ».

225 Le représentant de la fonctionnaire a également cité Brewers Retail Inc. v. United Food and Commercial Workers International Union, Local 12R24, (2008) 168 L.A.C. (4e) 85. Dans cette affaire, l’employé s’estimant lésé était un caissier qui travaillait pour l’entreprise depuis 26 ans. Il a été licencié le 11 juillet 2005 pour abus de confiance après avoir traité six transactions de manière inappropriée le 20 mai, le 2 juin et le 14 juin 2005. Le conseil d’arbitrage a abordé la question du fardeau de la preuve au paragraphe 27 comme suit :

[Traduction]

27. Pour ce qui est de la preuve et de l’argumentation, je conclus qu’il incombe à l’entreprise de démontrer à l’aide de preuves claires, convaincantes et solides que l’employé s’estimant lésé a commis un abus de confiance. L’entreprise n’est pas tenue de fournir des preuves hors de tout doute raisonnable. La norme à appliquer pour évaluer le comportement de l’employé dans cette affaire consiste à déterminer la prépondérance des probabilités. Toutefois, la preuve doit correspondre à la gravité des gestes reprochés […]

226 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que la question à trancher est une question de licenciement, la sanction la plus sévère pouvant être imposée en emploi. Par ailleurs, dans une des allégations, on accuse la fonctionnaire d’avoir falsifié des dossiers de patients. Dans de telles circonstances, une accusation de ce genre, qui s’attaque à l’essence même de la fonction d’infirmière, risque très fort de causer un tort irréparable à la réputation personnelle et professionnelle de la personne visée. Le représentant de la fonctionnaire a indiqué en toute déférence que je suis légalement tenu d’examiner la question du motif en fonction de la norme relative à la présentation de « preuves claires, convaincantes et solides ».

227 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que la principale question à trancher consistait à déterminer l’intention de la fonctionnaire. Il y a plusieurs questions de fait, mais en définitive, si l’employeur réussit à prouver que la fonctionnaire a bien falsifié le registre (le RSDC), il n’y aura plus de doute qu’il était justifié d’imposer une mesure disciplinaire.

228 Le représentant de la fonctionnaire a commenté chacune des allégations. Pour ce qui est de celle concernant le détenu X, il a indiqué qu’il faudrait tenir compte du fait que le détenu X et son compagnon de cellule faisaient partie d’une conspiration et que le détenu X devait être libéré trois jours plus tard. Il a ajouté que lorsque le détenu a demandé plus de Zoloft à la fonctionnaire le 20 août, il en avait déjà assez pour 12 jours, soit du 11 au 22 août 2006. Selon son dossier, il a reçu un total de 36 comprimés le 10 et le 13 août 2006.

229 Le 20 août 2006, la fonctionnaire a donné au détenu X une enveloppe brune contenant 6 comprimés de Seroquel (25 mg). Tout de suite après, et après la chute du détenu X ce soir-là, la fonctionnaire a nié lui avoir donné l’enveloppe et le mauvais médicament. Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que, bien qu’elle ait nié avoir écrit la note sur l’enveloppe (pièce E-1), elle a admis plus tard, par l’intermédiaire de son représentant, qu’il s’agissait en effet de son écriture.

230 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu dans ses arguments que le déni initial de la fonctionnaire concernait le fait que son écriture sur l’enveloppe brune devrait être examinée dans le contexte de l’état diagnostiqué par le Dr Koch à la pièce U-90B). Le représentant de la fonctionnaire a ajouté que, pendant le contre-interrogatoire, le détenu X a admis qu’il savait que la fonctionnaire lui avait donné du Seroquel et non du Zoloft le 20 août 2006, parce qu’on lui avait déjà donné une prescription de Seroquel par le passé.

231 Pour ce qui est de l’erreur dans l’administration de la médication du détenu S et de la modification connexe apportée au RSDC, le représentant de la fonctionnaire a indiqué que le détenu S ne s’est jamais plaint qu’on lui avait donné la mauvaise médication. Par ailleurs, bien qu’il était un détenu de l’établissement, il n’a pas été interrogé.

232 Selon le représentant de la fonctionnaire, l’Ordre du médecin et observations sur le progrès (pièce E-13) précise clairement qu’on a prescrit au détenu S 40 mg (à libération prolongée) et 20 mg (ordinaire) de Ritalin le 18 août 2006. Il est également indiqué clairement dans le RAM (pièce E-17) qu’une autre infirmière a fait une erreur de transcription et a inscrit à tort dans le RAM que le détenu S devait recevoir 60 mg de Ritalin (à libération prolongée) à partir du 19 août 2006. Selon le RAM, la fonctionnaire aurait donné 60 mg de Ritalin (à libération prolongée) au détenu, conformément à l’ordonnance.

233 Selon la preuve, la fonctionnaire aurait découvert l’erreur en examinant l’Ordre du médecin et observations sur le progrès. Elle a écrit la bonne ordonnance à la main dans le RAM du détenu S.

234 On peut voir dans le RSDC que des données sur le détenu S saisies le 19 août 2006 à 9 h 30 ont été changées et que les nouvelles données inscrites dans la colonne des doses ne sont pas lisibles (sauf pour « 40 mg »). La fonctionnaire nie avoir effectué ce changement. Son représentant a indiqué qu’il devrait être noté que la fonctionnaire n’avait aucune raison de modifier les données, puisqu’elle n’a fait aucune erreur. L’erreur de transcription a été commise par une autre infirmière. Par ailleurs, selon le RAM du détenu S, en raison de l’ordonnance écrite à la main de 40 mg (à libération prolongée) et de 20 mg (ordinaire) de Ritalin, le détenu aurait dû recevoir ces doses le jour où les bonnes données ont été saisies. On peut voir dans le RAM que le détenu S a reçu 40 mg (à libération prolongée) et 20 mg (ordinaire) de Ritalin les 20 et 21 août 2006.

235 Il est indiqué dans le RSDC que les données saisies concernant le détenu S ont été modifiées à la fois dans la colonne des doses et sous la colonne [traduction] « méthylphénidate, 20 mg, à libération prolongée ». La fonctionnaire nie avoir apporté ces modifications. Le représentant de la fonctionnaire a insisté sur le fait que cette dernière n’avait rien à gagner en falsifiant le registre, puisqu’elle n’a pas fait l’erreur de transcription initiale, le 19 août 2006.

236 Pour ce qui est du décompte de comprimés pour le 21 août 2006, on constate en examinant la pièce E-15 que le décompte pour le matin du 21 août a été modifié. Le compte initial établi par Mme Mathieson et Mme Plate a été inscrit à 7 h, et le changement a été découvert par Mme Mathieson vers 13 h. Cette dernière a déclaré avoir vu plus tard la fonctionnaire écrire dans le RSDC. Elle lui a demandé s’il y avait un problème, et la fonctionnaire a répondu qu’il n’y avait pas de problème et qu’un détenu lui avait donné de la misère pendant la fin de semaine. Quand la fonctionnaire a quitté la salle des médicaments, Mme Mathieson a examiné le registre et a remarqué que le décompte du matin avait été changé. Selon le RSDC, la fonctionnaire aurait administré un médicament au détenu H à 13 h. Il aurait fallu qu’elle ajoute dans le RSDC l’information sur le médicament environ au moment où Mme Mathieson l’a vu écrire dans le RSDC.

237 La fonctionnaire a nié avoir modifié les données saisies par Mme Mathieson et Mme Plate sur le décompte de comprimés. Mme Plate, Mme Raketti et Mme Mathieson ont déclaré que la fonctionnaire a effectué le changement, parce qu’elles ont reconnu son écriture, mais elles ont également admis qu’elles n’étaient pas des graphoanalystes.

238 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que, bien qu’un changement ait été apporté au décompte de comprimés, ce changement ne causait pas de problème grave. Le nouveau décompte n’a pas été jugé incorrect. Si ça avait été le cas, l’employeur aurait exigé de tous les employés qu’ils ne quittent pas les lieux jusqu’à ce que le décompte soit corrigé (pièce E-26, section 9). Il n’y a aucune preuve indiquant que des employés seraient restés sur place ou auraient été rappelés au travail en attendant que le décompte soit corrigé. Mme Raketti a déclaré que toute cette affaire a été grandement exagérée parce que d’autres personnes s’y sont mêlées. Elle a ajouté qu’elle voulait seulement parler à la fonctionnaire à son retour au travail le 24 août 2006.

239 En conclusion, la fonctionnaire a répété qu’elle n’avait pas changé le décompte de comprimés inscrit par Mme Mathieson et Mme Plate.

240 Pour ce qui est des allégations concernant les détenus J et Y, le représentant de la fonctionnaire a expliqué qu’aucun des deux détenus n’a déposé une plainte suggérant qu’on aurait commis des erreurs dans l’administration de leurs médicaments, et qu’aucun n’a été interrogé dans le cadre de l’enquête disciplinaire. Ces allégations ont été faites par un membre du comité d’enquête. Enfin, dans les deux cas, la fonctionnaire a nié avoir fait des erreurs dans l’administration des médicaments les 19 et 20 août 2006 et avoir modifié le RSDC.

241 Pour ce qui est de l’allégation voulant que la fonctionnaire n’ait pas respecté la procédure normale quand elle a modifié le RSDC, le représentant de la fonctionnaire a soutenu que cette dernière a indiqué que de nombreux infirmiers et infirmières de l’établissement ne suivaient pas la procédure. De plus, la fonctionnaire a admis qu’il lui est arrivé bien souvent de ne pas suivre la procédure normale. Toutefois, elle n’est pas d’accord avec l’allégation voulant qu’elle n’ait pas respecté la procédure normale quand elle a apporté des modifications au RSDC du 16 au 21 août 2006.

242 Par ailleurs, la fonctionnaire n’est pas d’accord avec la déclaration de l’employeur selon laquelle elle n’aurait pas respecté les politiques du CRNBC. La fonctionnaire a ajouté que le CRNBC allait décider si elle a ou non violé ses politiques et que l’organisme avait son propre processus pour rendre cette décision.

243 À ce sujet, le représentant de la fonctionnaire a précisé que l’employeur est au courant qu’une de ses gestionnaires, Mme Dean, a déposé une plainte auprès du CRNBC contre la fonctionnaire et que l’organisme se penche actuellement sur cette question.

244 Le représentant de la fonctionnaire a mentionné l’article 59 de la LRCDAS, qui est cité au paragraphe 95 de cette décision.

245 Le représentant de la fonctionnaire a indiqué que cette dernière reconnaissait que le RSDC est un document juridique dans lequel on doit consigner les quantités de stupéfiants. La fonctionnaire a nié avoir violé la LRCDAS. Elle a précisé que, dans tous les cas, elle n’a pas été accusée d’avoir violé cette loi.

246 Enfin, le représentant de la fonctionnaire a soutenu que, compte tenu de la preuve, l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver ses allégations à l’aide de preuves claires, convaincantes et solides. Rien dans le comportement de la fonctionnaire ne justifiait la prise de mesures disciplinaires. Par ailleurs, le relevé d’emploi de la fonctionnaire ne fait état d’aucun manquement à la discipline. Toutefois, le représentant a ajouté que, si je conclus que la fonctionnaire a commis une infraction justifiant la prise de mesures disciplinaires, celle-ci devrait avoir droit à des mesures progressives. Il a déclaré que toute la preuve devrait être examinée dans le contexte de l’expertise du Dr Koch.

247 Le représentant de la fonctionnaire a cité les affaires suivantes pour appuyer ses arguments. Pour la question de l’égalité de traitement pour des affaires équivalentes : Turner c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2006 CRTFP 58; International Association of Machinists, Lodge 890 v. S.K.D. Manufacturing Ltd. (1969) 20 L.A.C. 231; Green c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-26720 (19980406). Pour la question des erreurs médicales : The Pas Health Complex v. The Manitoba Nurses’ Union, [1996] M.G.A.D. No. 58 (QL); Etobicoke General Hospital v. Ontario Nurses’ Association, (1977) 15 L.A.C. (2e) 172; Langley Memorial Hospital v. British Columbia Nurses’ Union, [2005] B.C.C.A.A.A. No. 116 (QL). Pour la question de négligence grave : Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 40; Algoma Steel Inc. v. United Steelworkers of America, Local 2724, (2006) 154 L.A.C. (4e) 243; Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62.

IV. Motifs

248 Pour les motifs suivants, j’ai décidé que le grief contre la suspension pour une durée indéterminée est accueilli en partie et que le grief contre le licenciement est rejeté. Comme je l’ai indiqué plus tôt, je commencerai par le grief contre le licenciement.

A. Licenciement (dossier de la CRTFP 566-02-1243)

249 Les motifs invoqués par l’employeur pour justifier le licenciement de Mme Baptiste sont énoncés dans une lettre datée du 10 avril 2007 (pièce E-9), que je cite ici au complet :

[Traduction]

Le 10 avril 2007

Gloria Baptiste

[…]

[…]

Madame Baptiste,

Objet : Enquête disciplinaire

Cette lettre fait suite à celles datées du 5 septembre 2006 et du 13 octobre 2006 concernant l’enquête disciplinaire portant sur les allégations selon lesquelles vous auriez commis des erreurs dans l’administration de médicaments, modifié le Registre des stupéfiants et des drogues contrôlés et ignoré la procédure normale en apportant ces changements. J’ai eu l’occasion d’examiner attentivement le rapport d’enquête, dont vous avez reçu un exemplaire. On vous a invitée à examiner le rapport et à faire toute déclaration pertinente avant que je décide des mesures à prendre en fonction des conclusions.

En plus du rapport, on vous a transmis toute l’information utilisée pendant l’enquête, y compris l’enregistrement des diverses entrevues. Comme vous avez décliné l’invitation de présenter une déclaration, ainsi que celle de soumettre des arguments écrits et celle de participer à une audience disciplinaire, j’ai fondé ma décision sur l’information dont je disposais.

Après avoir examiné le rapport d’enquête, j’ai conclu que vous avez administré de mauvais médicaments et de mauvaises doses à des détenus, et qu’un de ces détenus s’est blessé à cause de ces erreurs. Le protocole qui doit être suivi pour signaler une erreur liée aux médicaments est décrit dans les documents sur les politiques du Service correctionnel du Canada et du College of Registered Nurses of British-Columbia. Vous avez dit aux enquêteurs que vous connaissiez la procédure pour signaler une erreur liée aux médicaments, mais vous n’avez pas respecté cette procédure. Vous avez ainsi placé l’Établissement de Matsqui et le Service correctionnel du Canada dans une situation de responsabilité légale. De plus, je conclus que vous avec modifié le registre des médicaments pour dissimuler vos actions.

Votre comportement constitue une négligence grave. Il est à la fois non éthique et inacceptable dans le contexte du Code des valeurs et d’éthique de la fonction publique et de la Mission du Service correctionnel du Canada.

Dans votre rôle d’infirmière autorisée du Service correctionnel du Canada, vous avez négligé vos responsabilités d’administrer correctement les médicaments à vos patients et de satisfaire aux exigences légales de votre poste. Comme vous avez refusé de me rencontrer ou de soumettre des arguments écrits, j’ai, en plus d’examiner les rapports, écouté l’enregistrement audio des entrevues tenues dans le cadre de l’enquête disciplinaire. Après avoir examiné ces entrevues, j’ai conclu que vous n’avez pas reconnu avoir commis des erreurs.

Votre refus de reconnaître votre responsabilité et votre manque apparent de remords à la lumière de toutes ces conclusions démontre un manque d’éthique. En tant qu’infirmière autorisée du Service correctionnel du Canada, on attend de vous que vous respectiez les normes de votre profession afin d’assurer la santé et le bien-être des détenus. Selon les conclusions de l’enquête, vous n’avez pas répondu à cette attente.

J’ai conclu que vos actions ont sapé de manière irrévocable la confiance qu’on vous accordait dans votre rôle d’infirmière autorisée du Service correctionnel du Canada. J’ai tenu compte de vos années de service, mais celles-ci ne diminuent en rien la gravité de vos actions.

Par conséquent, pour ces raisons, et en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, je vous informe que votre emploi auprès du Service correctionnel du Canada prendra fin à la fermeture des bureaux le 10 avril 2007.

Conformément à l’article 34 de la convention collective du groupe Services de santé, vous avez le droit de déposer un grief contre cette décision.

Glen Brown

Directeur d’établissement

604-850-8247

Établissement de Matsqui

33344, route King, C.P. 2500

Abbotsford (C.-B.) V2S 4P3

Signature de l’employée

Date de réception : 2007-04-10

250 Les allégations contre Mme Baptiste sont décrites en détail à la pièce E-8, dans une note de service datée du 13 octobre 2006. Je les ai énoncées plus tôt dans cette décision. Ce document a été transmis à la fonctionnaire très tôt dans le processus d’enquête et a servi de fondement pour la preuve présentée par l’employeur pour appuyer sa position lors de l’audience. Il y a 10 allégations d’inconduite. Je vais maintenant examiner chacune des allégations à la lumière de la preuve présentée à l’audience afin de déterminer si l’employeur a établi sa preuve, selon la prépondérance des probabilités.

251 On a établi maintes fois que l’employeur a le fardeau de la preuve. Les parties ont mentionné dès le début la question de la norme à respecter pour s’acquitter de ce fardeau. Je suis d’accord avec l’avocat concernant la déclaration suivante de l’employeur, tirée de ses arguments écrits :

[Traduction]

[30] La norme qu’il faut respecter pour s’acquitter du fardeau de la preuve est établie dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 : « Bref, le véritable critère de la véracité du récit d’un témoin en pareil cas est la mesure dans laquelle le témoignage s’harmonise avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et avisée reconnaîtrait facilement comme raisonnable en ce lieu et dans ces circonstances. »

[…]

[31] Plus récemment, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il n’y a qu’une norme de preuve à respecter dans les affaires au civil. Dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, la Cour suprême a noté ce qui suit :

[40] […] notre Cour devrait selon moi affirmer une fois pour toutes qu’il n’existe au Canada, en common law, qu’une seule norme de preuve en matière civile, celle de la prépondérance des probabilités.

[…]

[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment.

[…]

[49] En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

[32] La norme établiepour les affaires au civil est l’application de la norme pour les audiences d’arbitrage, et le principe est reconnu à la page 213 de l’ouvrage de Palmer et Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada (4e édition). Cette norme doit être appliquée aux trois questions suivantes :

  1. L’employeur a-t-il prouvé ses allégations?
  2. Le comportement de la fonctionnaire justifiait-il la prise de mesures disciplinaires?
  3. Le comportement de la fonctionnaire justifiait-il son licenciement?

1. Les allégations

a. Allégation 1 : le 20 août 2006, erreur dans l’administration de médicaments au détenu X ayant entraîné une blessure

252 D’après la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que l’employeur s’est acquitté du fardeau de la preuve relativement à l’allégation 1, pour les raisons suivantes.

253 L’employeur a établi en preuve que, le 20 août 2006, la fonctionnaire a donné au détenu X une petite enveloppe brune contenant 6 comprimés de 25 mg de Seroquel (pièce E-1). Ce médicament est un antipsychotique pour adultes destiné aux patients souffrant de schizophrénie et de troubles bipolaires. L’enveloppe portait une mention manuscrite qui précisait qu’elle était destinée au détenu X et indiquait [traduction] « 150 mg de Zoloft en 6 comprimés de 25 mg ». Le Zoloft, un antidépresseur, était le médicament qui avait été prescrit au détenu X.

254 Dans les jours qui ont suivi, puis lors de l’entrevue avec la fonctionnaire menée le 6 octobre 2006 dans le cadre de l’enquête disciplinaire (pièce E-19), Mme Baptiste a nié avoir remis au détenu X une petite enveloppe brune et a nié que l’écriture manuscrite sur l’enveloppe était la sienne. Elle a plutôt affirmé avoir donné au détenu X ce qui était prescrit dans le RAM, soit une dose unique de 150 mg de Zoloft et qu’il l’avait avalée en sa présence. Le détenu X a contredit sa version des faits.

255 M. Thorpe, un témoin spécialiste de l’expertise judiciaire des écritures, a présenté une preuve non contredite (pièce E-6) attestant que l’écriture manuscrite figurant sur la petite enveloppe brune (pièce E-1) était celle de Mme Baptiste. Les infirmières Mathieson, Plate et Raketti, appelées à témoigner par l’employeur, ont également affirmé reconnaître son écriture et ses initiales, ayant travaillé avec elle pendant des années.

256 Enfin, le 29 mars 2009, lors des audiences d’arbitrage concernant les cas qui nous occupent, Mme Baptiste a admis par l’intermédiaire de son avocat que c’était son écriture qui figurait sur la petite enveloppe brune (pièce E-1).

257 Par conséquent, j’estime que l’employeur s’est acquitté du fardeau de prouver que, le 20 août 2006, la fonctionnaire a administré le mauvais médicament au détenu X.

258 Pour ce qui est de la seconde partie de l’allégation, il s’agit de déterminer si l’erreur a causé une blessure au détenu X, comme l’employeur l’indique dans sa lettre de licenciement datée du 10 avril 2007. Le détenu X a affirmé que, le 20 août 2006, peu de temps après avoir pris 4 comprimés de 25 mg de Seroquel, il lui est arrivé ce qui suit : [traduction] « j’ai perdu connaissance, j’ai perdu complètement la mémoire, j’ai perdu ma coordination, je suis tombé et je me suis fait une ecchymose ». Plusieurs témoins ont confirmé avoir vu une ecchymose ou une écorchure sur le côté droit du détenu X. Le Dr Virani a témoigné et a émis son opinion professionnelle quant à savoir si l’ingestion d’une dose de 100 mg de Seroquel pouvait causer le type de réaction décrit par le détenu X.

259 L’opinion professionnelle du Dr Virani était la suivante :

[Traduction]

[…] compte tenu de tous les faits de l’affaire en cause mentionnés précédemment, que cette réaction se soit produite était « plutôt improbable » et ne correspondait pas à la réaction habituelle des gens à cette dose de Seroquel (même si elle était administrée en combinaison avec les autres médicaments que ce patient prenait).

[Je souligne]

Au départ, le témoin de l’employeur, la Dre Healy, était du même avis que le Dr Virani, soit qu’une [traduction] « telle réaction était possible, mais plutôt improbable ». Toutefois, en se fondant sur l’examen des notes au dossier relatives à l’ingestion précédente de Seroquel par le détenu X en novembre et décembre 2004, elle a modifié son estimation pour [traduction] « possible, mais davantage probable ».

260 Je suis donc aux prises avec deux opinions médicales divergentes sur la probabilité que l’ingestion du mauvais médicament ait provoqué chez le détenu X des étourdissements, à la suite desquels il serait tombé et se serait blessé. Tout bien considéré, je me range à l’avis du Dr Virani pour les raisons suivantes. Le Dr Virani a fait une évaluation détaillée des antécédents médicaux du détenu X, de ses nombreux problèmes de santé et des traitements médicaux s’y rattachant et a effectué une analyse poussée des différents médicaments qu’il avait pris au cours d’une période d’environ deux ans précédant l’incident du 20 août 2006. Le fait que le détenu X ait éprouvé des étourdissements et des nausées après avoir ingéré du Seroquel en 2004 aurait également pu être attribuable à l’infection à l’oreille qui avait été diagnostiquée par les médecins, comme l’attestent les pièces E-49 et E-50, et qui était susceptible de présenter les mêmes symptômes.

261 Ensuite, le Dr Virani a décrit en détail les différentes réactions et interactions possibles entre chacun des médicaments prescrits au détenu X et le Seroquel. Après quoi, il a considéré les réactions possibles entre les médicaments prescrits au détenu X et les différentes drogues illicites que le détenu était réputé avoir consommées. Puis, il a divisé les drogues illicites dont le détenu X avait abusé par le passé en deux catégories (les stimulants et les dépresseurs) et a établi médicalement les effets possibles entre les deux catégories de drogues et le Seroquel.

262 Enfin, en s’appuyant sur sa pratique fondée sur les données probantes et sur son étude des médicaments utilisés pour le traitement de différents troubles dépressifs et de la toxicomanie, le Dr Virani a affirmé qu’à l’instar des collègues qu’il avait consultés, il n’avait pas vu le type de réaction décrit par le détenu X ni n’en avait entendu parler, et ce, en plus de 16 ans de pratique.

263 En conséquence, je ne pense pas que l’ingestion de Seroquel en combinaison avec les trois autres médicaments qui avaient été prescrits au détenu X soit la cause de sa chute et de l’ecchymose qu’il avait sur le côté droit. De plus, l’observation de la pièce U-25 (la demande de radiographie du 21 août 2006 et l’examen aux rayons X des côtes droites du détenu X signé par un médecin le 22 août 2006) nous indique que [traduction] « […] les côtes sont intactes, et il n’y a pas de fracture ou d’anomalie osseuse ».

264 Pour ce qui est de l’autre question relative à la blessure, je conclus que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer, compte tenu de la prépondérance des probabilités, que l’ingestion du mauvais médicament administré par la fonctionnaire a entraîné une blessure chez le détenu X. Ceci étant dit, à mon avis, la responsabilité de Mme Baptiste dans les circonstances n’en est pas pour autant diminuée.

b. Allégations 2, 3 et 9 : le 21 août 2006, erreur dans l’administration de médicaments au détenu S et modification au Registre des stupéfiants et des drogues contrôlés concernant l’administration de médicaments au détenu S – le 19 août 2006, modification au Registre des stupéfiants et des drogues contrôlés concernant l’administration de médicaments au détenu S

265 Un examen du RSDC (pièces E-15 et E-16), du RAM du détenu S (pièce E-17), de l’Ordre du médecin et observations sur le progrès (pièce E-18) ainsi que de la transcription de l’entrevue avec Mme Baptiste (pièce E-19) nous informe qu’on avait prescrit au détenu S 40 mg de Ritalin (à libération prolongée) et 20 mg de Ritalin (ordinaire). Dans le RAM, une erreur de transcription avait été commise, apparemment par un autre membre du personnel infirmier. Il était indiqué par erreur que le détenu S devait recevoir 60 mg de Ritalin (à libération prolongée) à partir du 19 août 2006. Il semble que la fonctionnaire a administré le mauvais médicament au détenu S, comme en témoigne le RSDC, et elle l’a admis lors de l’enquête disciplinaire.

266 Sur la base de ces éléments de preuve documentaire et des explications fournies à l’audience au sujet des changements faits dans le RSDC pour les 19 et 21 août 2006, je suis persuadé que la fonctionnaire a administré le mauvais médicament au détenu S. Bien que son erreur découle d’une erreur de transcription commise par un autre membre du personnel infirmier et que la fonctionnaire n’en est donc pas entièrement responsable, je constate qu’elle a modifié le RSDC en écrivant par-dessus la dose de 60 mg qui avait vraiment été administrée au détenu S et en inscrivant à la place les doses de médicaments que le détenu aurait dû recevoir, c’est-à-dire 40 mg de Ritalin (à libération prolongée) et 20 mg de Ritalin (ordinaire).

267 La fonctionnaire a nié de façon persistante avoir fait ces changements, comme le montrent les extraits de la pièce E-18 qui suivent :

[À la page 21, ligne 37]

[Traduction]

Diane Thiessen : Avez-vous fait ces changements?

Gloria Baptiste : Non

[À la page 22, lignes 10 à 12]

Diane Thiessen : Bon d’accord. Alors, vous affirmez que vous ne l’avez pas changé pour 40 et 20?

Gloria Baptiste : Je ne l’ai pas changé.

268 La fonctionnaire n’a pas témoigné devant moi. Je ne dispose que de la preuve non contredite de l’identification par M. Thorpe de l’écriture et des initiales de Mme Baptiste ainsi que du témoignage de ses collègues (les infirmières Plate, Mathieson et Raketti), qui attestent qu’il s’agit de l’écriture de Mme Baptiste. Par conséquent, force m’est de conclure, d’après la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire a effectivement modifié le RSDC à ces deux dates. Elle aurait pu corriger les changements en suivant simplement les lignes directrices prescrites dans les cas où des erreurs de médicaments sont commises. Elle avait admis à ses supérieurs connaître ces lignes directrices. Mais, à la place, la fonctionnaire a modifié le RSDC après le fait. Ce faisant, elle a falsifié le registre légal que constitue le RSDC, un acte que j’estime des plus graves.

c. Allégations 5 et 6 : le 19 août 2006, erreur dans l’administration de médicaments au détenu J et modification du Registre des stupéfiants et des drogues contrôlés concernant l’administration de médicaments au détenu J

269 Je suis parvenu à la même conclusion pour ces allégations que celle à laquelle j’étais arrivé pour les allégations précédentes. Selon le RAM du détenu J (pièce E-20), il est clair que, le 19 août 2006, il devait recevoir 20 mg de Ritalin (à libération prolongée). D’après le RSDC (pièce E-15), il est également clair que le détenu J a reçu son médicament seulement une fois le 19 août 2006. Le registre indique qu’il a reçu 20 mg à 15 h 20. Or, il semble qu’après coup, la fonctionnaire a ajouté [traduction] « 20 mg LP AM » dans le RSDC. Lors de l’enquête disciplinaire, la fonctionnaire a nié avoir fait ces modifications et elle n’a pas témoigné devant moi. J’estime que l’écriture correspond à celle de la fonctionnaire, ce qui a été confirmé par les infirmières qui ont travaillé avec elle, soient les infirmières Mathieson, Plate et Raketti. Ce changement n’était pas paraphé et avait manifestement été effectué après le fait. Il est relié aux erreurs en cascade dans la colonne du Ritalin (à libération prolongée) que la fonctionnaire a commises en voulant dissimuler l’erreur faite à l’endroit du détenu S, à 9 h 30 le même jour.

270 Je suis convaincu que l’employeur a prouvé ces allégations.

d. Allégations 7 et 8 : le 20 août 2006, erreur dans l’administration de médicaments au détenu Y et modification du Registre des stupéfiants et des drogues contrôlés concernant l’administration de médicaments au détenu Y

271 Je suis parvenu à la même conclusion pour ces allégations que celle à laquelle j’étais arrivé pour les autres allégations. À en juger par l’Ordre du médecin et observations sur le progrès (pièce E-21), il est clair que, le 20 août 2006, le détenu Y devait recevoir 40 mg de Ritalin (à libération prolongée) le matin et 20 mg de Ritalin (à libération prolongée) à 15 h.

272 Comme on me l’a expliqué durant l’audience, le RAM (pièce E-21A) montre que le détenu Y a reçu une dose de 40 mg de Ritalin le matin et une autre dose de 20 mg de Ritalin (à libération prolongée) l’après-midi, conformément à l’ordonnance médicale. Le RSDC (pièce E-15) indique que, le 20 août 2006, le détenu Y a reçu 40 mg de Ritalin (à libération prolongée) le matin, conformément aux renseignements contenus dans le RAM et à l’ordonnance médicale. Or, le RSDC (pièces E-15 et E-16) révèle que, le 20 août 2006 à 15 h 20, le détenu a reçu 40 mg de Ritalin (à libération prolongée). Je retiens la description du problème faite par l’employeur concernant cette entrée, présentée comme suit par son avocat dans ses arguments écrits :

[Traduction]

a) Elle ne concorde pas avec ce que prévoyaient le RAM et l’ordonnance médicale. L’après-midi, le détenu devait recevoir uniquement 20 mg.

b) Si l’on fait des recoupements avec (la pièce E-15A), il est clair que la fonctionnaire a effectué ce changement après le fait dans le but de dissimuler « les erreurs en cascade » dans le compte des comprimés de Ritalin (à libération prolongée).

c) La pièce E-15A indique que le détenu a reçu les 20 mg qu’il était censé avoir, mais que la fonctionnaire est revenue après le fait et a modifié le RSDC en vue de « falsifier les données ou de dissimuler son erreur » relativement au décompte des comprimés de Ritalin (à libération prolongée).

d) L’inscription de « 40 mg » ajoutée à la ligne 3 de la pièce E-15 correspond à l’écriture de la fonctionnaire et a manifestement été effectuée après le fait.

273 Encore une fois, la fonctionnaire a nié de façon constante avoir fait ces modifications lorsqu’elle a été interrogée durant l’enquête et ne m’a fourni aucune explication, puisqu’elle n’a pas témoigné à l’audience. Je conclus que l’employeur a prouvé ses allégations 7 et 8.

274 Il convient toutefois de noter que, même si ces actes contreviennent à tous les règlements et à la législation, leurs conséquences sur les détenus (S, J et Y) ont été minimes, étant donné qu’ils n’ont souffert d’aucun symptôme négatif connu et qu’ils n’ont subi aucune répercussion. Aucun d’eux n’a été interrogé par un représentant de l’employeur concernant ces erreurs. Heureusement pour les trois détenus, l’« inoffensif » Ritalin (à libération prolongée) n’a pas eu d’incidence médicale sur eux. Il n’en demeure pas moins que la fonctionnaire avait une responsabilité à l’égard de ses patients et qu’elle avait le devoir de fournir aux détenus des soins médicaux appropriés. Or, son comportement lorsqu’elle a modifié le RSDC dans le but de dissimuler une erreur allait à l’encontre de la position de confiance qui est conférée à une infirmière. La fonctionnaire était au courant de son erreur et elle ne l’a pas corrigée adéquatement.

e. Allégation 4 : le 21 août 2006, modification du décompte des stupéfiants effectué par les infirmières Mathieson et Plate dans le Registre des stupéfiants et des drogues contrôlés

275 Compte tenu de la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que l’employeur s’est acquitté du fardeau de la preuve quant à l’allégation 4. J’ai examiné minutieusement l’extrait pertinent du RSDC, déposé en preuve comme pièces E-15 et E-15A. La pièce E-15A est une photocopie de la pièce E-15 effectuée à 14 h le 21 août 2006. J’insiste sur le fait que toutes les annotations inscrites sur la pièce E-15 qui n’apparaissent pas sur la pièce E-15A ont été effectuées après 14 h le 21 août 2006 [je souligne].

276 Un examen de la pièce E-15, à la ligne 12 à partir du haut de la page, révèle que le décompte des comprimés pour le matin du 21 août 2006 a en effet été changé. Le compte du matin avait été fait conjointement et signé par les infirmières Mathieson et Plate à 7 h. À environ 13 h, l’infirmière Mathieson a remarqué que Mme Baptiste était dans l’aire où le RSDC se trouve. De fait, on peut constater dans le RSDC que la fonctionnaire a consigné une entrée à 13 h. La question qui se pose alors est la suivante : qui a changé le décompte des comprimés?

277 Lorsque l’infirmière Mathieson s’est aperçue du changement, seules quatre infirmières avaient accès au RSDC : les infirmières Mathieson, Plate, Raketti et Baptiste. Trois des quatre infirmières (Mathieson, Plate et Raketti) ont témoigné qu’elles n’avaient pas fait le changement. Toutes les trois ont affirmé reconnaître l’écriture de la personne qui avait effectué le changement comme étant celle de la fonctionnaire. Il est à noter que la fonctionnaire a une façon particulière de former certains caractères, comme les lettres « mg » et le chiffre « 5 ». Le décompte a été modifié dans la colonne du Ritalin (à libération prolongée) pour « 25 » – avec le chiffre « 5 » écrit par-dessus. Si l’on compare l’écriture de cette entrée à celle de la fonctionnaire sur la même page (les entrées comprenant le chiffre « 5 » qu’elle a paraphées), il y a concordance. La partie supérieure du « 5 » pointe vers le haut d’une manière très caractéristique, à la différence du « 5 » de la même rangée tracé par l’infirmière Mathieson, mais conformément au « 5 » écrit deux lignes au-dessus par l’infirmière Baptiste.

278 À la lumière de ces éléments de preuve, ainsi que du témoignage de M. Thorpe, qui était d’avis que l’écriture était celle de Mme Baptiste, je suis persuadé que la fonctionnaire a modifié le décompte des comprimés figurant sur la pièce E-15 le 21 août 2006 après 14 h. Je conclus donc que l’employeur a prouvé l’allégation 4.

279 Je dois de nouveau souligner que Mme Baptiste a nié avoir effectué cette modification lorsqu’elle a été confrontée aux faits dans les jours suivant les incidents, qu’elle a persisté dans son déni lors de l’enquête et qu’elle n’a pas témoigné devant moi à l’audience.

f. Allégation 10 : entre le 16 et le 21 août 2006, défaut de respecter les procédures normales au moment d’effectuer des changements au Registre des stupéfiants et des drogues contrôlés

280 L’employeur a déposé un nombre important de règlements, politiques et procédures que, selon lui, Mme Baptiste a enfreints par ses actes entre le 16 et le 21 août 2006. Je centrerai mon analyse sur les procédures qui sont plus directement liées à l’allégation 10 et à la façon de tenir le RSDC et d’y effectuer des changements.

281 D’abord, le document du SCC [traduction] « Ordonnance de services de santé régionauxpour les stupéfiants et drogue contrôlés » a été présenté comme pièce E-26. Les consignes qu’il contient ont pour objectif de veiller à ce que les stupéfiants et les médicaments contrôlés soient administrés dans le respect des normes pharmaceutiques et juridiques en vigueur dans la collectivité. Je cite les points saillants suivants de ce document pour souligner le caractère obligatoire des procédures relatives au RSDC :

[Traduction]

[…]

4) Tous les médicaments doivent être inscrits de façon lisible dans le Registre des stupéfiants et des drogues contrôlés.

5) Aucune modification sur quelque colonne que ce soit n’est acceptable.

6) Toute erreur de calcul ou entrée incorrecte doit être barrée, et l’entrée appropriée doit être insérée. L’employé qui note que l’information a été corrigée doit parapher cette entrée.

[…]

8) Lorsqu’il y a deux membres du personnel infirmier, le décompte des stupéfiants et des drogues contrôlés doit être signé et cosigné au moins deux fois par jour. Lorsqu’il n’y a qu’un membre du personnel infirmier, ce dernier doit faire le compte des stupéfiants et des drogues contrôlés et le signer, après quoi le membre du personnel infirmier du quart de travail suivant doit faire le décompte et cosigner le registre.

9) Si l’on constate qu’un décompte des stupéfiants et des drogues contrôlés est incorrect, tous les membres du personnel doivent rester sur les lieux, ou être rappelés sur les lieux si jugé nécessaire, jusqu’à ce que le décompte soit corrigé.

[…]

De plus, on demande de remplir les documents appropriés, dont un rapport d’observation et une déclaration d’incident.

[…]

282 Je renvoie également au document intitulé [traduction] « Ordonnance de services de santé régionaux » (pièce E-23), qui a pour but de guider les membres du personnel infirmier lorsqu’ils doivent remplir une déclaration d’incident à la suite d’un évènement accidentel touchant un détenu. Il revient au personnel infirmier des Services de santé de signaler les incidents aux médecins et aux chefs des Services de santé dans les délais appropriés. Était joint à la pièce la [traduction] « Déclaration d’incident du SCC », que doit remplir le personnel infirmier à la suite d’un incident concernant un détenu.

283 La pièce E-24 contient des directives détaillées sur la consignation de l’information, qui permettent de comprendre clairement les principes que les professionnels devraient appliquer lorsqu’ils inscrivent des renseignements sur la santé dans un dossier médical. Il est indiqué au point 3 que [traduction] « les employés qui ne connaissent pas la méthode ou qui n’ont pas reçu la formation à ce sujet doivent en informer leur chef des Services de santé, qui veillera à ce qu’une séance de formation soit donnée ». Le document explique les attentes relativement à la consignation des renseignements médicaux, dont les critères d’évaluation de la qualité en la matière.

284 L’employeur a déposé le document intitulé [traduction] « Erreur de médication – Incident » (pièce E-25). Ce rapport fournit une méthode de consignation de l’information afin de faciliter l’examen des erreurs dans l’administration des médicaments, pour assurer une administration sécuritaire des médicaments aux détenus et en améliorer la sûreté. Il revient au personnel infirmier des Services de santé de signaler au médecin ainsi qu’au chef des Services de santé et d’inscrire au dossier, dans les délais appropriés, toute erreur ou tout incident relatif à l’administration des médicaments, ou toute réaction indésirable aux médicaments. Cette pièce indique les procédures détaillées à appliquer selon que l’incident a une incidence sur la sécurité de l’établissement ou non. On y décrit également la succession précise des étapes de transmission de l’information que doivent suivre les membres du personnel infirmier, lesquels ont tous reçu une formation appropriée.

285 Compte tenu de toutes les allégations qui, selon mes conclusions, ont été prouvées par l’employeur, il m’apparaît clair que Mme Baptiste n’a pas adopté les pratiques régulières de base pour l’administration des médicaments et la mise à jour du RSDC. Par conséquent, je suis convaincu que l’employeur a démontré le fondement de l’allégation 10.

2. L’employeur a-t-il démontré qu’il y avait eu inconduite?

286 Après avoir conclu que l’employeur a démontré les allégations contre Mme Baptiste, je dois déterminer si celles-ci ont constitué une inconduite justifiant la prise de mesures disciplinaires. Je n’ai aucune difficulté à conclure que l’administration de médicaments inappropriés à ses patients, notamment des médicaments contrôlés, est une faute professionnelle grave. Le fait de ne pas avoir signalé immédiatement les erreurs lorsqu’elle en a pris connaissance est encore plus grave. Le registre montre qu’elle n’a pas signalé ses erreurs à plusieurs occasions entre le 16 et le 21 août 2006. Elle connaissait la procédure appropriée et aurait dû comprendre qu’il est crucial de réagir immédiatement et d’appliquer les mesures correctives nécessaires afin d’éviter des complications médicales pour le patient. Le fait d’avoir modifié le RSDC en y ajoutant une fausse entrée afin qu’il montre que les bons médicaments prescrits ont été administrés, en sachant qu’une dose ou un médicament inapproprié a en fait été administré, est un geste très grave. Enfin, le fait de modifier le décompte de comprimés inscrit dans le RSDC après que ce compte ait été réalisé par deux de ses collègues, sans les informer du changement, est tout simplement consternant. Les réactions de Mme Plate et de Mme Mathieson, qui ont toutes les deux témoigné devant moi, étaient naturellement assez révélatrices. Elles ont fait remarquer qu’il est impensable de modifier un décompte de comprimés dont deux collègues du personnel infirmier sont légalement responsables sans au moins leur mentionner la modification, étant donné que cela peut mettre en jeu leur permis d’exercice.

287 Les politiques et ordonnances déposéespar l’employeur, dont j’ai parlé précédemment dans le cadre de l’allégation 10, ainsi que les [traduction] « Règles d’éthique professionnelle » élaborées par le CRNBC montrent toutes clairement le soin avec lequel l’administration, le contrôle et l’enregistrement des médicaments doivent être effectués. En vertu de l’article 59 de la LRCDAS, le fait de modifier de façon inappropriée un registre officiel de médicaments établi aux termes de cette loi, ce que le RSDC est manifestement, constitue une infraction :

59. Nul ne peut sciemment, dans un livre, registre, rapport ou autre document – quel que soit son support matériel – à établir aux termes de la présente loi ou de ses règlements, faire ou consentir à ce que soit faite une déclaration fausse ou trompeuse, participer à une telle déclaration ou y acquiescer.

288 Je n’ai pas eu la chance de recevoir les explications de Mme Baptiste sur ces faits, malgré les nombreuses occasions où elle a eu la possibilité d’en formuler, et je dois donc émettre des hypothèses sur les raisons pour lesquelles elle a agi comme elle l’a fait. À mon avis, il est encore plus inquiétant qu’elle ait nié avoir fait ce que l’employeur prétend qu’elle a fait, et ce, même devant la prépondérance de la preuve démontrant le contraire. De tels comportements, considérés ensemble, vont à l’encontre des principes les plus fondamentaux du professionnalisme, de l’éthique et de l’honnêteté dont on s’attend d’une infirmière d’expérience comme Mme Baptiste.

289 J’ai mentionné à plusieurs reprises dans mes motifs de décision le fait que Mme Baptiste n’a pas témoigné lors de l’audience. Pour cette raison, je n’ai d’autre choix que d’évaluer la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi sans profiter d’une explication fournie directement par elle. Après avoir conclu qu’elle a commis une inconduite professionnelle grave lorsqu’elle a administré le mauvais médicament, qu’elle n’a pas signalé ni reconnu la situation et qu’elle a modifié de façon inappropriée le RSDC afin de corriger ces erreurs, je crois qu’il incombait à la fonctionnaire de me fournir une explication satisfaisante. Le fait qu’elle ne m’en ait pas fourni doit m’amener à tirer des conclusions défavorables non seulement à propos des faits au sujet desquels elle aurait pu exposer son propre point de vue, mais aussi à savoir si la décision de mettre fin à son emploi était raisonnable dans les circonstances.

3. Défense basée sur des motifs d’ordre médical

290 Le représentant de la fonctionnaire a présenté une défense basée sur des motifs d’ordre médical pour justifier le fait que Mme Baptiste n’a pas témoigné ni expliqué de façon générale son comportement tout au long des événements en cause ainsi que son déni des faits retenus contre elle. La fonctionnaire a le fardeau de prouver sa défense basée sur des motifs d’ordre médical (Canadian Labour Arbitration, Gorsky,chapitre 9.4e)etKelly c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2002 CRTFP 74, paragraphe 99).

291 On a posé au témoin expert de la fonctionnaire, le Dr Koch, la question suivante : [traduction] « L’expérience de vie et de travail de Mme Baptiste affecte-t-elle sa capacité de témoigner en son nom dans le cadre d’une enquête ou d’un arbitrage de griefs? »

292 La réponse de M. W. Koch était la suivante : [traduction] « Elle sera plus susceptible de répondre aux questions de façon défensive ou évasive […] ». Le Dr Koch a témoigné que Mme Baptiste ne souffre pas d’un trouble aigu de santé mentale. Il croit qu’elle possède certains traits de personnalité mésadaptés, soit du narcissisme et de la méfiance, qui peuvent nuire à sa faculté de s’adapter à certains environnements de travail. Cependant, le Dr Koch (l’expert en médecine de la fonctionnaire) et le Dr Levine (l’expert en médecine de l’employeur) s’entendent tous deux pour dire que la fonctionnaire n’a aucun problème de santé mentale.

293 Le représentant de la fonctionnaire s’est fondé sur Vancouver (City) pour s’opposer à l’argument de l’employeur selon lequel je devrais tirer une conclusion défavorable du fait que la fonctionnaire n’a pas témoigné. Pour que la fonctionnaire puisse établir qu’elle était incapable de témoigner, il faudrait qu’il y ait une preuve médicale manifeste qu’elle était inapte. Même si l’on accepte ce que le Dr Koch a dit, la preuve de la fonctionnaire n’atteint pasce seuil médical élevé. Le Dr Koch n’a pas dit que la fonctionnaire était [traduction] « inapte à témoigner » (comme cela a été mentionné dans Vancouver City). Il a témoigné qu’elle [traduction] « aurait une attitude défensive et évasive ». Le fait d’avoir une attitude « défensive et évasive » ne signifie pas que la fonctionnaire serait incapable de témoigner.

294 En établissant le critère juridique à respecter, la jurisprudence applicable indique que [traduction] « […] le simple fait d’être malade ne fait pas disparaître la responsabilité de l’intention et ne permet pas d’immuniser en toutes circonstances la fonctionnaire contre les conséquences de sa conduite » (Canada Safeway Ltd.).

295 L’arbitre Innis Christie, dans Canadian Postmasters and Assistants Association v. Canada Post Corporation, (2001) 102 LAC (4e) 97, aux pages 114 et 115, a adopté le critère suivant pour établir le bien-fondé d’une défense basée sur des motifs d’ordre médical :

[Traduction]

[…]

« Lorsqu’il y a présence d’une maladie ou d’une condition psychologique sur laquelle on se fonde pour expliquer la conduite aberrante, un certain nombre d’éléments doivent être établis avant qu’un conseil d’arbitrage puisse être certain que la réintégration sous n’importe quelle condition est la mesure appropriée […]

1) Il doit être établi que le fonctionnaire s’estimant lésé souffrait d’une maladie ou d’une condition, ou était dans une situation particulière […]

2) Une fois qu’on a déterminé la présence d’une maladie ou d’une condition, un lien doit être établi entre la maladie ou condition et la conduite aberrante. La simple existence d’un stress psychologique ne mène pas automatiquement à un comportement inapproprié comme le vol. Encore une fois, cela est généralement établi par une preuve d’expert […]

3) Si un lien est établi entre la conduite aberrante et la maladie ou condition, un conseil d’arbitrage doit ensuite être persuadé qu’il y avait une transmission de responsabilité suffisante pour rendre le fonctionnaire s’estimant lésé moins coupable de sa conduite […]

4) Si l’on suppose que les trois éléments énoncés ci-dessus ont été établis, le conseil d’arbitrage doit être convaincu que le fonctionnaire s’estimant lésé s’est amendé […] il doit y avoir une confiance suffisante que l’employé peut retourner au travail en tant qu’employé efficace et que les problèmes sous-jacents qui ont mené au comportement inapproprié ont été résolus […] Encore une fois, en plus de la preuve du fonctionnaire s’estimant lésé, il est d’usage de soumettre une preuve d’expert afin de démontrer que le fonctionnaire s’estimant lésé s’est amendé.

[…]

[Je souligne]

296 La preuve médicale démontre que la fonctionnaire ne souffre d’aucun trouble de santé mentale ni d’aucun trouble reconnu par la psychologie médicale. Le seul aspect entraînant une certaine divergence d’opinions entre les deux experts médicaux concerne le degré de son trait de personnalité négatif, qui s’est manifesté uniquement dans son environnement de travail à l’établissement.

297 La preuve indique que la fonctionnaire peut distinguer clairement le bien du mal, non seulement parce que son expert médical en a témoigné, mais aussi parce que la preuve documentaire du Dr Alan Buchanan, un spécialiste de la psychiatrie du travail dont le Dr Levine a fait mention dans son rapport, a confirmé que le résultat de l’évaluation globale du fonctionnement de Mme Baptiste était de 90 %. Le Dr Koch a aussi témoigné que Mme Baptiste fonctionnait très efficacement.

298 Par conséquent, je ne peux pas conclure avec certitude que la fonctionnaire a répondu aux critères des trois premiers éléments requis du processus en quatre volets établi dans Canada Post Corporation. De plus, je ne suis pas convaincu par la preuve selon laquelle il y avait une transmission suffisante de responsabilité pour rendre la fonctionnaire moins coupable de sa conduite. Après avoir appliqué ce critère médical aux faits qui lui avaient été présentés dans Casey c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2005 CRTFP 46, l’arbitre de grief Giguère,a indiqué ce qui suit : « Je conviens avec l’avocat de l’employeur que l’existence d’un tel lien n’a pas été établie par la preuve. À l’époque où les graves incidents se sont produits, c’est-à-dire à l’automne 2000, M. Casey était capable de faire la différence entre le bien et le mal [je souligne] ».

299 Malgré mes remarques sur les trois premières étapes, mon évaluation de la preuve indique que la fonctionnaire n’a pas satisfait au quatrième élément du critère établi dans Canada Post Corporation, à savoir qu’elle s’est amendée. Comme le représentant de la fonctionnaire l’a mentionné dans son argument écrit sur l’allégation 10 :

[Traduction]

[…]

La fonctionnaire soutient que de nombreux infirmiers et infirmières de l’Établissement de Matsqui ne suivaient pas les procédures normalisées lorsqu’ils faisaient des changements au RSDC.

La fonctionnaire admet qu’à de nombreuses reprises elle n’a pas suivi les procédures normalisées en apportant des changements au RSDC.

La fonctionnaire n’est pas d’accord avec l’allégation voulant qu’elle n’ait pas suivi la procédure normalisée en apportant des changements au RSDC entre le 16 et le 21 août 2006.

[Je souligne]

[…]

300 La dernière affirmation de la fonctionnaire, formulée par l’intermédiaire de son avocat, contredit complètement mon évaluation de la preuve qui m’a été soumise sous serment lors de l’audience. Je suis tenu de conclure qu’à l’étape de l’argumentation de l’audience (29 octobre 2009), la fonctionnaire ne s’était pas amendée parce qu’à cette étape, elle niait toujours avoir violé les procédures normalisées lorsqu’elle a modifié le RSDC entre le 16 et le 21 août 2006.

301 Enfin, pour ce qui est de la question de s’amender, le Dr Koch a témoigné [traduction] « qu’il était improbable que la fonctionnaire s’amende ». Il a mentionné que les caractéristiques de la personnalité de la fonctionnaire étaient associées à [traduction] « une faible probabilité de changement, même avec la thérapie appropriée ». Lors du contre-interrogatoire, le Dr Koch a mentionné que le changement d’emploi de la fonctionnaire [traduction] « lui a peut-être été bénéfique ». Le Dr Levine a aussi confirmé qu’il conviendrait mieux à la fonctionnaire de travailler à l’extérieur du milieu carcéral.

302 Même si on accepte le témoignage du Dr Koch, la fonctionnaire n’a pas réussi à établir une défense basée sur des motifs d’ordre médical. Lors de son contre-interrogatoire, le Dr Koch a témoigné que la fonctionnaire [traduction] « était capable de faire la différence entre le bien et le mal, et pouvait prendre la bonne décision, mais a choisi de ne pas le faire lorsqu’elle a décidé d’adopter une attitude défensive ».

303 Le Dr Levine a mentionné ce qui suit, en se fondant sur son examen des documents à l’appui (pièces E-64A et E-64B) et sur son entrevue avec la fonctionnaire :

[Traduction]

[…] La fonctionnaire n’a adopté aucun de ses comportements négatifs à l’extérieur de l’environnement de travail précis d’un établissement carcéral. Actuellement, elle travaille assez bien pour deux employeurs distincts, elle étudie à temps partiel à la maîtrise en soins infirmiers et elle vit seule. Rien ne donne à penser qu’elle possède un trait de personnalité négatif. Si cela était le cas, les professionnels de la santé s’entendent pour dire qu’on observerait chez elle des modèles négatifs dans un large éventail de contextes sociaux et personnels. Il n’y a aucune preuve que la fonctionnaire est aux prises avec de tels problèmes dans d’autres aspects de sa vie.

304 Finalement, à la page 13 de son rapport médical, le Dr Levine affirme ce qui suit : [traduction] « autrement dit, il est évident que Mme Baptiste ne souffre d’aucun trouble psychiatrique qui pourrait expliquer ou justifier sa dénégation directe et ses tendances accusatrices » [je souligne].

305 Je réitère que le fardeau d’établir la défense basée sur des motifs d’ordre médical incombait à la fonctionnaire. Je suis convaincu que, d’après la prépondérance des probabilités, elle n’a pas réussi à établir ce fardeau de la preuve, et que sa défense basée sur des motifs d’ordre médical doit être rejetée.

4. Tolérance

306 Le représentant de la fonctionnaire a présenté une preuve afin de soutenir l’argument selon lequel l’employeur a, par le passé, toléré le type de comportement pour lequel Mme Baptiste a été sanctionnée, et que d’autres membres du personnel infirmier ont modifié des entrées dans le RSDC sans faire l’objet de mesures disciplinaires. Le représentant de la fonctionnaire a fait valoir que l’employeur ne peut pas établir des règles pour Mme Baptiste et d’autres règles pour d’autres employés, et il m’a demandé avec insistance de conclure qu’elle avait été traitée différemment des autres, ce qui est inacceptable et devrait au moins atténuer les mesures disciplinaires qui lui ont été imposées.

307 Selon le témoignage de Mme Thiessen et de l’infirmière Raketti, au cours des années, d’autres membres du personnel infirmier de l’établissement ont fait des erreurs de consignation, ce qui allait à l’encontre des règlements du SCC, et ont modifié de façon inappropriée le RSDC. Cela a été concédé par l’employeur. Les deux témoins ont affirmé que, par suite de ces erreurs, des séances d’information et de formation ont été offertes afin de minimiser le nombre d’erreurs. Mme Thiessen et l’infirmière Raketti ont témoigné qu’à leur connaissance, l’infirmière Baptiste est la seule infirmière de l’établissement qui a fait l’objet d’une enquête pour des erreurs liées aux médicaments et la modification présumée du RSDC.

308 En conséquence, lorsqu’un fonctionnaire s’estimant lésé est capable de prouver que d’autres employés qui ont adopté le même comportement que celui pour lequel il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire n’ont fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire ou ont fait l’objet de mesures disciplinaires moins sévères, alors il est établi que le fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet de discrimination, même s’il peut être déterminé que l’employeur n’a pas agi de mauvaise foi. Cependant, lorsqu’on constate que la sanction imposée à une personne a été fondée sur des circonstances sensiblement différentes de celles d’autres affaires, l’allégation de traitement discriminatoire ne tient plus. Ce principe est bien établi, et la jurisprudence est volumineuse à ce sujet.

309 Les allégations contre l’infirmière Baptiste portent sur 10 points et sont décrites en détail dans la présente décision. Dans la lettre de cessation d’emploi du 10 avril 2007, le directeur a conclu que Mme Baptiste avait administré de mauvais médicaments et de mauvaises doses à des détenus, et qu’un des détenus s’est blessé à cause de ces erreurs. Le directeur a conclu que la fonctionnaire avait modifié des registres de médicaments afin de dissimuler ses actes. Il a conclu qu’elle avait reconnu qu’elle connaissait le protocole visant à signaler des erreurs liées aux médicaments, mais qu’elle ne l’avait pas suivi. Il a aussi conclu que la fonctionnaire avait commis une inconduite grave, qui était contraire à l’éthique et inacceptable pour le SCC. Finalement, il a conclu que le refus de la fonctionnaire de reconnaître ses erreurs ainsi que son absence de remords avaient irrévocablement porté atteinte au lien de confiance nécessaire dans le cadre de son poste.

310 Comme je l’ai expliqué précédemment, j’ai conclu que l’employeur a démontré tous les faits pertinents retenus contre Mme Baptiste, exception faite de la blessure causée à un détenu, qui, comme je l’ai déjà indiqué, ne modifie pas mon évaluation des allégations de l’employeur contre la fonctionnaire. Manifestement, ce qui est en jeu dans l’affaire de Mme Baptiste va bien au-delà des erreurs liées à la saisie de renseignements dans le RSDC, qui constitue le seul motif sur lequel est fondée la défense de la fonctionnaire basée sur la tolérance ou un traitement inégal.

311 La fonctionnaire avait le fardeau de la preuve pour ce qui est de la question de la tolérance. Pour réussir à démontrer cette question, elle devait montrer que les [traduction] « […] violations présumées des autres membres du personnel infirmier constituaient les mêmes infractions et que ces infractions étaient semblables à tous les égards », comme l’avocat de l’employeur l’a indiqué dans ses arguments, que j’appuie. La fonctionnaire ne s’est pas acquittée de cefardeau de la preuve, et je conclus que sa défense basée sur la tolérance doit être rejetée.

5. La cessation d’emploi est-elle une sanction appropriée dans les circonstances?

312 La prochaine étape consiste à examiner le caractère approprié de la mesure disciplinaire imposée par l’employeur, compte tenu de la nature de l’inconduite, de la nature des responsabilités de la fonctionnaire envers l’employeur et des facteurs atténuants ou aggravants. La jurisprudence arbitrale a permis de cerner un certain nombre de facteurs atténuants et aggravants dans le cadre de l’évaluation des mesures disciplinaires, notamment les facteurs suivants, qui sont applicables à cette affaire :

  • la gravité de l’infraction;
  • le bon dossier antérieur de la fonctionnaire;
  • la durée de service de la fonctionnaire;
  • le fait de savoir si l’infraction constituait un incident isolé ou si elle faisait partie d’un modèle de comportement;
  • le fait de savoir si la sanction imposée a causé à la fonctionnaire un préjudice particulier sur le plan économique;
  • le fait de savoir si la fonctionnaire s’est excusée ou a reconnu d’une quelconque façon sa culpabilité.

(Pour un aperçu général, voir l’ouvrage Canadian Labour Arbitration (troisième édition), de Brown et Beatty, au paragraphe 7:4400).

313 Comme cela a été mentionné, la conduite qui a mené à la cessation d’emploi de Mme Baptiste est très grave. L’employeur peut s’attendre au plus haut degré de professionnalisme, de comportement éthique et d’honnêteté de la part des personnes qui, comme Mme Baptiste, sont des infirmières et des infirmiers professionnels en milieu carcéral.

314 À mon avis, Mme Baptiste, par sa conduite entre le 16 et le 21 août 2006, a manqué à ses obligations fondamentales. Je suis troublé par le fait que, plutôt que de reconnaître ses erreurs et de montrer des signes qu’elle souhaite modifier sa conduite, elle a préféré nier de façon persistante les faits retenus contre elle, lesquels ont selon moi été démontrés par l’employeur. Je n’arrive vraiment pas à comprendre pourquoi la fonctionnaire a adopté cette attitude et je trouve difficile de ne pas tirer la conclusion que ses chances de s’amender sont minces.

315 D’un autre côté, j’ai aussi été troublé par le témoignage de l’infirmière Sabir, principalement par deux affirmations qui étaient cohérentes avec ce qu’a affirmé l’employeur, soit que l’infirmière Baptiste était tenue à une norme plus élevée de responsabilitéque d’autres infirmiers et infirmières et que les gestionnaires de l’établissement, à la différence de ceux d’autres établissements carcéraux dans lesquels elle a travaillé par la suite, sont demeurés passifs face à des situations dans lesquelles des détenus ont proféré des remarques désobligeantes et des propos racistes envers du personnel infirmier et non infirmier. La preuve montre clairement que, comme elle était la seule infirmière afro-canadienne de l’établissement, l’infirmière Baptiste faisait l’objet de propos désobligeants répétés, notamment de propos racistes, de la part de détenus et même, parfois, d’un ancien superviseur. L’employeur était au courant de ces situations et n’a pas pris de mesures correctives appropriées en vue de mettre fin à ce type de comportement. J’ai notamment été frappé par un exemple dont Mme Sabir a fait mention. En raison de son langage offensant et de ses propos racistes envers du personnel infirmier et non infirmier, une mesure corrective a été prise envers un détenu du Centre régional de traitement,qui a été transféré à l’Établissement de Kent, un établissement à sécurité maximale. Cet exemple montre que certains pénitenciers fédéraux du Canada ont une politique de tolérance zéro à l’endroit des détenus qui profèrent des remarques désobligeantes et des propos racistes envers du personnel infirmier et non infirmier. Cette tolérance zéro ou presque zéro est une règle des plus souhaitables, à mon avis, dans les pénitenciers fédéraux du Canada.

316 Peut-être que ces événements déplorablesont éprouvé Mme Baptiste et, comme Mme Sabir l’a indiqué, l’ont amenée à se [traduction] « renfrogner », et qu’ils ont porté atteinte àla qualité de ses relations avec les autres. En dernière analyse, je ne considère pas que cette preuve justifie ou même explique les fautes professionnelles commises par Mme Baptiste en août 2006, qui à mon avis portent sur le niveau de responsabilité le plus fondamental des infirmières autorisées. Cependant, j’espère que l’employeur profitera de l’occasion pour résoudre le problème, comme décrit par Mme Sabir, de son attitude tolérante envers les remarques désobligeantes et les propos racistes dans certains pénitenciers, et qu’il prendra des mesures correctives appropriées et immédiates pour éliminer ces comportements inacceptables dans les pénitenciers fédéraux du Canada. Le fait de travailler dans un milieu carcéral entraîne des difficultés importantes pour tous les employés, y compris les professionnels de la santé comme l’infirmière Baptiste et ses collègues, et l’employeur a l’obligation de s’assurer que, grâce à une politique de tolérance zéro quant aux propos racistes et aux comportements irrespectueux, ils peuvent accomplir leurs tâches dans un environnement qui est, dans la mesure du possible, exempt des types de situations dans lesquelles Mme Baptiste et possiblement d’autres employés se sont trouvés.

317 Mme Baptiste avait 54 ans au moment de la cessation de son emploi et avait environ 17 années de service auprès de l’employeur. Elle n’avait aucun dossier disciplinaire antérieur, bien que certains aspects de son rendement aient été portés à son attention au fil des ans étant donné qu’ils n’étaient pas considérés comme étant complètement satisfaisants. Il a été souligné que les incidents en cause se sont produits lors la première fin de semaine pendant laquelle Mme Baptiste a travaillé seule à la suite de changements importants à l’horaire des quarts de travail, et qu’un tel contexte devrait être pris en considération. Cependant, aucune preuve n’a montré que cela avait eu des effets sur les actes de Mme Baptiste pendant ces journées-là. Je dois ajouter que rien ne donne à penser qu’elle a tiré, directement ou indirectement, des avantages financiers ou personnels de sa conduite.

318 Par contre, la conduite de Mme Baptiste était grave et est empirée par le fait qu’elle n’a montré aucun signe de remords ou d’acceptation de sa responsabilité. À ce jour, elle a toujours nié les faits et sa responsabilité par rapport aux événements. Sa reconnaissance (par l’intermédiaire de son avocat) que l’écriture sur la petite enveloppe brune était la sienne est arrivée plutôt tard dans la procédure d’arbitrage, après la présentation d’une preuve convaincante qui a démontré qu’il s’agissait bien de son écriture. Comme l’arbitre de grief Marie-Josée Bédard l’a indiqué dans Brazeau, l’aveu de responsabilité « […] s’est fait trop attendre pour être considéré comme un facteur atténuant ». De plus, cet aveu de responsabilité n’est pas venu d’elle-même, mais a plutôt été exprimé en son nom par son représentant. Elle a nié toutes les autres allégations contre elle, lesquelles ont selon moi été démontrées. Voici ce que l’arbitre de grief Ian Mackenzie a indiqué au paragraphe 103 de la décision Oliver :

[103] La reconnaissance de la culpabilité ou d’une certaine responsabilité pour ses actions est un facteur essentiel dans l’évaluation du caractère approprié de la mesure disciplinaire. Il en est ainsi puisque la possibilité de réhabilitation du fonctionnaire s’estimant lésé est fondée sur la confiance, et la confiance est fondée sur la vérité. Si un fonctionnaire s’estimant lésé a trompé son employeur, a omis de coopérer à une enquête légitime d’allégations de conflit d’intérêts et refuse d’admettre toute responsabilité en dépit des preuves qui montrent une faute, alors le rétablissement de la confiance nécessaire à une relation d’emploi est impossible.

319 Le manque de franchise de la fonctionnaire pendant l’enquête disciplinaire et son refus de coopérer pleinement tout au long du processus constituent, selon moi, un facteur déterminant, parmi d’autres, de sa capacité à s’amender. Cela a aussi des répercussions sur le lien de confiance nécessaire entre les membres du personnel infirmier, qui doivent travailler en équipe de façon efficiente et efficace afin de fournir les meilleurs soins médicaux possible à leurs patients.

320 À cet égard, il a été assez frappant de constater que les anciens collègues de Mme Baptiste à l’établissement ont tous témoigné qu’ils ne lui faisaient pas confiance et qu’ils demanderaient à être transférés ou qu’ils prendraient leur retraite si Mme Baptiste était réintégrée. Cela en dit beaucoup sur le lien de confiance, qui est si important pour le type de poste qu’elle occupait. Je considère qu’il s’agit d’un facteur important dans mon évaluation du caractère approprié de la sanction imposée dans cette affaire.

321 Par conséquent, compte tenu de toutes les circonstances et après avoir pris en considération tous les faits qui m’ont été présentés, je crois que la fonctionnaire a irrévocablement porté atteinte au lien de confiance et à l’intégrité nécessaires à sa réintégration. Pour les motifs mentionnés précédemment dans la présente décision, je conclus que l’employeur avait un motif valable de mettre fin à l’emploi de Mme Baptiste. En conséquence, la cessation d’emploi est maintenue et le grief (dossier de la CRTFP 566-02-1243) est rejeté.

B. Suspension de durée indéterminée (dossier de la CRTFP 566-02-858)

322 Je vais maintenant me pencher sur le grief de Mme Baptiste concernant la suspension de durée indéterminée imposée par l’employeur le 5 septembre 2006 (dossier de la CRTFP 566-02-858). L’employeur s’est opposé à ma compétence pour ce qui est d’entendre le grief pour le motif qu’il s’agissait d’une mesure administrative plutôt que disciplinaire et, par conséquent, qu’elle ne faisait pas partie du champ d’application de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. L’avocat de l’employeur a fait valoir que celui-ci n’avait pas l’intention de punir la fonctionnaire et que la mesure avait été prise uniquement pour recueillir tous les faits pertinents dans le but de prendre une décision éclairée dans les circonstances. D’autre part, le représentant de la fonctionnaire a considéré que la suspension de durée indéterminée sans traitement constituait une mesure disciplinaire ayant entraîné une suspension et qu’elle faisait donc carrément partie du champ d’application de l’alinéa 209(1)b).

323 Bien que l’employeur puisse ranger la suspension dans la catégorie des mesures administratives, un arbitre de grief est autorisé à examiner en profondeur le contexte et les circonstances ayant mené à la décision de l’employeur afin d’évaluer la vraie nature de la suspension. La qualification appropriée d’une telle suspension découlera de toutes les circonstances pertinentes. Dans Canada (Procureur général) c. Grover, 2007 CF 28, (appel rejeté dans Canada (Procureur général) c. Grover,2008 CAF 97),la Cour fédérale a affirmé ce qui suit au sujet de la conclusion d’un arbitre de grief selon laquelle une mesure présumée comme étant administrative par l’employeur constituait en fait une mesure disciplinaire :

[…]

[46] La LRTFP établit un régime applicable à la résolution des griefs déposés par les employés du secteur public fédéral. Conformément à ce régime, certains griefs sont classés comme griefs non susceptibles d’arbitrage, ce qui signifie que la décision de dernier niveau est celle de l’employeur et que l’employé n’a pas droit à un arbitrage indépendant; cependant, les employés ont le droit à l’arbitrage devant la Commission pour d’autres genres de questions qui sont jugées de portée plus grande. Les tribunaux ont reconnu depuis longtemps que certains employeurs pourraient vouloir se soustraire à un arbitrage en tentant de dissimuler la vraie nature de leurs décisions. Les arbitres de la Commission doivent considérer le fond d’une décision plutôt que sa forme lorsqu’ils se demandent s’ils ont ou non compétence. Selon les mots de la Cour d’appel, « l’on ne peut tolérer que, par l’effet d’un camouflage, une personne soit privée de la protection que lui accorde une loi ». (LRTFP, précitée, articles 91 et 92; Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), [1989] A.C.F. No 461 (QL); jugement Archambault, précité, paragraphes 9-12.)

[47] Selon le paragraphe 92(1) de la LRTFP [maintenant l’alinéa 209(1)b) de la Loi], un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire. En accord avec l’arrêt Penner, précité, la jurisprudence de la Commission et de l’instance qui l’a précédée reconnaît que les employeurs recourent parfois à des « mesures disciplinaires déguisées » pour se soustraire à la procédure d’arbitrage. Les arbitres doivent d’entrée de jeu se demander si les décisions de l’employeur qui sont à première vue de nature administrative ne sont pas en réalité des mesures disciplinaires déguisées. Pour se prononcer sur la question, les arbitres doivent considérer l’ensemble des faits et circonstances entourant la décision. (LRTFP, article 92; Nolan et Conseil du Trésor (Santé et Bien-être social Canada), [1994] CRTFP no 115 (QL); Tobin et Conseil du Trésor (Pêches et Océans Canada), [1990] CRTFP no 11 (QL).)

[…]

[Je souligne]

324 L’avocat de l’employeur a mentionné Canada (Procureur général) c. Basra, 2008 CF 606, afin de soutenir sa position selon laquelle je n’avais pas la compétence nécessaire pour examiner une suspension de nature administrative pendant une enquête, étant donné que l’employeur n’avait pas l’intention de punir la fonctionnaire à ce moment-là. Dans ce jugement, la Cour a annulé la décision de l’arbitre de grief, qui avait conclu que la suspension sans traitement pendant une enquête, bien qu’elle était à l’origine une mesure administrative, est devenue une mesure disciplinaire vu le contexte de l’affaire et en particulier le fait que l’employeur n’ait pas agi avec diligence pour recueillir les faits pertinents et décider des mesures à prendre. Dans cette affaire, la suspension concernait une inconduite survenue hors travail et elle a été imposée en attendant la décision à l’égard d’accusations criminelles contre le fonctionnaire s’estimant lésé. La Cour a annulé la décision pour le motif que l’arbitre de grief n’avait pas examiné si l’intention de l’employeur, lorsqu’il a suspendu le fonctionnaire, était de le punir. La Cour a ensuite annulé la décision de l’arbitre de grief d’accueillir le grief sur le fond. La Cour d’appel fédérale a infirmé la première partie de ce jugement dans Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, et a indiqué ce qui suit :

[…]

[18] À cet égard, l’arbitre a conclu que la mesure était de nature administrative pendant les trente premiers jours et est devenue disciplinaire par la suite. En établissant cette distinction, l’arbitre était d’avis que l’employeur n’avait pas l’intention de punir durant la période de trente jours initiale, mais qu’il s’est ravisé lorsqu’il a autorisé que la suspension dure indéfiniment, en attendant l’issue de la poursuite (par. 99 et 100 des motifs). Les motifs ne peuvent être interprétés autrement puisque l’arbitre n’aurait pu établir la distinction sur un autre fondement.

[19] Par conséquent, on ne peut affirmer que l’arbitre n’a pas tenu compte de l’intention de l’employeur lorsqu’il a rendu sa décision et que le juge de la Cour fédérale a commis une erreur en rendant une décision différente.

[…]

325 Le principe de droit actuel de cette affaire a été bien résumé par l’arbitre de grief dans King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 45, au paragraphe 62 :

[62] Le point essentiel que je retiens de Frazee et des décisions Basra est que je dois examiner les circonstances du présent cas en fonction de la preuve révélatrice de l’intention du défendeur au moment de la suspension du fonctionnaire sans traitement et par la suite. Si je suis convaincu que le défendeur a démontré que, selon la prépondérance des probabilités, l’intention sous-tendant sa décision « administrative » n’était pas disciplinaire au moment où la décision a été prise et qu’elle est demeurée non disciplinaire pendant la suspension en découlant, je dois donc refuser d’exercer ma compétence. À l’inverse, si le défendeur ne s’est pas acquitté de son fardeau, alors je dois conclure que sa décision était disciplinaire dans son essence, peu importe la description qu’en fait le défendeur, et que, par conséquent, j’ai la compétence nécessaire pour examiner le grief aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

326 Pour ce qui est des faits de la présente affaire, l’employeur a d’abord décidé de suspendre la fonctionnaire avec traitement après avoir pris connaissance des événements des 19, 20 et 21 août 2006 impliquant Mme Baptiste. Le 5 septembre 2006, l’employeur a suspendu la fonctionnaire sans traitement en attendant l’achèvement d’une enquête disciplinaire, dans le cadre de laquelle on examinerait les circonstances. À ce moment-là, c’était manifestement le comportement professionnel de Mme Baptiste en milieu de travail quant à l’administration de médicaments d’ordonnance à des détenus ainsi qu’à ses présumées modifications inappropriées du RSDC qui était en cause. Autrement dit, l’employeur possédait une preuve (orale et documentaire) qui l’a mené à conclure que la fonctionnaire avait commis une inconduite. L’objet de l’enquête était sans doute de recueillir tous les faits et d’obtenir des explications de la part de la fonctionnaire à propos de ces faits et de ce qui s’était produit entre le 16 et le 21 août 2006. Dit simplement, l’employeur a décidé de retirer la fonctionnaire du lieu de travail à la lumière de ce qu’il a conclu être de la négligence professionnelle grave de sa part. L’enquête visait à permettre à l’employeur de tirer des conclusions éclairées sur les actes de la fonctionnaire et de décider de la mesure disciplinaire à prendre.

327 La preuve a montré que le représentant syndical a demandé la réaffectation de Mme Baptiste à d’autres tâches à l’intérieur de l’établissement, comme l’employeur l’avait fait dans d’autres circonstances, comme solution de rechange à sa suspension sans traitement et, par conséquent, à sa perte de revenu. M. Brown, le directeur, a témoigné qu’il n’a pas acquiescé à cette demande parce que les incidents qui lui ont été signalés ont remis en question de façon importante la confiance envers la fonctionnaire et que sa présence continue dans l’établissement présentait un risque élevé. Par conséquent, le contexte constituait une mesure disciplinaire envers ce que l’employeur a perçu comme étant un comportement inapproprié de la part de la fonctionnaire. Je suis d’accord avec le représentant de la fonctionnaire sur le fait que, si on l’examine à la lumière de tous les faits, on constate que la suspension a eu un effet punitif et qu’elle a été imposée par l’employeur en réaction à quelque chose que la fonctionnaire a censément fait, plutôt que d’être imposée en raison de circonstances n’étant pas liées à une faute de sa part, ce qui caractérise une mesure administrative. Je considère donc que la suspension avait manifestement des allures disciplinaires et punitives, et qu’elle constituait une mesure disciplinaire contre Mme Baptiste.

328 Par conséquent, je conclus que je possède la compétence, conformément à l’alinéa 209(1)b) de la Loi, pour me prononcer sur le grief de Mme Baptiste qui conteste sa suspension de durée indéterminée, sans traitement, jusqu’à la date d’entrée en vigueur de sa cessation d’emploi. Ce grief est arbitrable. L’objection de l’employeur à ma compétence est en conséquence rejetée.

329 La prochaine question à examiner consiste à savoir si la suspension de durée indéterminée était justifiable et si elle constituait une mesure disciplinaire raisonnable de la part de l’employeur. Il convient de mentionner que Mme Baptiste était déjà suspendue avec traitement, en date du 25 août 2006, à la suite des événements de la fin de semaine précédente. L’employeur a invoqué sensiblement les mêmes motifs pour suspendre la fonctionnaire sans traitement le 5 septembre. Je conviens que la décision de suspendre Mme Baptiste sans traitement pendant une enquête était appropriée. Il s’agit d’un droit de gestion absolu. Il était tout à fait raisonnable pour l’employeur de s’assurer qu’il connaissait tous les faits, y compris les explications de la fonctionnaire sur ce qui s’était produit, avant de prendre une mesure définitive.

330 Cependant, le problème concerne la durée de la suspension. La preuve a montré qu’à un certain moment, au début de l’enquête, l’employeur connaissait la plupart, si ce n’est l’ensemble, des faits pertinents nécessaires pour prendre une décision au sujet de Mme Baptiste. En octobre 2006, l’employeur connaissait la plupart des motifs qu’il a invoqués lorsqu’il a informé Mme Baptiste qu’il mettait fin à son emploi, le 10 avril 2007 (pièce E-9). Plus précisément, la lettre envoyée au CRNBC par Mme Dean le 17 octobre 2006 indique pourquoi le permis d’exercice de Mme Baptiste aurait dû être suspendu immédiatement. Il s’agissait de la deuxième plainte que Mme Dean déposait auprès du CRNBC, et le ton de sa lettre ne laissait planer aucun doute quant à sa nature punitive. Les motifs énoncés dans la lettre sont fondamentalement les mêmes que ceux sur lesquels s’est fondé l’employeur lorsqu’il a informé la fonctionnaire qu’il mettait fin à son emploi le 10 avril 2007, soit environ six mois plus tard. On a affirmé que Mme Dean avait agi à titre personnellorsqu’elle a rédigé la lettre. Il convient de noter qu’à la lumière de la forte visibilité de cette affaire dans l’établissement, l’infirmière chef Dean savait qu’une enquête était menée sous la direction du directeur Brown. Je suis convaincu que, compte tenu des circonstances, le directeur et Mme Dean étaient tous deux entièrement conscients de ce qu’elle faisait lorsqu’elle a demandé le retrait immédiat du permis d’exercice de Mme Baptiste. Tout bien pesé, je conclus qu’elle agissait à titre de représentante principale de l’employeur et que, à ce moment-là, elle s’était forgé l’opinion que la fonctionnaire était coupable d’inconduite.

331 À la lumière de ces faits, je conclus que l’employeur n’a pas été aussi appliqué qu’il aurait pu l’être dans la réalisation de son enquête disciplinaire. La période d’attente a causé un préjudice à la fonctionnaire, qui a été tenue en suspens pendant longtemps. Par conséquent, je conclus que la suspension d’une durée indéterminée n’était plus justifiable après le 17 octobre 2006. En conséquence, le grief contestant la suspension de durée indéterminée pendant l’enquête est accueilli en partie.

332 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que l’enquête comportait des lacunes pour de nombreuses raisons, principalement parce que l’employeur avait violé les règles de justice naturelle et d’équité dans la façon dont il a mené son enquête. Compte tenu de ma décision à l’égard du grief sur la suspension de durée indéterminée, je considère qu’il n’est pas nécessaire que je me penche sur ces questions. Je mentionnerai simplement que, selon moi et sous réserve de mes conclusions, l’enquête a été réalisée correctement. S’il y avait eu des vices de procédure ou des omissions de la part de l’employeur dans le cadre de la réalisation de l’enquête, ils n’auraient pas, en soi, vicié la suspension ou la cessation d’emploi. Comme la Cour fédérale l’a indiqué dans Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL), l’audience d’arbitrage est de novo, et l’arbitrage, où l’employeur a le fardeau de prouver les faits qui ont mené à l’imposition de la mesure disciplinaire, remédie aux vices ou au manque d’équité du processus disciplinaire.

333 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

334 Le grief relatif à la suspension avec traitement (dossier de la CRTFP 566-02-1010) a été retiré. Le dossier de la Commission est donc clos.

335 Le grief relatif à la suspension sans traitement pour une durée indéterminée (dossier de la CRTFP 566-02-858) est accueilli en partie. La suspension est annulée à partir du 17 octobre 2006, et l’administrateur général devra verser à la fonctionnaire tout le salaire et les avantages qu’elle aurait reçus du 17 octobre 2006 au 10 avril 2007 si elle avait rempli les fonctions de son poste pendant cette période. Je demeure saisi de l’affaire pendant 60 jours après la date de la présente décision au cas où les parties auraient de la difficulté à appliquer mon ordonnance.

336 Le grief relatif au licenciement de Mme Baptiste (dossier de la CRTFP 566-02-1243) est rejeté.

Le 9 novembre 2011.

Traduction de la CRTFP

Roger Beaulieu,
arbitre de grief

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