Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé sa plainte en mars 2011, peu après avoir été informée de la procédure de plainte prévue par la Loi - elle a allégué que les représentants de son agent négociateur avaient omis de présenter son grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs en 2009 - elle a également allégué que, en juin 2010, elle n’avait pas reçu, de la part des représentants de son agent négociateur, l’appui et les conseils auxquels elle avait droit - les défendeurs ont contesté la plainte, affirmant qu’elle était hors délai - la Commission a conclu que la plainte n’avait pas été déposée à l’intérieur du délai prescrit de 90 jours, puisqu’il n’y a eu aucun manquement allégué au devoir de représentation équitable par les défendeurs durant cette période. Objection accueillie. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-11-14
  • Dossier:  561-02-515
  • Référence:  2011 CRTFP 129

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

JEAN ENGLAND

plaignante

et

TERRY TAYLOR, BARRY STOLAR, LOUISE MARDELL ET FRED SADORI

défendeurs

Répertorié
England c. Taylor et al.

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, vice-président

Pour la plaignante:
Robbie McLellan

Pour les défendeurs:
Helen Nowak, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 8 juin, le 4 août et le 6 octobre 2011.
(Traduction de la CRTFP)

Plainte devant la Commission

1 Le 9 mars 2011, Jean England (la « plaignante ») a déposé une plainte contre Terry Taylor, Barry Stolar, Louise Mardell et Fred Sadori (les « défendeurs »). À différents moments entre 2006 et 2011, les défendeurs ont été des représentants de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »). La plaignante a affirmé que les défendeurs s’étaient livrés à une pratique déloyale au sens de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »). La plaignante a indiqué dans sa plainte que les défendeurs n’avaient pas représenté ses intérêts, car ils ne l’avaient pas conseillée correctement et n’avaient pas assuré sa défense dans le cadre de son différend avec le Service correctionnel du Canada (l’« employeur » ou le SCC).

2 La plainte vise les dispositions suivantes de la Loi :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[…]

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

3 Le 8 juin 2011, les défendeurs ont fait valoir que la plainte était hors délai et que, pour cette raison, elle devrait être rejetée. Ils ont aussi soutenu que la plainte n’avait pas produit une preuve prima facie. Selon les défendeurs, les points en litige précisés dans la plainte n’ont pas été présentés à l’intérieur du délai de 90 jours prévu par le paragraphe 190(2) de la Loi. Ce paragraphe se lit comme suit :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

4 Le 4 août 2011, la plaignante a répliqué aux objections des défendeurs. Le 14 septembre 2011, après avoir examiné les arguments déjà reçus de la part des parties, le greffe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a envoyé, à ma demande, une lettre à la plaignante, dans laquelle il lui demandait de [traduction]« […] fournir des arguments écrits supplémentaires au sujet de l’objection à la compétence des défendeurs fondée sur le respect du délai […] et d’être plus précise pour ce qui est des dates auxquelles se sont produits les incidents à l’origine de la plainte ». Cette lettre mentionnait également que la Commission pourrait se prononcer sur le cas en fonction de ces arguments supplémentaires et des renseignements se trouvant déjà au dossier. Pour donner suite à cette lettre, la plaignante a envoyé des arguments supplémentaires le 6 octobre 2011. 

Résumé des faits allégués sur le respect des délais

5 La plaignante a pris sa retraite de la fonction publique en septembre 2007. Alors qu’elle travaillait pour le SCC, elle considérait que son poste n’était pas classifié de façon appropriée. En décembre 2006, elle a déposé un grief visant à demander à ce que son poste soit reclassifié à un niveau supérieur. Après une longue attente, elle a été informée, en avril 2009, que son grief était partiellement accueilliau deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et que son poste serait reclassifié aux groupe et niveau AS-03, ce qui entrerait en vigueur rétroactivement en août 1996. Lorsque la plaignante a déposé son grief, son poste était classifié aux groupe et niveau AS-02.

6 La plaignante n’était pas satisfaite de la décision de reclassifier son poste au niveau AS-03, car elle croyait qu’il aurait dû être classifié au niveau AS-05. Elle a déposé une plainte contre cette décision auprès du commissaire du SCC en avril 2009. Sa plainte a été renvoyée au bureau de la région des Prairies du SCC, qui a répondu en novembre 2009 que la décision de l’employeur de reclassifier le poste en tant qu’AS-03 demeurerait en vigueur. En janvier 2010, la plaignante a soumis les documents qu’elle avait en sa possession à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). La CCDP lui a répondu en mai 2010, en indiquant qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de discrimination et qu’elle ne disposait que d’un an après sa retraite pour déposer une plainte.

7 En juin 2010, la plaignante a communiqué avec l’agent négociateur afin de donner suite au point en litige. On lui a dit qu’on ne pouvait rien faire parce que le grief n’avait pas été transmis au palier suivant de la procédure de règlement des griefs après avoir été reçu au deuxième palier en avril 2009.

8 En juillet 2010, la plaignante a communiqué avec son député, qui a répondu qu’il ne pouvait pas faire grand-chose, car cela serait perçu comme étant de l’ingérence politique. En septembre 2010, la plaignante a envoyé ses documents à la Commission de la fonction publique et au Conseil du Trésor. Les deux organisations lui ont dit qu’elle devait communiquer avec les responsables du SCC. Le 26 novembre 2010, le commissaire du SCC a réitéré la position antérieure du SCC. En janvier 2011, la plaignante a communiqué avec le Conseil canadien des relations industrielles, qui l’a renvoyée vers la Commission.    

9 La plaignante a fait valoir que les défendeurs ne l’avaient pas informée des questions de respect des délais associées à la transmission d’un grief. Ils n’avaient pas non plus transmis son grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs après que la réponse au grief au deuxième palier a été reçue en avril 2009. De plus, ils ne lui ont pas suggéré de présenter un grief portant sur la rémunération provisoire. Enfin, ils l’ont informée en février 2011 de son droit de déposer une plainte auprès de la Commission.

Résumé de l’argumentation sur le respect du délai

10 Les défendeurs ont soutenu que la plainte n’a pas été déposée à l’intérieur du délai prescrit. La plaignante a accusé les défendeurs de ne pas avoir transmis son grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs en avril 2009, ce qui est manifestement à l’extérieur du délai de 90 jours établi au paragraphe 190(2) de la Loi. Plus tard, en juin 2010, la plaignante a communiqué de nouveau avec les défendeurs pour obtenir leurs conseils et leur soutien. Si la plaignante croyait à ce moment-là que les défendeurs contrevenaient à la Loi, elle avait 90 jours pour présenter une plainte. Elle n’a pas respecté ce délai, puisqu’elle a déposé sa plainte en mars 2011.

11 Les défendeurs m’ont renvoyé aux décisions suivantes : Shutiak c. Syndicat des employé(e)s de l’impôt, 2009 CRTFP 30; Panula c. Agence du revenu du Canada et Bannon, 2008 CRTFP 4; Walters c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2008 CRTFP 106; Martel et al. c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2008 CRTFP 19; Cuming c. Butcher et al., 2008 CRTFP 76.

12 La plaignante a soutenu que l’agent négociateur l’avait informée en février 2011 seulement de son droit de déposer une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi. Elle a déposé sa plainte en mars 2011, soit bien en deçà du délai de 90 jours. En règle générale, le fait d’être avisé en retard ne justifierait pas le non-respect du délai, mais dans le cas présent, l’erreur des défendeurs a causé le non-respect du délai. La quantité considérable de renseignements que les défendeurs ont omis de fournir à la plaignante a directement causé le non-respect du délai.

13 La plaignante a également soutenu que si les défendeurs l’avaient avisée comme il se doit en avril 2009 qu’elle devrait transmettre son grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, elle aurait déposé sa plainte à ce moment-là, car elle n’était pas d’accord avec la décision de l’employeur de reclassifier son poste au niveau AS-03. Toutefois, les défendeurs ne lui ont pas fourni cette information. Quand ils ont informé la plaignante de son droit de présenter une plainte à la Commission, en février 2011, elle n’a pas tardé à le faire.   

Motifs

14 Cette décision porte uniquement sur l’objection des défendeurs selon laquelle la plainte est hors délai. À ma demande, le greffe de la Commission a invité la plaignante à présenter d’autres arguments sur la question du respect du délai. Le greffe de la Commission a avisé la plaignante que la Commission pourrait fonder sa décision sur ces arguments ainsi que sur l’information déjà au dossier. Après avoir examiné le dossier et les arguments des parties, j’ai conclu que j’avais suffisamment d’information pour rendre une décision sur l’objection des défendeurs.

15 Dans ses décisions antérieures, la Commission a conclu à maintes reprises que le délai de 90 jours devait être respecté en tout temps. Au paragraphe 55 de Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, la Commission a déclaré ce qui suit concernant l’interprétation du paragraphe 190(2) de la Loi :

[55] Le libellé de cette disposition revêt manifestement un caractère obligatoire en raison des mots « […] doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours […] ». Aucune autre disposition de la nouvelle LRTFP n’habilite la Commission à proroger le délai prescrit par le paragraphe 190(2). Par conséquent, le paragraphe 190(2) de la nouvelle LRTFP fixe une limite de temps, limitant ainsi le pouvoir de la Commission d’examiner et d’instruire toute plainte selon laquelle une organisation syndicale s’est livrée à une pratique déloyale de travail, au sens de l'article 185 (lequel est mentionné à l’alinéa 190(1)g) de la nouvelle LRTFP), et cela vaut pour les actions ou circonstances dont le plaignant avait connaissance ou, de l’avis de la Commission, aurait dû avoir connaissance, dans les 90 jours précédant la date de la plainte.

16  La seule latitude donnée à la Commission dans l’interprétation du paragraphe 190(2) de la Loi est de déterminer le moment où la plaignante a eu – ou aurait dû avoir – connaissance  des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

17 La plaignante a signé sa plainte le 9 mars 2011. Cela signifie que la plainte doit porter sur des mesures ou des circonstances dont la plaignante a eu ou aurait dû avoir connaissance dans les 90 jours précédents ou, dans ce cas-ci, pas avant le début du mois de décembre 2010. Les mesures ou circonstances attribuables aux défendeurs qui se sont produites avant cette date, et dont la plaignante avait connaissance, ne peuvent faire l’objet de la présente plainte, car elles sont hors délai.

18 Dans sa plainte, la plaignante a parlé de l’omission, par les défendeurs, de transmettre son grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs en avril 2009. Cela s’est donc produit longtemps avant décembre 2010. La plaignante a également fait référence à ses échanges avec les défendeurs, en juin 2010, sur la façon de poursuivre ses démarches relativement au problème de classification. Les défendeurs lui ont alors dit que rien ne pouvait être fait. Ces échanges avec les défendeurs ont également eu lieu avant décembre 2010.

19 En fait, une seule chose s’est produite à l’intérieur du délai de 90 jours : en février 2011, l’agent négociateur a informé la plaignante de son droit de déposer une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi. Contrairement à ce que la plaignante a affirmé dans ses arguments, cela ne peut pas servir de point de départ pour calculer le délai prescrit. Évidemment, l’agent négociateur ne peut être accusé d’avoir enfreint la Loi parce qu’il a informé une employée qu’il a déjà représentée de son pouvoir, en vertu de la Loi, de déposer une plainte contre l’agent négociateur lui-même. Les défendeurs n’avaient pas cette obligation. En outre, selon un principe bien établi, une personne ne peut évoquer l’ignorance de la loi pour justifier le non-respect d’un délai obligatoire. Le délai débutait au moment où la plaignante a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des gestes qu’elle accusait les défendeurs d’avoir commis. Il ne peut commencer la journée où elle a appris qu’elle pouvait déposer une plainte, ni le jour où les défendeurs l’ont informée de l’existence de l’article 190 de la Loi.

20 Les défendeurs devaient assurer une représentation équitable à la plaignante pendant qu’ils agissaient en son nom ou qu’ils l’aidaient avec ses problèmes de classification. Si la plaignante jugeait que les défendeurs avaient manqué à leur devoir de représentation équitable en 2009, elle aurait dû présenter une plainte à la Commission à ce moment-là. La Loi est claire : une plainte doit être déposée à l’intérieur du délai de 90 jours. Le fait que la plaignante n’a appris qu’en 2011 qu’elle pouvait déposer une plainte ne permet pas de prolonger ce délai.

21 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

22 La plainte est rejetée.

Le 14 novembre 2011.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
vice-président

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