Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que le Service correctionnel du Canada (l’<<employeur>>) avait pris des mesures discriminatoires contre lui pour motifs d’incapacité en omettant de prendre des mesures d’adaptation à son égard - les parties ont convenu que le fonctionnaire s’estimant lésé souffrait de trouble de stress post-traumatique (TSPT) - l’employeur a soutenu qu’il avait pris des mesures d’adaptation en affectant le fonctionnaire s’estimant lésé à un établissement à sécurité minimale (unité 58), aménagé à l’intérieur des murs d’un établissement à sécurité moyenne - le fonctionnaire s’estimant lésé a avancé que la seule mesure d’adaptation convenable était une affectation à un autre établissement à sécurité minimale situé à l’extérieur des murs de l’installation à sécurité moyenne - le psychologue du fonctionnaire s’estimant lésé a recommandé qu’il travaille dans un contexte de sécurité minimale et l’employeur l’a affecté à l’unité 58 - les agents correctionnels travaillant à l’unité 58 pouvaient, durant un quart, être déployés n’importe où à l’intérieur de l’établissement à sécurité moyenne qui logeait l’unité 58 à sécurité minimale - l’employeur a exempté le fonctionnaire s’estimant lésé de ces déploiements - le fonctionnaire s’estimant lésé croyait que ses collègues allaient lui en vouloir si cette mesure d’adaptation lui était accordée à long terme - le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé un ajournement de l’audience pour lui permettre de trouver un autre expert parce que son psychologue avait pris sa retraite et ne désirait pas témoigner - l’arbitre de grief a refusé l’ajournement à cause du délai et du préjudice - l’arbitre de grief a rejeté l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé voulant que l’aspect procédural de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation exige une rencontre entre l’employeur et le fonctionnaire s’estimant lésé parce que l’employeur avait rencontré le représentant syndical du fonctionnaire s’estimant lésé et avait en sa possession toute la preuve nécessaire pour prendre une décision - les rapports du psychologue ne pouvaient être interprétés comme déclarant que l’affectation du fonctionnaire s’estimant lésé à l’unité 58 ne constituait pas une mesure d’adaptation raisonnable - le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait effectuer son travail malgré son incapacité- il n’existait qu’une possibilité de ressentiment de la part des collègues de travail du fonctionnaire s’estimant lésé et aucun de leurs droits acquis n’était bafoué si on leur demandait de travailler dans l’établissement à sécurité moyenne durant un quart. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-10-31
  • Dossier:  566-02-4371
  • Référence:  2011 CRTFP 122

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DERM PAUL KING

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
King c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Augustus Richardson, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
John Mancini, avocat

Pour l'employeur:
Léa Bou Karam, avocate

Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick),
du 6 au 8 juillet 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Questions préliminaires

A. Le grief

1 Cette décision porte sur un grief daté du 20 mai 2010 présenté par M. Derm Paul King, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »). Le grief et la mesure corrective demandée sont formulés comme suit :

[Traduction]

[Précisions]

Je conteste le fait que l’employeur ait fait preuve de discrimination à mon égard du fait de mon incapacité, en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne (article 37 de la convention collective).

[Mesure corrective demandée]

Que l’employeur mette fin immédiatement à cette pratique discriminatoire et prenne sans délai des mesures correctives afin de remédier à cette pratique.

Que l’employeur m’accorde, dès que les circonstances le permettent, les mesures d’adaptation requises en raison de mon incapacité.

Que l’employeur m’indemnise pour la totalité des pertes de salaire et des dépenses entraînées, et pour la totalité des frais et dépenses supplémentaires occasionnés par cette pratique discriminatoire.

Que l’employeur me verse une indemnité au montant de 20 000,00 $ pour le préjudice moral que j’ai subi à la suite de cette pratique discriminatoire.

Que l’employeur me verse en sus une indemnité supplémentaire au montant de 20 000,00 $ parce que la pratique discriminatoire a été exercée à mon endroit de façon délibérée et téméraire.

2 Les parties ont convenu que le grief avait été présenté en vertu de la convention collective visant le groupe des Services correctionnels conclue entre le Conseil du Trésor (l’« employeur » ou le « SCC ») et la Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (le « syndicat »), échue le 31 mai 2010 (la « convention collective »;pièce U8).

3 La disposition pertinente de la clause 37.01 de la convention se lit comme suit :

Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un-e employé-e du fait de […] son incapacité mentale ou physique […]

4 Le fonctionnaire occupe le poste d’agent correctionnel 2 auprès de l’employeur, et ce, depuis plusieurs années. L’enjeu principal consiste à déterminer si l’employeur a pris les mesures d’adaptation requises pour accommoder le fonctionnaire. Les parties s’entendent sur le diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT) posé à l’égard du fonctionnaire. L’employeur est d’avis qu’il a pris les mesures d’adaptation requises en affectant le fonctionnaire à un établissement à sécurité minimale, appelé « Unité 58 », qui est situé à même l’établissement de Springhill (« Springhill »), un établissement à sécurité moyenne. Le fonctionnaire et son syndicat affirment pour leur part que la seule mesure d’adaptation convenable dans les circonstances aurait été une affectation à l’établissement Westmorland (« Westmorland »), un établissement à sécurité minimale situé à proximité, mais non à l’intérieur, du pénitencier de Dorchester (« Dorchester »), ce dernier étant un établissement à sécurité moyenne, comme Springhill.

5 Un avis du grief de M. King a été donné à la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP »), tel qu’il est requis en vertu du paragraphe 93(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). La question a été décrite comme étant [traduction] « […] le refus de prendre des mesures d’adaptation » en raison d’une [traduction] « incapacité ». La mesure corrective demandée est indiquée dans [traduction] « le grief ci-joint ». Le grief a été concurremment renvoyé à l’arbitrage. Tant l’avis que le renvoi à l’arbitrage sont datés du 26 août 2010. Les deux documents ont été présentés à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») le ou vers le 3 septembre 2010. La CCDP a produit un avis auprès de la Commission le ou vers le 14 septembre 2010 mentionnant qu’elle n’avait pas l’intention de présenter d’arguments.

B. Date d’audience

6 Le 23 décembre 2010, l’avocat du fonctionnaire a communiqué par courriel avec la Commission, lui demandant [traduction] « de fixer l’audience du grief de M. King en tenant compte qu’il s’agit d’une urgence ». L’avocat écrit en outre dans le courriel que [traduction] « […] cela fait des années que [l’employeur] refuse de prendre les mesures d’adaptation requises en raison de l’incapacité [du fonctionnaire], et que toutes les tentatives de l’agent négociateur de convenir de mesures d’adaptation avec [l’employeur] ont été vaines ». La Commission a accepté d’organiser une conférence de gestion de cas afin d’obtenir les dates de disponibilité des parties. Une conférence téléphonique a été fixée à cette fin au 31 janvier 2011. Les deux avocats et la Commission ont proposé des dates et, plus tard au cours de la journée, les parties ont convenu de leur disponibilité respective du 6 au 8 juillet 2011. Le 1er février 2011, la Commission a avisé les parties que l’audience aurait lieu du 6 au 8 juillet 2011 et que ces dates étaient considérées comme étant finales étant donné que les parties avaient déjà confirmé leur disponibilité ainsi que celle de leurs témoins respectifs pour ces dates.

C. Médiation et arbitrage

7 Au début de l’audience, les avocats des parties m’ont informé qu’ils tentaient de négocier un règlement. Après quelque temps, ils m’ont conjointement demandé d’agir à titre de médiateur dans l’espoir que je puisse les aider à conclure une entente. Les parties ont convenu que si la médiation échouait, je continuerais d’être saisi du dossier à titre d’arbitre de grief et ainsi entendre la preuve et trancher le grief.

8 La médiation a échoué. Vers la fin de la première journée prévue pour l’audience, les parties ont convenu d’avoir recours à l’arbitrage. Les avocats des parties ont consenti à ce que je continue à être saisi du dossier et à agir à titre d’arbitre de grief.

D. Visite des lieux

9 Avant l’audition des témoignages, l’avocat du fonctionnaire a demandé que je visite Westmorland et l’Unité 58. L’employeur s’est opposé à la requête, faisant valoir que l’aménagement des lieux pouvait être convenablement décrit par le récit des témoins qui seraient entendus ou encore, au besoin, au moyen de photographies ou de cartes.

10 Étant donné que les parties avaient convenu que la preuve présentée comprendrait notamment une description de l’aménagement des deux établissements et que, par ailleurs, un des principaux enjeux consistait à savoir si l’affectation à un ou l’autre de ces établissements constituait une mesure d’adaptation convenable dans le cas de ce fonctionnaire, j’ai décidé qu’en visitant les deux établissements je serais mieux à même d’apprécier la preuve qui me serait présentée. En conséquence, les parties, leurs représentants et moi-même avons effectué une visite de Westmorland le 6 juillet, en début de soirée, puis de l’Unité 58 le matin du 7 juillet.

11 L’audience a commencé le 7 juillet. Pour le fonctionnaire, j’ai entendu le témoignage de celui-ci ainsi que celui de M. Doug White, le président régional du syndicat. M. Justin Harris, délégué syndical de Springhill, assistait également à l’audience bien qu’il n’ait pas été appelé à témoigner. Pour l’employeur, j’ai entendu le témoignage de M. Jeff Earle, directeur de Springhill, et de M. David Niles, sous-commissaire adjoint, Opérations en établissement, région de l’Atlantique, SCC. Mme Tracey Theriault et M. Andrew Crain, tous deux conseillers en relations de travail auprès de l’employeur, étaient aussi présents à l’audience, mais n’y ont pas témoigné.

12 Tous les témoins entendus ont témoigné de manière franche. J’ai été impressionné par leur candeur. Il m’est apparu évident que le différend opposant les deux parties ne reposait pas comme tel sur des questions de fait, puisque les témoins s’entendaient somme toute sur l’essentiel des faits. Le nœud du litige était donc essentiellement une question de droit, sinon une question mixte de fait et de droit, à savoir si l’affectation du fonctionnaire à l’Unité 58 constituait une mesure d’adaptation convenable en regard de l’incapacité du fonctionnaire, ou si cette obligation de l’employeur ne pouvait être satisfaite que par l’affectation du fonctionnaire à Westmorland.

13 Étant donné la question, il serait superflu de reproduire ou de résumer ici le témoignage rendu par chacun des témoins, sauf dans la mesure où cela pourrait s’avérer nécessaire afin de résoudre des divergences dans leur témoignage respectif relativement à un fait matériel. J’estime suffisant que mes conclusions soient fondées sur leurs témoignages ainsi que sur les documents produits en preuve durant l’audience.

II. Résumé de la preuve

14 Avant de procéder, il convient de dresser un bref aperçu du fonctionnement des activités du SCC au sein de l’Unité 58 et de Westmorland, ce qui nous donnera le contexte nécessaire à la compréhension de la question à trancher et de la preuve présentée à cet égard.

A. Les catégories de détenus, l’évaluation du risque et les établissements à sécurité minimale et à sécurité moyenne

15 M. Earle et M. Niles ont témoigné que chacun des détenus hébergés dans un établissement du SCC est évalué en fonction des trois facteurs de risque suivants : le risque d’évasion, le risque lié au danger que représente l’individu pour la population s’il devait s’évader, et le risque de dommages corporels pour les autres détenus et le personnel des services correctionnels. Les détenus dont le niveau de risque est jugé faible pour chacun de ces trois facteurs sont aptes à être placés dans un établissement à sécurité minimale. Les détenus dont le niveau de risque est jugé plus élevé pour l’un ou l’autre de ces facteurs ou plusieurs de ces facteurs peuvent être placés, et le sont généralement, dans un établissement à sécurité moyenne ou maximale, selon le cas.

B. Westmorland

16 Westmorland est un établissement à sécurité minimale. Dans ce type d’établissement, il n’y a ni mur ni clôture physique pour empêcher les détenus de s’évader. Les agents correctionnels n’y portent aucune arme. Il n’y pas de poste de vigie avec des agents armés. Les détenus sont généralement libres de se déplacer à leur guise à l’intérieur de l’établissement, sous réserve du respect des règles destinées à assurer le maintien de la paix. On y pratique essentiellement la « sécurité active », ce qui signifie que le respect des règles et des règlements de l’établissement est assuré grâce à l’interaction entre le personnel correctionnel et les détenus, plutôt que par l’emploi de la force ou de mesures de contention physiques. Les détenus s’y conforment et ne choisissent pas de s’échapper parce qu’ils veulent pouvoir rester dans un milieu à sécurité minimale. Ils savent que s’ils ne s’y conforment pas, ou s’ils s’évadent, ils seront ultimement transférés à un établissement à sécurité moyenne, doté de mesures de sécurité plus contraignantes, notamment de clôtures, de murs et d’autres mesures de sécurité dites « passives ».

17 Les détenus d’un établissement à sécurité minimale bénéficient de beaucoup plus de privilèges et de libertés que ce à quoi ils auraient droit dans un établissement à sécurité moyenne. Ainsi, chacun a sa chambre personnelle, établie au sein d’un « module ».À Westmorland, de huit à dix détenus vivent dans un même module dans lequel se trouve une cuisine qu’ils se partagent et où ils préparent leurs propres repas. Les couteaux de cuisine et les autres ustensiles ne sont pas dotés de caractéristiques de sécurité. Les chambres des détenus ont des portes, et non des barreaux. Ils sont libres de se déplacer à l’intérieur de leur module ou sur le terrain de l’établissement. La tenue vestimentaire n’est pas rigoureusement encadrée. Ils peuvent utiliser les installations récréatives sans qu’il soit nécessaire qu’un agent correctionnel soit présent.

18 Westmorland est situé juste à côté du pénitencier de Dorchester, un établissement à sécurité moyenne, mais il n’y est pas physiquement intégré. Springhill, qui abrite notamment l’Unité 58, est aussi un établissement à sécurité moyenne. Ce type d’établissement, tel que le laisse transparaître son appellation, est doté de mesures de sécurité plus élevées, et les détenus y ont une liberté de mouvement et d’activité correspondante, soit moins élevée. On y pratique davantage la sécurité « passive », par opposition à la sécurité « active ». La sécurité passive consiste à recourir à des mesures physiques afin d’empêcher ou de restreindre les déplacements des détenus. Le signe le plus manifeste de la différence entre ces deux types d’établissement est la présence de murs ou de clôtures dans les établissements à sécurité moyenne afin d’empêcher les détenus de s’évader; il en va de même pour les établissements à sécurité maximale. L’aménagement des lieux ressemble davantage à ce que l’on voit habituellement à la télévision ou au cinéma : des cellules avec des barreaux, ou des portes pleines dans des corridors dotés de postes de contrôle ou d’observation cloisonnés séparant la population carcérale du personnel correctionnel. La séparation physique entre les détenus et les agents correctionnels y est accrue, en plus d’être renforcée. Les agents correctionnels portent des gilets de protection et sont armés de matraques et de vaporisateurs d’OC, un poivre à pulvériser. Les détenus ne préparent pas eux-mêmes leurs repas. Les récréations ont lieu uniquement sous la surveillance d’au moins un agent correctionnel.

C. L’Unité 58

19 L’Unité 58, bien que physiquement aménagée à l’intérieur du périmètre clôturé de Springhill, est une installation à sécurité minimale. Une fois admis à l’Unité 58, la vie du détenu est semblable à ce qu’elle serait à Westmorland. Ainsi, comme à Westmorland, la sécurité y est davantage active que passive. Les détenus ont des chambres individuelles, aménagées au sein d’un module ou d’une aire commune, où les détenus partagent une cuisine et une salle de séjour communautaire. Les détenus ont leur propre nourriture et font leur propre cuisine. Ils peuvent se déplacer librement dans leur module respectif et leur cuisine et aires communes. L’une des seules choses qui différencie l’Unité 58 de Westmorland est le fait qu’à l’Unité 58 les couteaux sont rattachés à un bloc à l’aide d’un fil d’acier de quelques pieds pour éviter qu’on puisse les enlever et s’en servir comme arme à l’extérieur de la cuisine. Plusieurs des détenus de l’Unité 58 sont en attente d’un transfert vers Westmorland ou vers un autre établissement à sécurité minimale, sinon en attente de leur mise en liberté conditionnelle. Selon M. Niles, les détenus de l’Unité 58 ont une très faible cote de risque pour ce qui est du facteur d’adaptation au milieu institutionnel (c’est-à-dire le risque de causer du tort aux autres détenus ou au personnel des services correctionnels). Ils présentent peut-être une cote de risque plus élevée en ce qui a trait à un autre facteur (par exemple le risque d’évasion), mais, du point de vue de leur comportement institutionnel, [traduction] « ils présentent des similitudes avec les détenus de Westmorland ». À titre d’illustration, M. Earle signale qu’alors que l’on ne dénombre aucun ou peut-être un [traduction] « incident » en moyenne par mois impliquant des détenus de l’Unité 58, en revanche on en dénombre en moyenne 40 par mois pour l’ensemble de Springhill.

20 Par ailleurs, en ce qui a trait aux agents correctionnels, il existe certaines différences entre Westmorland et l’Unité 58. Ainsi, les agents de Westmorland ne portent pas de gilet pare-lame; ceux de l’Unité 58 en sont munis. Les agents de Westmorland ne sont pas équipés de pulvérisateurs d’OC ni de menottes, comme c’est le cas pour les agents affectés à l’Unité 58. Sur la foi de la preuve présentée, je suis convaincu que ces différences sont attribuables au fait que l’Unité 58 se trouve à l’intérieur des murs d’un établissement à sécurité moyenne où les directives et les règlements exigent que tous les agents, qu’ils soient ou non affectés à un milieu à sécurité minimale à l’intérieur de cet établissement, soient munis de ces équipements. En d’autres termes, ces différences ne résultent pas d’une différence entre la population carcérale de Westmorland et celle de l’Unité 58.

21 Il m’est aussi apparu que, tant pour les détenus que pour les agents correctionnels, l’affectation à un établissement à sécurité minimale, comme l’Unité 58 ou Westmorland, était généralement vu comme étant un placement préférentiel. Toutefois, pour certains d’entre eux, l’approche active, plus informelle envers la sécurité était trop souple. Lors des visites à Westmorland et à l’Unité 58, de même que pendant l’audience, il a été signalé que certains détenus et agents correctionnels étaient mal à l’aise dans un milieu de sécurité active. Ainsi, les détenus trouvant la maîtrise de soi difficile n’étaient pas aptes à évoluer dans le cadre informel de la sécurité active caractérisant un milieu à sécurité minimale. De manière analogue, des agents correctionnels pouvant être anxieux (peu importe la cause de cette anxiété) en raison des rapports personnels rapprochés avec les détenus se sentaient davantage en sécurité dans le cadre de sécurité passive que l’on retrouve dans un établissement carcéral à sécurité moyenne ou maximale.

III. Le grief

22 M. King est entré en fonction à titre d’agent correctionnel au niveau et groupe 1 (« CX-01 ») à l’établissement de Springhill au cours de l’été 1997. En 1998, il a été promu au niveau et groupe 2 (« CX-02 »).

23 L’origine de ce grief remonte à un incident qui s’est produit le 25 mai 2006, alors que M. King a dû confronter un détenu qui, armé d’un couteau, avait poignardé un autre détenu. M. King avait pourchassé l’individu et l’avait éventuellement coincé dans la cour intérieure de l’établissement. Le détenu avait alors jeté le couteau à terre et s’était livré à M. King.

24 M. King a témoigné que l’enquête au sujet de l’incident avait résulté en un blâme à son égard en raison de sa décision de pourchasser le détenu sans avoir attendu des renforts. Il a été troublé par le fait qu’on lui reproche, injustement et déraisonnablement à ses yeux, une conduite qu’il estimait appropriée, puisqu’il se voyait plutôt dans la situation d’une personne qui défendait la vie d’un détenu faisant l’objet d’une agression. L’enquête avait notamment révélé que, pendant qu’il poursuivait le détenu fautif, un autre détenu le suivait. Il n’avait pas eu connaissance de ce fait sur le coup, mais lorsqu’il en a été mis au courant, il a réalisé qu’il s’était exposé à un certain risque. Il a aussi été troublé par le fait que d’autres membres du personnel, qui ont été témoins de l’incident, n’avaient pas souligné ses efforts visant à maîtriser le détenu. L’ensemble de ces éléments a causé une réaction émotive grave et invalidante. Il a dû prendre congé de son travail pendant plusieurs semaines après l’incident (on ne m’a pas fourni de dates précises). Le Dr LeBlanc, son psychologue, a éventuellement posé à son égard un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT).

25 M. King a voulu retourner au travail après quelques mois. Il a témoigné que le Dr LeBlanc ne voulait pas, lui disant qu’il n’était pas prêt. Cela a occasionné de la frustration chez M. King, qui a dit : [traduction] « J’aime bien mon boulot, mais je n’aime pas la politique et les sottises qui viennent avec. » Quoi qu’il en soit, il a été progressivement réintégré au travail. Il a témoigné qu’il avait éventuellement recommencé à travailler à plein temps le 1er octobre 2007.

26 M. King a témoigné qu’à son retour au travail à temps plein, il avait été affecté au numériseur. Cet appareil, semblable à toutes fins pratiques aux numériseurs en place dans les aéroports, est situé à l’entrée de Springhill. M. King n’y a travaillé qu’une seule journée, pour les raisons exposées ci-après.

27 Tout d’abord, avant son congé en raison du TSPT, les affectations de M. King au numériseur avaient résulté en des frictions entre lui et des visiteurs de certains des détenus. L’employeur avait donc émis la directive qu’il ne devait pas être affecté au numériseur. Il estimait donc qu’il n’aurait pas dû être affecté au numériseur en raison de cette directive.

28 L’autre raison découlait de difficultés dans les rapports entre le fonctionnaire et son superviseur des services correctionnels. M. King a témoigné [traduction] « qu’afin de ne pas avoir affaire à lui », il avait demandé d’être affecté à l’unité de ségrégation. La ségrégation, comme son appellation le suggère, est une unité davantage axée sur la sécurité passive, similaire à ce que l’on retrouverait dans un milieu à sécurité maximale. Il a également témoigné qu’il avait fait cette demande parce qu’il pensait [traduction] « qu’en raison des mesures de contrôle plus rigoureuses, cela serait mieux pour [lui] ». J’ai compris de cette observation qu’une sécurité passive accrue lui procurerait davantage un sentiment de sécurité, ce qui réduirait la possibilité d’une récurrence des symptômes de son TSPT.

29 M. King a témoigné qu’il avait été déployé à l’unité de ségrégation le 2 octobre 2007. Pendant son affectation à cette unité, il y a eu un incident avec un détenu qui, cherchant à sortir de l’unité de ségrégation afin d’être transféré à l’établissement de l’Atlantique, un établissement à sécurité maximale situé à Renous, au Nouveau-Brunswick, a commencé à faire des siennes dans la cour. Le fonctionnaire l’a arrosé avec un tuyau d’arrosage. Quelques semaines plus tard, le même détenu a poussé M. King pour l’écarter de son chemin afin d’atteindre un autre détenu. M. King a témoigné que la direction lui avait fait des reproches au sujet de la façon dont il avait composé avec ces deux incidents. Malgré cela, il a continué de travailler à l’unité de ségrégation de Springhill.

30 M. King a témoigné qu’en mai 2008, soit environ six mois après son arrivée à l’unité de ségrégation, il s’était [traduction] « [...] disloqué une épaule ». Il a dû subir une intervention chirurgicale afin de corriger le problème. Il a ensuite été en réadaptation pendant six mois. Il a témoigné que, pendant son congé, il a présenté une demande de transfert à l’Unité 58. Il a dit qu’il avait formulé cette demande pour deux raisons. Tout d’abord, son superviseur avec lequel il avait entretenu des rapports difficiles pendant qu’il travaillait au numériseur avait apparemment été muté à l’unité de ségrégation, et M. King estimait [traduction] « qu’il fallait mieux que je sorte de l’unité de ségrégation alors qu’il [le superviseur des services correctionnels] s’en venait dans la même unité que moi. » Deuxièmement, il désirait être muté à un milieu à sécurité minimale. Afin de [traduction] « mettre en marche » sa demande, il a demandé et obtenu une lettre de son psychologue, le Dr LeBlanc.

31 L’employeur a reconnu que le Dr LeBlanc était effectivement un psychologue expérimenté et dûment qualifié possédant une longue expérience dans l’établissement de diagnostics et de traitements à l’endroit des agents correctionnels – et qui connaissait bien les rouages des activités et des établissements dans la région administrative de l’Atlantique du SCC. Le 1er mai 2008, le Dr LeBlanc a rédigé une lettre commençant par la mention [traduction] « À qui de droit » (pièce U1). Il y mentionne qu’il avait vu M. King [traduction] « […] par intermittence au fil des ans dans le cadre de sa thérapie visant à traiter son anxiété liée à un traumatisme subi à la suite de son exposition à des situations dans lesquelles il était menacé de mort ou de blessures graves. » M. King a témoigné que certains de ces incidents étaient survenus pendant ses deux années de service militaire ainsi que dans le cadre de son travail à titre d’agent correctionnel.

32 Le Dr LeBlanc a mentionné dans sa lettre que l’incident du mois de mai 2006 impliquant un détenu qui menaçait son entourage avec un couteau avait [traduction] « […] déclenché un épisode de trouble de stress post-traumatique ayant nécessité des soins psychiatriques et psychologiques intensifs sur une période d’un an ». Il a aussi mentionné que, [traduction] « présentement », M. King continuait [traduction] « […] d’éprouver des craintes en ce qui a trait à sa sécurité au travail et à se sentir en péril dans un milieu correctionnel à sécurité moyenne. Il est angoissé, irritable et hyper-vigilant, et anticipe à tout moment qu’il se retrouvera de nouveau confronté à un incident au cours duquel un détenu serait poignardé et qu’il aura à gérer une telle situation ». En raison de [traduction] « […] cet état d’esprit d’hyper-vigilance », M. King avait tendance à [traduction] « […] manifester une réaction excessive dans plusieurs situations parce qu’il anticipe des menaces à son intégrité physique ou des menaces graves. Il se sent sans protection face à de tels incidents et il exige de pouvoir porter des dispositifs de protection afin de se protéger. »

33 Le Dr LeBlanc a conclu sa lettre en faisant remarquer qu’en raison de l’état d’esprit dans lequel se trouvait M. King à cette époque, il [traduction] « […] lui avait recommandé que, pour le bien de sa santé, il rencontre ses supérieurs et envisage avec eux la possibilité de terminer les dernières années de sa carrière en travaillant au sein d’un milieu à sécurité minimale ».

34 La lettre du Dr LeBlanc semble avoir eu l’effet désiré, puisque M. King a été muté à l’Unité 58 lors de son retour au travail soit, selon M. King, en décembre 2008 ou janvier 2009. Malheureusement, M. King a déclaré qu’un nouveau problème s’était alors posé. Il a expliqué que les agents correctionnels affectés à l’Unité 58 travaillaient selon un horaire de quarts de travail en rotation de 9 heures, 9 heures, 16 heures, 9 heures et 9 heures. Pendant les quarts de travail d’une durée de 9 heures, ils étaient affectés à l’Unité 58. Cependant, pendant leur quart de travail d’une durée de 16 heures, ils pouvaient être affectés dans n’importe quel secteur de Springhill (y compris l’Unité 58) pour remplacer des agents en congé de maladie, ou simplement en congé ou en vacances. M. King a témoigné que lorsqu’il est retourné au travail à la suite de sa blessure à l’épaule, il avait à l’occasion été affecté ailleurs qu’à l’Unité 58 lors des quarts de travail de 16 heures.

35 M. King en est venu à ne plus pouvoir tolérer quelque déploiement que ce soit à l’extérieur de l’Unité 58. L’événement culminant à cet égard semble avoir été une agression (un détenu a craché sur lui) alors qu’il était déployé à l’unité de ségrégation à un moment donné vers la fin de l’année 2009. Le 4 décembre 2009, M. Paul Harrigan a envoyé un courriel à M. Niles, lui demandant que M. King [traduction] « […] soit affecté exclusivement à [l’Unité 58] jusqu’à ce qu’on règle la question de son déploiement à un autre endroit » (pièce E10). M. Niles lui a répondu qu’il étudierait la question et lui a promis de lui revenir à ce sujet dans les 5 prochains jours ouvrables (pièce E10). M. King a témoigné qu’il en est résulté une directive à l’effet qu’il soit affecté en permanence à l’Unité 58 et, plus précisément, qu’il ne devait pas être affecté à l’extérieur de cette unité lors des quarts de travail de 16 heures. (La référence dans cette décision à une [traduction] « affectation permanente à l’Unité 58 » ne se rapporte qu’à la décision de l’employeur voulant que M. King, contrairement aux autres agents habituellement affectés à l’Unité 58, ne soit jamais affecté à l’extérieur de l’Unité 58 dans le milieu à sécurité moyenne de Springhill. Cela ne signifie pas que M. King ne pouvait pas demander une affectation à Westmorland tout comme n’importe quel autre agent pouvait le faire, sous réserve des exigences habituelles en matière de qualifications requises et d’ancienneté.)

36 Or, un autre problème a fait son apparition. Comme M. King ne devait plus être affecté à l’extérieur de l’Unité 58 lors des quarts de travail de 16 heures, cela signifiait que d’autres agents normalement affectés à l’Unité 58 pour y effectuer leur quart de travail de 9 heures pouvaient alors se trouver à être affecté ailleurs dans l’établissement afin de compenser l’incapacité pour M. King de travailler à l’extérieur de l’Unité 58. Tant le syndicat que M. King s’inquiétaient du fait que, malgré l’acceptation, par ses collègues de travail, de cette perturbation de leur horaire de déploiement pendant un certain temps, ils pourraient en venir à éprouver du ressentiment à son égard si cette pratique s’échelonnait à plus long terme afin de satisfaire aux besoins d’adaptation relativement à l’incapacité de M. King.

37 Selon les témoignages de M. King et de M. White, l’existence d’un problème lié à son affectation permanente à l’Unité 58 avait été relevée comme pouvant constituer un problème éventuel, et ce, dès le début de l’affectation de M. King à cette unité. M. King et le syndicat avaient en effet considéré son affectation à l’Unité 58 comme étant une mesure d’adaptation à court terme en raison du TSPT dont il était atteint. Cela ne pouvait être qu’une solution à court terme, car à titre de solution à long terme d’autre agents affectés à l’Unité 58 auraient pu éprouver du ressentiment à l’égard de M. King alors qu’ils devaient céder leur déploiement [traduction ]« habituel » à l’Unité 58 durant leurs quarts de travail de 9 heures afin de compenser l’incapacité de M. King à être déployé à l’extérieur de l’Unité 58 durant son quart de travail de 16 heures. Comme l’a affirmé M. White durant son témoignage, [traduction] « lorsque vous fournissez des mesures d’adaptation à quelqu’un en l’affectant à un poste enviable, les autres sont prêts à aider pendant un certain temps, mais si cette situation se prolonge les membres peuvent devenir hargneux […] ils n’aiment pas avoir à renoncer à plus long terme à leurs affectations préférées […] une telle situation est propice à susciter des conflits parmi les membres. » Ainsi, tant le syndicat que M. King ont considéré que seul un déploiement à Westmorland pouvait constituer une mesure d’adaptation convenable et viable à long terme relativement à l’incapacité de M. King de travailler à l’extérieur d’un milieu à sécurité minimale.

38 Voilà pourquoi M. King et son syndicat ont estimé que la seule mesure d’adaptation convenable et raisonnable serait de muter M. King de Springhill à Westmorland. M. White a expliqué que lui et M. Harrigan, le président régional du syndicat à cette époque, avaient dit à M. Niles que la seule mesure d’adaptation convenable et à long terme pour M. King [traduction] « […] c’était Westmorland, en raison des conflits que cela susciterait à l’Unité 58 » si la mesure d’adaptation accordée à M. King devait être prolongée à plus long terme. Un tel problème ne surviendrait pas à Westmorland, puisque les agents correctionnels affectés à cet endroit ne sont pas normalement requis d’accepter un déploiement au pénitencier de Dorchester durant leur quart de travail régulier (bien qu’ils puissent y être tenus lors d’une situation d’urgence).

39 M. White a témoigné que, à chaque fois qu’il rencontrait M. Niles afin de discuter du cas de M. King, il quittait la rencontre en ayant l’impression que si M. King obtenait un rapport approprié de la part du Dr LeBlanc, [traduction] « il serait alors possible que M. King obtienne une mesure d’adaptation faisant en sorte qu’il soit affecté à Westmorland. » Il en informait alors M. King qui recevait éventuellement un rapport du Dr LeBlanc (dont il est discuté ailleurs dans la présente décision), qui était alors remis à l’employeur. M. White a témoigné qu’à chaque fois qu’ils recevaient un tel rapport [traduction] « nous croyions que le problème était réglé […] pour ensuite apprendre que la mutation n’aurait pas lieu et qu’ils [l’employeur] avaient besoin d’informations supplémentaires. » Cette situation a été reproduite à trois reprises [traduction] « sur une période de quelques années ». M. White n’avait jamais lui-même communiqué avec le Dr LeBlanc, mais il sentait qu’à chaque fois qu’il rencontrait M. Niles, il était rassuré que [traduction] « si j’avais [en parlant de lui-même] en main le document qu’il fallait, M. King obtiendrait la mesure d’adaptation désirée ». Ainsi, après chacune de ses rencontres avec M. Niles, il appelait M. King pour lui dire d’obtenir un meilleur rapport du Dr LeBlanc.

40 Le témoignage de M. Niles différait quelque peu de celui de M. White. Il a admis avoir rencontré M. White et M. Harrigan à plus d’une reprise afin de discuter du cas de M. King. Il se rappelle qu’il en a notamment été question lors d’une rencontre en septembre 2009. Le rapport le plus récent du Dr LeBlanc lui avait alors été présenté et il avait indiqué à cette occasion qu’il [traduction] « l’examinerait ». Vers la mi-octobre, M. Niles a rencontré M. King en personne afin [traduction] « d’entendre de vive voix [de la part de M. King] quels sont ses besoins, ses antécédents, ses préoccupations et ses inquiétudes à cet égard, en vue d’acquérir une connaissance personnelle des faits. » M. Niles a témoigné à cet égard qu’il avait alors dit à M. Harrigan, à M. White ainsi qu’à M. King [traduction] « que j’étudierais la question, que je consulterais mes experts-conseils en relations de travail sur la question des mesures d’adaptation et que, à l’intérieur des paramètres de la convention collective et de la politique sur les mesures d’adaptation, nous l’accommoderions s’il nous était possible de le faire ». Il a mentionné qu’il avait voulu dire que si la preuve médicale était telle que Westmorland était la seule mesure d’adaptation convenable relativement à l’incapacité de M. King, alors il [traduction] « viserait une telle solution ».

41 M. Niles a témoigné que selon les résultats de ses consultations avec ses experts-conseils et parce que le Dr LeBlanc n’avait pas mentionné de restrictions quant à l’aptitude de M. King à travailler dans un milieu carcéral à sécurité minimale et parce qu’il n’avait pas indiqué que M. King ne pouvait pas travailler à l’Unité 58 parce qu’elle se trouvait à l’intérieur de Springhill, [traduction] « nous respections l’intention de la politique sur les mesures d’adaptation en l’affectant à l’Unité 58, l’endroit où il était quand je l’ai rencontré ». Il a en outre témoigné qu’il avait fait part de cette conclusion à M. Harrigan. Or, il a mentionné qu’il en était arrivé à cette conclusion parce que la lettre du Dr LeBlanc [traduction] « ne mentionnait pas spécifiquement qu’il ne pouvait pas travailler à quelque fonction que ce soit à Springhill […] et qu’à moins que le Dr LeBlanc nous affirme que M. King ne pouvait pas travailler à quelque fonction que ce soit à Springhill et que Westmorland était la seule mesure d’adaptation possible », alors il estimait que l’employeur offrait à M. King une mesure d’adaptation convenable.

42 Lors de son contre-interrogatoire, M. Niles a souligné que sa position n’était pas fondée sur quelque argument lié à une contrainte excessive. Si Westmorland s’était avéré la seule mesure d’adaptation appropriée, alors M. King y aurait été affecté une fois qu’un poste s’y serait libéré.

43 Je suis convaincu à cet égard et je conclus que la direction n’a jamais assuré ou garanti le syndicat ou M. King que « tout ce qu’il fallait » pour l’affectation de M. King à Westmorland était une lettre du Dr LeBlanc. Le témoignage de M. White n’allait pas si loin. Je suis convaincu, à partir des témoignages de MM. White et David et de l’échange de correspondance entre le Dr LeBlanc et M. Earle qu’on avait dit au syndicat que, si un médecin avait émis l’opinion que la seule mesure d’adaptation relativement à l’incapacité de M. King était son affectation à Westmorland, alors cela aurait été fait. Au contraire, une lettre dans laquelle une telle opinion n’était pas clairement énoncée ou dans laquelle il aurait été mentionné que Westmorland pouvait constituer une des mesures d’adaptation envisageable, mais pas la seule, n’aurait pas garanti une telle affectation. Il m’apparait sensé qu’un employeur accepterait d’envisager de prendre une mesure d’adaptation comportant une affectation à un endroit donné si cela était fondé sur un document médical à cet effet. Il m’apparaît tout autant sensé qu’un employeur ne pourrait prendre et ne prendrait effectivement pas un tel engagement avant d’avoir reçu et examiné un tel document médical.

44 En ce qui a trait à l’éventualité d’un ressentiment de la part des collègues de travail de M. King à son endroit s’il ne devait plus être déployé à l’extérieur de l’Unité 58, M. Niles n’était pas d’avis que cela ait été discuté lors de ses entretiens antérieurs avec les représentants syndicaux. Il a affirmé se souvenir que la question des quarts de travail de 16 heures (et le déploiement à l’extérieur de l’Unité 58 à l’occasion de ces quarts de travail) n’avait été abordée, selon ce que j’en ai compris, que dans le contexte d’une absence pour congé de maladie par M. King à ces occasions (en raison de sa persistance à estimer qu’il était incapable de travailler à l’extérieur de l’Unité 58) et de sa demande subséquente que ces journées de congé de maladie lui soient remboursées. Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire s’il était raisonnable de s’attendre à un tel ressentiment éventuel de la part des collègues de travail de M. King, il a répondu qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à cela, et ce, pour deux raisons. Tout d’abord, aucun agent affecté sur une base régulière à l’Unité 58 ne pouvait raisonnablement s’attendre à ne pas être déployé à l’extérieur de l’unité pendant un quart de travail. Ensuite, ses agents étaient des professionnels, et il s’attendait donc à ce qu’ils acceptent de tels déploiements dans le cadre de leurs fonctions régulières et de leur obligation de contribuer aux mesures d’adaptation à l’endroit d’un collègue de travail.

45 M. King et le syndicat ont persisté dans leurs efforts visant à obtenir de l’employeur qu’il affecte M. King à Westmorland. Le 6 janvier 2010, le Dr LeBlanc a écrit de nouveau à [traduction] « À qui de droit » (pièce U2). Il y réitère qu’il a traité M. King pour un TSPT depuis le mois de juin 2006 et a souligné qu’en raison de ses antécédents, le fonctionnaire avait de la difficulté à se remettre de l’incident du mois de mai 2006. De l’avis du Dr LeBlanc, les antécédents de M. King en ce qui a trait à des événements traumatisants l’avaient laissé [traduction] « […] avec des réserves amoindries pour composer avec des situations potentiellement dangereuses à son travail ». Il poursuit en soulignant que M. King [traduction] « […] continuait à se sentir en péril dans un milieu correctionnel à sécurité moyenne, et à être angoissé et hyper-vigilant, et à manifester une réaction excessive dans plusieurs situations ». Le Dr LeBlanc a ensuite fait référence à l’incident survenu en décembre 2009 et à ses répercussions sur M. King, il a mentionné que [traduction] « […] [je] soumets à votre intention qu’il n’est plus en mesure de fonctionner dans un établissement carcéral à sécurité moyenne pour des motifs liés à sa santé et son mieux-être, et qu’il serait dans l’intérêt supérieur de sa santé qu’il soit affecté dans les meilleurs délais à un établissement à sécurité minimale et ce, pour le reste de sa carrière ». Le Dr LeBlanc a conclu en mentionnant que M. King avait [traduction] « […] l’énergie et la stabilité émotives lui permettant d’être en mesure de fonctionner de manière efficace dans un milieu carcéral à sécurité minimale ».

46 En contre-interrogatoire, M. Earle a affirmé qu’il avait compris que la référence du Dr LeBlanc à [traduction] « un milieu carcéral à sécurité minimale » renvoyait dans les faits à Westmorland. Toutefois, il a également témoigné que certains des commentaires du Dr LeBlanc dans sa lettre datée du 6 janvier l’avaient amené à se demander si un établissement carcéral, peu importe lequel, était approprié pour M. King. Par conséquent, le 8 février 2010, M. Earle a écrit au Dr LeBlanc et lui a demandé [traduction] « […] plus d’information […] quant à l’aptitude de [M. King] à accomplir ses fonctions à titre d’agent correctionnel au groupe et niveau II » (pièces E6 et E7). Cette demande était en partie motivée par les observations du Dr LeBlanc au sujet du risque que M. King pourrait être incapable de [traduction] « composer avec des situations potentiellement dangereuses à son travail ». M. Earle a joint à sa lettre la description de travail des agents correctionnels classifiés au niveau et groupe CX-02, signalant que cela exige du titulaire de [traduction] « […] rester calme, composé et professionnel lors d’une situation d’urgence » et qu’il ou elle doit être en mesure [traduction] « […] d’intervenir dans une situation menaçante ou violente ». M. Earle a souligné en outre que le recours accru à des mesures de sécurité active dans un milieu à sécurité minimale et le degré d’interaction accru entre les agents et les détenus que cela impliquait pouvait signifier qu’en fait un milieu à sécurité minimale pourrait ne pas s’avérer [traduction] « […] la solution la plus indiquée pour M. King » (pièce E6).

47 Le Dr LeBlanc a répondu à la lettre de M. Earle le 24 mars 2010 (pièce U3). Dans cette lettre, le Dr LeBlanc a indiqué qu’en dépit d’un traitement adéquat, M. King [traduction] « […] continue de manifester des caractéristiques chroniques résiduelles d’une anxiété traumatique ». Cela se manifestait cliniquement par [traduction] « […] un sentiment de sécurité fracturé et d’hyper-vigilance » et, au plan comportemental, par [traduction] « […] une préoccupation anxieuse des questions entourant la sécurité, l’insistance de porter des dispositifs de protection comme des vaporisateurs d’OC et des matraques rétractables, l’invocation de l’article 128 du Code du travail, et des absences de son travail ». Le tout culminant en [traduction] « […] une lutte incessante pour continuer à travailler tout en disposant de réserves réduites pour composer avec ces situations ». Malgré cela, le Dr LeBlanc a souligné que M. King faisait preuve [traduction] « d’une maîtrise et d’un contrôle émotif adéquats […] dans des situations émotionnellement chargées, violentes ou en situation d’urgence ». Pour cette raison, le Dr LeBlanc était d’avis que M. King était [traduction] « […] apte, tant au plan émotif que psychologique, à s’acquitter des fonctions décrites dans la description de travail d’un agent correctionnel classifié au groupe et niveau II ». Ceci dit, il a observé que M. King [traduction] « […] fonctionnait au niveau ou au seuil inférieur des aptitudes requises ».

48 À la suite de son évaluation, le Dr LeBlanc était d’avis que [traduction] « […] ce qui limite le plus [M. King] est sa vulnérabilité accrue d’être gravement affecté par l’exposition à une situation traumatisante à l’avenir ». Le Dr LeBlanc a également rappelé qu’il connaissait bien les établissements à sécurité minimale, moyenne ou maximale, ainsi que le travail qui y était accompli par les agents correctionnels. Fort de cette expérience, il a reconnu qu’il existait un risque d’exposition à une situation traumatisante, peu importe le type d’établissement carcéral. Le Dr LeBlanc a soumis malgré tout qu’étant donné [traduction] « […] la vulnérabilité accrue de [M. King] aux traumatismes et compte tenu de la plus faible probabilité de son exposition à une situation traumatisante dans un établissement à sécurité minimale, […] la solution au problème présenté par cet employé consisterait en une mesure d’adaptation dans le cadre de laquelle il serait réaffecté à un milieu de travail à sécurité minimale où son risque d’exposition à une situation traumatisante serait réduit ».

49 M. Earle a étudié la lettre du Dr LeBlanc datée du 24 mars 2010. Il a consulté les conseillers au service des Ressources humaines de son ministère. Il a conclu qu’une affectation permanente à l’Unité 58 de Springhill pouvait effectivement constituer une mesure d’adaptation en ce qui concerne M. King. Dans une lettre à l’intention de ce dernier datée du 13 mai 2010, il l’a informé de cette décision et a ajouté qu’il ne serait [traduction] « […] pas affecté à des fonctions à l’extérieur de l’Unité 58 aussi longtemps que vous serez en poste à Springhill sinon jusqu’à ce que votre situation médicale ait changé » (pièce U5). Quant à la demande d’une affectation pour motifs personnels, M. Earle a signalé que conformément au [traduction] « protocole établi » à cet égard, un fonctionnaire qui demande une affectation pour raisons humanitaires [traduction] « […] doit obtenir au préalable le soutien de son syndicat avant que la direction puisse se pencher sur sa demande » (pièce U5; voir également la pièce E11, Service correctionnel du Canada, Bulletin des ressources humaines 2009-37).

50 M. King a témoigné que dès qu’il avait reçu la lettre de M. Earle datée du 13 mai, il a présenté le grief visé par la présente décision. Il a en outre témoigné que jusqu’à cette période, ses collègues de travail s’étaient montrés mécontents du fait qu’il ne soit pas déployé à l’extérieur de l’Unité 58 (cela signifiant qu’ils devaient l’être), mais qu’ils étaient disposés à tolérer cette situation, car ils pensaient que [traduction] « cela ne serait qu’une mesure temporaire ». Or, après la lettre de M. Earle, ils ont su que [traduction] « [cette mesure] serait permanente ». Selon le témoignage de M. King, [traduction] « seulement quelques mois » après l’envoi de cette lettre, il a commencé à sentir que ses collègues de travail l’évitaient. À titre d’exemple, il a indiqué que lorsqu’il entrait dans une pièce, tout d’un coup les agents qui s’y trouvaient déjà quittaient. M. King a affirmé que, bien qu’il [traduction] « ne cherchait pas à empoisonner les relations de travail […] il était uniquement capable de travailler à cet endroit ».

51 M. Earle a répondu à la lettre du Dr LeBlanc le 23 août 2010 (pièce E7). Il a affirmé que le commentaire du Dr LeBlanc à l’effet que M. King [traduction] « fonctionnait au niveau ou au seuil inférieur des aptitudes requises » dans le cadre de la description de travail d’un agent correctionnel l’avait préoccupé, notamment en raison du fait que, bien que les détenus de Westmorland et de l’Unité 58 partagent un faible niveau de risque pour ce qui est de la violence interpersonnelle, de tels incidents pouvaient se produire. Or, si cela devait se produire, il y aurait moins d’agents disponibles pour intervenir et moins de mesures de sécurité passive à Westmorland. En plus, les agents affectés à Westmorland ne portent pas de dispositifs de protection. Les observations du Dr LeBlanc ont laissé entendre qu’en raison de son niveau d’anxiété accru, M. King pourrait alors [traduction] « […] être exposé à un risque accru d’être confronté à une situation traumatisante » à l’établissement Westmorland qu’à l’Unité 58 de Springhill. Cela a amené M. Earle à demander [traduction] « des précisions » au sujet du « seuil inférieur » de M. King, ainsi que [traduction] « […] d’établir clairement l’aptitude de M. King à accomplir les fonctions de son poste d’attache ».

52 Le Dr LeBlanc n’a pas répondu immédiatement à cette demande de précisions.

53 Pendant ce temps, le grief de M. King s’est retrouvé devant la Commission. Le 23 décembre 2010, l’employeur a déposé sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, après une demande de la Commission quant à l’absence au dossier d’une réponse officielle de la part de l’employeur au grief. Selon la position de l’employeur, tel qu’il appert de sa réponse, le médecin de M. King avait recommandé qu’il soit [traduction] « […] réaffecté à un milieu de travail à sécurité minimale ». L’employeur a souligné qu’il n’était pas certain qu’une affectation à un établissement à sécurité minimale soit indiquée dans le cas de M. King, [traduction] « […] étant donné les défis et les réalités d’un milieu caractérisé par une sécurité active [tel que dans un milieu à sécurité minimale], ainsi qu’en raison du niveau d’interaction accru entre les agents et les détenus associé à de telles mesures ». Il a ajouté qu’en raison [traduction] « […] des limites décrites par le médecin [du fonctionnaire], on lui a accordé une affectation permanente à l’Unité 58 aussi longtemps qu’il demeurera en poste à Springhill sinon jusqu’à ce que [sa] situation médicale change ». L’employeur a indiqué dans sa lettre adressée au fonctionnaire qu’il demeurait [traduction] « […] voué à travailler avec vous, votre médecin, et votre représentant syndical en ce qui a trait à vos besoins en matière d’adaptation ». Il l’a informé qu’il avait écrit au Dr LeBlanc le 23 août 2010 pour lui demander si son affectation à l’Unité 58 était [traduction] « convenable », mentionnant en guise de conclusion que dans l’attente d’une réponse de son médecin à cet égard, [traduction] « la direction estime que la mesure d’adaptation offerte était convenable ».

54 Le 17 janvier 2011, le Dr LeBlanc a répondu à la lettre de M. Earle du 23 août 2010 (soit après la date à laquelle la date d’audience du grief de M. King avait été fixée). Il s’est excusé de ne pas avoir pu répondre avant à la lettre de M. Earle du mois d’août 2010. Il a mentionné qu’il n’avait pas vu M. King depuis juin 2010 et qu’il n’avait donc pas sa permission de donner suite à la lettre de M. Earle (pièce U4). Toutefois, il avait [traduction] « récemment eu une communication » avec M. King, lequel avait alors consenti à ce que le Dr LeBlanc réponde.

55 Le Dr LeBlanc a écrit qu’il [traduction] « n’avait rien de plus à ajouter aux informations » contenues dans ses lettres du 6 janvier et du 24 mars 2010, à part le fait que [traduction] « […] M. King continuait à manifester "[…] des caractéristiques chroniques résiduelles d’une anxiété traumatique", ce qui résultait en sa vulnérabilité accrue d’être gravement affecté par l’exposition à une situation traumatisante à l’avenir (pièce U4) ». Il a précisé que [traduction] « cette vulnérabilité accrue à une situation traumatisante pouvant se produire à l’avenir est l’enjeu le plus préoccupant chez cet individu ».

56 Le Dr LeBlanc a conclu sa lettre en émettant l’avis que M. King [traduction] « […] était en mesure, tant émotivement que mentalement, de s’acquitter des fonctions d’un agent correctionnel au groupe et niveau II telles qu’elles sont décrites dans sa description de travail ». Il a ajouté que [traduction] « […] la mesure d’adaptation [consistant en l’affectation de M. King] à l’Unité 58 semble satisfaire la plupart de ses besoins; toutefois, un degré résiduel d’anxiété persiste et son affectation à un établissement dans lequel il existe un plus faible potentiel de violence demeure préférable, dans la mesure où cela puisse être réalisé, et cela serait dans l’intérêt supérieur de sa santé » (pièce U4).

57 M. King a témoigné que la situation avait finalement [traduction] « atteint son paroxysme » le 13 juin 2011. Il attendait fébrilement l’audience de juillet, en espérant pouvoir [traduction] « composer avec la situation », mais le 13 juin, la situation était devenu [traduction] « intenable ». Une situation a dégénéré alors qu’un détenu ne cessait de [traduction] « proférer des injures ». M. King lui a ordonné de retourner à son module. Après que le détenu en question soit retourné à son module, [traduction] « plusieurs agents ont commencé à m’interpeller, ils voulaient savoir ce qui se passait et pourquoi ils se faisaient chasser de leurs affectations régulières ». M. King a affirmé que trois agents lui avaient alors dit [traduction] « [qu’ils] en avaient assez » de la situation, qu’il [traduction] « était le sujet de leurs conversations » et que [traduction] « personne n’était impressionné » par lui. M. King a dit que la situation s’était alors envenimée et avait [traduction] « dégénéré » et qu’il avait décidé [traduction] « de s’extirper de cette situation ». Il a donc demandé un congé, en attendant le résultat de l’audience de son grief.

IV. L’absence du Dr LeBlanc

58 Je relève le fait que le Dr LeBlanc n’a pas témoigné lors de l’audience. En début d’audience, l’avocat du fonctionnaire a fait savoir qu’il n’avait pas assigné le Dr LeBlanc à témoigner, et qu’il n’avait pas davantage reçu de confirmation écrite de la part du Dr LeBlanc qu’il se présenterait à l’audience. Il a dit qu’il avait tenté de communiquer avec le Dr LeBlanc par téléphone afin de lui demander de venir témoigner au soutien de sa prétention voulant que la seule mesure d’adaptation convenable était non seulement une affectation à un [traduction] « milieu » à sécurité minimale (par exemple l’Unité 58), mais plutôt à un établissement à sécurité minimale (par exemple Westmorland).

59 L’employeur a convenu que le fonctionnaire pouvait faire entendre ses témoins, présenter ses éléments de preuve, puis clore le dossier, sous réserve de pouvoir par la suite assigner le Dr LeBlanc à témoigner une fois que l’avocat du fonctionnaire l’aurait rejoint. La seule condition à cet égard, qui a dûment été acceptée par l’avocat du fonctionnaire, était que si le Dr LeBlanc était cité comme témoin après que l’employeur ait classé l’affaire, ce dernier aurait le droit de convoquer à nouveau ses témoins ou encore, d’autres témoins.

60 L’audience s’est donc poursuivie sur cette prémisse. Après que l’employeur eut déclaré l’affaire classée, l’avocat du fonctionnaire a fait savoir qu’il avait parlé au Dr LeBlanc et que celui-ci lui avait dit qu’il avait pris sa retraite depuis et qu’il ne voulait pas venir témoigner. L’avocat du fonctionnaire a alors présenté une requête pour suspendre l’audience, le temps qu’il trouve un autre témoin-expert qui pourrait étudier le dossier, les notes et les rapports du Dr LeBlanc, rencontrer M. King, puis fournir une opinion. L’employeur s’est opposé à la requête.

61 Après avoir entendu les arguments des parties, j’ai rejeté la requête pour plusieurs motifs.

62 Tout d’abord, il y avait une question de délais et de préjudice. L’audience avait été retardée depuis déjà assez longtemps. Par ailleurs, il est de pratique courante que la présence d’un témoin soit assurée par une assignation à comparaître, sinon à tout le moins par une confirmation écrite du témoin qu’il ou elle a l’intention de se présenter à l’audience. À défaut d’obtenir une telle confirmation écrite, il y a lieu d’assigner le témoin à comparaître. Si elle n’a pris aucune de ces mesures, la partie affectée doit être réputée être prête à procéder en l’absence du témoin, sinon accepter le risque que le témoin ne se présente pas. En effet, dans sa lettre aux parties datée du 1er février 2011 confirmant les dates fixées pour l’audience, la Commission mentionne bien que ces dates sont [traduction] « […] considérées comme étant "finales". Il est entendu qu’avant de confirmer leurs disponibilités, les parties avaient avisé leurs témoins respectifs des dates d’audience ». Le fait de permettre de suspendre l’audience parce qu’une partie a choisi de prendre le risque qu’un témoin ne soit pas présent et que cette partie découvre que ce risque s’est concrétisé, serait injuste pour l’autre partie qui s’est préparée pour l’audience. Cela sème le chaos dans le processus de fixation de dates d’audience, en plus de faire en sorte qu’on risque de devoir entendre à nouveau la preuve présentée par l’employeur (dans le cas qui nous occupe), en raison de la nécessité qu’il y aurait de devoir répliquer au témoignage rendu par le témoin après la suspension de l’audience, un témoignage qui en principe aurait dû être entendu à la date d’audience fixée à l’origine.

63 Il convient également de tenir compte du fait que l’avocat du fonctionnaire avait demandé, le 23 décembre 2010, que l’on fixe la date d’audience [traduction] « en tenant compte qu’il s’agit d’une urgence ». Il était au courant des dates fixées pour l’audience dès le 31 janvier 2011 (en plus d’y avoir consenti). Par conséquent, l’avocat du fonctionnaire disposait d’un délai et d’un préavis suffisant pour s’assurer de la présence du Dr LeBlanc sinon de demander un ajournement suffisamment à l’avance pour que les parties n’aient pas à consacrer inutilement de frais et d’efforts en vue de se préparer à l’audience et de s’y présenter.

64 Pour cette seule raison, j’aurais refusé d’accueillir la requête d’ajournement.

65 De plus, l’avocat du fonctionnaire demandait la permission non pas de présenter le témoignage du Dr LeBlanc, mais celui d’un autre témoin-expert. Un autre témoin-expert n’aurait pu présenter une preuve directe se rapportant à la première partie du grief (soit la période allant jusqu’au mois de juillet 2011). Il ou elle n’aurait alors pu que présenter des preuves par ouï-dire, fondé sur les éléments consignés au dossier du Dr LeBlanc relativement à la période précitée. Quelque preuve directe de sa part n’aurait concerné que la période couverte après que ses services aient été retenus. Un tel témoignage aurait peut-être été pertinent dans le cadre d’un nouveau grief (c’est-à-dire une absence de mesure d’adaptation après juillet 2011), étant donné qu’une mesure d’adaptation n’est pas nécessairement permanente en soi. Sa valeur probante aurait été relativement limitée en ce qui a trait à quelque période précédant cette époque.

66 Enfin, la question de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation a toujours été tributaire du poids du témoignage de M. King et des rapports du Dr LeBlanc. Cette preuve était déjà versée au dossier. Il est dès lors difficile d’imaginer ce que le témoignage de vive voix du Dr LeBlanc aurait pu ajouter de façon substantielle. De même, il est difficile d’imaginer ce que le témoignage d’un nouveau témoin-expert aurait pu ajouter, particulièrement compte tenu que personne ne savait quelle serait la teneur du témoignage de ce nouveau témoin-expert.

67 À mon avis, le premier motif énoncé est suffisant pour justifier ma décision de refuser la requête d’ajournement. Les deux autres motifs venaient appuyer cette décision, me cautionnant dans mon raisonnement voulant que le fait de refuser la requête ne causerait pas préjudice au fonctionnaire sur le fond de l’affaire.

V. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

68 L’avocat du fonctionnaire m’a renvoyé à des décisions de la Cour suprême du Canada, notamment Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 R.C.S. 43 (« Hydro-Québec »), et Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 R.C.S. 4. Il a fait valoir que la prise d’une mesure d’adaptation nécessite la coopération des trois parties, soit l’employeur, le syndicat et le fonctionnaire. Il a soutenu que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation impliquait « nécessairement » que la mesure d’adaptation adoptée [traduction] « […] soit conçue sur mesure suivant les besoins de l’employé ». Que cela nécessitait [traduction] « […] des discussions franches, transparentes et continues » entre les parties afin d’en arriver à une mesure d’adaptation convenable. En outre, ces mesures nécessitent que l’employeur tienne compte des répercussions de la décision concernant la mesure d’adaptation sur les droits (dont l’ancienneté) des autres membres de l’unité de négociation.

69 L’avocat du fonctionnaire a alors entrepris de contester sur deux fronts la position de l’employeur voulant que l’affectation à l’Unité 58 représente une mesure d’adaptation convenable relativement à l’incapacité de M. King liée à un TSPT.

70 En premier lieu, l’avocat du fonctionnaire a soutenu qu’une affectation à l’Unité 58 ne constituait pas une mesure d’adaptation appropriée. Il a fait valoir que les rapports du Dr LeBlanc indiquaient clairement que c’était à Westmorland plutôt qu’à l’Unité 58 qu’il aurait fallu affecter M. King. Il a souligné que M. Earle avait effectivement compris que le Dr LeBlanc soutenait que Westmorland constituait la mesure d’adaptation préférable. Il a signalé en outre que l’employeur savait, sinon aurait dû savoir, que les collègues de travail de M. King en poste à l’Unité 58 auraient éprouvé du ressentiment à son endroit en raison des conséquences des mesures d’adaptation sur leurs propres affectations, et qu’un tel ressentiment signifiait que l’affectation à l’Unité 58 ne constituait pas une mesure d’adaptation convenable. Il a souligné à grands traits les événements de juin 2011, signalant que M. King [traduction] « s’était senti si mal à l’aise au sujet de ce qui s’était alors passé qu’il est parti en congé de maladie et que, si cela n’était pas un signe qu’il était sur le point de craquer, quel autre signe faudrait-il pour tirer cette conclusion? ».

71 L’avocat du fonctionnaire a ajouté, pour renforcer sa position, que les agents travaillant à l’Unité 58 (contrairement à ceux qui travaillent à Westmorland) portaient des gilets pare-lame et des vaporisateurs d’OC. Selon lui, cela signifiait que [traduction] « […] le risque était perçu comme étant plus élevé à l’Unité 58 qu’à Westmorland ».

72 Le fait que M. King ait travaillé pendant un certain temps à l’Unité 58 ne signifiait pas pour autant que cette affectation constituait une mesure d’adaptation convenable, puisque cette mesure avait engendré des tensions entre M. King et ses collègues de travail. M. King avait une hypothèque et des comptes à payer. Il fallait bien qu’il travaille à l’Unité 58 une fois que l’employeur l’avait affecté à cet endroit. Il n’avait pas d’autre choix que d’y travailler.

73 Deuxièmement, l’avocat du fonctionnaire a remis en cause la procédure suivie par l’employeur lorsqu’il a décidé d’accommoder M. King en l’affectant à l’Unité 58. Il a soutenu qu’afin d’être authentique, la procédure suivie par l’employeur à cet égard nécessitait la présence des deux éléments suivants :

  1. une rencontre avec le fonctionnaire à ce sujet dès que l’incapacité s’est manifestée pour la première fois, et non des années plus tard;
  2. des discussions avec le syndicat.

74 L’employeur n’a pas rencontré le syndicat ni le fonctionnaire avant de décider d’affecter M. King à l’Unité 58 et il n’a pas obtenu une évaluation médicale indépendante auprès d’un autre expert en matière de TSPT ni parlé au Dr LeBlanc à ce sujet. L’avocat du fonctionnaire a soutenu que ces manquements avaient entaché le processus d’adoption de mesures d’adaptation suivi par l’employeur.

75 L’avocat du fonctionnaire a également fait valoir que l’échange de correspondance entre l’employeur et le Dr LeBlanc n’avait pas été effectué de bonne foi. Ainsi, au lieu d’accepter la recommandation du Dr LeBlanc, l’employeur a plutôt correspondu avec lui dans le but d’influencer son opinion. La correspondance de l’employeur avec le Dr LeBlanc n’a fait que démontrer qu’il [traduction] « […] continuait à pousser jusqu’à ce qu’il obtienne l’opinion qu’il souhaitait obtenir de sa part ». M. Niles avait promis au syndicat (et donc à M. King) que s’il obtenait un document médical préconisant l’affectation de M. King à Westmorland, qu’il l’affecterait à cet endroit. Or, une fois qu’on lui a fourni une lettre à cet effet, il a rompu sa promesse. Les lettres du Dr LeBlanc étaient libellées comme M. Niles l’avait requis, mais lorsqu’il les a eues en main, [traduction] « […] il n’y a pas donné suite; il n’a pas muté M. King », aux dires de l’avocat du fonctionnaire. Cela constituait de la mauvaise foi de la part de l’employeur.

B. Pour l’employeur

76 L’employeur a reconnu que M. King était atteint d’une incapacité (le TSPT) et qu’il avait l’obligation de lui offrir des mesures d’adaptation. Il incombait toutefois au fonctionnaire de démontrer que l’employeur avait négligé de lui offrir une mesure d’adaptation relativement à son incapacité. L’avocat de l’employeur a soutenu que l’avocat du fonctionnaire n’avait pas réussi à établir que l’affectation du fonctionnaire à l’Unité 58 ne constituait pas une mesure d’adaptation convenable relativement à l’incapacité de M. King. Il a affirmé que par le simple fait d’avoir travaillé à l’Unité 58 pendant plus d’une année (si ce n’est pas plusieurs années), M. King avait démontré que cette affectation était effectivement convenable à titre de mesure d’adaptation.

77 L’employeur a également fait valoir que la décision ultime de prendre une mesure d’adaptation lui revenait. Le Dr LeBlanc pouvait donner des conseils ou formuler des recommandations, mais en dernier ressort c’est l’employeur qui était dans la meilleure position pour décider si une affectation plutôt qu’une autre constituait une mesure d’adaptation convenable en regard de l’incapacité décrite par le fonctionnaire et le Dr LeBlanc.

78 En outre, l’obligation dont il est question ici consiste à offrir une mesure d’adaptation qui est raisonnable et non une mesure qui est parfaite. L’objectif de l’obligation de mettre en place des mesures d’adaptation « […] ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire » (Hydro-Québec, au paragraphe 14). En pratique, cela signifie que « […] l’employeur doit offrir des mesures d’accommodement qui, tout en n’imposant pas à ce dernier de contrainte excessive, permettront à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail » (Hydro-Québec). L’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’a cependant pas pour objet « […] de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail » (Hydro-Québec, au paragraphe 15). Cela signifie que l’obligation incombant à l’employeur « […] n’est pas infinie; elle lui permet d’arrêter son choix sur des mesures d’adaptation qui font son affaire aussi bien qu’elles font l’affaire de l’employé » (Spooner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 60, au paragraphe 141). Même si l’employeur est tenu d’examiner rigoureusement les options et les moyens d’accommoder les besoins d’un employé, « […], rien n’oblige l’employeur à prendre des mesures d’adaptation qui s’accordent avec les préférences de l’employé » (Spooner, au paragraphe 146).

79 Le rôle du Dr LeBlanc était de fournir des conseils et des opinions au sujet de l’incapacité de M. King et des restrictions qui en découlaient. Il ne pouvait aucunement imposer le type d’affectation que l’employeur devait accorder à M. King. L’employeur avait l’obligation, en consultation avec le syndicat et le fonctionnaire, de tenir compte de ces conseils et de décider si un type d’affectation s’accordait avec ces restrictions.

80 L’incapacité décrite par le Dr LeBlanc était énoncée par celui-ci à la pièce U3, soit [traduction] « […] sa vulnérabilité accrue d’être gravement affecté par l’exposition à une situation traumatisante à l’avenir ». Étant donné que les détenus de Westmorland et de l’Unité 58 présentaient le même faible risque de causer du tort à des codétenus ou aux employés, l’affectation de M. King à l’Unité 58 représentait un équilibre entre les facteurs psychologiques pertinents en regard du risque faisant l’objet de la lettre du Dr LeBlanc. D’un côté, cela pouvait possiblement poser un risque accru (en raison du fait que l’unité se trouvait au sein d’un établissement à sécurité moyenne), mais par contre il existait également un sentiment accru de sécurité car les agents portaient des dispositifs de protection.

81 La preuve a permis d’établir tout au plus qu’une affectation soit à l’Unité 58, soit à Westmorland, pouvait s’accorder aux restrictions relevées par le Dr LeBlanc dans sa correspondance, ce qu’il semble d’ailleurs avoir reconnu dans sa lettre datée du 17 janvier 2011 (pièce U4). De plus, le fait que le syndicat et M. King se soient entendus sur son affectation initiale à l’Unité 58 et le fait qu’il y ait travaillé pendant aussi longtemps constituait en quelque sorte une reconnaissance que l’affectation à l’Unité 58 représentait effectivement une mesure d’adaptation convenable en regard de son incapacité. Le fait que d’autres employés pouvaient s’en plaindre n’avait aucune pertinence quant à l’obligation de mettre en place des mesures d’adaptation, du moins en l’absence de la connaissance par l’employeur de l’existence de telles tensions et, une fois l’existence de ces tensions portée à sa connaissance, quelque manquement de sa part de prendre les mesures qui s’imposent. La preuve n’a pas permis d’établir que des tensions avaient effectivement existé avant l’incident survenu en juin 2011. Or, après que cet incident se soit produit, l’employeur a pris des mesures afin de corriger la situation en rappelant aux autres agents qu’ils avaient l’obligation de collaborer de façon raisonnable dans la mise en place de mesures d’adaptation au bénéfice d’un de leurs collègues.

C. Réplique de l’avocat du fonctionnaire

82 L’avocat du fonctionnaire a rétorqué que depuis son retour au travail, des postes avaient été ouverts à Westmorland auxquels M. King aurait pu être affecté. L’employeur a manqué à son obligation de le faire lorsqu’il en avait l’occasion. En vertu de l’article 37 de la convention collective, l’employeur avait l’obligation de ne pas faire preuve de discrimination à l’égard des membres du syndicat, notamment en raison de l’incapacité d’un individu. Le défaut de la part de l’employeur de ne pas accommoder M. King, en ne l’affectant pas à Westmorland, constituait un manquement à cette obligation.

VI. Analyse et décision

83 M. King a soutenu que l’employeur avait violé l’article 37 de la convention collective en faisant preuve de discrimination à son égard. Cette discrimination aurait consisté en son refus de l’affecter à Westmorland. L’employeur a reconnu que M. King souffrait d’une incapacité (le TSPT) et que cette incapacité le rendait plus susceptible de subir un préjudice s’il était témoin, ou victime, d’un événement traumatisant. L’employeur a soutenu toutefois que l’affectation de M. King à l’Unité 58 constituait à son avis une mesure d’adaptation raisonnable en regard de son incapacité.

84 L’obligation de prendre des mesures d’adaptation est une extension de l’obligation de ne pas faire preuve de discrimination à l’égard d’un employé. Un employeur a l’obligation de ne pas faire preuve de discrimination fondée sur l’incapacité d’un employé. L’employeur d’un employé atteint d’une incapacité qui l’empêche de satisfaire aux exigences d’un poste en particulier a l’obligation objective (sous réserve d’une contrainte excessive) de modifier les exigences de ce poste ou de trouver un autre poste comparable qui permettra à l’employé de continuer à satisfaire les obligations lui incombant en vertu du contrat de travail. Le critère qui consiste à savoir si l’employeur a offert une mesure d’adaptation raisonnable n’est pas de vérifier si l’employé est heureux d’exercer les fonctions du poste ainsi modifié ou de l’autre poste qui lui est offert ou s’il ou elle souhaite les exercer. Il s’agit plutôt de vérifier si le poste offert constitue une mesure d’adaptation raisonnable en regard de l’incapacité de l’individu. En d’autres mots, la question consiste à déterminer si l’employé est capable d’exercer les fonctions du poste en dépit de son incapacité. Si l’employé est en mesure de le faire, alors l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est satisfaite. Ceci ne signifie pas que n’importe quel poste (pourvu que la rémunération soit comparable à celle du poste d’attache de l’employé) fera l’affaire. Par exemple, le fait d’offrir à un machiniste qualifié un poste de préposé au stationnement ne constitue pas la satisfaction par l’employeur de son obligation de prendre des mesures d’adaptation, du moins en l’absence d’efforts de modifier un poste ou de trouver un poste de manière à ce qu’il soit mieux adapté aux compétences, à la formation et à l’expertise de l’employé visé.

85 Avant d’aborder la question à savoir si l’affectation à l’Unité 58 a satisfait en substance l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, je vais tout d’abord me pencher sur l’aspect procédural, en particulier à la lumière des doléances exprimées par le syndicat à cet égard aux paragraphes 73 à 75 ci-dessus.

86 À cet égard, je n’ai pas été convaincu que l’aspect procédural de la satisfaction de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation nécessitait, dans tous les cas, qu’il y ait une rencontre entre l’employeur et la personne demandant la mesure d’adaptation, ni que cela exige de l’employeur qu’il obtienne, dans tous les cas, une évaluation médicale indépendante. Chaque cas en est un d’espèce. Dans le cas qui nous concerne, l’employeur avait en main les rapports du Dr LeBlanc, en plus de la demande d’affectation à l’Unité 58 que M. King avait lui-même faite à l’origine. M. King semblait en mesure de travailler à cet endroit pourvu qu’il ne soit pas déployé à l’extérieur de cette unité. Aucune preuve n’a été présentée voulant que M. King possédait de l’information qu’il n’aurait pas été en mesure de relayer au Dr LeBlanc, ni que l’employeur avait fait fi de son incapacité ou avait refusé d’en tenir compte en lui accordant une autre affectation à la suite de sa demande à cet effet. À la lumière de la preuve présentée, je suis convaincu que l’employeur a effectivement discuté du dossier de M. King à quelques reprises avec le syndicat de ce dernier. Dans les circonstances, je ne vois rien à redire ni à reprocher à la procédure suivie par l’employeur dans ses efforts visant à répondre aux demandes faites par M. King de prendre des mesures d’adaptation à son égard.

87 Je n’ai pas non plus été capable de déceler dans la correspondance échangée avec le Dr LeBlanc quelque tentative par l’employeur de le persuader de changer d’avis à cet égard. Cette correspondance, décrite précédemment, n’indique ni plus ni moins qu’un désir de la part de l’employeur de mieux cerner la nature précise de l’incapacité dont souffrait M. King, quelles mesures d’adaptation pourraient être convenables dans les circonstances, et si une affectation à l’Unité 58 pouvait constituer une mesure d’adaptation convenable. Les observations du Dr LeBlanc à ce sujet n’étaient pas des plus limpides, en particulier alors que M. King travaillait dans un milieu qu’il prétendait par ailleurs ne pas convenir à sa situation. Dans de telles circonstances, il ne m’apparaît pas surprenant ni inconvenant que l’employeur ait cherché à obtenir des précisions quant à savoir si l’affectation à l’Unité 58 constituait ou non une mesure d’adaptation convenable.

88 Puisque M. King a allégué que son affectation à l’Unité 58 ne constituait pas une mesure d’adaptation convenable relativement à son incapacité, il avait le fardeau d’établir ce fait compte tenu de la prépondérance des probabilités. À cet égard, la preuve sur laquelle il fonde ses prétentions est essentiellement de deux ordres :

  1. les rapports du Dr LeBlanc;
  2. le fait que l’affectation à l’Unité 58 pourrait engendrer, aurait engendré ou a effectivement engendré des tensions avec les autres agents affectés au même endroit, alors que de telles tensions n’existeraient pas s’il était affecté à Westmorland.

A. Les rapports du Dr LeBlanc

89 La position adoptée par l’avocat du fonctionnaire était fondée sur son interprétation des rapports du Dr LeBlanc. Il a soutenu que ces rapports démontraient que, de l’avis du médecin du fonctionnaire, seule une affectation à Westmorland représenterait une mesure d’adaptation convenable en regard de l’incapacité de M. King. Cela soulève nécessairement la question de déterminer quelle est la nature précise de cette incapacité, et si les rapports du Dr LeBlanc en font effectivement la preuve.

90 Sur la foi des rapports déposés en preuve et du témoignage de M. King (y compris le fait qu’il ait travaillé à l’Unité 58 pendant plus d’un an), je suis convaincu que M. King souffrait du TSPT, et que cet état s’était partiellement résorbé alors qu’il avait repris le travail en décembre 2008 ou en janvier 2009. En affirmant cela, j’entends que son affection liée au TSPT s’était atténuée au point qu’il était alors en mesure de reprendre le travail, avec la réserve que son aptitude au travail se trouvait néanmoins restreinte. Cette restriction – l’incapacité – consistait en son aptitude réduite à composer avec le stress psychologique pouvant résulter de son exposition à des événements traumatisants. Il était pour ainsi dire un individu que l’on qualifierait dans une affaire délictuelle une « victime vulnérable ». Il était plus susceptible de subir une incapacité s’il devait être exposé à un événement traumatisant au plan psychologique. M. King, comme l’expliquait le Dr LeBlanc dans sa lettre datée du 17 janvier 2011 (pièce U4), continuait à manifester [traduction] « […] des caractéristiques chroniques résiduelles d’une anxiété traumatique, ce qui résultait en sa vulnérabilité accrue d’être gravement affecté par l’exposition à une situation traumatisante à l’avenir ». Toujours selon le Dr LeBlanc, cette vulnérabilité accrue [traduction] « à une situation traumatisante pouvant se produire à l’avenir […] est l’enjeu le plus préoccupant chez cet individu ».

91 Il appert de la preuve que cette vulnérabilité accrue ne signifiait pas pour autant que le fonctionnaire ne pouvait pas travailler dans un milieu à sécurité minimale, tel que l’Unité 58. En effet, tous les éléments de preuve indiquent qu’il a effectivement été en mesure de travailler à cet endroit. Selon le témoignage de M. King, il avait demandé d’être affecté à l’Unité 58 lors de son retour au travail à la suite de sa réadaptation en raison d’une blessure à l’épaule. Il a travaillé à cet endroit à partir d’environ le mois de janvier 2009 jusqu’au mois de juin 2011. Il a demandé (ou, du moins, son syndicat) et a obtenu une autre mesure d’adaptation, soit un engagement de la part de l’employeur de ne pas le déployer à l’extérieur de l’Unité 58. En résumé, la preuve a permis d’établir à ma satisfaction qu’en ce qui a trait aux capacités fonctionnelles de M. King, une affectation permanente à l’Unité 58 constituait une mesure d’adaptation convenable à la vulnérabilité accrue qui l’affectait en raison du TSPT dont il souffrait.

92 Il est vrai que le Dr LeBlanc estimait que, bien que l’affectation à l’Unité 58 [traduction] « […] semble satisfaire la plupart de ses besoins […] un degré résiduel d’anxiété persiste et son affectation à un établissement dans lequel il existe un plus faible potentiel de violence demeure préférable, dans la mesure où cela puisse être réalisé, et cela serait dans l’intérêt supérieur de sa santé » (pièce U4). Je ne suis cependant pas convaincu que l’on puisse interpréter cette affirmation comme étant l’expression d’une opinion voulant qu’une autre affectation ne puisse pas constituer une mesure d’adaptation convenable.

93 Tout d’abord, ce qu’entend le Dr Leblanc par [traduction] « […] un établissement dans lequel il existe un plus faible potentiel de violence », ne m’apparaît pas évident. S’il visait alors la violence au sein de la population carcérale, aucune preuve n’a été présentée voulant que les détenus hébergés à l’Unité 58 étaient plus violents que ceux hébergés à Westmorland; en fait, la preuve était plutôt à l’effet contraire.

94 Par contre, le Dr LeBlanc avait pu avoir à l’esprit le fait que l’Unité 58 se trouvait sertie au sein d’un établissement à sécurité moyenne dans lequel, pourrait-on présumer, il pouvait exister un potentiel de violence accru. L’enjeu ici réside dans le fait que l’affectation permanente de M. King à l’Unité 58 signifiait qu’il ne serait pas attendu de M. King, dans le cadre de cette affectation, qu’il ait à travailler dans un milieu à sécurité moyenne pendant ses quarts de travail, et donc qu’il demeurerait dans un milieu dans lequel il existe [traduction] « […] un plus faible potentiel de violence ». Ceci étant, il n’a pas été établi (alors que ce fardeau incombait au fonctionnaire) qu’en ce qui a trait au [traduction] « […] potentiel de violence », il existait une différence à cet égard entre ce que M. King connaîtrait ou aurait connu en travaillant à l’Unité 58 et ce qu’il aurait pu connaître s’il avait été affecté à Westmorland. Aucun élément de preuve devant moi ne permet de soutenir l’opinion du Dr LeBlanc (si cela était effectivement son opinion) que le potentiel d’exposition à la violence à Westmorland était plus faible que celui à l’Unité 58. L’opinion d’un expert n’a de valeur que dans la mesure de la valeur des faits sur lesquels elle se fonde. Le fardeau de la preuve quant à l’existence de tels faits incombe au fonctionnaire. Si ces faits n’existent pas ou s’ils ne sont pas avérés, alors l’opinion à cet égard perd l’essentiel, sinon la totalité, de sa force de persuasion. En effet, le fait que le stress lié à ses collègues de travail, plutôt que le stress lié à un incident violent, ait mené M. King à prendre congé de son travail après avoir travaillé à l’Unité 58 pendant bien au-delà d’un an, me convainc plutôt qu’en ce qui a trait à l’incapacité de M. King, il n’y a pas de différence entre le fait qu’il travaille à l’Unité 58 ou à Westmorland.

95 En définitive, je ne suis pas convaincu que les rapports du Dr LeBlanc puissent être interprétés de manière à y lire que l’affectation permanente de M. King à l’Unité 58 ne constituait pas une mesure d’adaptation convenable en regard de son incapacité. M. King a lui-même demandé cette affectation à l’origine. Le fait qu’il ait pu avoir demandé que cela soit une mesure temporaire n’est pas incompatible avec la conclusion qu’il pouvait exercer ces fonctions en dépit de son incapacité. En fait, cette affectation vient plutôt appuyer une telle conclusion, car dans le cas contraire, il n’aurait pas été en mesure d’y exercer ses fonctions pendant une période aussi longue. Cette conclusion est aussi étayée par le fait que ce qui a éventuellement amené M. King à demander un congé de son travail n’était pas l’exposition à quelque événement traumatisant, mais plutôt la réaction de ses collègues de travail à son égard. Ceci nous amène au deuxième volet de l’argumentation de l’avocat du fonctionnaire, soit que les tensions alléguées découlant des mesures d’adaptation avec ses collègues de travail.

B. Les tensions existant entre le fonctionnaire et ses collègues de travail à l’Unité 58

96 Il s’agit de trancher si le fait que les collègues de travail de M. King aient pu éprouver du ressentiment en raison du fardeau que leur imposait la décision de l’employeur de lui offrir une telle mesure d’adaptation dans le cadre de son affectation à l’Unité 58 constitue, ou constituerait, un élément suffisant pour qu’une telle mesure d’adaptation ne soit pas jugée appropriée.

97 Il est vrai que l’employeur n’a pas le droit de dénaturer son obligation de prendre des mesures d’adaptation au bénéfice d’un employé de manière à faire fi des droits des autres employés, par exemple des droits liés à l’ancienneté. L’employeur est tenu d’étudier d’autres mesures avant de demander au syndicat de demander à ses membres de céder des droits que leur confère leur convention collective; voir par exemple Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 (« Renaud »).

98 La difficulté avec cet argument réside dans le fait qu’aucune preuve n’a été présentée à l’effet que les collègues de travail de M. King au sein de l’Unité 58 jouissaient d’un droit acquis aux termes de leur convention collective de ne pas être affectés à des fonctions à l’extérieur de l’Unité 58 lors d’un quart de travail donné. Au mieux, la preuve présentée pouvait permettre d’inférer qu’il y avait une possibilité que l’affectation permanente de M. King à l’Unité 58 se traduise par le fait que ses collègues de travail puissent être plus souvent appelés à être affectés, de temps à autre et selon leur quart de travail, à l’extérieur de l’Unité 58. En outre, la preuve n’a pas établi quelque différence statistique à cet égard, ni que tous les collègues de travail de M. King ou une majorité de ces derniers entretenaient de la rancœur en raison de cette situation.

99 L’avocat du fonctionnaire n’a pu que souligner la possibilité que les collègues de M. King puissent éprouver un certain ressentiment en raison du fait que la mesure d’adaptation qui lui était offerte pouvait signifier que leurs attentes respectives de bénéficier d’un quart de travail plus facile à l’Unité 58 s’en trouvaient diluées. Est-ce que ce ressentiment potentiel devait amener l’employeur à décider d’offrir à M. King une mesure d’adaptation en lui proposant une affectation à Westmorland plutôt qu’à l’Unité 58?

100 Afin de répondre à cette question, je suis d’accord que, en règle générale, il faut tenir compte de l’effet sur le moral des employés au moment de décider d’une mesure d’adaptation; voir Renaud. Ceci dit, « […] ce facteur doit être appliqué avec prudence » (Renaud), en particulier en raison du fait que la mesure d’adaptation ne portait pas atteinte à quelque droit acquis dont pouvaient se réclamer les collègues de travail de M. King. Puisque cela ne portait pas atteinte à un droit acquis, au mieux il pourrait être allégué que des collègues de travail de M. King pourraient entretenir une certaine rancœur à cause des changements apportés à leur routine en raison de la nécessité de reconnaître l’incapacité de M. King. Or, ce genre de ressentiment ou d’effet sur le moral des employés n’est pas un facteur que l’employeur devait tenir compte. Car, tel qu’il a été souligné par la Cour suprême dans Renaud, « […] les oppositions fondées sur des attitudes incompatibles avec les droits de la personne ne sont pas pertinentes ».

101 De plus, une possibilité n’est, justement, qu’une possibilité. L’employeur est en droit d’adopter une attitude attentiste en ce qui a trait à l’effet de la décision sur le moral des employés lorsqu’il cherche à mettre en place une mesure d’adaptation appropriée, en particulier lorsque la réaction potentielle ne résulte pas d’une atteinte ou d’une entrave à un droit acquis sous le régime d’une convention collective, mais plutôt « […] [d’] oppositions fondées sur des attitudes incompatibles avec les droits de la personne» (Renaud).

102 Évidemment, un employeur qui ferait fi de la manifestation de telles tensions pourrait, dans certaines circonstances, ne pas être réputé s’être acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation s’il choisit d’ignorer les répercussions de ces tensions sur l’employé bénéficiant des mesures d’adaptation, ou encore de le laisser composer par lui-même ou elle-même avec une situation aussi délétère. Or, l’obligation de l’employeur ne consiste pas nécessairement à céder à ces tensions; voir Renaud. Selon la preuve, une fois que ces tensions ont été portées à la connaissance de l’employeur en juin 2011, celui-ci a parlé avec les collègues de travail concernés et leur a signalé qu’ils n’avaient pas de droit acquis comme tel ni pouvaient-ils raisonnablement s’attendre à ne pas devoir être affecté à l’occasion à l’extérieur de l’Unité 58, et les a informé qu’à titre d’employés et de professionnels, il leur incombait d’accepter le fait que les mesures d’adaptation offertes à M. King pouvaient résulter en quelques affectations supplémentaires à l’extérieur de l’Unité 58 qu’à l’habitude. En d’autres termes, l’employeur a pris des démarches afin de résorber les tensions qui, selon la preuve présentée, ne s’étaient pas clairement manifestées avant le mois de juin 2011 et, au demeurant, ne semblaient être liées qu’à la réaction d’un ou deux collègues de travail.

VII. Conclusion

103 Je ne suis pas convaincu que M. King a réussi à démontrer que l’employeur avait agi de manière discriminatoire à son endroit en omettant de prendre des mesures d’adaptation relativement à son incapacité. La preuve et les faits en l’instance permettent tout au plus d’établir qu’une affectation permanente soit à l’Unité 58 soit à Westmorland aurait constitué une mesure d’adaptation convenable et raisonnable relativement à l’incapacité de M. King. Le fait qu’une affectation à Westmorland aurait également constitué une mesure d’adaptation convenable relativement à l’incapacité de M. King ne signifie pas qu’une telle affectation était la seule mesure d’adaptation possible dans les circonstances. Le choix entre deux, voire plusieurs mesures d’adaptation convenables revient en principe à l’employeur; voir à cet effet Spooner, aux paragraphes 141 et 146. Ni le syndicat, ni M. King, ni le Dr LeBlanc ne pouvaient, que ce soit en vertu de quelque loi ou de la convention collective, décider de leur propre chef laquelle des deux mesures d’adaptation possibles était la plus convenable. La décision de l’employeur d’affecter en permanence M. King à l’Unité 58, par opposition à une affectation à Westmorland, ne constituait pas une mesure discriminatoire. Cela représentait tout simplement une décision opérationnelle de la part de l’employeur de choisir entre une des deux façons d’offrir une mesure d’adaptation raisonnable eu égard à l’incapacité de M. King. L’employeur avait le droit de prendre une telle décision.

104 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

105 Le grief est rejeté.

Le 31 octobre 2011.

Traduction de la CRTFP

Augustus Richardson,
arbitre de grief

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