Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte contre le président de sa section locale (le <<défendeur>>), alléguant qu’il aurait manqué à son devoir de représentation équitable - à la réception de renseignements provenant de membres de l'unité de négociation, selon lesquels l'employeur traitait incorrectement une question de dotation, le défendeur a écrit au président de l'employeur pour demander l'annulation de la pratique de dotation en cours - la plaignante occupait le poste en question sur une base intérimaire et participait au processus de dotation - la plaignante n’a pas mis en doute le droit du défendeur de se plaindre du processus de dotation, mais elle a contesté le fait que la lettre la nommait à titre de titulaire intérimaire du poste, et elle s'est plainte que le défendeur n'avait pas correctement donné suite à ses préoccupations en refusant de reconnaître ou de discuter de l'affaire avec elle - elle a allégué que la lettre suggérait une faute de sa part et qu’elle représentait de la mauvaise foi - la Commission a déclaré que la plaignante ne s'était pas acquittée du fardeau de la preuve relativement à la mention de son nom par mauvaise foi et au caractère arbitraire du refus du défendeur de la représenter - le défendeur n'était pas tenu de représenter la plaignante et, au mieux, ses préoccupations étaient prématurées - le défendeur n'a pas refusé de la représenter; il l'a simplement informée qu'il souhaitait attendre la réponse de l'employeur à sa lettre avant de discuter de l'affaire avec elle. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-04-05
  • Dossier:  561-02-474
  • Référence:  2011 CRTFP 41

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

JULIE SHOULDICE

plaignante

et

JEAN-PIERRE OUELLET

défendeur

Répertorié
Shouldice c. Ouellet

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, commissaire

Pour la plaignante:
Elle-même

Pour le défendeur:
Jerry Kovacs, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 17 septembre, 15 novembre et les 7 et 17 décembre 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 16 juillet 2010, Julie Shouldice (la « plaignante ») a déposé une plainte contre Jean-Pierre Ouellet (le « défendeur »), président de la section locale 70044 de l’élément national de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »). La plaignante fonde sa plainte sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), qui, à son tour, renvoie à l’article 185 de la Loi. Elle allègue que le défendeur a contrevenu à son devoir de représentation équitable en omettant ou en refusant de la représenter dans un dossier de dotation. La plainte renvoie expressément aux dispositions suivantes de la Loi :

[…]

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[…]

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[…]

2 La plaignante allègue que, le 19 mai 2010, le défendeur a envoyé une lettre au président de l’Agence canadienne de développement internationale, l’employeur de la plaignante, dans laquelle il a demandé l’annulation d’un processus de dotation en cours d’un poste classifié PM-06. La plaignante participait à ce processus tout en s’acquittant, à titre intérimaire, des tâches du poste à doter. Une copie de la lettre du défendeur a été jointe à la plainte. Essentiellement, la plaignante soutient que cette lettre et l’omission du défendeur de donner suite à ses inquiétudes équivalent à une violation de l’article 190 de la Loi. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

3 La plaignante ne conteste pas le droit du défendeur de déposer une plainte à l’égard d’un processus de dotation ni le rôle de son agent négociateur dans de telles circonstances. Toutefois, elle se plaint du fait que la lettre du défendeur mentionnait expressément son nom en tant que titulaire par intérim du poste à l’égard duquel le processus de dotation était contesté. 

4 La plaignante est d’avis que la mention de son nom contrevenait à l’article 190 de la Loi pour les deux raisons suivantes.

5 D’une part, elle allègue qu’en mentionnant son nom plutôt que « le ou la titulaire » ou « l’employé(e) occupant le poste à doter », et en renvoyant à l’issue d’un processus antérieur auquel elle avait participé, le défendeur a rendu sa demande à l’employeur inutilement personnalisée. Ce faisant, il a agi de mauvaise foi.

6 La plaignante fait valoir que, puisque son nom est le seul nom mentionné dans la lettre du 19 mai 2010 et qu’aucun des représentants de l’employeur prenant part au processus de dotation n’a été nommé dans la lettre, il est sous-entendu qu’elle a commis un acte répréhensible.

7 La plaignante soutient en outre qu’en envoyant la lettre du 19 mai 2010 sans en souligner le caractère « confidentiel » ou « secret », le défendeur a permis que des accusations d’inconduite circulent à l’égard de la plaignante dans son lieu de travail et potentiellement à l’extérieur de celui-ci. J’ai remarqué cependant que la plaignante n’a produit aucune preuve corroborante pas plus qu’elle n’a fourni de précision à cet effet.

8 La plaignante soutient que, comme la décision du défendeur de personnaliser sa demande n’a servi aucune fin valable autre que de la cibler personnellement, je dois conclure qu’il a agi de mauvaise foi.

9 De plus, la plaignante allègue qu’en choisissant de la mettre en cause dans ce qu’elle appelle un différend, et plus particulièrement en mentionnant son nom dans la lettre du 19 mai 2010, le défendeur a assumé une responsabilité de facto de représenter ses intérêts, dans la même mesure où il représentait les intérêts de ceux qui avaient exprimé des inquiétudes au sujet du processus de dotation.

10 La plaignante déclare aussi que le défendeur n’a pas représenté ses intérêts en tant que membre de l’unité de négociation parce qu’il a refusé de reconnaître le problème ou d’en discuter avec elle, et ce, même si elle avait demandé à l’agent négociateur de lui faire part de ses commentaires. Il s’agit là, selon la plaignante, d’un usage arbitraire du pouvoir du défendeur. 

11 Du fait de la violation alléguée, la plaignante demande les mesures de réparation suivantes :

1) des excuses de la part du défendeur pour la manière dont il a traité la situation;

2) un examen, par l’agent négociateur, de la façon dont ce type de situation devrait être réglé à l’avenir;

3) une indemnisation égale au total des cotisations syndicales qu’elle a versées dans l’année qui a précédé le dépôt de la plainte, estimées à 1 298 $.

B. Pour le défendeur

12 Le défendeur déclare que la plaignante a fait des inférences injustifiées et des hypothèses erronées à propos des motifs qui l’animaient. Il nie que les faits allégués témoignent de sentiments d’hostilité ou de mauvaise volonté à l’égard de la plaignante. En outre, selon le défendeur, il a toujours nié avoir été ainsi motivé.

13 Le défendeur déclare que plusieurs membres de l’unité de négociation lui ont remis des renseignements révélant que l’employeur agissait de manière inappropriée dans un dossier de dotation en particulier. Il soutient qu’en portant ces renseignements à l’attention de l’employeur et en cherchant un moyen de corriger la situation, il a agi de la façon dont un dirigeant de l’agent négociateur doit agir, soit de manière responsable, diligente, équitable et de bonne foi.

14 D’après le défendeur, sa lettre du 19 mai 2010 consistait en une demande d’examen d’un processus de dotation. Il a fait cette demande légitimement pour le compte d’autres membres concernés de l’unité de négociation; l’objectif n’était pas d’entamer un litige devant le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « TDFP »), le tribunal administratif chargé d’entendre et de trancher les plaintes officielles en matière de dotation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la « LEFP »). Le défendeur ajoute que le processus de dotation en question n’avait pas été achevé, qu’aucune plainte n’avait été déposée sous le régime de la LEFP et qu’aucun grief n’avait été déposé pour le compte de l’un ou l’autre des membres concernés de l’unité de négociation. D’après l’examen que j’ai fait des documents versés au dossier, ces arguments de faits n’ont pas été contestés par la plaignante.

15 Le défendeur ajoute qu’étant donné le nombre limité d’employés touchés par les questions de dotation soulevées dans sa lettre, tous ceux que le processus de dotation en question concernait — y compris les membres de l’unité de négociation qui ont demandé l’aide du défendeur, ainsi que les gestionnaires concernés — savaient que la plaignante était la titulaire du poste par intérim. Le défendeur soutient que dans les circonstances, il a à juste titre mentionné le nom de la plaignante et sa situation dans sa demande en vue de la tenue d’un examen du processus et qu’il n’y a lieu de tirer aucune inférence négative de cette mention.

16 Le défendeur soutient que, bien qu’il ait demandé que les gestionnaires à qui l’employeur avait délégué un pouvoir de dotation soient tenus responsables des processus et de valeurs appropriés en matière de dotation, il n’a jamais allégué quelque acte fautif ou répréhensible ou autre comportement négatif que ce soit de la part de la plaignante. Il fait valoir qu’il n’a jamais agi de mauvaise foi, par malice ou dans un but préjudiciable à l’endroit de cette dernière.

17 Bien qu’il admette la possibilité — et même la probabilité — que d’autres membres de la même unité de négociation aient des intérêts opposés dans le cadre d’une plainte déposée auprès du TDFP au sujet d’un processus de dotation, il réitère que, lorsque la plainte de pratique déloyale de travail de la plaignante a été déposée, aucune plainte de dotation n’avait été déposée et aucune instance litigieuse n’avait été entamée. Encore une fois, mon examen des documents qui ont été produits n’indique pas le contraire.

18 Le défendeur nie avoir implicitement ou d’une autre manière assumé un devoir d’offrir une représentation à la plaignante en mentionnant son nom dans sa lettre du 19 mai 2010, plutôt que de renvoyer à la plaignante comme étant « la titulaire » du poste à doter.

19 Le défendeur soutient qu’il aurait pu offrir et qu’il aurait offert une représentation à la plaignante au besoin mais que, pendant toutes les périodes pertinentes, l’employeur n’a donné aucune réponse à sa lettre, aucune plainte de dotation n’a été ou n’a dû être déposée auprès du TDFP et aucun litige n’a été entamé pour le compte ou à l’encontre de la plaignante. Le défendeur a ajouté que la plaignante n’a, à aucun moment, demandé une aide particulière dans un dossier donné; la plaignante n’a pas contesté cet argument de faits.

20 En réponse à l’allégation de la plaignante qu’il n’était pas disposé à discuter de la question avec elle, le défendeur soutient qu’il a répondu à la plaignante le 21 mai 2011 dans un courriel indiquant qu’il préférait ne pas commenter davantage les inquiétudes de la plaignante jusqu’à ce qu’il obtienne les résultats de l’examen qu’il avait demandé à l’employeur. Le courriel en question est joint à la plainte.

21 Le défendeur soutient également que les mesures de réparation demandées par la plaignante excèdent la portée de mon pouvoir de redressement et qu’elles ne sont appuyées ni par la Loi ni par les décisions antérieures de la Commission. Le défendeur ajoute que la plaignante n’a fourni aucune preuve spécifique d’un impact sur sa réputation personnelle ou d’un impact, quel qu’il soit, sur le plan personnel.

22 En résumé, le défendeur soutient que la plainte ne révèle à première vue aucune violation de la Loi.

C. La réplique de la plaignante

23 La plaignante soutient que la lettre du défendeur à son employeur aurait dû être tenue confidentielle et que l’omission à cet égard a nui à sa crédibilité et à sa réputation. Elle ajoute que l’absence d’un effort minimal de la part du défendeur pour préserver sa vie privée est une autre preuve de la mauvaise foi du défendeur. 

24 La plaignante conteste la façon dont le défendeur a donné suite à ses inquiétudes, renvoyant au fait qu’il n’a pas reconnu le problème et qu’il n’était pas disposé à en discuter, ce qui lui a donné l’impression qu’il n’était plus prêt ni disposé à représenter ses intérêts.

III. Motifs

25 Je suis convaincu que les arguments écrits des parties au dossier me permettent de trancher cette plainte de pratique déloyale de travail sans tenir d’audience, car il n’y a aucune question autre que celle de la qualification de la preuve. Le pouvoir de procéder de cette manière m’est conféré par l’article 41 de la Loi, dont voici le libellé :

41. La Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience.

26 Pour les motifs qui suivent, j’en suis arrivé à la conclusion que la plainte ne démontre pas, à sa lecture, l’existence d’un manquement au devoir de représentation équitable de la part du défendeur; j’ai donc déterminé qu’elle devait être rejetée.

27 Ainsi que la Commission l’a déclaré dans Ouellet c. Luce St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107, le fardeau de la preuve dans une plainte déposée en vertu de l’article 187 de la Loi incombe au plaignant. Pour s’acquitter de ce fardeau, la plaignante doit présenter une preuve suffisante pour établir que l’agent négociateur ou l’un de ses représentants ne s’est pas acquitté de son devoir de représentation équitable.

28 Dans Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28, au paragraphe 17, la Commission a formulé les commentaires suivants sur le droit à une représentation et rejeté l’idée qu’il s’apparentait à un droit absolu :  

17. La défenderesse, en tant qu’agent négociateur, a le droit de refuser de représenter un membre, et une plainte devant la Commission n’est pas un mécanisme d’appel contre un tel refus. La Commission ne va pas remettre en question la décision de l’agent négociateur. Le rôle de la Commission est de statuer sur le processus décisionnel de l’agent négociateur et non sur le bien-fondé de sa décision. […]

29 J’ai examiné soigneusement les faits allégués par la plaignante dans le but d’y trouver la preuve d’un comportement discriminatoire, arbitraire ou fondé sur la mauvaise foi de la part du défendeur, mais en vain. Les deux allégations formulées par la plaignante qui doivent être examinées tiennent au fait que le défendeur a mentionné, de mauvaise foi, son nom dans sa lettre du 19 mai 2010 et que sa décision de ne pas la représenter a été prise de manière arbitraire. Est-ce que les faits présentés par la plaignante à l’appui de ces allégations constituent un argument valable selon lequel défendeur a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire? Je ne le crois pas.

30 Ainsi qu’il y est fait allusion dans Halfacree, le rôle de la Commission n’est pas de déterminer si la décision du défendeur de représenter la plaignante ou la  manière dont il a représenté cette dernière étaient appropriées ou justes, bonnes ou mauvaises, ou même fondées ou non. Il consiste plutôt à déterminer si le défendeur a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire dans le processus de décision relatif à la représentation. Le pouvoir discrétionnaire conféré aux agents négociateurs et à leurs représentants de déterminer s’il y a lieu de représenter des membres de l’unité de négociation et la manière de le faire est vaste, mais non absolu. La portée de ce pouvoir discrétionnaire a été énoncée par la Cour suprême du Canada (« CSC ») dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509, page 527. Dans cette décision, la CSC décrit les principes sous-jacents au devoir de représentation équitable dans les termes suivants :

[…]

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

31 Les plaintes de manquement au devoir de représentation équitable ainsi que la preuve requise pour soutenir une allégation de mauvaise foi ou de conduite arbitraire ont été examinées par la Commissions dans un nombre considérable de décisions et par les Cours fédérales dans des décisions rendues dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire. La Commission s’est penchée récemment sur la nature de la prise de décision arbitraire dans Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95, et ce faisant a renvoyé à certaines des décisions faisant autorité la manière suivante :

[…]

22 Sur le terme arbitraire, la Cour suprême du Canada, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, écrit au paragraphe 50 :

Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée.

[…]

23 Dans International Longshore and Wharehouse Union, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Empire International Stevedores Ltd. et al., [2000] A.C.F. no 1929 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale, sur la question du caractère arbitraire d’une décision, écrit que, pour faire la preuve d’un manquement au devoir de représentation équitable, « […] le plaignant doit convaincre le Conseil que les investigations faites par le syndicat au sujet du grief étaient sommaires et superficielles ».

[…]

32 Ces décisions donnent à penser que les agents négociateurs et leurs représentants devraient jouir d’une grande latitude dans les décisions qu’ils prennent en matière de représentation. Comme la Commission a récemment déclaré dans Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 128, paragraphe 38, « […] La barre pour faire la preuve d’une conduite arbitraire — ou discriminatoire ou de mauvaise foi — est placée très haut à dessein. […] ». Pour s’acquitter de ce fardeau, la plaignante doit présenter un argument valable qu’il y a eu violation de l’article 187 de la Loi, lequel, à son tour, l’oblige à prouver que la décision de l’agent négociateur de ne pas la représenter a été prise de façon sommaire et superficielle. J’en arrive à la conclusion que la plaignante n’a pas fait cette preuve. Je n’arrive pas à trouver, dans les arguments de la plaignante, la preuve d’une conduite arbitraire, d’un traitement discriminatoire ou d’une décision prise de mauvaise foi par le défendeur qui est suffisante pour établir une violation de l’article 187 de la Loi, selon la prépondérance des probabilités.

33 Je suis convaincu que le défendeur a démontré qu’il n’avait aucune obligation de représenter la plaignante, étant donné que sa lettre du 19 mai 2010 consistait principalement à demander à l’employeur d’examiner un processus de dotation donné qui était en cours, une mesure que le défendeur a prise en raison des inquiétudes exprimées par des membres de l’unité de négociation. En outre, aucune preuve au dossier n’indique que le processus de dotation en question avait été achevé, que la plaignante était celle dont la candidature avait été retenue ou était sur le point de l’être, qu’elle subirait automatiquement un impact négatif si l’employeur choisissait d’aller de l’avant avec son processus d’une manière différente, qu’une plainte officielle en matière de dotation avait été déposée sous le régime de la LEFP, ou qu’un grief ou toute autre instance litigieuse avait été entamé pour quiconque était touché par le processus de dotation en question. De même, aucune preuve n’indique que l’employeur a répondu à la lettre du défendeur du 19 mai 2010 ou que des arguments ou une comparution en bonne et due forme étaient requis de l’employeur en ce qui a trait au processus de dotation. Dans le meilleur des cas, les préoccupations de la plaignante, telles qu’elles sont formulées dans sa plainte, sont prématurées.

34 Je suis d’avis que les inférences et les hypothèses formulées par la plaignante à propos des motifs du défendeur ne reposent simplement pas sur un fondement factuel raisonnable. Le fait que le défendeur fasse référence à la plaignante en mentionnant son nom dans sa lettre du 19 mai 2010 et la manière dont il l’a fait ne donnent pas lieu à un devoir de représentation tel qu’il est envisagé à l’article 190 de la Loi, pas plus qu’ils ne constituent un comportement de mauvaise foi ou arbitraire de la part du défendeur ou de l’agent négociateur.

35 Même si je supposais que tous les faits allégués par la plaignante dans sa plainte ou dans ses arguments subséquents sont véridiques, je suis d’avis que cette plainte ne rapporte aucun argument valable voulant qu’il y ait eu violation de l’article 190 de la Loi.

36 Je ne reproche pas à la plaignante d’affirmer que, lorsqu’un agent négociateur ou l’un de ses représentants convient de représenter des membres de l’unité de négociation dans le cadre d’une plainte en matière de dotation devant le TDFP, il le fait sûrement au détriment possible d’un autre membre de l’unité de négociation dont la candidature a été retenue dans le cadre du processus de dotation. À cet égard, le défendeur a reconnu que le rôle de représentation qu’il doit assumer dans le cadre des plaintes en matière de dotation, dans lesquelles les intérêts de plusieurs membres peuvent être opposés, est sans contredit compliqué, mais qu’il demeure un rôle viable. Que cela soit vrai ou non, il demeure que ce n’est pas l’état des faits qui m’a été présentée en l’espèce, puisqu’il n’y a aucune preuve qu’une plainte en matière de dotation a effectivement été, à quelque moment que ce soit, déposée devant le TDFP à l’encontre du processus de dotation décrit dans la présente affaire.

37 Même si une plainte en matière de dotation avait été déposée par le défendeur ou l’agent négociateur au détriment possible de la plaignante, à supposer évidemment que cette dernière ait déjà été retenue dans le cadre du processus de dotation contesté — deux éléments qui ne sont pas factuels — la plaignante aurait quand même été tenue de convaincre la Commission que le droit à une représentation devant un tribunal administratif comme le TDFP s’applique à une affaire ou un différend traité par la Loi ou par la convention collective (voir Lavoie c. Alliance de la Fonction publique du Canada et Lachapelle, 2009 CRTFP 143, et Elliott c. Canadian Merchant Service Guild et al., 2008 CRTFP 3). Bien qu’il puisse convenir de débattre cette question, les faits tels qu’ils ont été exposés par les parties dans la présente affaire ne dépeignent pas un tel scénario, car rien n’indique que le défendeur a déposé une plainte en matière de dotation.

38 Certes, le défendeur aurait pu choisir de donner suite aux inquiétudes de la plaignante d’une manière différente, mais cette décision appartient à l’agent négociateur et elle ne donne pas lieu, en soi, à un manquement à l’article 190 de la Loi, surtout compte tenu du contexte dans lequel le manquement allégué s’est produit.

39  Pour ces motifs, je conclus que la plaignante n’a pas réussi, dans sa plainte et dans ses arguments, à prouver que le défendeur s’est livré à une pratique déloyale de travail.

40 Puisque j’ai déterminé qu’aucune pratique déloyale de travail n’a été commise, je ne me pencherai pas sur la question de la réparation, si ce n’est pour dire que les décisions récentes de la Commission sur le pouvoir de réparation n’appuient pas nécessairement tous les arguments du défendeur à ce sujet.

41 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit:

IV. Ordonnance

42 La plainte est rejetée.

Le 5 avril 2011.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
commissaire

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