Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que son agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation équitable en refusant de présenter deux griefs en son nom, le premier pour une question de harcèlement et le deuxième pour contester le non-renouvellement de son emploi d’une durée déterminée - la Commission n’a trouvé aucune preuve crédible appuyant l’allégation selon laquelle le plaignant aurait demandé à son agent négociateur de présenter un grief pour harcèlement - la Commission a conclu que l’agent négociateur n’avait pas agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi lorsqu’il a jugé qu’un grief visant à contester le non-renouvellement de l’emploi d’une durée déterminée du plaignant n’avait aucune chance de réussite - l’évaluation de l’agent négociateur était appuyée par des considérations pertinentes et légitimes. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-10-27
  • Dossier:  561-02-467
  • Référence:  2011 CRTFP 121

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

JACQUES LANGLOIS

plaignant

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Langlois c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte fondée sur l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, commissaire

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour la défenderesse:
Dan Fisher, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 18 au 20 juillet 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 3 juin 2010, Jacques Langlois (le « plaignant ») a porté plainte contre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse »). La plainte renvoie expressément à l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Le plaignant a allégué que la défenderesse avait manqué à son devoir de représentation équitable, car elle n’a pas déposé de grief pour harcèlement en son nom et a refusé de contester le non‑renouvellement de son poste pour une période déterminée.

2 La plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi qui se lit comme suit :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[…]

3 L’article 185 de la Loi définit une pratique déloyale comme étant tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188, et le paragraphe 189(1) de la Loi.

4 La disposition particulière de la Loi visée par l’article 185 et se rapportant à la plainte en l’instance est l’article 187, qui se lit comme suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

Cette disposition a été adoptée afin de voir à ce que les organisations syndicales soient tenues à un devoir de représentation équitable, un devoir dont, selon le plaignant, ne se serait pas acquittée la défenderesse.

II.Résumé de la preuve

5 Le plaignant a témoigné pour son propre compte, et Leslie Sanderson a été citée comme unique témoin de la défenderesse.Voici le résumé de leurs témoignages.

6 Élections Canada (l’« employeur ») a embauché le plaignant le 26 juin 2006 au poste d’agent de saisie de données et de production de rapports, qui correspond au groupe et au niveau AS‑02. Sa lettre d’embauche initiale, datée du 23 juin 2006, indiquait que cette nomination avait une durée précise – c’est ce qu’on appelle couramment une nomination pour une période déterminée –, et qu’elle relevait d’un programme à financement temporarisé, ce qui signifie habituellement que le programme auquel est affecté l’employé nommé pour une période déterminée est financé par des sources externes et n’a qu’une durée précise.

7 Le plaignant a expliqué qu’on a prolongé à diverses reprises sa nomination pour une période déterminée, soit du 1er avril au 1er octobre 2007, du 2 octobre 2007 au 31 mars 2008, du 31 mars au 30 septembre 2008, du 30 septembre 2008 au 31 mars 2009, du 1er avril au 31 décembre 2009 et, enfin, du 31 décembre 2009 au 31 mars 2010.

8 Le 22 février 2010, on a avisé le plaignant que son mandat ne serait pas prolongé à son échéance, le 31 mars 2010. À ce moment, celui‑ci travaillait pour l’employeur depuis un peu plus de trois ans et demi en tant qu’employé nommé pour une période déterminée. En général, les employés nommés pour une période déterminée obtiennent après trois ans une nomination à durée indéterminée.

9 Le 23 février 2010, le plaignant a envoyé un courriel à sa représentante syndicale, Rahima Kanani, joignant à son message une lettre où il rendait compte dans le détail de son historique d’emploi auprès de l’employeur et demandait que la défenderesse enquête sur ce qu’il considérait être un [traduction] « recours abusif à la disposition de temporarisation ». Contrairement aux autres employés nommés pour une période déterminée, les personnes embauchées dans le cadre d’un programme à financement temporarisé n’obtiennent pas de nomination pour une période indéterminée après trois années d’ancienneté. Dans sa lettre, le plaignant faisait également état d’une enquête qu’a lancée la Commission de la fonction publique (CFP) à sa requête relativement au processus de dotation chez l’employeur d’un poste AS‑02 à durée indéterminée auquel il avait postulé ainsi qu’à un conflit de travail survenu avec son superviseur. Trois incidents impliquant le superviseur du plaignant étaient mentionnés, dont deux survenus en 2008. La CFP a fini par résoudre le problème de dotation. Elle a émis une « Fiche de décision » en date du 22 mars 2011, dans laquelle elle ordonnait à l’employeur d’adopter diverses mesures correctives.

10 Quelques heures plus tard, Mme Kanani a fait suivre la lettre du plaignant à Mme Sanderson, agente des relations de travail auprès de l’Élément national de la défenderesse. Mme Sanderson a envoyé sa réponse le 8 mars 2010 à Mme Kanani, qui l’a fait suivre sur‑le‑champ au plaignant. La réponse a suscité un échange de lettres entre ce dernier et Mme Sanderson, essentiellement sur la question de la dotation et le présumé recours abusif à l’exception du financement temporarisé. Larry Rousseau, vice‑président régional pour l’Élément national de la défenderesse, a aussi pris part à cet échange en communiquant à quelques reprises ses commentaires sur les préoccupations du plaignant.

11 M. Rousseau et Mme Sanderson ont avisé le plaignant que la défenderesse ne désavouerait pas la décision de l’employeur de ne pas renouveler ni prolonger son mandat, ni ne se pencherait sur l’allégation de recours abusif à la disposition de temporarisation. Dans un courriel en date du 26 avril 2010, Mme Sanderson a expliqué au plaignant que même si son équipe avait déterminé qu’il était impossible de présenter un grief, qui serait sans fondement, l’Élément national continuerait d’inciter l’employeur à embaucher des employés nommés pour une période déterminée et soumis à l’exception de financement temporarisé à l’issue de concours équitables et transparents. Elle lui a aussi rappelé que même si le délai octroyé pour le faire était échu, il pouvait tenter de contester le présumé recours abusif, car ce grief ne relevait pas strictement de la défenderesse puisque le non‑renouvellement du mandat des employés nommés à un poste à durée déterminée ne contrevenait pas à la convention collective applicable.

12 En témoignage, Mme Sanderson a répété que selon la défenderesse, les employés nommés pour une période déterminée dont la durée d’emploi dépendait d’un programme à financement temporarisé étaient exclus de la disposition relative à la conversion de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée (PEPD) du Conseil du Trésor, selon laquelle un employé nommé pour une période déterminée pendant une période de travail cumulative de trois ans au sein d’un ministère ou d’un organisme sans interruption de service de plus de 60 jours civils consécutifs doit être nommé pour une période indéterminée et que cette exclusion, qu’elle soit ou non appliquée comme prévu, ne donnait pas lieu à un droit au titre de la convention collective, car la PEPD n’était pas intégrée à la convention collective applicable.

13 Le refus de la défenderesse de représenter les intérêts du plaignant relativement à l’exception de financement temporarisé, entre autres choses, a mené au dépôt de la présente plainte.

14 Le plaignant a été très clair dans son témoignage : les seuls points importants dans sa plainte sont le recours abusif de l’employeur à l’exception du financement temporarisé et le fait pour la défenderesse de ne pas avoir présenté de grief pour harcèlement. En contre-interrogatoire, il a précisé que le point primordial était celui de l’exception du financement temporarisé. Il a indiqué être mécontent que la défenderesse n’ait même pas essayé de remettre en question le recours abusif à l’exception ni présenté de grief pour harcèlement contre son superviseur. En ce qui concerne ce dernier point, il a déclaré avoir soulevé la question par téléphone le 22 février 2010 auprès de Mme Kanani, qui lui a dit de coucher le tout sur papier, ce que, selon lui, il a fait dans son courriel du 23 février 2010.

15 Dans son témoignage, Mme Sanderson a affirmé qu’après que Mme Kanani lui eut fait parvenir la lettre du plaignant, elle lui a téléphoné afin de mieux comprendre les questions en cause et que le mot [traduction] « harcèlement » n’a jamais été prononcé. Selon elle, le compte rendu des événements qu’a envoyé le plaignant le 23 février 2010 ne mentionnait pas le mot [traduction] « harcèlement ». Elle était d’avis que le courriel décrivait un conflit en milieu de travail qui avait été résolu puisque le superviseur avait supposément admis qu’il était [traduction] « constamment sur [le] cas [du plaignant] » et qu’il [traduction] « mettrai[t] de l’eau dans [s]on vin ». Il n’a été fait état d’aucun autre incident. Mme Sanderson a ajouté que dans l’échange de nombreux courriels qui s’est ensuivi, il n’a jamais été question d’un problème de harcèlement, qu’aucun autre détail n’a été fourni à ce sujet, que le plaignant n’a jamais demandé par écrit qu’un grief pour harcèlement soit présenté en son nom et que celui‑ci n’a jamais demandé de compte rendu de l’état d’avancement de quelque grief pour harcèlement que ce soit. En contre-interrogatoire, le plaignant a admis ne jamais avoir rempli ni signé de formule de grief, ni effectué de suivi sur l’état d’avancement d’un quelconque grief pour harcèlement. Il a ajouté qu’il connaissait mal le processus de grief et qu’il avait l’impression que l’envoi du courriel du 23 février 2010 était tout ce qu’on avait attendu de lui.

16 Mme Sanderson a expliqué que même s’il lui avait demandé de présenter un grief pour harcèlement, il ne lui a jamais fourni assez d’information ou de documentation pour étayer un dossier de cette nature. Elle a ajouté que de toute façon, elle n’a eu connaissance des attentes du plaignant relativement à un grief que lorsqu’il a porté plainte.

17 Elle a aussi précisé que même s’il était possible de remettre en question l’exception du financement temporarisé au moyen d’un grief, le plaignant n’avait soumis aucun élément de preuve impérieux d’un recours abusif à cette exception ou d’une erreur dans l’application de celle‑ci, outre son impression que le programme n’était pas entièrement financé par une source externe.

18 Mme Sanderson a déclaré qu’elle a examiné tous les faits lui ayant été soumis, qu’elle a soigneusement analysé les questions pertinentes, qu’elle a jugé que les préoccupations du plaignant ne pouvaient pas être renvoyées à l’arbitrage (puisqu’il n’y avait eu aucune contravention à la convention collective, aucune mesure disciplinaire, déguisée ou non, aucun manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ni aucune discrimination), qu’elle a clairement communiqué ses conclusions au plaignant par écrit et qu’elle lui a proposé diverses options éventuelles. Elle a par ailleurs mentionné une lettre en date du 19 février 2008 dans laquelle l’employeur avisait le plaignant que l’exception du financement temporarisé lui permettait de prolonger son mandat pendant plus de trois ans sans qu’il soit tenu de le nommer pour une période indéterminée.

19 Mme Sanderson a signalé que la PEPD, qui fait allusion à l’exception du financement temporarisé, n’est pas intégrée à la convention collective. Elle a expliqué qu’il existait divers moyens par lesquels la défenderesse pouvait remettre en question des applications douteuses de la PEPD par l’employeur ou inciter à la conversion de nominations pour une période déterminée en nominations pour une période indéterminée, mais que le processus de grief n’en était pas un. Selon elle, un grief de cette nature n’aurait aucune chance d’être accueilli, à moins qu’il ne véhicule des allégations de mesures disciplinaires déguisées ou de harcèlement, ce qui n’était pas le cas. Je remarque que dans un courriel du 26 avril 2010, Mme Sanderson a reconnu que le plaignant était en droit de présenter un grief. Cela dit, il n’en découle aucun droit de renvoi à l’arbitrage.

20 Elle a ajouté que la défenderesse ne prend pas en charge tout problème rencontré par les employés qu’elle représente et que celle‑ci tient compte de nombreux facteurs pour décider de représenter ou non un employé, notamment les coûts qu’entraînerait le grief et le fond de chaque affaire. Selon Mme Sanderson, le plaignant a été traité comme tout autre employé, et elle n’éprouve aucune animosité ni aucune hostilité à son égard.

21 Le plaignant a soutenu que même s’il savait que sa nomination était soumise à l’exception de financement temporarisé, il ignorait que l’employeur en faisait un usage abusif avant qu’on ne l’avise que sa nomination pour une période déterminée ne serait pas renouvelée.

22 Il a admis que si l’exception de financement temporarisé avait été bien appliquée, l’analyse de Mme Sanderson voulant que rien ne puisse être fait pour l’aider aurait été raisonnable. Son point, selon la plainte, est que la disposition n’a pas été bien appliquée. Le plaignant a aussi reconnu qu’il n’avait pas su établir de lien direct entre le recours abusif à l’exception du financement temporarisé et la convention collective.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

23 L’argumentation du plaignant était succincte. Celui‑ci a soutenu que la conduite injustifiée et arbitraire de la défenderesse contrevenait à l’article 187 de la Loi.

24 Premièrement, le plaignant a maintenu que la défenderesse n’a pas mené d’enquête adéquate sur ses préoccupations et n’a rien fait au sujet de son allégation de harcèlement au travail. Selon lui, il s’agissait rien de moins que d’une grave négligence de la défenderesse, ce à quoi il a ajouté que la défenderesse ne lui a pas demandé de précisions ni de documents témoignant de cette négligence.

25 Deuxièmement, le plaignant a affirmé qu’à titre d’employé nommé pour une période déterminée, il aurait dû accéder à une nomination pour une période indéterminée après trois années d’ancienneté conformément à la disposition de la PEPD sur la conversion et que l’employeur a mal appliqué l’exception du financement temporarisé et n’aurait pas dû faire obstacle à la conversion de sa nomination. Il a ajouté que le refus de la défenderesse de soulever cette question était à la fois fautif et arbitraire.

26 Le plaignant estime que la défenderesse devrait être contrainte de le représenter relativement au recours abusif à l’exception du financement temporarisé et au harcèlement en milieu de travail. À son avis, il faut considérer que l’exception du financement temporarisé prévue dans la PEPD fait implicitement partie de la convention collective, car elle définit ses conditions d’emploi. Il est convaincu que l’analyse de Mme Sanderson sur ses chances de réussite était viciée, car c’était une erreur de l’axer sur le non‑renouvellement de sa nomination pour une période déterminée plutôt que sur l’application abusive de l’exception.

27 L’argumentation du plaignant peut se résumer comme suit : comme le non‑renouvellement du mandat d’un employé nommé pour une période déterminée comptant plus de trois années ininterrompues d’ancienneté contrevient selon lui à la convention collective, et comme l’exception du financement temporarisé a été mal appliquée à son cas, cette dernière ne devrait pas le viser et ses années d’ancienneté devraient compter au titre d’une nomination pour une période indéterminée.

B. Pour la défenderesse

28 La défenderesse a soutenu qu’il incombait au plaignant de prouver qu’elle avait contrevenu à l’article 187 de la Loi, ce qu’il n’a pas su faire. À son avis, le plaignant n’a pas démontré qu’elle avait agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire.

29 Les représentants de la défenderesse se sont mis au travail quelques heures après la réception de la première lettre du plaignant, examinant les préoccupations de ce dernier et demandant des conseils à l’équipe de l’Élément national.

30 En ce qui concerne l’allégation du plaignant voulant qu’on n’ait pas enquêté sur son problème de harcèlement ni agi dans ce dossier, la défenderesse a soutenu qu’il n’y a pas assez attiré l’attention. Le plaignant n’a jamais demandé que soit présenté un grief pour harcèlement ni n’a fourni suffisamment d’information pour que la défenderesse décide raisonnablement de déposer un tel grief. De plus, la mention du supposé conflit avec le superviseur du plaignant semblait indiquer que la question était réglée.

31 Pour ce qui est de l’allégation du plaignant selon laquelle ses doutes relatifs à l’application par l’employeur de l’exception du financement temporarisé n’ont donné lieu à aucune enquête ni à aucune action, la défenderesse a maintenu que la question a été examinée en profondeur, qu’une analyse a été menée et qu’elle‑même n’est pas tenue à la perfection, devant plutôt disposer d’une grande marge de manœuvre dans toute décision de représenter ou non un membre.

32 La défenderesse a soutenu que la lettre d’embauche initiale, en date du 23 juin 2006, avisait le plaignant qu’il s’agissait d’une nomination d’une durée précise et que rien ne pouvait y être interprété comme l’offre d’un poste pour une période indéterminée. De plus, la lettre précisait que l’emploi du plaignant relevait d’un programme à financement temporarisé et que la période d’emploi ne compterait pas au titre du calcul de la période de travail cumulative associée à une nomination pour une période indéterminée au titre de la PEPD. Cette condition d’embauchage a continué de s’appliquer à chaque prolongement de mandat subséquent.

33 L’employeur a par ailleurs avisé le plaignant le 19 février 2008 que l’exception du financement temporarisé lui permettait de prolonger le mandat d’un employé au‑delà de trois ans sans le convertir en nomination pour une période indéterminée. La PEPD est limpide : les jours de travail des employés nommés à un poste à durée déterminée relevant d’un programme à financement temporarisé ne comptent pas au titre du calcul de la période de travail cumulative de trois ans aux fins d’une nomination pour une période indéterminée. La défenderesse a ajouté que quoi qu’il en soit, une telle conversion ne peut se faire que conformément au principe du mérite; autrement dit, les employés pour une durée déterminée nommés pour une période indéterminée doivent avoir acquis les compétences et les qualités voulues, ce qu’un processus de dotation permet normalement d’établir.

34 Selon la défenderesse, puisque le poste était soumis à une durée d’emploi définie et, plus précisément, à un programme à financement temporarisé, le plaignant ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il soit converti en nomination pour une durée indéterminée. Pour elle, il s’agit de la dure réalité : les employés nommés pour une période déterminée relevant d’un programme à financement temporarisé sont plus vulnérables que les autres employés nommés pour une période déterminée.

35 De l’avis de la défenderesse, même si elle collabore et continuera de collaborer avec les employeurs pour faire progresser la cause de chaque employé soumis à un programme à financement temporarisé, on ne peut s’attendre à ce que la présentation d’un grief, comme y a droit le plaignant, fasse progresser une telle cause.

36 La défenderesse a pris une décision éclairée et bien réfléchie, et il serait faux d’affirmer qu’elle a pris les choses à la légère ou s’est montrée hostile. Selon elle, recevoir de mauvaises nouvelles ne satisfait pas au critère applicable au présent cas.

37 La CFP a mené l’enquête sur le problème du plaignant à l’égard de la dotation et l’a résolu.

38 La défenderesse a fait valoir que le problème du plaignant relativement à l’application par l’employeur de l’exception du financement temporarisé ne pouvait pas être renvoyé à l’arbitrage. Cette disposition n’était pas inscrite à la convention collective. L’employeur n’a pris aucune mesure disciplinaire. Il n’a procédé à aucune rétrogradation ni à aucun licenciement ni à aucune suspension. L’employeur a simplement choisi de ne pas prolonger la durée d’emploi du plaignant, ce qu’il avait le droit de faire. Même si le plaignant est représenté en cas de non‑renouvellement de mandat pouvant correspondre à une sanction disciplinaire déguisée ou à de la discrimination et continuera de l’être, rien n’indique que ces derniers éléments soient en cause dans la présente affaire.

39 La défenderesse a ajouté que le plaignant n’a soumis aucune preuve convaincante au sujet de la source ou de la durée du financement des projets ou des programmes auxquels il était affecté.

40 Selon la défenderesse, Mme Sanderson a fait preuve de diligence. Elle a rapidement communiqué au plaignant les résultats de son analyse en bonne et due forme. Elle a pris en considération toutes les préoccupations de celui‑ci, mais n’était simplement pas du même avis. Elle estimait en effet que l’application de l’exception du financement temporarisé, telle qu’elle est consignée dans la PEPD, n’était pas un point contestable avec succès. Elle en est arrivée à cette conclusion au moyen des faits et des renseignements dont il lui avait fait part, et elle lui a proposé diverses options.

41 Dans ce dossier, le plaignant a été traité au même titre que tout autre employé que représente la défenderesse. Il n’a fait état d’aucun autre cas où la défenderesse a représenté un employé dans une situation semblable relativement à l’exception du financement temporarisé.

42 La défenderesse a soutenu qu’un agent négociateur n’est pas tenu de représenter chaque employé et qu’il peut refuser de le faire si cette décision est prise de bonne foi, résulte d’une analyse approfondie de l’affaire, est équitable et ne découle d’aucune hostilité envers l’employé. Elle a ajouté que l’employé n’a pas droit au meilleur examen possible du cas, mais plutôt à un examen ni superficiel, ni inattentif. À l’appui de ces propositions, elle a invoqué Tsai c. Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada et Sand, 2011 CRTFP 78, et Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28.

43 Le fait pour le plaignant d’être déçu et excédé par la décision de la défenderesse de ne pas le représenter ne constitue pas une contravention à l’article 187 de la Loi. La défenderesse a enquêté sur les problèmes du plaignant, les a dûment pris en compte et a pris de bonne foi une décision objective.

IV. Motifs

44 Comme l’a statué la Commission dans Ouellet c. Luce St‑Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107, le fardeau de la preuve dans une plainte relative à l’article 187 de la Loi incombe au plaignant.Le fardeau consiste pour ce dernier à produire une preuve suffisante pour démontrer que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable.

45 En ce qui concerne la question du harcèlement, le plaignant a mentionné trois incidents impliquant son superviseur, dont deux survenus en 2008. Même si les incidents justifiaient une certaine représentation par la défenderesse, la preuve a révélé que le plaignant n’a jamais mentionné le mot [traduction] « harcèlement » dans les lettres qu’il lui a adressées, qu’il ne lui a jamais enjoint par écrit de présenter un grief en son nom, qu’il n’a jamais rempli ni signé de formule de grief et qu’il n’a jamais assuré un suivi de l’état d’avancement d’un tel grief. Ses allégations voulant qu’il ait demandé à Mme Kanani par téléphone, le 22 février 2010, de le faire ne sont pas crédibles à la lumière des autres éléments de preuve produits par les parties, surtout leurs échanges par courriel, où il n’a jamais été fait mention de cette demande orale ou du mot « harcèlement ». Ni l’une ni l’autre partie n’a cité Mme Kanani à témoigner.

46 L’assertion du plaignant selon laquelle il ignorait que l’employeur faisait un usage abusif de la disposition relative à l’exception du financement temporarisé avant qu’on ne l’ait déjà avisé que sa nomination pour une période déterminée ne serait pas renouvelée manque également de crédibilité. Le plaignant n’a jamais expliqué à la défenderesse comment et quand il en est venu à croire que le programme auquel il était affecté n’était pas financé par des sources externes. Il a évoqué ce problème pour la première fois après avoir été prévenu du non‑renouvellement de sa nomination pour une durée déterminée. Il n’a fourni aucune précision ni indiqué la source de cette information, mais s’attendait malgré tout à ce que la défenderesse mène l’enquête à ce sujet. On ne peut reprocher à cette dernière de ne pas présenter un grief sur un problème de cet ordre dans de telles circonstances ni considérer qu’elle agit alors de façon arbitraire.

47 Quoi qu’il en soit, la PEPD fait état de l’exception du financement temporarisé qui, selon les deux parties, ne fait pas partie de la convention collective. Je souscris à l’argument de la défenderesse : la question de savoir si l’employeur a ou pas appliqué la politique de la manière prévue ne peut être renvoyée à l’arbitrage, car en l’absence de preuve de discrimination ou de mesure disciplinaire déguisée, elle ne relève pas de l’article 209 de la Loi. De plus, même si le problème du plaignant pouvait être renvoyé à l’arbitrage, cela ne signifierait pas que la défenderesse serait tenue de représenter celui‑ci. Le même principe s’applique à son problème de harcèlement : même si le plaignant avait demandé qu’on dépose un grief pour harcèlement, il n’en aurait pas découlé automatiquement une obligation pour la défenderesse de le faire.

48 La Commission a souvent commenté le droit de représentation des employés syndiqués. Dans Halfcree, au paragraphe 17, elle a rejeté l’idée voulant qu’il s’agisse d’un droit absolu :

[17] La défenderesse, en tant qu’agent négociateur, a le droit de refuser de représenter un membre, et une plainte devant la Commission n’est pas un mécanisme d’appel contre un tel refus. La Commission ne va pas remettre en question la décision de l’agent négociateur. Le rôle de la Commission est de statuer sur le processus décisionnel de l’agent négociateur et non sur le bien‑fondé de sa décision […]

La Commission n’a pas pour rôle de déterminer si la décision de la défenderesse de ne pas représenter le plaignant était la bonne, mais bien d’établir si la défenderesse a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire dans son processus décisionnel.

49 Toutefois, aussi vaste que puisse paraître ce pouvoir discrétionnaire, il n’est pas absolu. La Cour suprême du Canada (CSC) en a défini la portée dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509, à la page 527. Dans cette décision, la CSC décrit les principes qui sous‑tendent le devoir de représentation équitable :

[…]

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

50 La Commission s’est également penchée comme suit sur la signification de la conduite arbitraire aux paragraphes 22 et 23 de Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95 :

[22] Sur le terme arbitraire, la Cour suprême du Canada, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, écrit au paragraphe 50 :

Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée.

[…]

[23] Dans International Longshore and Wharehouse Union, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Empire International Stevedores Ltd. et al., [2000] A.C.F. no 1929 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale, sur la question du caractère arbitraire d’une décision, écrit que, pour faire la preuve d’un manquement au devoir de représentation équitable, « […] le plaignant doit convaincre le Conseil que les investigations faites par le syndicat au sujet du grief étaient sommaires et superficielles ».

51 Dans Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52, la Commission a formulé le commentaire suivant :

[…]

[44] […] Il revient à l’agent négociateur de décider des griefs qu’il traite et de ceux qu’il ne traite pas. Pour prendre ces décisions, l’agent négociateur peut se fonder sur les ressources et les besoins de l’organisation syndicale dans son ensemble (Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13). Ce processus décisionnel de l’agent négociateur a été décrit comme suit dans Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC L.R.B.) :

[Traduction]

[…]

[42] Lorsqu’un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief pour des considérations pertinentes concernant le lieu de travail – par exemple, vu son interprétation de la convention collective, vu l’effet sur d’autres fonctionnaires ou vu son évaluation selon laquelle le fondement du grief n’est pas suffisant –[,] il accomplit son travail consistant à représenter les fonctionnaires.Le fonctionnaire en cause, dont le grief a été abandonné, peut estimer que le syndicat ne le « représente » pas.Toutefois, décider de ne pas poursuivre un grief en se basant sur ces genres de facteurs est une partie essentielle du travail syndical consistant à représenter les fonctionnaires dans leur ensemble.Quand un syndicat agit en se fondant sur des considérations se rapportant au lieu de travail ou à son travail de représentation des fonctionnaires, il est libre de déterminer la meilleure voie à suivre, et une telle décision n’équivaut pas à une violation du [devoir de représentation équitable].

[…]

52 Les agents négociateurs et leurs représentants devraient sans aucun doute bénéficier d’une grande marge de manœuvre à l’égard de leurs décisions en matière de représentation. Comme l’a indiqué la Commission dans Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 128, au paragraphe 38 : « La barre pour faire la preuve d’une conduite arbitraire – ou discriminatoire ou de mauvaise foi – est placée très haut à dessein. »

53 Le plaignant était tenu d’établir la contravention à l’article 187 de la Loi; pour ce faire, il devait produire des preuves démontrant que la décision de la défenderesse de ne pas le représenter a été prise de façon arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Mon analyse des faits et des éléments de preuve soumis par les parties dans ce cas ne révèle aucune trace de discrimination, de comportement arbitraire ou de mauvaise foi de la part de la défenderesse. Le plaignant n’a rien soumis en cours d’audience qui étaierait, selon la prépondérance des probabilités, un constat de dérogation à l’article 187 de la Loi.

54 De plus, rien dans la preuve ne peut me permettre de conclure que la défenderesse a adopté une approche inattentive ou cavalière relativement aux intérêts du plaignant, ni qu’elle a agi de manière frauduleuse, pour des motifs illégitimes ou avec hostilité envers lui. Rien ne me laisse croire que la défenderesse a fait preuve de négligence ou qu’elle a traité le plaignant autrement des autres employés pour des motifs illicites, arbitraires ou déraisonnables.

55 Par ailleurs, je suis convaincu que la défenderesse a étudié le cas du plaignant en toute légitimité, qu’elle a pris en considération les facteurs réels et pertinents et qu’elle a pris une décision raisonnée à savoir si elle devait donner suite aux préoccupations en cause.

56 Pour ces motifs, je conclus que le plaignant n’a pas établi que la défenderesse s’est livrée à une pratique déloyale de travail ou qu’elle a dérogé à l’article 187 de la Loi.

57 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

58 La plainte est rejetée.

Le 27 octobre 2011.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
commissaire

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