Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté le refus de son employeur, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), de prolonger son congé non payé afin qu’elle puisse continuer de travailler à la Central Bank of Bahrain- l’employeur a contesté la compétence d’un arbitre de grief, soutenant que le grief était hors délai- la fonctionnaire s’estimant lésée a nié le fait que son grief était hors délai et a demandé, subsidiairement, un prolongement du délai prescrit- en 1998, la fonctionnaire s’estimant lésée, qui travaillait à Ottawa, a remporté un concours de dotation et a été nommée représentante du BSIF au Comité de Bâle pour une période de trois ans- à l’échéance de son détachement, elle a été mutée à Toronto dans un poste nouvellement créé et qui n’était assorti d’aucune description de tâches- par l’intermédiaire d’une de ses relations, la fonctionnaire s’estimant lésée a obtenu un détachement à titre de représentante du BSIF au Centre de Toronto- à son retour au BSIF, la fonctionnaire s’estimant lésée a été classée comme surnuméraire et est restée à la maison en congé payé, mais sans nouvelles du BSIF- la fonctionnaire s’estimant lésée a commencé à chercher du travail et, en 2004, s'est vu proposer un contrat renouvelable de deuxans à la Central Bank of Bahrain- la fonctionnaire s’estimant lésée a communiqué avec le BSIF pour négocier les modalités de son congé- le mandat de deuxans de la fonctionnaire s’estimant lésée a été prolongé jusqu’en mai2008, et le BSIF lui a octroyé son congé- lorsque la fonctionnaire s’estimant lésée a de nouveau demandé un prolongement de son congé non payé pour une période allant au-delà de 2008, l’employeur a refusé, ce qu'elle a contesté- le grief n’était pas nécessairement hors délai du fait qu’il a été présenté après que le prolongement du congé soit venu à échéance et non lorsque le second prolongement a été refusé- quoi qu’il en soit, l’arbitre de grief n’a pas dû se prononcer sur ce point, car elle a décidé d’accepter la prolongation- la fonctionnaire s’estimant lésée a fourni des motifs convaincants et sûrs pour justifier le temps mis à soumettre le grief, notamment des problèmes de communication avec le Canada et le fait d'avoir reçu des conseils erronés de son avocat et de son agent négociateur- rien n’indique que le délai ait été préjudiciable envers l’employeur- la fonctionnaire s’estimant lésée a fait preuve de diligence- le préjudice causé à la fonctionnaire s’estimant lésée en refusant de lui consentir un prolongement l'aurait largement emporté sur celui causé à l’employeur en acceptant de le faire- le grief soulevait une question défendable- sur le fond, l’arbitre de grief a été d’avis que l’employeur, par ses propos et sa conduite, avait laissé entendre à la fonctionnaire s’estimant lésée que son congé serait prolongé et que l’intention de l’employeur de limiter le congé à deuxans, plus un prolongement d’uneannée, n’avait pas été exprimée à la fonctionnaire s’estimant lésée, qui n’aurait raisonnablement pas pu connaître l’existence de cette intention- l’employeur n’a pas tenu compte de la situation exceptionnelle de la fonctionnaire s’estimant lésée- l’employeur a évoqué les coûts en tant que facteur de décision, mais n’a effectué aucune recherche pour confirmer les sommes en cause, n’a pas bien tenu compte de l’importance du congé et n’a pas pris en considération les circonstances atténuantes justifiant davantage de compassion- le congé a été refusé sans motif raisonnable. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-10-21
  • Dossier:  566-23-2673 et 568-23-187
  • Référence:  2011 CRTFP 119

Devant le président
et un arbitre de grief


ENTRE

JOHANNE PRÉVOST

fonctionnaire s´estimant lésée et demanderesse

et

BUREAU DU SURINTENDANT DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES

employeur et défendeur

Répertorié
Prévost c. Bureau du surintendant des institutions financières

Affaires concernant un grief individuel renvoyé à l´arbitrage et une demande de prolongation visée à l´alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée et demanderesse:
Christopher Rootham, avocat

Pour l’employeur et défendeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 24 et 25 mai 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l´arbitrage et demande devant le président

1 La fonctionnaire s´estimant lésée et demanderesse, Johanne Prévost, (la « fonctionnaire »), est conseillère en politiques de réglementation pour la Banque centrale de Bahreïn. En 2006, la Banque centrale de Bahreïn a remplacé l´Agence monétaire de Bahreïn, créée en 1973 pour remplir les fonctions de banque centrale et de réglementation à la suite de la reconnaissance de l´indépendance du Bahreïn vis-à-vis de la Grande-Bretagne. La Banque centrale de Bahreïn est chargée de maintenir la stabilité monétaire et financière du pays et est l´unique autorité de réglementation du secteur financier, touchant notamment le secteur bancaire, de l´assurance, du placement et des marchés financiers.

2 Comme il sera expliqué plus loin, la fonctionnaire travaillait précédemment pour le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF ou l´« employeur »), à titre de gestionnaire de la politique de surveillance (groupe Recherche), un poste classifié aux groupe et niveau RE-06. Le groupe Recherche est représenté par l´Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l´« Institut »).

3 Le 30 mai 2008, la fonctionnaire a déposé un grief en vertu de la clause 17.15b) de la convention collective négociée entre le BSIF et l´Institut (expirant le 31 mars 2008) (la « convention collective »). La fonctionnaire soutient que le BSIF a refusé de prolonger le congé non payé qui lui a permis d´accepter son poste actuel auprès de la Banque centrale de Bahreïn. À titre de redressement, la fonctionnaire demande que son congé non payé soit rétabli rétroactivement à compter du 31 mai 2008 jusqu´au 31 mai 2012, ce qui comprend le rétablissement de son statut de cotisante au Régime de pension de retraite de la fonction publique et de l´ensemble des prestations et droits dont disposent les fonctionnaires fédéraux.

4 L´employeur s´est opposé à ma compétence à entendre et trancher le grief, alléguant que ce dernier avait été déposé hors délai, soit neuf mois après le refus définitif de l´employeur de prolonger le congé non payé de la fonctionnaire jusqu´au 31 mai 2012. La fonctionnaire a répliqué que son grief faisait suite à la période de paye se terminant le 14 avril 2008, moment où l´employeur a mis en œuvre sa décision de ne pas prolonger son congé non payé. Dans ce cas, la fonctionnaire a fait une demande de prolongation du délai de dépôt du grief en précisant qu´elle agissait selon les conseils de l´Institut et des avocats au moment où elle a déposé le grief.

5 En vertu de l´article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), le président m´a autorisée, à titre de vice-présidente, à assumer ses fonctions conformément à l´alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») pour entendre et instruire l´affaire relative à la prolongation.

6 Étant donné que les faits relatifs au fond du grief sont étroitement liés aux faits relatifs à la demande de prolongation, et dans le but d´assurer une audience rapide, j´ai décidé d´exercer mon pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 98(2) du Règlement pour regrouper l´examen des deux questions.

II. Résumé de la preuve

A. Témoignage de la fonctionnaire s´estimant lésée

7 La fonctionnaire travaillait pour la fonction publique fédérale depuis 1978. Elle travaillait pour le BSIF depuis 1985. Bachelière en administration, elle est comptable en management accréditée et a terminé avec succès la formation offerte par la Commission des valeurs mobilières de l´Ontario. En 1998, elle a été la candidate retenue dans un concours tenu par le BSIF pour une nomination au secrétariat du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (le « Comité de Bâle »). Il s´agissait d´un détachement d´une durée de deux ans qui a été prolongé d´une année, jusqu´en 2001. Le Comité de Bâle offre une tribune de coopération en matière de surveillance des banques qui cherche à mieux faire comprendre les grandes questions en matière de surveillance et à améliorer la qualité de la surveillance bancaire à l´échelle mondiale au moyen de l´élaboration de lignes directrices et de normes de surveillance, comme dans le cadre du Concordat sur les activités bancaires transfrontalières.

8 Le Comité de Bâle compte 27 membres, dont le Canada. Le secrétariat du Comité a ses bureaux à la Banque des règlements internationaux à Bâle, en Suisse, et son personnel est principalement constitué de superviseurs professionnels temporairement détachés par les institutions membres. En plus d´exécuter les travaux de secrétariat requis par le Comité et ses nombreux sous-comités d´experts, le Secrétariat se tient prêt à conseiller les organes de surveillance de tous les pays.

9 À la fin de son détachement auprès du Comité de Bâle, la fonctionnaire a appris qu´elle ne serait pas réintégrée dans ses fonctions à Ottawa, où elle travaillait avant son détachement. À son retour au Canada, elle a été réinstallée à Toronto, dans un nouveau poste sans description de tâches, relevant d´un gestionnaire d´Ottawa. En arrivant à Toronto, elle a appris par l´entremise d´un membre de son réseau professionnel l´existence d´une possibilité d´emploi auprès du Centre de leadership international de Toronto pour la surveillance du secteur financier (le « Centre de Toronto »). Le BSIF compte un représentant au conseil d´administration du Centre de Toronto et contribue en nature à ses activités. Le BSIF a convenu que la fonctionnaire serait détachée à titre de directrice du Centre de Toronto en vue de remplir son obligation d´appuyer « en nature » les activités du Centre de Toronto. Pendant cette période, la fonctionnaire a reçu une rémunération et des avantages sociaux comme si elle travaillait pour le BSIF. Le BSIF, à son tour, a facturé les services de la fonctionnaire au Centre de Toronto. Durant son détachement au Comité de Bâle et au Centre de Toronto, la fonctionnaire n´a versé aucune cotisation syndicale.

10 Son détachement auprès du Centre de Toronto étant sur le point de s´achever, la fonctionnaire s´est renseignée à propos de sa réintégration au sein du BSIF. Après plusieurs retards, le 19 décembre 2003, elle a été informée durant une conversation téléphonique avec Gary Walker, directeur des ressources humaines au BSIF, que son poste serait déclaré excédentaire lors de son retour au BSIF. Cela a été ensuite confirmé à la fonctionnaire par une lettre, datée du 13 janvier 2004. Les suggestions de la fonctionnaire quant à un autre emploi au sein du BSIF ont été ignorées, et son nom a été mis sur une liste de priorité. La fonctionnaire est restée chez elle tout en étant payée, sans toutefois communiquer avec le BSIF.

11 Un employé excédentaire est un employé qui a été informé par son administrateur général que ses services ne sont plus requis. Un employé excédentaire bénéficie d´une protection salariale en vertu de la Directive sur le réaménagement des effectifs, négociée entre les syndicats du secteur public fédéral et le Conseil du Trésor. Entre autres avantages, un employé excédentaire acquiert pour un an, avant la prise d´effet d´une mise en disponibilité, un droit à une priorité absolue de nomination au sein de la fonction publique fédérale à un autre poste pour lequel il possède les qualifications essentielles.

12 Après que son poste ait été déclaré excédentaire, et afin d´éviter que ses connaissances et ses compétences n´aient plus cours dans un domaine très concurrentiel, la fonctionnaire s´est activement mise à la recherche d´un autre emploi, ce qui l´a menée à envisager une possibilité d´emploi à l´international à titre de conseillère à la surveillance des sociétés d´assurances auprès de la Banque centrale de Bahreïn. Ce poste nécessitait qu´elle et sa famille s´installent au Royaume de Bahreïn pour la durée d´un mandat renouvelable de deux ans. Puisque le fait d´accepter un poste au Bahreïn avait une incidence considérable sur son statut de fonctionnaire excédentaire ayant droit d´occuper un emploi au sein de la fonction publique fédérale et sur son droit de pension et que cela entraînait des dépenses élevées de sa part pour le déménagement de sa famille au Bahreïn, la fonctionnaire a communiqué avec le BSIF avant d´accepter l´offre d´emploi dans le but de négocier les conditions d´emploi applicables durant son absence. Selon la fonctionnaire, le fait que dans l´éventualité où elle acceptait le poste au Bahreïn le BSIF n´aurait plus à assumer le coût de son salaire pendant les sept mois à courir de sa situation d´employée excédentaire a été un enjeu de premier plan dans les négociations. Pour sa part, elle a convenu de renoncer à la garantie d´une offre d´emploi raisonnable en vertu de la Directive sur le réaménagement des effectifs, un droit qui lui était acquis pour la période de deux ans suivant le début de sa situation d´employée excédentaire. Le 18 mars 2004, le gouverneur de l´Agence monétaire de Bahreïn (comme on l´appelait à l´époque) a écrit au président du BSIF pour lui demander d´accorder à la fonctionnaire un congé autorisé pour la durée d´une affectation renouvelable de deux ans. Il avançait que l´expertise de premier plan de la fonctionnaire pouvait s´avérer très avantageuse pour la Banque centrale de Bahreïn. Cette lettre n´a reçu aucune réponse immédiate.

13 Pour accélérer les négociations avec le BSIF, la fonctionnaire a retenu les services d´un avocat pour la rédaction d´une proposition, dans laquelle elle a proposé que ses droits au titre de la pension et des avantages sociaux soient maintenus durant l´affectation et sa reconduction éventuelle. Un échange de lettres officielles a été suivi par un échange de courriels adressés directement à la fonctionnaire et d´une lettre, datée du 13 mai 2004, qui décrivait les conditions de son détachement au titre de la pension et des avantages sociaux. Pour commencer, la fonctionnaire continuerait d´accumuler des crédits de pension et aurait droit à d´autres avantages sociaux en versant des cotisations salariales comme si elle travaillait pour la fonction publique, et ce, pendant deux ans et une prolongation possible d´un an jusqu´au 31 mai 2007. Pour les cinq années suivantes, elle devrait assumer les cotisations de l´employé et celles de l´employeur. La fonctionnaire devait informer par écrit le BSIF de ses intentions au moins trois mois avant la fin de son affectation au Bahreïn. Aucun document n´a été officiellement validé à l´égard de ces conditions.

14 Le 30 mai 2007, faisant suite à une lettre datée du 19 mai 2007, la fonctionnaire a écrit à Colette Demers, conseillère en rémunération et avantages sociaux, pour l´informer de la prolongation de son affectation auprès de la Banque centrale de Bahreïn jusqu´au 25 mai 2008 et demander que le BSIF la renseigne au sujet des cotisations nécessaires au maintien de ses avantages en matière de pension, d´assurance maladie, d´assurance dentaire et d´invalidité pendant cette période.

15 Le 3 juin 2007, Mme Demers a répondu à la lettre de la fonctionnaire et a décrit de manière détaillée les options dont elle disposait ainsi que sa responsabilité financière en ce qui avait trait à son congé non payé, aux options offertes en vertu du régime de pension de retraite de la fonction publique, aux options de remboursement et à l´assurance et aux avantages médicaux. La lettre précise que son congé non payé serait prolongé jusqu´au 25 mai 2008.

16 Le 8 juin 2007, Denis Leroux, directeur des ressources humaines, a écrit à la fonctionnaire, pour l´informer que son congé non payé serait prolongé jusqu´au 25 mai 2008, et qu´ensuite elle ne serait plus une employée du BSIF. De plus, la lettre indiquait qu´elle ne serait plus la bénéficiaire d´un statut prioritaire quant à l´emploi après le 25 mai 2009. Enfin, on demandait à la fonctionnaire d´informer le BSIF du moment où elle serait disponible pour occuper un emploi de manière à ce que la Commission de la fonction publique puisse être informée en ce qui a trait à son statut prioritaire.

17 Le 15 juin 2007, la fonctionnaire a demandé par courriel à Jocelyne Charette, coordonnatrice des ressources humaines, des clarifications à propos du maintien de ses avantages durant son congé non payé. Mme Charette a fourni les clarifications demandées le 20 juin 2007 en mentionnant que la demande de la fonctionnaire à l´égard de la prolongation de son congé non payé avait été transmise pour approbation à la direction. Mme Charette disait aussi qu´elle ne voyait rien dans le dossier de la fonctionnaire qui lui permettait de prolonger son congé non payé après le 25 mai 2008. La fonctionnaire a répondu à Mme Charette en lui citant des extraits de lettres reçues de la part de M. Walker et Michel Poirier qui décrivaient les avantages dont elle bénéficierait si elle prolongeait son congé non payé.

18 Mme Charette a répondu à la fonctionnaire en disant que les références à une période de cinq ans ayant trait à un congé non payé signifiaient la période maximale permise en vertu de la politique de l´employeur. Cependant, dans le cas de la fonctionnaire, seule une période de deux ans plus une prolongation d´un an avait été accordée, et le BSIF n´était pas prêt à envisager une période supplémentaire de congé non payé. Le 19 août 2007, la fonctionnaire a écrit à Mme Demers à propos de son congé non payé, pour lui demander des clarifications concernant les options de paiement et la date limite de la période de prolongation et de l´assurance médicale, et lui demander un exemplaire de la nouvelle convention collective.

19 Dans un courriel non daté apparemment envoyé à la fonctionnaire en octobre 2007, Mme Charette a décrit les conditions relatives au recouvrement de cotisations au Régime de pension de retraite et a confirmé que le BSIF n´était pas disposé à envisager une reconduction de son congé non payé. La fonctionnaire a réagi à la lettre de Mme Charette par un appel à Bob Hanna, directeur des Services intégrés, suivi d´un courriel décrivant ses préoccupations et sa compréhension de l´entente avec le BSIF à propos de son congé non payé. Elle y décrivait son travail et son utilité potentielle pour le BSIF. Elle demandait quels étaient les critères utilisés pour établir si des demandes de congés ultérieures seraient acceptées. Le 20 novembre 2007, M. Leroux a répondu au courriel que la fonctionnaire avait adressé à M. Hanna. Il expliquait que le BSIF refusait de prolonger son congé non payé en raison de son absence au BSIF depuis le 13 novembre 1998, du fait que son absence prolongée n´était pas avantageuse pour le BSIF, que son travail n´était pas « au service des Canadiens » et que la seule utilité d´une prolongation de son congé non payé consisterait à accroître sa pension de retraite, un fardeau que ne devraient pas porter les cotisants au Régime de pension de retraite.

20 Le 12 mars 2008, la fonctionnaire a écrit à M. Leroux, pour exiger de manière officielle un congé non payé en vertu de la clause 17.15b) de la convention collective. Dans sa lettre, elle décrivait les circonstances qui l´avaient incitée à accepter des affectations à Bâle, au Centre de Toronto et au Bahreïn. Elle soulignait que le fait qu´elle ait accepté ces affectations avait été financièrement avantageux pour le BSIF puisqu´elle avait convenu de mettre fin à son statut d´excédentaire à compter du 31 mai 2005. Elle précisait que toutes les parties en cause avaient convenu que son congé non payé ferait l´objet d´une prolongation de cinq ans à la suite de la première période de prolongation de trois ans, pourvu qu´elle verse les cotisations de l´employeur et de l´employé à la caisse de retraite.

21 Le 14 avril 2008, M. Leroux a répondu à la lettre de la fonctionnaire en affirmant que la clause 17.15 de la convention collective stipule que l´acceptation d´un congé non payé est à la discrétion de l´employeur et en répétant que, dans son cas, pour le BSIF, les désavantages (le coût et l´obligation continue) l´emportaient sur les avantages. Ainsi, il réaffirmait la position du BSIF. Le 14 mai 2008, M. Leroux a répondu au courriel de la fonctionnaire comportant des questions sur la fin d´emploi et la pension. Le 15 mai 2008, Steve Eadie, de l´Institut, a fait une demande de prolongation du délai de dépôt du grief de manière à permettre une discussion pleine et entière des différentes modalités de règlement offertes à la fonctionnaire. L´employeur n´a pas accepté de prolonger le délai de dépôt du grief parce qu´il était convaincu que le BSIF n´accorderait pas à la fonctionnaire son congé non payé pour cinq années supplémentaires. Le 30 mai 2008, la fonctionnaire a déposé le présent grief.

22 La fonctionnaire a témoigné qu´en juin 2007 elle s´était aperçue qu´elle-même et l´employeur n´étaient pas arrivés à une compréhension commune de ce qui avait été convenu à propos des conditions de son congé non payé. Elle avait compris que, pourvu qu´elle informe le BSIF de la prolongation de son affectation auprès de la Banque centrale de Bahreïn avant la fin de son mandat, son congé non payé serait prolongé, mais à des conditions différentes après trois ans, selon lesquelles elle serait tenue de verser les cotisations de l´employé et de l´employeur afférentes au régime de retraite et aux autres régimes de prestations auxquels elle choisissait de souscrire. Sa conviction se fondait également sur le précédent établi auparavant par Gilles Hubert, un autre employé qui avait obtenu un congé autorisé d´une durée de six ans, auquel le courriel du 7 mai 2004 de M. Walker réfère.

23 La fonctionnaire a affirmé qu´elle avait accepté l´affectation auprès de la Banque centrale de Bahreïn en se fondant sur sa compréhension du fait qu´elle pourrait bénéficier de ses avantages au-delà de la première période de deux ans de son contrat. Elle a admis qu´elle aurait pu revenir au Canada en 2007, mais que son nom aurait été mis sur une liste de priorité, et qu´elle serait restée à attendre une nomination sans recevoir un salaire.

24 Quand Mme Charette a informé la fonctionnaire du fait que le BSIF n´était pas disposé à prolonger son congé non payé, la fonctionnaire a demandé des renseignements sur les critères applicables, avec l´intention de contester la décision du BSIF. Lorsque le BSIF a maintenu sa position au sujet de la prolongation de son congé non payé, elle a communiqué avec des amis afin d´obtenir le nom d´un avocat canadien qui pouvait la renseigner sur ses droits. Cela a pris un certain temps à cause du décalage horaire compliquant les appels téléphoniques entre le Moyen-Orient et le Canada, et du fait qu´elle n´avait pas une adresse courriel à la maison. En janvier 2008, elle a obtenu le nom d´un avocat d´Ottawa spécialiste en matière d´emploi. Il a répondu à ses demandes de renseignements en mars 2008 et lui a dit qu´elle pouvait déposer un grief d´ici la fin de la période de prolongation et qu´elle avait le droit d´être représentée par le syndicat. La fonctionnaire a témoigné qu´elle ne croyait pas avoir droit à être représentée par le syndicat puisque qu´elle n´avait pas versé de cotisations syndicales depuis plusieurs années. Lors d´une communication avec l´Institut, on lui a dit qu´en effet elle était en droit d´être représentée par le syndicat et qu´elle pouvait déposer un grief avant la fin de la période de prolongation (le 25 mai 2008). La fonctionnaire s´est fondée sur ces opinions, lorsqu´elle a déposé son grief.

B. Témoignage de Gary Walker

25 M. Walker est surintendant auxiliaire des Services intégrés. Il était directeur principal des ressources humaines et de l´administration au moment des incidents donnant lieu au grief. Il a expliqué que le BSIF est la principale autorité de réglementation du secteur financier et qu´il protège les clients, les titulaires de police des banques et des compagnies d´assurance, et les régimes de pension de retraite privés.

26 Dans certaines circonstances, des employés du BSIF peuvent être affectés à d´autres institutions dont le BSIF est un membre actif, comme le Comité de Bâle ou le Centre de Toronto, aux activités desquels le BSIF contribue en nature. La sélection s´effectue au moyen de concours internes et en général les nominations ont une durée de deux ans et sont prolongées d´un an. Le BSIF n´a conclu aucune entente avec la Banque centrale de Bahreïn à propos des détachements.

27 Lorsque la fonctionnaire a communiqué avec le BSIF à propos d´une affectation auprès de la Banque centrale de Bahreïn, elle avait le statut d´employé excédentaire. La première évaluation du BSIF concernant la demande d´un congé non payé se fondait sur les facteurs suivants : l´affectation présentait ou non un avantage pour le BSIF, et la fonctionnaire retournerait au milieu de travail en disposant ou non d´une expérience utile au BSIF. M. Walker était prêt à accorder un congé non payé parce que la fonctionnaire comptait de longues années de service, que la demande visait un congé de deux à trois ans et que ce temps permettait au BSIF de lui trouver un poste. La première proposition de M. Walker exigeait que la fonctionnaire verse les cotisations de l´employé et de l´employeur afin de se qualifier pour la retraite et l´assurance-maladie. Or, la question de la pension de retraite avait de l´importance pour le BSIF. Lorsque la fonctionnaire a mentionné un précédent (M. Hubert), son congé non payé lui a été accordé et on lui a demandé de cotiser seulement à la part de l´employé.

28 M. Walker se souvenait que dans ses discussions avec la fonctionnaire, il avait l´intention de lui permettre d´accumuler des crédits de pension jusqu´à la date de retraite la plus hâtive. M. Walker s´inquiétait du fait que la fonctionnaire avait déjà le statut d´excédentaire depuis quatre mois au moment où elle a accepté le poste au Bahreïn et qu´elle souhaitait conserver sa situation d´emploi si elle reprenait son emploi auprès du BSIF à la fin de son affectation. M. Walker a témoigné que la lettre du 13 mai 2004 énonçait les conditions suivantes. Pendant la durée du congé et d´une prolongation d´un an, ses cotisations à la caisse de retraite et aux avantages sociaux seraient calculées à taux simple. Si elle réintégrait le BSIF au cours de la première année, elle conserverait son statut d´excédentaire. Après un an, elle perdrait son statut de fonctionnaire excédentaire salariée, conserverait sa priorité d´emploi pendant un an, mais ne serait plus ensuite une employée. Si son congé non payé se prolongeait au-delà du 31 mai 2007, elle devait verser une double cotisation au titre de la pension et des avantages sociaux, mais cela ne constituait pas, d´après M. Walker, un accord pour prolonger le congé non payé de la fonctionnaire au-delà de trois ans.

29 En réponse à la question de l´avocat de la fonctionnaire à propos de ce qu´il entendait dans sa lettre du 13 mai 2004 par [traduction] « Devriez-vous souhaiter prolonger votre congé au-delà du 31 mai 2007? […] », M. Walker a déclaré a posteriori que la lettre aurait pu être plus claire; elle avait pour but de clarifier le montant des cotisations de la fonctionnaire après la première période de trois ans. M. Walker a dit qu´il se préoccupait principalement de ne pas créer de malentendus au sujet du montant des cotisations à verser durant une période de congé non payé. Il a consulté sur ce point M. Poirier, alors chef du Groupe de paye et avantages. Le 19 mai 2004, M. Poirier a répondu au nom de M. Walker aux questions de la fonctionnaire à propos du montant des cotisations. M. Walker a déclaré que ni lui ni M. Poirier n´étaient autorisés à accorder un congé autorisé non payé à la fonctionnaire. Cependant, M. Leroux était responsable du dossier de la fonctionnaire aux fins de ses demandes de renseignements.

30 En contre-interrogatoire, M. Walker a admis que la fonctionnaire n´avait reçu un salaire et des avantages sociaux à titre de fonctionnaire excédentaire que pendant cinq mois. Il n´a pas admis que le BSIF avait épargné l´équivalent de sept mois de salaire lorsqu´il a permis à la fonctionnaire de bénéficier d´un congé non payé lors de son affectation à la Banque centrale de Bahreïn. Toutefois, M. Walker a admis que la fonctionnaire n´avait reçu aucune offre d´emploi durant les cinq premiers mois où elle était en situation d´employée excédentaire et qu´aucune offre d´emploi n´était proposée au moment où elle a accepté un emploi auprès de la Banque centrale de Bahreïn.

C. Témoignage de Denis Leroux

31 M. Leroux était directeur des ressources humaines et de l´administration au moment des incidents donnant lieu au grief. Il est le signataire de la lettre datée du 8 juin 2007 qui prolonge le congé non payé de la fonctionnaire pendant un an jusqu´au 25 mai 2008. Afin de corriger une erreur administrative, la date du 25 mai 2008 a plus tard été reportée au 30 mai 2008.

32 M. Leroux a déclaré que le congé non payé de la fonctionnaire n´avait été prolongé que d´un an parce qu´il était d´avis qu´après son retour de la Banque centrale de Bahreïn, son travail ne serait pas avantageux pour le BSIF ni pour le Canada. D´autres employés n´avaient pas obtenu de telles prolongations. Il a aussi mentionné dans la même lettre que la fonctionnaire ne serait plus une employée trois ans plus tard parce qu´il tenait à préciser que le BSIF n´accepterait aucune nouvelle demande de congé non payé passé ce délai. Aucun des arguments présentés par la fonctionnaire dans sa lettre du 12 mars 2008 n´a convaincu M. Leroux de revenir sur son refus de prolonger son congé non payé pour une période supplémentaire de cinq ans. Sur les conseils de Michelle Laframboise, qui est une des gestionnaires des ressources humaines du BSIF, il a aussi décidé de refuser de reporter la date limite pour le dépôt d´un grief, une demande de l´Institut.

33 En contre-interrogatoire, M. Leroux a dit, à propos de sa réponse du 20 novembre 2007 à la fonctionnaire selon laquelle sa demande d´une prolongation de son congé non payé était refusée, qu´il a pris en considération le fardeau administratif relié à l´instruction de la demande. Il a admis qu´il se référait aux formalités administratives et qu´il n´en avait pas chiffré le coût. L´obligation continue avait trait à l´augmentation des crédits de pension de la fonctionnaire assumée par le Gouvernement du Canada pendant son congé non payé. M. Leroux a admis qu´il n´avait pas calculé ce que cela coûterait au Gouvernement du Canada et qu´il n´avait pas évalué l´incidence du fait que les cotisations de l´employeur au titre de sa pension de retraite seraient assumées par la fonctionnaire. M. Leroux a admis ne pas avoir pris en considération le fait que la fonctionnaire avait renoncé à sept mois de salaire à titre de fonctionnaire excédentaire lorsqu´elle avait accepté un emploi auprès de la Banque centrale de Bahreïn. M. Leroux a dit qu´il était resté indifférent au précédent créé par M. Hubert, puisque les demandes de congé non payé sont évaluées au cas par cas. Le principal motif du refus de M. Leroux à accorder une prolongation du congé non payé de la fonctionnaire a été la durée du congé non payé et non le fait que les affectations étaient sous les auspices du BSIF.

III. Résumé de l´argumentation

A. Pour la fonctionnaire s´estimant lésée

1. À propos du respect des délais relatifs au dépôt du grief et du bien­fondé de la demande de prolongation

34 La fonctionnaire soutient que la date de l´élément déclencheur du grief est le 30 mai 2008, date à laquelle l´employeur a refusé de prolonger son congé non payé. Elle estime qu´il s´agit également de la date à laquelle l´employeur a contrevenu à la convention collective. La fonctionnaire ne pouvait pas prévoir cette infraction à la convention collective; ses droits ont été violés au moment de l´infraction, c´est-à-dire au moment où l´employeur a refusé de prolonger son congé non payé. À l´appui de sa position, la fonctionnaire cite Ontario Public Service Employees Union v. Sault College (Piotrowski Grievance), [2006] O.L.A.A. No. 568 (QL).

35 La fonctionnaire maintient qu´elle avait présenté son grief en temps opportun, mais qu´elle avait par prudence demandé une prolongation du délai. La fonctionnaire explique que s´il y avait du retard pour le dépôt de son grief, cela dépendait du fait qu´elle suivait les conseils de son avocat et du syndicat, et qu´elle ne devrait pas être pénalisée pour avoir suivi leurs conseils. À l´appui de sa position, la fonctionnaire cite Jarry et Antonopoulos c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2009 CRTFP 11.

36 La fonctionnaire déclare aussi que, le 15 mai 2008, l´Institut a demandé une prolongation du délai alloué pour déposer le grief, que l´employeur s´est contenté de refuser. Cela a entraîné un délai supplémentaire pour le dépôt du grief.

37 La fonctionnaire dit que plusieurs dates peuvent être considérées comme la date de l´élément déclencheur de son grief. La première est la lettre du 8 juin 2007, qui lui accordait une prolongation de son congé non payé jusqu´au 25 mai 2008, date à laquelle elle devait cesser de travailler pour le BSIF. La preuve présentée par l´employeur indique qu´il avait l´intention de signifier par sa lettre qu´aucune autre prolongation ne serait accordée à la fonctionnaire, ce que reflétaient les courriels internes non transmis à la fonctionnaire. Toutefois, cette intention n´est pas clairement énoncée dans la lettre du 8 juin 2007. Par conséquent, il ne peut pas s´agir de la date de l´élément déclencheur.

38 Le second élément relève d´un courriel daté du 25 juin 2007, de Mme Charette, affirmant que le BSIF avait accordé un congé non payé de deux ans ainsi qu´une prolongation, mais qu´il n´accepterait pas une période de congé supplémentaire dans le cas de la fonctionnaire, mais ce, sans motiver sa décision. Or, la fonctionnaire déclare que ce courriel n´est pas l´élément déclencheur du grief parce qu´elle n´avait pas encore demandé un congé se prolongeant au-delà du 30 mai 2008 et qu´elle ne savait pas alors si elle continuerait à travailler pour la Banque centrale de Bahreïn.

39 Le troisième est un courriel daté du 25 octobre 2007 en réponse à une lettre de la fonctionnaire datée du 19 août 2007, qui lui accorde une prolongation d´un an, mais exclut toute autre prolongation supplémentaire. Par ce courriel, l´employeur répond à la demande de la fonctionnaire à propos d´une prolongation jusqu´au 30 mai 2008. La fonctionnaire dit qu´elle n´avait pas compris qu´il s´agissait d´une décision définitive puisqu´elle n´avait pas demandé une prolongation s´appliquant au-delà du 30 mai 2008. Par conséquent, il ne pouvait pas s´agir de la date de l´élément déclencheur.

40 Le quatrième est un courriel daté du 5 octobre 2007, en réponse entre autres à la demande de la fonctionnaire concernant les critères d´acceptation d´un congé non payé dans le cadre d´un détachement auprès d´un organisme international ou pour des motifs personnels. Ce courriel exprime le refus du BSIF de prolonger le congé non payé de la fonctionnaire. La fonctionnaire affirme que ce courriel ne peut pas établir la date de l´élément déclencheur du grief puisqu´elle n´avait pas encore exprimé les motifs de sa demande de prolongation de son congé non payé pour une période supplémentaire de cinq ans.

41 Le cinquième est un courriel daté du 19 novembre 2007 (reçu par la fonctionnaire le 20 novembre 2007 en raison du décalage horaire) de la part de M. Leroux, précisant à la fonctionnaire les motifs du refus de la prolongation de son congé non payé pour une période de cinq ans.

42 Le sixième est une lettre datée du 14 avril 2008 adressée à la fonctionnaire, décrivant de manière plus détaillée les motifs pour lesquels la demande d´une prolongation de son congé non payé lui était refusée en vertu de la clause 17.15b) de la convention collective. La fonctionnaire affirme qu´il s´agissait d´un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire de l´employeur, en considération des facteurs relevant d´échanges antérieurs et soulevant de nouveaux facteurs. La fonctionnaire dit que son grief s´est concrétisé au fil du temps et que la date du 14 avril 2008 pourrait être la date, au lieu du 30 mai 2008, qui a constitué l´élément déclencheur de son grief. Si on retient la date du 14 avril 2008, alors le grief présente un retard d´au plus sept à huit jours. Selon l´argumentation de l´arbitre de grief dans Guittard c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2002 CRTFP 18, la prolongation aurait dû être accordée. En outre, l´Institut a demandé une prolongation du délai pour les 25 jours ouvrables à compter du 14 avril 2008. Ce bref délai permettait à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) d´exercer son pouvoir discrétionnaire.

43 La fonctionnaire dit qu´elle a exercé toute la diligence permise dans les circonstances. Elle a entretenu des échanges avec l´employeur de juin 2007 à mai 2008. Elle a obtenu des conseils juridiques et retenu les services d´un avocat au début de janvier 2008. Sans que ce soit sa faute, son avocat ne lui a pas fourni une réponse avant le début de mars 2008. Il était d´avis qu´elle était toujours régie par la convention collective et qu´elle était en droit d´être représentée par le syndicat, droit dont elle s´est prévalue. La fonctionnaire a expliqué qu´elle n´avait pas immédiatement communiqué avec l´Institut en novembre 2007, parce qu´elle n´était plus membre du syndicat depuis 1998 étant donné ses affectations ne relevant pas de l´unité de négociation. Elle n´avait pas pensé à communiquer avec l´Institut avant que son avocat lui conseille de le faire.

44 La fonctionnaire affirme qu´elle n´a pas pu obtenir rapidement un avis juridique après le 20 novembre 2007, parce qu´elle ne se trouvait pas au Canada et qu´elle ne connaissait pas d´avocat qui pourrait la représenter. L´avocat dont elle avait retenu les services lors de sa négociation des conditions d´emploi auprès de la Banque centrale de Bahreïn n´était plus au service du cabinet d´avocats. Elle a dû trouver un autre conseiller, et a donc demandé à ses connaissances au Canada de lui indiquer les personnes qui pouvaient la représenter dans les circonstances. Ces communications ont été effectuées par courriel, et il a fallu un certain temps avant qu´elle reçoive des réponses. Dans les circonstances, la fonctionnaire affirme qu´elle a agi promptement.

45 La fonctionnaire dit aussi que l´employeur n´a présenté aucune preuve du fait que la demande de prolongation de la date limite du dépôt du grief pourrait lui porter atteinte. Dans ce cas, le bien-fondé du respect des délais a été entendu en même temps que l´objection à cet égard, et l´employeur a pu répondre au grief sans subir la perte de témoins ou devoir composer avec les pertes de mémoire de ces derniers. La fonctionnaire souligne aussi qu´elle a dû attendre jusqu´au 5 novembre 2008 pour que l´employeur réponde à son grief du 30 mai 2008, et que ce délai dépassait largement les 20 jours prévus par la clause 29.10 de la convention collective pour présenter une réponse.

46 La fonctionnaire demande que j´exerce mon pouvoir discrétionnaire et que j´accorde une prolongation.

2. Arguments sur le fond du grief

47 En agissant comme elle l´a fait, la fonctionnaire appuyait son argumentation sur le principe de préclusion. La fonctionnaire dit qu´à quatre occasions l´employeur lui a affirmé, avant qu´elle accepte un emploi au Bahreïn, qu´elle pouvait compter sur la prolongation de son congé non payé au-delà du 30 mai 2007; dans une lettre datée du 29 avril 2004 adressée par Donna Pasteris à l´avocate de la fonctionnaire, Ann­Julie Auclair, disant que la fonctionnaire pourrait reconduire son congé non payé pour plus que deux ans; le 7 mai 2004, dans un courriel de M. Walker, qui laissait indéterminée la question de la reconduction; le 13 mai 2004, dans une lettre de M. Walker, qui référait en général à la prolongation du congé de la fonctionnaire au-delà du 31 mai 2007; le 19 mai 2004, dans une lettre de M. Poirier, qui mentionne les cotisations maximales au Régime de pension de retraite et établit une distinction entre les trois premières années du congé non payé et l´incidence d´une prolongation supplémentaire de cinq ans.

48 La fonctionnaire soutient qu´il y a plus. Les courriels internes du BSIF qu´elle n´a pas reçus montrent que la question de la prolongation du congé non payé de la fonctionnaire restait vague et que l´employeur aurait dû préciser ses intentions puisqu´elles auraient pu entraîner des attentes de sa part. À plusieurs occasions, l´employeur a transmis à la fonctionnaire des renseignements relatifs à ses cotisations au Régime de pension de retraite et à d´autres avantages sociaux dans le cas où son congé non payé se prolongerait au-delà du 30 mai 2008. Dans sa lettre du 8 juin 2007, Mme Demers ne fait pas mention du fait que le congé de la fonctionnaire ne serait pas prolongé au-delà du 30 mai 2008.

49 La fonctionnaire soutient que, dans le présent cas, l´échange de lettres était sans équivoque à son égard. L´employeur savait qu´elle envisageait sérieusement une offre d´emploi de la Banque centrale de Bahreïn et qu´elle était prête à renoncer à ses droits de fonctionnaire excédentaire si les conditions associées à son congé non payé lui étaient favorables. M. Walker a reconnu ces allégations dans son courriel du 7 mai 2004. Dans son témoignage, M. Walker a admis a posteriori que sa lettre du 13 mai 2004 aurait pu être plus claire. La fonctionnaire ne pouvait pas deviner quelles étaient les intentions de M. Walker. Les premières lettres échangées avaient trait à une prolongation au-delà de deux ans et ne mentionnaient rien de plus. L´employeur savait que la fonctionnaire devait prendre une décision importante sur la base de ses affirmations.

50 La fonctionnaire allègue que sa confiance lui était préjudiciable. Elle a déménagé au Bahreïn seulement après avoir reçu l´assurance de l´employeur quant aux aspects susmentionnés le 19 mai 2004. Sa confiance a été préjudiciable du fait qu´elle a assumé les dépenses de déménagement afférentes à l´acceptation d´un poste au Bahreïn. Si elle n´avait pas eu l´assurance de pouvoir demander une prolongation de son congé, elle n´aurait pas accepté le poste au Bahreïn. De plus, elle a renoncé à son statut de fonctionnaire excédentaire, ce qui représente pour le BSIF une économie de sept mois de salaire, et à la garantie d´une offre d´emploi raisonnable.

51 La fonctionnaire soutient que l´employeur n´a pas exercé son pouvoir discrétionnaire, énoncé dans la partie explicative du grief. Comme en témoigne Dubé et Piton c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2007 CRTFP 77, les tribunaux ont accordé aux arbitres de grief le pouvoir d´évaluer l´exercice du pouvoir discrétionnaire d´un employeur. Le fait que l´employeur ait renoncé à exercer son pouvoir discrétionnaire lors de l´arbitrage ne change rien à la nature du grief. L´argumentation présentée dans Burchill c. Procureur général du Canada [1981],1 C.F. 109 n´est pas valide, puisque l´employeur a invoqué ces pouvoirs en réponse au grief.

52 Dans Kawartha Pine Ridge District School Board v. E.T.F.O. (2005) 80 C.L.A.S. 70, l´arbitre de grief a jugé que le pouvoir discrétionnaire de l´employeur d´accorder un congé doit être exercé de manière raisonnable et en prenant en compte le bien-fondé de la demande et les faits pertinents et non en se limitant au strict respect des politiques.

53 La fonctionnaire précise que, dans le présent cas, l´employeur a décidé de refuser la prolongation de son congé non payé en se basant sur les quatre considérations non pertinentes suivantes : le coût, son obligation continue à l´égard du compte de pension de la fonctionnaire, ses affectations précédentes à l´extérieur du BSIF et les avantages associés au congé. L´employeur s´est montré incapable d´expliquer en quoi ces considérations justifiaient le refus du congé. D´autre part, l´employeur n´a pas pris en compte les quatre considérations suivantes, tout à fait pertinentes : les observations communiquées à la fonctionnaire dans son échange de lettres avec elle, la façon dont un autre employé du BSIF a été traité dans des circonstances semblables, l´avantage financier dont a bénéficié le BSIF lorsque la fonctionnaire a renoncé à ses droits à titre de fonctionnaire excédentaire, et les avantages intangibles offerts par la fonctionnaire lorsqu´elle a décidé de rester à la Banque centrale de Bahreïn.

54 La fonctionnaire soutient que, dans le présent cas, l´employeur n´a pas correctement perçu l´importance de la prolongation du congé non payé qui était demandée et que le grief devrait être admis.

B. Pour l´employeur

1. À propos du respect des délais relatifs au dépôt du grief et de la demande de prolongation

55 L´employeur soutient que le grief n´a pas trait au principe de préclusion, mais plutôt au refus d´accorder à la fonctionnaire le congé non payé demandé. Les témoins de l´employeur étaient préparés à répondre aux questions portant sur les promesses faites à la fonctionnaire au moment où elle a demandé un congé, mais pas à répondre aux questions portant sur l´exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire.

56 L´employeur affirme que le grief n´a pas été déposé en temps opportun parce qu´il n´a pas été déposé dans les 25 jours prévus par la clause 29.08 de la convention collective. Il ajoute que le délai prévu pour le dépôt d´un grief commençait au moment où la fonctionnaire a été informée de son refus de prolonger son congé et non au moment où elle a été touchée par le refus. Le refus officiel du congé n´a pas eu lieu le 30 mai 2008, mais plusieurs mois auparavant. Dans Mark c. Agence canadienne d´inspection des aliments, 2007 CRTFP 34, il a été conclu qu´une décision rendue par écrit d´un employeur suffit à déclencher le délai prévu pour le dépôt d´un grief. L´employeur soutient que la prolongation du congé non payé de la fonctionnaire avait d´abord été refusée le 20 juin 2007, et que, par conséquent, le délai alloué pour le dépôt d´un grief datait de cette date. L´employeur soutient aussi que la fonctionnaire savait déjà que son congé non payé était refusé et qu´elle n´avait pas déposé un grief, ce à quoi il ajoute qu´elle n´avait pas communiqué avec l´Institut ou avec un avocat, et qu´elle n´avait pas communiqué avec l´employeur au sujet du dépôt d´un grief.

57 L´employeur soutient que, une fois la fonctionnaire informée du refus de la prolongation de son congé non payé pour plus d´un an, elle pouvait contester la décision définitive. Elle n´a pas réclamé une prolongation du délai de dépôt d´un grief, mais a poursuivi sa correspondance avec M. Leroux. L´employeur a de nouveau refusé sa demande le 5 octobre 2007, mais la fonctionnaire n´a toujours pas déposé un grief. Le fait de se trouver au Bahreïn ne l´empêchait pas de communiquer par télécopieur, par téléphone ou par courriel. Elle a alors supposé qu´elle ne pouvait pas déposer un grief et a omis de communiquer avec un avocat avant janvier 2008. Elle doit assumer les conséquences de cette négligence.

58 Le 19 novembre 2007, M. Leroux a refusé sa demande une fois de plus et lui a fourni les motifs de sa décision. La fonctionnaire a affirmé que cela n´était pas l´élément déclencheur, toutefois c´est à ce moment qu´elle a cherché un avocat.

59 Même si on retient la date du 14 avril 2008 comme étant la date du refus définitif de l´employeur d´accéder à la demande de congé non payé de la part de la fonctionnaire, le grief est toujours hors délai. Le grief devrait avoir été déposé au 19 mai 2008, mais il ne l´a été qu´au 30 mai 2008. La demande de l´Institut, datée du 18 mai 2008, en vue de prolonger le délai du dépôt du grief n´est ni pertinente ni efficace. Le grief accuse un retard de plus de neuf mois. Il s´agit d´un cas pour lequel l´arbitre de grief ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire.

60 L´employeur affirme que les décisions précédentes de la CRTFP et de son prédécesseur appuient uniformément sa position. Dans Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, l´arbitre de grief a refusé de prolonger le délai du dépôt du grief de 43 jours parce que le fonctionnaire n´avait pas démontré qu´il ne pouvait pas lire et comprendre les dispositions du Règlement à l´égard du délai de renvoi à l´arbitrage d´un grief. Dans Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l´immigration et du statut du réfugié), 2011 CRTFP 68, l´arbitre de grief a refusé de prolonger le délai du dépôt du grief, après un délai de sept mois, malgré la gravité de l´état de santé mentale du fonctionnaire s´estimant lésé.

61 Dans le présent cas, la fonctionnaire a dit qu´elle n´avait pas déposé son grief en temps opportun parce qu´elle se trouvait au loin, au Bahreïn, et qu´elle croyait ne pas être régie par la convention collective. Elle n´a pas établi de manière convaincante qu´elle ignorait ses droits. Avoir fait la demande d´un exemplaire de la nouvelle convention collective n´explique pas de manière raisonnable un retard dans le dépôt d´un grief. Après avoir reçu la convention collective, elle aurait pu la lire afin d´apprendre quel était le délai prescrit. Par conséquent, la fonctionnaire n´a pas fait preuve de diligence ni présenté des motifs impérieux de prolonger le délai. Ni les questions posées dans ses courriels ultérieurs au 20 juin 2007, ni le temps qu´elle a pris pour entrer en communication avec son avocat et obtenir son opinion n´ont pour effet de prolonger le délai de dépôt d´un grief. Le fait de tenter d´arriver à un règlement de façon non officielle n´a pas pour effet de prolonger le délai de dépôt d´un grief.

62 L´employeur met en doute la fiabilité des conseils prodigués à la fonctionnaire par son avocat. Étant donné que ce dernier n´a pas été cité comme témoin, l´employeur n´a pas été en mesure de vérifier la qualité de ces conseils. La fonctionnaire n´a pas appelé M. Eadie, représentant de l´Institut, à témoigner des conseils qu´il lui a donnés. L´employeur affirme que les explications de la fonctionnaire sont très vagues et que je devrais tirer une inférence négative de cette partie de son témoignage. L´employeur se fonde sur Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2006 CRTFP 96; Featherston c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada) et administrateur général (Commission de la fonction publique), 2010 CRTFP 72; et Dumas c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2007 CRTFP 74, pour appuyer sa position selon laquelle il n´est pas responsable des erreurs ou des mauvais conseils de l´avocat de la fonctionnaire. D´après Lagacé, il est facile de déposer un grief et cela peut être fait par n´importe quel représentant. Les motifs pour lesquels la fonctionnaire demande une prolongation ne sont pas plus impérieux que ceux invoqués dans Lagacé, qui s´est conclue par le refus de la demande de prolongation.

63 En résumé, l´employeur affirme que, compte tenu de la correspondance avec la fonctionnaire, il était déraisonnable que le dépôt du grief prenne neuf mois. L´employeur soutient qu´il est toujours facile d´arguer que l´employeur ne subirait aucun préjudice si le délai de présentation d´un grief était prolongé. Toutefois, l´employeur a le droit de considérer qu´un différend est réglé. Hormis l´effet déterminant qu´une décision était susceptible d´avoir sur les crédits de pension de la fonctionnaire, l´employeur considère que rien ne justifiait qu´elle ne dépose pas un grief en temps opportun.

2. Arguments sur le fond du grief

64 L´employeur estime qu´au-delà de la question du respect des délais, le grief était en outre non fondé. L´employeur affirme qu´il a le pouvoir discrétionnaire d´accorder ou non un congé. Dans le présent cas, il a décidé de ne pas accorder le congé non payé. La notion du pouvoir discrétionnaire n´est définie nulle part et aucun critère ne la définit dans la convention collective. En l´espèce, en conformité avec les dispositions de la convention collective, la fonctionnaire avait le fardeau de démontrer que l´employeur a fait des déclarations à son intention, en paroles ou en actes, et qu´elle s´est fondée sur ces déclarations pour changer sa position à son détriment.

65 L´employeur argue que seules les parties à la convention collective peuvent être touchées par un motif de préclusion, soit l´employeur et l´Institut. M. Poirier n´avait pas le pouvoir d´appliquer la convention collective pour le compte de l´employeur. Seuls M. Walker et M. Leroux en avaient le pouvoir. On ne peut se baser sur un courriel de M. Poirier pour établir une observation faite à la fonctionnaire.

66 L´autre partie à la convention collective est l´Institut et non la fonctionnaire. Le grief a trait à l´application de la convention collective, par conséquent, les déclarations auraient dû être faites strictement à l´Institut. L´employeur soutient qu´il n´a fait aucune promesse en particulier à la fonctionnaire. Le 13 mai 2004, il a proposé un congé non payé de deux ans ainsi qu´une prolongation d´un an, et a discuté du Régime de pension de retraite. Ni M. Walker ni M. Leroux n´ont jamais déclaré à la fonctionnaire qu´ils approuveraient de nouvelles demandes de congé non payé ou de tout autre type de congé en vertu de la convention collective. Une promesse n´existe que si elle est non ambiguë. Pour la fonctionnaire, une promesse explicite ou implicite de l´employeur ne constitue pas une ambiguïté. Sur ce point, l´employeur cite Pronovost c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 93, et Dubé c. Canada (Procureur général), 2006 CF 796.

67 L´employeur affirme que dans sa lettre du 19 mai 2004, il n´avait abordé que les conditions relatives aux années de service ouvrant droit à pension; cela n´impliquait pas qu´il prolongerait indéfiniment le congé non payé de la fonctionnaire. Les renseignements transmis par l´employeur ne constituaient pas la promesse qu´il n´aurait pas recours à la convention collective pour exercer son pouvoir discrétionnaire de prolonger le congé. Le fait que la fonctionnaire n´ait pas compris ce point n´équivaut pas à une promesse à laquelle l´employeur est tenu. L´employeur soutient que M. Walker a déclaré que la pratique consiste à accorder un congé non payé de deux ans avec la possibilité d´une prolongation d´un an. Cette règle a été appliquée dans le cas de la fonctionnaire. L´employeur affirme que sa lettre à Mme Auclair n´était qu´une lettre et non une promesse, et qu´elle portait sur la pension.

68 L´employeur argue que la fonctionnaire aurait dû conclure une entente écrite avant son départ pour le Bahreïn. Il était imprudent de sa part de se fier exclusivement à un échange de lettres. Elle a tiré de chaque lettre seuls les extraits qui lui étaient favorables. De plus, si la fonctionnaire était si certaine que son congé non payé serait prolongé, pourquoi a-t-elle demandé sa prolongation au lieu de simplement informer l´employeur de son intention de le prolonger? L´affirmation de la fonctionnaire selon laquelle l´employeur avait approuvé une prolongation du congé en 2004 est incompatible avec le fait qu´elle a demandé, en 2007, que l´employeur l´informe des critères d´acceptation de ce congé. Cela, affirme l´employeur, contredit l´argument du principe de préclusion.

69 L´employeur affirme que la fonctionnaire a agi avec témérité en acceptant un poste au Bahreïn et en y déménageant sa famille, sachant qu´il était possible que son emploi ne soit pas prolongé pour plus de deux ans. La fonctionnaire a admis que le fait que l´employeur lui ait accordé une prolongation de son congé non payé au-delà de la première période de deux ans n´avait été qu´un des critères qui avaient joué dans sa décision d´accepter le poste au Bahreïn. S´il lui importait tant de cotiser au titre de sa pension de retraite jusqu´à 2012, la fonctionnaire avait le choix de conserver son statut de fonctionnaire excédentaire et d´accepter que son nom soit placé sur une liste de priorité d´embauche de la Commission de la fonction publique. En acceptant une prolongation de son contrat au Bahreïn, la fonctionnaire acceptait de prendre le risque que son congé non payé ne soit pas reconduit. Sa décision n´obligeait pas l´employeur à accepter de ce fait de prolonger son congé non payé. Comme dans Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, rien n´indique que l´employeur a accepté les conditions de renouvellement que la fonctionnaire a fait valoir à l´arbitrage.

70 L´employeur soutient que son statut de fonctionnaire excédentaire est un faux problème puisque la garantie salariale de la fonctionnaire n´avait qu´une durée d´un an à compter de la date à laquelle son poste avait été déclaré excédentaire. Il était avantageux pour elle d´accepter un contrat de deux ans. L´employeur a fait preuve de générosité lorsqu´il a convenu que dans l´éventualité où la fonctionnaire trouvait, dans la première année, qu´elle n´aimait pas son poste au Bahreïn, elle pourrait revenir au Canada, et qu´il prolongerait son statut de fonctionnaire excédentaire pour la période correspondant à son absence. L´employeur affirme que la fonctionnaire n´a pas renoncé à son statut de fonctionnaire excédentaire. Sa priorité d´embauche auprès de la Commission de la fonction publique a été prolongée jusqu´au 31 mai 2005. Son statut de bénéficiaire de priorité n´était lié à aucune obligation de la part de l´employeur à prolonger son congé non payé au-delà de 2007.

71 L´employeur affirme que la fonctionnaire a changé les motifs sur lesquels reposait son grief. Le litige sur lequel je dois me pencher a trait à la préclusion et non au pouvoir discrétionnaire, c´est pourquoi l´argumentation présentée dans Burchill est pertinente. Les éléments de preuve examinés ne sont pas les mêmes dans un litige portant sur le pouvoir discrétionnaire, question que la fonctionnaire n´a pas soulevée avant l´arbitrage. Sur la question du pouvoir discrétionnaire, l´employeur affirme que Achakji c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166­02­25895 (19950127) constitue un précédent pertinent. Dans ce cas, l´arbitre de grief a confirmé la décision de l´employeur de ne pas accorder le congé discrétionnaire.

72 L´employeur explique que les frais associés à la prolongation du congé non payé de la fonctionnaire étaient de nature administrative et liés au Régime de pension de retraite. Le gouvernement du Canada assume des coûts lorsque le nombre d´années de service ouvrant droit à pension d´un fonctionnaire augmente. L´obligation continue comprenait l´augmentation à apporter aux droits de pension de la fonctionnaire à cause de ses cotisations supplémentaires à la caisse de retraite ainsi que le coût correspondant à son droit de présenter un grief aussi longtemps qu´elle demeurait une employée de la fonction publique fédérale.

73 L´employeur affirme que M. Leroux avait le droit de prendre en compte la totalité de la période durant laquelle la fonctionnaire s´est absentée du BSIF, y compris durant ses affectations au Comité de Bâle et au Centre de Toronto. Ces affectations correspondaient à différents types de congé, mais il s´agissait chaque fois d´un congé non payé, lequel avait trait à la probabilité que la fonctionnaire revienne au BSIF à titre d´employée à la fin de son affectation au Bahreïn, et aux avantages ou désavantages pour le BSIF si elle continuait de travailler au Bahreïn. Les rapports que la fonctionnaire a offert de présenter au BSIF étaient peu susceptibles de justifier l´acceptation d´un congé non payé supplémentaire de cinq ans.

74 L´employeur soutient que M. Leroux a pris en considération les courriels de M. Poirier et de M. Walker, mais que ces derniers ne l´ont pas incité à modifier sa décision de ne pas accorder à la fonctionnaire un congé non payé au-delà du 30 mai 2008. L´employeur précise que ce qui distinguait le cas de M. Hubert de celui de la fonctionnaire est que l´affectation de M. Hubert pendant son congé autorisé de six ans présentait des avantages pour le BSIF. La fonctionnaire a mal jugé de l´applicabilité du précédent de M. Hubert à sa situation. La prolongation de son affectation au Bahreïn ne profitait nullement au BSIF, ce qui a été un facteur important dans la décision de l´employeur de refuser de prolonger son congé non payé.

75 L´employeur affirme qu´il a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire et que sa décision de ne pas prolonger le congé non payé de la fonctionnaire n´était pas arbitraire, abusive ou discriminatoire, mais plutôt fondée sur des facteurs légitimes. L´employeur me demande de rejeter la demande ainsi que le grief.

C. Réponse de la fonctionnaire s´estimant lésée

76 La fonctionnaire réplique que Mark et Vidlak peuvent être écartées parce qu´elles ont été jugées dans des circonstances très différentes. Dans Mark, le fonctionnaire s´estimant lésé avait déjà pris son congé avant de demander qu´il soit reconnu comme congé de maladie. Dans Vidlak, la décision a été rendue sur la foi d´arguments écrits sans que la preuve du demandeur ait été entendue. Un témoignage oral est suffisant pour satisfaire au fardeau de la preuve imposé à la fonctionnaire.

77 La fonctionnaire s´oppose à l´interprétation de l´employeur selon laquelle un motif de préclusion ne peut être invoqué qu´à propos des différends entre l´employeur et l´Institut ou du fait que M. Poirier ne pouvait parler au nom de l´employeur. M. Walker a approuvé le courriel que M. Poirier a envoyé à la fonctionnaire, et ces deux personnes parlaient au nom du BSIF. La fonctionnaire cite Ontario (Ministry of Labour) v. O.P.S.E.U. (Sutherland), (2008), 179 L.A.C. (4e) 387, à l´appui de sa position.

78 Cette affaire n´a pas pour objet de déterminer si on contrevient à la convention collective, lorsqu´un employé conclut une entente avec son employeur. Le congé demandé était conforme à la convention collective. Aucun des motifs liés à la politique des relations de travail n´a mené à conclure que les déclarations de la fonctionnaire nuisaient à la relation de négociation.

79 En réponse à l´argument de l´employeur voulant qu´elle aurait dû en 2004 demander des clarifications à propos de sa position, la fonctionnaire estime que les déclarations de l´employeur étaient claires et qu´elles ne nécessitaient pas de clarifications. La fonctionnaire n´a demandé que l´employeur explique les motifs de son refus qu´après qu´il ait changé sa position.

80 En réponse à l´argument de l´employeur selon lequel la fonctionnaire avait demandé une prolongation de son congé non payé au lieu de simplement en informer l´employeur, elle affirme qu´elle a avisé comme suit l´employeur de son intention de prolonger son congé non payé au-delà du 31 mai 2007, le 30 mai 2007 : [traduction] « […] la présente a pour but de vous informer de mon intention […] ».

81 La fonctionnaire refuse d´admettre qu´elle aurait obtenu des avantages supplémentaires, comme l´affirme l´employeur, en acceptant de verser les cotisations de l´employeur en plus des cotisations de l´employé pendant cinq ans, jusqu´en 2012. Cela n´entraînerait aucun coût supplémentaire à l´employeur puisque la fonctionnaire se chargerait des deux cotisations.

82 Finalement, la fonctionnaire répond que M. Leroux n´avait pas pris en considération le précédent établi par M. Hubert à son juste mérite. Sa décision était arbitraire.

IV. Motifs

A. À propos de la question du respect des délais du grief

83 L´employeur s´est opposé à ma compétence à entendre et trancher le grief, alléguant que ce dernier avait été déposé hors délai. L´employeur a affirmé que le grief avait été déposé neuf mois après le [traduction] « refus définitif » du 25 juin 2007 de la part de l´employeur de prolonger le congé non payé de la fonctionnaire. D´autre part, la fonctionnaire a fait valoir que le délai prenait effet en avril 2008, alors que son employeur mettait en œuvre sa décision. Sur ce point, la fonctionnaire se fondait sur les conseils de son avocat et de l´Institut. Ces arguments soulèvent la question de la date à laquelle le grief a pris effet.

84 La jurisprudence de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique, qui a précédé la Commission actuelle, à propos de la matérialisation des questions est à l´appui des conseils prodigués à la fonctionnaire par son conseiller juridique et son syndicat.

85 Toutefois, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) tend à adopter un point de vue moins technique et à permettre le dépôt de griefs dans des cas pour lesquels l´employeur s´est prononcé de manière définitive. Par exemple, dans l´affaire relativement récente Fraternité internationale des ouvriers en électricité c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 36, les fonctionnaires s´estimant lésés ont contesté le fait que l´employeur a donné par courriel à trois d´entre eux l´ordre de travailler des quarts de soir et de nuit durant des essais en mer à venir, ce qui contrevenait à leur convention collective. L´employeur s´est opposé à la compétence d´un arbitre de grief à entendre le grief, en soutenant qu´aucun employé n´avait été lésé avant d´être obligé à se présenter à son poste de travail. L´arbitre de grief a refusé l´argument de l´employeur selon lequel le grief était prématuré, et a conclu qu´il avait la compétence nécessaire. Dans Sweiger c. Conseil du Trésor (ministère de l´Environnement), 2011 CRTFP 44, la convention collective précise que « [l]´employé-e désigné […] pour remplir des fonctions de disponibilité doit […] pouvoir rentrer au travail aussi rapidement que possible ». Le fonctionnaire s´estimant lésé s´est plaint du délai de réponse de 45 minutes imposé par l´employeur et l´employeur s´est opposé au caractère arbitrable du grief, en soutenant qu´il était prématuré. L´arbitre de grief a conclu qu´en fonction de la procédure de règlement des griefs du ministère, l´employeur croyait que le grief soulevait une question réelle mise en cause par les parties et qu´il n´avait pas évoqué le caractère prématuré du grief à la première occasion.

86 Il n´est pas inhabituel que l´employeur demande qu´un grief soit rejeté à cause de son caractère prématuré et que l´arbitre de grief doive ensuite décider du moment où le grief s´est concrétisé. Souvent, la décision est de nature technique et ne permet pas aux fonctionnaires de présenter des griefs à propos des contraventions à la convention collective pouvant se produire à l´avenir. Les fonctionnaires doivent plutôt attendre jusqu´à ce que l´employeur passe de la parole aux actes et gérer la violation a posteriori. Alors que l´employeur soutient que le grief n´est pas présenté en temps opportun, il aurait accepté d´affirmer qu´il était prématuré si la fonctionnaire l´avait déposé en novembre 2007.

87 Je ne suis pas d´accord avec une approche aussi théorique à l´interprétation du caractère prématuré du grief, et préfère adopter une approche plus réaliste qui n´oblige pas la fonctionnaire à attendre une infraction réelle. Lorsque l´employeur décide de prendre une mesure sans équivoque et la communique clairement, et que le fonctionnaire juge que cette mesure contrevient à la convention collective, le fonctionnaire est en droit de présenter un grief : Fabrene Inc. v. Northern Independent Union (grief Mantha) [1998], O.L.A.A. no 635. Conformément à l´article 208 de la LRTFP, un employé a le droit de formuler un grief au sujet de « l´interprétation ou l´application » de la convention collective par l´employeur. Dans le présent cas, la fonctionnaire s´est estimée lésée par l´interprétation de la convention collective annoncée par l´employeur. Bien que la Commission ait récemment admis des griefs dits prématurés par l´employeur, elle serait disposée à accepter que l´agent négociateur de la fonctionnaire lui conseille attendre une infraction « réelle » à la convention collective avant de déposer un grief. La Commission a récemment refusé des arguments de l´employeur de ce type sur le caractère prématuré, mais n´est pas allée jusqu´à dire que le délai de dépôt d´un grief était lié uniquement à la violation annoncée et que tout grief déposé après un délai de 25 jours à la suite de l´annonce était hors délai.

88 En résumé, selon la jurisprudence, la fonctionnaire a agi de manière raisonnable en suivant les conseils de son avocat et de son syndicat. Toutefois, selon la jurisprudence récente, elle n´avait pas à attendre la fin de son congé.

89 Alors la question revient à déterminer si elle devrait être pénalisée pour avoir suivi leurs conseils. Sur la question du respect des délais, je suis d´avis que la fonctionnaire a tort puisque le fait de suivre un (mauvais) conseil d´un avocat n´a pas pour effet de prolonger les délais. Toutefois, le fait d´avoir suivi le conseil d´une personne de confiance et en qui il faut conséquemment se fier devient un critère à considérer dans la demande portant sur la prolongation du délai.

90 Le fait de suivre un conseil inadéquat d´un représentant n´a pas pour effet de motiver un retard dans le dépôt d´un grief (quoiqu´il s´agisse d´un facteur à considérer dans toute demande de prolongation d´un délai). Toutefois, je ne suis pas prête à dire que dans ce cas le conseil donné à la fonctionnaire était clairement erroné. Quoi qu´il en soit, je n´ai pas à me prononcer sur le fait que la fonctionnaire avait l´obligation de formuler un grief en novembre 2007, comme l´allègue l´employeur, puisque j´ai pris la décision d´accorder à la fonctionnaire une prolongation du délai de dépôt de son grief.

B. À propos du bien-fondé de la prolongation du délai

91 La clause 29.08 de la convention collective prévoit un délai de 25 jours pour le dépôt d´un grief, comme suit :

29.08 L´employé peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite au paragraphe 29.02 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié verbalement ou par écrit de l´action ou des circonstances donnant lieu au grief ou la date à laquelle il en prend connaissance pour la première fois.

92 Nonobstant les dispositions de la convention collective, le président de la CRTFP a, en vertu de l´alinéa 61b) du Règlement, le pouvoir de relever par souci d´équité une partie des conséquences de son défaut de respecter le délai fixé à chaque palier de la procédure de règlement des griefs.

93 Les critères ci-dessous sont généralement pris en compte lorsqu´il s´agit de déterminer s´il convient de proroger un délai afin de vérifier par souci d´équité :

  1. si le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  2. la durée du retard;
  3. la diligence raisonnable du demandeur;
  4. l´équilibre entre l´injustice causée au demandeur, si la prorogation est refusée, et le préjudice que subit le défendeur, si la prorogation est accordée
  5. les chances de succès du grief.

94 Ces critères ont pour la première fois été énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, et ont plus récemment été appliqués dans Vidlak, Mark, Lagacé, Grouchy, Antonopoulos, Jarry et d´autres cas cités par les parties.

95 Comme en témoigne Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81, l´importance accordée à chacun des critères n´est pas nécessairement la même. Les faits du cas déterminent la manière dont ils sont appliqués et la valeur probante accordée à chacun.

96 Voici comment j´ai appliqué ces critères au présent cas.

1. Raisons claires, logiques et convaincantes pour le retard

97 Le grief conteste la décision de l´employeur de ne pas accorder la prolongation du congé non payé de la fonctionnaire en vertu d´une disposition de la convention collective négociée par les parties concernant les conditions de travail des employés. Le dépôt du grief suivant un long échange de lettres avec plusieurs représentants du BSIF, qui répondaient chacun selon sa perspective du déroulement des opérations. Après avoir examiné l´échange de lettres, j´ai constaté qu´il était difficile de savoir qui était autorisé à parler au nom de l´employeur. M. Walker a déclaré qu´il était la seule personne autorisée à accorder un congé payé à la fonctionnaire, mais M. Leroux [traduction] « était responsable du dossier de la fonctionnaire aux fins de ses demandes de renseignements ». Toutefois, Mme Demers et Mme Charette ont aussi fourni des renseignements à la fonctionnaire.

98 J´ai examiné la correspondance à partir de la date à laquelle M. Walker a exercé son pouvoir de refuser la demande de prolongation du congé sans solde de la fonctionnaire.

99 Le 30 mai 2007, la fonctionnaire a informé l´employeur de son intention de prolonger son congé sans solde jusqu´au 31 mai 2008 parce que son contrat auprès de la Banque centrale de Bahreïn avait été prolongé jusqu´au 25 mai 2008. Le 3 juin 2007, elle a reçu une lettre de Mme Demers, conseillère en rémunération et avantages sociaux, indiquant que sa demande de prolongation pour un an serait accordée, ce qui portait la durée totale du congé à quatre ans (2005 et 2006, plus un an pour 2007, plus une année supplémentaire pour 2008). Le 8 juin 2007, M. Leroux a prolongé officiellement le congé sans solde jusqu´au 25 mai 2008, en précisant que la fonctionnaire cesserait d´être une employée du BSIF après cette date et qu´elle ne bénéficierait plus du statut prioritaire après le 25 mai 2009. Le 15 juin 2007, la fonctionnaire a écrit à l´employeur pour lui signifier que les conditions exprimées par la lettre de M. Leroux contredisaient son entente avec M. Walker. Le 25 juin 2007, un courriel de Mme Charette informait la fonctionnaire du fait que l´employeur ne recevrait pas d´autres demandes de congé non payé après le 25 mai 2008 (date remplacée par le 30 mai 2008). Le 5 octobre 2007, M. Leroux a informé la fonctionnaire du fait qu´un congé non payé peut être approuvé, cas par cas, en fonction des exigences opérationnelles et organisationnelles. Le 5 novembre 2007, la fonctionnaire a demandé des clarifications quant aux critères utilisés pour l´acceptation des demandes de congé non payé. M. Leroux a fourni une réponse détaillée le 20 novembre 2007. C´est alors que la fonctionnaire a retenu les services d´un avocat.

100 Cette série d´événements, ainsi que le courriel interne du BSIF daté du 6 juin 2007 qui admettait que sa correspondance avec la fonctionnaire était vague, m´ont mené à croire que la fonctionnaire avait été informée le 19 novembre 2007 du refus de l´employeur de prolonger son congé non payé au-delà du 31 mai 2008. À mon avis, le délai pour le dépôt d´un grief a commencé à cette date. La fonctionnaire a déposé son grief le 30 mai 2008, soit six mois et demi plus tard.

101 La fonctionnaire a avancé trois motifs convaincants pour ne pas avoir déposé son grief immédiatement. Le premier était qu´elle tentait d´obtenir des conseils juridiques, ce qui n´était pas aisé du fait qu´elle demeurait à l´extérieur du pays et dans un autre fuseau horaire. Le second était qu´elle n´avait pas communiqué avec l´Institut parce qu´elle ne croyait pas avoir droit à être représentée par le syndicat puisqu´elle n´avait pas versé de cotisations syndicales depuis neuf ans. Le troisième était que son avocat et son représentant l´avaient informée que la date limite du dépôt d´un grief était le 30 mai 2008.

102 Comme en témoigne Mark, en général, les motifs ou les circonstances donnant lieu à un grief relèvent d´un moment précis et ne peuvent pas motiver une prolongation du fait de circonstances autres que la décision de l´employeur. Le délai pour le dépôt d´un grief n´est pas unilatéralement prolongé parce qu´un employé tente de convaincre l´employeur d´infirmer ou de modifier sa décision.

103 Toutefois, dans ce cas, je suis prête à concéder que les circonstances dans lesquelles se trouvait la fonctionnaire, soit sa présence dans un pays éloigné, où les communications sont retardées, sont suffisamment convaincantes pour m´inciter à prendre en considération ses tentatives de dépôt d´un grief. Je crois qu´il est plausible que la fonctionnaire ait tenté de connaître les raisons du refus de l´employeur à prolonger son congé non payé avant de déposer un grief puisque, selon sa compréhension, l´employeur avait apparemment changé sa position depuis 2004. Cela s´avère particulièrement vrai en raison des conséquences de la prolongation de son emploi au Bahreïn.

104 Je prends note du fait qu´après avoir été informée des motifs de l´employeur, la fonctionnaire a communiqué avec un avocat après le 19 novembre 2007. Son témoignage n´était pas contredit du fait que Mme Auclair, dont elle avait précédemment retenu les services, n´était pas disponible. La fonctionnaire a reçu les conseils de son avocat en mars 2008 et a ensuite déposé officiellement le 12 mars 2008 une demande de congé non payé conformément à la convention collective. Elle a ensuite demandé l´avis de l´Institut. Elle a suivi les conseils de son avocat et de l´Institut. Quoiqu´il ne s´agissait pas des meilleurs conseils dans les circonstances, elle ne peut être blâmée pour les avoir suivis. Bien que ses démarches aient pris du temps, elles démontrent qu´elle avait l´intention de déposer un grief et, à mon avis, qu´il s´agit de motifs logiques et convaincants pour expliquer le retard dans le dépôt du grief.

2. Durée du délai

105 L´employeur a affirmé que la fonctionnaire avait la possibilité d´utiliser le télécopieur, le téléphone et le courriel pour déposer un grief. L´employeur a aussi soutenu que la fonctionnaire n´avait pas affirmé son intention de déposer un grief avant le 30 mai 2008, ce à quoi il a ajouté qu´elle aurait pu consulter la convention collective pour prendre connaissance de ses droits. Enfin, il a souligné que les arbitres de grief avaient refusé la prolongation du délai de dépôt d´un grief même dans des cas extrêmes d´incapacité mentale.

106 Ces arguments ne prennent pas en compte le fait que la fonctionnaire habitait dans un pays éloigné et qu´elle n´avait pas un accès immédiat à un délégué syndical. La preuve présentée par l´employeur ne contredit pas le témoignage de la fonctionnaire selon lequel elle n´avait pas toujours un accès immédiat à des moyens de communication ou qu´il lui avait fallu du temps pour trouver un avocat adéquat. Rien n´indique que le délai a causé un préjudice à l´employeur. Aussi, la réponse de l´employeur au grief, datée du 5 novembre 2008, n´a été présentée que quelque cinq mois après le dépôt du grief. Je considère également que la nature du grief ne soulève pas une situation de fait préjudiciable à l´employeur. L´employeur était pleinement en mesure de présenter une preuve sur le bien-fondé du grief. Par conséquent, je conclus que, dans les circonstances, le retard n´a pas d´importance.

3. Diligence raisonnable du demandeur

107 Pour les motifs exposés précédemment, je suis d´avis que la fonctionnaire a agi avec diligence dans les circonstances. Sa correspondance avec l´employeur posait des questions pertinentes et elle a cherché à obtenir des clarifications en cas de doute. Les réponses qu´elle a reçues de la part de différentes personnes du BSIF n´étaient pas tout à fait claires. Bien que les conseils inopportuns de son avocat soient responsables d´une grande partie du délai, je ne suis pas prête à rejeter la demande pour cette seule raison. En conclusion, j´estime que la fonctionnaire a agi de manière cohérente et qu´elle n´a jamais renoncé à ses droits.

4. Équilibre entre l´injustice causée au demandeur et le préjudice que subit l´employeur

108 Comme il a été expliqué plus tôt, puisque l´employeur a eu l´occasion de présenter le bien-fondé de sa position, je ne crois pas qu´il ait subi de préjudice en raison du retard dans le dépôt du grief. En fait, le préjudice subi par la fonctionnaire dans le cas où je n´accepterais pas sa demande l´emporterait largement sur le préjudice subi par l´employeur.

5. Chances de succès du grief

109 En général, ce facteur n´exige pas un examen approfondi du bien-fondé du grief, hormis lorsqu´il s´agit de déterminer si un fonctionnaire présente une cause défendable. En l´espèce, la demande de prolongation du délai et le bien-fondé du grief ont été entendus simultanément. Pour les motifs suivants, je suis d´avis que le grief soulève une question défendable, à savoir si l´employeur a contrevenu à la convention collective.

110 À ce propos, je conclus que le retard dans le dépôt du grief était causé par des raisons indépendantes de la volonté de la fonctionnaire. Je conclus que, dans les circonstances, un retard de six mois était raisonnable parce que l´employeur savait que la fonctionnaire souhaitait prolonger son congé non payé pour cinq années supplémentaires. Par conséquent, la fonctionnaire ne devrait pas être privée de son recours au dépôt d´un grief et à son renvoi à l´arbitrage.

B. Le bien-fondé du grief

111 Le grief soulève les deux questions suivantes : l´employeur a-t-il été empêché par préclusion de prolonger le congé non payé de la fonctionnaire à cause de ses déclarations antérieures, et l´employeur a-t-il usé de son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable lorsqu´il a refusé de prolonger le congé non payé de la fonctionnaire?

1. Préclusion

112 La clause 17.15 de la convention collective stipule comme suit que l´employeur peut accorder un congé, payé ou non, pour des motifs autres que ceux précisés dans la convention collective :

À sa discrétion, l´employeur peut accorder :

[…]

b) un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

113 Le principe de préclusion repose essentiellement sur la doctrine de l´équité, laquelle exige que trois conditions soient satisfaites. Premièrement, une des parties, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donne des assurances. Deuxièmement, la promesse ou les assurances sont destinées à modifier les rapports juridiques des parties. Troisièmement, la partie à qui la promesse a été faite ou les assurances ont été données prend une mesure ou change sa position sur la foi de ces déclarations. Par conséquent, si une partie agit sur la foi de la promesse ou des assurances, alors l´autre partie ne peut pas revenir sur ses déclarations et agir comme si elle ne les avait pas faites. La partie qui avance l´argument du principe de préclusion a le fardeau de la preuve.

114 J´appliquerai ces principes au présent cas. L´employeur, par ses paroles ou sa conduite, a-t-il fait une promesse ou donné des assurances à la fonctionnaire? Sur ce point, la preuve importante précède l´acceptation par la fonctionnaire de l´offre d´emploi au Bahreïn, puisqu´elle soutient avoir alors agi sur la foi d´une promesse lui ayant été faite ou des assurances lui ayant été données.

115 L´échange de lettres qui suit a eu lieu du 23 mars 2004 au 19 mai 2004. La première lettre de l´avocate de la fonctionnaire, Mme Auclair, datée du 23 mars 2004, à Mme Pasteris, la surintendante auxiliaire, énonce les attentes de la fonctionnaire. Le 31 mars 2004, Mme Pasteris a répondu à Mme Auclair comme suit :

[…]

La présente fait suite à la demande de congé présentée par Mme Joanne Prévost en vue d´une affectation à l´Agence monétaire de Bahreïn, comme il est précisé dans votre lettre du 23 mars 2004. Nous sommes fiers de l´intérêt manifesté par Mme Prévost pour demeurer des nôtres et nous reconnaissons que dans le contexte actuel, cette affectation sera avantageuse pour elle. En principe, nous accorderons à Mme Prévost un congé non rémunéré d´une durée de deux ans.

À la fin de cette période, Mme Prévost aura droit à un poste de niveau RE-06 à Ottawa ou à Toronto, ou elle sera déclarée excédentaire, conformément à la Politique de réaménagement des effectifs du BSIF. Pour ce qui est des autres modalités du congé, nous sommes disposés à offrir ce qui suit à Mme Prévost :

[…]

116 Dans sa réponse du 16 avril 2004, Mme Auclair a demandé la clarification suivante :

[…]

Cependant votre lettre ne mentionne pas si Mme Prévost serait en mesure de se faire octroyer une extension de son congé sans solde, lui permettant de contribuer aux différents régimes, tels que détaillés dans votre lettre, au-delà de la période initiale du congé de deux ans. Suite à une discussion que Mme Prévost a entretenue avec M. Gary Walker de votre bureau, ce dernier lui a confirmé qu´elle pourrait en effet se prévaloir de cette option, mais perdrait son statut d´employée excédentaire, et que son nom serait toutefois inscrit sur une liste prioritaire de la Commission de la fonction publique pendant un an, suivant son retour au pays. Nous vous demandons de confirmer cette interprétation face au renouvellement possible du congé sans solde.

[…]

117 Le 29 avril 2004. Mme Pasteris a répondu ce qui suit :

[…]

Nous confirmons, ainsi que Gary Walker l´a indiqué à madame Prévost lors d´un entretien, que celle-ci pourra renouveler son congé sans solde d´une durée de deux ans.

Madame Prévost conservera son statut d´employée du BSIF pendant toute la durée du congé qui lui est accordé, ce qui lui permettra de continuer de contribuer au régime de retraite et de bénéficier du régime d´avantages sociaux.

Toutefois, ainsi que nous le précisions dans notre première lettre, si madame Prévost décide de se prévaloir d´une prolongation à ce congé sans solde, elle perdra son poste et son statut d´employée excédentaire au BSIF à son retour au pays. À son retour, son nom sera inscrit à la liste prioritaire de la Commission de la Fonction publique si le BSIF est toujours assujetti à la Loi sur l´emploi de la fonction publique.

[…]

118 Le 13 mai 2004, M. Walker a confirmé certaines conditions du congé non payé de la fonctionnaire comme suit :

[Traduction]

La présente concerne votre demande de congé autorisé en vue d´une affectation auprès de l´Autorité monétaire de Bahreïn. Le Bureau vous accorde un congé autorisé du 31 mai 2004 au 31 mai 2006. Selon nos discussions :

Pendant la durée de ce congé, et d´une prolongation d´un an (jusqu´au 31 mai 2007), vous cotiserez au régime de pension de retraite de la fonction publique à taux simple (part de l´employé seulement).

Si vous retournez au BSIF au plus tard le 31 mai 2005, vous conserverez votre statut actuel de fonctionnaire excédentaire conformément à la Politique sur le réaménagement des effectifs du BSIF.

Si vous retournez au BSIF après le 31 mai 2005, vous perdrez votre statut de fonctionnaire excédentaire, mais aurez le statut de bénéficiaire de priorité pendant un an conformément au paragraphe 30(1) de la Loi sur l´emploi dans la fonction publique.

Si, à la fin de la période de priorité, vous n´avez pas été nommée à un autre poste, conformément au paragraphe 30(4) de la Loi sur l´emploi dans la fonction publique, vous cesserez d´être une employée.

Si vous souhaitez prolonger votre congé au-delà du 31 mai 2007, vos contributions au titre de la pension et des autres avantages sociaux seront à taux double à compter de cette date. Quoi qu´il en soit, veuillez nous aviser par écrit de vos intentions au moins trois mois avant la fin de votre affectation.

Cette entente remplace celle présentée dans la lettre du BSIF adressée à Ann-Julie Auclair en date du 31 mars 2004.

[…]

119 Le 19 mai 2004, M. Poirier, au nom de M. Walker, a envoyé à la fonctionnaire un courriel disant ce qui suit :

[Traduction]

Joanne,

En réponse à la question que vous avez posée hier à Gary à propos de la pension, veuillez prendre note du fait que la limite fixée pour la période totale de CNP ouvrant droit à pension est de cinq ans d´équivalent temps plein de CNP, en excluant les CNP pris en raison de maladie et les cas de CNP pour les employés en détachement.

Lorsqu´un cotisant atteint la limite fixée pour le montant total de CNP ouvrant droit à pension, toute période de CNP supplémentaire (sauf pour les CNP pris en raison de maladie et les cas d´employés en détachement) n´ouvre pas droit à pension.

Par conséquent, dans votre cas, le congé en cause est considéré comme un cas d´employé « en détachement » et n´est pas touché par cette règle. Toutefois, toute prolongation de la période de CNP au-delà du 31 mai 2007 sera considérée comme un « CNP personnel » et la période limite de cinq ans s´appliquera à compter de cette date.

N´hésitez pas à me demander des renseignements supplémentaires à cet égard si nécessaire.

[…]

120 Se fondant sur ces déclarations, la fonctionnaire a accepté l´emploi au Bahreïn pour une première période de deux ans.

121 D´après l´échange de lettres, j´ai compris que le BSIF était prêt à accorder à la fonctionnaire un congé non payé de deux ans qui pouvait être prolongé. Durant les trois premières années, elle n´assumerait que la part de l´employé des cotisations aux régimes de retraite et d´avantages sociaux. Si le congé non payé était prolongé pour plus de trois ans, c´est-à-dire au-delà du 31 mai 2007, la fonctionnaire assumerait ensuite les parts de l´employeur et de l´employé des cotisations aux régimes de retraite et d´avantages sociaux, pour une période maximale de cinq ans.

122 D´après cette correspondance, je conclus que l´employeur donnait à la fonctionnaire, par ses paroles ou sa conduite, des assurances que son congé non payé serait prolongé au-delà de la première période de deux ans jusqu´au 31 mai 2007 et ensuite pour une période de cinq ans ouvrant droit à pension. L´employeur ne fait pas mention de son intention de limiter le congé non payé de la fonctionnaire à deux ans plus une prolongation d´un an et on ne pouvait pas s´attendre à ce que la fonctionnaire en suppose l´existence.

123 Les conditions selon lesquelles la fonctionnaire pouvait retourner au travail étaient suffisamment claires pour que je ne prenne pas en considération l´argument de l´employeur selon lequel elle avait été sotte d´accepter un poste au Bahreïn. À mon avis, les parties avaient conclu une entente mutuellement avantageuse, et la fonctionnaire avait le droit de s´appuyer sur les déclarations de l´employeur, sûrement faites de bonne foi. Par conséquent, l´employeur ne peut pas revenir sur sa parole et agir comme s´il n´avait pas fait une promesse ou donné des assurances. Dans ce cas, je conclus que la fonctionnaire s´est acquittée du fardeau de la preuve pour un argument fondé sur la préclusion.

124 Je rejette aussi l´argument de l´employeur selon lequel un argument fondé sur la préclusion ne peut intervenir qu´entre un employeur et un agent négociateur. Sur ce point, je souscris pleinement aux conclusions dans Ontario (Ministry of Labour) v. SEFPO (Sutherland). Dans ce cas, on a refusé à la fonctionnaire s´estimant lésée un arrangement portant sur une semaine de travail comprimée promis durant les entrevues d´embauchage. À la suite d´un examen de la jurisprudence en ce qui a trait à la question de l´invocation de la préclusion fondée sur une promesse résultant d´une déclaration alléguée ne mettant pas en cause le syndicat en tant qu´autre partie à la convention collective, l´arbitre Dissanayake a fait remarquer que Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (1995), 27 O.R. (3e) 135, est toujours valable en droit. Il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Nonobstant l´interdiction de conclure des contrats individuels prévue par la loi, les tribunaux ont reconnu la compétence des arbitres dans l´application du principe de préclusion, dans les circonstances appropriées, pour accorder une réparation à un employé sur la base d´une déclaration faite à cette personne par l´employeur.

Il poursuit et cite ensuite un extrait de la décision de la Cour divisionnaire se rapportant au cas SEFPO :

[Traduction]

[…] En fait, il est peu probable qu´une autre tribune soit offerte dans le cas où les conseils d´arbitrage refusent les réclamations de ces employés. D´un autre côté, les arbitres du travail font l´objet d´un choix mutuel des parties en raison de leur expertise en matière de relations de travail et les tribunaux de griefs permanents, comme la Commission de règlement des griefs, ont acquis une expertise impressionnante en la matière. La Commission, par conséquent, est mieux en mesure de déterminer l´incidence de la politique de recours par des employés régis par cadre légal à ce principe de préclusion en particulier. Quoique le rejet du grief puisse être appuyé par des considérations de principe pertinentes en matière de relations de travail, aucun pouvoir de contrainte n´a obligé la Commission à prendre la décision qu´elle a prise. Il est clair que la fonctionnaire a été traitée injustement. La Commission doit prendre la responsabilité du règlement de son grief, peu importent les résultats.

[…]

125 On me demande ici de concilier les objectifs d´un juste traitement pour la fonctionnaire et le respect des principes liés aux relations de travail qui soutiennent les relations collectives entre l´employeur et le syndicat. La fonctionnaire a présenté une demande se fondant sur une conception traditionnelle de la préclusion, et je suis convaincue qu´il est censé du point de vue des relations de travail qu´une décision manifestement déraisonnable à son égard soit corrigée. Je conclus que l´employeur a créé chez la fonctionnaire des attentes à savoir qu´une prolongation de son congé non payé au-delà d´une première période de deux ans serait acceptée. La fonctionnaire était soumise à la seule restriction de devoir assumer les parts de l´employeur et de l´employé des cotisations aux régimes de retraite et d´avantages sociaux si le congé non payé était prolongé au-delà de trois ans, c´est-à-dire au-delà du 31 mai 2007.

126 Je reconnais que rien dans la convention collective ne garantit un droit absolu à un congé non payé. Toutefois, en l´espèce, l´employeur a décrit à la fonctionnaire les modalités d´une prolongation d´un congé non payé en fonction de ses cotisations aux régimes de retraite et d´avantages sociaux. L´employeur n´a pas fait mention de sa prérogative d´accepter ou de refuser une prolongation avant qu´elle se soit fondée sur ses déclarations pour agir à son détriment. Dans ces circonstances, le principe de préclusion vaut et, à mon avis, ne modifie pas la convention collective et ne s´y oppose pas. La fonctionnaire a demandé un congé non payé en se basant sur les droits offerts par la convention collective. Les conditions n´étaient ni plus favorables ni moins favorables que celles de la clause 17.15 ou celles accordées à M. Hubert. Le consentement de l´employeur au congé demandé n´a aucunement touché l´état de la convention collective ni nui au statut d´agent négociateur exclusif de l´Institut. Cela a été démontré par le fait que l´Institut a activement défendu au nom de la fonctionnaire la mesure selon laquelle l´employeur serait empêché par préclusion de revenir sur ses déclarations.

127 Par conséquent, je conclus que, dans les circonstances, la balance penche clairement du côté du redressement d´une iniquité manifeste à l´endroit de la fonctionnaire. En outre, je conclus qu´aucune considération de la politique liée aux relations de travail ne va à l´encontre de l´application du principe de préclusion et que j´ai donc compétence pour me prononcer sur le grief sur la base du principe de la préclusion invoqué par l´Institut.

2. À savoir si l´employeur a déraisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu´il a refusé de prolonger le congé non payé de la fonctionnaire

128 Les principes régissant l´exercice du pouvoir discrétionnaire de la direction ont été bien résumés par l´arbitre Swan dans Kawartha Pine Ridge District School Board, comme suit :

[Traduction]

[…]

Lorsqu´ils évaluent l´exercice du pouvoir discrétionnaire de la direction, les arbitres s´en sont généralement remis aux principes du droit administratif relatifs à l´usage approprié du pouvoir discrétionnaire. Il est généralement admis que ces principes sont les suivants : 1) La décision doit être prise de bonne foi et indépendamment de toute discrimination. 2) Il doit s´agir d´un exercice authentique du pouvoir discrétionnaire par opposition à une approche rigide de la politique. 3) Il faut tenir compte du bien-fondé de la demande soumise à l´examen. 4) Il faut considérer tous les faits pertinents et, réciproquement, écarter les considérations non pertinentes […]

[…]

129 En l´espèce, j´accepte que la décision de l´employeur ait été prise de bonne foi et indépendamment de toute discrimination et qu´elle constituait un exercice légitime de son pouvoir, comme prévu dans la convention collective. J´accepte également que l´employeur ait pris en considération le bien-fondé de la demande de congé non payé de la fonctionnaire au-delà du 2008. Cependant, à mon avis, l´employeur a omis de tenir compte de faits importants qui distinguaient le cas de la fonctionnaire d´autres cas plus élémentaires. Le 20 novembre 2007, M. Leroux a écrit à la fonctionnaire ce qui suit à propos des motifs du refus du BSIF à prolonger son congé non payé :

[Traduction]

Johanne,

J´espère que la présente lettre vous fournira tous les renseignements dont vous avez besoin pour bien comprendre la position du BSIF dans cette affaire.

Un congé non payé est une absence temporaire des fonctions, non payée, accordée à un fonctionnaire fédéral lorsque le fait d´assurer la continuité de l´emploi procure un avantage direct à l´organisation et que cet avantage l´emporte sur le coût et l´obligation continue. De plus, la nature temporaire du congé non payé signifie que le gouvernement du Canada s´attend à ce que l´employé retourne à son service et qu´il aura acquis des connaissances et une expérience précieuse qui lui permettra de rehausser son apport à la fonction publique.

D´après nos dossiers, depuis le 13 novembre 1998, vous avez été soit en congé non payé soit en détachement à l´exception d´une période de quatre mois pendant lesquels vous travailliez pour le BSIF. Bien qu´un congé de quelques années puisse s´avérer avantageux pour l´organisation, une absence prolongée n´est pas perçue comme étant avantageuse puisque ses désavantages (coût et obligation continue) l´emportent sur ses avantages.

En outre, votre courriel indique clairement que vous demandez un congé non payé supplémentaire de cinq ans dans le but d´augmenter vos prestations de retraite. Nous estimons que nous vous avons déjà permis d´augmenter largement votre service ouvrant droit à pension au cours des 10 dernières années durant vos affectations à l´étranger, et bien que votre travail a certainement de l´importance, il n´est pas « au service des Canadiens ». De plus, les cotisants au Régime de pension de retraite ne devraient pas avoir à assumer le fardeau du coût accru de votre pension lors de votre retraite.

Finalement, comme je vous l´ai mentionné durant une de nos discussions, à titre de directeur des ressources humaines et de l´administration, je suis chargé de représenter la « direction » dans le traitement de ce type de questions et de l´informer de notre position. Afin de le tenir au courant, je transmets une copie de ce courriel à Bob Hanna.

J´espère que cela répond à vos questions et vous souhaite tout le succès possible dans vos projets.

[Je souligne]

130 Le fait que la fonctionnaire avait été absente pendant neuf ans lorsqu´elle a demandé une prolongation supplémentaire de son congé non payé n´est pas contesté. Je suis d´avis que les motifs de son absence ajoutent une autre dimension aux motifs de sa demande d´une prolongation. La fonctionnaire s´est d´abord absentée de 1998 à 2001 pour une affectation auprès du Comité de Bâle, un poste obtenu à la suite d´un concours interne organisé par le BSIF. Même si elle était physiquement absente des bureaux du BSIF, elle restait au service du BSIF puisqu´elle le représentait au sein du Comité. À son retour de la Suisse, on lui a attribué un poste qui restait à définir; elle devait créer le poste. Rien n´indique ce qu´il est advenu de ce poste. De sa propre initiative, elle a trouvé un emploi correspondant mieux à ses compétences au Centre de Toronto, permettant au BSIF de remplir son obligation d´appuyer « en nature » les activités du Centre. À nouveau, même en étant physiquement absente du BSIF, elle acquérait [traduction] « […] des connaissances et une expérience précieuses qui lui permettrait de rehausser son apport à la fonction publique ». Après cette affectation, au moment de son retour au BSIF, elle a été déclarée excédentaire. Bien que ces affectations aient été considérées comme relevant de congés non payés, elles se situaient dans le mandat du BSIF, et la fonctionnaire était [traduction] « […] détachée auprès d´une autre organisation dans l´intérêt de l´employeur » comme M. Poirier l´a mentionné à M. Walker dans un courriel interne daté du 18 mai 2004. L´employeur ne peut certainement pas blâmer la fonctionnaire de son absence durant ces affectations. Je conclus que les délibérations de l´employeur à l´égard de la prolongation du congé autorisé non payé de la fonctionnaire ne sont pas pertinentes.

131 L´échange de courriels suivant à propos de la demande d´accès à l´information de la fonctionnaire est révélateur :

[Courriel de M. Poirier à M. Walker en date du 18 mai 2004]

[Traduction]

Gary,

D´après ce que j´ai compris de votre lettre à Johanne, vous avez approuvé son congé du 31 mai 2004 au 31 mai 2006 et ce congé est considéré comme « UN DÉTACHEMENT AUPRÈS D´UNE AUTRE ORGANISATION DANS L´INTÉRÊT DE L´EMPLOYEUR » … et vous avez offert la possibilité d´une prolongation d´un an jusqu´au 31 mai 2007 que je suppose aussi considérée comme UN DÉTACHEMENT, etc.

Toutefois, si le congé autorisé se prolonge au-delà du 31 mai 2007, nous changeons le motif de son congé : Il s´agira dorénavant d´un congé pour « raisons personnelles » et elle devrait cotiser à taux double…

Si je comprends la situation correctement,

que dois-je répondre à sa question d´hier… des suggestions

[…]

[Réponse de M. Walker, en date du 19 mai 2004]

Je crois qu´il s´agit d´une interprétation juste des règles, mais je n´emploierais pas l´expression DANS L´INTÉRÊT DE L´EMPLOYEUR dans mes communications avec Joanne [sic]. Nous lui permettons de cotiser à taux fixe parce qu´elle a convenu de démissionner après trois ans, et non parce que nous profiterons de l´expérience qu´elle a acquise, ce qui reflète l´intention du libellé.

132 En me fondant sur cet échange de courriels et sur les échanges cités aux paragraphes 108 et 111 de la présente décision, je suis d´avis que, en dépit du fait que l´employeur comprenait qu´il accordait un congé non payé de deux ans pouvant être renouvelé pour un an seulement, il n´avait pas communiqué ce fait à la fonctionnaire. La lettre de M. Walker, datée du 13 mai 2004, adressée à la fonctionnaire, est ouverte lorsqu´elle énonce : [traduction] « Au cas où vous désiriez prolonger votre congé au-delà du 31 mai 2007 […] » Le courriel de M. Poirier du 19 mai 2004 adressé à la fonctionnaire dit que la limite fixée pour la période totale de CNP ouvrant droit à pension est de cinq ans d´équivalent temps plein de CNP aux fins du service ouvrant droit à pension et que la fonctionnaire serait considérée comme étant en détachement jusqu´au 31 mai 2007 et en congé non payé pour raisons personnelles pour les cinq années suivantes. Le 8 juin 2007, M. Leroux a prolongé le congé non payé de la fonctionnaire jusqu´en 2008 – contrairement à la durée de deux ans prolongée d´un an précédemment précisée, mais à titre de congé non payé pour des raisons personnelles. Le 25 juin 2007, Mme Charette a envoyé un courriel à la fonctionnaire confirmant la période supplémentaire d´un an jusqu´au 31 mai 2008, et affirmant pour la première fois qu´aucune demande supplémentaire de congé non payé ne serait prise en considération.

133 Selon la preuve non contestée, la fonctionnaire a demandé un emploi auprès de la Banque centrale de Bahreïn par l´entremise d´un concours international parce qu´elle avait été déclarée excédentaire par le BSIF et que le BSIF ne lui avait offert aucun emploi et n´avait pas communiqué avec elle plusieurs semaines après qu´elle ait été déclarée excédentaire. M. Walker a admis qu´en mai 2004 aucune offre d´emploi n´avait été proposée à la fonctionnaire. Aucune preuve n´a été présentée pour confirmer que des efforts avaient été fournis pour trouver un autre emploi à la fonctionnaire durant son congé non payé. M. Walker était disposé à accepter l´affectation de la fonctionnaire au Bahreïn parce qu´elle avait pour conséquence de mettre fin à la permanence de son emploi auprès du BSIF après trois ans. Étant donné que l´employeur n´avait aucun emploi intéressant à offrir à la fonctionnaire à son retour de la Suisse, qu´il l´a déclarée excédentaire à son retour du Centre de Toronto, qu´il a admis ne pas avoir proposé d´offre d´emploi au moment où elle a accepté un emploi au Bahreïn et que son affectation lui serait avantageuse parce qu´il n´aurait pas à la réembaucher, je ne vois pas comment je pourrais blâmer la fonctionnaire de l´absence de continuité d´emploi pendant neuf ans et m´attendre à ce qu´elle retourne au service du gouvernement du Canada après son affectation au Bahreïn. En vérité, le cas de la fonctionnaire a été soumis à des circonstances exceptionnelles et l´employeur aurait dû les prendre en considération dans sa décision.

134 M. Leroux a déclaré qu´un des motifs du refus d´accorder une prolongation à la fonctionnaire était constitué par le fardeau administratif lié à la gestion continue de sa demande, ce qu´il désignait par le coût des [traduction] « formalités administratives ». Il a admis qu´il n´en avait pas chiffré le coût. Un autre des motifs cités était l´obligation continue entraînée par l´accroissement éventuel des prestations de pension de la fonctionnaire pour le gouvernement du Canada et d´autres cotisants à la caisse de retraite. M. Leroux a admis ne pas avoir pris en considération le fait que le BSIF avait économisé la valeur de sept mois de salaire de la fonctionnaire à titre de fonctionnaire excédentaire, qu´il n´avait pas calculé le coût supplémentaire assumé par le gouvernement du Canada et les cotisants au régime de retraite et qu´il n´avait pas cherché à déterminer l´incidence du fait que les cotisations de l´employeur au titre de sa pension de retraite seraient assumées par la fonctionnaire.

135 Compte tenu du fait que l´employeur a négligé d´estimer le coût véritable du congé non payé de la fonctionnaire, je ne suis pas convaincue du fait que ces considérations avaient l´importance alléguée.

136 Le traitement de la demande de prolongation de son congé non payé de la fonctionnaire simplement comme une demande ayant pour but d´obtenir une pension plus généreuse constituait une interprétation déraisonnable de sa demande. À mon avis, l´employeur n´a pas attribué le poids adéquat à sa demande de congé non payé étant donné l´importance qu´il a accordée dans son cas à la prolongation d´un emploi rémunérateur.

137 J´estime que la première acceptation d´un congé non payé a incité la fonctionnaire à croire qu´il serait renouvelé sur demande et sans conditions autres que le fait qu´elle assume la part de l´employeur des cotisations aux régimes de retraite et d´avantages sociaux après trois ans. Les motifs invoqués par l´employeur en 2007 à propos de son refus de prolonger le congé non payé au-delà de 2008 n´ont pas été communiqués clairement à la fonctionnaire dès le début. Si elle avait su que l´employeur n´avait nullement l´intention de lui accorder les avantages prévus par la politique sur les congés décrits dans sa correspondance, je ne peux que spéculer sur ce qu´aurait été la décision de la fonctionnaire en 2004. En outre, l´employeur n´a présenté aucune preuve de l´existence d´une politique écrite au fondement de sa décision. M. Walker déclarait que les demandes étaient traitées cas par cas.

138 En fonction de ces observations, je conclus que, bien que l´employeur ait agi de bonne foi, sa décision de refuser la prolongation du congé non payé de la fonctionnaire n´avait pas correctement pris en compte l´importance du congé demandé ni les circonstances atténuantes justifiant qu´il se montre plus compatissant à l´égard des circonstances de la fonctionnaire. Bien que dans l´exercice de son pouvoir discrétionnaire l´employeur n´ait pas dérogé aux procédures, je conclus qu´il était déraisonnable de refuser la demande de prolongation du congé non payé de la fonctionnaire et que, par conséquent, il s´agissait d´une contravention à la clause 17.15 de la convention collective. Pour cette raison, j´accueille le grief et ordonne à l´employeur d´accorder à la fonctionnaire un congé non payé jusqu´au 31 mai 2012, conformément aux conditions précisées dans l´ordonnance suivante.

139 Pour ces motifs, je rends l´ordonnance qui suit :

V.Ordonnance

140 Le grief est accueilli.

141 L´employeur doit accorder à la fonctionnaire un congé non payé jusqu´au 31 mai 2012, à la condition qu´elle assume les parts de l´employeur et de l´employé des cotisations aux régimes de retraite et d´avantages sociaux pour le reste de la période visée.

142 La fonctionnaire doit recevoir tous les autres avantages qui lui sont dus à titre d´employée du BSIF et de la fonction publique fédérale jusqu´à la fin de son congé non payé.

143 En cas de difficultés dans la mise en œuvre de la présente décision, je demeure saisie de l´affaire pendant une période de 60 jours en vue de mener cette affaire à sa conclusion.

Le 21 octobre 2011.

Traduction de la CRTFP

Michele A. Pineau,
vice-présidente

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