Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a été licenciée à la suite d’une restructuration organisationnelle - elle a déposé un grief alléguant que le processus de sélection des deux postes restants ne s’était pas déroulé comme il se doit - elle a renvoyé son grief à l’arbitrage et présenté une demande de prorogation parce que le renvoi avait été fait après l’expiration du délai prévu par le Règlement - la vice-présidente a conclu à l’absence de raisons claires, logiques et convaincantes expliquant le dépôt tardif du grief - de plus, le grief n’avait aucune chance de succès, car l’arbitre de grief n’aurait pas compétence pour statuer sur le licenciement puisque l’employeur est un organisme distinct. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-02-23
  • Dossier:  568-18-223
  • Référence:  2011 CRTFP 23

Devant le président


ENTRE

BARB BRADY

demanderesse

et

PERSONNEL DES FONDS NON PUBLICS (FORCES CANADIENNES)

défendeur

Répertorié
Brady c. Personnel des fonds non publics (Forces canadiennes)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour la demanderesse:
Elle-même

Pour le défendeur:
Sonja Gonsalves, gestionnaire nationale, Relations de travail

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 13 décembre 2010 et les 6, 25 et 28 janvier 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant le président

1 Barb Brady (la « demanderesse »), était adjointe administrative à l’emploi du Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes (le « défendeur »), à Shearwater (Nouvelle-Écosse); elle n’était pas syndiquée. Le 11 juin 2010, elle a été licenciée à la suite d’une restructuration organisationnelle. Elle comptait parmi les trois employés qui ont été touchés par la restructuration et n’a pas pu obtenir un emploi dans l’un des deux postes restants.

2 Le 5 juillet 2010, la demanderesse a déposé un grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs afin de contester le déroulement du processus de sélection des deux postes restants. Elle a allégué que ses compétences n’avaient pas été évaluées correctement, que son expérience n’avait pas été prise en considération et qu’on ne lui avait pas accordé la priorité à laquelle elle avait droit à titre de conjointe d’un membre des Forces canadiennes, comme le prévoyait la politique de l’employeur en matière d’emploi.

3 Le 23 juillet 2010, l’employeur a répondu au grief de la demanderesse et l’a rejeté en affirmant que le processus de sélection s’était déroulé de manière adéquate et uniforme pour tous les candidats, que ceux-ci avaient été choisis selon leurs mérites et que le droit de priorité ne s’appliquait pas dans son cas.

4 La demanderesse a renvoyé son grief à l’arbitrage, le 23 novembre 2010, et la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») l’a reçu le 1er décembre 2010. La demanderesse a aussi présenté une demande de prorogation du délai compte tenu que son renvoi a été fait après la période de 40 jours prévue à l’article 90 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »). La demanderesse soutient avoir tardé à faire son renvoi parce qu’elle devait réfléchir à la réponse de l’employeur et que, comme elle n’était pas syndiquée, elle ne savait pas que la prochaine étape consistait à renvoyer son grief à la Commission pour arbitrage. La demanderesse explique qu’elle a d’abord communiqué avec le Bureau de l’Ombudsman, au début du mois d’août 2010, et qu’on l’a renvoyée à son superviseur, qui lui a dit de s’adresser à la Commission. La demanderesse soumet que son grief est fondé sur son sentiment d’avoir été traitée de manière injuste, inconsistante et déraisonnable par rapport aux deux autres candidats lors du processus de sélection.

5 Le 13 décembre 2010, l’employeur s’est opposé à la demande de prorogation du délai. L’employeur soumet que la demanderesse avait tous les renseignements nécessaires pour renvoyer son grief à l’arbitrage dans le délai prescrit. Avant de déposer son grief, la demanderesse a reçu le manuel des politiques des ressources humaines de l’employeur, qui traite du droit des employés de déposer un grief et de renvoyer un grief à l’arbitrage devant la Commission. De plus, l’employeur a fait valoir que le grief n’était pas fondé et qu’il n’était pas admissible à l’arbitrage en vertu des paragraphes 209(1) et (3) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »).

6 Le 6 janvier 2011, la demanderesse s’est opposée à l’objection de l’employeur. Le 13 janvier 2011, avant de donner suite à la demande de prorogation du délai, les parties ont été invitées à fournir les renseignements suivants : a) pour la demanderesse, une réponse à l’objection initiale de l’employeur, selon laquelle elle avait reçu les renseignements concernant le renvoi de son grief à l’arbitrage [traduction] « des mois avant que le délai pour le renvoi de son grief à l’arbitrage n’ait été expiré » et qu’elle aurait pu demander le renvoi dans le délai prescrit; b) pour l’employeur, une copie de sa politique sur les griefs et la preuve qu’il avait fourni une copie complète de son manuel des politiques des ressources humaines à la demanderesse, comme il le prétendait dans son objection.

7 La demanderesse a soumis ce qui suit :

[Traduction]

[…]

En réponse à la demande faite dans la lettre du 13 janvier 2011, malgré les affirmations de l’employeur à savoir si j’étais ou non en possession de renseignements, je soumets ce qui suit :

1. La série d’événements m’a causé beaucoup de stress et d’angoisse durant cette période.

2. Le stress m’a occasionné des pertes de mémoire et m’a empêché de fonctionner à un rythme normal.

3. En raison du stress continu que m’a fait subir la direction, j’ai été incapable de comprendre et de prendre en compte pleinement les étapes que je devais suivre.

4. La gestionnaire des ressources humaines a failli à sa tâche de guide et d’interprète en ce qui a trait à la procédure de règlement des griefs comme cela était sa responsabilité en vertu du sous-alinéa 11.25(d)(i) relatif à la responsabilité en matière de griefs.

5. Bien que la direction estime qu’il m’incombait de connaître les règles concernant les griefs, le fait que la gestionnaire des ressources humaines a manqué à son obligation joue en faveur de l’octroi d’une prorogation.

[…]

8 L’employeur a soumis la réponse qui suit, ainsi qu’une copie du manuel des politiques des ressources humaines et de l’affidavit de Mme Ellen Mary McKay :

[Traduction]

L’employeur accuse réception de votre lettre du 13 janvier 2011 relativement à l’affaire susmentionnée.

En réponse à la demande de la Commission, l’employeur a joint, à l’annexe A de la présente lettre, une copie de sa politique en matière de griefs. Les paragraphes 11 B.21 à 11 B.23, se trouvant à l’annexe B de la politique de l’employeur en matière de griefs, expliquent aux employés leur droit de renvoyer leurs griefs à l’arbitrage devant la Commission, en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

Une copie électronique (en format Word) de la politique complète de l’employeur en matière de griefs a été envoyée par courriel à Mme Brady, le 11 juin 2010, à l’adresse […] qui est l’adresse électronique que Mme Brady a utilisée pour correspondre avec la Commission relativement à la présente affaire (voir l’annexe B). La déclaration solennelle se trouvant à l’annexe C confirme que, à la suite de cela, au cours de la semaine du 14 juin 2010, Mme Brady a demandé au bureau local des ressources humaines de lui envoyer par courriel une copie complète du manuel des politiques des ressources humaines (POLRH) de l’employeur. Comme le manuel est trop volumineux pour être envoyé par courriel, Mme Brady s’est rendue au bureau des RH et a téléchargé le manuel complet des politiques sur une clé externe lui appartenant. On s’est assuré que le téléchargement sur la clé externe de Mme Brady était réussi avant que celle-ci ne quitte.

Entre la semaine du 14 juin 2010 et le 5 juillet 2010, Mme Brady a eu plusieurs conversations avec la gestionnaire locale des ressources humaines au sujet de la procédure de règlement des griefs, et la gestionnaire a répondu aux questions et aux demandes de renseignements reliées à cette procédure. En aucun temps, Mme Brady n’a demandé de connaître ses options au cas où elle ne serait pas satisfaite de la réponse au troisième palier. Elle n’a pas non plus posé de questions concernant le processus d’arbitrage.

Le 5 juillet 2010, Mme Brady a soumis un grief au troisième palier. La déclaration solennelle qui se trouve à l’annexe D confirme que, lors du dépôt du grief, elle a dit à la gestionnaire des ressources humaines qu’elle avait lu le manuel des politiques des ressources humaines de l’employeur en entier, qu’elle n’avait eu aucune difficulté à le lire et qu’elle avait trouvé la lecture très intéressante.

À la suite du rejet de son grief, Mme Brady n’a pas communiqué avec l’employeur au sujet de son grief et elle n’a pas non plus demandé de renseignements au sujet de ses options.

[…]

9 L’affidavit de Mme McKay se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

1. Le 5 juillet 2010, vers 12 h 20, Mme Barb Brady a remis en main propre un formulaire de grief au troisième palier à la gestionnaire des RH des FNP. Mme Brady a mentionné qu’elle avait lu en entier le manuel des politiques des ressources humaines, qu’elle avait copié sur une clé USB, afin de le consulter en vue du dépôt de son grief. Je, la gestionnaire des RH des FNP, ai été très surprise qu’elle ait réellement lu tout le manuel, qui compte près de 500 pages, et j’ai fait un commentaire, à savoir que ce devait être une lecture très aride étant donné qu’il s’agissait de renseignements sur des politiques. Mme Brady a répondu en disant quelque chose comme quoi elle n’avait eu aucun problème à le lire et qu’elle avait trouvé sa lecture intéressante.

2. J’ai également noté que, dans son grief, elle renvoyait à au moins trois articles du manuel dont elle avait des copies partielles.

[…]

II. Motifs

10 Le paragraphe 90(1) du Règlement stipule que le délai pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage est de 40 jours après la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs :

90. (1)Sous réserve du paragraphe (2), le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable au grief.

11 En vertu de l’alinéa 61b) du Règlement, le président de la Commission a le pouvoir discrétionnaire d’accorder à une partie le recours à une procédure de redressement, nonobstant l’expiration des délais prescrits, dans la mesure où les conséquences du non respect du délai prescrit entraîneraient une injustice :

61. Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci […] pour […] le renvoi d’un grief à l’arbitrage […] peut être prorogé avant ou après son expiration :

[…]

b) soit par le président, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

12 En vertu de l’article 45 de la nouvelle Loi, le président m’a autorisée, en ma qualité de vice-présidente, à exercer les pouvoirs énoncés à l’alinéa 61b) du Règlement, pour entendre et trancher la présente demande de prorogation de délai.

13 Les arbitres de grief de la Commission se sont souvent penchés sur les principes pertinents à l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation de délai pour les renvois à l’arbitrage. Il n’y a pas de solution type, autre que le principe général selon lequel la partie qui demande la prorogation a le fardeau de convaincre la Commission qu’elle a agi avec diligence pour faire valoir ses droits. La durée et les motifs du retard du renvoi d’un grief à l’arbitrage, ainsi que le préjudice qui serait causé à l’une des parties sont des facteurs déterminants, et chaque affaire doit être tranchée sur le fond. Les décisions suivantes sont pertinentes pour trancher la présente affaire.

14 Dans Anthony c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans Canada), dossier de la CRTFP 149-02-167 (19981214), le fonctionnaire avait communiqué avec l’ombudsman de la province, son député et Développement des ressources humaines Canada, pour demander réparation pour une nomination non réalisée. Bien qu’il ait eu en main les documents du syndicat, il n’a pas pris la peine d’en prendre connaissance et s’est contenté de poursuivre ses discussions avec l’employeur pour obtenir le remboursement de ses dépenses de déménagement, sans toutefois chercher à obtenir une autre forme de réparation. L’arbitre de grief a jugé que le fonctionnaire n’avait pas été diligent dans sa recherche de redressement.

15 Dans Chambers c. Conseil du Trésor (Travaux publics Canada), dossier de la CRTFP 149-02-63 (19851125), l’arbitre de grief a indiqué que le temps consacré par le fonctionnaire à écrire à d’autres instances (notamment à la Commission canadienne des droits de la personne et à Travail Canada) ne pouvait pas être invoqué pour expliquer le retard à entreprendre les démarches nécessaires en vue de présenter un grief à l’agent compétent de l’employeur. La demande de prorogation de délai a été accueillie dans cette affaire, au motif que le préjudice subi par le fonctionnaire était plus important que celui de l’employeur.

16 Dans Guittard c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2002 CRTFP 18, l’arbitre de grief a conclu que cinq mois de retard entre le licenciement du demandeur et la demande de prorogation était minime et que le préjudice subi par l’employeur serait négligeable si le grief était entendu. L’arbitre de grief était d’avis que le fonctionnaire avait cherché par plusieurs moyens à contester son licenciement dès le départ.

17 Dans Dumas c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2007 CRTFP 74, le demandeur ayant été congédié a intenté une poursuite en Cour supérieure du Québec contre ceux qui ont participé à la décision de le congédier. Ce n’est qu’à la suite du rejet de la poursuite par la Cour pour défaut de compétence qu’il s’est adressé à la Commission pour demander une prorogation du délai, afin de renvoyer son grief à l’arbitrage. Bien que l’employeur ait omis de mentionner le recours de renvoi du grief à l’arbitrage, l’arbitre de grief a jugé que cela n’excusait pas le retard de trois ans pour exercer son droit. Le demandeur n’a pas démontré de raisons claires, logiques et convaincantes pour ce retard et a fait preuve d’un manque de diligence raisonnable dans l’exercice de ses droits.

18 Depuis Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, les arbitres de grief évaluent habituellement les éléments suivants dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de présentation d’un grief à l’arbitrage : a) les raisons du retard et si elles sont claires, logiques et convaincantes; b) si les démarches du fonctionnaire témoignent d’une diligence raisonnable dans l’exercice de ses droits; c) la durée du retard; d) si l’injustice subie par le fonctionnaire est plus importante que le préjudice que subira l’employeur si l’affaire est portée à l’arbitrage; e) les chances de succès du grief. Comme les premier et deuxième critères sont reliés dans les circonstances de la présente affaire, ils seront traités conjointement.

A. Raisons claires, logiques et convaincantes pour le retard et diligence raisonnable du demandeur dans l’exercice de ses droits

19 À l’appui de sa demande, la demanderesse déclare qu’elle n’a pas pu soumettre sa demande dans le délai prescrit parce que les événements survenus au cours de la période pertinente lui ont causé beaucoup de stress et d’angoisse. Le stress lui a causé des pertes de mémoire et l’a empêché de fonctionner à un rythme normal, et elle n’a pas bien compris ou pris en compte les étapes nécessaires qu’elle devait suivre.

20 Bien que je sois sensible au stress qu’a subi la demanderesse en raison de la perte de son emploi, je ne suis pas convaincue par cet argument. Elle était apparemment assez bien pour communiquer avec l’employeur, en juin 2010, et pour obtenir et lire une copie du manuel des politiques des ressources humaines. Elle a déposé un grief, le 5 juillet 2010, dans la période prévue par la procédure de règlement des griefs de l’employeur. Aucune preuve ne vient appuyer la prétention selon laquelle elle n’était pas en mesure de renvoyer son grief à l’arbitrage, parce que, par exemple, elle était soignée par un médecin, ou qu’elle vivait des circonstances impérieuses de cet ordre qui faisaient en sorte qu’il lui était impossible de renvoyer son grief à l’arbitrage.

21 L’argument de la demanderesse selon lequel la gestionnaire des ressources humaines a omis de lui donner des conseils sur la procédure de règlement des griefs et le renvoi à l’arbitrage n’est pas convaincant non plus. Le fait que la demanderesse a reçu une copie du manuel des politiques des ressources humaines milite contre l’idée de l’ignorance de sa part de la manière de procéder. La demanderesse a pu déposer un grief sans l’aide de la gestionnaire des ressources humaines. Elle avait des connaissances informatiques et un accès à Internet. Par conséquent, elle avait accès aux renseignements disponibles sur le site Web de la Commission et aurait pu renvoyer son grief à l’arbitrage en se basant sur ces renseignements.

22 Comme il a été démontré dans Anthony, Chambers et Dumas, le fait d’écrire à d’autres instances ou d’exercer d’autres recours, tel que s’adresser à l’Ombudsman dans le cas qui nous concerne, ne peut pas être invoqué pour expliquer le retard à entreprendre les démarches nécessaires pour renvoyer un grief à l’arbitrage dans le délai prescrit.

23 Les faits en l’espèce démontrent que la demanderesse était en mesure d’obtenir les renseignements nécessaires et d’agir par elle-même sans passer par une procédure juridique complexe. Rien ne démontre que ses efforts étaient diligents et soutenus, même si elle s’est adressée à la mauvaise instance. Dans sa lettre de demande à la Commission, la demanderesse déclare qu’elle a commencé à correspondre avec le Bureau de l’Ombudsman en août 2010, mais elle ne donne aucune explication relativement au délai écoulé jusqu’au 1er décembre 2010, soit avant que la Commission reçoive sa demande.

B. Durée du retard

24 Même si le délai de quatre mois entre la date de la réponse de l’employeur au grief de la demanderesse et le renvoi de son grief à l’arbitrage peut ne pas sembler excessif par rapport aux décisions rendues par d’autres arbitres de grief (voir Guittard), pour des raisons reliées aux chances de succès du grief, ce facteur à lui seul ne compense pas les autres faiblesses de la demande.

C. L’injustice subie par le demandeur est-elle plus importante que celle subie par l’employeur?

25 Ni la demanderesse ni l’employeur n’ont insisté sur ce point. Par conséquent, j’estime qu’il est peu pertinent compte tenu de mon analyse des chances de succès du grief.

D. Les chances de succès du grief

26 Même si cette demande porte sur le délai pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage, j’ai néanmoins examiné le grief sur le fond, ainsi que ses chances de succès. Je considère le grief de la demanderesse comme étant un litige concernant l’équité du processus de sélection visant à doter deux postes vacants à la suite d’une restructuration organisationnelle. La demanderesse fait valoir qu’elle avait droit de priorité à titre de conjointe d’un membre des Forces canadiennes. Dans sa réponse au grief, l’employeur a expliqué que, comme la demanderesse avait perdu son emploi en raison d’une restructuration plutôt que d’une réaffectation de son conjoint militaire, les dispositions de l’article 29 du manuel des politiques des ressources humaines ne s’appliquaient pas. Le processus de sélection était fondé sur le mérite. Dans ces circonstances, la priorité de sélection n’est pas accordée aux personnes à charge des militaires plus qu’aux autres employés des Fonds non publics.

27 La demanderesse avait certainement le droit de déposer un grief concernant le processus de sélection s’étant tenu à la suite d’une restructuration organisationnelle. Cependant, le paragraphe 209(1) de la nouvelle Loi limite les types de griefs pouvant être renvoyés à l’arbitrage à des circonstances très précises :

209. Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

[…]

28 Plus précisément, l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle Loi dispose que seuls les griefs alléguant une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire peuvent être renvoyés à l’arbitrage. Le grief de la demanderesse ne s’inscrit pas dans les circonstances énoncées dans l’alinéa, qui permettent le renvoi d’un grief à l’arbitrage. Par conséquent, même si la demande de prorogation de délai était accordée et que le grief était renvoyé à l’arbitrage, un arbitre de grief déclarerait très probablement qu’il n’a pas la compétence nécessaire pour le trancher.

29 Par ailleurs, en vertu du paragraphe 209(3) de la nouvelle Loi et du Décret désignant des organismes distincts pour l’application de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-59), un organisme distinct doit être désigné pour que l’alinéa 209(1)d) puisse s’appliquer. L’alinéa 209(1)d) établit la compétence d’un arbitre de grief à trancher les griefs portant sur un licenciement ne mettant pas en cause un manquement à la discipline ou une inconduite. Bien qu’il soit un organisme distinct, le Personnel des fonds non publics (Forces canadiennes) n’a pas été désigné par décret aux fins de l’application de l’alinéa 209(1)d). Par conséquent, comme le grief porte sur un licenciement pour un motif n’étant pas relié à un manquement à la discipline ou à une inconduite, un arbitre de grief n’aurait pas la compétence nécessaire pour le trancher.

III. Conclusion

30 Mon analyse des circonstances en l’espèce m’a amenée à conclure que, non seulement la demanderesse n’a pas fourni de raisons claires, logiques et convaincantes pour démontrer qu’elle n’était pas en mesure de renvoyer son grief à l’arbitrage dans le délai prévu au Règlement, mais son grief n’a aucune chance de succès compte tenu des dispositions de l’alinéa 209(1)d) de la nouvelle Loi. Par conséquent, j’ai décidé de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour permettre le renvoi à l’arbitrage du grief de la demanderesse.

31 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

32 La demande de prorogation de délai est rejetée.

Le 23 février 2011.

Traduction de la CRTFP

Michele A. Pineau,
vice-présidente

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