Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’administrateur général a licencié la fonctionnaire s’estimant lésée pour motifs disciplinaires - dans une décision antérieure (2008 CRTFP 61), l’arbitre de grief avait conclu qu’aucune mesure disciplinaire n’était justifiée - l’arbitre de grief a conclu qu’elle avait la compétence d’octroyer une indemnité tenant lieu de réintégration dans des circonstances où la réintégration n’a pas de chance raisonnable de succès - elle a conclu que la réintégration de la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas viable dans les circonstances - elle a ordonné un complément d’audience portant sur les mesures de réparation indiquées afin d’indemniser la fonctionnaire s’estimant lésée pour la perte de son emploi. À défaut d’entente entre les parties, audience convoquée à l’égard des mesures de réparation appropriées.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-12-02
  • Dossier:  566-02-605
  • Référence:  2011 CRTFP 137

Devant un arbitre de grief


ENTRE

THU-CÙC LÂM

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence de la santé publique du Canada)

défendeur

Répertorié
Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
James G. Cameron, avocat

Pour le défendeur:
Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Montréal, (Québec),
du 11 au 15 avril 2011.
Arguments écrits déposés les 3, 24 et 30 juin 2011.

I. Demande de redressement

1 La fonctionnaire s’estimant lésée, Thu-Cùc Lâm (la « fonctionnaire ») a été licenciée de son emploi au sein de la fonction publique fédérale le 12 juillet 2006. Comme arbitre de grief, j’ai statué que le licenciement était injustifié. J’ai toutefois refusé d’ordonner la réintégration de la fonctionnaire pour les motifs exposés dans ma décision (voir Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2008 CRTFP 61). La fonctionnaire a présenté une demande de contrôle judiciaire de ma décision au motif que je ne lui avais pas donné la possibilité de présenter des arguments concernant la question de la réintégration.

2 En première instance, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie en partie (voir Lâm c. Canada (Procureur général), 2009 CF 913).  La Cour fédérale a ordonné qu’une audience soit fixée pour entendre les parties sur la question de la réparation appropriée. La fonctionnaire en a appelé de cette décision. La Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la Cour fédérale en ordonnant que l’affaire me soit retournée pour décider de la question du redressement approprié (voir Lâm c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 222).  Voici le jugement de la Cour d’appel :

[1] Nous sommes d’avis que le juge de la Cour fédérale, après avoir constaté que l’arbitre du grief avait omis de permettre aux parties de se faire entendre sur la question du remède approprié, se devait de retourner l’affaire pour qu’elle soit décidée à nouveau par l’arbitre du grief.

[2] Il y a donc lieu d’accorder l’appel, d’annuler la décision de la Cour fédérale et d’ordonner que l’affaire soit retournée pour que la question du remède approprié soit décidée à nouveau par la même arbitre.

[…]

3 Alors que le juge de la Cour fédérale avait statué sur le bien-fondé d’accroître la compétence de l’arbitre de grief en matière de licenciement pour permettre de trancher la question des dommages plutôt que la seule question de la réintégration, la Cour d’appel fédérale ne s’est pas prononcée. La question de la compétence de l’arbitre de grief d’attribuer des dommages plutôt que d’ordonner obligatoirement la réintégration lorsqu’un licenciement est injustifié demeure donc entière.

4 L’audience concernant la question du redressement approprié s’est tenue du 11 au 15 avril 2011 et a procédé comme suit. J’ai d’abord entendu l’argumentation des parties concernant la question de ma compétence. À l’issu de cette argumentation, j’ai réservé ma décision et j’ai demandé aux procureurs de me présenter des arguments écrits concernant plus précisément les questions suivantes :

i) les distinctions entre les dispositions législatives de l’article 11 de l’ancienne Loi sur la gestion des finances publiques (« l’ancienne LGFP ») et l’article 92 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« l’ancienne LRTFP ») citées par la Cour d’appel fédérale dans Gannon c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 417, et les dispositions de l’article 12 de la nouvelle Loi sur la gestion des finances publiques  (« la nouvelle LGFP ») et de l’article 209 de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« la nouvelle LRTFP ») qui les ont remplacées en date du 1er avril 2005;

ii) le cas échéant, l’incidence de ces distinctions sur la compétence de l’arbitre de grief d’ordonner la compensation d’un fonctionnaire injustement congédié au lieu de la réintégration en regard de Gannon.

Les parties ont ensuite présenté la preuve orale et leur argumentation ayant trait au bien-fondé du redressement approprié.

5 Après l’audience, l’employeur a soumis ses observations écrites le 3 juin 2011. L’agent négociateur a présenté ses observations écrites le 24 juin 2011. L’employeur a présenté une réplique le 30 juin 2011.

II. Résumé des témoignages

6 L’employeur a fait témoigner six employés qui ont été collègues de la fonctionnaire avant son licenciement et qui ont exprimé les difficultés ressenties alors qu’ils travaillaient avec la fonctionnaire. La fonctionnaire a témoigné elle aussi.

Témoignage de Simon Jacques

7 Simon Jacques est un consultant en programme; son poste est classifié PM-4. Il travaille à l’Agence de la santé publique du Canada (l’ « Agence ») depuis 2000. Il fait des suivis de projet ainsi que leur évaluation auprès des organismes communautaires et des organismes reliés au réseau de la santé du Québec. De 2000 à 2006, il a travaillé avec la fonctionnaire. À compter de 2003, il occupait un espace de travail devant celui de la fonctionnaire. M. Jacques a témoigné des incidents suivants qui ont contribué à une relation tendue avec la fonctionnaire et qui ont fait en sorte qu’il l’évitait le plus possible.

8 Au printemps 2001, la fonctionnaire s’est insurgée contre M. Jacques lors d’une table de concertation régionale concernant le renouvellement de projets. Elle l’a interrompu sèchement et lui a dit de se taire parce qu’il n’avait pas le droit de parole. En novembre 2001, la fonctionnaire a déposé sur son bureau et celui d’autres collègues un article de journal traitant du nombre élevé de suicides liés à la violence au travail, et ce, sans explication; M. Jacques en a ressenti un grand malaise. En 2002, la fonctionnaire a organisé une réunion avec les consultantes féminines en programme; elle a exclu les trois consultants masculins du groupe parce que, selon elle, ils prenaient trop de place aux réunions. M. Jacques s’est dit insulté par cette initiative.

9 En 2004, alors que M. Jacques remplaçait le chef d’équipe sur une base intérimaire, la fonctionnaire est passée devant sa porte et lui a demandé ce qu’il faisait dans le bureau du chef d’équipe. La fonctionnaire a dit à M. Jacques que le poste de chef d’équipe par intérim lui revenait parce qu’elle avait plus d’ancienneté que lui. Par la suite, la fonctionnaire a vigoureusement contesté la décision de M. Jacques de ne pas lui accorder systématiquement les journées de télétravail qu’elle demandait.

10 Le 15 avril 2005, la fonctionnaire a pris la parole lors d’une réunion des agents de programme et a contesté un pourcentage de réussite mis de l’avant par un des gestionnaires présents en lui disant qu’il ne se basait sur rien. Après une mise au point par un autre gestionnaire concernant le ton de la réunion et le respect dû aux collègues de travail, la fonctionnaire a levé le ton et a accusé la direction de nuire à sa sécurité personnelle et à son emploi, puis a brusquement quitté la réunion. M. Jacques a témoigné que cet exemple de réunion d’équipe tendue, voire acrimonieuse, était le résultat du comportement de la fonctionnaire. Depuis le départ de la fonctionnaire, les réunions sont fort harmonieuses. M. Jacques a témoigné que si la fonctionnaire était réintégrée, il y aurait beaucoup d’appréhension relativement à la participation aux réunions hebdomadaires.

11 En contre-interrogatoire, M. Jacques a admis avoir affiché dans son espace de travail une blague de mauvais goût concernant les femmes. Lorsque la fonctionnaire s’en est plainte, il l’a enlevée. M. Jacques a aussi été délégué syndical entre 2001 et 2005, mais n’a pas été impliqué dans le licenciement de la fonctionnaire.

Témoignage d’Isabelle Lamontagne

12 Isabelle Lamontagne est une consultante en programme; son poste est classifié PM-4. Elle travaille à l’Agence depuis 2000. Elle a travaillé avec la fonctionnaire d’octobre 2004 à juin 2006. Mme Lamontagne côtoyait la fonctionnaire dans les réunions d’équipe à chaque semaine. Bien que tous les autres consultants étaient présents au travail avant 9h et désiraient que les réunions commencent à 9h, la fonctionnaire insistait pour que les réunions commencent à 9 h 30 puisqu’elle arrivait à 9 h 30. Malgré tous les efforts pour l’accommoder, la fonctionnaire se présentait en retard aux réunions. Mme Lamontagne a relaté que lorsque la fonctionnaire était présente, « il y avait une ambiance à couper au couteau ». La fonctionnaire s’opposait à chaque point de l’ordre du jour, apportait ses commentaires et demandait soit des modifications, soit le retour en arrière sur un autre point. Il était quasi impossible d’aborder tous les points à l’ordre du jour de la réunion en raison des interventions de la fonctionnaire. Les réunions n’avançaient pas et il fallait le plus souvent poursuivre en après-midi. Les interventions des autres membres de l’équipe concernant les points soulevés par la fonctionnaire amenaient à coup sûr des menaces de la part de la fonctionnaire de déposer un grief ou de porter plainte à la Commission des droits de la personne ou encore à l’Alliance de la fonction publique du Canada. La fonctionnaire avait d’interminables discussions avec la direction, au point de prendre toute la place. Mme Lamontagne a dit qu’elle se sentait impuissante de dire quoi que ce soit et que l’atmosphère était insupportable. Mme Lamontagne a témoigné qu’à la rencontre du 15 avril 2005 la fonctionnaire avait agi irrespectueusement envers un gestionnaire très respecté en le traitant d’incompétent.

13 Depuis le départ de la fonctionnaire, Mme Lamontagne témoigne que l’atmosphère au travail est détendue, que l’équipe des agents de programme travaille bien ensemble, que les rencontres se déroulent harmonieusement et que tous les points à l’ordre du jour sont discutés en une matinée. Selon elle, les gestionnaires ne sont pas constamment accaparés par la fonctionnaire. Mme Lamontagne a souligné que même si elle aime bien son emploi à l’Agence, elle en chercherait un autre si la fonctionnaire revenait travailler dans son unité.

14 En contre-interrogatoire, Mme Lamontagne a témoigné qu’elle n’était pas au courant de la conclusion de l’enquête administrative concernant la fonctionnaire ni de la décision rendue à son sujet. Elle a admis qu’au moment de débuter avec l’équipe des agents de programme, elle avait été mise en garde par rapport aux agissements de la fonctionnaire. Elle a affirmé qu’elle chercherait sans hésitation un autre travail si la fonctionnaire était réintégrée à l’équipe.

Témoignage de Nathalie Pelletier

15 Nathalie Pelletier est une consultante en programme; son poste est classifié PM-4. Elle travaille à l’Agence depuis 2000. Elle a travaillé avec la fonctionnaire dans le même programme entre février 2002 et janvier 2003. Entre 2003 et 2006, ses responsabilités de programme ont changé; toutefois, son bureau était situé non loin de celui de la fonctionnaire. Mme Pelletier côtoyait la fonctionnaire dans les corridors. Dans ses échanges avec elle, si banals soient-ils, Mme Pelletier se sentait jugée, humiliée et incompétente. Si Mme Pelletier ne comprenait pas immédiatement le sens de ce que lui disait la fonctionnaire, celle-ci lui disait « […] c’est pourtant simple, tu devrais comprendre, je vais te l’expliquer autrement […] ». Lors d’un incident dans la salle des dossiers, la fonctionnaire l’a critiquée pour un document qu’elle jugeait mal classé. Selon Mme Pelletier, comme la fonctionnaire n’était pas sa supérieure le classement d’un document ne la concernait pas.

16 La fonctionnaire arrivait le plus souvent en retard aux rencontres d’équipe; il fallait alors tout lui résumer afin qu’elle puisse participer. Pendant les rencontres, la fonctionnaire interrompait continuellement la personne qui avait la parole en faisant des remarques désobligeantes et condescendantes à son sujet ou concernant ses opinions. À quelques reprises, des participants frustrés par le manque de progrès ont tout simplement quitté la réunion. À une occasion, la fonctionnaire s’est opposée à ce que Mme Pelletier communique avec une représentante régionale alors que celle-ci était autorisée à le faire. Mme Pelletier s’est sentie humiliée devant ses collègues. Depuis le départ de la fonctionnaire, les rencontres sont efficaces et les participants ont la chance de discuter ouvertement.

17 Avant que Mme Pelletier obtienne sa permanence, la fonctionnaire l’a narguée à plusieurs reprises au sujet de son statut de contractuelle en se vantant qu’elle avait sa permanence d’emploi.

18 Mme Pelletier a témoigné que même si elle aime bien son travail, elle chercherait un autre emploi si la fonctionnaire était réintégrée car elle ne veut plus être stressée par les contacts quotidiens avec la fonctionnaire. Mme Pelletier a appris le 11 mars 2011 qu’il était question que la fonctionnaire revienne au travail. Cette nouvelle l’a perturbée toute la fin de semaine et elle a mis son curriculum vitae à jour en vue de trouver un nouveau travail. Elle a demandé une aide psychologique. Une intervention psychologique de groupe s’est tenue le 14 mars 2011 pour les employés pouvant être affectés par le retour de la fonctionnaire au travail. Mme Pelletier a aussi communiqué son malaise concernant le retour de la fonctionnaire au travail par courriel à l’agent négociateur.

19 En contre-interrogatoire, Mme Pelletier a témoigné qu’elle a dit à la fonctionnaire que ses commentaires la mettaient mal à l’aise, mais celle-ci n’a rien répondu. Mme Pelletier a détaillé l’incident du classement d’un document dans le dossier à son supérieur. Mme Pelletier a dit ignorer si l’incident avait été porté à l’attention de la fonctionnaire. Mme Pelletier a témoigné ne pas savoir quelles interventions avaient été faites avec la fonctionnaire concernant ses agissements.

Témoignage de Dominique Parisien

20 Dominique Parisien est un gestionnaire dont poste est classifié EC-7. Elle travaille à l’Agence depuis 1998. Entre 2000 et 2004, elle faisait partie du groupe des évaluateurs des programmes pour enfant et était classifiée ES-4. Pendant cette période, elle était la voisine de bureau de la fonctionnaire. À un moment donné, la fonctionnaire qui était toujours bien mise et bien coiffée, l’a félicitée parce qu’elle s’habillait enfin comme une jeune femme. Mme Parisien a trouvé cette remarque condescendante. Dans le cadre de ses relations avec collègues et clients, Mme Parisien a observé que la fonctionnaire parlait assez souvent d’un ton sec.

21 Mme Parisien a participé aux rencontres d’équipe avec ses collègues, y compris la fonctionnaire. Cette dernière contestait systématiquement les procédures de travail mises de l’avant par le groupe. La fonctionnaire a fait la remarque que son superviseur prenait de mauvaises décisions. Parce que l’arrivée tardive de la fonctionnaire nuisait aux réunions d’équipe déjà bien entamées et que la fonctionnaire en faisait un plat, le début des réunions a été changé pour 9 h 30.

22 Mme Parisien a témoigné du manque de collaboration de la fonctionnaire. Contrairement aux autres agents de programme, la fonctionnaire ne répondait pas aux demandes d’analyse de projet dans les trois semaines prévues; elle refusait d’assister aux formations sous le prétexte qu’elle maîtrisait déjà le sujet ou l’information qui allait être dispensée. La fonctionnaire était toujours trop occupée pour répondre aux demandes de renseignements; après plusieurs rappels, elle répondait que les informations étaient déjà dans les dossiers.

23 À une occasion, la fonctionnaire a envoyé un courriel à une étudiante universitaire qui faisait un stage dans la section, avec copie à Mme Parisien, lui disant que son travail était bon « […] pour un stage cégépien » mais inutile aux fins de son travail. Le rapport de l’étudiante a éventuellement servi à créer des outils de travail essentiels. Mme Parisien a témoigné avoir été bouleversée par l’article de journal traitant du nombre élevé de suicides liés à la violence au travail que la fonctionnaire avait mis dans son pigeonnier, tout particulièrement la partie surlignée concernant la violence au travail. Mme Parisien craignait que la fonctionnaire ait une réaction violente envers elle.

24 Mme Parisien a témoigné que la fonctionnaire était offusquée lorsque celle-ci a communiqué avec une directrice régionale. La fonctionnaire a prétendu, en levant le ton et pointant du doigt que la directrice était son contact exclusif et que tout devait passer par elle. Elle a défendu à Mme Parisien de la rencontrer dans le futur.

25 Le 15 avril 2006, la fonctionnaire a participé à une rencontre trimestrielle des unités de programme. Celle-ci a critiqué ouvertement l’équipe de direction pour avoir commis des erreurs ou fait des omissions dans certains dossiers, dont la gestion des contrats entre l’Agence et certains entrepreneurs, la synthèse de l’évaluation d’un programme, la validité des données utilisées pour cette évaluation, la divulgation aux consultations d’un protocole provincial et la date officielle de l’utilisation de certaines procédures opérationnelles. Le manque de respect de la fonctionnaire a fait en sorte que la rencontre a été interrompue et que certaines personnes se sont retirées. Le comportement de la fonctionnaire a fait l’objet d’une enquête dans laquelle on a conclu que ses agissements minaient l’esprit d’équipe et décourageaient la participation de certains membres de l’équipe de crainte d’être mal interprétés.

26 Mme Parisien a été incrédule en apprenant que la fonctionnaire pourrait réintégrer son poste après son licenciement. Elle ne comprenait pas pourquoi la fonctionnaire voudrait retourner dans le milieu de travail qu’elle avait tant critiqué. Mme Parisien ne voulait plus revivre et ne voulait pas que ses employés revivent les moments difficiles avec la fonctionnaire. Elle a consulté une psychologue par l’entremise du programme d’aide aux employés. Mme Parisien se dit encore bouleversée par la possibilité d’avoir à réintégrer la fonctionnaire dans une équipe de l’Agence.

Témoignage d’Anne Turmaine

27 Anne Turmaine est gestionnaire des programmes pour enfant. Elle gère une équipe de 22 employés et se rapporte à la directrice de la région du Québec. Mme Turmaine a commencé à travailler à l’Agence comme PM-4 le 30 octobre 1998, en même temps que la fonctionnaire et cinq autres agents de programme. La première semaine de travail, les nouveaux agents de programme ont été sommés de faire une présentation en équipe. La fonctionnaire a pris les devants en voulant diviser le travail en sept, de façon que chacun travaille dans son coin. C’était son idée du travail en équipe. À chaque fois qu’il était question de partage, d’échange ou de transfert de dossiers, la fonctionnaire apportait ses revendications, voulait des changements et mettait les autres consultants mal à l’aise.

28 La fonctionnaire n’a pas voulu collaborer avec l’étudiante universitaire. À chaque fois que la collaboration de la fonctionnaire était sollicitée, il fallait faire appel à la direction pour obtenir sa collaboration. Elle remettait tout en question, la division des dossiers, l’assignation aux régions, les relations avec la régie régionale. Ses dossiers étaient pour elle une chasse gardée à un point tel que personne n’y avait accès sauf elle. Il y avait un conflit perpétuel concernant l’accès à ses dossiers par d’autres collègues de travail.

29 Mme Turmaine a témoigné des difficultés qu’elle a rencontrées pour obtenir la collaboration de la fonctionnaire concernant une réunion importante qui a eu lieu à Québec en 2001. La fonctionnaire a multiplié les courriels pour avoir des informations précises sur tous les points plutôt que d’attendre que l’information lui soit fournie.  

30 Mme Turmaine a été bouleversée de retrouver dans son pigeonnier, et ce, sans explication, l’article de journal traitant du nombre élevé de suicides liés à la violence au travail. Elle a cru que la fonctionnaire la ciblait par rapport au contenu de l’article et s’est demandée si la fonctionnaire allait passer à un acte violent.

31 Les rencontres d’équipe étaient très stressantes en raison de l’arrivée tardive de la fonctionnaire. La fonctionnaire remettait en question tout ce qui avait été discuté avant son arrivée ainsi que les décisions prises par les gestionnaires. La fonctionnaire rabaissait continuellement ses collègues. Mme Turmaine a décrit cet aspect de la fonctionnaire comme suit : « Polie, toujours polie, mais te dénigre polie. » Les interventions de la fonctionnaire créaient une telle tension que Mme Turmaine a quitté certaines réunions pour échapper au stress. Les rencontres n’avançaient pas.

32 Mme Turmaine a témoigné avoir discuté avec la fonctionnaire du besoin d’interprétation pour discuter d’un projet qui se déroulait en anglais, un des sept à faire l’objet d’une réunion. La fonctionnaire a été catégorique concernant les exigences de la Loi sur les langues officielles quelle que soit l’importance du projet; puis elle a admis qu’il serait suffisant d’apporter des explications si l’un ou l’autre participant ne comprenait pas les interventions.

33 Après la décision de la Cour d’appel fédérale, Mme Turmaine a annoncé aux employés la possibilité du retour au travail de la fonctionnaire. Tous les employés rencontrés, dont ceux qui sont venus témoigner, étaient bouleversés et plusieurs sont devenus anxieux. Mme Turmaine a fait appel à une psychologue pour rencontrer les employés en groupe et individuellement, si nécessaire.

34 En contre-interrogatoire, Mme Turmaine a admis que l’incident concernant la réunion à Québec n’était pas majeur et que ça avait eu lieu il y a 10 ans. Mme Turmaine a témoigné que les rencontres d’équipe avec la fonctionnaire étaient de plus en plus désagréables et que la fonctionnaire ne cédait pas devant les interventions de la direction visant à rétablir l’ordre. À cette époque (2002 à 2006), Mme Turmaine était PM-4, tout comme la fonctionnaire; ce n’était pas son rôle de la réprimander ou d’intervenir. Par contre, Mme Turmaine s’est plainte à son chef d’équipe et au directeur général du comportement de la fonctionnaire et leur a expliqué comment il devenait insupportable de travailler avec elle.

Témoignage de Danielle Gagnon

35 Danielle Gagnon est directrice pour la région de Québec depuis mai 2008. Elle est responsable des programmes de mesures d’urgence et des relations fédérales-provinciales pour l’Agence. Mme Gagnon a témoigné avoir collaboré avec la fonctionnaire en 1997 et 1998, alors que cette dernière était coordonnatrice en ressources humaines de dossiers spéciaux liés au programme de santé régionale géré par Mme Gagnon traitant de la diversité et de l’équité en matière d’emploi. La fonctionnaire lui donnait constamment des instructions; Mme Gagnon s’est plainte à son gestionnaire des interventions constantes de la fonctionnaire.

36 Mme Gagnon a témoigné d’une réunion patronale-syndicale en 2004 où la fonctionnaire était présente. Un des sujets importants à l’ordre du jour était la formation sur les compétences. La fonctionnaire a pris la parole et a fait la leçon aux directeurs présents sur comment devait se faire la formation. La fonctionnaire a insinué que les directeurs étaient inférieurs et ne savaient pas faire leur travail. Les personnes présentes ont été visiblement irritées par cette intervention et le sujet a été clos.

37 Mme Gagnon a appris la possibilité du retour de la fonctionnaire au moment de la première décision rendue par la Cour fédérale. Elle en a discuté avec Mme Turmaine et la chef d’équipe, Aline Bernier. Mme Bernier lui a dit immédiatement qu’elle allait quitter si la fonctionnaire revenait au travail. Mme Bernier a invoqué comme motif une peur pour son intégrité physique. Elle a partagé l’information quant au retour de la fonctionnaire avec les employés de l’équipe. Ceux-ci ont mal réagi et ont été rencontrés par une psychologue. Mme Gagnon craint que le retour de la fonctionnaire entraîne encore une fois la détérioration du climat de travail.

38 En contre-interrogatoire, Mme Gagnon a témoigné qu’elle n’avait pas discuté de l’incident de la réunion patronale-syndicale en 2004 avec la fonctionnaire. À la suggestion que le comportement de la fonctionnaire puisse faire l’objet d’un contrôle lors de son retour au travail, Mme Gagnon a répondu que le retour aurait un effet négatif immédiat sur l’équipe de travail, peu importe les processus disciplinaires à sa disposition. À la suggestion qu’il y avait d’autres outils de gestion disponibles, Mme Gagnon a répondu que le tort quant au climat de travail serait ressenti immédiatement, peu importe les outils employés, que ce soit le programme d’aide aux employés, les services d’un coach ou même le déploiement de la fonctionnaire. De toute façon, elle n’a aucun contrôle sur ces « outils » et les résultats ne sont pas garantis.

Témoignage de Caroline Boucher

39 Caroline Boucher est consultante en programme; son poste est classifié PM-4. Elle travaille à l’Agence depuis 2003 et se rapporte à Mme Turmaine. Elle a eu des contacts avec la fonctionnaire entre 2003 et 2005 et a décrit les incidents suivants. Elle a témoigné que pour satisfaire aux demandes de la fonctionnaire relativement à l’heure des réunions, celle du 16 juillet 2004 avait été fixée à 9 h 15. Un courriel de confirmation a été envoyé à tous les participants, dont la fonctionnaire. La fonctionnaire a contesté l’heure de cette réunion par courriel. Le jour arrivé, la fonctionnaire s’est présentée à 12 h 5 sans explication et sans excuse.

40 Le 21 juillet 2004, Mme Boucher a revu des dossiers préalablement assignés à la fonctionnaire et a jeté les doubles et les documents qui n’étaient d’aucune utilité pour le travail des agents de programme, sachant qu’il y avait un original dans le dossier officiel et une copie au Service des finances. La fonctionnaire a fouillé dans les poubelles de Mme Boucher et a retrouvé des documents qui y avaient été jetés. La fonctionnaire a rapporté l’incident à Mme Bernier, la chef d’équipe de Mme Boucher, et lui a dit qu’elle ne prenait plus de responsabilité quant à l’exactitude des dossiers transférés. Mme Boucher s’est fait interpeller par Mme Bernier pour s’expliquer. Mme Boucher s’est dite épiée et humiliée et ce même si elle n’avait jeté aucun document d’importance ou fait quelque erreur que ce soit. La fonctionnaire avait manqué de respect à son égard en rapportant l’incident sans lui en parler.

41 Le ou vers le 29 juillet 2004, alors qu’elle dirigeait un comité, Mme Boucher a demandé à l’équipe de soutien de revoir d’anciens dossiers, de faire des copies d’un certain type de rapport et de les classer dans le dossier dit « Alberta ». Dans la mesure où un rapport était absent, elle a donné instruction d’insérer une feuille verte indiquant un rapport manquant. La fonctionnaire a décidé de consulter ses anciens dossiers et a été outrée de trouver une feuille indiquant que son dossier ne contenait pas le rapport en question. De fait, le document était classé ailleurs, une erreur de la fonctionnaire. La fonctionnaire a porté plainte contre Mme Boucher. Pour éviter d’autres outrances de la fonctionnaire, Mme Boucher a modifié sa façon de traiter les dossiers. À la suite de cet incident, Mme Boucher a demandé le retrait de la fonctionnaire du comité, ce qui fut fait.

42 Mme Boucher a témoigné de rencontres d’équipe houleuses où la fonctionnaire était présente. Par exemple, le 5 avril 2005, la fonctionnaire a menacé de quitter la réunion parce que l’animatrice tentait de ramener un des participants à l’ordre. Le 15 avril 2005, la fonctionnaire est intervenue et a insulté un gestionnaire en lui disant qu’elle rejetait l’analyse transversale qui était imposée parce qu’elle la jugeait non scientifique et qu’elle refusait que l’équipe d’évaluation donne une formation dans sa région. Après une pause, Mme Bernier a rappelé la fonctionnaire à l’ordre. La fonctionnaire s’est levée et a dit que pour sa sécurité personnelle, elle quittait la réunion. Après discussion avec Mme Bernier à l’extérieur de la salle, elle n’y est pas revenue.

43 Le 18 mars 2011, Mme Boucher a écrit une lettre au président national de l’agent négociateur pour dénoncer le retour de la fonctionnaire dans le milieu de travail. Mme Boucher craint que le retour de la fonctionnaire bouleverse sa vie au travail.

44 En contre-interrogatoire, Mme Boucher a dit ne pas avoir exprimé son mécontentement directement à la fonctionnaire. Elle a admis ne pas avoir copié la fonctionnaire sur ses courriels de plainte, tout comme la fonctionnaire ne la copiait pas pour se plaindre.

Témoignage de la fonctionnaire

45 La fonctionnaire a débuté son emploi en avril 1998 comme agente en diversité. En septembre 1998, elle est devenue agent de programme, un poste classifié PM-4. Elle a obtenu sa permanence en 1999. Elle a été licenciée en 2006. Elle travaille actuellement comme interprète interculturelle pour les services sociaux et de la santé du Québec pour la région de l’île de Montréal.

46 La fonctionnaire a témoigné avoir un sentiment permanent de honte liée au licenciement de son emploi. Elle n’a discuté de son licenciement avec personne, y compris sa famille. Dans la culture asiatique, le nom de la famille est très important et elle vient d’une famille bien connue à Montréal. Son frère travaille à Santé Canada et elle a voulu lui éviter des ennuis. Pour le moment, elle a mis ses études en suspens. Ses revenus sont moindres. Elle désire poursuivre sa carrière comme analyste avec la fonction publique fédérale. Avec son licenciement, ses projets de carrière et de retraite ont été défaits.

47 La fonctionnaire désire réintégrer son poste à l’Agence afin de pouvoir garder la tête haute et se débarrasser de sa honte d’avoir été licenciée, ainsi que pour régulariser sa situation avec sa famille. La fonctionnaire se sent seule et délaissée.

48 La fonctionnaire a témoigné qu’elle comprenait les sentiments des collègues de travail dont elle a entendu le témoignage. La fonctionnaire s’est dite toujours exclue par ses collègues sans comprendre pourquoi, mais elle a compris que la direction avait communiqué différemment avec ses collègues qu’avec elle. La fonctionnaire a témoigné n’avoir pas pris connaissance des pièces déposées qui rapportaient les incidents qui ont fait l’objet des témoignages, sauf deux qui ont figuré dans un arbitrage précédent concernant une mesure disciplinaire.

49 La fonctionnaire s’est défendue d’avoir distribué l’article de journal traitant du nombre élevé de suicides liés à la violence au travail en disant qu’elle l’avait remis à tous les employés et qu’elle ne visait personne en particulier. Elle voulait attirer l’attention sur le stress au travail et la nécessité d’y voir.

50 La fonctionnaire a dit avoir pris connaissance de la blague affichée dans l’espace de travail de M. Jacques. Elle s’est plainte et l’affiche a été retirée.

51 La fonctionnaire a expliqué que l’étudiante universitaire avait fait un premier stage pendant qu’elle était au CÉGEP, puis qu’elle était revenue pendant ses études universitaires. C’est pourquoi la fonctionnaire a qualifié son travail de cégépien.

52 La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait récupéré les photocopies des dossiers de Mme Boucher dans le chariot du contenu des poubelles alors qu’elle était à l’imprimante. La fonctionnaire s’est défendue de s’être plainte à Mme Bernier, puisqu’il s’agissait de son dossier. Elle s’attendait à ce que Mme Bernier lui revienne en lui expliquant ce qui n’était pas correct et pour trouver une solution. La fonctionnaire a déclaré que c’était la première fois qu’elle entendait parler de l’aboutissement de cet incident.

53 Quant aux autres pièces déposées, la fonctionnaire a témoigné qu’elle n’était pas au courant de leur existence. Elle a expliqué son comportement comme suit : « C’est ma nature, puisque je suis une minorité, il me revient de valider et de voir ce qui se dit. »

54 La fonctionnaire a témoigné que si elle était réintégrée, elle rencontrerait son gestionnaire pour avoir de l’aide et pour apprendre. Elle voudrait une session de coaching et voir quelle autre aide pourrait lui être apportée pour une période limitée. Elle chercherait un autre poste classifié PM-4. Ceci dit, la fonctionnaire est confiante qu’elle saurait s’adapter à toutes les situations, car elle est une employée avec beaucoup de potentiel et une minorité visible. La fonctionnaire désire rester à tout prix dans la fonction publique fédérale.

55 En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a souligné que son licenciement, bien que public n’était pas connu dans son milieu parce que peu s’intéressent au milieu juridique et que plusieurs membres de sa famille et de son entourage ne savent pas lire. Elle a réitéré que son congédiement étant injustifié, elle avait plein droit à la réintégration.

56 La fonctionnaire a témoigné qu’elle ignorait ce que la direction lui reprochait. Les témoignages de ses collègues à l’audience l’ont beaucoup étonnée. Elle a alors compris l’attitude de la direction à son égard. Elle a reproché à la direction de ne pas lui avoir communiqué les incidents reprochés au fur et à mesure et de ne pas lui avoir fourni plus de détails. La fonctionnaire a justifié son inquisition dans les poubelles en raison du fait qu’elle avait vu sa signature sur un des documents jetés. Elle a justifié son intrusion dans les dossiers de Mme Boucher en raison du fait que Mme Boucher n’était peut-être pas au courant des dossiers comme elle l’était et qu’elle voulait éviter d’autres problèmes avec elle.

57 La fonctionnaire a témoigné qu’elle a été surprise de l’effet sur ses collègues de l’article de journal traitant du nombre élevé de suicides liés à la violence au travail. Elle ne se souvenait plus à qui elle avait donné l’article; c’était un geste anodin et comme secrétaire du syndicat elle pouvait afficher sur le babillard.

58 La fonctionnaire a admis être entrée dans l’aire de travail de M. Jacques à son insu, d’avoir enlevé la blague affichée et d’avoir fait une copie pour ses dossiers personnels. Elle a rapporté l’incident à un représentant syndical qui l’aurait rapporté à la direction. Elle a été soulagée que l’affiche soit enlevée.

59 La fonctionnaire a témoigné qu’elle n’avait pas à se présenter à 9 h pour les rencontres d’équipe car il n’y avait rien d’important entre 9 h et 9 h 30. Elle connaît ses collègues et elle a estimé qu’elle pouvait être en retard.

60 En réponse à une question concernant le ton de certains courriels adressés à la direction, la fonctionnaire a témoigné qu’elle était en droit de s’exprimer ainsi. Elle justifie le fait qu’elle se dit de « […] nature positive supérieure que la moyenne […] » parce qu’elle a constaté qu’elle était supérieure à la moyenne à la suite d’une rétrospection. La fonctionnaire a ajouté qu’il fallait prendre connaissance des courriels dans leur contexte.

III. Argumentation des parties concernant la compétence de l’arbitre de grief d’ordonner une indemnisation tenant lieu de réintégration

A. Pour l’employeur

61 L’employeur déclare que les distinctions entre les paragraphes 92(1) de l’ancienne LRTFP et 209(1) de la nouvelle LRTFP, qui est entré en vigueur le 1er avril 2005 et qui a remplacé 92(1) de l’ancienne LRTFP, sont majeures. Tel qu’il est mentionné à l’article 92 de l’ancienne LRTFP comme sous l’article 209 de la nouvelle LRTFP, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage un grief portant sur une mesure disciplinaire. Toutefois, le libellé de l’alinéa 92(1)b) de l’ancienne LRTFP analysé par la Cour d’appel fédérale dans Gannon était beaucoup plus précis que celui de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP en vertu duquel la fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage. M. Gannon avait renvoyé son grief à l’arbitrage en se référant expressément aux alinéas 11(2)f) et 11(2)g) de l’ancienne LGFP  qui régissaient les licenciements pour motifs disciplinaires ou pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite. En l’espèce, le renvoi à l’arbitrage selon l’alinéa 209(1)b) par la fonctionnaire est plus général et ne réfère à aucune disposition de la nouvelle LGFP.

62 Quant à l’incidence des changements législatifs sur la compétence de l’arbitre d’ordonner l’attribution d’une compensation au lieu de la réintégration, l’employeur plaide que depuis l’entrée vigueur de la nouvelle LRTFP, le 1er avril 2005, l’arbitre de grief a la compétence d’ordonner l’attribution d’une compensation au lieu de la réintégration. L’obligation qui incombe à l’administrateur général de motiver les mesures prises en vertu de l’alinéa 12(1)c), d) ou e) de la nouvelle LGFP, conformément au paragraphe 12(3) de cette loi, n’a aucune incidence sur les pouvoirs de l’arbitre de grief, lesquels sont tirés exclusivement de la nouvelle LRTFP. L’employeur soumet que le législateur a intentionnellement enlevé de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP toute référence à la nouvelle LGFP traitant des mesures disciplinaires imposées à un employé (v.g. : 12(1)c)) dans le but d’écarter toute confusion quant au pouvoir de réparation de l’arbitre de grief. À noter que les dispositions de l’ancienne LRTFP étaient en vigueur au moment de Gannon. En l’absence d’une référence à la nouvelle  LGFP, l’arbitre de grief possède des vastes pouvoirs de réparation, y compris la compétence de compenser un fonctionnaire congédié au lieu de le réintégrer.

B. Pour la fonctionnaire

63 La fonctionnaire plaide que le régime de travail du secteur public fédéral est exceptionnel. La Cour d’appel fédérale a déjà statué dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1989] 2 C.F. 633 (C.A.) (« Econosult »), que les lois qui s’appliquent aux fonctionnaires fédéraux doivent être interprétées et appliquées conjointement, afin de refléter le régime unique qu’est la fonction publique fédérale. À l’intérieur de ce cadre législatif, le législateur a créé un régime détaillé ayant trait à la nomination et au congédiement d’un fonctionnaire.

64 Dans Gannon, la Cour d’appel fédérale a souligné que, selon l’ancienne LGFP, toute mesure disciplinaire imposée devait être motivée. En l’espèce, l’employeur a motivé le licenciement de la fonctionnaire en invoquant des raisons disciplinaires. La fonctionnaire plaide que dès qu’un arbitre de grief détermine que le congédiement n’est pas motivé, comme dans le cas de la fonctionnaire, la décision de l’employeur est nulle ab initio. La fonctionnaire soumet que malgré les modifications à la nouvelle LGFP, les dispositions portant sur la nécessité de motiver un congédiement sont identiques dans les textes de loi, la seule différence étant l’autorité d’établir des mesures disciplinaires : soit le Conseil du Trésor sous l’ancienne LGFP et l’administrateur général sous la nouvelle LGFP. La fonctionnaire plaide que ce changement à la nouvelle LGFP n’avait aucune incidence dans Gannon, puisque le texte législatif qui a été analysé par la Cour d’appel fédérale est demeuré inchangé. La fonctionnaire précise que la modification de l’ancienne LRTFP n’a pas été effectuée par le législateur en réponse à Gannon puisque la décision a été rendue après que la nouvelle LRTFP ait reçu la sanction royale en novembre 2003.

65 De plus, l’agent négociateur soumet que cette modification n’est pas suffisante pour donner à l’arbitre de grief compétence pour refuser la réintégration d’une fonctionnaire lorsque les actes reprochés ne justifient pas le licenciement. La fonctionnaire soumet que l’interprétation de l’employeur concernant une différence fondamentale entre les deux versions de la LRTFP quant à la référence à la LGFP, va à l’encontre de la jurisprudence qui a reconnu le caractère distinct du cadre législatif des employés de la fonction publique fédérale, et qui impose une interprétation et une application conjointe des lois différentes. La fonctionnaire soumet que rien dans la nouvelle LRTFP n’exclut l’application des dispositions de la nouvelle LGFP. Au contraire, pour mettre de côté les dispositions de la LGFP, il faudrait un texte législatif clair à cet effet. En l’absence d’un texte clair dans la nouvelle LRTFP, l’arbitre de grief ne peut que réintégrer un fonctionnaire dont le licenciement n’a pas été motivé. La fonctionnaire ajoute que même après les modifications de 2005, les dispositions de la nouvelle LRTFP et de la nouvelle LGFP demeurent essentiellement inchangées.

66 La fonctionnaire soumet que les dispositions concernant les pouvoirs d’un arbitre de grief demeurent tout aussi inchangées. Sous l’ancienne LRTFP, l’arbitre de grief devait rendre une décision. Selon la nouvelle LRTFP, l’arbitre de grief doit trancher le grief et rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée. L’ajout de l’expression « qu’il juge indiquée » ne suffit pas pour mettre de côté une décision de la Cour d’appel fédérale. Que ce soit en vertu de l’ancienne ou de la nouvelle LRTFP, l’arbitre de grief a toujours eu un pouvoir discrétionnaire quant à sa décision. Les pouvoirs de l’arbitre de grief en vertu de la nouvelle LRTFP demeurent encore distincts de ceux prévus au paragraphe 242(4) du Code canadien du travail et de ceux qui ont été étudiés par la Cour suprême du Canada dans Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28, c’est-à-dire que si l’arbitre de grief juge que le licenciement d’une fonctionnaire n’était pas motivé, la fonctionnaire doit obligatoirement être réintégrée car la nouvelle LRTFP n’accorde pas de nouveaux pouvoirs.

67 La fonctionnaire souligne que l’interprétation de l’employeur n’était ni raisonnable ni compatible avec le texte de la nouvelle LRTFP. L’employeur sera toujours en mesure de plaider, au moment de l’arbitrage, que la relation de confiance avec le fonctionnaire licencié a été brisée, qu’une réintégration ne serait pas viable et qu’une compensation serait plus appropriée.

IV. Argumentation des parties concernant le bien-fondé de réintégrer ou non la fonctionnaire

A. Pour l’employeur

68 L’employeur soutient que le pouvoir d’ordonner une compensation au lieu d’une réintégration est chose courante en droit du travail.

69 La fonctionnaire savait que son comportement était inapproprié et il est clair que la relation entre les employés et la fonctionnaire est détruite. Toutes les personnes qui ont travaillé avec la fonctionnaire ont été unanimes: elles ne veulent plus travailler avec elle. Leur interaction avec elle a été marquante, déplaisante et inappropriée pour un milieu de travail. Les incidents ont eu un impact sur leur santé. Ces émotions ressurgissent cinq ans après le licenciement de la fonctionnaire et tous ont eu recours à un psychologue après avoir appris que la fonctionnaire était susceptible de revenir au travail.

70 Si la fonctionnaire est réintégrée dans son poste, elle travaillera de nouveau avec ces mêmes personnes. À la lumière de la preuve, il serait dysfonctionnel de retourner la fonctionnaire dans un milieu qui ne veut plus la recueillir. Il serait contraire aux objectifs de bonnes relations de travail et de résolution définitive du grief promulgués dans le préambule de la nouvelle LRTFP, que de réintégrer la fonctionnaire.

71 Un des motifs de la demande de réintégration est de redonner à la fonctionnaire sa fierté et de dissiper toute honte. La décision qui la blanchit est suffisante pour accomplir ce but. Puisque le licenciement était injustifié, la fonctionnaire recevra une compensation.

72 L’employeur souligne que la fonctionnaire continue de nier qu’elle était au courant des comportements qui lui sont reprochés, alors qu’elle a été avisée à plus d’une reprise et qu’elle a reçu plus d’une mesure disciplinaire à ce sujet. L’employeur soutient que la fonctionnaire connaissait parfaitement l’effet de ses paroles, de ses allusions malveillantes sur ses collègues de travail et de ses remarques inappropriées envers la direction. La fonctionnaire a manqué de respect envers ses collègues en se présentant systématiquement en retard aux rencontres d’équipe. Elle n’a exprimé aucun regret pour ce comportement. La fonctionnaire a aussi manqué de respect en faisant circuler l’article de journal traitant du nombre élevé de suicides liés à la violence au travail sans donner d’explication, de même qu’en entrant dans l’espace de travail de M. Jacques sans y avoir été invitée et en accusant Mme Boucher faussement à cause d’un document trouvé dans une poubelle.

73 M. Jacques a témoigné que la fonctionnaire ne lui avait pas communiqué qu’elle trouvait offensante la blague affichée dans son bureau. En interrogatoire, la fonctionnaire a dit en avoir fait une photocopie et l’avoir remise à d’autres. En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a nié l’avoir fait circuler. Elle a déclaré l’avoir seulement photocopiée et mise dans ses dossiers. La fonctionnaire s’est contredite dans son témoignage. Il y a donc lieu de retenir le témoignage de M. Jacques qui est plus crédible.

74 L’employeur soutient que l’option de réintégrer la fonctionnaire n’est ni raisonnable ni viable à long terme. La réintégration de la fonctionnaire dans son poste substantif ne règle pas le grief de façon définitive et efficace. L’employeur demande une ordonnance d’attribution d’une compensation plutôt que de réintégration.

B. Pour la fonctionnaire

75 La fonctionnaire plaide que la règle générale de la réintégration lorsque le licenciement n’est pas justifié s’applique toujours et que la jurisprudence sous l’ancienne et la nouvelle LRTFP abonde dans ce sens. La Cour d’appel fédérale a enseigné qu’il existe une nette présomption en faveur de la réintégration, sauf si des circonstances exceptionnelles démontre manifestement le contraire. La fonctionnaire soutient qu’elle ne peut perdre son emploi si les motifs sont insuffisants pour ce faire.

76 La fonctionnaire plaide que cinq facteurs relèvent la faiblesse de la position de l’employeur. Premièrement, sans douter de la sincérité des personnes qui sont venues témoigner, la fonctionnaire souligne que six des sept témoins avaient participé à une intervention de groupe avec un psychologue avant de venir témoigner. Il est donc normal que leur témoignage se ressemble et que leurs émotions soient plus vives et colorées en raison de cette expérience.

77 Deuxièmement, la fonctionnaire souligne qu’il y avait un énorme problème de communication entre la direction et l’équipe des agents de programme. La fonctionnaire n’était pas au courant de 16 des 22 pièces au soutien de la preuve de l’employeur.

78 Troisièmement, six des sept autres documents faisaient partie de la preuve devant l’arbitre Tessier relativement à une sanction disciplinaire. Ainsi, tenir compte de ces six documents équivaudrait à punir la fonctionnaire deux fois pour les mêmes incidents. La décision de l’arbitre Tessier a été rendue après le licenciement de la fonctionnaire.

79 Quatrièmement, la fonctionnaire souligne que la jurisprudence stipule qu’un employé ne doit pas être pris par surprise. En l’espèce, la fonctionnaire n’a pas reçu d’instruction claire indiquant qu’elle devait changer son comportement et les conséquences auxquelles elle s’exposait si elle ne le faisait pas. La fonctionnaire n’a connu le résultat d’une sanction disciplinaire maintenue par un arbitre de grief qu’un an après son licenciement. Comment la fonctionnaire devait-elle changer son comportement si elle ne connaissait pas la décision de l’arbitre de grief? La fonctionnaire n’a pas eu droit à la discipline progressive, comme il se doit.

80 Cinquièmement, la fonctionnaire soutient qu’il n’y a aucune preuve qu’elle soit incapable de travailler dans la fonction publique fédérale. La fonctionnaire est à l’emploi du Conseil du Trésor et non de l’Agence et de ses gestionnaires.

81 La fonctionnaire plaide que si elle était réintégrée, elle pourrait garder la tête haute et dissiper une honte personnelle. L’impact sur le plan familial a été très grand; elle n’a pas pu en parler à sa mère, à ses enfants ou à son frère. Si elle était réintégrée, la fonctionnaire serait en mesure d’en parler et elle pourrait obtenir leur soutien. Sur le plan communautaire, la réintégration lui permettrait de rétablir son nom. Sur le plan économique, la réintégration permettrait à la fonctionnaire de rétablir son plan de carrière et d’avoir accès à un meilleur niveau de pension.

82 La fonctionnaire me demande de tenir compte des témoignages selon lesquels une personne peut changer avec le temps et apprendre de ses erreurs. Elle me demande aussi de tenir compte qu’il y a eu un roulement dans la direction et qu’il est possible pour un employé classifié PM-4 de se trouver un autre emploi dans la fonction publique fédérale. La fonctionnaire déplore la communication en vase clos entre la direction et les membres individuels de l’équipe.

83 La fonctionnaire plaide que la direction a suffisamment d’outils pour permettre une saine réintégration : le coaching, la médiation de groupe, le programme d’aide aux employés et la sensibilisation à la diversité. Si ces méthodes échouent, les employés peuvent avoir recours à des griefs ou des plaintes de harcèlement. Aucun de ces processus n’a été utilisé par le passé.

84 En résumé, la règle générale est qu’une fonctionnaire licenciée sans motif juste et suffisant doit être réintégrée, hormis des circonstances exceptionnelles. La fonctionnaire soutient que la preuve de l’employeur n’a pas relevé de circonstances exceptionnelles. De toute façon, les années de travail de la fonctionnaire sont maintenant limitées en raison de son âge. Elle ne passera donc pas plusieurs années avec cette équipe. La fonctionnaire estime que l’aide qu’elle demande pour faciliter sa réintégration prendrait au plus deux semaines et qu’elle pourrait rassurer la direction quant à ses craintes.

85 La fonctionnaire plaide que si elle n’est pas réintégrée, les conséquences sont énormes tant sur le plan personnel que professionnel. La fonctionnaire demande d’ordonner sa réintégration.

C. Réplique de l’employeur

86 L’employeur plaide que la réintégration de la fonctionnaire présente un tout autre problème que ceux décrits dans les décisions citées. La réintégration de la fonctionnaire serait une catastrophe. L’employeur soutient qu’il a démontré des circonstances exceptionnelles qui font en sorte que la fonctionnaire ne devrait pas être réintégrée dans son poste.

87 L’employeur plaide que la présentation de documents qui ont mené à la décision d’un autre arbitre de grief ne faisait pas en sorte que la fonctionnaire recevrait une double sanction. La seule question à trancher est si la fonctionnaire doit être réintégrée ou recevoir une compensation. Les faits sont simples. En ordonnant la réintégration, la fonctionnaire retournerait travailler avec les personnes qui ont témoigné vivement qu’ils ne peuvent continuer à travailler avec elle.

88 Il n’y a aucune garantie que la fonctionnaire s’améliorera ou se cherchera du travail ailleurs dans la fonction publique si elle est réintégrée. L’employeur soutient que la fonctionnaire n’a pas compris, à partir des témoignages entendus, que son comportement était inapproprié et qu’elle n’était pas appréciée de ses collègues. Il s’agit de l’aveuglement volontaire de sa part. L’employeur plaide que la solution n’est pas de remettre la fonctionnaire dans son milieu et de se retourner vers la discipline et les plaintes. L’employeur doute que le comportement de la fonctionnaire puisse changer subitement à la suite à sa réintégration, compte tenu de sa conduite passée. L’employeur réitère sa demande d’une ordonnance d’attribution d’une compensation plutôt que la réintégration de la fonctionnaire.

V. Motifs

A. La compétence de l’arbitre de grief d’ordonner une indemnisation tenant lieu de réintégration

89 Avant de procéder à l’analyse de l’effet de Gannon et de l’incidence de cette décision sur la jurisprudence qui a suivi et la présente affaire, il y a lieu de faire un bref rappel de cette décision. M. Gannon, un fonctionnaire fédéral, a été suspendu, puis licencié. L’arbitre de grief a conclu que la suspension était justifiée, mais que le licenciement ne l’était pas. L’arbitre de grief a invoqué la théorie des mesures disciplinaires progressives et l’inconduite de M. Gannon pour décider qu’il était hors de question de le réintégrer dans son poste. Elle lui a donc accordé une indemnité de six mois de salaire, compte tenu de certaines circonstances atténuantes, dont ses longs états de service, son dossier d’emploi et les difficultés qu’il risquait de rencontrer à réintégrer le marché du travail. La décision de l’arbitre de grief a fait l’objet d’un contrôle judiciaire qui a maintenu la décision. Par contre, la Cour d’appel fédérale a infirmé l’ordonnance de réparation au motif qu’elle était non motivée et, par conséquent, irrationnelle. La Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la juge de première instance et a retourné la décision de l’arbitre de grief relative au congédiement non motivé à un nouvel arbitre de grief qui devait réexaminer la question du redressement.

90 La Cour d’appel fédérale a fondé sa décision sur les dispositions de l’ancienne LRTFP et les dispositions de l’ancienne LGFP. Bref, la Cour d’appel fédérale a jugé que l’alinéa 100(3)c) de l’ancienne LRTFP conférait à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») le pouvoir de prendre des règlements en ce qui concerne « la procédure à suivre par les arbitres » et « la forme des décisions rendues par les arbitres ». Le Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993) en vigueur à l’époque ne contenaient aucune précision quant au pouvoir de réparation de l’arbitre de grief saisi d’une affaire de licenciement injuste. Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a souligné que l’ancienne LRTFP ne contenait aucune disposition semblable à celles de la Partie III du Code canadien du travail accordant à l’arbitre de grief de larges pouvoirs de réparation, dont celui d’accorder une indemnité au lieu d’ordonner la réintégration.

91 En l’absence d’un moyen de droit invoqué par l’employeur qui répondait « efficacement » à l’argument de M. Gannon, la Cour d’appel fédérale a retenu l’argument de ce dernier voulant que le paragraphe 11(4) de l’ancienne LGFP avait l’effet d’abroger le principe de common law dans la mesure où il privait l’employeur du pouvoir légitime de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire sans une bonne raison. Autrement dit, l’absence d’un motif valable de mettre fin à l’emploi d’un fonctionnaire annulait le licenciement et ne permettait à un arbitre de grief que d’y substituer une mesure disciplinaire moindre. Selon la Cour d’appel fédérale, « les principes des mesures disciplinaires progressives ne sauraient avoir préséance sur le paragraphe 11(4) de la LGFP ». La Cour d’appel fédérale a conclu que l’arbitre de grief avait ignoré le paragraphe 11(4) et qu’aucune autre loi ne lui conférait le droit de condamner l’employeur à une indemnité plutôt que de l’obliger à réintégrer le fonctionnaire.

92 Gannon fait jurisprudence depuis.

93 Notons qu’au moment de la décision de la Cour d’appel fédérale en 2004, la nouvelle LRTFP et la nouvelle LGFP avaient reçu la sanction royale, mais ne sont entrées en vigueur que le 1er avril 2005, après que la Cour d’appel fédérale ait rendue sa décision.

94 Les dispositions des anciens et nouveaux textes de la LGFP et de la LRFTP sont les suivantes :

[Dispositions de l’ancienne LGFP]

[Dispositions de la nouvelle LGFP]

[…]

          11. (2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d’un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :

[…]

          12. (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

[…]

f) établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres y compris le licenciement et la suspension, susceptibles d’être appliquées pour manquement à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

g) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur des personnes employées dans la fonction publique et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

[…]

[…]

c) établir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires;

d) prévoir le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique dans les cas où il est d’avis que son rendement est insuffisant;

e) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique;

[…]

[…]

          (4) Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation effectués en application des alinéas (2)f) ou g) doivent être motivés.

[…]

[…]

          (3) Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation découlant de l'application des alinéas (1)c), d) ou e) ou (2)c) ou d) doivent être motivés.

[…]

[Dispositions de l’ancienne LRTFP]

[…]

[Dispositions de la nouvelle LRTFP]

[…]

          92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[…]

          209. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l'interprétation ou l'application, à son égard, de toute disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s'il est un fonctionnaire de l'administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l'alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l'insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, s'il est un fonctionnaire d'un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

[…]

          97. (2) Après étude du grief, l'arbitre rend une décision à son sujet, dont il transmet copie :

a) à chaque partie et à son représentant ainsi que, s'il y a lieu, à l'agent négociateur de l'unité de négociation à laquelle appartient le fonctionnaire qui a déposé le grief;

[…]

[…]

           228. (2) Après étude du grief, il tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée. Il transmet copie de l’ordonnance et, le cas échéant, des motifs de sa décision :

a) à chaque partie et à son représentant ainsi que, s’il y a lieu, à l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle appartient le fonctionnaire qui a présenté le grief;

b) au directeur général de la Commission.

[…]

95 J’estime que la décision de la majorité de la Cour Suprême du Canada dans Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, marque une évolution de la jurisprudence quant à l’étendue des pouvoirs d’un arbitre de grief et que les principes qui y sont énoncés sont tout aussi pertinents au régime de la fonction publique fédérale depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle LRTFP.

96 Dans Parry Sound, la majorité de la Cour suprême du Canada a rappelé les propos qu’avait formulé la majorité de la Cour suprême du Canada dans Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, voulant que le régime d’arbitrage des griefs se veut le moyen « […] d’assurer un règlement rapide, définitif et exécutoire des différends […] » concernant une convention collective. Ensuite, dans Alberta Union of Provincial Employees la Cour suprême du Canada a repris ces propos et a ajouté qu’il y avait une valeur sociale au règlement définitif des griefs par la procédure d’arbitrage des griefs :

[…]

34. […] Le caractère définitif du règlement des griefs revêt une importance primordiale tant pour les parties que pour la société en général. L’arbitrage des griefs est le moyen de réaliser cet objectif. Brown et Beatty, op. cit., §2:1401, soulignent qu’[TRADUCTION] « [i]l est reconnu et accepté que ce cadre législatif donne à l’arbitre le mandat d’apporter des solutions effectives, notamment en lui accordant la faculté d’accorder des dommages-intérêts, de telle sorte qu’il peut remédier aux violations de la convention collective autrement qu’au moyen d’une simple mesure déclaratoire » […] .

35. De toute évidence, l’arbitre trouve dans l’économie du Code et dans l’objectif prédominant de celui-ci de solides assises lui permettant de concevoir une réparation adaptée aux circonstances particulières du différend dont il est saisi.

[…]

40.  Notre Cour a reconnu qu'un vaste pouvoir de réparation était nécessaire pour donner effet au processus d'arbitrage des griefs. La nécessité de ne pas entraver l'exercice des pouvoirs de réparation de l'arbitre a été reconnue pour la première fois par le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l'arrêt Heustis, précité, p. 781, où la considération de politique générale justifiant la limitation de l'intervention judiciaire a été expliquée comme suit :

Le but de l'arbitrage des griefs en vertu de la Loi est d'assurer un règlement rapide, définitif et exécutoire des différends résultant de l'interprétation et de l'application d'une convention collective ou d'une mesure disciplinaire imposée par l'employeur, le tout dans le but de maintenir la paix.

La position de notre Cour dans Heustis annonçait un élargissement des pouvoirs de l'arbitre.

41. Par exemple, dans St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 219, [1986] 1 R.C.S. 704, notre Cour a expressément reconnu la compétence élargie dont dispose l'arbitre lorsqu'il statue sur la violation d'un droit prévu par une convention collective. Des arrêts comme Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, et l'affaire connexe Nouveau-Brunswick c. O'Leary, [1995] 2 R.C.S. 967, de même que Parry Sound, précité, ont expliqué davantage comment s'est accru le rôle des arbitres de manière à leur permettre de s'acquitter de leur mandat. Dans Weber, notre Cour a reconnu que les arbitres avaient compétence exclusive à l'égard des différends portant sur l'interprétation, l'application, l'administration ou la violation d'une convention collective. L'arrêt Parry Sound a élargi la compétence de l'arbitre à l'application des lois sur les droits de la personne et des autres lois touchant à l'emploi. Ces décisions s'inscrivent dans un courant jurisprudentiel reconnaissant aux arbitres une compétence plus vaste et un large pouvoir de réparation. En outre, je ne peux m'empêcher de rappeler que notre Cour a à maintes reprises reconnu l'importance fondamentale du règlement des différends par voie d'arbitrage; voir Heustis, précité; voir aussi Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476; Conseil de l'éducation de Toronto, précité, et Parry Sound. Doter les arbitres des moyens de s'acquitter de leur mandat est un aspect fondamental du règlement des conflits en milieu de travail.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

97 Dans Gannon, la Cour d’appel fédérale a statué qu’en vertu de l’ancienne LRTFP, le pouvoir d’un arbitre de grief se limitait à ordonner la réintégration d’un fonctionnaire licencié sans motif suffisant parce que, entre autres, cette loi ne prévoyait pas un pouvoir de réparation aussi large que celui prévu au paragraphe 242(2) du Code canadien du travail. La Cour d’appel fédérale cite Alberta Union of Provincial Employees au soutien de son analyse de la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable pour conclure que la décision de l’arbitre de grief d’accorder une indemnité de salaire était déraisonnable.  Par contre, la Cour d’appel fédérale ne fait aucune analyse de cette décision par rapport aux pouvoirs de redressement de l’arbitre de grief en vertu de la nouvelle LRTFP. J’estime donc que la portée juridique de Gannon est limitée en ce qui a trait au pouvoir de réparation de l’arbitre de grief depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle LRTFP.

98 À mon avis, la nouvelle LRTFP, ajoute une nuance aux pouvoirs de l’arbitre de grief prévus au paragraphe 228(2) : l’arbitre tranche le grief « par l’ordonnance qu’il juge indiquée. » Dans Amos c. Canada (Procureur général), 2011 FCA 38, la Cour d’appel fédérale a reconnu au paragraphe 75 de la décision que l’arbitre de grief possède de larges pouvoirs de redressement qui ne se limitent pas à une liste précise.

99 Qui plus est, le législateur a modernisé la nouvelle LRTFP en y ajoutant un préambule semblable à celui d’autres lois du travail, dont le nouveau Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail de l’Ontario et le code du travail de l’Alberta qui a fait l’objet de la décision dans Alberta Union of Provincial Employees. Le préambule de la nouvelle LRTFP établit les principes directeurs de cette loi : un engagement « […] à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi […] » et « […] l’établissement de relations harmonieuses [comme] élément indispensable pour ériger une fonction publique performante et productive […] ».

100 Il est donc maintenant possible de s’inspirer des conclusions de la Cour suprême du Canada dans Alberta Union of Provincial Employees pour décider de l’étendue des pouvoirs d’un arbitre de grief en vertu du paragraphe 228(2) de la nouvelle LRTFP d’accorder une mesure réparatrice non seulement définitive, mais également appropriée aux circonstances de chaque affaire.

101 Compte tenu de ces principes, il me semble qu’il serait contraire à l’objet et l’esprit de la nouvelle LRTFP et sans égard à l’expertise en relations de travail reconnue par nos tribunaux que de limiter la discrétion de l’arbitre de grief à la réintégration d’un fonctionnaire à chaque fois qu’un licenciement est injustifié, même si à son avis cette solution n’est pas viable, vu les circonstances de l’affaire. Par conséquent, même s’il existe une présomption en faveur de la réintégration, ce droit est tempéré par une preuve que le rétablissement du lien d’emploi n’a pas de chance raisonnable de succès.

B. Le bien-fondé de réintégrer ou non la fonctionnaire

102 Pour décider si la réintégration de la fonctionnaire est indiquée, je dois décider à la lumière des principes énoncés ci-dessus si la fonctionnaire est susceptible de se réintégrer dans son milieu de travail avec une chance raisonnable de succès. Cette analyse tient compte de la confiance de la direction et de la capacité et de la fonctionnaire de se réintégrer à son milieu de travail compte tenu de toutes les circonstances.

103 Dans ma décision sur le bien-fondé du grief, j’ai décidé ce qui suit :

[…]

[205] Dans la présente affaire, j’ai conclu que le licenciement de la fonctionnaire était injustifié et, par conséquent, la fonctionnaire aurait normalement droit à la réintégration. Par contre, j’estime que la preuve a démontré que l’ASPC s’est livrée à un rare acharnement pour licencier la fonctionnaire, à un point tel que son retour dans le même milieu de travail n’est pas une mesure raisonnable et viable, parce qu’elle pourrait lui causer plus de tort que le licenciement lui-même. Il ne faut pas oublier que l’ASPC a demandé à la fonctionnaire de répondre, plusieurs mois après les faits, à de nombreux incidents qui, pris isolément, ne méritaient aucune sanction disciplinaire, et ceci au moment où la fonctionnaire comparaissait devant l’arbitre de grief Tessier relativement à trois griefs de suspension. Puisque le bureau de l’ASPC pour la Région du Québec ne compte que peu d’employés, il devient alors difficile, sinon impossible, d’ordonner une réintégration libre des ennuis qui ont mené au licenciement de la fonctionnaire. Compte tenu de ces circonstances, j’estime qu’ordonner sa réintégration ne constitue pas une option raisonnable ou viable et qu’il est plus indiqué de considérer quelles mesures de réparation peuvent compenser adéquatement la fonctionnaire dans les circonstances.

[…]

104 Au moment de l’audience sur le bien-fondé du grief, j’ai entendu le témoignage des gestionnaires à l’appui du licenciement de la fonctionnaire et j’ai conclu que le licenciement de la fonctionnaire était injustifié puisque les faits qui m’étaient présentés ne méritaient pas une sanction disciplinaire.  J’ai également conclu que le milieu du travail était devenu malsain au point où il n’était pas viable de réintégrer la fonctionnaire dans un tel milieu.

105 Lors de l’audience sur la question du redressement, j’ai entendu pour la première fois le témoignage des collègues de la fonctionnaire qui ont décrit les situations vécues avec la fonctionnaire, qui dans l’ensemble, démontrent un manque fondamental de respect de la fonctionnaire à leur égard.   J’ai compris que ces témoins avaient au moment du licenciement de la fonctionnaire des émotions trop fortes et que la direction ne voulait pas les exposer au stress d’avoir à témoigner.  Ceci étant dit, je comprends mieux maintenant pourquoi l’employeur croyait que la fonctionnaire ne pouvait pas demeurer dans son milieu de travail.  

106 La question qui se pose est de savoir si je dois tenir compte de cette nouvelle preuve dans l’évaluation du redressement approprié.  Je peux répondre à cette question en revenant aux principes exprimés dans Alberta Union of Provincial Employees qui veulent que l’un des objets de la procédure de grief est d’assurer le règlement définitif du différend et que le rôle de l’arbitre de grief est de concevoir une réparation adaptée aux circonstances.

107  En application de ces principes, je dois tenir compte de tous les facteurs pertinents soit, les circonstances qui ont provoqué le licenciement de la fonctionnaire y compris l’effet de la réintégration sur les collègues de travail.  Je dois alors pondérer l’effet d’une réintégration sur le règlement définitif du différend et mon rôle de concevoir une réparation appropriée.  J’estime que même si la fonctionnaire n’a pas été disciplinée ponctuellement pour chacun des incidents relevés dans le témoignage de ses collègues de travail, dans l’ensemble, son comportement passé est incompatible avec un milieu de travail sain.

108 La fonctionnaire n’a offert aucune explication ou justification concernant la façon dont elle s’était comportée aux rencontres d’équipe et ses retards injustifiés.  Elle n’a pas reconnu avoir perturbé ses collègues avec la diffusion d’un article de journal traitant du nombre élevé de suicides liés à la violence au travail. La fonctionnaire a démontré un sentiment de supériorité à l’égard de ses collègues de travail. La fonctionnaire n’a offert aucune excuse pour le ton dénigrant de ses courriels à la direction. La fonctionnaire a déclaré apprendre à l’audience qu’elle n’était pas appréciée par ses collègues. La fonctionnaire a témoigné qu’elle ignorait encore la conduite qui lui avait été reprochée.  Elle a reproché à la direction un manque de communication avec elle et a déclaré que sa conduite était légitime. La fonctionnaire a de plus insisté que ses interventions lors des réunions d’équipe étaient justifiées et qu’elle n’avait rien à se reprocher. Elle a minimisé les témoignages de ses collègues en alléguant que leur participation à une réunion de groupe avec un psychologue diminuait leur valeur.

109 Même si ma décision sur le bien-fondé du grief a invalidé le licenciement de la fonctionnaire, en raison de la preuve entendue lors de la présente audience, je ne suis pas convaincue que la réintégration de celle-ci mettra un terme aux différends entre elle et l’employeur et entre elle et ses collègues. Pour que la réintégration soit couronnée de succès, il doit exister une bonne volonté de part et d’autre. Le témoignage de la fonctionnaire ne m’a pas convaincue d’une véritable volonté de s’intégrer à nouveau à son milieu de travail, mais plutôt qu’il s’agissait d’un concours de nerfs. Je retiens plutôt le manque évident de compassion de la fonctionnaire vis-à-vis ses collègues et la direction.

110 Somme toute, les motifs ultimes de la demande de réintégration de la fonctionnaire sont de préserver sa fierté, de permettre une réconciliation éventuelle avec sa famille et avec son milieu culturel et d’obtenir une pension adéquate. Ces motifs ne m’ont pas persuadée d’une réelle volonté de revoir ses collègues et de partager une énergie positive en travaillant avec eux. La fonctionnaire a souligné à plus d’une reprise dans son témoignage qu’elle avait été blanchie et que l’employeur devait s’en accommoder. Cette attitude me laisse sceptique quant à l’efficacité à court terme des outils qu’elle a suggérés pour sa réadaptation, soit le coaching, le programme d’aide aux employés et les rencontres avec la direction.

111 Le témoignage de la fonctionnaire ne m’a pas rassurée que de se retourner vers la discipline pour sanctionner tout écart futur mettra un terme aux différends entre elle et l’employeur.  Je ne suis pas convaincue non plus que le comportement de la fonctionnaire soit susceptible de changer du jour au lendemain, comme elle le prétend.  Je n’accepte pas que le fait que la carrière de la fonctionnaire tire à son terme soit un élément déterminant pour ordonner sa réintégration.

112 Même si le licenciement de la fonctionnaire était fautif, les expériences de Mmes Parisien, Turmaine et Gagnon à titre de gestionnaires démontrent que la confiance de la direction envers la fonctionnaire a été ébranlée et que cette dernière n’est pas susceptible d’une réhabilitation à court terme, quelles que soient les circonstances.  Sur ce point, il est frappant que les collègues de la fonctionnaire aient témoigné de leur manque de confiance en elle, de la grande perturbation qui suivrait sa réintégration au travail et que plusieurs d’entre eux changeraient d’emploi le cas échéant.  Ces facteurs reflètent directement sur l’élément de confiance qui est fondamental au travail d’équipe faisant partie intégrante de la fonction d’agent de programme. Il s’agit d’un élément de pondération important quant à la viabilité de la réintégration.

113 Vu l’ensemble des circonstances, j’estime qu’il manque le lien de confiance avec la direction et l’équipe de collègues qui font partie du travail journalier nécessaire pour assurer une réintégration salutaire. Par conséquent, la solution de réintégrer la fonctionnaire n’est pas viable en l’espèce et le rétablissement du lien d’emploi n’offre aucune chance raisonnable de succès.

114 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

115 La demande de la fonctionnaire de réintégrer son poste est rejetée.

116 Je demeure saisie de cette affaire pour décider des mesures de réparation appropriées, mais je laisse aux parties 30 jours à compter de cette décision pour s’entendre à cet égard.  En l’absence d’une telle entente, une audience sera tenue pour entendre les parties uniquement sur la question des mesures de réparation indiquées pour compenser la fonctionnaire de la perte de son emploi.

Le 2 décembre 2011.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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