Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En octobre 2005, la plaignante a été avisée que le Comité exécutif de l’Institut avait imposé des mesures correctives non disciplinaires à son égard à la suite d’une enquête portant sur des allégations de harcèlement confirmant les allégations contre elle - l’Institut a refusé de lui fournir une copie du rapport avant novembre 2009 - la plaignante a écrit à l’Institut pour lui demander un dédommagement pécuniaire - sa demande a été ignorée par l’Institut - en juin 2010, la plaignante a écrit de nouveau à l’Institut pour lui demander de la rencontrer afin de discuter de la situation - l’Institut a refusé de la rencontrer - en octobre 2010, l’Institut a reçu une mise en demeure formelle des avocats de la plaignante, suivie de deux autres lettres - les avocats de l’Institut ont été mandatés pour répondre formellement aux demandes de la plaignante, ce qui a été fait le 17 janvier 2011 - la plainte a été déposée le 7 avril 2010 - l’Institut a présenté une objection préliminaire - la plainte était hors délai et irrecevable parce que les conditions prévues au paragraphe 190(3) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la <<Loi>>) n’avaient pas étés rencontrées, la plaignante ne s’étant jamais prévalue de son recours au processus d’appel interne de l’Institut - le caractère obligatoire du paragraphe 190(2) de la Loi a été confirmés à maintes reprises par la Commission - la plaignante aurait dû prendre connaissance des mesures ou circonstances donnant lieu à sa plainte dès octobre 2005 ou au plus tard en novembre 2009 - peu importe laquelle des deux dates est utilisée, la plainte a été présentée au-delà des 90 jours alloués - la lettre du 17 janvier ne représente pas l’élément déclencheur de la plainte - les mesures et circonstances donnant lieu à cette plainte sont celles d’octobre 2005, qui ont été précisées en novembre 2009. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-12-12
  • Dossier:  561-02-510
  • Référence:  2011 CRTFP 142

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

ANGÈLE ROY

plaignante

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

Répertorié
Roy c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, commissaire

Pour la plaignante :
Eric Marquette, avocat

Pour le défendeur :
Martin Ranger, conseiller juridique

Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 10 août 2011.

I. Plainte devant la Commission

1 Cette décision traite exclusivement de la recevabilité d’une plainte présentée par Angèle Roy (la « plaignante »), le 7 avril 2011, et dans laquelle elle a allégué que son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« Institut » ou le « défendeur »), s’est livré à une pratique déloyale de travail.

2 La plaignante fonde sa plainte sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Cet alinéa se lit comme suit :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

3 La plaignante suggère dans la case 9 de sa plainte que le défendeur a enfreint les alinéas 188c), d) et e) de la Loi, qui prévoient ce qui suit :

188. Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

[…]

c) de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale;

d) d’expulser un fonctionnaire de l’organisation syndicale, de le suspendre, de prendre contre lui des mesures disciplinaires ou de lui imposer une sanction quelconque parce qu’il a exercé un droit prévu par la présente partie ou la partie 2 ou qu’il a refusé d’accomplir un acte contraire à la présente partie;

e) de faire des distinctions illicites à l’égard d’une personne en matière d’adhésion à une organisation syndicale, d’user de menaces ou de coercition à son égard ou de lui imposer une sanction, pécuniaire ou autre, pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie ou la partie 2, ou pourrait le faire,

(ii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2,

(iii) elle a exercé un droit prévu par la présente partie ou la partie 2.

[…]

4 Dans sa réplique écrite, ainsi qu’à l’audience, l’Institut a soulevé une objection préliminaire, à savoir que la plainte était irrecevable et qu’elle devait être rejetée de façon sommaire puisqu’elle n’avait pas été déposée à l’intérieur du délai prévu par le paragraphe 190(2) de la Loi, qui énonce ce qui suit :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

5 L’audience avait pour objectif de déterminer si la plainte avait été présentée dans les 90 jours suivant la date à laquelle la plaignante a pris connaissance, ou aurait dû prendre connaissance des circonstances donnant lieu à sa plainte.

II. Résumés de la preuve

A. Pour le défendeur

6 Monsieur Edward Gillis est l'administrateur en chef des opérations et secrétaire exécutif de l’Institut depuis mai 2010. Il était auparavant, et au moment des évènements pertinents, secrétaire exécutif. Il agit à titre de personne ressource pour le conseil d’administration.

7 M. Gillis est familier avec les faits et évènements entourant la plainte de la plaignante. Celui-ci a indiqué que les circonstances ayant donné lieu à la plainte remontaient au 20 octobre 2005. À cette date, la plaignante a été avisée, au moyen de trois lettres de la présidente de l’Institut, que le Comité exécutif de l’Institut avait imposé des mesures correctives non disciplinaires à son égard à la suite d’une enquête portant sur des allégations de harcèlement qui a eu comme résultat de confirmer le bien-fondé desdites allégations.

8 Le rapport d’enquête, daté du 12 septembre 2005, a été préparé par Me Pierre Labelle et revu par le Comité exécutif lors d’une rencontre qui a eu lieu le 4 octobre 2005. Me Labelle a été mandaté pour enquêter sur des plaintes de harcèlement à l’encontre de la plaignante déposées préalablement par trois délégués de l’Institut. Bien que M. Gillis conseillait le Comité exécutif de l’Institut, la décision prise à l’égard de la plaignante était celle du Comité et non pas la sienne.

9 M. Gillis a également indiqué que bien que la plaignante ait demandé qu’on lui fournisse une copie du rapport de Me Labelle peu de temps après avoir reçu les lettres du 20 octobre 2005, l’Institut a refusé sa demande et a maintenu cette position jusqu’en novembre 2009. Selon lui, à la suite de certaines pressions du conseil d’administration régional du Québec, l’Institut s’est ravisé et a fait parvenir, le 10 novembre 2009, une copie du rapport de Me Labelle à la plaignante.

10 Après avoir reçu le rapport de Me Labelle, la plaignante a fait parvenir une lettre à l’Institut dans laquelle elle demandait un dédommagement de 15 000 $ et des excuses formelles de l’Institut ou, à défaut de présenter les excuses demandées, un dédommagement de 25 000 $. M. Gillis a indiqué que l’Institut avait tout simplement ignoré les demandes de la plaignante.

11 Le 29 juin 2010, la plaignante a écrit au nouveau président de l’Institut, John Corbett, afin de le rencontrer pour discuter des préjudices qu’elle alléguait avoir subis à la suite des plaintes de harcèlement des trois délégués syndicaux en 2005. Selon M. Gillis, l’Institut, après avoir tenté de prendre connaissance des participants et du but de la rencontre, a décliné l’invitation de la plaignante et a réitéré que le dossier était considéré terminé et clos. M. Gillis a ajouté que le même message avait déjà été communiqué par l’ancienne présidente dans une lettre adressée à la plaignante le 6 février 2006.

12 Le 26 octobre 2010, l’Institut a reçu une mise en demeure formelle des avocats de la plaignante, dans laquelle elle réclamait un paiement de 250 000 $ pour un préjudice non spécifié, et cela dans un certain délai, à défaut de quoi une poursuite judiciaire serait intentée contre l’Institut en Cour supérieure du Québec. Deux autres lettres ont fait suite à celle du 26 octobre 2010, soit une datée du 10 janvier 2011 et une autre datée du 13 janvier 2011. L’Institut a alors mandaté ses avocats de répondre formellement aux demandes de la plaignante, ce qui a été fait le 17 janvier 2011.

13 La plaignante a par la suite présenté sa plainte le 7 avril 2011. Selon M. Gillis, sa plainte se rapporte entièrement aux évènements de 2005 et aux mesures correctives prises par l’Institut à l’égard de la plaignante. Selon lui, la plaignante n’a jamais eu recours au processus d’appel interne afin de contester la décision de l’Institut du 20 octobre 2005, bien qu’elle aurait pu se prévaloir de ce droit.

B. Pour la plaignante

14 La plaignante est une infirmière régionale pour les services de santé communautaire du Service correctionnel du Canada, son employeur depuis déjà 23 ans. Elle a été déléguée syndicale à partir de l’année 2000 et est devenue déléguée régionale de l’Institut en 2003, et ce, jusqu’à sa démission le 11 septembre 2007.

15 En 2004, trois délégués de l’Institut ont déposé des plaintes de harcèlement contre la plaignante. L’Institut a, selon la plaignante, appuyé les plaintes et les conclusions du rapport de Me Labelle. Elle déplore le fait qu’elle n’ait pas reçu ledit rapport avant le 10 novembre 2009 et que l’Institut ait ignoré sa demande d’enquête à l’égard des trois délégués qui avaient porté plainte à son égard.

16 Selon la plaignante, elle ne pouvait pas contester les mesures correctives prises par l’Institut en octobre 2005, puisque les fondements sur lesquels s’appuyait l’Institut n’étaient pas divulgués et ne l’ont pas été avant le 10 novembre 2009, à la suite de plusieurs démarches entreprises par celle-ci.

17 La plaignante a indiqué qu’après avoir pris connaissance du rapport de Me Labelle, elle avait fait parvenir un courriel à M. Corbett le 10 novembre 2009, afin de le convaincre de la rencontrer pour qu’elle puisse s’expliquer et s’assurer qu’un tel incident ne se reproduise plus. Je note toutefois que le courriel en question ne fait aucune mention d’une rencontre potentielle et sert plutôt à obtenir un dédommagement pécuniaire de l’Institut. La demande pour une rencontre n’est survenue que le 29 juin 2010, à la suite d’une lettre de la plaignante.

18 La plaignante s’est dite déçue du refus de l’Institut de la rencontrer et a mandaté ses avocats de faire parvenir une mise en demeure à l’Institut dans laquelle la plaignante réclamait la somme de 250 000 $. La mise en demeure a été reçue par l’Institut le 26 octobre 2010. La plaignante a confirmé que la mise en demeure n’avait pas été transmise afin de l’indemniser pour le refus de l’Institut de la rencontrer mais plutôt pour les dommages moraux inhérents aux événements de 2005.

19 La plaignante a indiqué que les avocats de l’Institut avaient fait référence, dans leur réponse, à la possibilité d’une rencontre afin de discuter de la mise en demeure, ce à quoi les avocats de la plaignante ont répliqué. Toutefois, cette possibilité s’est vite dissipée lorsque la plaignante a reçu la lettre des avocats de l’Institut datée du 17 janvier 2011. Selon la plaignante, cette lettre est venue non seulement confirmer qu’aucune rencontre ne prendrait place, mais elle a également été l’élément déclencheur de sa plainte. Son contenu l’a complètement renversé et démoli. Entre autres, elle s’est dite insultée par la menace de l’Institut selon laquelle la possibilité d’un spectre de mauvaise publicité inhérent à une poursuite de sa part se retournerait plutôt contre elle.

20 Le 7 avril 2011, la plaignante a présenté sa plainte. Elle a admis n’avoir entrepris aucune démarche avant ce jour, outre ses demandes pécuniaires, afin de contester les mesures correctives imposées par l’Institut en octobre 2005, et cela nonobstant le fait qu’elle avait reçu le rapport de Me Labelle en novembre 2009.

21 Selon la plaignante, les mesures correctives imposées par l’Institut en octobre 2005 étaient abusives, sans fondement et discriminatoires à son égard. Elle a ajouté que le rapport de Me Labelle était complètement bâclé.

22 M. Yvon Brodeur a été appelé à titre de témoin par l’avocat de la plaignante. M. Brodeur est agent principal des marchés à Pêches et Océans Canada — services des contrats. Il est également membre du conseil d’administration de l’Institut. Celui-ci a témoigné principalement au sujet des efforts déployés par la plaignante afin d’obtenir une copie du rapport de Me Labelle. Toutefois, je n’ai rien retenu de son témoignage qui pourrait m’assister dans la décision que je dois prendre. Je ne vois donc pas l’utilité de reproduire son témoignage intégralement.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

23 Selon l’Institut, si la plaignante considérait les mesures correctives imposées dans ses lettres du 20 octobre 2005 comme étant abusives, discriminatoires et sans fondement, elle se devait d’entreprendre le recours approprié pour contester ses mesures à ce moment même et non pas six ans plus tard.

24 L’Institut a soumis que le paragraphe 190(2) de la Loi prévoyait clairement que la plainte en question devait être présentée dans les 90 jours suivant la date à laquelle la plaignante avait ou aurait dû prendre connaissance des circonstances y donnant lieu. Ce délai, selon l’Institut, est de rigueur et ne peux être prorogé, et cela même si la plaignante ignorait l’existence de ses droits. À ce sujet, l’Institut me renvoie à Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78 (paragr. 55), Hérold c. Alliance de la Fonction publique du Canada et Gritti, 2009 CRTFP 132 (paragr. 13), Éthier c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, 2010 CRTFP 7 (paragr. 18) et Lampron c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2011 CRTFP 29 (paragr. 41).

25 Selon l’Institut, les circonstances ayant donné lieu à la plainte, et dont la plaignante a pris connaissance, remontent au 20 octobre 2005, ce qui signifie que le dépôt de la plainte est largement en dehors du délai prescrit.

26 L’Institut a soulevé que bien que le rapport de Me Labelle n’a pas été remis à la plaignante avant novembre 2009, ceci ne change pas le fait que celle-ci connaissait les conséquences inhérentes à ce rapport dès octobre 2005. Ce n’est pas le rapport de Me Labelle qui impose quoi que ce soit, mais plutôt les lettres du 20 octobre 2005.

27 Selon l’Institut, la plaignante a été avisée le 6 février 2006, c’est-à-dire quelques jours après l’expiration du délai de 90 jours, que le dossier était maintenant considéré fini et clos par l’Institut.

28 La lettre du 17 janvier 2011 n’apporte rien de nouveau et ne fait que reprendre les grandes lignes du rapport de Me Labelle et répondre aux demandes injustifiées de la plaignante. Cette lettre ne peut donc pas représenter l’élément déclencheur donnant lieu à la plainte.

29 L’Institut a également soumis que même si j’accepte que la plaignante n’était pas en mesure de contester les mesures correctives d’octobre 2005 avant le 10 novembre 2009, date à laquelle le rapport de Me Labelle lui a été fourni, il n’en demeure pas moins qu’elle n’a entrepris aucun recours avant le 7 avril 2011, soit près de 17 mois suivant la réception du rapport en question. Donc, la plainte, selon l’Institut, est hors délai même si la date de réception du rapport de Me Labelle est considérée comme l’élément déclencheur.

30 Le fait que la plaignante a demandé une rencontre avec l’Institut, plus particulièrement à la suite de ses demandes pécuniaires de novembre 2009 et d’octobre 2010, ne peut avoir l’effet de proroger le délai de prescription applicable et prévu au paragraphe 190(2) de la Loi. L’Institut m’a renvoyé aux paragraphes 13 et 14 de Shutiak c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 29.

31 Finalement, en réponse à l’allégation de la plaignante selon laquelle des mesures disciplinaires abusives avaient été prises à son endroit, l’Institut a soulevé qu’une plainte en vertu de l’alinéa 188(1)(c) de la Loi est irrecevable si les conditions prévues au paragraphe 190(3) de la Loi ne sont pas rencontrées. La Commission n’a donc pas compétence pour entendre la plainte puisque la plaignante ne s’est jamais prévalue de son recours au processus d’appel interne de l’Institut pour contester les mesures présumément disciplinaires prises à son endroit. L’Institut m’a renvoyé à Daykin c. Syndicat des employé(e)s de l’impôt et al., 2010 CRTFP 61 et Renaud c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 177.

B. Pour la plaignante

32 La plaignante a soutenu que bien que l’Institut ait mentionné à plusieurs reprises que son dossier était clos, elle ne l’a jamais considéré ainsi avant le 17 janvier 2011.

33 Pour la plaignante, la lettre du 17 janvier 2011 a représenté l’élément déclencheur de sa plainte puisqu’elle est venue confirmer de façon définitive le refus de l’Institut de la rencontrer dans le but de régler leurs conflits. Ce refus, selon elle, contrevient à l’obligation de juste représentation prévue par l’article 187 de la Loi.

34 La plaignante a soutenu qu’elle ne pouvait pas contester les mesures correctives d’octobre 2005 puisqu’elle ne connaissait pas, à ce moment, le contenu du rapport de Me Labelle sur laquelle se fondait la décision de l’Institut. Lorsqu’elle a pris connaissance du rapport en question, elle a demandé une rencontre avec l’Institut. Le refus de l’Institut ne lui a été communiqué que le 17 janvier 2011. Conséquemment, la plaignante soutient que sa plainte n’est pas hors délai.

35 Selon la plaignante, le contenu de la lettre du 17 janvier 2011 est venu confirmer la conduite cavalière et de mauvaise foi de l’Institut, ce qui constitue une pratique déloyale. La plaignante soutient avoir été offusquée par la menace de l’Institut mentionné dans cette lettre voulant que la possibilité d’un spectre de mauvaise publicité inhérent à une poursuite de sa part se retournerait plutôt contre elle.

IV. Motifs

36 La présente décision traite exclusivement de l’objection du défendeur selon laquelle la plainte est hors délai. La recevabilité est un facteur primordial et l’élément déterminant se retrouve au paragraphe 190(2) de la Loi qui prévoit que :

190. (2) […] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

37 Le caractère obligatoire du paragraphe 190(2) de la Loi a été confirmé à maintes reprises par la Commission. La limite de temps attribué au dépôt d'une plainte doit dans tous les cas être respectée, tel qu’il est précisé dans Castonguay, Hérold, Éthier et Lampronauxquels l’Institut fait référence. Pour ce qui est de l'interprétation du paragraphe 190(2) de la Loi, la Commission a écrit ce qui suit au paragraphe 55 de Castonguay :

[55] Le libellé de cette disposition revêt manifestement un caractère obligatoire en raison des mots « […] doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours […] ». Aucune autre disposition de la nouvelle LRTFP n'habilite la Commission à proroger le délai prescrit par le paragraphe 190(2). Par conséquent, le paragraphe 190(2) de la nouvelle LRTFP fixe une limite de temps, limitant ainsi le pouvoir de la Commission d'examiner et d'instruire toute plainte voulant qu'une organisation syndicale s’est livrée à une pratique déloyale de travail, au sens de l'article 185 (lequel est mentionné à l'alinéa 190(1)g) de la nouvelle LRTFP), et cela vaut pour les actions ou circonstances dont le plaignant avait connaissance ou, de l'avis de la Commission, aurait dû avoir connaissance, dans les 90 jours précédant la date de la plainte.

38 L’étendue de ma compétence est de déterminer, sur la base des faits qui me sont présentés, la date à laquelle le délai de 90 jours a commencé à courir, autrement dit celle à laquelle la plaignante a eu ou aurait dû prendre connaissance des mesures ou des circonstances donnant lieu à sa plainte, ce qui représente purement une question de fait.

39 La plaignante a présenté sa plainte le 7 avril 2011, ce qui veut dire qu'elle doit être fondée sur des mesures ou des circonstances dont elle avait ou aurait dû prendre connaissance au plus tard le 7 janvier 2011. Toutes mesures ou circonstances attribuables au défendeur qui se sont produites avant cette date et dont la plaignante avait pris connaissance ne peuvent donc pas avoir donné lieu à cette plainte car elles seraient indubitablement hors délai.

40 Sur la base de mon examen de la preuve déposée par les parties, tant testimoniale que documentaire, je suis convaincu que la plaignante avait ou aurait dû prendre connaissance des mesures ou des circonstances donnant lieu à sa plainte dès le 20 octobre 2005, date à laquelle les mesures correctives lui ont été communiquées, ou au plus tard le 10 novembre 2009, date à laquelle le rapport de Me Labelle lui a été remis. Peu importe laquelle des deux dates est utilisée, la plainte a été présentée bien au-delà des 90 jours alloués.

41 Je souscris à l’argument de l’Institut voulant que bien que le rapport de Me Labelle n’a pas été remis à la plaignante avant novembre 2009, ceci ne change pas pour autant le fait que celle-ci connaissait les conséquences inhérentes à ce rapport dès octobre 2005 et que ce n’est pas le rapport de Me Labelle qui a imposé les mesures correctives contestées, mais plutôt les lettres du défendeur du 20 octobre 2005. Rien n’empêchait la plaignante d’entreprendre le recours approprié à l’intérieur du délai et de demander à la Commission ou au Comité d’appel interne qu’une copie du rapport lui soit remis avant l’audience.

42 Je ne peux toutefois souscrire à l’argument de la plaignante voulant que la lettre du 17 janvier 2011, qui présumément confirme de façon définitive le refus de l’Institut de la rencontrer dans le but de régler leurs conflits, représente l’élément déclencheur de sa plainte.

43 La lettre du 17 janvier 2011 renvoie aux faits et évènements tels qu’ils sont énoncés dans les lettres du défendeur du 20 octobre 2005, ainsi que dans le rapport de Me Labelle. Cette lettre n’apprend rien de nouveau à la plaignante car celle-ci connaissait ces faits depuis octobre 2005, ou au plus tard depuis le 10 novembre 2009.

44 Rien dans la lettre du 17 janvier 2011 ne pourrait être considéré comme étant un élément déclencheur donnant lieu à une plainte de ce genre. Et nul ne peut faire fi du contexte dans lequel la lettre en question a été remise. Il s’agit d’une réponse à une mise en demeure formelle, rédigée par les avocats du défendeur et adressée aux avocats de la plaignante. Contrairement à ce que la plaignante a soutenu, je suis d’avis que l’élément déclencheur existait depuis fort longtemps et qu’il était bien connu de la plaignante, à un point tel qu’elle avait exigé un dédommagement de 25 000 $ en novembre 2009, après avoir pris connaissance du rapport de Me Labelle, et mandaté ses avocats d’émettre une mise en demeure dans laquelle elle exigeait un paiement de 250 000 $ en octobre 2010. Selon la preuve, la mise en demeure n’avait pas été transmise afin de compenser la plaignante quant au refus de l’Institut de la rencontrer mais plutôt pour les dommages moraux présumément inhérents aux événements de 2005.

45 Bien que la plaignante se soit dite offusquée par la menace de l’Institut selon laquelle la possibilité d’un spectre de mauvaise publicité inhérent à une poursuite de sa part se retournerait plutôt contre elle, je note que dans sa lettre du 29 juin 2010, celle‑ci brandissait le même genre de menace à l’égard de l’Institut.

46 Il est évident, à la lecture même de la plainte, que les mesures et circonstances donnant lieu à cette plainte sont celles d’octobre 2005, qui ont été précisées en novembre 2009 par la réception du rapport de Me Labelle. Les témoignages de M. Gillis et de la plaignante sont venus confirmer ce fait.

47 La plaignante a tenté de me convaincre que ses tentatives de rencontrer le défendeur afin de tenter de lui faire changer sa décision ou d’en venir à une entente sur un dédommagement quelconque avaient eu pour effet de retarder la date à laquelle celle-ci avait pris connaissance des circonstances donnant lieu à sa plainte. Dans Éthier, la Commission s’est prononcé sur cette question et a fait les commentaires suivants au paragraphe 21 :

[…]

[21] […] Le délai pour déposer une plainte n’est pas pour autant prolongé par les tentatives d’un plaignant de convaincre le syndicat de revenir sur sa décision. Dans la mesure où il y a une violation de la loi, il n’y a pas de norme minimale ou maximale pour ce qui est du degré de connaissance que doit avoir un plaignant avant de déposer sa plainte.

[…]

48 Dans Lampron, j’ai écrit ce qui suit :

[46] […] même si j’acceptais que le plaignant ait eu des discussions avec des représentants de l’Institut, pour renverser la décision de l’expulser tel qu’allégué durant son témoignage, ou qu’il ait tenté de convaincre le défendeur de revenir sur sa décision pendant la rencontre du 5 septembre 2009, ce que la preuve n’a pas établi, cela ne pourrait pour autant avoir l’effet de changer la date à laquelle il eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des faits qui ont donné lieu à sa plainte. Nonobstant les efforts déployés par le plaignant en vue de résoudre ce conflit, la Loi exigeait tout de même que sa plainte soit déposée dans le délai prescrit (voir Boshra, paragraphe 47). Si la rencontre du 5 septembre 2009 avait été fructueuse, le plaignant n’aurait eu qu’à retirer sa plainte.

49 Je conclus donc que les circonstances en l’espèce n’ont pas été prolongées par la persistance de la plaignante à demander une rencontre avec le défendeur.

50 La plaignante a également tenté de me convaincre que le refus du défendeur de la rencontrer, tel qu’il a été confirmé dans sa lettre du 17 janvier 2011, représente la pratique déloyale et plus particulièrement la mesure donnant lieu à sa plainte. Cet argument, tel que l’a suggéré le défendeur, ne tient pas la route. Un tel refus ne peut tout simplement pas faire l’objet d’une plainte fondée sur les alinéas 188c), d) et e) de la Loi.

51 En l’espèce, la connaissance, dès le 20 octobre 2005, de la décision du défendeur d’imposer des mesures correctives à son égard est l’élément déclencheur de la violation alléguée par la plaignante et du délai de 90 jours. Je suis donc convaincu que la plaignante n’a pas déposé sa plainte dans le délai prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi.

52 Pour ces raisons, je souscris donc à l’objection du défendeur, à savoir que la plainte en question est irrecevable puisqu’elle est hors délai.

53 Comme j’ai déjà conclu que la plainte est irrecevable, n’ayant pas été déposée dans le délai prescrit, je n’ai pas à me pencher sur le deuxième volet de l’argument du défendeur ayant trait à la non-recevabilité de la plainte en vertu de l’alinéa 188c) de la Loi.

54 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

La plainte est rejetée.

Le 9 décembre 2011.

Stephan J. Bertrand,
commissaire

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.