Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le défendeur a expulsé le plaignant de ses rangs - 271 jours après avoir eu connaissance de son expulsion, le plaignant a déposé une plainte de pratique déloyale - le défendeur a objecté que la plainte était tardive - la Commission a décidé qu’en l’espèce, le plaignant n’était pas astreint à suivre la procédure établie par le défendeur pour faire appel de son expulsion - la Commission a confirmé que le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi pour le dépôt d’une plainte est de rigueur - la Commission a conclu qu’une rencontre fortuite du plaignant avec le secrétaire exécutif du défendeur plusieurs mois après l’expulsion du plaignant, pendant laquelle ils ont discuté de l’expulsion du plaignant, ne changeait pas la date à laquelle le plaignant avait eu connaissance de son expulsion. Objection accueillie. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-02-28
  • Dossier:  561-34-417
  • Référence:  2011 CRTFP 29

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

GASTON LAMPRON

plaignant

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

Répertorié
Lampron c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, commissaire

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour le défendeur:
Lise Leduc, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 3 février 2011.

I. Plainte devant la Commission

1 Cette décision porte sur la recevabilité d’une plainte dans laquelle Gaston Lampron (le « plaignant ») a allégué que son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« Institut » ou le « défendeur »), s’est livré à une pratique déloyale de travail. La plainte en question a été présentée par le plaignant le 26 octobre 2009.

2 Dans sa plainte, le plaignant a invoqué l’alinéa 190(1)g) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, comme étant la disposition de la Loi sur laquelle sa plainte est fondée. Cet alinéa se lit comme suit :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

3 Le plaignant précise dans sa plainte que le défendeur a enfreint l’alinéa 188d) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

188. Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

[…]

d) d’expulser un fonctionnaire de l’organisation syndicale, de le suspendre, de prendre contre lui des mesures disciplinaires ou de lui imposer une sanction quelconque parce qu’il a exercé un droit prévu par la présente partie ou la partie 2 ou qu’il a refusé d’accomplir un acte contraire à la présente partie;

[…]

4 Dans sa réplique écrite, le défendeur a soulevé une question préliminaire, à savoir que la plainte était irrecevable et qu’elle devait être rejetée de façon sommaire puisqu’elle n’avait pas été déposée à l’intérieur du délai prévu par le paragraphe 190(2) de la Loi, qui énonce ce qui suit :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

5 Bien que la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») ait initialement invité les parties à déposer des arguments écrits complémentaires sur la question du délai de présentation de la plainte, ce que les parties ont fait, j’ai tout de même cru bon de convoquer une audience afin de mieux comprendre et apprécier la preuve et les arguments des parties sur cette question préliminaire, et plus particulièrement la détermination de la date à partir de laquelle le plaignant avait, ou aurait dû avoir, connaissance des circonstances donnant lieu à sa plainte.

6 Les parties n’étaient pas disponibles pour audience avant le 3 février 2011. L’objet unique de l’audience était de déterminer si la plainte du plaignant avait été présentée dans les 90 jours suivant la date à laquelle le plaignant connaissait, ou aurait dû connaître, les circonstances donnant lieu à sa plainte. Pour les motifs qui suivent j’ai déterminé que la plainte en question a été déposée bien en dehors de ce délai.  

II. Faits relatifs à la question préliminaire

7 Avant d’entendre les parties, j’ai réitéré les paramètres de l’audience en précisant que les parties devaient s’en tenir à la preuve et aux arguments ayant trait à la question préliminaire, ce qu’elles ont fait.

8 Les faits concernant la question du délai de présentation ont été présentés par deux témoins, soit Edward Gillis, secrétaire exécutif du défendeur, qui a introduit cinq pièces à l’appui de son témoignage, et le plaignant lui-même, qui n’a introduit aucune preuve documentaire.

9 M. Gillis a témoigné qu’il avait fait parvenir, le 19 janvier 2009, une lettre au plaignant l’avisant que l’Institut avait pris connaissance de sa participation au sein d’un groupe nommé l’Association des Professionnels de l’Agence (APA). Selon l’Institut, ce groupe se livrait à des activités de maraudage à l’endroit de membres dont l’Institut était l’agent négociateur dûment accrédité. La lettre de M. Gillis soulignait le fait que les activités de l’APA nuisaient considérablement aux intérêts de l’Institut et que l’implication du plaignant au sein de l’APA était synonyme d’extrême inconduite. Finalement, cette lettre visait à informer le plaignant que l’Institut envisageait des mesures disciplinaires à son égard et lui offrait la possibilité de faire une déclaration écrite au Comité exécutif de l’Institut, laquelle serait considérée avant qu’une décision finale soit prise en ce qui a trait à la sanction appropriée. La déclaration du plaignant devait être reçue par l’Institut au plus tard le 22 janvier 2009.

10 M. Gillis a confirmé qu’il avait préalablement visité le site Web de l’APA et que l’information contenue dans ce site confirmait que le plaignant était membre de l’exécutif de l’APA et qu’il critiquait ouvertement et sévèrement les activités de l’Institut, et que le but de l’APA était de révoquer l’accréditation du défendeur comme agent négociateur des employés faisant partie de l’unité de négociation de la vérification et du personnel financier et scientifique travaillant à l’Agence du revenu du Canada.

11 Selon M. Gillis, le plaignant ne s’est pas prévalu de son opportunité de fournir une déclaration écrite au Comité exécutif de l’Institut et le Comité en question en est venu à la conclusion qu’une sanction disciplinaire sévère s’imposait dans les circonstances. Le 28 janvier 2009, M. Gillis a fait parvenir au plaignant une lettre l’avisant de son expulsion permanente comme membre de l’Institut. La lettre en question citait plusieurs facteurs qu’avait considérés le Comité et avisait le plaignant de son droit d’en appeler de cette décision au Conseil d’administration de l’Institut en vertu de la Politique de règlement des différents (la « Politique ») du défendeur, qui était, selon le contenu de la lettre du 28 janvier 2009 et le témoignage de M. Gillis à cet effet, jointe à la lettre du 28 janvier 2009.

12 La Politique a été déposée en preuve et revue par M. Gillis lors de son témoignage. Selon ce dernier, la Politique prévoit clairement que les parties disposent de 14 jours pour en appeler au Conseil d’administration de l’Institut au moyen d’arguments écrits et que le plaignant ne s’est pas prévalu de son droit de porter la décision du Comité exécutif en appel. M. Gillis a ajouté qu’il était d’avis que le plaignant était très familier avec la Politique, ayant été un membre actif de l’Institut et l’un de ses vice-présidents pendant plusieurs années. Bien que la Politique est entrée en vigueur le 17 janvier 2009, M. Gillis a précisé qu’à l’exception de quelques modifications apportées à la nouvelle Politique, une politique identique visant à clarifier la terminologie des groupes dont les statuts faisaient état d’un pouvoir disciplinaire existait préalablement.

13 M. Gillis a ajouté qu’à l’expiration du délai d’appel de 14 jours, l’Institut considérait ce dossier comme étant clos. M. Gillis ne pouvait se rappeler d’aucune communication avec le plaignant entre le 28 janvier 2009 et le 4 septembre 2009, date à laquelle il fut approché par le plaignant lors du Conseil régional de la région de Québec, qui se tenait à Magog, en Estrie. M. Gillis avait été invité à faire une présentation au dit Conseil régional les 4 et 5 septembre 2009. Selon M. Gillis, le plaignant a assisté à cette rencontre et l’a approché afin de lui demander s’il pouvait s’entretenir avec lui le lendemain. Lors de cette brève rencontre, M. Gillis a accepté de rencontrer le plaignant le lendemain sans fixer d’heure et sans s’entendre sur le sujet de la conversation à venir.

14 Le 5 septembre 2009, le plaignant a de nouveau approché M. Gillis, qui était assis dans le vestibule de l’hôtel, afin d’engager une discussion, ce que M. Gillis a accepté. Selon M. Gillis, cette rencontre n’avait été organisée que la veille et ne faisait aucunement partie du processus interne de résolution de conflit du défendeur. Quoi qu’il en soit, les deux hommes se sont entretenus et, selon M. Gillis, ont discuté des sujets suivants :

- l’intention du plaignant et de certains de ses collègues de déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne à l’encontre de l’Institut;

- l’intention du plaignant de déposer une série de plaintes à l’encontre des membres du Comité exécutif de l’Institut;

- l’intention du plaignant et de certains de ses collègues de faire de nombreuses demandes d’accès à l’information afin d’obtenir des documents concernant certaines communications impliquant les membres du Comité exécutif de l’Institut.

15 Selon M. Gillis, le plaignant lui a suggéré qu’il serait prêt à accepter une somme d’argent, sans pour autant en préciser le montant, en guise de règlement afin d’éviter tout le travail qu’engendreraient les multiples plaintes et demandes énumérées ci-haut. M. Gillis lui aurait alors indiqué qu’il doutait fort que l’Institut soit ouvert à ce genre de règlement, mais a accepté, à la suite de la demande du plaignant, de consulter quiconque il jugerait utile aux fins de discussion, sans pour autant préciser quand il le ferait. Lors du contre-interrogatoire, M. Gillis a avoué qu’il s’était aussi engagé à communiquer au plaignant le résultat de ces pourparlers.

16 Les échanges entourant la rencontre du 5 septembre 2009 sont repris dans une note au dossier préparée par M. Gillis quelques jours plus tard et déposée en preuve lors de l’audience. Cette note reflète fidèlement le témoignage de M. Gillis à cet effet.

17 M. Gillis a également indiqué qu’il s’était entretenu avec le président de l’Institut, Gary Corbett, ainsi qu’avec son avocat principal, Me Geoffrey Grenville-Wood, le 7 septembre 2009. Les trois hommes étaient d’avis qu’aucune action ne devrait être prise pour répondre à la proposition du plaignant. Contrairement à ce qu’il s’était engagé à faire, M. Gillis n’a entrepris aucune discussion ou communication avec le plaignant par la suite.

18 M. Gillis s’est dit surpris que le plaignant fasse référence au 5 septembre 2009 comme étant la date à partir de laquelle le plaignant avait, ou aurait du avoir, connaissance des circonstances donnant lieu à sa plainte, puisque ceux-ci n’avaient jamais même abordé le sujet de la plainte en question ou le bien-fondé de la décision du Comité exécutif de l’Institut durant leur rencontre. De plus, selon M. Gillis, le plaignant ne cherchait pas, lors de la rencontre du 5 septembre 2009, à renverser la décision du Comité exécutif ou à en changer le résultat.

19 Bien que le plaignant a soulevé plusieurs facteurs soutenant sa thèse que le défendeur cherchait à tout prix son expulsion, la preuve qu’il a présentée, en ce qui a trait au délai de présentation de la plainte, ne diffère pas substantiellement de celle présentée par M. Gillis, à l’exception de certains faits que j’aborderai dans les paragraphes qui suivent.

20 Contrairement à ce qu’alléguait M. Gillis, le plaignant prétend avoir répondu à la lettre du 19 janvier 2009 par le biais d’un courriel adressé à M. Gillis. Bien que les souvenirs des deux hommes ne concordent pas sur ce point, il n’en reste pas moins que le courriel en question ne contenait, selon les dires du plaignant, rien de plus que la mention suivante: « Put it where the sun don’t shine ». Ce courriel parle par lui-même et je n’ai pas tenté de le traduire. De plus, le plaignant était incapable de confirmer la date du courriel en question et n’a pas tenté, à la suite de ma demande, de le déposer en preuve.

21 Pour ce qui est de la question du droit d’appel dont fait mention la lettre d’expulsion du 28 janvier 2009, le plaignant a reconnu qu’il n’avait pas déposé d’arguments écrits auprès du Conseil d’administration du défendeur, contrairement à ce que requiert sa Politique; il a invoqué trois raisons pour lesquelles il ne l’avait pas fait.

22 Premièrement, il a indiqué qu’il n’était pas conscient du délai d’appel de 14 jours et qu’il n’avait pas reçu copie de la Politique, contrairement à ce que la lettre du 28 septembre 2009 suggérait et aux dires de M. Gillis.

23  Deuxièmement, le plaignant a indiqué à maintes reprises que le processus d’appel prévu par la Politique n’avait aucune crédibilité puisque les décisions en appel étaient traditionnellement maintenues à l’avance et décidées par les mêmes individus qui prenaient les décisions originales portées en appel. En contre-interrogatoire, le plaignant a insinué qu’il était complètement futile d’entreprendre ce genre de démarche et que le processus en question ne valait rien.

24 Troisièmement, le plaignant a indiqué qu’à la suite de la lettre du 28 janvier 2009, il avait eu plusieurs discussions avec des représentants de l’Institut, qui prétendaient que son expulsion était sans fondement et que l’Institut reviendrait sur sa décision dans un avenir rapproché. De plus, le plaignant a indiqué qu’on lui avait signalé que M. Gillis serait à la rencontre régionale en septembre et que ce serait là une occasion de lui parler. En contre-interrogatoire, le plaignant n’a pas été en mesure de préciser le nombre de discussions qu’il avait eues, le nom des représentants à qui il avait parlé, le titre de ces représentants, ni même le lieu de ces rencontres. J’ai rappelé au plaignant l’importance de préciser cette allégation afin que je puisse déterminer sa valeur probante lors de mon examen de la preuve. Le plaignant a indiqué qu’il préférait ne pas divulguer ces détails afin de protéger les individus en question, qui feraient sans aucun doute, selon lui, l’objet de représailles de la part de l’Institut si ces détails étaient connus. Quand j’ai demandé au plaignant d’élaborer sur le bien-fondé de ce commentaire, il m’a renvoyé à la Politique, sans en préciser le passage pertinent, et à un règlement de l’Institut qu’il ne pouvait nommer et qu’il ne désirait pas déposer en preuve.

25 Le plaignant savait fort bien qu’il disposait de 90 jours pour présenter sa plainte et qu’il avait été expulsé le 28 janvier 2009, sujet au droit d’appel indiqué dans cette lettre. Quoi qu’il en soit, le plaignant a indiqué à maintes reprises qu’il n’avait pas l’impression que les choses étaient terminées avant la rencontre du 5 septembre 2009 et que ce n’est qu’un mois suivant cette rencontre qu’il a réalisé qu’il n’y avait plus d’espoir et qu’il devait agir.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

26 Le défendeur soumet que le délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi est de rigueur et qu’aucune disposition de la Loi ne confère à la Commission le pouvoir de proroger ce délai. Sur ce point, le défendeur me renvoie aux décisions suivantes : Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78 ¶ 55; Cunningham c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, 2009 CRTFP 96 ¶ 37; Hérold c. Alliance de la Fonction publique du Canada et Gritti, 2009 CRTFP 132 ¶ 14; Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100 ¶ 45; Ethier c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, 2010 CRTFP 7 ¶ 18; Roberts c. Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO – SACC – CSN), 2010 CRTFP 96 ¶ 34.

27 Le défendeur soumet que le plaignant a déposé sa plainte bien au-delà du délai prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi, soit en dehors des « […] quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu. » Selon le défendeur, les prétentions du plaignant à savoir qu'il croyait que l’Institut était toujours en délibéré quant à la sanction disciplinaire applicable et que sa rencontre fortuite avec M. Gillis avait pour effet de reporter la finalité de la décision de l’Institut ne sont pas du tout plausibles ni crédibles.

28 Le défendeur soutient que la lettre du 28 janvier 2009 annonçant l’expulsion permanentedu plaignant établissait clairement comment il pouvait en appeler de la décision, et que le défaut de faire un tel appel signifiait que la décision était finale et permanente.

29 Selon le défendeur, le plaignant n’a jamais communiqué, entre le 28 janvier et le 5 septembre 2009, avec un représentant de l'Institut qui avait l'autorité de reconsidérer la décision en question. Le défendeur ajoute que, n’eut été de la demande du plaignant de s’entretenir avec M. Gillis, la rencontre fortuite du 5 septembre 2009 n’aurait jamais eu lieu.

30 Le défendeur argue également que la rencontre du 5 septembre 2009 ne pouvait avoir pour effet de proroger le délai applicable puisqu’il s’agissait d’une réunion imprévue qui ne faisait pas partie du processus d’appel interne de l’Institut et que le plaignant n’a jamais cherché à faire renverser la décision de l’Institut durant ladite rencontre, cherchant plutôt à obtenir un dédommagement financier en échange d’un engagement de sa part de n’entreprendre aucune autre démarche contre l’Institut.

31 Pour ce qui est de la prétention du plaignant voulant qu’il était en contact avec des représentants de l’Institut qui prétendaient que cette expulsion était non fondée et que l’Institut reviendrait sur sa décision, le défendeur soumet que celle-ci n’est tout simplement pas crédible et que même si certains anciens collègues du plaignant ne partageaient pas le même avis que celui du Comité exécutif, cela est sans conséquence. À cet égard, le défendeur soutient que seuls les dirigeants du Conseil d’administration de l’Institut avaient l’autorité nécessaire pour reconsidérer la décision d’expulser le plaignant et que celui-ci savait, ou aurait dû savoir, qu’à défaut de se prévaloir de son droit d’appel, la décision serait maintenue et considérée finale. Le défendeur ajoute que le plaignant avait occupé les postes de directeur régional et ensuite de vice-président au sein de l’Institut, postes dans lesquels il aurait pris part au processus décisionnel en vertu de la Politique.

32 Le défendeur soumet que le fait que le plaignant ne se soit pas prévalu du mécanisme interne d’appel de l’Institut est fatal à sa revendication que la Commission a la compétence pour instruire sa plainte.

33 Finalement, le défendeur soulève un deuxième argument selon lequel la plainte du plaignant est irrecevable puisque la vraie nature de la plainte est régie par les alinéas 188b) ou c) de la Loi, et non l’alinéa 188d), contrairement à ce que soutient le plaignant. Il s’agit là d’un nouvel argument qui n’avait pas été soulevé par le défendeur dans ses arguments écrits présentés à la demande de la Commission avant l’audience. Le défendeur a cité les décisions suivantes pour étayer cet argument : Renaud c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 177; Bouchard c. Alliance de la Fonction publique du Canada et al., 2008 CRTFP 82; Daykin c. Syndicat des employé(e)s de l’impôt et al., 2010 CRTFP 61.

B. Pour le plaignant

34 Dans l’ensemble, le plaignant réitère la preuve qu’il avait présentée durant son témoignage et ne soumet aucune autorité jurisprudentielle.

35 Celui-ci déplore le fait que l’Institut refuse de discuter de la vraie question et des vrais enjeux, préférant plutôt soulever des objections préliminaires qu’il caractérise de nature « technique ».

36 Le plaignant reconnait qu’il est tenu, en vertu de la Loi, de présenter sa plainte dans un délai de 90 jours, mais selon lui la date à partir de laquelle ce délai devait commencer était le 5 septembre 2009. Le plaignant soumet que jusqu’à ce moment, il avait toujours espoir que la décision du Comité exécutif serait renversée. Selon lui, ce n’est que lorsque l’Institut a « fermé toutes les portes », c’est-à-dire en septembre 2009,  qu’il a pris connaissance des circonstances donnant lieu à sa plainte.

37 Le plaignant est également d’avis que, même si l’on considère la date du 28 janvier 2009 comme étant la date à compter de laquelle de délai de présentation de la plainte a commencé à courir, sa plainte n’accuserait qu’un léger retard de quelques mois, ce qui ne devrait pas empêcher les parties d’entreprendre le vrai débat soulevé dans sa plainte, faisant ainsi allusion aux droits des membres de l’Institut de mettre sur pied leur propre syndicat.

IV. Motifs

38 Dans ce genre de plainte, la recevabilité est un facteur primordial et l’élément déterminant se retrouve au paragraphe 190(2) de la Loi qui prévoit que :

190. (2) […] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

39 Contrairement à ce que semble prétendre le défendeur, le droit du plaignant de présenter sa plainte alléguant une violation de l’alinéa 188d) de la Loi n’est pas conditionnel à ce qu’il ait épuisé le recours prévu à la procédure d’appel de l’Institut : paragraphe 190(3) de la Loi. Le plaignant a choisi de fonder sa plainte sur l’alinéa 188d), non pas sur les alinéas 188b) ou 188c).

40 Tel que je l’avais indiqué aux parties, le but de l’audience était de mieux comprendre et d’apprécier la preuve et les arguments des parties sur la question du délai de présentation, et plus particulièrement sur la date à partir de laquelle le plaignant avait, ou aurait dû avoir, connaissance des circonstances donnant lieu à sa plainte.

41 Je souscris entièrement aux arguments du défendeur voulant que le délai de 90 jours soit de rigueur et que je n’aie pas le pouvoir de le proroger (voir Castonguay, Ethier et Cunningham). Le caractère obligatoire du paragraphe 190(2) de la Loi a été confirmé à maintes reprises par la Commission. D’ailleurs, dans Boshra, au paragraphe 45, la Commission énonce ce qui suit :

[45] […] Une fois que l’agent négociateur a clairement communiqué sa position à l'égard de la représentation d'un membre et que celui-ci considère cette position comme une preuve de la violation de l'article 187, le paragraphe 190(2) ne permet pas de proroger le début du délai de 90 jours pour le dépôt de la plainte, même dans les cas où il y aurait de bonnes raisons de le faire. Le libellé du paragraphe a force de loi. Il diffère en ce sens de la manière dont s'appliquent certains autres types de mesures prévus par la Loi.

42 L’étendue de ma compétence est de déterminer, sur la base des faits qui me  sont présentés, la date à laquelle le délai de 90 jours a commencé à courir (voir Roberts, paragraphe 34).

43 À la suite de l’examen de la preuve déposée par les parties, tant testimoniale que documentaire, je suis convaincu que le plaignant avait connaissance des circonstances donnant lieu à sa plainte dès le 28 janvier 2009, ou qu’il aurait dû en avoir connaissance à partir de cette date. Cela signifie que le plaignant devait présenter sa plainte au plus tard le 28 avril 2009, ce qu’il n’a pas fait. La plainte a été présentée le 26 octobre 2009, soit 271 jours suivant la date à partir de laquelle le plaignant avait connaissance des circonstances lui donnant lieu, ce qui est bien au-delà des 90 jours alloués.

44 Le plaignant lui-même s’est trahi lorsqu’il a mentionné que le processus d’appel interne était complètement inutile et qu’il était bien conscient du délai de 90 jours prévu par le paragraphe 190(2) de la Loi. Bien que le plaignant était parfaitement libre de douter de l’utilité du processus interne d’appel et de refuser de s’en prévaloir, cela ne change en rien le fait que les prétentions du plaignant quant au processus d’appel ne peuvent avoir l’effet de reporter la date à laquelle il avait connaissance de la décision du défendeur de l’expulser.

45 Quoi qu’il en soit, le plaignant a attendu plusieurs mois avant de saisir la Commission de sa plainte. J’ai tenté à maintes reprises d’amener le plaignant à préciser la nature des discussions qu’il alléguait avoir eues avec les soit-disant représentants de l’Institut durant les mois suivants la lettre du 28 janvier 2009, mais en vain. Le plaignant a refusé de préciser les dates exactes de ses discussions, les noms des représentants en question, l’autorité en vertu de laquelle ceux-ci agissaient et l’étendue de leurs discussions. Le plaignant se devait de produire quelque chose de beaucoup plus concret quant à cet aspect de la preuve s’il espérait rendre sa plainte recevable en vertu de l’article 190 de la Loi, mais il ne l’a pas fait.

46 En ce qui a trait à la rencontre du 5 septembre 2009, je ne peux accepter que cette rencontre constitue l’élément déclencheur de la violation de l’article 190 faisant l’objet de la plainte. Je suis convaincu qu’il s’agissait là d’une rencontre fortuite et qu’elle ne faisait pas partie du processus interne d’appel du défendeur. Les prétentions du plaignant voulant qu’il n’avait pas l’impression que les choses étaient terminées avant la rencontre du 5 septembre 2009 ne sont pas appuyées par la prépondérance des probabilités en l’espèce. Sur ce point, je préfère la version de M. Gillis. De plus, même si j’acceptais que le plaignant ait eu des discussions avec des représentants de l’Institut, pour renverser la décision de l’expulser tel qu’allégué durant son témoignage, ou qu’il ait tenté de convaincre le défendeur de revenir sur sa décision pendant la rencontre du 5 septembre 2009, ce que la preuve n’a pas établi, cela ne pourrait pour autant avoir l’effet de changer la date à laquelle il eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des faits qui ont donné lieu à sa plainte. Nonobstant les efforts déployés par le plaignant en vue de résoudre ce conflit, la Loi exigeait tout de même que sa plainte soit déposée dans le délai prescrit (voir Boshra, paragraphe 47). Si la rencontre du 5 septembre 2009 avait été fructueuse, le plaignant n’aurait eu qu’à retirer sa plainte.

47 Tel qu’il a été énoncé au paragraphe 21 de Ethier, « […] [d]ans la mesure où il y a violation de la loi, il n’y a pas de norme minimale ou maximale pour ce qui est du degré de connaissance que doit avoir un plaignant avant de déposer sa plainte. » En l’espèce, la connaissance de la décision du défendeur d’expulser le plaignant de façon permanente, ce que le plaignant avait dès le 28 janvier 2009, est l’élément déclencheur de la violation alléguée de l’alinéa 188d) de la Loi et du délai de 90 jours. Je suis donc convaincu que le plaignant n’a pas déposé sa plainte dans le délai prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi.

48 Pour ces raisons, je souscris donc à l’objection du défendeur, à savoir que la plainte en question est irrecevable puisqu’elle est hors délai.

49 Comme j’ai déjà conclu que la plainte est irrecevable, n’ayant pas été déposée dans le délai prescrit, je n’ai pas à me pencher sur le deuxième volet de l’argument du défendeur ayant trait à la non-recevabilité de la plainte sur la base des alinéas 188b) ou c) de la Loi.

50 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

51 La plainte est rejetée.

Le 28 février 2011.

Stephan J. Bertrand,
commissaire

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.