Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée a contesté son licenciement en cours de stage - l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief de trancher un grief contestant un renvoi en cours de stage - à l'audience, les parties ont demandé que l’arbitre de grief statue sur la seule question préliminaire à savoir si l’employeur pouvait fonder sa décision sur des faits antérieurs à l’embauche de la fonctionnaire s’estimant lésée - la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas nié les faits, mais elle a allégué que le licenciement était arbitraire - elle a fait valoir qu’au moment reproché avant son stage elle ignorait que ses agissements étaient en contravention des règles de conduite et qu’elle n’avait pas reçu de formation à cet égard - l’employeur a fait valoir qu’aucune formation ne pouvait remplacer les erreurs sévères de jugement commisses par la fonctionnaire s’estimant lésée - l’employeur a fait valoir que la fonctionnaire s’estimant lésée s’était placée dans une situation vulnérable, qu’elle avait entaché l’image de l’employeur et qu’elle avait trahi la confiance de l’employeur - l'arbitre de grief a conclu qu’une règle devait être sans équivoque et clairement communiquée à la fonctionnaire s’estimant lésée - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’y avait aucune preuve convaincante à savoir que la règle avait été clairement communiquée à la fonctionnaire s’estimant lésée avant que les incidents reprochés se produisent et que la fonctionnaire s’estimant lésée devait présumément connaître cette règle - l’arbitre de grief a conclu que les faits reprochés qui étaient antérieurs à l’embauche de la fonctionnaire s’estimant lésée n’étaient pas pertinents à l’analyse de la conduite de la fonctionnaire s’estimant lésée pendant le stage. Déclaration émise.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-12-23
  • Dossier:  566-02-2883
  • Référence:  2011 CRTFP 145

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SYLVIE DOUCET

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Doucet c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Guylaine Bourbeau, Alliance de la fonction publique

Pour le défendeur :
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec),
les 7 et 8 septembre 2011 et par soumissions écrites les 13 et 21 mai 2010.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 La fonctionnaire s’estimant lésée, Sylvie Doucet (la « fonctionnaire »), travaillait pour le Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’employeur) depuis le7septembre 2004. Elle travaillait comme instructrice en buanderie de niveau GS-LAS-05 à l’établissement Leclerc dans la division CORCAN. Après trois années de travail temporaire sur appel, la fonctionnaire a été une de trois candidates nommées à la suite d’un concours. Elle a reçu une lettre d’offre d’emploi pour un poste permanent commençant le 14 mai 2007.

2 Le 18 février 2008, la fonctionnaire a été licenciée en période de stage en raison de conduites non-conforme aux Règles de conduite professionnelle du SCC et au Code de discipline. Ces incidents ont eu lieu en 2004 et 2005 alors que la fonctionnaire était une employée temporaire et sur appel. Le 27 février 2008, la fonctionnaire a déposé un grief contestant son licenciement qui a été rejeté au troisième palier de la procédure de règlement des griefs le 14 avril 2009, d’où le présent renvoi à l’arbitrage le 20mai2009.

3 Le 21 avril 2010, l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief de trancher un grief contestant un renvoi en période de stage, en citant une abondante jurisprudence à l’appui. L’agent négociateur, au nom de la fonctionnaire, a soutenu que l’employeur agissait de mauvaise foi en licenciant la fonctionnaire pour des incidents qui avaient eu lieu plusieurs années avant le licenciement et alors que l’employeur ne lui avait pas donné une formation adéquate avant qu’elle obtienne un postepermanent.

4 À l’audience, les parties ont demandé que je statue sur la seule question de savoir si l’employeur pouvait fonder sa décision sur les faits antérieurs à l’embauche de la fonctionnaire.  La présente décision porte donc uniquement sur la question de savoir si l’employeur pouvait fonder sa décision sur incidents qui ont précédé l’embauche de la fonctionnaire comme employée indéterminée.

II. Témoignage de Gilles Turcotte

5 Gilles Turcotte était, au moment du licenciement de la fonctionnaire, directeur régional du Québec pour le programme CORCAN, une de cinq régions administratives au Canada. Il a occupé ce poste entre 2000 et 2003 et ensuite en 2008-2009 avant de prendre sa retraite. Il avait sous sa direction huit unités de programme. M.Turcotte a témoigné que le CORCAN est un organisme de service spécial du SCC dont l’effectif est composé de délinquants sous responsabilité fédérale dans des établissements de sécurité moyenne et maximale. Le CORCAN donne à ces individus l’occasion d’acquérir des compétences de travail susceptibles de faciliter leur réinsertion dans la population active à leur sortie d’un établissement fédéral. Entre autres, les ateliers servent à la fabrication de certaines choses, dont des meubles de bureau, ou l’apprentissage de certains métiers. Le programme dont faisait partie la fonctionnaire était un service de buanderie qui dessert 37 centres d’hébergement pour personnes âgées dans la grande région de Montréal. La buanderie est ouverte tous les jours entre 7 h et 22 h et fonctionne comme une entreprise privée. On enseigne à des personnes qui n’ont jamais été sur le marché du travail les habitudes d’un travailrégulier.

6 Le service de buanderie de l’établissement Leclerc comprend 122 détenus et une vingtaine d’employés instructeurs qui donnent la formation aux détenus sur le fonctionnement d’une buanderie. Puisqu’il n’était pas sur les lieux, mais à la direction régionale à Laval, M. Turcotte ne faisait pas la supervision directe des employés instructeurs de la buanderie, mais dépendait du directeur-adjoint de l’établissement pour ce faire. M.Turcotte partageait la direction des employés de la buanderie avec le directeur de l’établissement. Le directeur de l’établissement était responsable de la sécurité de l’établissement tandis que M. Turcotte était responsable des métiers. C’est la direction de l’établissement Leclerc qui a fait enquête sur le comportement de la fonctionnaire qui a donné lieu à son licenciement.

7 M. Turcotte a expliqué que chaque employé du SCC a une description de travail qu’il doit signer au moment de son embauche et qui précise les tâches qui lui sont assignées et ses responsabilités au niveau de la sécurité de l’établissement. La direction locale est responsable de la formation des nouveaux employés. Les employés de la buanderie ne sont pas armés, mais ils disposent de moyens pour se protéger. M.Turcotte a déposé en preuve une description de travail. Il a témoigné qu’elle s’appliquait à la fonctionnaire. En tant que personne qui faisait du remplacement, la fonctionnaire avait les mêmes tâches que les employés réguliers et, en principe, elle devait recevoir la même formation qu’eux.

8 M. Turcotte a souligné qu’il y a un encadrement des détenus qui ne fait pas partie de la description de travail et qui comprend l’aspect de la sécurité du public. L’encadrement des détenus est très strict en vue d’éviter des bris de la sécurité de l’établissement. La formation des nouveaux employés comprend une formation générale donnée par un superviseur la première journée d’emploi y compris une formation sur l’importance de l’intégrité physique des collègues de travail, suivie par des formations obligatoires.

9 M. Turcotte a décidé de licencier la fonctionnaire après avoir pris connaissance en novembre 2007 de deux incidents qui ont eu lieu avant l’embauche de la fonctionnaire à titre d’employée permanente.

10 Le premier incident a trait à une correspondance s’étalant sur cinq mois avec un détenu incarcéré à l’établissement Leclerc. La fonctionnaire a utilisé une case postale sous un nom d’emprunt pour ce faire.  

11 Le deuxième incident a trait au fait que la fonctionnaire avait accepté d’aller porter un bijou appartenant à la conjointe d’un détenu. Comme les bijoux ne sont pas permis dans l’établissement, la fonctionnaire était présumée avoir transporté à l’extérieur de l’établissement un bijou qui y était entré illégalement.

12 M. Turcotte a fondé sa décision de licencier la fonctionnaire sur la base du résumé de l’enquête d’un agent de renseignement de l’établissement, Richard Frereault qui a été déposé en preuve.

13 M. Turcotte a jugé que les faits de l’enquête révélaient que la fonctionnaire manquait de jugement par rapport à la sécurité de l’établissement et les valeurs du SCC. M. Turcotte a témoigné qu’il aurait congédié tout employé ayant eu un comportement semblable, que l’employé soit en cours de stage ou non. Il a trouvé particulièrement répréhensible le fait que la fonctionnaire ait ouvert une case postale sous un nom d’emprunt, ce qui à son avis démontrait une volonté de cacher ses actions à l’employeur.

14 M. Turcotte était d’avis que le fait que les incidents se soient produits trois ans avant que la fonctionnaire obtienne sa permanence, alors qu’elle avait seulement un statut temporaire, n’avait aucune pertinence. Le lien de confiance était brisé et irréversible, puisque la fonctionnaire pouvait de nouveau tomber sous le joug d’un détenu. Qui plus est, elle était devenue à risque de faire la contrebande d’armes ou de stupéfiants. M. Turcotte a témoigné que les incidents de contact personnel avec un détenu sont tout aussi répréhensibles que ceux associés à un casier judiciaire. Tout comme le SCC n’embauche pas des personnes ayant un casier judiciaire, le SCC ne garde pas les personnes qui ont enfreint aux consignes de sécurité du SCC. C’est le licenciement immédiat.

15 M. Turcotte a témoigné qu’il ne trouvait pas crédible que la fonctionnaire n’ait reçu aucune formation sur la sécurité de l’établissement avant d’obtenir sa permanence. De toute façon a-t-il dit, elle avait sûrement reçu un encadrement au départ tout comme il l’avait eu à son entrée en fonction au SCC comme officier. En raison du milieu dangereux dans lequel travaillent les employés du SCC, tous, sans exception, reçoivent une formation de départ qui comprend les conséquences des relations avec les détenus. Le fait que la fonctionnaire venait tout juste de commencer son emploi au moment où se sont produits les incidents n’excusait pas un manque de jugement aussi flagrant. M. Turcotte a témoigné avoir présumé qu’à partir d’un tel manque de jugement, d’autres incidents du même genre se soient produits sans qu’il en ai eu connaissance.

16 En contre-interrogatoire, M. Turcotte a expliqué que la fonctionnaire avait obtenu plusieurs contrats avant d’obtenir sa permanence. Il a dit que la fonctionnaire avait sans doute signé une description de travail comme tous les autres employés du SCC, tant lorsqu’elle a été embauchée à contrat que lorsqu’elle a obtenu sa permanence. Toutefois, il ne pouvait en être certain puisqu’il n’était pas à l’établissement Leclerc. Il a témoigné que la sécurité de l’établissement est aussi une question de gros bon sens. M. Turcotte était convaincu que la fonctionnaire avait signé un contrat type pour chaque période de travail temporaire puisque c’est le document qui assure la paie d’un employé.

17 M. Turcotte a avoué ne pas avoir rencontré la fonctionnaire avant de la licencier. Il s’est appuyé sur le rapport de M. Frereault et les aveux de la fonctionnaire. La date des incidents lui importait peu.

18 À la question à savoir s’il avait considéré des circonstances atténuantes, M.Turcotte a répondu que lorsqu’une personne se comporte comme la fonctionnaire, il ne peut y avoir de circonstances atténuantes. Selon M. Turcotte, le bijou était du matériel de contrebande et il n’y avait qu’un pas à faire pour que la fonctionnaire devienne une mule. À son avis, les regrets exprimés par la fonctionnaire ne constituaient pas des circonstances atténuantes. L’excellent rendement au travail n’était pas non plus une circonstance atténuante.  La fonctionnaire a été licenciée pour son manque de jugement et non en raison de son rendement. M. Turcotte a avoué ne pas avoir pris connaissance du rapport préparé par le superviseur de la plaignante concernant la décision de la licencier.

III. Témoignage de la fonctionnaire s’estiment lésée

19 La fonctionnaire a témoigné qu’elle travaille actuellement pour une clinique chiropratique. Entre deux contrats avec le SCC, elle a travaillé comme factrice pour Postes Canada et avant cela elle avait travaillé comme secrétaire pendant 20 ans pour l’entreprise de son père.

20 Lorsqu’elle a débuté comme instructrice en buanderie à temps partiel en septembre2004, elle avait un contrat de 125 jours. En septembre 2005, tous les contrats ont été remis à des périodes de 90 jours à compter de janvier 2006. Elle a obtenu un poste permanent en 2007. La fonctionnaire a expliqué qu’elle n’a reçu aucune formation autre que celle sur la supervision du travail des détenus.

21 La fonctionnaire a témoigné ne pas avoir reçu la copie de la description de travail déposée en preuve par l’employeur. Sa signature n’y apparaît pas. Au moment de son embauche comme employée temporaire et pour chaque renouvellement de contrat, elle signait un contrat type de deux pages. Elle a reçu une lettre d’offre qu’elle a signée lors de son embauche comme employée permanente. Elle a ensuite commencé une formation de plusieurs jours en octobre 2007, concernant la sécurité au SCC, le code d’éthique et les comportements à éviter avec les détenus.

22 La fonctionnaire a avoué avoir échangé trois ou quatre lettres avec un détenu pendant quelques mois et que la correspondance s’est terminée en mars ou avril 2005. Le détenu avait demandé de lui écrire car il ne voulait pas se confier à quelqu’un à l’intérieur de l’établissement. À cette époque-là, la fonctionnaire vivait une séparation difficile et commençait un nouveau travail sans beaucoup d’aide morale. Elle ne voyait pas le mal à ce moment-là d’une correspondance entre homme et femme. Elle ne croyait, ni ne comprenait, que cette correspondance pouvait avoir une incidence sur la sécurité du SCC. À la suggestion d’une amie chère, la fonctionnaire a ouvert une case postale sous un nom d’emprunt afin que le détenu ne connaisse pas son adresse personnelle et qu’elle ne reçoive pas cette correspondance à la maison.

23 La fonctionnaire a déclaré qu’un autre détenu avait entendu dire qu’elle devait se rendre à Pointe-aux-Trembles. Il lui a demandé si elle consentirait à apporter une chaine d’une valeur sentimentale à sa conjointe qui habitait à Pointe-aux-Trembles. Pour rendre service au détenu, la fonctionnaire a accepté. La conjointe lui a offert un montant d’argent que la fonctionnaire a refusé. La fonctionnaire a témoigné que dans la buanderie, presque tous les détenus portent un bijou quelconque. Un troisième détenu l’a téléphoné chez elle pour lui demander si elle voulait entretenir une relation téléphonique. Elle lui a dit de ne plus jamais lui téléphoner à la maison.

24 La fonctionnaire a témoigné qu’après avoir reçu la formation, elle s’est rendu compte que l’incident concernant l’échange de correspondance et celui de la livraison du bijou allaient à l’encontre du code d’éthique du SCC. Elle a expliqué qu’elle se sentait tellement honteuse qu’elle n’osait en parler à personne car elle craignait le jugement de ses collègues de travail s’ils apprenaient ce qu’elle avait fait.

25 On a questionné la fonctionnaire sur la question de sa vulnérabilité. Elle a déclaré qu’elle devait contrôler le travail, donner des instructions aux détenus, voir à la propreté et à la sécurité; elle passait six heures par jour à la buanderie avec eux. Ils avaient tous des situations à raconter et elle tentait de leur démontrer de l’empathie en jasant un peu avec eux. Comme elle n’avait reçu aucune formation sur la question de s’abstenir de contact personnel avec un détenu, elle n’a pas réalisé que d’avoir une correspondance avec un détenu ou livrer un bijou pouvait avoir des conséquences sur la sécurité générale de l’établissement. Elle a témoigné que depuis sa séparation, elle a appris à maîtriser ses émotions et sa vulnérabilité.

26 La fonctionnaire a expliqué les circonstances entourant la tenue de l’enquête sur l’incident de l’échange de correspondance en 2007. Son amie qui lui avait suggéré d’ouvrir la case postale conservait les lettres de la fonctionnaire. Celle-ci avait demandé à plusieurs reprises à la fonctionnaire de la recommander pour un poste temporaire au SCC. Elle a éventuellement obtenu un poste temporaire. Elle a postulé un poste permanent en même temps que la fonctionnaire. La fonctionnaire a obtenu un poste, mais pas  son amie. Entre-temps, un détenu a offert à la fonctionnaire 500 $ pour le visiter dans les roulottes qui servent aux détenus lors des visites. La fonctionnaire a refusé. Le détenu est revenu à la charge et la fonctionnaire a préparé un rapport d’offense contre lui. Puisqu’elle n’avait pas obtenu un poste permanent et qu’elle connaissait l’information concernant le rapport d’offense, l’amie a dénoncé au SCC une lettre faisant partie de la correspondance ayant lieu en 2004-2005. La lettre a été remise à la section de la sécurité préventive de l’établissement. Une enquête a été menée et la fonctionnaire a été licenciée.

27 Le soir où la fonctionnaire a été licenciée, son superviseur l’a rencontrée et, à la suite de leur conversation, il a immédiatement préparé un rapport expliquant qu’elle était une excellente employée et qu’elle n’avait pas reçu de formation en sécurité avant d’obtenir sa permanence.

28 En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a reconnu avoir ouvert une case postale sous un faux nom. Elle a admis que la lettre du détenu remise à l’employeur avait des allusions intimes, mais a expliqué que ses lettres étaient plus réservées. Elle a expliqué que l’échange était entre un homme et une femme et non entre le SCC et elle.  Elle a admis avoir eu un moment de vulnérabilité et qu’elle a beaucoup regretté par la suite. Elle a déclaré qu’elle ne ferait plus jamais une chose pareille.

29 La fonctionnaire a reconnu avoir signé une déclaration concernant les Règles de conduite professionnelle du SCC au moment de son embauche au SCC en 2004. Elle a précisé qu’on lui avait demandé de signer un document à la hâte sans lui donner le temps de le lire et sans lui en remettre une copie. Lorsqu’elle a demandé une copie, on lui a répondu qu’elle devait discuter de ses préoccupations avec ses superviseurs. La fonctionnaire a déclaré avoir reçu une copie des Règles de conduite professionnelle du SCC et avoir pris connaissance du Code de discipline seulement au moment de son embauche, plus précisément lors de sa formation comme employée permanente.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

30 L’employeur soutient que depuis Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, le fardeau de la preuve de l’employeur justifiant le licenciement en période de stage a été considérablementréduit.

31 L’employeur n’a qu’à faire la preuve de l’existence du stage et que le renvoi a été fait pendant ce temps. Le fardeau est ensuite renversé et la fonctionnaire doit faire la preuve que le licenciement n’est pas lié au stage et qu’il s’agit d’un subterfuge.

32 En l’espèce, la fonctionnaire était en stage au moment de son licenciement. Rien dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la«Loi») n’empêche l’employeur de tenir compte de faits antérieurs pour décider si l’employée a les aptitudes nécessaires pour occuper le poste. Il n’y a aucune jurisprudence qui dicte le contraire.  Dans Tello, l’arbitre a maintenu le licenciement en tenant compte de motifs de licenciement extérieurs au travail.

33 Dans le cas de la fonctionnaire, les faits n’ont été découverts que pendant le stage et l’employeur n’a pas attendu pour sévir. La fonctionnaire n’a pas été licenciée pour son rendement, mais bien pour son comportement et manque de jugement à l’extérieur du travail. Le maintien du lien de confiance avec l’employée est un facteur déterminant de la relation d’emploi. Le SCC ne peut se permettre de garder en poste une employée qui peut être vulnérable. Aucune formation ne peut remplacer un manque de jugement.

34 L’employeur soutient que la fonctionnaire a reçu à son entrée en service une formation adéquate qui couvre la situation dans laquelle elle s’est retrouvée. Les faits sont admis, il n’y a aucun subterfuge. Bien que la sanction puisse sembler sévère, le rôle de l’arbitre de grief n’est pas de juger de la sévérité de celle-ci.

35 En correspondant avec un détenu et en livrant un bijou, la fonctionnaire s’est placée dans une situation de vulnérabilité; elle a entaché l’image du SCC. De par son manque de jugement, elle a trahi la confiance de l’employeur. Sa conduite est aussi répréhensible en ce qu’elle a ouvert un casier postal sous un faux nom et qu’elle n’a pas déclaré ses agissements après avoir reçu la formation. Il y a là deux erreurs de jugement. Il ne s’agit pas là d’une question de formation, mais de « gros bon sens » qui fait partie des qualités personnelles qui ne s’acquièrent pas au travail. Il ne s’agit pas d’un camouflage, mais d’un motif légitime de licenciement.

36 Au soutien de sa position, l’employeur cite les décisions suivantes: Procureur général du Canada c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.); Procureur général du Canada c. Leonarduzzi, 2001 FCT 529; Procureur général du Canada c. Rinaldi, [1997] F.C.J. No.225 (F.C.) (QL); Boshra c. Administrateur général (Statistique Canada), 2011CRTFP97; McMathc. Administrateur général (Service correctionnel du Canada, 2011 CRTFP 42; Gannon c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2002 CRTFP 32, renversée pour d’autres motifs dans 2004 CAF 417.

37 En réplique, l’employeur argue que le superviseur qui a préparé le rapport d’observation n’a pas été appelé comme témoin et, par conséquent, le rapport ne peut faire la preuve de son contenu. L’employeur soutient que les décisions citées par la fonctionnaire ne sont pas pertinentes en l’espèce car il n’y a aucune faute d’équité procédurale. L’employeur a tenu compte de la version des faits de la fonctionnaire et elle a été rencontrée. Aucune circonstance ne pouvait atténuer un comportement qui fait l’objet du renvoi immédiat de tout employé, qu’il soit en stage ou non.

38 L’employeur soutient que la question de la formation n’est pas pertinente à la question de savoir si un arbitre de grief a compétence en l’instance. Dans la mesure où il n’y a pas de preuve de camouflage, de subterfuge ou de mauvaise foi, le bien-fondé de la décision est sans objet.

39 L’employeur me demande d’accueillir l’objection et de rejeter le grief.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

40 La fonctionnaire soutient que le droit de l’employeur de licencier un employé en cours de stage n’est pas sans restriction et doit tenir compte des principes d’équité et de justice naturelle. L’employeur ne doit pas tirer une conclusion arbitraire.

41 La fonctionnaire a témoigné avoir été une employée à contrat depuis 2004 et n’avoir reçu aucune formation, aucune description de travail ou le Code de discipline avant d’obtenir sa permanence. La fonctionnaire donnait de la formation aux détenus, une clientèle inhabituelle, et travaillait avec eux quotidiennement, au point où ils devenaient presque des collègues de travail. Elle est coupable d’avoir eu un moment desympathie.

42 La fonctionnaire ne nie pas les faits. Elle a admis l’incident du bijou avant que l’employeur le lui reproche. Les incidents qui lui sont reprochés ont eu lieu en 2004 et 2005, une période qui ne fait pas partie du stage. Le rapport du superviseur de la fonctionnaire établit qu’elle satisfait à tous les objectifs de rendement et qu’elle a une bonne relation avec les autres employés. Depuis qu’elle a suivi sa formation sur les règles de conduite, l’employeur n’a rien à lui reprocher.

43 Il n’y a aucune preuve appuyant l’affirmation de M. Turcotte voulant que les employés temporaires reçoivent une formation sur le code d’éthique et la discipline. L’employeur n’a produit aucun contrat de travail avant la lettre d’offre d’un emploi permanent. Les documents déposés ont été signés par d’autres.

44 La décision de l’employeur a été arbitraire car M. Turcotte n’a pas considéré l’existence de faits atténuants, dont le comportement sans reproche de la fonctionnaire depuis qu’elle a obtenu sa permanence et la grande qualité de son travail. Ce n’est pas parce qu’une employée est en stage que l’employeur peut tout se permettre. Les mêmes normes s’appliquent à tous les employés, c’est-à-dire, que l’employeur doit tenir compte de la situation dans son ensemble.

45 La fonctionnaire soumet que la question n’en est pas une de camouflage, mais d’une lacune dans la formation qui est la responsabilité de l’employeur. Les incidents reprochés sont relativement banals comparés à ceux dans Gannon. Sans avoir donné la formation nécessaire à son employé, l’employeur ne peut lui reprocher ce qu’il appelle un manque de gros bon sens.

46 Au soutien de sa position, la fonctionnaire cite les décisions suivantes: Dhaliwalc. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Services correctionnels), 2004CRTFP 109, et Wright c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005CRTFP 139.

47 La fonctionnaire me demande de rejeter l’objection de l’employeur.

V. Motifs

48 Je rappelle qu’au début de l’audience, les parties m’ont demandé de statuer uniquement sur la question préliminaire de savoir si les incidents reprochés qui sont antérieurs à l’embauche de la fonctionnaire pouvaient être considérés dans l’évaluation de la période de stage.  Les parties ont déclaré qu’il n’y avait aucune jurisprudence qui pouvait m’éclairer à ce sujet.  En l’espèce, l’employeur a présenté ses arguments surtout sur le bien-fondé d’un renvoi en période de stage. La fonctionnaire a fait valoir qu’elle ignorait la règle concernant l’abstention de tout contact personnel avec un détenu lorsque les deux incidents se sont produits.

49 Pour être pertinente à l’évaluation de la période de stage, une règle doit, à mon avis, être sans équivoque et clairement communiquée à la fonctionnaire.

50 Le Code de discipline prévoit ce qui suit:

[…]

Commet une infraction l’employé qui:

[…]

 c. établi avec un délinquant ou un ancien délinquant, ou avec les amis ou parents d’un délinquant ou d’un ancien délinquant, des relations d’affaires ou d’ordre personnel qui ne sont pas approuvées par son supérieur immédiat;

[…]

51 Cette règle est énoncée dans le Code de discipline mis à jour en 2007 qui a été déposé en preuve.  Toutefois, je n’ai aucune preuve des versions antérieurs ou du libellé de cette règle au moment de l’embauche de la fonctionnaire à titre d’employée temporaire et sur appel le 4 septembre 2004 puisque l’employeur n’a l’a pas produite.

52 La description de travail d’un buandier qui contient une déclaration concernant le respect des Règles de conduite professionnel du SCC qui a été déposée en preuve n’est pas signée par la fonctionnaire, mais par un autre employé et porte la date du 25janvier 2002, soit deux ans avant l’embauche de la fonctionnaire à titre d’employée temporaire et sur appel. Il ne s’agit donc pas d’une preuve convaincante que la fonctionnaire a reçu cette description de travail et signé la déclaration.

53 La déclaration de la fonctionnaire concernant son adhésion aux Règles de conduite professionnelle au SCC signée le 7 septembre 2004 indique qu’il s’agit de la première page de sept. Les six pages annexées à la déclaration n’ont pas été déposées. L’employeur a précisé qu’il n’avait pas de copie de ces six pages.  L’employeur a déposé en preuve une copie duCode de discipline, un document de neuf pages en date du 30 mars 1994 et une copie de la version électronique des Règles de conduite professionnelle du SCC, un document de huit pages mis à jour le 28 février 2007.  Ni l’un ni l’autre de ces documents est un document de six pages et par conséquent ne pouvait être le document annexé à la déclaration de la fonctionnaire du 7septembre2004. Il n’est donc pas possible de savoir à partir des documents de l’employeur si la règle que la fonctionnaire devait s’abstenir de tout contact personnel avec un détenu faisait partie des Règles de conduite professionnelle du SCC en 2004.

54 La fonctionnaire a soutenu qu’elle n’avait reçu aucune formation concernant la règle de ne pas avoir de contact personnel avec un détenu et de n’avoir appris que son comportement était contraire au Règles de conduite professionnelle du SCC et au Code de discipline du SCC que lorsqu’elle a suivi une formation après être devenue une employée indéterminée.  Le témoignage de la fonctionnaire est soutenu par le rapport de M. Beauchamp qui écrit ce qui suit:

[…]

Au niveau de la sécurité, un officier doit avoir une formation de trois mois avant de mettre les pieds dans un pénitencier fédéral mais au niveau des instructeurs, du jour au lendemain sans formation, ils se retrouvent dans le feu de l’action, parmis les manipulateurs et les enjoleurs.

Les instructeurs ont une formation de 5 jours seulement au Collège du personnel, et, ce après avoir eu un poste déterminé et souvent plusieurs années après leur permanence. Au niveau des employés temporaires aucune formation n’est donnée, ils sont vulnérables.

Un haut gestionnaire disait un jour que Corcan était les enfants pauvres du Service au niveau de la formation pourtant ils ont les mêmes responsabilités de garde et de contrôle que les officiers.

Madame Doucet, selon moi, est victime dans tout cela compte tenu qu’elle n’a reçu aucune formation dans le temps où c’est passé l’incident. Il y a déjà 4 ans (2004). Elle a commise une faute de jugement certe et elle en est pleinement consciente.

[…]

[Je souligne]

55 M. Turcotte a témoigné que pour assurer la paie, un contrat est signé pour chaque période d’emploi qui contient une déclaration d’adhésion aux Règles de conduite professionnel du SCC semblable à la déclaration du 7 septembre 2004.  Par l’entremise de son procureur, l’employeur a admis à l’audience qu’il n’avait pas conservé, ou du moins n’avait pas retrouvé, une copie des contrats d’embauche pour des périodesdéterminées avec les déclarations d’adhésion de la fonctionnaire.  L’employeur a plaidé que même si la fonctionnaire n’avait reçu aucune formation, il s’agissait d’une question de jugement pour une personne qui travaille dans le milieucorrectionnel. 

56 Le témoignage de la fonctionnaire n’est pas contredit.De plus, il y a la déclaration de M. Beauchamp voulant que la fonctionnaire n’ait pas reçu la formation décrite par M. Turcotte. Lors de son argumentation, l’employeur a plaidé que je ne devais pas tenir compte du contenu de cette déclaration parce que M.Beauchamp n’avait pas témoigné. Je rejette cette objection, car la procureure de l’employeur ne s’est pas opposée au dépôt de la pièce au moment du témoignage de la fonctionnaire. Dans de telles circonstances, si je ne devais pas tenir compte de la déclaration de M.Beauchamp, je devrais aussi rejeter la déclaration de M. Frereault qui n’a pas témoigné et dont le rapport est le fondement de la décision de l’employeur de licencier la fonctionnaire. Qui plus est, le document signé par M. Beauchamp est un document del’employeur rédigé sur sonformulaire.

57 Hormis une explication de la nécessité d’inclure une telle règle dans le Code de discipline, il s’agit d’une affirmation gratuite que la fonctionnaire, comme buandière, devait posséder la connaissance nécessaire de ne pas avoir de contact personnel avec un détenu.  La preuve ne m’a pas persuadée que la règle de l’abstention de tout contact personnel avec un détenu coule de source.Par conséquent, il n’y a aucune preuve convaincante que la règle a été clairement communiquée à la fonctionnaire avant que les incidents se produisent.

58 La question de la conduite antérieure à l’embauche a été traitée à deux reprises en vertu de l’ancienne LRTFP (abrogée en 2005). Les deux arbitres de grief ont jugé que les événements fautifs qui avaient précédé l’embauche n’étaient pas pertinents parce que l’employeur aurait pu en prendre connaissance avant l’embauche. 

59 Dans Hartley c. Conseil du Trésor, dossier de la Commission 166-2-17326 (19880308), un officier correctionnel avait avisé l’employeur lors de son entrevue de pré-embauche qu’il avait eu des démêlés avec la justice.  Après vérification sommaire, l’employeur n’a rien trouvé.  Quelque temps plus tard, l’employeur a découvert son casier judiciaire et l’a licencié sur le champ.  L’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire n’avait pas menti ou induit l’employeur en erreur.  Par ailleurs, le fonctionnaire avait été en mesure de démontrer une réhabilitation impressionnante.  L’arbitre de grief a révoqué le licenciement parce que l’employeur n’avait pas établi un motif de licenciement. L’arbitre a donné à l’employeur le choix de réintégrer le fonctionnaire ou de lui accorder une compensation de trois mois de salaire.

60 Dans Anonsen c. Conseil du Trésor (Ministère du Transport) dossier de la Commission 166-2-171693 (19871222), le fonctionnaire était un pilote commercial.  Avant son embauche, le fonctionnaire avait été censuré pour avoir omis de suivre certaines directives qu’administrait le Ministère des transports.  Toutefois, son statut de pilote n’avait pas été révoqué.  Le fonctionnaire fut licencié pour ne pas avoir déclaré ses omissions pendant les discussions de pré-embauche. L’arbitre de grief a conclu que l’employeur était en mesure de connaître la conduite reprochée au fonctionnaire avant son embauche et que le licenciement constituait une mesure disciplinaire plutôt qu’un motif relié à l’emploi.  Par contre, l’arbitre de grief a jugé que le fonctionnaire avait perdu la confiance de l’employeur et a ordonné une compensation de six mois au lieu de la réintégration.

61 Pour comprendre le raisonnement des arbitres dans ces dossiers il y a lieu de souligner les nuances de la jurisprudence arbitrale telle qu’elle existait à ce moment-là.  Tout comme la nouvelle LRTFP, l’ancienne LRTFP prévoyait qu’un arbitre de grief n’avait pas compétence pour entendre le grief d’un fonctionnaire licencié pendant sa période de stage.  Toutefois, la jurisprudence arbitrale avait développé notamment depuis l’arrêt Tighe (dossier de la Commission 166-2-15122) une distinction entre un licenciement disciplinaire et un licenciement pour un motif déterminé, soit un rendement inadéquat. Bref, si le motif de l’employeur pour licencier le fonctionnaire pendant la période de stage était disciplinaire, le grief était arbitrable tandis que si le motif était pour un motif déterminé, le grief ne l’était pas. 

62 Cette distinction n’existe plus depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique qui prévoit à l’article 62 que l’employeur peut licencier un fonctionnaire en période de stage pour tout motif relié à l’emploi.

63 Dans Hartley, l’arbitre de grief a décidé que l’employeur n’avait pas donné la chance au fonctionnaire de faire la preuve qu’il pouvait acquitter convenablement les tâches de son emploi puisqu’il l’avait licencié deux semaines après son embauche.  Il a donc conclu que le licenciement était disciplinaire.  Dans Anonsen, l’arbitre de grief a étudié la question de savoir si le licenciement pour des infractions antérieures était un motif disciplinaire. En l’absence de preuve que le fonctionnaire ne possédait pas les compétences pour l’emploi, l’arbitre a conclu que le licenciement était disciplinaire.

64 En l’espèce, la distinction entre un licenciement en période de stage pour un motif disciplinaire et celui pour un motif déterminé ne m’est pas utile pour décider de la qualité du licenciement de la fonctionnaire. Toutefois, je retiens que dans Hartley et Anonsen, les arbitres de grief ont examiné la pertinence de la preuve par rapport au rendement des fonctionnaires pendant leur période de stage et la connaissance qu’aurait pu avoir l’employeur des incidents reprochés avant l’embauche. Ceci m’amène à l’examen du principe de la pertinence des incidents en regard de la décision de l’employeur de licencier la fonctionnaire.

65 En l’espèce, la fonctionnaire a eu neuf mois d’emploi du SCC. Pendant cette période, la fonctionnaire devait démontrer qu’elle possédait les habiletés nécessaires pour le poste. Mon rôle d’arbitre de grief est d’évaluer si la méthode d’évaluation était équitable et raisonnable (voir par exemple Hotel Fort Garry and Canadian Brotherhood of Railway, Transport and General Workers (1993), 33 C.L.A.S. 544 et l’analyse de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, au paragraphe 7:5020).  Cette citation tirée de Re United Electrical Workers & Square D Co., Ltd.,(1956) 6L.A.C. 289, à la page 292explique bien ce principe:

[TRADUCTION]

Il est clair qu’un employé « en stage », jouit de moins de sécurité d’emploi qu’un employé titularisé. L’un est une période d’essai, de démonstration ou d’examen de ses qualifications et de son aptitude à remplir un emploi régulier en tant qu’employé permanent, alors que l’autre a satisfait à l’essai. Les normes établies par la compagnie ne sont pas nécessairement limitées à la qualité et au rendement; elles peuvent s’étendre au caractère de l’employé, à sa capacité de travailler en harmonie avec d’autres, à ses possibilités d’avancement et à son aptitude générale à rester dans l’entreprise. Bien qu’évidemment tout employé régi par la convention puisse être congédié pour cause n’importe quand, on peut mettre fin à l’emploi d’un stagiaire si, avant la fin du stage, la compagnie juge que celui-ci ne répond pas aux normes établies par elle et qu’elle n’est pas satisfaite.

66 En l’espèce, la grande qualité de travail de la fonctionnaire n’est pas contredite.  La fonctionnaire a déposé en preuve deux documents signés par deux superviseurs différents qui attestent de sa compétence pour l’emploi. Le premier est un rapport de rendement pour la période du 5 mai au 3 décembre 2007. Voici les remarques de son superviseur Raoul Leblanc:

[…]

Mme Doucet travaille efficacement, elle gère bien le temps qu’elle dispose pour faire toute la production selon les items à plier.

Elle s’adapte très bien aux imprévus.

Elle est coopérative et compréhensive.

Elle est aussi à l’aise de travailler seul [sic] ou en groupe.

Elle maintient un taux d’efficacité maximum de la production.

Elle n’atteint pas uniquement ces objectifs, mais dépasse ceux-ci.

Elle remplace le gérant adjoint efficacement et sans préavis.

Elle est à l’écoute des détenus et les conseille sur la procédure ou les opérations de la buanderie.

[…]

Quant aux quatre objectifs du poste, M. Leblanc note qu’elle les excède tous au niveau4.

67 Le deuxième est un rapport d’observation préparé par son superviseur, Sylvain Beauchamp, le 30 janvier 2008. Le superviseur décrit en détail l’entrevue qu’il a eue avec la fonctionnaire, puis ajoute ses commentaires sur son rendement que je reproduis ici:

[…]

Elle dit savoir beaucoup investie dans son emploi, qu’elle a démontré qu’elle était une bonne employée. Qu’elle s’était battue pour avoir une place au sein de l’équipe et attirer le respect de tous, qu’el en était très fière. Elle a d’ailleurs terminé avec plus de trois cents (300) heures de temps supplémentaires pour nos besoins opérationnels l’année qui vient de passer.

Effectivement, Madame Doucet ne fait pas que de rencontrer ses objectifs de rendement mais les surpassent tous, selon le gérant adjoint de son secteur.

Elle dirige, contrôle les détenus, discipline ceux-ci avec discernement et maintient un haut niveau d’efficacité dans son secteur. Elle réussie avec une facilité d’assurer une ponctualité et une production exceptionnelle.

Au niveau des relations interpersonnelles avec les employés de la population restreinte 1 & 2 AB soient tous les ALCs, GC’s et les officiers disent d’elle est une employée formidable, et ce, dans tous les départements de l’établissement.

[Le nom des six employés ayant attesté est omis]

De part son écoute attentive et son sens d’observation elle a participée à plusieurs rapports d’observations concernant des entrées de stupéfiants ou le trafique de stupéfiants, qui ce sont averrés concluant et positifs auprès des ARS’S.

Selon moi, l’employeur a une part de responsabilité malheureusement et sûrement involontaire dans cette affaire et plusieurs autres car dans la dernière année, deux (2) employés temporaires ont été piégés par des détenus de part un manque d’expérience et de formation flagrant et suite à la dernière incident de madame [nom omis] tous les employés de la division Corcan à l’unanimité, lors d’une réunion, ont dénoncés cette situation.

[…]

Je suis gestionnaire depuis deux ans maintenant, on me répète continuellement de faire preuve de compréhension, de tolérance et de patience, que la force du S.C.C. sont nos employés. Je pense qu’il serait de mise de prendre en considération les circonstances atténuante en apportant un support à l’employée. Car il ne faut pas oublié que depuis les 4 dernières années elle est un model comme employée un exemple de professionnalisme au niveau de son acharnement au travail.

[…]

 [Sic pour l’ensemble de la citation]

68 J’ai entendu le témoignage de M. Turcotte que la fonctionnaire n’était plus digne de confiance ainsi que sa déclaration qu’il y avait sans doute d’autres incidents semblables qui n’avait pas été portés à sa connaissance.  J’estime que ces préoccupations ne sont pas fondées.  Sauf l’opinion de M. Turcotte que les règles d’éthique sont une question «de gros bon sens », il n’y a aucune preuve que la conduite de la fonctionnaire a compromis la sécurité de l’établissement ou qu’il y a eu récidive.  Le comportement de la fonctionnaire est intègre depuis son embauche comme employée indéterminée et son rendement est sans reproche.  De toute évidence, les incidents antérieurs n’ont pas terni le rendement de la fonctionnaire pendant la période de stage ni la réputation de l’employeur.

69 Qui plus est, tout comme dans Hartley et Anonsen, l’employeur était en mesure de s’enquérir de la conduite passée de la fonctionnaire, soit par exemple en lui posant les questions appropriées lors d’une entrevue pré-embauche ou en lui demandant si elle avait quelque chose à déclarer avant de lui faire l’offre d’emploi permanent. L’employeur aurait pu à ce moment décider ou non de l’embaucher. Si à la suite de la déclaration de la fonctionnaire, l’employeur avait découvert les incidents fautifs, il aurait alors été en mesure d’invoquer le manque de franchise au moment de l’embauche pour justifier sa décision de licencier la fonctionnaire en période de stage.

70 En raison de ces circonstances de cette affaire, je suis d’avis que l’employeur ne pouvait tenir compte des deux incidents antérieurs reprochés parce que la règle de s’abstenir de tout contact personnel avec un détenu n’avait pas été communiquée clairement et parce qu’aucune preuve indique que la fonctionnaire était présumée connaître cette règle. Je conclus qu’en l’espèce les incidents reprochés ne sont pas pertinents à la conduite de la fonctionnaire pendant la période de stage. Par conséquent, les incidents antérieurs au 14 mai 2007 ne peuvent être reprochés à la fonctionnaire pour décider du succès de la période de stage.

71 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit:

VI. Ordonnance

72 Je déclare que l’employeur ne peut tenir compte des incidents qui ont précédé le l4 mai 2007 pour évaluer le succès de la fonctionnaire pendant sa période de stage destage.

73 Je demeure saisie de cette affaire pour décider des suites à donner au grief, mais je laisse aux parties 30 jours à compter de la date de la présente décision pour s’entendre à cet égard. En l’absence d’une telle entente, une audience sera tenue pour entendre les parties.

Le 23 décembre 2011.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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