Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage - dans son grief, il a allégué avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée - l’employeur a contesté la compétence de l’arbitre de grief sur le fondement de l’article 211 de la LRTFP, qui interdit le renvoi à l’arbitrage d’un grief portant sur tout licenciement prévu sous le régime de la LEFP, y compris le renvoi en cours de stage - l’employeur s’est acquitté des obligations prévues dans la LEFP, car il a versé au fonctionnaire s’estimant lésé le salaire tenant lieu de préavis requis, puisque le licenciement a eu lieu avant la fin de la période de stage - il appartenait dès lors au fonctionnaire s’estimant lésé d’établir que les gestes de l’employeur équivalaient à un subterfuge ou un camouflage - lorsqu’un employé en période de stage se rend coupable d’inconduite, l’employeur peut choisir de lui imposer une mesure disciplinaire ou de le licencier - l’inconduite coupable constitue une source légitime d’insatisfaction quant à l’aptitude de l’employé à occuper un poste - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas établi que son licenciement est le fruit d’un subterfuge ou d’un camouflage - l’arbitre de grief n’avait pas la compétence pour entendre ce grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-04-05
  • Dossier:  566-02-4283
  • Référence:  2011 CRTFP 42

Devant un arbitre de grief


ENTRE

LAWRENCE McMATH

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
McMath c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
John Mancini et Andrea Tait, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour le défendeur:
Kenneth Graham, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits déposés
les 18 octobre, 15 novembre et 22 décembre 2010, et le 15 février et le 9 mars 2011.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le 28 mai 2009, le Service correctionnel du Canada (l’«administrateur général» ou l’«employeur») a embauché Lawrence McMath, le fonctionnaire s’estimant lésé (le «fonctionnaire») pour travailler à l’établissement d’Edmonton comme agent correctionnel. Lors de l’embauche du fonctionnaire, l’employeur l’a informé qu’il serait assujetti à une période de stage de 12 mois. Le 26 mai 2010, l’employeur a avisé le fonctionnaire qu’il était licencié parce qu’il n’était pas apte à assumer les fonctions du poste. Le même jour, M.McMath a contesté son renvoi en cours de stage en faisant valoir que son licenciement était une mesure disciplinaire déguisée, un subterfuge ou du camouflage. Il a demandé d’être rétabli dans son poste et d’être rémunéré pour la perte de salaire et d’avantages sociaux, avec intérêts. Il a également demandé des dommages.

2 J’ai décidé de trancher le cas sur la base des arguments écrits. Même si le fonctionnaire n’est pas d’accord avec la décision de l’employeur, les faits en l’espèce ne sont pas contestés. Le fonctionnaire ne nie pas le fait qu’il était en cours de stage lorsqu’il a été licencié, le 26 mai 2010. Il admet également avoir reçu un mois de salaire en lieu d’un préavis, comme indiqué dans la lettre de licenciement. Il fait plutôt valoir que la décision de l’employeur de le licencier constituait une mesure disciplinaire.

3 L’employeur a déclaré que le fonctionnaire a fourni son mot de passe personnel à un autre employé pour que ce dernier puisse inscrire le fonctionnaire comme étant disponible pour faire des heures supplémentaires le 21 janvier 2010. Cela était contraire à la procédure de l’employeur. Pour l’employeur, le fonctionnaire s’est comporté de manière frauduleuse et a commis une inconduite coupable. Dans ses arguments, le fonctionnaire a admis avoir fait une erreur en donnant son mot de passe à un autre employé en janvier 2010.

4 L’employeur a clairement indiqué, dans sa lettre de licenciement du 26 mai 2010, que le fonctionnaire a échoué son stage parce qu’il a donné son mot de passe à un autre employé, qui a ensuite inscrit le fonctionnaire dans le système gérant la disponibilité des employés pour faire des heures supplémentaires. À compter de cet incident, l’employeur a conclu que le fonctionnaire n’était pas apte à assumer les fonctions d’un poste d’agent correctionnel.

5 L’employeur a argué que, comme le fonctionnaire a été licencié aux termes du paragraphe 62(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la «LEFP»), L.C.2003, ch.22, art. 12 et 13, l’affaire excédait la compétence d’un arbitre de grief. L’employeur a soumis que la lettre de licenciement fournissait des motifs valables liés à l’aptitude pour justifier le licenciement du fonctionnaire. À l’appui de sa position, l’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes, entre autres: Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.); Maqsood c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2009 CRTFP 175; Melanson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 33; Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529; Bilton c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 39; Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134.

6 Le fonctionnaire a allégué que le renvoi en cours de stage était une mesure disciplinaire déguisée, un subterfuge ou du camouflage et a été fait de mauvaise foi. Il a soumis qu’il devrait être autorisé à produire des éléments de preuve relativement à l’objection de l’employeur à l’encontre de ma compétence, que je devrais réserver ma décision sur l’objection de l’employeur et que je devrais entendre sa preuve sur le fond de l’affaire.

7 Le fonctionnaire a fait valoir que l’objection de l’employeur était sans fondement. Il s’agit d’un grief disciplinaire, et l’arbitre de grief a la compétence nécessaire pour l’entendre, aux termes du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la «Loi »). L’employeur a imposé une mesure disciplinaire donnant lieu à un licenciement, comme l’indiquait la lettre du 26 mai 2010. La mesure disciplinaire faisait suite à un événement survenu en janvier2010, mais a été communiquée au fonctionnaire seulement deux jours avant la fin de son stage. La décision de licencier le fonctionnaire n’avait rien à voir avec son rendement, et la lettre de licenciement ne renvoie aucunement à son rendement. Il s’agissait clairement d’une décision disciplinaire.

8 Le fonctionnaire a soumis qu’il faudrait la tenue d’une audience pour qu’il puisse démontrer que la décision de le licencier était bel et bien une mesure disciplinaire et qu’elle n’était pas reliée, comme le prétendait l’employeur, à l’insatisfaction face à l’aptitude du fonctionnaire à assumer les fonctions du poste d’agent correctionnel. Le fonctionnaire m’a renvoyé à Tello et à Rousseau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 91.

Motifs

9 Le fonctionnaire a été nommé au poste d’agent correctionnel, le 28 mai 2009. L’employeur l’a informé au moment de son embauche qu’il serait en stage pendant une période de 12mois. Le fonctionnaire a été licencié le 26 mai 2010, avant la fin de sa période de stage, et a touché une rémunération d’un mois tenant lieu d’un préavis.

10 Les dispositions suivantes de la LEFP confèrent à l’employeur le droit d’imposer une période de stage et de mettre fin à l’emploi en période de stage:

[…]

61. (1) La personne nommée par nomination externe est considérée comme stagiaire pendant la période

a) fixée, pour la catégorie de fonctionnaires dont elle fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques […]

[…]

Renvoi

62. (1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques […]

[…]

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

[…]

11 Aux termes de l’article 211 de la Loi, un grief qui porte sur un licenciement prévu sous le régime de la LEFP, notamment un grief contestant un renvoi en cours de stage, ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage. L’article 211 de la Loi se lit comme suit:

211. L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […]

[…]

12 Même si je n’ai pas compétence pour entendre un grief concernant un renvoi en cours de stage, je dois d’abord, avant d’en arriver à cette conclusion, déterminer si le licenciement était lié à l’emploi et si le défendeur a utilisé le renvoi en cours de stage comme subterfuge ou camouflage pour couvrir un autre motif du licenciement. Les extraits suivants de Tello résument bien la jurisprudence actuelle relativement à ma compétence:

 […]

 [105] L’interprétation franche de la LRTFP et de la nouvelle LEFP est qu’un employé en stage peut être licencié avec préavis pour tout motif (ou sans motif) et n’a pas accès à l’arbitrage de grief. En vertu de la nouvelle LEFP, la seule restriction qui s’applique à l’administrateur général est que l’employé doit être dans sa période de stage et qu’un préavis (ou une indemnité de préavis) doit être donné. Toutefois, «[l’]interprétation du droit est toujours contextuelle […] (Dunsmuir, paragraphe 74). Les restrictions imposées par la loi au pouvoir de l’administrateur général continuent de s’appliquer et l’administrateur général doit se conformer au régime de la nouvelle LEFP en ce qui touche le renvoi d’un employé en stage afin que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administrateur général soit valide.

[…]

[111] […] L’administrateur général demeure tenu de produire la lettre de licenciement comme pièce (généralement par l’intermédiaire d’un témoin) pour prouver qu’il a rencontré les exigences législatives du préavis et du statut de stagiaire. Cette lettre énonce habituellement le motif de la décision de licencier l’employé qui est en cours de stage. Le fardeau de la preuve devient alors celui du fonctionnaire. Il incombe au fonctionnaire de prouver que le licenciement reposait artificiellement sur la nouvelle LEFP, un subterfuge ou un camouflage. Si le fonctionnaire établit qu’il n’y avait pas de «motifs liés à l’emploi» légitimes justifiant le licenciement (autrement dit, si la décision ne reposait pas sur une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l’employé : Penner, à la page 438), le fonctionnaire se sera acquitté de son fardeau de la preuve […]

[…]

13 En l’espèce, l’employeur a respecté ses obligations fondamentales aux termes de la LEFP; le licenciement a été fait avant la fin de la période de stage et l’employeur a versé au fonctionnaire une rémunération tenant lieu d’un préavis. À partir de là, il incombe au fonctionnaire de prouver que le licenciement reposait de façon factice sur la LEFP, un subterfuge ou un camouflage. À cet égard, le fonctionnaire a soutenu dans ses arguments que le licenciement était fondé sur des motifs disciplinaires. Autrement dit, le fonctionnaire a allégué que l’employeur se servait de la période de stage pour cacher ou camoufler une mesure disciplinaire.

14 Les faits m’ayant été soumis sont clairs: 1) l’employeur a licencié le fonctionnaire parce qu’il a commis une inconduite coupable en fournissant son mot de passe à un autre employé; 2) le fonctionnaire a admis avoir commis cette inconduite; 3)l’employeur en a conclu que le fonctionnaire n’était pas apte à assumer les fonctions de son poste. Dans le cas d’un employé qui a terminé son stage, l’employeur imposerait normalement une mesure disciplinaire pour une inconduite coupable. L’employé pourrait alors contester la mesure disciplinaire et renvoyer son grief à l’arbitrage, aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. En ce qui concerne un employé toujours en cours de stage, l’employeur pourrait choisir d’imposer une mesure disciplinaire, mais il pourrait aussi décider de licencier l’employé compte tenu qu’une inconduite coupable est une source d’insatisfaction quant à l’aptitude de l’employé à assumer le poste. C’est ce que l’employeur a fait en l’espèce. Il a conclu que le fonctionnaire n’était pas apte à assumer les fonctions du poste d’agent correctionnel parce qu’il s’est mal conduit en fournissant son mot de passe à un autre employé.

15 Le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de la charge de prouver que l’employeur n’avait aucun motif relié à l’emploi de le licencier. Il a choisi arguer que la décision de le licencier était une mesure disciplinaire. Même si l’employeur impose normalement une mesure disciplinaire aux employés pour une inconduite coupable, il est loisible de décider, pour un employé en cours de stage, de le licencier pendant sa période de stage, s’il estime que l’inconduite coupable est une source d’insatisfaction quant à l’aptitude de l’employé à occuper son emploi. Comme c’est exactement ce que l’employeur a fait en l’espèce, je n’ai pas la compétence nécessaire pour entendre le grief parce qu’il porte sur un licenciement aux termes de la LEFP.

16 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit:

Ordonnance

17 Je déclare que je n’ai pas la compétence pour entendre le présent grief.

18 J’ordonne la fermeture du dossier.

Le 5 avril 2011.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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