Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que son agent négociateur et un de ses représentants avaient manqué à leur devoir de représentation équitable dans le cadre de la négociation d’une entente de règlement en son nom et du suivi lié à la mise en œuvre de l’entente - les défenderesses ont fait valoir que les modalités de l’entente de règlement constituaient un obstacle incontournable à la plainte - elles ont également souligné que la plainte était hors délai - la Commission a conclu que le délai de rigueur de 90 jours pour la présentation d’une plainte n’avait pas été respecté en ce qui concerne la question de la négociation de l’entente de règlement seulement - la Commission a également conclu que les modalités de l’entente constituaient un obstacle à l’instruction d’une plainte contre les défenderesses relativement à la négociation de l’entente de règlement seulement - enfin, la Commission a conclu que les défenderesses avaient sincèrement tenté d’aider le plaignant tout au long des négociations et de la mise en œuvre de l’entente de règlement et que le fait qu’elles n’aient pas obtenu tout ce que le plaignant espérait ne rend pas leur conduite arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Objections accueillies en partie. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-12-08
  • Dossier:  561-09-481
  • Référence:  2011 CRTFP 141

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

KRISTIAN PAUL MARTELL

plaignant

et

ASSOCIATION DES EMPLOYÉS DU CONSEIL DE RECHERCHES
et JOAN VAN DEN BERGH

défenderesses

Répertorié
Martell c. Association des employés du Conseil de recherches et Van Den Bergh

Affaire concernant une plainte fondée sur l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, commissaire

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour les défenderesses:
Steve Waller, avocat

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique)
du 3 au 5 août 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 25 août 2010, Kristian Paul Martell (le « plaignant ») a déposé une plainte contre l’Association des employés du Conseil de recherches et une de ses représentantes, Mme Joan Van Den Bergh (les « défenderesses »). Le plaignant a tout d’abord inscrit dans le formulaire de plainte que celle-ci était fondée sur les alinéas 190(1)c), d), f) et g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Toutefois, à l’audience, il a précisé qu’il y avait lieu de restreindre sa plainte à l’alinéa 190(1)g). Le plaignant a allégué que les défenderesses avaient manqué à leur devoir de représentation équitable en ne le représentant pas de façon appropriée dans le cadre de la négociation d’un protocole d’entente signé le 18 février 2010 et en refusant de présenter un grief concernant sa mise en œuvre inadéquate. Il convient ici de noter que, bien que les parties aient intitulé ce dernier document « protocole d’entente », elles auraient tout aussi bien pu l’appeler « entente de règlement » étant donné la nature de cette entente. Quoi qu’il en soit, je continuerai néanmoins à désigner ce document en renvoyant à son appellation d’origine, soit protocole d’entente.

2 La plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi, qui se lit comme suit :

 190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

Selon l’article 185 de la Loi, « pratiques déloyales » s’entend « de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188, et le paragraphe 189(1) ». La disposition particulière de la Loi visée par l’article 185 et se rapportant à la plainte en l’instance est l’article 187, qui se lit comme suit :

 187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

Cette disposition a été adoptée afin de voir à ce que les organisations syndicales, ainsi que leurs représentants, soient tenues à un devoir de représentation équitable; selon le plaignant, les défenderesses ne se sont pas acquittées de ce devoir.

3 Les défenderesses ont soulevé deux objections préliminaires. En premier lieu, elles ont soutenu que le protocole d’entente, auquel le plaignant a souscrit de son plein gré, était une entente exécutoire faisant ainsi en sorte que cette plainte ne pouvait pas être entendue en vertu de la Loi, tel que le prévoit le libellé à cet effet. En deuxième lieu, elles ont fait valoir que la plainte était hors délai. Subsidiairement, les défenderesses ont soutenu que même si on concluait que la plainte respectait les délais prescrits et qu’il n’y avait aucun obstacle à ce qu’elle soit entendue, elles n’avaient aucunement contrevenu à l’article 187 de la Loi.

II. Résumé de la preuve

A. Pour le plaignant

4 Le Conseil national de recherches du Canada (le « CNRC », ou l’« employeur ») a embauché le plaignant le 26 juin 1996 à titre d’employé occasionnel pour une période de quatre mois, au poste d’outilleur-ajusteur. Le plaignant a ensuite accepté une autre affectation de quatre mois à titre d’employé occasionnel. C’est alors qu’il a manifesté son intérêt envers une formation d’apprenti auprès de l’employeur, lequel s’est dit prêt à étudier une telle éventualité. Le plaignant et l’employeur ont ainsi débuté un contrat d’apprentissage en décembre 1996, utilisant à cette fin le formulaire type du ministère du Travail de la Colombie-Britannique. Les défenderesses n’ont pas participé à ces démarches.

5 Le contrat d’apprentissage était d’une durée de 60 mois, débutant le 2 décembre 1996 et se terminant le 1er juillet 2001, en vertu duquel le plaignant s’est vu créditer ses cinq mois d’expérience à titre d’apprenti. Avant de conclure cette entente, le plaignant était un employé occasionnel; son affectation à ce titre devait se terminer à la fin du mois de février 1997.

6 Le 27 juin 1997, après avoir obtenu une troisième affectation de quatre mois à titre d’employé occasionnel, le plaignant a accepté une nomination pour une période déterminée de quatre ans auprès du Centre d’innovation du CNRC à titre d’outilleur-ajusteur apprenti. Les modalités et conditions de son emploi stipulaient notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Votre salaire annuel est établi à 23 000 $ jusqu’au 30 juin 1997. À compter du 1er juillet 1997, vous recevrez une augmentation de salaire au mérite, en raison de votre rendement supérieur au cours de l’année écoulée. Par conséquent, votre nouveau salaire annuel s’établira alors à 24 486 $.

[…]

7 En juillet 2000, le plaignant a changé de désignation de métier, passant de la désignation d’« outilleur-ajusteur » à celle de « machiniste », un métier ne nécessitant qu’une période de quatre années de formation d’apprenti, ce qui lui permettait d’obtenir son certificat de compétence de machiniste le 28 juillet 2000. Le plaignant a néanmoins continué à suivre sa formation d’outilleur-ajusteur et a également obtenu un certificat de compétence pour ce métier. Lors de son contre-interrogatoire, il a admis ne pas avoir consulté les défenderesses dans le cadre de ce processus et il ne leur a pas demandé d’y participer non plus.

8 Le plaignant a rencontré Mme Van Den Bergh pour la première fois au début de l’année 2001, afin de discuter de ses préoccupations au sujet du calcul de sa rémunération. Peu après, celle-ci l’a informé que l’employeur n’était pas disposé à discuter de la question de sa rémunération et qu’il serait difficile, si longtemps après, de contester cette question qui remontait à 1996. En contre-interrogatoire, le plaignant a convenu que même s’il croyait être sous-payé depuis aussi loin que 1998, il avait toujours consenti aux conditions d’emploi proposées dans les nombreuses lettres d’offre qu’il avait reçues, y compris les conditions salariales, et qu’il ne les avait jamais contestées pas plus qu’il n’a demandé aux défenderesses de les contester.

9 Le plaignant a témoigné que la question de son salaire le contrariait tellement qu’il en était venu à demander une lettre de recommandation à son supérieur immédiat en juin 2001, dans l’intention de trouver un emploi ailleurs. Malgré tout, en raison de la détérioration continue de son état de santé, le plaignant a accepté une nomination pour une durée déterminée d’une année auprès de l’employeur, soit du 7 août 2001 au 6 août 2002, estimant qu’il lui serait impossible d’obtenir un autre emploi ailleurs à cette époque. Il a néanmoins continué de penser qu’il aurait dû gagner le même salaire qu’un collègue de travail qui avait 30 années d’ancienneté, mais l’employeur n’était pas du même avis.

10 Peu après, l’état de santé du plaignant s’est détérioré. Malgré le fait qu’il ait dû s’absenter de son travail pendant une longue période, sa nomination pour une période déterminée a été prolongée en juillet 2002 et en juillet 2003. En novembre 2003, sa nomination a été convertie en nomination pour une période indéterminée; il a accepté cette modification à son statut malgré ses doléances au sujet de sa rémunération. Il a alors appris que son salaire ne pouvait être révisé et qu’un employé ne pouvait négocier un traitement plus élevé que lors de son embauche.

11 Peu après sa nomination pour une période indéterminée, le plaignant a encore pris un congé de maladie qui a duré plus d’un an. À son retour en avril 2005, il a demandé à son employeur de revoir son salaire, mais celui-ci s’y est encore une fois opposé. Le plaignant a pris un autre congé de maladie au début de l’année 2006, cette fois pour plus d’une année.

12 En 2007, le plaignant a demandé et obtenu une rente d’invalidité dans le cadre du Régime de pensions du Canada. Il recevait déjà à cette époque des prestations en vertu du Régime d’assurance-invalidité de l’employeur.

13 En novembre 2008, confronté à la désolante réalité de son état de santé qui n’allait pas en s’améliorant, le plaignant s’est résolu à envisager une retraite pour des raisons médicales; l’employeur lui a fourni les renseignements à ce sujet et l’a informé des diverses options. Toutefois, il a décidé de ne pas se prévaloir de ces options, estimant que les renseignements qui lui avaient été fournis étaient erronés, sinon incomplets.

14 Le 30 octobre 2009, l’employeur a écrit au plaignant et lui a demandé de l’informer s’il avait ou non l’intention de retourner au travail, de démissionner, ou de prendre une retraite pour des raisons médicales. À ce moment, cela faisait plus de deux ans sans interruption que le plaignant était en congé de maladie sans solde. L’employeur lui a envoyé une autre trousse d’information le 27 novembre 2009, en demandant au plaignant de lui répondre au plus tard le 1er décembre 2009.

15 Cet ultimatum a résulté en un échange soutenu de courriels entre le plaignant et des représentants de l’Association des employés du Conseil de recherches (l’« AECR »), dont Mme Van Den Bergh, qui avait alors convenu de rencontrer l’employeur afin de l’amener à reconsidérer les préoccupations du plaignant au sujet de son salaire. Il s’ensuivit des négociations entre l’employeur et les défenderesses dans le but de résoudre toutes les questions en suspens ayant trait à l’emploi du plaignant au CNRC.

16 Le 18 février 2010, le plaignant, l’AECR et l’employeur ont conclu un protocole d’entente, prévoyant notamment que l’employeur (i) verse au plaignant un montant forfaitaire en compensation des moins-payés au titre de sa rémunération et de ses avantages sociaux à compter de sa date d’embauche, sous réserve des retenues à la source requises en vertu des lois ou des dispositions de la convention collective pertinente; (ii) informe l’administrateur du Régime d’assurance-invalidité des moins-payés, ce qui aura pour effet de créer un moins-payé au titre de ses prestations d’invalidité et de lui donner droit à un montant forfaitaire à verser par l’administrateur du régime précité; (iii) accorde au plaignant une indemnité de départ lors de l’approbation de sa retraite pour des raisons médicales. En vertu du protocole d’entente, le plaignant s’engageait à demander sa retraite pour des raisons médicales au plus tard le 26 février 2010. Le protocole d’entente était également assorti d’un tableau sur lequel étaient présentées les données révisées de sa rémunération pour la période comprise entre le 2 juillet 1996 et le 30 avril 2010.

17 Le protocole d’entente stipulait en outre ce qui suit :

[Traduction]

[…]

12. En signant la présente entente, ce faisant le fonctionnaire libère et décharge, à perpétuité, l’agent négociateur, ses représentants, employés et mandataires, de toute réclamation et poursuite de quelque nature que ce soit découlant ou en lien avec le présent protocole d’entente.

13. En signant la présente entente, le fonctionnaire reconnaît et convient avoir lu, compris et accepté les modalités de la présente entente […]

[…]

15. Il est entendu par les parties que la présente entente constitue le règlement complet et final de toutes les questions dont il est traité dans la présente entente.

[…]

18. Les parties reconnaissent le caractère irrévocable de la présente entente et des modalités qui y sont énoncées, et qu’elles ont eu l’occasion de demander l’avis d’un conseiller juridique ou d’un autre conseiller à ce sujet notamment, dans le cas du fonctionnaire, d’un représentant de son agent négociateur, avant la signature du présent protocole d’entente.

[…]

18 Après avoir signé le protocole d’entente, le plaignant a demandé de prendre sa retraite pour des raisons médicales et y a été jugé admissible. Il a reçu un montant forfaitaire dans le cadre du Régime d’assurance-invalidité à la suite d’une révision, de la part de l’employeur, du calcul de sa rémunération des années antérieures. Cependant, il n’était pas d’accord avec les retenues effectuées par l’employeur sur le montant forfaitaire qui devait lui être versé, estimant que le tout faisait en sorte que ce qu’il recevait ne représentait pas fidèlement les montants qu’il avait négociés. Selon le plaignant, le protocole d’entente n’avait pas été appliqué comme il aurait dû l’être. Le 15 avril 2010, le plaignant a fait part de ses préoccupations à ce sujet aux défenderesses et Mme Van Den Bergh les a aussitôt faites parvenir à l’employeur. Ce dernier y a répondu en faisant parvenir au plaignant, le 16 avril 2010, l’explication détaillée des retenues effectuées.

19 Le plaignant a reconnu qu’avant de signer le protocole d’entente, il avait passé en revue le tableau faisant état des données de la révision de sa rémunération avec un comptable, lequel, semble-t-il, n’aurait pas été en mesure d’y comprendre grand-chose. De plus, il a obtenu l’opinion d’un conseiller juridique indépendant spécialisé en matière de droit des relations de travail dans le secteur public. Malgré les nombreux courriels échangés par le plaignant avec les défenderesses et l’employeur avant de signer le protocole d’entente, dans lequel il demandait diverses informations et précisions, il n’a jamais demandé aux défenderesses de lui fournir une analyse ou des détails spécifiques relativement aux déductions qui s’appliquaient aux paiements auxquels il avait droit. Aucun détail ne lui a été fourni à ce sujet. Pourtant, les défenderesses ont conseillé à plus d’une reprise au plaignant de consulter un expert en ressources humaines de l’employeur s’il avait des questions au sujet de ces retenues ou au sujet des montants figurant dans le protocole d’entente proposé ou au tableau qui y était joint. En contre-interrogatoire, le plaignant a admis qu’avant de signer le protocole d’entente il pensait que les calculs n’étaient pas corrects; toutefois, il avait l’impression que s’il ne signait pas le document, il risquait de ne rien recevoir du tout.

20 L’échange de courriels qui a eu lieu par la suite en avril et en juin 2010 révèle que, bien que les défenderesses estimaient qu’il n’y avait aucun problème dans l’application du protocole d’entente ni quelque raison d’en contester la mise en œuvre, elles ont quand même demandé à l’employeur de vérifier l’exactitude des sommes faisant l’objet des retenues. L’employeur leur a répondu et a maintenu la pertinence de ses calculs.

21 Le plaignant a alors demandé aux défenderesses de prendre les mesures qui s’imposaient pour s’assurer que le protocole d’entente soit mis en œuvre comme il le fallait. Les défenderesses ont refusé, faisant valoir au plaignant que cette question ne pouvait pas faire l’objet d’un grief et que, après analyse du dossier, il ne semblait pas y avoir quelque irrégularité dans la façon dont le protocole d’entente avait été mis en œuvre. Le plaignant a ensuite déposé la plainte en l’instance, alléguant que les défenderesses avaient contrevenu à l’article 187 de la Loi en agissant de façon arbitraire, de mauvaise foi, et de manière discriminatoire.

B. Pour les défenderesses

22 Mme Van Den Bergh a agi à titre de négociatrice et d’agent de relations de travail pour l’AECR depuis 1999. Elle travaille dans le domaine des relations de travail, tant du côté syndical que patronal, depuis les 30 dernières années.

23 Mme Van Den Bergh a témoigné que, bien que ses fonctions l’appelaient à accomplir un grand nombre de tâches sur une base quotidienne, le calcul de la rémunération et des avantages sociaux n’en faisaient pas partie. Elle a affirmé qu’elle ne se mêlait jamais de ces questions, préférant en laisser le soin aux experts de la rémunération et des avantages sociaux. Elle a ajouté qu’il ne lui revenait pas de dire comment les retenues à la source obligatoires devaient être prélevées ni comment l’Agence du revenu du Canada (ARC) devait interpréter ces questions, parce qu’elle ne traitait jamais de ces questions ni avec les représentants de l’ARC. Lorsque de telles questions sont soulevées, elle consulte les spécialistes de l’employeur en matière de rémunération et d’avantages sociaux.

24 Mme Van Den Bergh a indiqué qu’elle avait été consultée pour la première fois par le plaignant en 2001 et que c’est à ce moment qu’elle a reçu une copie du contrat d’apprentissage de 1996 qu’elle a remis à l’employeur. Ce dernier lui avait immédiatement manifesté son intention de ne pas honorer cette entente. À l’époque, Mme Van Den Bergh avait informé le plaignant qu’un grief fondé sur le contrat d’apprentissage serait vraisemblablement restreint aux 25 derniers jours, que l’entente avait pris fin avant cette période de 25 jours et qu’il ne serait peut-être pas possible de renvoyer un tel grief à l’arbitrage car le sujet en litige ne portait pas sur l’interprétation d’une disposition de la convention collective. Elle a ajouté que le plaignant ne lui avait alors pas demandé de présenter un grief, ni à cette occasion ni à quelque autre moment.

25 Le prochain contact que Mme Van Den Bergh a eu avec le plaignant fut en novembre 2009. À cette époque, le plaignant songeait à prendre sa retraite pour raisons médicales, et Mme Van Den Bergh l’avait alors conseillé relativement aux avantages de cette solution par rapport à l’éventualité d’un licenciement en raison de son incapacité. Après tout, le plaignant a longtemps été en congé de maladie sans rémunération. C’est à cette époque que le contrat d’apprentissage et la question du moins-payé sont revenus sur le tapis. Mme Van Den Bergh a indiqué qu’elle se sentait mal pour le plaignant, en particulier en raison de la gravité de son état de santé, et qu’elle avait alors communiqué avec l’employeur pour qu’il examine de nouveau la question, dans l’espoir qu’il manifeste une certaine volonté de régler les questions en suspens quant à l’emploi du plaignant auprès du CNRC. Selon Mme Van Den Bergh, l’employeur n’a jamais considéré le contrat d’apprentissage comme étant exécutoire, ce qui expliquerait pourquoi il avait toujours rémunéré le plaignant conformément aux dispositions de la convention collective applicable. À sa grande surprise, l’employeur a néanmoins accepté de revoir le dossier, même si cela nécessitait de recalculer la rémunération du plaignant sur une période de plus de 14 ans.

26 L’employeur a recalculé la rémunération du plaignant et préparé le protocole d’entente qui comprenait un tableau de sa rémunération remontant jusqu’en 1996. À cette époque, un grand nombre de courriels ont été échangés entre le plaignant et Mme Van Den Bergh au sujet de la teneur du protocole d’entente proposé par l’employeur.

27 Étant donné les préoccupations du plaignant au sujet du libellé de certaines clauses du protocole d’entente, Mme Van Den Bergh a pris des dispositions pour que le plaignant consulte un avocat en pratique privée spécialisé en droit du travail afin qu’il obtienne des conseils juridiques indépendants, aux frais de l’AECR. L’avocat a communiqué avec Mme Van Den Bergh pour poser des questions au sujet de la signification de certaines dispositions du protocole d’entente mais n’a jamais soulevé auprès d’elle la question du salaire ou des retenues à la source proposés. Elle a ajouté qu’elle n’avait fait aucune promesse au plaignant quant au traitement ou à la rémunération qui seraient utilisés dans le tableau de la rémunération, aux montants auxquels il aurait droit à titre d’indemnité ou aux retenues qui seraient appliquées relativement à cette entente de règlement.

28 Lorsque le plaignant a signé le protocole d’entente, il a semblé, selon les dires de Mme Van Den Bergh, très satisfait de son contenu. Il lui a fait part pour la première fois de son insatisfaction au sujet de la mise en œuvre par l’employeur du protocole d’entente le 15 avril 2010. Après de multiples communications avec le plaignant, elle a écrit à l’employeur pour obtenir de sa part des précisions au sujet des retenues appliquées dans le cadre du protocole d’entente, et a communiqué ces précisions au plaignant. Selon Mme Van Den Bergh, elle a clairement fait savoir au plaignant que l’AECR ne contesterait pas la question de la mise en œuvre du protocole d’entente, car cela ne pouvait pas faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage. Après des demandes multiples de la part du plaignant, elle a accepté de demander d’autres précisions de la part de l’employeur au sujet des retenues. Le 9 juin 2010, Mme Van Den Bergh a envoyé au plaignant un courriel détaillé dans lequel elle lui faisait part des renseignements qu’elle avait obtenus de l’employeur, y joignant sept tableaux distincts dans lesquels elle indiquait ce qu’elle comprenait des diverses retenues. Cela a provoqué une réponse très négative de la part du plaignant.

29 En dépit de la déception du plaignant, Mme Van Den Bergh estimait qu’elle avait obtenu un règlement raisonnable compte tenu des circonstances.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

30 L’argumentation du plaignant était relativement succincte. Essentiellement, il a blâmé les défenderesses de ne pas avoir demandé et obtenu une analyse détaillée des retenues obligatoires et autres, le cas échéant, qui seraient prélevées des montants auxquels il avait droit en vertu du protocole d’entente. Il les a aussi blâmé de ne pas avoir remarqué une divergence, selon ses allégations, entre le calcul de sa rémunération qui aurait dû être utilisé et celui qui a été utilisé. Je note toutefois que le plaignant n’a pas établi l’existence d’une telle divergence lors de son témoignage ou dans le cadre de son argumentation.

31 Il a affirmé qu’il n’avait pas de récriminations quant aux modalités énoncées dans le protocole d’entente, mais plutôt quant à la mise en œuvre du protocole d’entente par l’employeur, en particulier en ce qui a trait aux retenues prélevées à même les montants forfaitaires auxquels il avait droit. Il a reproché aux défenderesses de ne pas avoir contesté la mise en œuvre inadéquate du protocole d’entente par l’employeur.

32 Le plaignant est d’avis que les défenderesses ont contrevenu à l’article 187 de la Loi, tant avant qu’après la mise en œuvre du protocole d’entente.

33 Le plaignant n’a pas allégué que le protocole d’entente avait été négocié de manière inconsidérée ni qu’il avait été dupé ou contraint de le signer. Il n’avait pas demandé et ne demande toujours pas que le protocole d’entente soit révoqué pour ces motifs ni pour quelque autre motif.

B. Pour les défenderesses

1. Respect des délais

34 La plainte a été déposée le 25 août 2010. En vertu du paragraphe 190(2) de la Loi, une plainte doit être présentée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu. Ce qui signifie, selon les défenderesses, que le plaignant doit avoir eu connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte le 27 mai 2010 ou après cette date. Sinon, sa plainte est hors délai.

35 Les défenderesses ont fait valoir que toutes les questions en cause existaient avant le 27 mai 2010, puisque le plaignant était déjà alors bien au courant du rôle et de la participation des défenderesses dans le dossier avant la signature du protocole d’entente. De plus, il leur avait déjà fait part de son insatisfaction au sujet de la mise en œuvre du protocole d’entente par l’employeur, particulièrement concernant les retenues prélevées, et il savait avant le 27 mai 2010 que les défenderesses avaient étudié la question des retenues et qu’elles n’étaient pas disposées à contester la façon dont l’employeur avait mis en œuvre le protocole d’entente. Selon les défenderesses, tout cela est étayé par la preuve documentaire versée au dossier et fait en sorte que la plainte est effectivement hors délai.

36 Les défenderesses ont de plus soutenu que le plaignant n’avait aucunement contredit ces prétentions, tel qu’il appert de ses commentaires à la page 2 d’un bref résumé des événements qu’il avait joint à sa plainte.

37 Les défenderesses ont par ailleurs fait valoir que le plaignant savait dès avril 2010 qu’elles n’avaient pas l’intention de contester la mise en œuvre du protocole d’entente par l’employeur. Le fait que le plaignant ait répété continuellement ses demandes aux défenderesses de revoir la question de la mise en œuvre du protocole d’entente et qu’elles aient accepté de communiquer avec l’employeur une dernière fois à ce sujet ne devrait pas avoir pour effet de prolonger la période durant laquelle le plaignant était tenu d’agir en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi.

2. La clause de renonciation du protocole d’entente

38 Les défenderesses m’ont en outre rappelé que le plaignant n’avait jamais demandé, avant de signer le protocole d’entente, une description détaillée des retenues qui seraient prélevées sur les montants forfaitaires qui lui seraient versés en vertu du protocole. Elles m’ont aussi rappelé qu’en bout de ligne, le plaignant avait été d’accord avec les dispositions du protocole d’entente et avait déchargé les défenderesses de toute réclamation et poursuite de quelque nature que ce soit découlant ou en lien avec l’objet du protocole d’entente. La plainte en l’instance, selon les défenderesses, est assujettie à cette décharge et, par conséquent, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») n’a pas compétence pour instruire cette plainte.

39 Au soutien de cette proposition, les défenderesses me renvoient à Vogan c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2004 CRTFP 159, notamment aux paragraphes cités ci-après :

[…]

[34] M. Vogan se plaint essentiellement que l’AFPC n’a pas respecté les termes de l’entente de règlement. La LRTFP ne m’habilite pas à me prononcer sur cette question. Il a été statué dans Myles (supra) et Carignan (supra) que ni la Commission, ni un arbitre nommé en vertu de la LRTFP n’a la compétence pour décider si les conditions d’un règlement ont été respectées.

[…]

[37] J’ai pris connaissance de l’entente et je conclus qu’aucune clause n’indique l’existence d’une condition ou que l‘entente serait nulle et non avenue si l’une des parties ne s’acquittait pas de ses obligations en vertu de l’entente. Par conséquent, je conclus que l’entente de règlement signée par les parties est exécutoire.

[38] La question suivante vise à déterminer si une entente de règlement exécutoire constitue un obstacle à une plainte déposée contre un agent négociateur par l’un de ses membres, en vertu de la LRTFP.

[…]

[41] Dans l’affaire MacDonald c. Canada (1998), 158 C.F.P.I. 1 (confirmé par l’arrêt, [2000] A.C.F No 1902, permission d’en appeler, [2001] C.S.C.R. No 30), le juge Gibson a conclu qu’un employé qui dépose un grief et qui signe ensuite une entente de règlement exécutoire avec son employeur perd le droit d’invoquer la LRTFP. Je ne vois pas pourquoi ce principe ne s’appliquerait pas à une plainte.

[42] Lorsqu’un membre dépose une plainte contre son agent négociateur et qu’il conclut ensuite une entente de règlement exécutoire avec son agent négociateur, il se retrouve dans la même position que celui qui dépose un grief et conclut une entente de règlement exécutoire avec son employeur.

[…]

[44] Par conséquent, je conclus que l’entente exécutoire entre les parties fait entièrement obstacle à la tenue d’une audience relativement à la plainte.

[…]

40 Les défenderesses soutiennent que, pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans Vogan, la plainte en l’instance devrait être rejetée.

3. Bien-fondé de la plainte

41 Les défenderesses ont fait valoir que le contrat d’apprentissage était une entente contractuelle à caractère privé entre le plaignant et l’employeur, et qu’une telle entente ne pouvait créer un droit légal en vertu de la convention collective ni en vertu de la Loi. Le fait que l’employeur ne se formalise aucunement des dispositions relatives à la rémunération énoncées dans ce contrat n’est pas surprenant, puisque l’employeur avait toujours rémunéré le plaignant conformément aux dispositions de la convention collective applicable. Par conséquent, tout différend quant à l’allégation d’une divergence quelconque concernant la rémunération ne peut être renvoyé à l’arbitrage car cela ne concerne pas une disposition de la convention collective ou de la Loi.

42 Selon les défenderesses, on ne leur a jamais demandé de présenter un grief relativement aux divergences concernant la rémunération du plaignant. Et si cela avait été le cas, leur contestation n’aurait reposé que sur des motifs très précaires, étant donné que le contrat d’apprentissage avait pris fin plus de 25 jours avant la conversation du plaignant avec Mme Van Den Bergh en 2001. Les défenderesses ont en outre souligné que, malgré leur devoir de représentation équitable envers les fonctionnaires, ce devoir ne s’applique que relativement à des questions visées par un droit conféré à un fonctionnaire en vertu de la convention collective ou en vertu de la Loi, ce qui n’est pas le cas ici.

43 Les défenderesses ont aussi fait valoir que bien qu’elles n’avaient pas l’obligation de fournir une représentation ou de l’aide au fonctionnaire dans la présente affaire, elles avaient néanmoins satisfait aux normes auxquelles on s’attendait de leur part.

44 Les défenderesses ont souligné que, n’eut été du protocole d’entente négocié entre les parties, le plaignant n’aurait pas eu droit à quelque montant forfaitaire additionnel en vertu du Régime d’assurance-invalidité, ce montant étant presqu’aussi important que le montant obtenu de l’employeur grâce au nouveau calcul de sa rémunération.

45 Selon les défenderesses, l’exercice effectué par l’employeur et consistant à effectuer un nouveau calcul de la rémunération du plaignant était complexe, et visait une période d’emploi très longue. C’est pour cette raison que l’AECR avait accepté de payer les honoraires d’un conseiller juridique indépendant spécialisé en droit du travail dans le contexte de la fonction publique fédérale, avant la signature du protocole d’entente par les parties. Les défenderesses ont également fait valoir que, bien que les retenues à la source prélevées par l’employeur n’étaient pas de leur ressort, elles se sentaient rassurées du fait que le plaignant avait demandé des informations et des précisions directement auprès du conseiller en rémunération et en avantages sociaux de l’employeur, en plus de demander des conseils auprès de son propre comptable.

46 Selon les défenderesses, Mme Van Den Bergh avait passé près de deux ans à tenter de régler le différend portant sur la rémunération du plaignant qui, semble-t-il, durait déjà depuis quelque douze années auparavant. Elle avait combattu ardument pour le plaignant, réussissant à la fin à obtenir un résultat positif pour ce dernier, un résultat qu’il n’aurait pas pu obtenir dans le cadre d’un grief.

47 Bien que les défenderesses n’étaient aucunement obligées de fournir au plaignant une représentation dans le cadre de cette affaire, elles l’ont fait, et cela au-delà de ce qui était par ailleurs attendu de leur part. À cet égard, les défenderesses m’ont renvoyé aux paragraphes 35 à 48 de Sayeed c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 44.

48 Les défenderesses ont par ailleurs soutenu que le devoir de représentation équitable ne s’applique qu’en ce qui a trait aux questions visées sous le régime d’une convention collective ou de la Loi, et non en ce qui concerne le règlement d’un différend découlant d’un contrat d’apprentissage non exécutoire et à caractère privé, comme c’était le cas en l’instance. Au soutien de cette proposition, elles m’ont renvoyé aux paragraphes 193 à 195 de Elliott c. Guilde de la marine marchande du Canada et al., 2008 CRTFP 3 :

[193] Accepter l’argument avancé par le plaignant signifierait que le devoir de représentation juste s’appliquerait à tous les services qu’un syndicat décide d’offrir à ses membres, que le syndicat soit ou non obligé d’offrir ce service et que le service soit ou non lié à la LRTFP ou à la relation régie par la convention collective. Cela signifierait également que le Parlement entendait conférer à notre Commission le vaste mandat de superviser la prestation de services de représentation volontairement offerts par un syndicat concernant les demandes devant les tribunaux des accidents du travail, les questions disciplinaires devant les organisations professionnelles, les demandes relatives au Régime de pensions du Canada, les questions ayant trait à l’assurance-chômage, les questions devant les tribunaux des transports, les actions devant les tribunaux judiciaires, etc., c’est-à-dire toutes les questions à l’égard desquelles notre Commission n’a pas d’expertise spéciale. À mon avis, si le Parlement avait voulu accorder à notre Commission une aussi vaste compétence à l’égard de questions non liées à la LRTFP ou à la relation régie par la convention collective, il aurait donné une indication à cet égard. Dans le cas qui nous occupe, il y a absence d’une telle indication.

[194] Lorsque le Parlement a voulu imposer des obligations aux syndicats vis-à-vis de leurs membres en vertu de la LRTFP, à l’égard d’autres questions que celles se rapportant à la relation employeur-employés, il l’a fait expressément. Par exemple, l’alinéa 188b) de la LRTFP prévoit qu’un agent négociateur ne peut expulser un fonctionnaire de l’organisation syndicale ou le suspendre en appliquant les règles d’une manière discriminatoire.

[195] Les services qu’un syndicat décide d’offrir à ses membres et qui ne se rapportent pas à la LRTFP ou à la relation régie par la convention collective concernent le syndicat et ses membres. Si le syndicat ne représente pas correctement ses membres à l’égard de ces questions, il peut y avoir un certain recours devant un autre tribunal (peut-être sur un fondement contractuel prévu dans les statuts du syndicat), mais cette question ne relève pas de la compétence de notre Commission.

49 Les défenderesses ont ajouté qu’à l’époque où elles avaient refusé de représenter le plaignant, la jurisprudence appuyait sans équivoque leur position selon laquelle la mise en œuvre d’une entente de règlement n’était pas arbitrable. Les défenderesses ne bénéficiaient pas à cette époque de l’éclairage de la Cour d’appel fédérale énoncée dans Amos c. Procureure général du Canada, 2011 CAF 38, cette décision ayant été publiée le 3 février 2011. Quoi qu’il en soit, Amos se distinguait des faits énoncés dans la présente affaire. En effet, dans Amos, aucun grief toujours en instance ou non retiré n’était associé au protocole d’entente. En fait, la question ayant donné lieu au différend n’était pas arbitrable, car elle ne découlait pas de la convention collective ou d’une disposition de la Loi, mais plutôt d’un contrat d’apprentissage non exécutoire et qui était échu quelque neuf années avant la signature du protocole d’entente.

50 Selon les défenderesses, il n’y a eu aucune contravention à l’article 187 de la Loi dans la présente affaire, ni avant ni après la signature du protocole d’entente.

IV. Motifs

A. Respect des délais

51 Le principal élément à considérer dans la question du respect des délais est prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi, qui se lit comme suit :

190. (2) […] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

Le délai prescrit de quatre-vingt-dix jours est ferme, et je n’ai pas le pouvoir de proroger ce délai. La Commission a maintes fois réaffirmé le caractère obligatoire des dispositions du paragraphe 190(2) de la Loi. Notamment, dans Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100, au paragraphe 45, la Commission s’est exprimée en ces termes à cet égard :

[45] […] Une fois que l'agent négociateur a clairement communiqué sa position à l'égard de la représentation d'un membre et que celui-ci considère cette position comme une preuve de la violation de l'article 187, le paragraphe 190(2) ne permet pas de proroger le début du délai de 90 jours pour le dépôt de la plainte, même dans les cas où il y aurait de bonnes raisons de le faire. Le libellé du paragraphe a force de loi. Il diffère en ce sens de la manière dont s'appliquent certains autres types de mesures prévus par la Loi.

52 Je souscris à la prétention des défenderesses selon laquelle si le plaignant avait eu connaissance ou s’il avait dû avoir connaissance des circonstances avoir donné lieu à la plainte avant le 27 mai 2010, sa plainte était alors hors délai.

53 Après avoir examiné les témoignages et la preuve documentaire présentés par les parties, je suis convaincu que toute allégation de contravention par les défenderesses en lien avec la négociation et la signature du protocole d’entente était connu ou aurait dû l’être par le plaignant au plus tard lors de la date de signature du protocole d’entente le 15 avril 2010. Ainsi, cette partie de sa plainte est sans aucun doute hors délai.

54 Par contre, je ne souscris pas à la prétention des défenderesses selon laquelle leur refus de représenter le plaignant dans le cadre de sa contestation de la mise en œuvre par l’employeur du protocole d’entente était connu du plaignant avant le 27 mai 2010. Je suis d’avis que la position des défenderesses à cet égard ne lui a pas été clairement communiquée avant le 9 juin 2010, ce qui est à l’intérieur des délais prescrits au paragraphe 190(2) de la Loi.Par conséquent, je conclus que la plainte respecte les délais prescrits en ce qui a trait à cette dernière allégation.

55 Dans l’éventualité qu’il soit ultérieurement décidé que ma conclusion selon laquelle une partie de la plainte soit hors délai soit erronée, je statuerai sur l’autre objection préliminaire car elle vise les actions et la conduite des défenderesses tant avant qu’après la mise en œuvre du protocole d’entente.

B. La clause de renonciation du protocole d’entente

56 Pour les motifs énoncés ci-après, je souscris à l’argument des défenderesses en ce qui a trait à la question de la renonciation, car elle est pertinente aux allégations du plaignant en ce qui a trait aux actions et à la conduite des défenderesses avant la mise en œuvre du protocole d’entente. En premier lieu, le protocole d’entente stipule clairement que le plaignantrenonce et décharge à perpétuité l’AECR, ses représentants, employés et mandataires, de toute réclamation et poursuite de quelque nature que ce soit découlant ou en lien avec le protocole d’entente. Il n’y a rien dans le libellé de cette clause qui puisse être considéré comme étant ambigu. En signant le protocole d’entente, le plaignant a reconnu avoir lu et compris les modalités qui y étaient énoncées et qu’il les acceptait. De plus, il avait consulté son propre comptable et on lui avait fourni les services d’un conseiller juridique indépendant avant de signer le protocole d’entente. Je suis d’avis que le raisonnement énoncé par la Commission dans Vogan, aux paragraphes 38 à 44, peut aisément être appliqué à l’affaire en l’instance, notamment en ce qu’une entente exécutoire intervenue entre les parties peut constituer un obstacle incontournable à ce qu’une plainte soit instruite contre une des parties dans le cadre d’une audience, du moins en ce qui a trait aux actions ou à la conduite des défenderesses précédant le protocole d’entente. En deuxième lieu, le plaignant n’a pas prétendu que les défenderesses avaient agi de manière inconsidérée, qu’il avait signé le protocole d’entente sous la contrainte de la part des défenderesses ou que les défenderesses avaient usé de supercherie afin de l’inciter à signer le protocole d’entente. Aucune allégation de cet ordre n’a été faite dans la documentation présentée ni lors du témoignage du plaignant.

57 Je ne souscris cependant pas à la prétention des défenderesses voulant que la clause de renonciation et de décharge puisse faire obstacle à une plainte concernant le refus de représenter le plaignant en ce qui a trait au différend concernant la mise en œuvre du protocole d’entente. Cela équivaudrait à renoncer par contrat à une obligation éventuelle, ce qui n’était pas à mon avis l’intention visée par le protocole d’entente.

58 Aussi, dans l’éventualité que ma conclusion selon laquelle la Commission a compétence pour instruire une partie de la plainte soit erronée, je statuerai sur le bien-fondé de la plainte en ce qui a trait aux actions et à la conduite des défenderesses tant avant qu’après la mise en œuvre du protocole d’entente.

C. Bien-fondé de la plainte

59 Tel qu’il a été affirmé par la Commission dans Ouellet c. Luce St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107, le fardeau de la preuve dans le cadre d’une plainte présentée en vertu de l’article 187 de la Loi incombe au plaignant. Ce fardeau exige que le plaignant présente une preuve suffisante pour établir que les défenderesses ont failli à leur devoir de représentation équitable.

60 La question du droit à la représentation des travailleurs syndiqués a fait l’objet de plusieurs commentaires de la part de la Commission. Dans Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28, au paragraphe 17, la Commission a rejeté l’idée que cela puisse constituer un droit absolu, s’exprimant comme suit à cet égard :

[17] La défenderesse, en tant qu’agent négociateur, a le droit de refuser de représenter un membre, et une plainte devant la Commission n’est pas un mécanisme d’appel contre un tel refus. La Commission ne va pas remettre en question la décision de l’agent négociateur. Le rôle de la Commission est de statuer sur le processus décisionnel de l’agent négociateur et non sur le bien-fondé de sa décision.[…]

61 Le rôle de la Commission ne consiste pas à décider si la décision des défenderesses de ne pas représenter le plaignant était correcte ou non; elle doit plutôt décider si les défenderesses ont agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire dans le cadre du processus décisionnel menant à cette décision. Toutefois, bien que ce pouvoir discrétionnaire puisse sembler assez large, il n’est pas absolu.

62 La portée du devoir de représentation équitable a été établie par la Cour suprême du Canada (CSC) dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509, à la page 527. Dans cette décision, la Cour suprême décrit en ces termes les principes sous-tendant le devoir de représentation équitable :

[…]

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

63 La Commission a aussi examiné le sens de l’expression « conduite arbitraire », dans Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95, aux paragraphes 22 et 23 :

[22] Sur le terme arbitraire, la Cour suprême du Canada, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, écrit au paragraphe 50 :

Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée.[…]

[…]

[23] Dans International Longshore and Wharehouse Union, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Empire International Stevedores Ltd. et al., [2000] A.C.F. no 1929 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale, sur la question du caractère arbitraire d’une décision, écrit que, pour faire la preuve d’un manquement au devoir de représentation équitable, « […] le plaignant doit convaincre le Conseil que les investigations faites par le syndicat au sujet du grief étaient sommaires et superficielles ».

64 La Commission a fait le commentaire suivant dans Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52 :

[…]

[44][…] Il revient à l'agent négociateur de décider des griefs qu'il traite et de ceux qu'il ne traite pas. Pour prendre ces décisions, l'agent négociateur peut se fonder sur les ressources et les besoins de l'organisation syndicale dans son ensemble (Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13). Ce processus décisionnel de l'agent négociateur a été décrit comme suit dans Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC L.R.B.) :

[Traduction]

[…]

42. Lorsqu’un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief pour des considérations pertinentes concernant le lieu de travail – par exemple, vu son interprétation de la convention collective, vu l’effet sur d’autres fonctionnaires ou vu son évaluation selon laquelle le fondement du grief n’est pas suffisant – il accomplit son travail consistant à représenter les fonctionnaires. Le fonctionnaire en cause, dont le grief a été abandonné, peut estimer que le syndicat ne le « représente » pas. Toutefois, décider de ne pas poursuivre un grief en se basant sur ces genres de facteurs est une partie essentielle du travail syndical consistant à représenter les fonctionnaires dans leur ensemble. Quand un syndicat agit en se fondant sur des considérations se rapportant au lieu de travail ou à son travail de représentation des fonctionnaires, il est libre de déterminer la meilleure voie à suivre, et une telle décision n’équivaut pas à une violation du [devoir de représentation équitable].

[…]

65 Il ne fait aucun doute que les agents négociateurs et leurs représentants devraient jouir d’une grande latitude dans les décisions qu’ils doivent prendre en matière de représentation. Récemment, dans Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 128, au paragraphe 38, la Commission a déclaré que « […] [l]a barre pour faire la preuve d’une conduite arbitraire — ou discriminatoire ou de mauvaise foi — est placée très haut à dessein. […] ».

66 Le volume imposant de la correspondance échangée entre le plaignant et les défenderesses tant avant qu’après la signature du protocole d’entente qui a été produite en preuve lors de l’audience de cette affaire m’incite à croire que les défenderesses ont véritablement tenté d’aider le plaignant tout au long du processus, et en toute bonne foi.

67 Bien que je compatisse avec la situation du plaignant, qui a été aggravée par le sérieux de son état de santé, je crois que la plupart de ses frustrations sont issues des actions et des positions de l’employeur. Les lacunes des défenderesses, si tant est qu'il y en ait, ne correspondent pas à une conduite qui peut être qualifiée d’arbitraire ou empreinte de mauvaise foi.

68 Le plaignant a reproché aux défenderesses de ne pas avoir demandé et obtenu les détails des retenues obligatoires et autres, le cas échéant, qui seraient prélevées des montants auxquels il avait droit en vertu du protocole d’entente. Il a aussi reproché aux défenderesses de ne pas avoir relevé une supposée divergence entre le calcul de sa rémunération qui aurait dû être utilisé et celui qui a été utilisé. Pourtant, il avait consulté un comptable et l’AECR lui avait payé les services d’un conseiller juridique indépendant avant de signer le protocole d’entente. Il a signé cette entente de son plein gré, sachant qu’elle contenait des clauses de renonciation et de quittance. En outre, durant son contre-interrogatoire, il a admis qu’il avait signé le protocole d’entente, tout en estimant que les calculs qui s’y trouvaient étaient inexacts.

69 Même si je devais en arriver à la conclusion que les défenderesses avaient commis des erreurs au cours des négociations ayant mené à la conclusion du protocole d’entente, et que cela aurait pu avoir une incidence sur les droits du plaignant, bien que je ne sois pas d’avis que cela ait été le cas, la nature de ces erreurs ne pourrait aucunement être qualifiée de capricieuse ou de négligence. Bien au contraire, il appert plutôt que les défenderesses ont agi de bonne foi et qu’elles ont fait des efforts véritables afin d’appuyer et d’aider le plaignant dans l’obtention d’une indemnité relativement à l’allégation du moins-payé quant à son salaire et à ses avantages.

70 En ce qui concerne l’allégation du plaignant selon laquelle les défenderesses auraient manqué à leur devoir de représentation équitable en ce qui a trait à la mise en œuvre du protocole d’entente, je suis d’avis que le plaignant me semble avoir, à l’égard des défenderesses, des attentes particulièrement élevées malgré le fait que les circonstances de cette affaire comportaient des enjeux complexes de révision salariale portant sur une période de quelque 14 années et des questions de trop-payé, de moins-payé et de retenues à la source obligatoires. Comme l’a affirmé lui-même le plaignant, son propre comptable n’arrivait pas à s’y retrouver. Il ne m’apparaît pas raisonnable d’avoir, à l’égard des défenderesses, des attentes aussi élevées dans les circonstances.

71 Les défenderesses ont consacré des efforts sincères afin d’obtenir des renseignements auprès de l’employeur et d’en arriver à un règlement qui permettrait d’indemniser le plaignant. Bien qu’elles n’aient peut-être pas obtenu tout ce que le plaignant espérait, ces efforts ne constituent aucunement une conduite arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Mme Van Den Bergh semble même être allée au-delà de ce à quoi on s’attendait d’elle pour aider le plaignant et tenter d’obtenir pour lui un règlement équitable, tant avant qu’après la mise en œuvre du protocole d’entente.

72 Le plaignant aurait pu refuser de signer le protocole d’entente jusqu’à ce qu’on lui fournisse une analyse détaillée des retenues envisagées, mais il a choisi de procéder malgré tout. Aucune promesse ne lui a été faite par les défenderesses au sujet de la teneur des retenues éventuelles à cet égard.

73 Le plaignant devait établir qu’il y avait eu contravention à l’article 187 de la Loi, ce qui exigeait qu’il présente des éléments de preuve établissant que le défaut des défenderesses de le représenter équitablement, tant avant qu’après la mise en œuvre du protocole d’entente, était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. L’analyse des faits et de la preuve présentée par les parties ne révèle aucun signe que les défenderesses ont agi de manière discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi. Aucun élément présenté par le plaignant dans le cadre de l’audience n’a permis d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu contravention à l’article 187 de la Loi.

74 En outre, rien dans la preuve qui m’a été présentée ne m’a permis de conclure que les défenderesses avaient manifesté une attitude désinvolte ou cavalière envers les intérêts du plaignant ou qu’elles avaient agi de manière trompeuse à son égard, de façon malveillante ou en raison de quelque hostilité à son égard. Je n’ai aucune raison de croire qu’elles aient agi de façon négligente ou qu’elles aient traité le plaignant d’une façon différente des autres fonctionnaires et que telle distinction, le cas échéant, aurait pu être attribuable à des motifs illégaux, arbitraires ou déraisonnables.

75 Par ailleurs, je suis convaincu que les défenderesses ont étudié le dossier du plaignant comme il se devait, qu’elles ont tenu compte de facteurs pertinents et valables, qu’elles lui ont fourni une représentation convenable tant avant, pendant, qu’après la mise en œuvre du protocole d’entente, et qu’une décision judicieuse a été prise à savoir s’il y avait lieu de donner suite aux préoccupations du plaignant en ce qui a trait à la mise en œuvre du protocole d’entente.

76 Pour ces motifs, je conclus que le plaignant n’a pas établi que les défenderesses s’étaient livrées à une pratique déloyale de travail ni qu’elles avaient contrevenu à l’article 187 de la Loi.

77 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

78 L’objection pour non-respect du délai en ce qui a trait aux événements se rapportant à la négociation de l’entente de règlement est accueillie.

79 L’objection relative à la compétence de la Commission en ce qui a trait aux dispositions en matière de renonciation et de quittance du protocole d’entente quant aux événements liés à la négociation de l’entente de règlement est accueillie

80 La plainte est rejetée.

Le 8 décembre 2011.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
commissaire

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