Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté son congédiement pour inconduite - le fonctionnaire s’estimant lésé était un agent correctionnel - il a été congédié pour sa participation à un tournoi de poker à Las Vegas sans aviser ses supérieurs qu’il avait accepté une commandite d’un individu connu par la Sureté du Québec pour ses liens avec les milieux criminels et pour deux rencontres avec une personne associée au crime organisé - il avait déjà reçu une suspension d’une journée pour avoir été intercepté par la police à bord d’une limousine appartenant au propriétaire d’un bar d’effeuilleuses et en compagnie de celui qui a commandité son tournoi de poker - la preuve des fréquentations du fonctionnaire s’estimant lésé après le dépôt du grief est pertinente en ce qu’elle contredit la déclaration du fonctionnaire s’estimant lésé qu’il s’est abstenu de tout contact avec le milieu criminalisé après avoir reçu la journée de suspension - la lettre de licenciement faisait référence seulement aux deux rencontres avec un individu associé au crime organisé mais ne faisait aucune référence au tournoi de poker - cependant, la lettre de licenciement a été remise au fonctionnaire s’estimant lésé avec une copie du rapport d’enquête, qui lui faisait référence au tournoi de poker - l’arbitre de grief a rejeté l’objection du fonctionnaire s’estimant lésé - la convention collective ne précise pas la forme que doit prendre une mesure disciplinaire et l’employeur avait rempli son obligation de motiver sa décision - le lien du fonctionnaire s’estimant lésé avec des personnes associées aux motards criminalisés le rendait vulnérable - cette conduite est incompatible avec les fonctions d’un agent de la paix - l’employeur n’avait pas à prohiber de façon express ce genre de comportement - le fonctionnaire s’estimant lésé avait reçu une première sanction disciplinaire et un avertissement clair de cesser ce genre de fréquentation - le fonctionnaire s’estimant lésé a nui à l’image de l’employeur et sa conduite le rend inapte à remplir ses fonctions avec intégrité - la preuve a posteriori est pertinente en ce qu’elle démontre que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas changé son comportement depuis son licenciement - les craintes de l’employeur quant au bris du lien de confiance sont justifiées. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-12-05
  • Dossier:  566-02-4249
  • Référence:  2011 CRTFP 138

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MARTIN LAPOSTOLLE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Éric Lévesque, avocat

Pour le défendeur:
Pierre-Marc Champagne, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 29 août au 1 septembre 2011.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Martin Lapostolle (le « fonctionnaire ») a été licencié le 19 janvier 2010 pour inconduite. Le fonctionnaire était à l’emploi du Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« employeur ») depuis le 20 janvier 1997. Au moment du licenciement, il était agent correctionnel de niveau CX-02 au Centre régional de réception de Sainte-Anne-des-Plaines (le « Centre régional de réception » ou l’« établissement » selon le contexte).

2 Le licenciement a été précédé d’une mesure disciplinaire d’une journée de suspension, imposée le 26 février 2008. Le fonctionnaire conteste son licenciement comme étant abusif, sinon excessif, parce qu’il ne tient pas compte de l’ensemble des circonstances. L’employeur soutient que la conduite du fonctionnaire a irrémédiablement rompu le lien de confiance nécessaire au bon fonctionnement du SCC.

3 Pour comprendre le contexte de cette affaire, il y a lieu de souligner que le SCC est l'organisme du gouvernement fédéral chargé d'administrer les peines d'emprisonnement de deux ans et plus imposées par les tribunaux. À cet effet, le SCC gère des établissements de divers niveaux de sécurité. Le Centre régional de réception est un établissement à sécurité maximale qui accueille les personnes condamnées à la détention dans le but de les évaluer avant qu’elles soient acheminées vers un établissement correctionnel qui correspond à leurs besoins. Le Centre régional de réception accueille les détenus qui ont un statut de protection parce qu’ils ne peuvent être intégrés dans la population générale ainsi qu’une unité spéciale de détention à sécurité super maximale, où sont incarcérés les détenus les plus dangereux du Canada, y compris les motards criminalisés. Un autre pavillon renferme des détenus qui ont signé un contrat de collaborateur de justice pour le témoignage qu’ils ont donné dans diverses causes d’importance, les quelles sont souvent lié au crime organisé. Ces deux dernières sections n’ont aucun contact et sont protégées l’une de l’autre.

II. Résumé de la preuve

A. Preuve de l’employeur

i) Témoignage d’André Courtemanche

4 André Courtemanche est un gestionnaire correctionnel de longue carrière maintenant à la retraite. Il est l’enquêteur principal mandaté par l’employeur pour enquêter sur deux incidents : a) la participation du fonctionnaire à un tournoi de poker à Las Vegas et b) les rencontres du fonctionnaire avec des personnes associées au crime organisé.

5 M. Courtemanche a consulté la documentation liée au dossier d’enquête et a rencontré la direction de l’établissement, les surveillants du fonctionnaire et Paul Harvey, agent de renseignement de sécurité de l’établissement. Le fonctionnaire a été rencontré en présence de deux représentants syndicaux, Michel Dumont et Éric Thibault.

6 Concernant le premier incident, M. Courtemanche témoigne ce qui suit. Le fonctionnaire s’est absenté du travail du 4 au 16 juillet 2009 pour participer à un tournoi de poker, apparemment sans avoir reçu l’autorisation nécessaire. Le fonctionnaire s’est opposé à la pertinence de cette partie de la preuve parce que la question de la prise de congé a fait l’objet d’un règlement avant l’audition du grief et parce que cet incident n’est pas mentionné dans la lettre de licenciement. L’objection du fonctionnaire a été prise sous réserve.

7 L’enquête a aussi révélé que le fonctionnaire avait accepté, sans aviser ses supérieurs, une commandite de 6 000 $ d’un individu connu par la Sûreté du Québec pour ses liens avec les milieux criminels pour participer à ce tournoi. La participation du fonctionnaire au tournoi a été diffusée sur les différents sites Internet voués au poker et le succès du fonctionnaire à la table de poker a fait l’objet d’un article dans le journal local de Mirabel. Pendant le tournoi de Las Vegas, le fonctionnaire arborait un gilet portant la mention de son commanditaire, dont une photo apparaît sur l’Internet.

8 Un enquêteur de la Sûreté du Québec, division des renseignements criminels, a avisé l’employeur que le 11 juin 2009, le fonctionnaire avait été intercepté alors qu’il était à bord d’un véhicule qui circulait à très grande vitesse sur l’autoroute 15. Le fonctionnaire était avec le conducteur du véhicule, un individu identifié par l’équipe provinciale de renseignements sur les motards criminalisés, l’escouade Carcajou, comme étant en relation avec des membres du chapitre de Québec des Hell’s Angels. Le 17 juin 2009, le fonctionnaire et ce même individu ont encore été interceptés par la police de Blainville à bord du même véhicule alors qu’ils quittaient une boîte de nuit. Le fonctionnaire conduisait le véhicule. L’individu qui accompagnait le fonctionnaire est le propriétaire bien connu d’un bar d’effeuilleuses situé à St-Janvier (le « bar de St-Janvier »).

9 Avant les incidents du 11 et du 17 juin 2009, soit le 3 novembre 2007, le fonctionnaire avait été intercepté par la police de St-Janvier, à bord d’une limousine identifiée aux couleurs du bar de St-Janvier avec deux autres individus, dont celui qui a commandité la participation du fonctionnaire au tournoi de poker à Las Vegas en 2009 (le « commanditaire »). Une mesure disciplinaire d’une journée de suspension a été imposée au fonctionnaire pour l’incident du 3 novembre 2007 et il a reçu un avertissement que toute récidive de sa part pourrait entraîner des mesures disciplinaires plus sévères allant jusqu’au licenciement. Le fonctionnaire a reçu une mise en garde que le comportement reproché entachait la réputation du SCC, qu’il ne devait plus se tenir dans ce bar et qu’il devait couper les liens avec les personnes qui y étaient identifiées.

10 Lors de son entrevue avec M. Courtemanche, en cours d’enquête, le fonctionnaire a admis avoir un contrat de deux ans avec son commanditaire pour participer à des tournois de poker et que les frais d’admission pour le tournoi de Las Vegas était de 10 000 $. Le fonctionnaire a dit à M. Courtemanche qu’il n’avait jamais reçu d’avis de ne pas fréquenter l’individu avec lequel il avait été intercepté les 11 et 17 juin 2011. Il ne voyait rien de mal dans ses activités de poker. Le fonctionnaire se disait sur ses gardes, qu’il ne faisait pas de commissions et qu’il dissociait ses activités personnelles de son travail.

11 M. Courtemanche a témoigné qu’un incident impliquant un agent correctionnel et le crime organisé attirait l’attention des médias et laissait croire que le SCC était infiltré par le monde criminel. Qui plus est, les agents correctionnels reçoivent une formation approfondie sur les valeurs et le Code de discipline du SCC, notamment sur les risques associés aux contacts avec le crime organisé.

12 En contre-interrogatoire, M. Courtemanche admet ce qui suit. Au moment des incidents du 11 et 17 juin 2009, le fonctionnaire travaillait avec l’unité de protection des pédophiles, mais pouvait en tout temps être appelé à travailler dans une autre unité du Centre régional de réception, y compris la section où sont incarcérés les motards criminalisés. Pendant son entrevue, le fonctionnaire a répondu franchement aux questions qui lui étaient posées mais ne se souvenait pas des mises en garde reçues en 2007. La Sûreté du Québec a communiqué peu de détails concernant les activités du fonctionnaire en raison d’enquêtes en cours, sauf la mention d’individus d’intérêt.

ii) Témoignage d’Alain Belleau

13 Depuis avril 2011, Alain Belleau est sergent-détective de l’escouade régionale mixte de Montréal de l’escouade Carcajou (l’ « escouade ») qui mène la lutte contre le phénomène des gangs de motards criminalisés. L’escouade est composée de policiers de la Sûreté du Québec, de la Gendarmerie royale du Canada et du Service de police de la Ville de Montréal. Le sergent-détective Belleau était auparavant affecté au service des projets de renseignements criminels concernant les motards criminalisés. Il est policier depuis 1996.

14 Son travail consiste à recueillir de l’information visuelle sur les motards et ceux qui gravitent autour d’eux à l’occasion de fêtes privées dans des endroits loués ou d’événements publics comme des combats de boxe. Chaque contact entre un policier et un élément des motards est rapporté à l’escouade, y compris les simples incidents de patrouille sur la route.

15 La Sûreté du Québec, le SCC et les autorités policières municipales se partagent les renseignements criminels et les renseignements sur les motards criminalisés. Ce partage sert à identifier les personnes à mettre sous écoute, à donner accès aux dossiers des visiteurs des établissements du SCC, dont leur adresse, et à créer le profil d’une personne incarcérée. Le sergent-détective Belleau témoigne que l’échange de renseignements avec le SCC est essentiel aux opérations policières. Le 5 novembre 2009, le SCC a été avisé que le fonctionnaire avait été intercepté les 11 et 17 juin 2009, en compagnie d’un individu qui affiche ouvertement sa relation avec divers membres influents des Hell’s Angels et qui participe à leurs activités. Le sergent-détective Belleau explique que l’association d’un agent correctionnel avec une personne sous surveillance policière risque de provoquer la transmission d’information qui pourrait compromettre les enquêtes de l’escouade. À la suite des incidents du 11 et du 17 juin 2009, le fonctionnaire est devenu un sujet d’intérêt pour l’escouade et a été mis sous surveillance.

16 Selon le témoin, depuis le 17 juin 2009, le fonctionnaire a été intercepté à quatre autres reprises par les autorités policières en raison de son association avec des individus enquêtés par l’escouade : i) le 21 juillet 2009, par la Sûreté municipale de St-Janvier, alors qu’il était passager d’un véhicule; ii) le 1er mars 2010, à l’Aéroport Pierre-Elliot-Trudeau, avec deux individus d’intérêt pour l’escouade alors qu’il revenait d’un voyage international. Une fouille à l’aéroport a révélé un sac appartenant au fonctionnaire qui contenait une insigne du SCC; iii) le 24 avril 2010, par la Sûreté municipale de St-Janvier, alors qu’il était seul au volant d’un véhicule de luxe appartenant à un procureur et sympathisant des Hell’s Angels ce véhicule est maintenant la propriété du fonctionnaire par l’entremise d’une compagnie de location); iv) le 26 août 2010, il a été intercepté alors qu’il était seul au volant d’une voiture Jeep identifiée à un commerce lié à un sympathisant des Hell’s Angels. Un cinquième incident noté par l’escouade le 28 août 2010 concernant le fonctionnaire est incomplet.

17 Le sergent-détective déclare que le propriétaire du bar de St-Janvier affiche ouvertement sa relation avec les Hell’s Angels en portant bien en vue un médaillon à leur effigie et qu’il a été vu en compagnie des motards criminalisés à certaines de leurs activités, dont les fêtes privées et les parties de boxe extrême.

18 En contre-interrogatoire, le sergent-détective Belleau témoigne ce qui suit. La communication des incidents du 11 et du 17 juin 2009 est la première fois que le SCC est avisé par écrit qu’un de ses employés est en lien avec le crime organisé. Il n’est pas au courant de quels autres renseignements concernant le fonctionnaire ont été transmis au SCC, ni des informations échangées pendant les rencontres trimestrielles entre la Sûreté du Québec, le SCC et les autorités policières municipales. Il ajoute que le propriétaire du bar de St-Janvier fait présentement l’objet d’accusations criminelles. Enfin, il mentionne que le procureur et ancien propriétaire de la voiture de luxe qui appartient maintenant au fonctionnaire est encore un membre actif du Barreau qui agit en défense au criminel et au pénal.

iii) Témoignage d’Alain Giguère

19 Au moment du licenciement du fonctionnaire, Alain Giguère était directeur adjoint au Centre régional de réception depuis août 2007. M. Giguère est intervenu la première fois avec le fonctionnaire en décembre 2007 pour l’imposition d’une mesure disciplinaire d’une journée de suspension à la suite d’une intervention policière impliquant la présence du fonctionnaire à bord d’une limousine identifiée au propriétaire du bar de St-Janvier, un individu d’intérêt pour l’escouade. Après avoir vérifié les allégations et obtenu le rapport policier, M. Giguère a rencontré le fonctionnaire pour obtenir sa version des faits. Le fonctionnaire s’est justifié en déclarant qu’il avait rencontré le propriétaire du bar de St-Janvier par l’entremise d’un ami d’enfance. M. Giguère a tout de même conclu que le fonctionnaire avait enfreint aux règles et valeurs du SCC et nui à son image vis-à-vis du public même s’il n’était pas en fonction. Le fonctionnaire a été averti que de côtoyer des personnes associées au crime organisé nuisait non seulement à l’image du SCC, mais qu’il courait le risque d’être victime de menaces et de chantage. Le fonctionnaire a été averti de ne plus fréquenter les personnes associées au crime organisé et que le refus d’obtempérer pouvait conduire au licenciement. M. Thibault, le représentant syndical du fonctionnaire, était présent à cette rencontre. L’avertissement a été mis par écrit. M. Giguère n’a pas été impliqué dans le licenciement du fonctionnaire.

20 En contre-interrogatoire, M. Giguère ne se souvenait pas d’une rencontre où le fonctionnaire, en compagnie de M. Thibault, lui aurait demandé de préciser la nature des rencontres qu’il pouvait avoir à l’extérieur du travail, ni d’une demande écrite à ce sujet. M. Giguère se souvenait seulement d’avoir dit au fonctionnaire de faire attention à ses amis d’enfance et des endroits où il les fréquentait.

iv) Témoignage de Louise Maillette

21 Au moment du licenciement du fonctionnaire, Louise Maillette était directrice intérimaire du Centre régional de réception et sous-directrice depuis 2005. Elle occupe une fonction de cadre depuis 1997. C’est elle qui a décidé d’imposer une suspension sans rémunération au fonctionnaire pendant l’enquête sur les incidents du 11 et du 17 juin 2009 et qui a décidé du licenciement du fonctionnaire à la lumière des résultats de l’enquête de M. Courtemanche et du co-enquêteur Gaétan Éthier. Elle a jugé que le fonctionnaire avait manqué aux valeurs et à l’éthique prévu au Code de discipline.

22 Le mandat a été donné à des enquêteurs externes pour assurer la neutralité et éviter tout conflit d’intérêt. Mme Maillette a consulté le dossier de l’employé, la nature des mesures antérieures et les dispositions de la convention collective sur la gradation des sanctions disciplinaires. Elle a pris en considération la déclaration écrite du fonctionnaire en date du 5 janvier 2009. Elle a jugé comme facteur aggravant l’incident du 3 novembre 2007, les nombreuses mesures disciplinaires dans un court laps de temps, l’omission du fonctionnaire de déclarer la commandite du tournoi de poker et l’interception du fonctionnaire par des policiers à deux reprises. La commandite était un incident particulièrement grave. Mme Maillette a jugé que le fonctionnaire avait été formé sur les valeurs et l’éthique du SCC et qu’il n’avait pas pris au sérieux les avertissements précédents concernant un comportement contraire au Code de discipline. Ses contacts avec les milieux criminels compromettaient la sécurité du SCC dans un établissement où sont hébergés des détenus notoires et parmi les plus dangereux.

23 Selon Mme Maillette, les employés qui travaillent dans le milieu correctionnel doivent être fiables et avoir une conduite responsable. Les agents correctionnels ont accès aux banques de données de l’employeur et donc à beaucoup d’information privilégiée concernant les détenus. Par conséquent, un employé qui s’exhibe avec des personnes d’intérêt pour les corps policiers se met dans une situation compromettante pour la sécurité de l’établissement. Les agents correctionnels travaillent dans les mêmes dossiers que les autorités policières pour assurer la sécurité du public. Un agent correctionnel ne peut être vulnérable à une fuite d’information, par exemple concernant les conditions de transfert d’un détenu. Un agent correctionnel doit toujours s’identifier en tant que tel lorsqu’il est interpellé par un policier et doit le déclarer à son employeur.

24 Les détails qui ont justifié la mesure administrative se trouvent dans le rapport des mesures disciplinaires et la lettre qui l’accompagne est un document administratif qui confirme le licenciement.

B. Preuve du fonctionnaire s’estimant lésé

i) Témoignage d’Éric Thibault

25 Éric Thibault est agent correctionnel de niveau CX-01 au Centre régional de réception et est à l’emploi du SCC depuis 2001. Il est président du syndicat local depuis 2005. Il représente les agents correctionnels dans les cas de mesures disciplinaires.

26 Le 26 février 2008, M. Thibault a accompagné le fonctionnaire à une rencontre disciplinaire. Après cette rencontre, le fonctionnaire a jugé bon d’obtenir des éclaircissements concernant les personnes qu’il pouvait fréquenter à l’extérieur du travail. Une des personnes présente dans la limousine du bar de St-Janvier avec le fonctionnaire était un ami de longue date. Le fonctionnaire voulait savoir s’il pouvait aller déjeuner avec lui et continuer à le voir. M. Thibault et le fonctionnaire ont rencontré M. Giguère pendant une trentaine de minutes pour en discuter. M. Giguère ne pouvait préciser les conditions de fréquentation des amis du fonctionnaire, sauf qu’il n’était pas sage de les fréquenter dans un endroit public. Il n’a pas été question de quelque autre personne à exclure des fréquentations du fonctionnaire. M. Thibault admet que la mesure disciplinaire d’une journée de suspension en 2008 n’a pas été contestée.

ii) Témoignage de Martin Lapostolle

27 Au moment de déposer son grief, le fonctionnaire était agent correctionnel de niveau CX-02 au Centre régional de réception. Il était à l’emploi du SCC depuis le 20 janvier 1997.

28 À titre d’explication pour la première mesure disciplinaire, le fonctionnaire témoigne que le soir du 3 novembre 2007, il a rencontré le frère d’un bon ami d’enfance dans le bar de St-Janvier. Il a accepté l’invitation qui lui a été faite d’aller souper et est monté à bord de la limousine du propriétaire du bar de St-Janvier pour s’y rendre. Il n’y avait aucune intention malveillante de sa part. Après la mesure disciplinaire du 26 février 2008, le fonctionnaire a demandé des précisions concernant les personnes qu’il pouvait fréquenter et s’il devait couper tout lien avec le frère de son ami d’enfance. La réponse de M. Giguère a été vague; il pouvait aller manger avec lui, mais ne pas s’afficher publiquement. Selon le fonctionnaire, ce qui préoccupait le plus M. Giguère était sa présence dans la limousine identifiée au bar de St-Janvier et qu’il devait se tenir loin de cette limousine.

29 Après la mesure disciplinaire, le fonctionnaire est retourné au bar de St-Janvier à une reprise avec des collègues de travail pour célébrer un départ à la retraite.

30 Le fonctionnaire témoigne que le 11 juin 2009, le propriétaire du bar de St-Janvier, aussi amateur de poker, lui a téléphoné pour aller jouer au poker. Alors qu’ils circulaient ensemble, le véhicule a été intercepté par la Sûreté du Québec pour excès de vitesse. Le fonctionnaire s’est identifié aux policiers. Le fonctionnaire a dit qu’en juin 2009, il ne connaissait pas les antécédents criminels du propriétaire du bar de St-Janvier.

31 Quant à l’incident du 17 juin 2009, le fonctionnaire témoigne qu’alors qu’il était dans un autre bar, il a vu le propriétaire du bar de St-Janvier très ivre. Il a offert de le reconduire chez lui. Pendant le trajet, le véhicule a été intercepté pour vérification. Le policier a simplement demandé au fonctionnaire de voir les documents d’identité habituels et d’identifier le passager. Il n’a été accusé d’aucune infraction.

32 Le fonctionnaire déclare que son commanditaire est le propriétaire d’une galerie d’art et que celui-ci savait qu’il était un bon joueur de poker. Quand le fonctionnaire lui a fait part de son désir de jouer au tournoi de Las Vegas, le commanditaire lui a offert de partager avec lui le coût d’entrée. Le fonctionnaire a gagné 179 000$ et ils se sont partagés les gains. Le commanditaire lui a offert de commanditer ses tournois pendant deux ans, mais l’occasion ne s’est pas représentée.

33 Le fonctionnaire dit bien connaître le procureur des Hell’s Angels pour avoir travaillé avec lui comme pompiste avant que ce dernier suive sa formation en droit et devienne procureur de la Couronne. Le fonctionnaire dit aussi connaître à titre d’amis des personnes d’intérêt pour l’escouade.

34 Le fonctionnaire explique que l’insigne du SCC qui a été retrouvé dans son sac de voyage à l’aéroport Pierre-Elliot-Trudeau le 1er mars 2010 était un vieil insigne sans matricule qu’il avait gardé comme souvenir. Le fonctionnaire explique que le 26 août 2010, il conduisait le véhicule de marque Jeep que lui avait prêtée un ami parce que sa voiture était en panne. Concernant l’incident noté par l’escouade le 28 août 2010, le fonctionnaire explique qu’il ne s’est pas présenté à l’aéroport pour un voyage à Las Vegas parce qu’il devait se présenter devant le notaire pour finaliser la vente de sa maison.

35 Le fonctionnaire témoigne qu’il fait un travail honnête depuis 15 ans et qu’il a fait un choix de vie en venant travailler pour le SCC. Il se dit incorruptible car il sait où tirer la ligne. Au moment de l’enquête concernant les incidents du 11 et du 17 juin 2009, le fonctionnaire a témoigné qu’il n’avait pas revu le frère de son ami depuis plus de six mois.

36 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire précise qu’il perfectionne continuellement son jeu de poker, mais qu’il n’est pas un joueur professionnel. Selon le fonctionnaire, M. Giguère a surtout été irrité par sa présence dans la limousine du bar de St-Janvier, plutôt que par les personnes qu’il fréquentait ce soir-là. Le fonctionnaire avoue avoir demandé au frère de son meilleur ami de financer des gilets de hockey pour une équipe avec laquelle il jouait depuis plusieurs années. Il admet ne pas avoir déclaré la commandite à son employeur. Le fonctionnaire maintient sa version des faits qu’il a mise de l’avant dans sa déclaration écrite du 5 janvier 2010.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

37 L’employeur plaide que la conduite du fonctionnaire va à l’encontre de l’esprit du Code de discipline du SCC. Les contacts du fonctionnaire avec le monde interlope, même s’ils ont eu lieu à l’extérieur du travail, sont inappropriés pour un agent correctionnel qui est tenu à des standards d’éthique plus élevés que le fonctionnaire moyen. L’employeur peut sévir lorsque les activités de loisir sont en conflit avec les activités professionnelles.

38 Ces contacts minent la confiance du public envers le SCC et mettent à risque la sécurité de l’établissement. Il s’agit d’une conduite inconciliable avec un emploi de confiance dans la fonction publique qui justifie un licenciement. L’employeur admet qu’il n’y a aucune jurisprudence à cet égard et que je dois m’inspirer d’autres cas pour rendre une décision.

39 Le fonctionnaire est un agent correctionnel dans un établissement où sont hébergés les motards criminalisés et il a accès à tous les renseignements confidentiels à leur sujet. Il doit éviter de se mettre dans une position vulnérable par rapport à cette information. L’employeur souligne que même si les contacts du fonctionnaire sont le fruit de coïncidences, ils tournent tous autour des Hell’s Angels et de leurs activités. Ce que retient le public, c’est que le fonctionnaire est un agent correctionnel pour le SCC.

40 Avant de licencier le fonctionnaire, l’employeur lui a imposé une mesure disciplinaire et lui a donné des avertissements selon lesquels il devait éviter les contacts avec des individus d’intérêt pour les forces policières ou associés au crime organisé. Le fonctionnaire a été averti que toute récidive pouvait mener au licenciement. Cette mesure disciplinaire n’a pas été contestée. La gradation des sanctions ne s’applique pas dans les circonstances de cette affaire. Pour maintenir la confiance de l’employeur, le fonctionnaire devait faire preuve de discernement dans ses relations amicales et l’employeur n’avait pas à prendre de décisions pour lui. Le fonctionnaire n’avait pas à reconduire le propriétaire du bar de St-Janvier alors que celui-ci aurait pu prendre un taxi. Le fonctionnaire devait savoir qu’en acceptant une commandite importante il se mettait dans une position vulnérable. Il devait aussi savoir que si les personnes qu’il fréquentait intéressaient les forces policières, alors les relations d’affaires ou autre de ces personnes devaient être présumées douteuses.

41 En raison de la perte du lien de confiance, l’employeur plaide qu’à défaut d’être convaincue de maintenir le licenciement du fonctionnaire, je devrais décider de lui accorder une compensation appropriée, plutôt que de le réintégrer.

42 En réponse à l’objection du fonctionnaire qu’il a été pris par surprise à l’arbitrage quant aux motifs du licenciement, l’employeur réplique que le rapport disciplinaire lui a été remis en même temps que la lettre de licenciement et que le fonctionnaire était au courant de tous les motifs invoqués. La lettre de licenciement est en tous points conforme à l’article 17 de la convention collective qui ne prévoit aucune formalité particulière.

43 L’employeur me demande de rejeter l’objection du fonctionnaire quant à la preuve post-licenciement. La preuve des activités subséquentes au licenciement est pertinente pour démontrer le bris du lien de confiance et l’élément de récidivisme, car le fonctionnaire a continué d’avoir des rapports avec les mêmes personnes et leur entourage. Qui plus est, le fonctionnaire est maintenant fiché par l’escouade Carcajou.

44 En résumé, l’employeur souligne qu’un agent correctionnel est tenu à un plus haut standard de probité. Lorsqu’il choisit ce métier, il doit accepter les obligations attenantes. L’employeur a la responsabilité du public et des détenus et je ne dois pas substituer mon jugement pour le sien à cet égard. La décision de l’employeur était juste et raisonnable au moment où elle a été prise. Le fonctionnaire a fait des choix qui sont incompatibles avec ses fonctions et il doit en subir les conséquences.

45 À l’appui de ses prétentions, l’employeur cite les décisions suivantes:

Dionne c. Le Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel Canada), 2003 CRTFP 69; McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26; Flewwelling c. Canada, [1985] F.C.J. No. 1129 (C.A.F.); Courchesne c. le Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-2-12299 (19820719); Simoneau c. Le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 57; Belix c. le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-2-17582 (19880714); Cadieux c. Banque Nationale du Canada, [2006] D.A.T.C. no 173; Shaver c. Administrateur général (ministère des Resources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43; Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 SCC 28; Saskatchewan Wheat Pool v. International Longshore and Warehouse Union (ILWU-Canada) Local 1000 (Grain Services Union) (Watamanuk Grievance), [2004] C.L.A.D. No. 285.

46 L’employeur demande que le grief soit rejeté.

B. Pour le fonctionnaire

47 Le fonctionnaire plaide que cette affaire pose un certain nombre de défis, nonobstant les standards élevés de l’employeur et le souci des apparences. Le fonctionnaire souligne qu’il a été licencié pour des activités qui relèvent de sa vie privée et qu’il a le droit au respect de sa vie privée. Si l’État s’ingère dans la vie privée, la faute commise doit mettre sérieusement en cause l’intégrité qui est plaidée.

48 Aucune décision, au Québec comme ailleurs, ne traite de la question d’un « crime par association ». Le comportement du fonctionnaire n’a rien à voir avec un détenu, mais avec une personne soupçonnée d’être en ligue avec le crime organisé. C’est ainsi qu’on arrive de plein fouet dans la vie privée.

49 Le fonctionnaire formule une première objection quant aux motifs retenus pour le licencier. La lettre de licenciement fait mention des événements du 11 et du 17 juin 2009, mais ne fait aucune mention de la commandite. La commandite est mentionnée seulement dans le rapport disciplinaire. Le fonctionnaire soumet que l’explication fournie par Mme Maillette ne tient pas la route lorsqu’elle témoigne que le rapport de mesures disciplinaires et la lettre sont remises de façon simultanée; la lettre de congédiement est administrative pour le service de paie, mais les vrais motifs sont dans le rapport disciplinaire. Si la lettre est administrative, la lettre n’a qu’à dire que le fonctionnaire est licencié. Les motifs ne sont pas importants. Par conséquent, l’employeur devait faire la preuve que les événements du 11 et du 17 juin 2009 étaient à eux seuls suffisamment répréhensibles pour justifier le licenciement.

50 Le fonctionnaire plaide qu’il est illégitime de licencier un employé en raison de ses contacts avec une personne qui a des liens avec le crime organisé. Le fonctionnaire joue au poker, participe à un tournoi, va dans un bar d’effeuilleuses. Ces faits, sans les juger ou les qualifier justifient-ils un licenciement? L’employeur a sévi contre le fonctionnaire une première fois parce qu’il s’est retrouvé à bord d’une limousine avec un ami d’enfance et s’est retrouvé dans une situation où il a rencontré le propriétaire du bar de St-Janvier. À ce moment-là, il ne sait pas que le propriétaire du bar est une personne d’intérêt pour l’escouade. Le 3 novembre 2007, le fonctionnaire n’était pas mis en cause dans l’intervention policière. Le seul reproche de l’employeur est que le fonctionnaire soit monté dans une limousine associée à un bar d’effeuilleuses. La preuve n’est pas claire que le fonctionnaire ait été averti de ne pas se tenir avec les personnes qui y étaient présentes; c’est pourquoi il a demandé des précisions concernant le maintien d’une amitié avec un ami d’enfance. Le fonctionnaire souligne que la suspension concernait deux motifs et que l’incident de la limousine n’était pas le plus sérieux.

51 Au moment de suspendre le fonctionnaire en 2008, le SCC ne détenait aucune information que le propriétaire du bar de St-Janvier était mêlé au crime organisé. L’employeur ne peut donc prétendre que le fonctionnaire avait été averti rélativement à ses fréquentations avec des personnes associées au crime organisé. L’employeur apprend que le propriétaire du bar était fiché par l’escouade seulement au moment de son enquête sur les interventions policières du 11 et du 17 juin 2009. Le fonctionnaire n’a rien fait d’illégal et l’employeur ne peut interdire ses fréquentations. Le fonctionnaire a été discipliné sur la base d’associations liées à un propriétaire de bar d’effeuilleuses qui possède une limousine.

52 Après la suspension de 2008, le fonctionnaire s’est abstenu de fréquenter son ami d’enfance. Il est retourné au bar de St-Janvier uniquement pour une fête de départ à la retraite avec des collègues de travail. L’employeur n’a jamais interdit au fonctionnaire de fréquenter les sept personnes présentes dans la limousine le soir du 3 novembre 2007. Il n’y a eu aucun incident entre le 3 novembre 2007 et le 11 juin 2009. Il n’y a aucune preuve que le fonctionnaire était au courant que le propriétaire du bar de St-Janvier était fiché par l’escouade et que sa situation avait évoluée depuis 2007.

53 Le poker n’est pas une activité interdite et rien n’empêchait le fonctionnaire d’aller jouer au casino à la suite de l’appel du propriétaire du bar de St-Janvier. La seule chose reprochée pour cette sortie est une contravention pour excès de vitesse. Le fonctionnaire n’a pas caché son identité; il n’a rien fait d’illégal. Le fonctionnaire était dans le véhicule personnel du propriétaire du bar de St-Janvier. Le véhicule n’était pas lié au crime organisé ni moralement louche comme la limousine du bar de St-Janvier. L’image du SCC ou son intégrité n’est pas en cause.

54 L’événement du 17 juin 2009 est fortuit. S’il est vrai que le fonctionnaire aurait pu laisser repartir le propriétaire du bar de St-Janvier en taxi, il ne savait pas à ce moment-là qu’il était est sous haute surveillance. L’interception policière n’a été que pour des fins de vérification. Le fonctionnaire n’a commis aucun geste illégal. Sa faute est de s’être retrouvé avec le propriétaire du bar de St-Janvier dans le véhicule personnel de ce dernier. Ceci ne contrevient pas à la mise en garde donnée en 2008. Le fonctionnaire plaide qu’il n’a rien caché et qu’il est exagéré d’avoir à rapporter à l’employeur chaque fois qu’il est intercepté par la police, surtout pour des événements aussi banals qu’un excès de vitesse et une vérification d’identité.

55 Le fonctionnaire plaide que je dois faire abstraction des événements de juin 2009 et de ce qu’a révélé l’enquête au sujet du propriétaire du bar de St-Janvier plusieurs mois plus tard, car il s’agit de la preuve a posteriori. Le fait que le propriétaire du bar de St-Janvier gravitait autour des Hell’s Angels n’était pas connu du fonctionnaire en juin 2009. C’est un fait qui est ressorti pendant l’enquête. À partir de cette information, l’employeur a fait des liens avec d’autres personnes que fréquentait le fonctionnaire. Par conséquent, il n’est pas possible de conclure que le fonctionnaire a commis une faute. L’information rapportée par le sergent-détective Belleau est ce qu’il connaît aujourd’hui et non ce qu’il savait au moment où se sont déroulés les incidents reprochés au fonctionnaire.

56 Le fonctionnaire soutient qu’il n’y a aucune preuve que le commanditaire de la joute de poker était lié au crime organisé au moment de la commandite. Le seul lien est qu’il était présent dans le bar de St-Janvier en 2008, en même temps que le fonctionnaire, et qu’il est lui aussi monté dans la limousine du propriétaire. Le fonctionnaire s’oppose à ce que les conclusions de l’escouade au sujet des antécédents du commanditaire puisse servir à justifier son licenciement. Le commanditaire a été fiché par l’escouade en raison d’un lien avec le propriétaire du bar de St-Janvier qui était déjà fiché. Il est propriétaire d’une galerie d’art, il n’est pas un criminel. Le financement d’des droits d’inscription pour un tournoi de poker, un jeu, et une activité permise.

57 Le fonctionnaire soutient que ses fréquentations notées par les forces policières après le 17 juin 2009 est une preuve postérieure qui n’est pas pertinente au grief et que cette preuve change le contexte de deux événements qui n’ont rien d’illégal en eux-mêmes. Si la commandite mérite une sanction pour ne pas avoir été déclarée, le licenciement n’est pas la bonne sanction.

58 Le fonctionnaire plaide que la jurisprudence citée par l’employeur traite de situations où un agent correctionnel a eu des relations avec un détenu ou un ex-détenu et que le Code de discipline est clair que ce type de fréquentation est interdit. Le fonctionnaire se dit accusé par association et que le licenciement est trop sévère comme conséquence. S’il y a eu imprudence, celle-ci ne justifie pas le licenciement.

59 Le fonctionnaire me demande d’accueillir le grief et de renverser le licenciement.

C. Réplique de l’employeur

60 L’employeur répond que les motifs du licenciement sont clairement expliqués dans le rapport disciplinaire et que le fonctionnaire ne s’est pas objecté au même type de rapport disciplinaire lors de la suspension d’une journée pour des incidents semblables. Ce qui importe, c’est que l’employé soit informé des motifs. Le format importe peu.

61 La commandite fait clairement partie des motifs qui ont été considérés pour justifier le licenciement. L’aspect de la prise de congés non autorisés pour assister au tournoi de poker à Las Vegas a été retiré du rapport disciplinaire. L’employeur soutient toutefois que je devrait tenir compte aux fins d’évaluer la fiabilité du fonctionnaire le rapport disciplinaire du 28 février 2008 qui a mérité au fonctionnaire une journée de suspension, pour avoir (entre autres reproches) accédé de façon inappropriée à la banque de données informatisée de l’employeur qui contient le dossier des détenus incarcérés au Centre régional de réception. 

62 L’employeur plaide que la déclaration écrite du fonctionnaire en date du 5 janvier 2010 contredit sa position selon laquelle n’était pas au courant des liens du propriétaire du bar de St-Janvier et de son entourage au crime organisé et que les événements du 11 et du 17 juin étaient fortuits. Le fonctionnaire a admis dans son témoignage avoir déjeuné avec son ami d’enfance.

63 L’employeur soutient que le SCC détenait des informations fiables que le propriétaire du bar de St-Janvier était associé aux motards criminalisés en raison de ses contacts réguliers avec la Sûreté du Québec et il en est fait mention dans le rapport de la Sûreté du Québec en date du 25 novembre 2009.

64 La commandite n’est pas niée. La preuve par ouï-dire du sergent-détective Belleau est recevable, compte tenu qu’il travaille au sein d’une équipe qui se partage l’information. Le fonctionnaire ne s’est pas objecté à cette partie du témoignage du sergent-détective Belleau.

65 L’employeur plaide que le fonctionnaire a fait un résumé simpliste des événements et que celui-ci ne tient pas compte des nombreuses activités du propriétaire du bar de St-Janvier, tel que sa participation à des parties de boxe commanditées par les Hell’s Angels et le médaillon qu’il porte à l’effigie des Hell’s Angels.

66 L’employeur ne croit aucunement que le fonctionnaire s’est amendé. Malgré l’avertissement de l’employeur le 26 février 2008 de ne pas s’afficher avec des personnes qui pourraient être mêlées au milieu criminel, le fonctionnaire a admis dans son témoignage qu’il est retourné au bar de St-Janvier pour un party de retraite et il a été intercepté le 11 et le 17 juin 2009 en compagnie du propriétaire du bar de St-Janvier. Cette conduite ne peut être banalisée comme une simple affaire de contravention pour excès de vitesse. Le fonctionnaire a aussi témoigné qu’il n’était pas allé à Las Vegas une deuxième fois parce qu’il en a été empêché et non parce qu’il ne pouvait y aller. Il ne s’est aucunement amendé. Ses liens avec le crime organisé sont très graves.

IV. Motifs

67 Le licenciement du fonctionnaire est fondé sur une inconduite qui comprend deux éléments : a) l’acceptation d’une commandite d’une personne associée au crime organisé, et b) deux rencontres du fonctionnaire avec une personne associée aux motards criminalisés.

68 Les faits ne sont pas vraiment contestés. Le fonctionnaire a admis avoir accepté la commandite. Les rencontres du fonctionnaire avec une personne associée aux motards criminalisés, en l’espèce le propriétaire d’un bar à St-Janvier, ont été confirmées par un rapport policier écrit en date du 25 novembre 2009. Ce qui fait l’objet de la contestation est la gravité et les conséquences de la conduite du fonctionnaire.

69 L’employeur soutient que la conduite du fonctionnaire est indigne d’un employé du SCC, incompatible avec les fonctions d’un agent correctionnel dans un établissement fédéral qui accueille des détenus à haut risque y compris les motards criminalisés. L’employeur déclare qu’en raison de cette conduite il a perdu toute confiance dans le fonctionnaire.

70 Le fonctionnaire soutient qu’au moment des événements, il ignorait les liens du commanditaire et du propriétaire du bar de St-Janvier avec le crime organisé et que l’employeur s’immisce indûment dans sa vie privée en jugeant ses fréquentations. Le fonctionnaire se dit incorruptible dans ses relations avec ces personnes.

71 L’exercice d’une charge publique, dont les fonctions comprennent l’exercice de l’autorité du gouvernement dans le milieu carcéral, exige des caractéristiques personnelles d’équité et d’intégrité. Qui accepte le métier d’agent correctionnel, accepte aussi les contraintes personnelles qui vont avec ce métier, soit de privilégier les intérêts de l’employeur et d’agir en tout temps avec probité, même à l’extérieur des heures de travail. Ce type de contrainte n’est pas unique à l’agent correctionnel, mais fait partie de tout autre emploi qui comprend des fonctions d’agent de la paix. Ce sont les principes énoncés dans Flewwelling et Dionne avec lesquels je suis d’accord. Par conséquent, je rejette l’objection du fonctionnaire à l’effet que l’employeur n’a pas le droit de regard sur les activités qui relèvent de sa vie privée. 

72 Dans la mesure disciplinaire du 26 février 2008, l’employeur a souligné que le fonctionnaire avait été vu par des policiers du service de police de St-Jérôme en présence d’individus identifiés par la police comme ayant des liens avec le crime organisé. L’employeur a souligné que cette conduite était susceptible de ternir l’image du SCC et que toute récidive pourrait entraîner des mesures disciplinaires plus sévères n’excluant pas le licenciement. J’estime donc qu’après cet avertissement direct, le fonctionnaire avait la compréhension nécessaire, même s’il ne connaissait pas toutes les circonstances, pour se méfier dorénavant d’individus ayant une attache avec le propriétaire ou le bar de St-Janvier. J’estime que le fonctionnaire en tant que personne intelligente et raisonnable était en mesure d’évaluer ce qui constitue des fréquentations incompatibles ou en contradiction avec la charge d’agent correctionnel. Le fonctionnaire n’avait pas besoin d’une feuille de route de l’employeur pour ce faire.

73 De plus, selon une preuve non contredite, le propriétaire du bar de St-Janvier ne cachait pas ses liens avec les Hell’s Angels. Il portait ouvertement au cou une chaîne avec un médaillon frappé d’une inscription en guise d'appui. Je trouve difficile à croire les coïncidences citées par le fonctionnaire liées aux rencontres avec le propriétaire du bar de St-Janvier. Le fonctionnaire a admis être retourné au bar pour une fête de départ à la retraite même après avoir reçu la mesure disciplinaire. Je trouve peu plausible la version du fonctionnaire qu’après deux ans sans contact, le propriétaire du bar de St-Janvier l’ait invité spontanément à aller jouer au poker avec lui. Puis quelques jours plus tard, le fonctionnaire le rencontre fortuitement à nouveau. D’avoir offert de reconduire le propriétaire du bar de St-Janvier tout en sachant qu’il devait se distancer de lui, démontre de la part du fonctionnaire soit un manque de jugement, soit l’intention de faire fi des avertissements reçus. Même si je jugeais que les interceptions policières étaient routinières, le fonctionnaire devait savoir qu’il mettait à risque son emploi en continuant de fréquenter des personnes liées au crime organisé.

74 En ce qui a trait à la commandite, j’estime que le fonctionnaire a fait preuve d’aveuglement volontaire. Il savait fort bien que son commanditaire avait des relations d’affaires avec le propriétaire du bar de St-Janvier, car il l’avait ainsi rencontré dans la limousine le 3 novembre 2007. De plus, il s’agissait d’une somme importante qui ne se prête pas sans garantie, surtout dans le milieu du crime organisé. Le fonctionnaire devenait alors vulnérable. La déclaration du fonctionnaire qu’il est incorruptible est une affirmation gratuite. Il s’agit là d’une fausse estime de soi qui fait preuve d’un manque de discernement.

75 Sur la question de la preuve reliée à mesure disciplinaire en raison de la prise d’un congé non autorisé entre le 4 et le 16 juillet 2009 pour assister au tournoi de poker commandité, je maintien l’objection du fonctionnaire que cette preuve n’est pas pertinente parce que les parties ont réglé cette question à l’amiable.  Toutefois, le fait que le fonctionnaire ait accepté la commandite de 6 000$ pour assister au tournoi de poker qui a eu lieu pendant cette période est un élément pertinent dont j’ai tenu compte dans mes conclusions.

76 La preuve des fréquentations du fonctionnaire obtenue après le dépôt du grief est pertinente en l’espèce en ce qu’elle contredit la déclaration du fonctionnaire qu’il s’est abstenu de tout contact avec le milieu criminalisé après avoir reçu une première sanction disciplinaire. Quatre épisodes subséquents où le fonctionnaire est intercepté par les forces policières soit en compagnie de personnes d’intérêt, soit comme le conducteur d’un véhicule associé à des personnes du milieu criminalisé ne sont pas une coïncidence. Que ses relations sociales soient fréquemment avec des personnes liées au crime organisé ne constituent pas une coïncidence non plus, que ce soit ou non des amis d’enfance ou de longue date. Les événements du 11 et du 17 juin 2009 ne peuvent donc pas être considérés comme étant isolés.

77 Le procureur du fonctionnaire m’a cité plusieurs décisions où un employé avait été réintégré au travail après des infractions contraires au Code de discipline. Dans Amos c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-2-14678 (19850107), un instructeur dans un atelier correctionnel a été licencié, entre autres pour avoir acheté des objets d’art d’un détenu et l’avoir rencontré plusieurs fois et, par conséquent, d’avoir eu des rapports incompatibles avec ses fonctions. Par contre, l’arbitre de grief a jugé qu’il n’y avait aucune preuve indiquant que l’employé constituerait un danger pour l’établissement. L’employé a été réintégrer dans ses fonctions.

78 Dans Cudmore c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel Canada), dossier de la CRTFP 166-2-22426 (19930310), l’agent correctionnel avait établi des relations avec d’anciens délinquants en les embauchant pour réparer ses logements dans le cadre d’un programme gouvernemental de réadaptation sans en parler avec ses supérieurs immédiats. Une suspension de trois jours sans traitement a été substituée à une suspension de huit jours sans traitement.

79 Dans Jalal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel du Canada), dossier de la Commission 166-2-27992 (1990421), l’agent correctionnel avait été accusé d’avoir commis un vol à l’étalage, ce dont il n’avait pas informé l’employeur. Il avait nié le vol et plaidé non coupable aux accusations. En l’espèce, l’arbitre de grief a jugé que l’inconduite ne justifiait pas le licenciement parce qu’il n’avait pas été établi que l’inconduite était suffisamment reliée à ses fonctions d’agent correctionnel, que l’inconduite avait entachée la réputation du SCC ou que l’agent était inapte à remplir ses fonctions. Une sanction de 20 mois sans traitement a été substituée au licenciement.

80 Dans Babineau c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 1662-28509 et 28510 (19990409), l’agent correctionnel avait acheté un fusil de chasse d’un délinquant après que celui-ci ait obtenu sa liberté conditionnelle. Le fonctionnaire a reconnu sa faute mais a soutenu qu’en raison de son dossier disciplinaire vierge, le licenciement était une sanction trop sévère. L’arbitre de grief a offert à l’employé la possibilité de démissionner afin d’éviter que son dossier ne soit entaché d’une suspension ou, subsidiairement, de remplacer le licenciement par une suspension d’un an sans traitement ni autres avantages sociaux.

81 Dans Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 40, l’agent correctionnel a été licencié pour trois incidents, soit d’avoir fourni à un détenu un article interdit (une carte bancaire), et d’avoir accepté des cadeaux des détenus (un billet de 50 $ et de l’argent pour acheter une pizza pour eux qu’il a partagé), le tout en violation du Code de discipline. Seul un des trois incidents, jugé grave, avait été admis, les deux autres incidents n’étant pas prouvés. L’arbitre de grief a substitué une sanction de 11 mois au licenciement.

82 Dans Simard c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service Correctionnel) 2003 CRTFP 53, une instructrice du centre de tri des industries Corcan a admis avoir une relation d’ordre personnel avec un délinquant. L’employée ne s’est pas présentée à l’audience de son grief et n’a fourni aucune autre explication, hormis son témoignage lors de l’enquête disciplinaire. L’arbitre de grief a jugé que le lien de confiance avait été rompu et que le congédiement était justifié.

83 Dans Ville de Sorel-Tracy c. Syndicat des pompiers du Québec, section locale de Sorel, 2002 T.A. AZ-02142038, un pompier a été licencié pour avoir entretenu des relations suivies avec des motards criminalisés en dehors des heures de travail. L’employé fréquentait régulièrement des bars où se tenaient des motards criminalisés. Il connaissait plusieurs d’entre eux ou avait fréquenté certains d’eux pendant sa jeunesse. Il les saluait, s’asseyait à leur table et discutait avec eux en buvant une bière. Il était allé une fois dans un club privé appartenant aux motards pour vérifier le moteur de compression de la chambre froide. Ses rencontres étaient aux sus et vues de tous, y compris l’employeur, depuis plusieurs années. Cette conduite a éventuellement agacé l’employeur qui a brusquement mis fin à l’emploi du pompier.

84 L’arbitre de grief a conclu qu’il était incorrect pour un pompier de fréquenter régulièrement ou de fraterniser avec des motards criminalisés, plus particulièrement en raison de ses responsabilités comme assurer la sécurité des biens sur les lieux d’un incendie et la sécurité du public lors de certaines manifestations. Il a souligné, cependant, qu’avant de sanctionner un employé pour ce type de comportement, il fallait l’avertir et lui donner une directive claire de cesser ce genre de fréquentations. En l’espèce, il s’agissait d’un pompier à temps partiel, qui ne portait pas l’uniforme au moment de ses fréquentations et qui avait ces fréquentations au moment d’être embauché. Il n’y avait pas de code de déontologie pour les pompiers et nulle directive concernant leurs fréquentations. L’arbitre de grief a jugé qu’en l’absence d’une notification que ce type de fréquentation n’était pas acceptable, le licenciement était une sanction trop sévère. Par contre l’arbitre de grief a déclaré que la sanction ne devait pas être à ce point bénigne que le plaignant ne comprendrait pas l’importance de ne pas s’afficher publiquement avec des motards criminalisés. Une suspension de trois mois a été substituée au licenciement.

85 Dans La Fraternité des policiers et policières de la Régie de police Thérèse-de-Blainville c. Régie intermunicipale de police Thérèse-de-Blainville (Sauro), 2006 T.A. AZ-50407609, un policier a été licencié, entre autres motifs, pour avoir fréquenté une personne reliée à la mafia italienne, contrairement au code de discipline interne des policiers qui interdit les fréquentations avec des personnes « de réputation douteuse ou criminelle, ni fréquenter des endroits ayant cette réputation, sauf dans le cadre de ses fonctions ». Le policier avait été vu en train de dîner avec cette personne dans un restaurant alors qu’il portait l’uniforme. L’arbitre de grief a conclu que la preuve n’avait pas démontré que la personne rencontrée était de réputation douteuse ou criminelle ou qu’elle était un tant soit peu reliée au crime organisé, les rumeurs qui circulaient parmi le corps policier étant insuffisantes à cet égard. L’arbitre de grief a tout de même déclaré que le policier avait manqué de prudence élémentaire, voire de jugement, ce qui aurait pu lui coûter cher si la preuve avait démontré un lien entre la personne rencontrée et le crime organisé. Pour les autres motifs reliés aux autres chefs de discipline, une suspension sans solde de six mois a été substituée au licenciement.

86 Je suis d’avis que Amos, Cudmore, Jalal, Babineau, Chénier et Simard sont de peu d’intérêt parce qu’elles concernent des relations avec des détenus, ce qui ne fait pas l’objet des fréquentations reprochées au fonctionnaire. En l’espèce, la réduction des sanctions pour ce genre de faute n’est pas persuasive. Sans être identiques, Ville de Sorel-Tracy et Fraternité des policiers et policières de la Régie de police Thérèse-de-Blainville sont plus pertinentes parce que le métier des plaignants peut être associé jusqu’à un certain point de celui du fonctionnaire.

87 De ces deux dernières affaires, je tire le principe que pour sanctionner un fonctionnaire par rapport à ses fréquentations ou relations en dehors du travail, les appréhensions de l’employeur doivent être raisonnables compte tenu des trois critères suivants :

a) la nature des fonctions exercées par le fonctionnaire

b) le type de lien entretenu avec les personnes fréquentées

c) les autres circonstances

a) la nature des fonctions exercées par le fonctionnaire

88 Le fonctionnaire est un agent correctionnel à temps plein qui exerce ses fonctions dans un milieu qui héberge, entres autres détenus, des motards criminalisés. Le fonctionnaire peut être appelé en tout temps à travailler dans le pavillon où ils sont hébergés et il a accès à leur dossier et aux informations confidentielles qui y sont notées, y compris des informations policières. Ces activités professionnelles peuvent exposer le fonctionnaire qui entretient des relations avec des personnes associées aux motards criminalisés à l’extérieur de son travail à favoriser, dans le cadre de son emploi, les intérêts de ces personnes au détriment de ceux de son employeur. L’information à laquelle a accès le fonctionnaire en raison de ses tâches permet raisonnablement à l’employeur de craindre que la relation du fonctionnaire avec ces tierces personnes pourraient éventuellement nuire à ses intérêts. Cette situation se distingue de celle du pompier où les documents trainaient dans un endroit public et où l’employeur pouvait interdire l’accès des pompiers à la salle de répartition.

89 Sur ce point, je rejette l’objection du fonctionnaire quant à la distinction à faire entre la lettre licenciement à titre de document administratif et le rapport disciplinaire.  En l’espèce, les deux documents ont été remis au fonctionnaire simultanément le jour de son licenciement et lui ont été expliqués en présence de son représentant syndical.  Que les motifs du licenciement soient compris dans l’un ou l’autre des documents ne modifie ni la nature ni la gravité de la conduite reprochée.  La convention collective ne précise pas la forme que doit prendre une mesure disciplinaire.  L’important est que le fonctionnaire soit pleinement informé des motifs de l’employeur.  À ce égard, j’estime que l’employeur a rempli son obligation de motiver sa décision de licencier le fonctionnaire et je n’ai pas à m’ingérer dans la manière de procéder de l’employeur.

b) le type de lien entretenu avec les personnes fréquentées

90 La preuve démontre que le fonctionnaire avait plus que de simples connaissances avec le propriétaire du bar de St-Janvier ou avec le commanditaire de ses tournois de poker. Il les a connus par l’entremise d’un ami d’enfance. Il a connu le procureur des Hell’s Angels parce qu’il avait travaillé avec lui avant de devenir agent correctionnel. Il a d’abord fréquenté ces personnes publiquement, puis de façon plus personnelle : en se rendant au casino sur invitation, en circulant dans le véhicule personnel du propriétaire du bar de St-Janvier et en acceptant une commandite qui impliquait le partage des gains de tournois. Ces circonstances démontrent que le lien du fonctionnaire avec des personnes associées aux motards criminalisés étaient à ce point étroit qu’ils rendaient le fonctionnaire vulnérable par rapport aux intérêts du SCC. Cette situation se distingue de celle du pompier qui fréquentait des personnes associées au motards criminalisés aux vues de l’employeur et celle du policier qui avait eu une seule rencontre avec une personne apparemment liée à la mafia italienne.

c) les autres circonstances

91 Un autre facteur est celui de l’image. Il me semble anormal qu’un employé du SCC s’affiche avec des personnes qui sont ouvertement associées avec les motards criminalisés et se tienne dans des endroits reconnus comme étant fréquentés par eux, même s’il n’est pas en devoir. J’estime que cette conduite est incompatible avec les fonctions d’un agent de la paix qui traite régulièrement avec les gens de ce milieu dans le cadre de ses fonctions professionnelles. Il n’est pas nécessaire pour l’employeur de prohiber des comportements qui, de toute évidence, sont répréhensibles aux yeux de tous. Le vol est un comportement inacceptable, même s’il n’existe aucune directive à ce sujet. Le même principe s’applique en matière de fréquentations.

92 En l’espèce, le fonctionnaire avait reçu une première sanction disciplinaire et un avertissement clair de cesser ce genre de fréquentations, contrairement au pompier dans Ville de Sorel-Tracy.  Contrairement à Fraternité des policiers et policières de la Régie de police Thérèse-de-Blainville, l’employeur dans la présente affaire a fait la preuve qu’il avait mis le fonctionnaire au courant des liens du propriétaire du bar de St-Janvier avec le crime organisé.

93 En s’affichant avec des personnes du milieu du crime organisé, le fonctionnaire a nui à l’image du SCC et en regard de toutes ces circonstances, la conduite que lui reproche l’employeur le rend inapte à remplir des fonctions avec intégrité. La preuve est suffisante pour me persuader que le lien de confiance avec l’employeur a irrémédiablement été rompu et que, compte tenu de la vocation du Centre régional de réception, le fonctionnaire constitue un risque pour la sécurité de l’établissement s’il est réintégré. Les années de service et le grade du fonctionnaire ne mitigent pas mes conclusions.  

94 J’estime que la preuve a postériori au dépôt du grief est pertinente en ce qu’elle démontre que le fonctionnaire ne s’est pas amendé et continue d’avoir des fréquentations avec le milieu des motards criminalisés même s’il a été licencié pour cette conduite. Cette preuve tend à démontrer que les craintes de l’employeur quant au bris du lien de confiance sont justifiées.

95 J’ajoute comme motif de plus pour maintenir le licenciement, le fait que le fonctionnaire ne reconnaît toujours pas la gravité de sa conduite et nie avoir un problème avec ses fréquentations.

96 Compte tenu de toutes ces circonstances et du métier du fonctionnaire, le congédiement n’est pas une sanction déraisonnable.

97 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

98 Le grief est rejeté.

Le 5 décembre 2011.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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