Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a accepté un poste à Dorval et il résidait dans la ville voisine de Pierrefonds durant la semaine; il retournait vivre avec sa famille à Gatineau durant les fins de semaine - son employeur lui a demandé d’assister à deux séances de formation à Ottawa, ce qui l’a obligé à passer la nuit à l’extérieur de sa région d’affectation - il a séjourné à sa résidence familiale de Gatineau et a réclamé une indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial - sa demande a été refusée et il a déposé un grief - l’arbitre de grief a jugé qu’au moment du dépôt de sa demande, le fonctionnaire ne résidait habituellement pas dans sa résidence familiale - l’employeur avait remboursé le fonctionnaire pour ses dépenses de réinstallation à Pierrefonds et avait approuvé les formulaires d’autorisation de voyager qui identifiaient Pierrefonds comme lieu de résidence du fonctionnaire. Grief accueilli. Réparation ordonnée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-10-12
  • Dossier:  566-02-3607
  • Référence:  2011 CRTFP 114

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JEANNOT PILON

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Transports)

employeur

Répertorié
Pilon c. Conseil du Trésor (ministère des Transports)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lloyd Fucile, Association des pilotes fédéraux du Canada

Pour l'employeur:
Michel Girard, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 27 juillet 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1  Le 14 novembre 2008, Jeannot Pilon, le fonctionnaire s’estimant lésé (le «fonctionnaire»), a déposé un grief relativement à un différend qui porte sur le remboursement de nuitées au cours de voyages en service commandé au Canada. Celui-ci repose sur une interprétation de la Directive sur les voyages (la «Directive») du Conseil national mixte (CNM), entrée en vigueur le 1eravril 2008.

II. Résumé de la preuve

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

2 Le fonctionnaire a témoigné pour son propre compte et n’a cité aucun autretémoin.

3 Le fonctionnaire a affirmé avoir été embauché par le ministère des Transports le 2 juin 2008 à titre d’inspecteur de la sécurité de l’aviation civile dans le groupe et au niveau AO-CAI-02. Auparavant, il a été membre de la Gendarmerie royale du Canada durant 31ans.

4 Avant d’être recruté par le ministère des Transports, le fonctionnaire habitait à Gatineau, au Québec, avec sa famille. Puisque le poste obtenu au ministère des Transports se trouvait à Dorval, au Québec, il a décidé de se rapprocher de son nouveau lieu de travail en louant un appartement à Pierrefonds, au Québec, alors que sa famille continuerait d’habiter à Gatineau. Selon le fonctionnaire, son employeur était au fait de cet arrangement. Il a ajouté que lorsqu’il a emménagé dans son appartement de Pierrefonds, on lui a remboursé ses frais de déménagement au titre de la Directive sur la réinstallation du CNM.

5 Même s’il habitait à Pierrefonds du lundi au vendredi, le fonctionnaire a admis en contre-interrogatoire être retourné à Gatineau presque toutes les fins de semaine, sauf lorsqu’il rencontrait sa famille ailleurs pour aller en vacances.

6 Le fonctionnaire a déclaré que son employeur a exigé qu’il assiste à deux séances de formation à Ottawa. La première a eu lieu du 14 au 17 octobre 2008 et la seconde, du 20 au 29 octobre suivant, pour un total de neuf nuitées hors de sa zone d’affectation.

7 Selon le fonctionnaire, avant de quitter sa zone d’affectation à Dorval, il a dû remplir un formulaire Autorisation de voyager et avance, qui détaillait les coûts projetés du déplacement prévu, et obtenir l’approbation de son gestionnaire avant de partir. À son retour, il lui a fallu soumettre une demande d’indemnité officielle pour ses dépenses réelles et toute indemnité à laquelle il avait droit.

8 Le fonctionnaire a soumis un formulaire Autorisation de voyager et avance pour chacun des deux déplacements d’octobre2008. Ces documents détaillaient les dépenses prévues pour l’utilisation d’un véhicule personnel, pour les repas et les faux frais ainsi que pour l'hébergement. Le fonctionnaire a estimé à 450$ le remboursement requis pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial, conformément à la section 3.3.1 de la Directive, ce qui correspond à une indemnité de 50$ pour chacune des neufnuitées.

9 Le gestionnaire du fonctionnaire a approuvé les deux formulaires Autorisation de voyager et avance avant les départs de celui-ci, les 14 et 20 octobre 2008. De plus, le fonctionnaire lui a mentionné avant ses départs et avant d’obtenir son approbation qu’il séjournerait dans sa résidence familiale de Gatineau pour ses séances de formation à Ottawa. Autrement dit, il lui a clairement indiqué qu’il réclamerait l’indemnité de 50$ par nuitée pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial pendant son séjour dans la résidence familiale de Gatineau. Je note que l’employeur n’a pas contesté ces faits.

10 Le fonctionnaire a assisté aux deux séances de formation à Ottawa. À son retour de la seconde, il a soumis ses deux demandes d’indemnité de déplacement à son gestionnaire, et on l’a informé que ses réclamations pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial, pour un total de 450$, n’étaient plus approuvées et ne lui seraient pas remboursées. Toutes ses autres dépenses ont été approuvées et lui ont été remboursées, dont 444,28$ pour l’utilisation de son propre véhicule et 773$ pour ses repas et ses faux frais.

11 Le gestionnaire du fonctionnaire l’a informé qu’il était mal d’empocher 50$ par nuit pour avoir séjourné avec sa famille, dans sa résidence familiale, même s’il était en déplacement.

12 Selon le fonctionnaire, son gestionnaire l’a avisé que s’il avait choisi de séjourner dans un établissement commercial, un hôtel par exemple, comme l’avaient fait ses collègues qui assistaient aux mêmes séances de formation, ses frais d’hébergement auraient été approuvés et lui auraient été remboursés. Il a témoigné que les sommes réclamées et obtenues par ses collègues pour leur séjour à l’hôtel totalisaient en moyenne 150$ par nuitée. On a aussi informé le fonctionnaire que s’il avait choisi de séjourner dans tout autre logement particulier non commercial, chez un ami ou un proche par exemple, l’indemnité de 50$ par nuitée lui aurait été versée. Je note une fois de plus que l’employeur n’a pas contesté ces faits.

13 Le fonctionnaire a reconnu avoir accepté de ne pas soumettre de demande d’indemnisation pour l’hébergement au cours de deux déplacements antérieurs à Ottawa, mais a expliqué qu’on n’avait pas exigé qu’il assiste à ces colloques, ce qu’il a plutôt fait de son propre chef, à des fins de perfectionnement professionnel. Il croyait avoir alors droit à l’indemnité pour hébergement, mais puisqu’il avait séjourné dans sa résidence familiale de Gatineau plutôt qu’à l’hôtel, il avait accepté pour ces déplacements précis de ne pas soumettre d’indemnité.

14 Le fonctionnaire ayant finalement été muté à un poste au sein du ministère des Transports à Ottawa, il a emménagé de nouveau dans sa résidence familiale de Gatineau, où il habite aujourd’hui à plein temps. Au total, il a habité à Pierrefonds durant neufmois.

B. Pour l’employeur

15 Le gestionnaire du fonctionnaire n’a pas été cité à témoigner, ni quiconque du ministère des Transports. L’unique témoin de l’employeur était Suzanne Chalifoux, analyste principale des politiques et des programmes – Participation des syndicats et soutien du CNM – au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, poste qu’elle occupait par intérim depuis janvier 2011. Auparavant, elle était analyste des politiques au sein de la même direction depuis décembre 2006. L’une de ses fonctions principales, tant à son ancien poste qu’à son nouveau, consistait à interpréter les directives relatives aux voyages.

16 Mme Chalifoux n’a eu aucune part directe dans le dossier des demandes d’indemnité de déplacement du fonctionnaire ni n’a collaboré à la rédaction de la directive applicable du CNM. Par conséquent, j’ai jugé l’essentiel de son témoignage comme ayant peu d’utilité.

17 En résumé, Mme Chalifoux a laissé entendre en témoignage que la section 3.3.1 de la Directive vise à prévoir le versement d’une indemnité aux employés qui effectuent un voyage en service commandé et qui choisissent de séjourner avec des amis ou des proches plutôt que dans un établissement commercial. À son avis, il n’a jamais été envisagé qu’un employé ayant décidé de séjourner dans sa propre résidence et de dormir dans son propre lit puisse avoir le droit de réclamer l’indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial. L’intention qui sous-tend la directive, selon Mme Chalifoux, a toujours été de défrayer de leurs frais de déplacement raisonnables les employés qui effectuent un voyage en service commandé et non d’ouvrir la voie au gain personnel.

18 Je souligne que Mme Chalifoux n’a pas été qualifiée de témoin experte et n’a pas été appelée à soumettre de preuve extrinsèque. Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire d’indiquer un seul document pouvant faire la lumière sur l’intention des rédacteurs de la Directive, elle a été incapable de le faire.

19 Mme Chalifoux a reconnu que des situations pouvaient survenir où un employé ayant choisi de séjourner dans une propriété lui appartenant aurait droit à l’indemnité. Elle a donné en exemple le cas d’un employé qui déciderait de séjourner à son chalet: il serait raisonnable de présumer que le rétablissement de l’eau et de l’électricité entraînerait des frais. Elle a aussi affirmé qu’il serait raisonnable de présumer que les employés décidant de séjourner chez des amis ou des proches apporteraient des cadeaux à leurs hôtes et engageraient donc des dépenses légitimes.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

20 Le fonctionnaire estime qu’il devrait pouvoir réclamer l’indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial pour les motifs suivants:

1) il était tenu d’assister aux séances de formation hors de sa zone d’affectation;

2) son employeur savait qu’il habitait en semaine à Pierrefonds;

3) il était tenu, pour suivre les cours, de voyager et de séjourner à l’extérieur de sa zone d’affectation en semaine plutôt que la fin de semaine;

4) il préférait séjourner avec sa famille plutôt que dans un hôtel ou chez des amis ou des proches;

5) il était tout à fait conscient que sa préférence était une solution économique pour son employeur;

6) il a déclaré à son employeur avant son départ son intention de séjourner dans sa résidence familiale de Gatineau;

7) il a demandé et obtenu avant son départ l’approbation de son gestionnaire relativement à l’indemnité.

21 Le fonctionnaire a soutenu que la Directive ne définit d’aucune manière le concept de gain personnel. Il estime qu’il n’y a aucune différence entre séjourner chez un ami, chez un proche et dans une habitation qui lui appartient en partie. Dans ces cas, il est impossible d’assurer un suivi des dépenses.

22 Le fonctionnaire a allégué qu’inciter les employés à séjourner à l’hôtel alors qu’ils préfèrent le faire chez eux envoie un message inapproprié et n’est pas conforme aux principes comptables modernes.

23 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’habitait pas habituellement à Gatineau la semaine. Il était tenu de se rendre à Ottawa en semaine pour suivre les cours. À l’époque, il habitait à Pierrefonds cinqjours par semaine, ce que savait son employeur.

24 De l’avis du fonctionnaire, son séjour dans sa résidence familiale ne lui a apporté aucun gain supplémentaire par rapport à un séjour chez des amis ou des proches. Dans tous les cas, l’indemnité n’est associée à aucune dépense précise ou tangible. Le fonctionnaire reconnaît n’avoir eu aucune somme à débourser pendant son séjour dans sa résidence familiale, mais il en aurait été de même s’il avait séjourné chez des amis ou des proches, car il n’aurait pas été obligé de leur apporter des cadeaux.

B. Pour l'employeur

25 Selon l’employeur, l’objet et la portée de la Directive sont indiqués dans les dispositions générales de cette dernière:

Objet et portée

La présente directive a pour objet de garantir un traitement juste aux fonctionnaires appelés à effectuer des voyages en service commandé conformément aux principes susmentionnés. Les dispositions de la présente directive sont impératives et prévoient le remboursement de dépenses raisonnables qui ont dû être engagées pendant un voyage en service commandé. Ces dispositions font en sorte que les fonctionnaires n’ont pas à engager des frais supplémentaires. Elles ne doivent pas constituer une source de revenu ni de rémunération quelconque, lesquels ouvriraient la voie au gain personnel.

26 L’employeur a fait valoir qu’aucun gain n’est obtenu lorsqu’un employé choisit de séjourner chez des amis ou des proches parce qu’il serait normal qu’il apporte du vin ou un dessert, comme l’a indiqué Mme Chalifoux.

27 En ce qui concerne le fait pour le gestionnaire d’avoir approuvé au préalable les formulaires Autorisation de voyager et avance, l’employeur m’a renvoyé à la section 1.3.1 de la Directive:

1.3 Paiements en trop

1.3.1 Les paiements en trop, notamment les remboursements ou les versements qui ne sont pas conformes à la présente directive, doivent être recouvrés auprès du voyageur à titre de dette à l'État.

28 L’employeur a laissé entendre que le fait pour le gestionnaire d’avoir approuvé au préalable l’indemnité pour hébergement n’était pas déterminant, car la décision à savoir si le fonctionnaire avait droit à l’indemnité ne pouvait être prise qu’en conformité avec les modalités de la Directive, sous peine de causer un paiement en trop. L’employeur a soutenu que comme le fonctionnaire habitait habituellement dans sa maison de Gatineau, celui-ci ne pouvait réclamer l’indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial pendant qu’il y séjournait.

29 À l’appui de cet argument, l’employeur a invoqué Robichaudc.Agence canadienne d’inspection des aliments, 2009 CRTFP 149, et Clarke c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord), dossier de la CRTFP 166-02-13543 (19830518).

30 L’employeur m’a renvoyé plus particulièrement au paragraphe 38 de Robichaud:

[38] La définition de logement particulier non commercial indique entre autres une habitation privée où le fonctionnaire ne loge pas de façon habituelle. M.Robichaud a toujours identifié son habitation à Shippagan comme étant sa résidence, donc l’endroit où il loge habituellement et ce depuis 1982 et encore au moment de son affectation en 2004. Ceci, jumelé à l’objet de la directive que ces dispositions ne doivent pas ouvrir la voie au gain personnel, m’amène à conclure qu’il n’a pas droit au remboursement pour avoir demeuré dans un logement non commercial. L’arbitre dans la décision Clarke c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord), dossier de la CRTFP 166-02-13543 (19830518) en est arrivé à la même conclusion que moi, qui se lit comme suit:

[…] De plus, d’après l’argument présenté à l’audition pour sa défense, il lui suffisait d’être absent de Fredericton pour être considéré comme étant en voyage. Une telle constatation lui permettrait de rester n’importe où dans la région de Moncton, notamment dans sa propre résidence, et de pourvoir [sic] réclamer en toute légitimité un remboursement de ses frais de logement non commercial. Je ne puis accepter un tel principe […]

31 L’employeur a fait valoir que le scénario en cause dans Robichaud correspond à celui de la présente affaire.

32 L’employeur a maintenu que le fonctionnaire habitait normalement dans sa résidence de Gatineau pour les motifs suivants:

1) la résidence appartenait au fonctionnaire;

2) il s’agissait de la résidence familiale, où sa femme et ses enfants habitaient;

3) il y vivait à plein temps avant d’obtenir le poste à Dorval;

4) il y a redéménagé après avoir été muté à Ottawa et y habite encore aujourd’hui;

6) il y retournait la fin de semaine, aussi souvent que possible;

6) lorsqu’il demandait de travailler de la maison, il travaillait depuis la résidence de Gatineau.

33 L’employeur a affirmé que la réclamation du fonctionnaire ne vise pas une dépense raisonnable, que celui-ci n’a engagé aucuns frais supplémentaires et qu’admettre sa demande ouvrirait la voie à un gain personnel, ce qui contreviendrait à l’objet de la Directive.

III. Motifs

34 L’employeur fonde son plaidoyer relatif au gain personnel sur rien de plus qu’une présomption voulant que tout employé réclamant l’indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial remettrait à son hôte des cadeaux dont la valeur correspond à la totalité de l’indemnité demandée, sans quoi il en tirerait un gain personnel. Cet argument n’est pas convaincant.

35 Soutenir qu’un séjour chez des amis ou des proches écarte la possibilité de tirer un gain personnel est tout à fait irréaliste. Devrais-je tenir pour acquis qu’un employé serait tenu d’offrir à son hôte du vin et du dessert à hauteur de 450$ pour avoir passé troisnuitées, puis sixautres chez lui? Je doute qu’il s’agisse là d’une attente normale ou même légitime. Quoi qu’il en soit, on ne m’a fourni aucune donnée ni aucune documentation à l’appui d’une telle proposition, ni aucun élément de preuve relatif à l’intention des rédacteurs de la Directive. Il est impossible de contrôler où a séjourné un employé qui réclame une indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial et quels cadeaux il a offerts, si tant est qu’il en ait offert. On n’a porté à mon attention aucune obligation pour les employés de divulguer le lieu de leur séjour lorsqu’ils réclament une indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial ni de fournir de reçu pour chaque cadeau acheté. Établir une distinction aussi aléatoire ne peut qu’inciter les employés à mentir sur leur lieu de séjour dans de telles circonstances, ce que le fonctionnaire se refusait à faire.

36 Je ne soutiens pas qu’un employé réclamant une indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial pour un séjour dans une résidence qui lui appartient devrait automatiquement y avoir droit. Il faut prendre toute décision de cet ordre au cas par cas, en conformité avec les modalités de la directive applicable. Cependant, un élément ressort du présent cas: le fonctionnaire n’habitait pas normalement dans la résidence de Gatineau lorsqu’il a soumis ses demandes d’indemnité.

37 La Directive définit comme suit un logement particulier non commercial:

Logement particulier non commercial (private non-commercial accommodation) – habitation privée ou établissement non commercial où le fonctionnaire ne loge pas de façon habituelle.

38 Lorsque le fonctionnaire a été appelé à effectuer des voyages en service commandé à Ottawa, il avait sa résidence habituelle à Pierrefonds, du lundi au vendredi, cinqjours par semaine. Pour suivre ses cours, il a dû voyager et dormir hors de chez lui en semaine plutôt que la fin de semaine. De plus, l’employeur était au fait de cet arrangement, ayant remboursé au fonctionnaire ses frais de déménagement à Pierrefonds et approuvé les formulaires d’autorisation de voyager, qui indiquaient le logement de Pierrefonds comme adresse résidentielle. J’estime que le fonctionnaire habitait normalement à Pierrefonds lorsqu’il a été tenu d’effectuer des voyages en service commandé en octobre 2008 et qu’il avait droit à l’indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial qu’il a réclamée, pour un total de 450$. L’employeur n’a produit aucune preuve convaincante indiquant le contraire.

39 La jurisprudence qu’a invoquée l’employeur peut facilement être écartée, le présent cas se distinguant de Robichaud et de Clarke sur divers points fondamentaux. La décision Clarke a été rendue en 1983 et traitait d’une politique sur les voyages du Conseil du Trésor dont le libellé différait de celle ici en cause. La politique traitait de plus des différences entre une résidence principale et une résidence secondaire, une distinction qui n’est plus pertinente au titre de la politique applicable. Surtout, dans Clarke, l’employeur a déposé des preuves montrant que M.Clarke avait toujours affirmé que sa résidence principale se trouvait à Moncton (celle où il avait séjourné une nuitée, pour laquelle il avait réclamé l’indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial) et que le permis de conduire de celui-ci affichait son adresse à Monction, tout comme sa déclaration de revenus. Dans le présent cas, l’employeur n’a soumis aucune preuve de cet ordre.

40 Dans Robichaud, le fonctionnaire s’estimant lésé avait conservé son adresse de Shippagan (la résidence où il avait séjourné une nuitée, pour laquelle il avait réclamé l’indemnité pour l’utilisation d’un logement particulier non commercial) comme adresse postale et à son dossier du personnel auprès de l’employeur. Dans le présent cas, l’adresse du fonctionnaire inscrite sur les formulaires Autorisation de voyager et avance était celle de Pierrefonds et non celle de Gatineau. De plus, dans Robichaud, on avait demandé au fonctionnaire s’estimant lésé de travailler à un projet mené conjointement avec le ministère des Pêches et des Océans qui exigeait qu’il travaille à Shippagan pendant une longue période, septmois, alors qu’il était connu qu’il habitait dans une caravane à Shediac en été et dans un chalet locatif meublé l’hiver. Dans le présent cas, le fonctionnaire a assisté à des séances de formation de courte durée et louait un logement non meublé à Pierrefonds, où il avait apporté ses effets personnels, une dépense dont l’employeur l’avait défrayé. Contrairement à la situation visée dans Robichaud, le fonctionnaire ici en cause n’était pas dans une situation où il aurait pu simplement cesser de louer l’appartement de Pierrefonds et emménager de nouveau dans sa propre maison durant septmois.

41 Une autre différence intéressanteest le fait que, contrairement aux faits en cause dans Robichaud, le fonctionnaire a été défrayé de ses repas, y compris les petits-déjeuners et les dîners, qu’il a pris à sa résidence de Gatineau. Si je respectais la logique de l’employeur, il s’agirait d’un gain personnel substantiel. Pourtant, l’employeur n’a eu aucune difficulté à rembourser ces dépenses. S’il estimait réellement que le fonctionnaire habitait normalement dans sa résidence de Gatineau, il ne lui aurait pas remboursé le repas que celui-ci y a pris.

42 De surcroît, au paragraphe 38 de Robichaud, l’arbitre de grief a conclu que «M. Robichaud a toujours identifié son habitation à Shippagan comme étant sa résidence, donc l’endroit où il loge habituellement […]», ce qui n’était pas le cas ici, comme en témoignent les formulaires Autorisation de voyager et avance, qui portent tous deux l’adresse du fonctionnaire à Pierrefonds, et le fait que ce dernier résidait à Pierrefonds du lundi au vendredi au cours de la période visée.

43 Je conclus que lorsqu’il a soumis ses demandes d’indemnité de déplacement, le fonctionnaire habitait normalement à Pierrefonds.

44 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit:

IV. Ordonnance

45 Le grief est accueilli.

46 J’ordonne à l’employeur de rembourser au fonctionnaire la somme de 450$ qu’il réclame, laquelle correspond à neufnuitées dans un logement particulier non commercial au taux précisé à l’annexe C de la Directive.

Le 12 octobre 2011.

Traduction de la CRTFP

Stephan J.Bertrand,
arbitre de grief

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