Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Dans une décision antérieure, l’arbitre de grief a conclu que le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé était excessif et y a substitué une suspension de 15 jours en plus d’ordonner à l’administrateur général de rembourser au fonctionnaire s’estimant lésé l’intégralité de la rémunération et des avantages sociaux en arrérages: Scott c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 42 - l’arbitre de grief est demeuré saisi de l’affaire <<[...] pour résoudre toute question au sujet de toute somme payable à M.Scott à la suite de la présente décision [...]>> - le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande pour que l’arbitre de grief statue sur ses demandes de paiement des frais juridiques et de dommages pour souffrance morale - l’administrateur général s’est opposé à la compétence de l’arbitre de grief pour statuer sur ces demandes - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’était pas saisi de ces demandes lorsqu’il a rendu sa décision antérieure et que, puisqu’il ne s’agissait pas de sommes payables <<à la suite de>> sa décision antérieure, les demandes excédaient la compétence qu’il avait conservée. Objection accueillie. Dossiers clos par ordonnance.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-02-18
  • Dossier:  566-02-803 et 1377
  • Référence:  2011 CRTFP 22

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ORANE SCOTT

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

défendeur

Répertorié
Scott c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Georges Nadeau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Osborne G. Barnwell, avocat

Pour le défendeur:
Neil McGraw, avocat

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
les 8 et 9 novembre 2010.
(Traduction de la CRTFP)

Question devant l’arbitre de grief

1 Le 24 mars 2010, j’ai rendu l’ordonnance suivante dans Scott c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2010 CRTFP 42 :

V. Ordonnance

[121]   La suspension de 15 jours imposée à M. Scott le 27 janvier 2006 est annulée. J’ordonne à l’administrateur général de rembourser à M. Scott l’intégralité de la rémunération et des avantages sociaux associés à cette suspension. J’ordonne en outre à l’administrateur général de retirer du dossier d’employé de M. Scott toute allusion à la suspension.

[122]   Le licenciement de M. Scott est annulé. J’ordonne à l’administrateur général de réintégrer M. Scott dans ses fonctions en date du 16 mars 2007 et de lui rembourser l’intégralité de la rémunération et des avantages sociaux accumulés à partir de cette date, hormis pendant une suspension de 15 jours prenant effet à la même date. J’ordonne en outre à l’administrateur général de retirer du dossier d’employé de M. Scott toute allusion au licenciement.

[123]   Je demeure saisi de l’affaire pendant 90 jours pour résoudre toute question au sujet de toute somme payable à M. Scott à la suite de la présente décision.

2 Le 5 juin 2010, l’avocat d’Orane Scott, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a demandé par courriel que l’administrateur général (le « défendeur ») lui verse 34 000 $ en honoraires. Ce montant incluait le tarif horaire des heures consacrées par l’avocat pour représenter le fonctionnaire, y compris un montant, dont avait convenu le fonctionnaire, correspondant à 10 % des dommages payables par le défendeur si le fonctionnaire était réintégré dans son poste. La demande reposait sur l’allégation que le défendeur avait agi de manière déraisonnable en soustrayant des sommes payables au fonctionnaire les prestations de retraite qu’il avait touchées et qu’il devait rembourser à la Caisse de retraite de la fonction publique. La demande a donné lieu à un échange de courriels qui m’ont amené à demander aux parties de soumettre des arguments écrits sur la question de savoir si j’avais toujours compétence pour traiter cette demande.

3 Dans ses arguments déposés le 24 juin 2010, l’avocat du fonctionnaire a en outre demandé, au nom de ce dernier, des dommages pour souffrance morale de l’ordre de 75 000 $, en plus des frais juridiques portés à 38 000 $ et des intérêts. L’avocat du défendeur s’y est opposé en faisant valoir que moi, l’arbitre de grief, était  dessaisi (functus officio) et que, de toute manière, je n’avais pas compétence pour octroyer des dépens. Essentiellement, l’avocat du fonctionnaire a répondu que je demeurais saisi de l’affaire pour trancher toute question au sujet de la somme payable au fonctionnaire. Il a ajouté que la question des dépens et des dommages n’avait pas été réglée et que j’étais autorisé à statuer sur ces questions par la loi habilitante.

4 Après avoir examiné les arguments écrits des parties, j’ai convoqué une audience pour trancher la question de la compétence. Les parties ont été informées d’être prêtes à présenter leurs arguments sur le fond des griefs, si j’exerçais ma  compétence d’examiner la demande de l’avocat présentée au nom du fonctionnaire. L’audience a été fixée les 8 et 9 novembre 2010.

5 Le 8 novembre 2010, après les observations initiales des parties et les discussions de la recevabilité de la preuve, celles-ci m’ont demandé, avant de poursuivre, de rendre une décision concernant l’objection soulevée par le défendeur, soit que j’étais functus officio. Les parties m’ont demandé de reporter l’audience au lendemain, où elles déposeraient leurs arguments sur la question. J’ai autorisé l’ajournement. L’audience a repris le 9 novembre 2010.

II. Les arguments des parties

A. Pour le défendeur

6 L’avocat du défendeur a déclaré qu’il s’agissait d’une affaire très inhabituelle, en ce sens que la demande présentée par l’avocat du fonctionnaire pour rouvrir l’affaire était sans précédent dans la présente juridiction. Il a précisé que, selon une règle fondamentale du droit administratif, le rôle du décideur prend fin après avoir rendu sa décision. Un arbitre de grief dispose uniquement des pouvoirs conférés par le Parlement en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Une fois qu’un arbitre de grief a rendu sa décision, il ne peut la réexaminer. Un arbitre de grief ne peut réexaminer des questions dont il a été saisi ou se pencher sur de nouvelles questions connexes. Selon la règle de base, que la décision soit erronée ou correcte ou qu’elle entraîne un manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, le travail de l’arbitre est terminé. Une partie peut alors faire appel à une instance supérieure et non à l’arbitre de grief, principe qui assure le caractère définitif de la procédure.

7 L’avocat du défendeur a reconnu qu’un arbitre de grief peut diviser les questions soulevées à une audience en examinant séparément une question préliminaire ou en entendant d’autres arguments au sujet d’une réparation convenable. L’avocat du défendeur a fait valoir qu’il n’y avait aucun doute que la décision rendue dans 2010 CRTFP 42 était définitive et exécutoire par application de la LRTFP.

8 L’avocat du défendeur a reconnu qu’à l’audience donnant lieu à 2010 CRTFP 42, il avait demandé que l’arbitre de grief se réserve le pouvoir de statuer sur la question de la réparation, dans la mesure où une décision favorable au fonctionnaire était rendue. L’avocat du défendeur a soutenu qu’on n’avait pas satisfait à sa demande.

9 L’avocat du défendeur a indiqué que ce dernier s’était plaint de la longue période entre l’audience initiale et le moment où a été rendue 2010 CRTFP 42 et des conséquences à son endroit. Le défendeur aurait pu déposer une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, mais il ne l’a pas fait. De même, l’avocat du défendeur a fait valoir que le fonctionnaire aurait pu faire appel à cette cour, mais qu’il a décidé de ne pas demander de contrôle judiciaire. Il a précisé que si l’avocat du fonctionnaire croyait que le fonctionnaire s’était vu refuser la possibilité de soulever les questions des dépens et des dommages, son recours consistait à faire appel à la Cour fédérale. Alors, celle-ci aurait pu, de deux choses l’une, accueillir la demande et renvoyer l’affaire à l’arbitre de grief pour qu’il tranche ces questions, ou rejeter la demande. En application de la LRTFP, un arbitre de grief ne peut rouvrir une affaire classée. Ce pouvoir revient uniquement à la Cour fédérale.

10 L’avocat du défendeur a ajouté que même si le fonctionnaire avait présenté une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale pourrait ne pas avoir renvoyé l’affaire à l’arbitre de grief. La Cour fédérale aurait pu statuer que le fonctionnaire n’avait pas demandé de dépens ou de dommages à une étape quelconque de la procédure de règlement des griefs ou à l’audience ayant donné lieu à 2010 CRTFP 42. L’avocat du fonctionnaire a cru que les deux questions seraient examinées séparément. Quoi qu’il en soit, on ne connaîtra jamais la décision qu’aurait prise la Cour fédérale, puisque le fonctionnaire n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire.

11 Citant Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (2009), l’avocat du défendeur a affirmé : [traduction] « [u]ne fois qu’un arbitre de grief a fait tout en son pouvoir pour parfaire sa décision, il ne peut la réexaminer, sauf pour corriger des erreurs d’écriture ou d’autres erreurs techniques mineures. » Il a également cité Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, où la Cour suprême du Canada a énuméré comme suit les cas d’exception du principe de functus officio :

[…]

Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante.  

[…]

De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi. Cependant, si l’entité administrative est habilitée à trancher une question d’une ou de plusieurs façons précises […], le fait d’avoir choisi une méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures pour faire un autre choix. Le tribunal ne peut se réserver le droit de le faire afin de maintenir sa compétence pour l’avenir, à moins que la loi ne lui confère le pouvoir de rendre des décisions provisoires ou temporaires […]

12 L’avocat du défendeur a soutenu que les exceptions du principe de functus officio ne s’appliquaient pas en l’espèce. Rien dans la loi habilitante, c’est-à-dire la LRTFP, n’autorise un arbitre de grief à rouvrir une affaire. Un examen attentif des circonstances de Chandler révèle qu’elles diffèrent entièrement de celles en l’espèce.

13 L’avocat du défendeur a indiqué que le fonctionnaire demandait à l’arbitre de grief de rouvrir 2010 PSLRB 42. Or, que cette décision soit correcte ou erronée, elle ne relève plus de l’arbitre de grief. Si le fonctionnaire estime que la réparation est insuffisante, son recours était devant la Cour fédérale.

14 L’avocat du défendeur a soutenu, en toute justice, que la position du fonctionnaire était erronée, à savoir qu’il y avait lieu d’interpréter au sens large le maintien de la compétence de l’arbitre de grief, comme indiqué au paragraphe 123 de 2010 CRTFP 42, de manière qu’elle comprenne les dépens ou les dommages. Les réparations ne portent pas à différentes interprétations et ne doivent pas être interprétées au sens large. L’ordonnance rendue au paragraphe 122 de 2010 CRTFP 42 était de rembourser l’intégralité de la rémunération et de rétablir tous les avantages sociaux à compter de la date précisée, sauf pendant la suspension de 15 jours. Cette ordonnance ne peut être interprétée de manière à sous-entendre que le fonctionnaire aurait droit aux dépens ou aux dommages, quelle que soit leur définition.

15 L’avocat du défendeur a indiqué que l’arbitre de grief demeurait saisi de l’affaire pour trancher toute question concernant les sommes à verser au fonctionnaire relativement à l’ordonnance de rétablir la rémunération et les avantages sociaux. Il arrive que des désaccords surviennent au sujet de la rémunération à rembourser ou des occasions ratées par un employé de travailler des heures supplémentaires. Cependant, le fait que l’arbitre de grief a conservé sa compétence à l’égard de ces questions n’entraîne pas d’occasion de demander des réparations nouvelles et additionnelles. La demande touchant les dépens et les dommages a de fait été présentée bien après que 2010 CRTFP 42 a été rendue. À aucun temps durant la procédure de règlement des griefs ou l’audience ayant mené à 2010 CRTFP 42, le fonctionnaire a demandé des dépens ou dommages pour souffrance morale. La demande relative aux frais juridiques a seulement été présentée après que l’avocat du fonctionnaire a été informé que celui-ci ne pourrait lui verser ses honoraires. Si le fonctionnaire avait touché l’intégralité du rappel de traitement, il n’aurait pas présenté de demande pour que le défendeur paie les frais juridiques.

16  L’avocat du défendeur a attiré l’attention sur le courriel que l’avocat du fonctionnaire a envoyé au greffe le 5 juin 2010, où il a décrit en détail les honoraires dont il avait convenu avec le fonctionnaire. Le courriel précise clairement que le défendeur devrait régler la note et sans mentionner de dommages pour souffrance morale. Il a été question la première fois des dommages pour souffrance morale dans les arguments écrits déposés le 24 juin 2010.

17 L’avocat du demandeur a demandé que j’examine la possibilité d’adjuger les dépens au fonctionnaire. Il a fait valoir que dans Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un tribunal administratif peut seulement accorder des dépens si sa législation habilitante lui confère ce pouvoir. Il a ajouté que la demande de dommages a été déposée le 24 juin 2010, après que l’avocat du fonctionnaire s’est rendu à l’évidence que les sommes payables par application de 2010 CRTFP 42 seraient insuffisantes pour acquitter ses honoraires.

18 L’avocat du défendeur a soutenu que le problème tenait au fait que le fonctionnaire avait laissé entendre à son avocat qu’il paierait ses honoraires. Le fonctionnaire a cependant omis de divulguer à son avocat qu’il avait signé une entente selon laquelle, s’il était réintégré dans ses fonctions, la totalité de son rappel de traitement servirait à rembourser la dette qu’il avait envers l’État puisqu’il avait demandé le remboursement de ses cotisations.

19 L’avocat du défendeur a précisé que cette affaire n’était pas importante à un point tel qu’il serait justifié de déroger au principe des relations de travail que les parties acquittent leurs propres frais. La question dont est saisi l’arbitre de grief n’est pas un différend entre le fonctionnaire et le défendeur. Plutôt, il s’agit d’un différend entre le fonctionnaire et son avocat. Si ce dernier souhaite obtenir réparation, il doit faire appel au système judiciaire de l’Ontario et non à un arbitre de grief nommé en vertu de la LRTFP.

20 L’avocat du défendeur a fait valoir qu’une interprétation franche de 2010 CRTFP 42 ne révèle aucune intention d’accorder des dépens ou des dommages supplémentaires.

21 En conclusion, l’avocat du défendeur a réitéré que j’étais dessaisi et que le fonctionnaire demandait des réparations supplémentaires à celles accordées dans 2010 CRTFP 42, qui est définitive et exécutoire. L’avocat du défendeur a indiqué que je ne pouvais ni ne devrais accorder ces réparations, puisque cela aurait des conséquences fâcheuses sur les relations de travail et serait contraire au principe du caractère définitif des décisions.

22 L’avocat du défendeur a indiqué que l’octroi de dommages pour frais juridiques dans Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2010 CRTFP 83, répondait aux circonstances très particulières de cette affaire, qui ne ressemblaient nullement aux circonstances en l’espèce, et que Tipple fait actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

23  L’avocat du fonctionnaire a indiqué que, selon sa compréhension de l’argument du défendeur, celui-ci ne s’opposait pas au maintien de la compétence de l’arbitre de grief, mais plutôt à la mesure dans laquelle le paragraphe 123 de 2010 CRTFP 42 pouvait être appliqué à la question des dépens et des dommages.

24 L’avocat du fonctionnaire a ajouté qu’avant d’examiner l’argument portant sur le principe de functus officio, il convenait de voir la situation dans une optique réaliste, puisqu’elle met en cause un employé s’estimant lésé dans un contexte de relations de travail. Faisant référence aux articles 209 et 228 de la LRTFP, l’avocat du fonctionnaire a indiqué qu’un arbitre de grief doit offrir aux deux parties la possibilité d’être entendues. Il doit rendre une décision et une ordonnance qu’il croit justifiées dans les circonstances. Cette question doit être examinée dans un contexte de relations de travail, où il y a dénivellement des pouvoirs des deux parties. L’avocat du fonctionnaire a aussi fait remarquer que, selon l’article 233 de la LRTFP, une cour ou un tribunal quelconque ne peut remettre en question la décision d’un arbitre de grief. Il a tenu à souligner les vastes pouvoirs de réparation dont dispose un arbitre de grief.

25  L’avocat du fonctionnaire a indiqué que, selon sa compréhension de la procédure, il s’attendait à une deuxième audience où il serait question des réparations. Il a mentionné que, selon la jurisprudence, il ne faut pas user des erreurs d’un avocat pour refuser à une partie la possibilité de se faire entendre par la cour.

26 L’avocat du fonctionnaire a affirmé que, devant une demande de dépens et de dommages pour souffrance morale, l’arbitre de grief a le devoir, en vertu de la LRTFP,de faire ce qui est juste et raisonnable.

27 L’avocat du fonctionnaire a déclaré que l’argument avancé par l’avocat du défendeur concernant le motif à l’origine de la demande de dommages pour souffrance morale ne serait pas  pertinent, compte tenu du moment où elle a été déposée, puisque pour établir les motifs de cette demande, il faudrait examiner les discussions entre le client et son avocat. L’avocat du fonctionnaire a demandé de rejeter cet argument.

28 L’avocat du fonctionnaire a fait valoir que je dois établir ce qui est équitable et juste en ce qui concerne un employé congédié alors qu’il possédait une preuve médicale justifiant son absence, qui a dit avoir éprouvé une souffrance morale, qui a dû retenir les services d’un avocat et qui a découvert qu’il lui était impossible de remplir les obligations découlant de son congédiement.

29 L’avocat du fonctionnaire a fait savoir qu’il ne contestait pas le principe de functus officio, qui concerne les formalités des procédures judiciaires. Cependant, il est plus difficile d’appliquer ce principe dans un environnement quasi judiciaire. L’avocat du fonctionnaire a cité Chandler à l’appui de son argument qu’il faut appliquer ce principe de façon plus souple et moins formelle aux décisions rendues par les tribunaux administratifs. Citant Chandler, il a précisé que, par souci de justice, il se peut qu’on rouvre une procédure administrative afin d’offrir une réparation qui autrement serait accordée par voie d’appel. L’avocat du fonctionnaire a souligné que la réparation qu’obtiendrait le fonctionnaire au moyen d’un contrôle judiciaire serait assurée par la réouverture de l’affaire, étant donné qu’elle concerne une question de relations de travail.

30 Selon l’avocat du fonctionnaire, le sens commun dicte que, lorsqu’il y a une clause prohibitive comme dans la LRTFP, il se peut qu’il soit nécessaire, par souci de justice, de déterminer si les faits justifient une réouverture. L’avocat du fonctionnaire a noté que dans Chandler, la vue exprimée était que si un tribunal omet de trancher une question soulevée à bon droit par les parties, il devrait pouvoir accomplir la tâche qui lui est conférée par la loi.

31 L’avocat du fonctionnaire a ajouté que ce dernier avait envoyé un courriel au défendeur le 28 septembre 2007 réclamant des dommages et établissant les motifs de sa demande. Le fonctionnaire avait toujours eu l’intention de demander des dommages.

32 L’avocat du fonctionnaire a soutenu qu’un arbitre de grief a le pouvoir d’octroyer des dépens, surtout dans des circonstances où il est supposé que le fonctionnaire a éprouvé de la souffrance morale et où il peut encourir des frais juridiques parce qu’il a été injustement licencié. L’avocat du fonctionnaire a demandé s’il était juste et équitable que le fonctionnaire soit obligé de retenir les services d’un avocat. Il a fait valoir que le fonctionnaire n’avait pas touché de salaire pendant plus de trois ans et qu’on lui avait présenté une offre qu’il ne pouvait accepter. L’avocat du fonctionnaire a demandé pourquoi accepter la poursuite d’une telle situation sans indemniser le fonctionnaire de ses frais juridiques.

33 L’avocat du fonctionnaire a indiqué que dans Mowat, entendue par le Tribunal canadien des droits de la personne, la Cour d’appel fédérale s’était interrogée sur l’accès aux instances judiciaires si des dépens étaient octroyés. L’exécution du versement des dépens aurait eu pour effet de limiter l’accès aux instances judiciaires. Toutefois, la présente cause porte sur question des relations de travail. La LRTFP accorde à un arbitre de grief le pouvoir de délivrer toute ordonnance qu’il juge indiquée. Les arbitres de grief ont interprété ce pouvoir comme signifiant qu’ils devraient rétablir un fonctionnaire s’estimant lésé dans le poste qu’il aurait occupé s’il n’avait pas été licencié.

34 L’avocat du fonctionnaire a noté que, tandis que 2010 CRTFP 42 était favorable au fonctionnaire, il ne s’était pas vu offrir la possibilité de présenter des arguments concernant des dommages. L’avocat du fonctionnaire a expliqué que le défendeur était à l’origine de ces coûts et que ceux-ci relevaient de la compétence de l’arbitre de grief. On ne s’est pas penché sur la question des coûts. L’arbitre doit donner aux deux parties la possibilité d’être entendues. L’avocat du fonctionnaire a préparé son argumentation en partant du principe qu’il pourrait demander des dommages dans une audience subséquente.

35 L’avocat du fonctionnaire a précisé qu’il était indiqué, dans le paragraphe 123 de 2010 CRTFP 42, que l’arbitre de grief demeurait saisi de toute question au sujet de sommes payables au fonctionnaire. Par conséquent, le principe de functus officio ne s’applique pas en l’espèce.

36 En ce qui concerne l’entente signée par le fonctionnaire, selon laquelle il rembourserait ses cotisations de retraite, l’avocat du fonctionnaire a soutenu que le fonctionnaire avait signé cette entente alors qu’il n’avait pas d’emploi, n’avait aucun moyen de subvenir à ses besoins et ne bénéficiait pas de l’avis d’un avocat. Le défendeur a créé ces circonstances, causées par un licenciement injuste imposé au fonctionnaire. Ce dernier n’a aucun autre recours pour remédier à cette situation. Il doit pouvoir se présenter de nouveau devant l’arbitre de grief afin d’obtenir une décision équitable.

37 Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une situation du domaine des relations de travail où il y a dénivellement des pouvoirs entre les parties.

38 L’avocat du fonctionnaire a affirmé que son client s’était appauvri par suite de la conduite du défendeur. Il est encore plus appauvri par le fait qu’il doit faire face à la rude réalité qu’il n’a pas d’argent pour payer son avocat qu’il a dû engagé parce qu’il avait été licencié de façon aussi subite et injuste.

39 L’avocat du fonctionnaire a fait valoir que les faits mènent à la conclusion que si l’on maintenait la situation telle quelle, ce serait faire preuve d’injustice. Les faits en l’espèce justifient un réexamen pour faire en sorte que la décision favorable obtenue par le fonctionnaire ne soit pas théorique. L’avocat du fonctionnaire a ajouté que l’argument concernant la possibilité d’autres recours est froid et insensible, puisque c’est le défendeur qui a créé la situation dans laquelle se retrouve le fonctionnaire.

40 L’avocat du fonctionnaire a avancé que la question des dépens est valide parce qu’ils découlent du comportement du défendeur. La question des frais juridiques est liée au paragraphe 123 de 2010 CRTFP 42, aux termes de laquelle l’arbitre de grief est demeuré saisi de l’affaire. Il faut interpréter au sens large ce paragraphe, étant donné le contexte factuel et l’interprétation de la procédure par l’avocat du fonctionnaire.

41 L’avocat du fonctionnaire a soutenu que l’arbitre de grief a compétence pour ordonner le remboursement des frais juridiques et octroyer les dommages qu’il estime justifiés. L’arbitre de grief devrait se préoccuper davantage du règlement des questions en souffrance. L’avocat du grief a cité les cas Chiarelli c. Weins (2000), 46 O.R. (3e) 780 (C.A.) et Halton Community Credit Union Ltd. c. ICL Computers Canada Ltd., [1985] O.J. no 953 (QL) (C.A. Ont.), à l’appui de son argument que les erreurs commises par l’avocat ne devraient pas empêcher le fonctionnaire de présenter sa demande.

C. Réfutation du défendeur

42 L’avocat du défendeur a déclaré que les arguments présentés au nom du fonctionnaire ne tiennent pas compte du fait que c’est une loi et non une cour d’équité qui confère les pouvoirs à l’arbitre de grief. Il a ajouté qu’une lecture complète de la LRTFP révèle que les décisions d’arbitrage peuvent être soumises à un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et, par la suite, devant la Cour d’appel fédérale. Un certain nombre de décisions rendues par des arbitres de grief ont donné lieu à des contrôles judiciaires favorables. Le recours du fonctionnaire en ce qui concerne 2010 CRTFP 42est identique à celui du défendeur. L’avocat du défendeur a fait remarquer qu’il avait demandé à l’arbitre de demeurer saisi de la question de l’atténuation des pertes et qu’il aurait pu demander un contrôle judiciaire au motif que la requête n’avait pas été prise en considération. Si le fonctionnaire était insatisfait de 2010 CRFTP 42, il aurait pu présenter une demande de contrôle judiciaire. L’avocat du défendeur a noté que l’avocat du fonctionnaire n’avait pas demandé à l’arbitre de grief de demeurer saisi de l’affaire; il avait simplement supposé que l’arbitre de grief le serait.

43 Faisant référence à Chandler, l’avocat du défendeur a souligné qu’une décision peut être rouverte lorsque la loi habilitante l’autorise. À son avis, rien dans la LRTFP ne laisse supposer qu’un arbitre de grief peut rouvrir une affaire une fois qu’une décision a été rendue.

44 L’avocat du défendeur a aussi indiqué qu’alors qu’il convenait qu’un arbitre de grief accorde des dommages, il était fortement en désaccord à propos de la proposition qu’un arbitre de grief octroie des dépens. Les tribunaux qui entendent les violations des droits de la personne doivent tenir compte de différents arguments d’intérêt public. Par le passé, dans les décisions arbitrales au Canada, les parties acquittaient leurs propres frais juridiques. Les seules exceptions étaient lorsque les parties étaient parvenues à un accord différent dans une convention collective ou que le remboursement des frais était prescrit par la loi. Les arguments d’intérêt public avancés par l’avocat du fonctionnaire relativement à un recours n’a aucun fondement en relations de travail au Canada.

45 L’avocat du défendeur a indiqué qu’au moment de sa réintégration, le fonctionnaire a dû rembourser le paiement des cotisations de retraite qu’il avait touché à son licenciement. Le fonctionnaire n’a pu payer les honoraires de son avocat à cause de cette dette. L’avocat du défendeur a affirmé qu’aucune politique ne laisse entendre que, dans un cas de ce genre, l’obligation de payer les frais juridiques incomberait au défendeur. Le fonctionnaire a retenu les services de son avocat après la dissolution de sa relation avec son agent négociateur. Quelle qu’en soit la raison, l’obligation d’acquitter les frais de représentation ne revient pas au défendeur. Rien dans la LRTFP n’oblige la représentation par un avocat.

46 L’avocat du défendeur a affirmé que c’était tout à l’honneur de l’avocat du fonctionnaire d’avoir accepté de le représenter à mi-parcours et de plaider son cas sans avoir entendu toute la preuve. Cependant, au bout du compte, cela ne signifie pas que le défendeur doit régler la note.

47 L’avocat du défendeur a soutenu qu’on ne pouvait donner d’interprétation raisonnable du paragraphe 123 de 2010 CRTFP 42, de manière à étendre la compétence aux questions de dommages non octroyés. Dans 2010 CRTFP 42, l’arbitre de grief a accordé trois années de rémunération moins 15 jours. Cette réparation n’incluait pas de dépens ou de dommages pour souffrance morale. La question des frais juridiques a seulement été soulevée après avoir rendu 2010 CRTFP 42 et n’avait pas été soulevée auparavant.

III. Motifs

48 La décision 2010 CRTFP 42 a eu pour effet d’annuler le congédiement pour motif disciplinaire du fonctionnaire et y a substitué une suspension de 15 jours. Elle ordonnait plus particulièrement ce qui suit :

V. Ordonnance

[121]   La suspension de 15 jours imposée à M. Scott le 27 janvier 2006 est annulée. J’ordonne à l’administrateur général de rembourser à M. Scott l’intégralité de la rémunération et des avantages sociaux associés à cette suspension. J’ordonne en outre à l’administrateur général de retirer du dossier d’employé de M. Scott toute allusion à la suspension.

[122]   Le licenciement de M. Scott est annulé. J’ordonne à l’administrateur général de réintégrer M. Scott dans ses fonctions en date du 16 mars 2007 et de lui rembourser l’intégralité de la rémunération et des avantages sociaux accumulés à partir de cette date, hormis pendant une suspension de 15 jours prenant effet à la même date. J’ordonne en outre à l’administrateur général de retirer du dossier d’employé de M. Scott toute allusion au licenciement.

[123]   Je demeure saisi de l’affaire pendant 90 jours pour résoudre toute question au sujet de toute somme payable à M. Scott à la suite de la présente décision.

49 Aucune disposition de la LRTFP n’autorise un arbitre de grief de rouvrir un grief une fois que la décision définitive a été rendue. Peu importe son caractère injuste ou incomplet, 2010 CRTFP 42 constituait le règlement définitif des questions examinées. Pour la contester, le recours approprié était de présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

50 L’ordonnance rendue dans 2010 CRTFP 42 portait particulièrement sur le recours que je considérais comme indiqué dans les circonstances. J’ai ordonné au défendeur de réintégrer le fonctionnaire dans ses fonctions, de lui rembourser l’intégralité de sa rémunération et de rétablir les avantages sociaux accumulés en date du 16 mars 2007, hormis une période de 15 jours. La décision 2010 CRTFP 42 ne portait sur aucune demande de dépens, ni de dommages pour souffrance morale, puisque aucune demande en ce sens ne m’avait été présentée à l’époque.

51  Même si j’ai conservé la compétence pour trancher toute question ayant trait à toute somme payable au fonctionnaire à la suite de 2010 CRTFP 42, aucune des questions soulevées maintenant par l’avocat du fonctionnaire ne mentionnait des montants qui seraient payables « à la suite de » l’ordonnance de rembourser au fonctionnaire sa rémunération et de rétablir ses avantages sociaux. La décision 2010 CRTFP 42 a réglé de façon définitive toutes les questions concernant l’étendue de la réparation qui, à mon avis, était indiquée dans les circonstances.

52 Comme aucune disposition de la LRTFP ne m’autorise à rouvrir ma décision arbitrale dans 2010 CRTFP 42, je conclus, comme l’a affirmé le défendeur dans son objection, que je suis functus officio et que je n’ai pas compétence pour examiner de nouvelles demandes de réparation.

53 Finalement, je tiens à ajouter que le fonctionnaire était en partie responsable de la situation fâcheuse dans laquelle il s’est retrouvé. Même si 2010 CRTFP 42 avait conclu au caractère excessif de son licenciement dans les circonstances, elle a établi qu’une mesure disciplinaire était justifiée et qu’une suspension de 15 jours convenait dans les circonstances. Je doute sérieusement que ces circonstances auraient conduit à l’octroi de dépens ou de dommages pour souffrance morale si, à l’époque, de telles demandes avaient été présentées à l’arbitre de grief.

54 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

55 L’objection de l’administrateur général est accueillie, et je déclare que je n’ai pas la compétence pour examiner la nouvelle demande du fonctionnaire en vue de l’octroi de dépens et de dommages pour souffrance morale.

56 J’ordonne la fermeture de ces dossiers.

Le 18 février 2011.

Traduction de la CRTFP

Georges Nadeau,
arbitre de grief

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