Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué qu’il avait été victime de discrimination, en contravention de la clause de la convention collective interdisant la discrimination - il a prétendu également que son contrat d’emploi pour une période déterminée avait pris fin prématurément, pour que l’employeur n’ait pas à lui attribuer un poste de durée indéterminée - le contrat a été résilié quelques jours seulement avant que la nomination pour une période déterminée ne devienne une nomination pour une période indéterminée - une politique du Conseil du Trésor prévoit qu’après troisannées d’emploi continu, le titulaire d’un poste de durée déterminée doit être nommé à un poste de durée indéterminée - l’arbitre de grief a conclu que, durant toute sa période d’emploi, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas bénéficié de mesures d’adaptation suffisantes relativement à son incapacité auditive - cependant, l’arbitre de grief a également conclu que la résiliation du contrat du fonctionnaire s’estimant lésé était attribuable à des considérations d’ordre financier plutôt qu’à un acte discriminatoire. Grief portant sur la discrimination accueilli. Grief portant sur le licenciement rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-03-14
  • Dossier:  566-02-1858 et 1859
  • Référence:  2011 CRTFP 33

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JEFFREY STRINGER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Défense nationale)

Répertorié
Stringer c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)
et Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
David Yazbeck, avocat

Pour l'employeur:
Martin Charron, avocat

Affaire entendue à Kingston et à Ottawa (Ontario),
du 20 au 23 juillet et le 1er décembre 2010.
Arguments écrits déposés les 9, 16 et 25 août ainsi que le 13 décembre 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Jeffrey Stringer (le « fonctionnaire ») a occupé un poste pour une période déterminée au ministère de la Défense nationale (l’« employeur ») du 28 avril 2003 au 24 avril 2006 comme dessinateur classifié DD-03 à la base des Forces canadiennes (BFC) de Trenton, en Ontario.

2 Le fonctionnaire a été licencié par son employeur quatre jours avant qu’il ait complété trois années d’emploi continu. À ce stade, il aurait pu être reconduit et être nommé à un poste pour une période indéterminée. Le fonctionnaire a présenté un grief pour contester la décision de l’employeur de le licencier. Il a aussi déclaré dans son grief que l’employeur avait agi de façon discriminatoire à son endroit et avait manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Dans son grief, il a demandé sa réintégration, avec l’intégralité de sa rémunération et de ses avantages sociaux, comme DD-03. Il a également réclamé 10 000 $ de dommages pour le préjudice moral qu’il a subi, et le remboursement de ses frais d’avocat.

3 L’employeur allègue qu’il n’a pas fait preuve de discrimination à l’endroit du fonctionnaire et qu’il a mis fin à son contrat d’embauche pour une période déterminée en raison des difficultés financières de la BFC de Trenton à l’époque. Il n’y avait pas de besoin à long terme pour le type de travail accompli par le fonctionnaire et c’est pourquoi l’employeur a décidé de mettre fin à son emploi.

4 Le 16 avril 2006, le fonctionnaire a déposé un seul grief, mais l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») l’a renvoyé deux fois à l’arbitrage, en vertu de deux dispositions différentes de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »). L’agent négociateur l’a renvoyé à l’arbitrage une première fois pour violation de la clause interdisant la discrimination de la convention collective (la « convention collective ») conclue entre l’agent négociateur et le Conseil du Trésor à l’égard du groupe Services techniques, qui expirait le 21 juin 2007, et une deuxième fois comme grief portant sur le licenciement en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la nouvelle Loi. Les deux renvois à l’arbitrage ont été reçus à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») le 3 mars 2008.

5  Le 2 février 2008, le fonctionnaire a informé la Commission canadienne des droits de la personne(CCDP) qu’il soulevait une question liée à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6(la « LCDP »), dans le cadre d’une demande d’arbitrage d’un grief. Le 7 mars 2008, la CCDP a informé la Commission qu’elle n’avait pas l’intention de présenter d’arguments à propos de cette affaire.

II. Résumé de la preuve

6 Les parties ont présenté 48 documents en preuve. Le fonctionnaire a témoigné à l’audience. L’employeur a aussi fait témoigner Frederick Lord et le lieutenant-colonel Darwin Gould. M. Lord a embauché le fonctionnaire et a été son gestionnaire pendant son séjour à la BFC de Trenton. De 2004 à 2006, le lieutenant-colonel Gould était un des commandants de la BFC de Trenton. Quelque 800 militaires et employés civils relevaient directement ou indirectement de lui. Le service dans lequel le fonctionnaire travaillait relevait ultimement du lieutenant-colonel Gould; c’est le lieutenant-colonel Gould qui a pris la décision de le licencier.

7 La plupart de la preuve présentée par les parties n’a pas été contredite, même si les parties auraient pu en tirer des conclusions différentes. Je vais résumer la preuve de façon thématique, en me concentrant surtout sur les événements et sur les éléments relatifs à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur et à la discrimination, de même qu’à la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire.

A. Contexte

8 Le fonctionnaire est malentendant depuis sa naissance; il est également mal-parlant. Sa première langue est l’American Sign Language (ASL). Sa langue seconde est l’anglais, qu’il a appris à l’école. Même s’il peut fonctionner en anglais écrit, il a de la difficulté à comprendre certains termes anglais qui n’existent pas en ASL, un langage visuel qui a sa propre grammaire et syntaxe (ordre des mots) et qui se distingue du langage parlé.

9 D’après la Société canadienne de l’ouïe (SCO), les interprètes professionnels en ASL qui maîtrisent la langue et la culture des malentendants aussi bien que celles des personnes qui entendent, font le pont entre ceux qui s’expriment en ASL et les locuteurs anglophones. La SCO déclare que l’employeur qui a des interactions avec un employé malentendant dont la première langue est l’ASL devrait avoir recours à un interprète compétent en ASL pour les entrevues, les réunions, les séances de formation, les rencontres disciplinaires et les évaluations de rendement. Un interprète qualifié en ASL peut interpréter l’esprit et l’intention de tout ce qui est communiqué par le geste et la parole. Le dactylangage, le sous-titrage en temps réel et les notes manuscrites sont utiles dans bien des situations, mais, selon la SCO, les courts messages écrits peuvent aboutir à des communications incomplètes.

10 Le fonctionnaire a obtenu un diplôme de technicien en génie de la construction du Loyalist College en 1997. De 1998 à 2002, il a occupé plusieurs postes à Terre-Neuve, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Le 28 avril 2003, dans le cadre d’un programme d’équité en matière d’emploi, il a été embauché à contrat pour une période déterminée comme dessinateur à la BFC de Trenton. À l’époque, l’employeur n’avait pas atteint son pourcentage cible d’employés embauchés dans le cadre des programmes d’équité en matière d’emploi et savait parfaitement que le fonctionnaire était malentendant et mal-parlant.

11 La plupart du temps, les communications entre le fonctionnaire et ses clients se faisaient par courriel. Les clients lui envoyaient leurs demandes directement ou indirectement par courriel. Le fonctionnaire leur demandait, au besoin, des précisions par courriel, il effectuait le travail et il informait les clients par courriel quand il avait terminé.

12 À la date d’échéance, le premier contrat du fonctionnaire a été renouvelé pour une période déterminée, et ce, à huit reprises et sans interruption de service. Son dernier contrat devait expirer le 28 avril 2006, mais le fonctionnaire a été informé le 21 mars 2006 que son contrat prendrait fin le 24 avril 2006, l’empêchant alors d’atteindre trois années d’emploi continu.

13 Comme dessinateur DD-03, le travail du fonctionnaire à la BFC de Trenton consistait à effectuer des inspections sur place, à prendre des mesures des bâtiments et des installations, à faire des dessins conformément aux critères de planification et aux normes de conception pour satisfaire aux exigences des projets, à contribuer à offrir les services de soutien des levés sur place, à aider le personnel chargé des applications de logiciels de conception et de dessin assistés par ordinateur (CDAO), à produire les ensembles de dessins demandés par les clients, à produire des plans et des copies grand format sur des imprimantes et des photocopieuses spéciales et à mettre à jour les dessins électroniques et manuels à l’aide d’applications CDAO.

14 Quand le fonctionnaire a commencé à travailler à la BFC de Trenton, on n’a jamais discuté de ses besoins d’adaptation. Il était évident pour M. Lord que le fonctionnaire était malentendant, et le fonctionnaire savait que M. Lord était au courant. M. Lord n’a pas reçu d’instruction à cet égard et n’a pas été sensibilisé par les spécialistes de l’équité en matière d’emploi ou des ressources humaines de l’employeur aux besoins d’un employé malentendant.

B. Rendement du fonctionnaire

15 Au quotidien, le fonctionnaire était supervisé par Evan Hendry, un DD-05 qui relevait de M. Lord. Le premier rapport d’évaluation du rendement du fonctionnaire a été produit le 5 mai 2004 et le second le 29 avril 2005.

16 MM. Hendry et Lord ont évalué le rendement du fonctionnaire en mai 2004 pour sa première année d’emploi. Le fonctionnaire a satisfait à tous les critères liés à son rendement mais devait améliorer sa souplesse et son adaptabilité. La partie narrative du rapport d’évaluation du rendement comprend ce qui suit :

[Traduction]

M. Stringer a grandement amélioré ses aptitudes en dessin ADT CDAO. Il fait l’effort requis pour produire des dessins précis, structurés et complets. Ses aptitudes d’utilisation des instruments doivent s’améliorer, mais c’est essentiellement attribuable à la formation insuffisante qu’il a reçue jusqu'à présent. On peut se fier à M. Stringer pour répondre aux besoins de tous les clients, et il continue d’approfondir ses connaissances de nos imprimantes et de nos photocopieuses grand format.

[…]

M. Stringer continue d’améliorer ses connaissances et ses aptitudes en se servant d’ADT et de diverses autres techniques de CDAO. Il est méticuleux et a un grand souci du détail quand il met des dessins à jour. Il leur ajoute des détails, comme les occupants, l’utilisation de l’espace, les numéros des pièces et des mesures individuelles qui permettent au gestionnaire des biens immobiliers de maintenir l’exactitude des données RAIS. Il est très poli et courtois et il donne les renseignements pertinents aux clients internes et externes, comme en témoigne la lettre d’appréciation de huit membres du personnel AMS. Bien qu’il soit malentendant, il s’efforce de s’assurer que les communications dans les deux sens soient claires, concises et exactes. M. Stringer doit s’améliorer en sachant mieux s’adapter aux changements constants des priorités. Son poste exige beaucoup de souplesse et d’adaptation. Les changements des exigences doivent être traités avec professionnalisme et efficience. M. Stringer doit accroître sa confiance en lui-même en évitant de se laisser perturber par des commentaires qui ne devraient pas le viser ou n’avoir rien à voir avec ses responsabilités. Il doit savoir faire la différence entre une critique constructive et des commentaires de personnes qui ne sont pas conscientes des fonctions de son poste ni de la chaîne de commandement.

17 MM. Hendry et Lord ont évalué le rendement du fonctionnaire en avril 2005, pour sa seconde année d’emploi. Le fonctionnaire a de nouveau satisfait à tous les critères liés à son rendement, mais il devait exprimer plus clairement des idées et de l’information par écrit. La partie narrative de ce rapport d’évaluation du rendement comprend ce qui suit :

[Traduction]

M. Stringer a travaillé diligemment et consciencieusement pendant la période visée par le rapport. Il s’efforce d’assurer l’exactitude de ce qu’il fait et de produire du travail professionnel. Bien qu’il soit malentendant, il est capable d’avoir des interactions efficientes avec ses pairs, ses superviseurs et ses clients. Il a une attitude engageante et s’entend bien avec tous ceux avec qui il a des contacts. Il continue à progresser dans son apprentissage des diverses disciplines du poste et, avec plus de formation, il a le potentiel d’accepter d’autres responsabilités.

[…]

Jeff a conscience qu’il doit limiter la mesure dans laquelle il interrompt les gens à leur lieu de travail lorsqu’il mesure un bâtiment. Ses dessins sont structurés, exacts et complets, et ils constituent de l’excellent travail de CDAO.

Ses aptitudes d’opérateur d’instruments se sont nettement améliorées cette année. L’ajout de la technologie de messages textes qu’on prévoit éliminera l’obstacle aux communications qui lui nuit actuellement.

Jeff a toujours une attitude amicale, courtoise et serviable avec les clients. Sa connaissance du sujet s’améliore et il est en mesure de répondre à la plupart des besoins des clients.

[…]

Jeff est conscient qu’il a besoin de formation pour maîtriser l’anglais écrit, mais cela n’a pas le moindrement affecté son rendement professionnel.

18 M. Lord a témoigné que, lors de l’embauche du fonctionnaire, il n’était pas au courant des limites de celui-ci quant à ses aptitudes de rédaction de l’anglais. Entre novembre 2002 et avril 2003, de nombreux courriels ont été échangés entre le fonctionnaire et les représentants de l’employeur au sujet du processus d’embauche et de la date d’entrée en fonction de l’intéressé. Dans ces courriels, le fonctionnaire n’a pas démontré de faiblesses en anglais écrit; toutefois, sa conjointe révisait la plupart de ses courriels.

19 En janvier 2006, M. Lord a décidé de faire évaluer les aptitudes en rédaction anglaise du fonctionnaire par le Loyalist College afin de lui offrir une formation adéquate. M. Lord a parlé de sa décision avec le fonctionnaire dans une rencontre qu’il a eue avec lui le 31 janvier 2006. Cette formation devait avoir lieu plus tard cette année-là, mais le fonctionnaire ne l’a jamais reçue parce qu’il a été licencié le 24 avril 2006.

20 En 2008, le fonctionnaire a postulé à un poste de dessinateur à la BFC de Petawawa, en Ontario. Il n’a pas été embauché, en partie à cause de mauvaises références provenant de la BFC de Trenton. Le 4 mars 2009, Edna Yutronkie, une agente civile des ressources humaines de la BFC de Petawawa, lui a écrit un courriel dans lequel elle lui a expliqué pourquoi il n’avait pas obtenu le poste. Les extraits suivants du courriel de Mme Yutronkie portent expressément sur les références de la BFC de Trenton, également appelée « 8e Escadre » ([traduction] « M » signifie « Médiocre ») :

[Traduction]

[…]

Entregent – M – La vérification des références à la 8e Escadre a révélé qu’il a de la difficulté à interagir et à travailler avec les collègues – La vérification des références au MPO a révélé qu’il était très amical et qu’il n’avait pas de problèmes dans ses rapports avec les autres […]

[…]

Fiabilité – M – La vérification des références à la 8e Escadre a révélé qu’il quittait le travail avant l’heure et qu’il faisait du travail personnel pendant les heures de travail sans permission – La vérification des références au MPO a révélé qu’il était ponctuel […] La vérification des références à la 8e Escadre a révélé qu’il avait de la difficulté à composer avec le stress.

[…]

Jugement – M – La vérification des références à la 8e Escadre a révélé qu’il est incapable de penser par lui-même – La vérification des références au MPO a révélé qu’il est capable d’identifier et d’évaluer les options possibles […]

[…]

21 C’est M. Lord qui a donné ces références pour la BFC de Trenton. Il a admis qu’elles n’étaient pas compatibles avec les deux rapports d’évaluation du rendement du fonctionnaire. Il a témoigné que les faiblesses du fonctionnaire étaient devenues plus évidentes dans sa dernière année d’emploi. Il se rappelait que le fonctionnaire lui avait déjà demandé sur quel bâtiment il devait travailler alors qu’il aurait dû le savoir sans avoir à le demander. M. Lord a déclaré que le fonctionnaire voulait peut-être savoir à quel bâtiment accorder la priorité. M. Lord se souvenait également d’avoir envoyé un courriel au fonctionnaire pour lui rappeler l’horaire de travail, même s’il ne lui en avait jamais parlé. Après l’envoi de ce courriel, la situation quant à l’horaire de travail s’était améliorée.

C. Demandes d’interprètes en ASL

22 Lorsqu’il avait besoin de services d’interprétation en ASL, l’employeur pouvait en obtenir du Bureau de la traduction, mais en payant lui-même les frais de déplacement. L’employeur pouvait également embaucher directement des interprètes en ASL locaux. Le tarif horaire de ces interprètes en ASL variait entre 40 $ et 50 $. Il y avait des interprètes en ASL compétents dans la région de Trenton.

23 En novembre 2002, le fonctionnaire a assisté, à la BFC de Trenton, à une réunion au cours de laquelle on a parlé des modalités de son embauche. M. Lord était présent. Le fonctionnaire a demandé un interprète en ASL pour mieux comprendre certains des documents qui lui étaient présentés et pour être en mesure de poser facilement des questions. M. Lord a rejeté sa demande en déclarant au fonctionnaire qu’il avait intérêt à s’habituer à écrire. D’après le fonctionnaire, la plupart des documents qu’on lui avait présentés portaient sur l’équité en matière d’emploi. L’absence d’un interprète en ASL lui a causé des difficultés; il a dû signer les documents sans comprendre pleinement leur contenu.

24 Le fonctionnaire a également demandé un interprète en ASL afin d’être en mesure d’avoir une discussion exhaustive sur le contenu du rapport d’évaluation de son rendement de mai 2004. Sa demande a été rejetée sans explication. Il n’a pas voulu faire de vagues en contestant le rejet de sa demande; il ne voulait pas perdre son emploi. Le fonctionnaire a également demandé un interprète en ASL pour discuter du rapport de son évaluation de rendement d’avril 2005, et sa demande a été rejetée une fois de plus. En citant cette évaluation, le fonctionnaire a témoigné que des mots comme « diligemment », « consciencieusement », « s’efforce », « efficients », « concis », « contribution » et « potentiel » n’existent pas en ASL. Il avait besoin d’explications à propos du sens de ces mots.

25  À l’audience, on a déposé des preuves démontrant que l’employeur avait fourni au fonctionnaire les services d’un interprète en ASL à diverses occasions :

- formation sur la protection du dos : le 24 mai 2005, durée de 1 heure 45 minutes;

- formation en lutte contre les incendies et Barbecue anniversaire du Génie militaire canadien : le 25 mai 2005, durée de 1 heure 45 minutes;

- séminaire sur des logiciels à Toronto : le 31 mai 2005, durée de 4 heures 30 minutes;

- formation sur la sensibilisation à l’éthique : le 30 juin 2005, durée de 3 heures;

- formation sur le harcèlement : le 28 septembre 2005, durée de 2 heures 30 minutes;

- présentation de primes de long service : le 15 décembre 2005, durée de 15 minutes;

- rencontre avec le fonctionnaire : le 31 janvier 2006, durée de 2 heures;

- séance mensuelle de février : le 22 février 2006, durée de 3 heures;

- rencontre avec le fonctionnaire : le 22 mars 2006, durée non spécifiée;

- rencontre avec un conseiller du service de la paie : le 6 avril 2006, durée de 6 heures.

26 Il a été convenu qu’on offrirait au fonctionnaire des services d’interprétation en ASL pour des rencontres mensuelles avec lui à partir de février 2006. Ces rencontres avaient pour but de parler des préoccupations du fonctionnaire et de l’employeur et de préciser les exigences de son emploi. Ces rencontres pouvaient aussi inclure un exposé de cinq minutes sur la sécurité ou d’autres exposés ou discussions utiles. La rencontre de février a eu lieu, mais les autres, prévues pour le 15 mars, le 19 avril, le 17 mai et le 21 juin 2006, ont été annulées.

27 Peu après avoir embauché le fonctionnaire, l’employeur lui a demandé d’assister à des réunions mensuelles portant sur la sécurité. Ces réunions duraient une quinzaine de minutes et donnaient aux employés de l’information et de la formation en matière de sécurité. En avril 2003, le fonctionnaire a demandé des services d’interprétation en ASL à ces réunions. L’employeur a rejeté sa demande, mais lui a donné accès à la documentation écrite et aux vidéos. Le fonctionnaire a témoigné qu’il y avait eu 14 de ces réunions en 2003 et en 2004; l’employeur ne lui a jamais fourni les services d’un interprète.

28 Le 16 novembre 2005, M. Lord a informé le fonctionnaire et les autres employés qu’ils seraient tenus d’assister à une réunion au sujet d’un sondage sur le moral du personnel qui aurait lieu le 28 novembre 2005. Le fonctionnaire a demandé à M. Lord des services d’interprétation en ASL pour s’assurer de comprendre ce qui se dirait à la réunion. Lorsque le fonctionnaire est arrivé sur les lieux de la réunion et qu’il a constaté qu’il n’y avait pas de services d’interprétation en ASL, il a quitté la pièce et est retourné à son poste de travail. Le fonctionnaire a témoigné qu’il était sorti de la pièce tranquillement. M. Lord, lui, a témoigné qu’il était [traduction] « rouge comme une tomate » et qu’il avait quitté la pièce d’un pas rageur.

D. Autres questions liées aux mesures d’adaptation

29 M. Lord a témoigné qu’il n’était pas au courant, lors de l’embauche du fonctionnaire, de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation ni de ce qu’elles signifiaient. Il n’avait jamais lu la politique de l’employeur sur les mesures d’adaptation. Il ne savait pas comment obtenir les services d’un interprète en ASL, ni ce que cela supposait. Il n’y avait pas eu de discussions ni de communications exhaustives avec le fonctionnaire sur ses besoins d’adaptation au cours de ses premiers mois d’emploi, ce qui, admet M. Lord, aurait pu aider.

30 Le 4 juin 2003, M. Lord a envoyé un courriel aux employés qui auraient à communiquer avec le fonctionnaire et leur a demandé s’ils aimeraient recevoir de la formation en ASL. Il a déclaré que le fonctionnaire était malentendant, qu’il ne savait pas lire sur les lèvres et qu’il fallait écrire des notes et savoir s’exprimer un peu par signes pour communiquer avec lui. À l’été et à l’automne 2003, entre 8 et 10 collègues de travail du fonctionnaire ont assisté à des séances de formation en ASL, à raison d’une séance de deux heures pas semaine pour une durée de 17 semaines. Le fonctionnaire n’a jamais demandé qu’on offre ces cours, mais il était reconnaissant envers son employeur pour ce geste. La formation, très élémentaire, était insuffisante pour pouvoir assurer des communications quotidiennes avec le fonctionnaire. Après la fin de ces séances, le fonctionnaire, ses collègues de travail et M. Lord ont donc continué à communiquer par écrit, soit sur papier, soit en échangeant des courriels.

31 En avril ou en mai 2003, l’employeur a fourni un téléimprimeur au fonctionnaire pour l’aider à communiquer par téléphone avec ses collègues de travail et avec ses clients.

32 Toujours en avril ou en mai 2003, l’employeur a fait installer une lumière stroboscopique à proximité du poste de travail du fonctionnaire pour s’assurer qu’il soit averti advenant le déclenchement de l’alarme d’incendie dans le bâtiment où il travaillait. L’employeur a également fait afficher une note pour informer les collègues du fonctionnaire qu’il était malentendant et qu’il aurait besoin d’aide si une alarme d’incendie se déclenchait.

33 L’employeur a fourni au fonctionnaire une carte d’identité qu’il pouvait présenter aux autres employés lorsqu’il entrait dans un bâtiment pour y prendre des mesures dans le cadre de son travail. Des renseignements sur l’état du fonctionnaire et sur ses fonctions à la BFC de Trenton figuraient sur cette carte.

34 Vers la fin de 2005, M. Hendry a demandé que le fonctionnaire et lui-même soient équipés de Blackberries pour pouvoir communiquer plus facilement en échangeant des messages textes. M. Lord a témoigné que le personnel de la BFC de Trenton n’était pas équipé pour échanger des messages textes à l’époque. Le fournisseur de télécommunications a fait les changements nécessaires, et les Blackberries demandés ont été livrés en mars 2006. Le fonctionnaire s’est alors fait remettre un livret d’instructions pour savoir comment se servir de son Blackberry. Il a demandé un interprète en ASL pour l’aider à comprendre les instructions. M. Lord a refusé et lui a écrit ce qui suit : [traduction] « Lis le maudit manuel. »

35 Le 16 janvier 2006, le fonctionnaire a demandé à M. Lord de le rencontrer pour parler de questions liées au travail. Il a précisé que la rencontre durerait de une à deux heures et qu’un interprète en ASL serait présent. Le 20 janvier 2006, M. Lord a demandé au fonctionnaire de lui fournir une liste détaillée des questions qui le préoccupaient en prévision de cette rencontre pour l’aider à y répondre. Le fonctionnaire a remis cette liste à M. Lord. La rencontre a eu lieu le 31 janvier 2006, entre le fonctionnaire, M. Lord, un représentant de l’agent négociateur, un représentant du service d’équité en matière d’emploi, un conseiller en ressources humaines et le major D.A. Scherr. C’est M. Lord qui en a rédigé le compte rendu, déposé en preuve à l’audience. Le major Scherr a déclaré que l’anglais était une exigence du poste du fonctionnaire et que celui-ci avait dit connaître la langue anglaise quand il a signé son premier contrat d’emploi. Le major Scherr a recommandé au fonctionnaire de prendre des cours d’anglais, en déclarant que l’employeur lui en rembourserait le coût. Le fonctionnaire a dit qu’il avait besoin, à l’occasion, de services d’interprétation en ASL, plus particulièrement pour communiquer de façon approfondie. L’employeur a accepté de répondre à ses besoins, en déclarant toutefois estimer que les adaptations d’équité en matière d’emploi [traduction] « ne devraient pas être des caprices ». Le major Scherr a informé le fonctionnaire qu’il lui fournirait des services d’interprétation en ASL pour une rencontre mensuelle qui pourrait servir à des communications plus approfondies avec lui. Il a déclaré que cette mesure ne devait pas être considérée [traduction] « comme une béquille » pour le fonctionnaire, qu’il devrait plutôt améliorer ses aptitudes en anglais.

36 Le fonctionnaire a témoigné qu’il s’était senti blessé, insulté et victime de discrimination par les propos du représentant de l’employeur lors de cette rencontre du 31 janvier 2006. Ses aptitudes en anglais n’ont jamais nui à son travail et elles étaient soudainement devenues un problème pour l’employeur. Le fonctionnaire était convaincu qu’il n’avait pas été [traduction] « capricieux ». Il a simplement demandé un interprète en ASL et il a eu l’impression que l’employeur [traduction] « en avait assez ». Quand l’employeur a comparé le recours à l’interprétation en ASL à une béquille, le fonctionnaire a eu l’impression que le plancher [traduction] « s’était effondré sous ses pieds ».

37 Le fonctionnaire a également témoigné qu’il s’était senti humilié ou personnellement rabaissé plusieurs fois au cours de son emploi quand l’employeur refusait de prendre des mesures d’adaptation pour lui, la plupart du temps en rejetant ses demandes d’interprétation en ASL quand il en avait besoin.

E. Reconduction au statut d’employé nommé pour une période indéterminée

38 Le fonctionnaire a témoigné que M. Lord lui avait dit qu’il serait nommé pour une période indéterminée à l’expiration de son contrat le 28 avril 2006. Il a déclaré qu’on lui avait aussi dit qu’il n’aurait pas à se porter candidat à un concours et qu’il serait préférable qu’il attende simplement sa reconduction pour obtenir le statut d’employé nommé pour une période indéterminée. M. Lord a témoigné qu’il avait peut-être dit cela au fonctionnaire. C’est également lui qui a rédigé le compte rendu de la rencontre du 31 janvier 2006. Il a écrit ce qui suit à la question 20 de ce compte rendu :

[Traduction]

20.     M. Stringer craint qu’on ne le garde pas à l’expiration de son contrat, le 28 avril. Le major Scherr déclare que le contrat n’a rien à voir, qu’il fera l’objet d’une reconduction après trois ans et qu’il aura une nomination pour une période indéterminée. M. Birney dit qu’il n’y a pas de stage probatoire à la reconduction et que ce n’est pas une question liée à la probation.

39 Plusieurs documents déposés à l’audience montrent que l’employeur éprouvait des difficultés avec le budget de son enveloppe des traitements et salaires à la BFC de Trenton. Le compte rendu de la réunion du Comité des relations syndicales-patronales du 6 décembre 2005 révèle un déficit de 1,6 million de dollars en ce qui a trait au budget de cette enveloppe pour l’exercice 2005-2006 et précise qu’on prévoyait un autre déficit, de 1,2 million de dollars, pour l’exercice 2006-2007.

40 Le lieutenant-colonel Gould a décidé de résilier le contrat d’emploi du fonctionnaire. L’employeur n’avait pas assez de fonds dans son budget pour garder tous ses employés nommés pour une période déterminée et il devait établir des priorités. Le major Scherr a informé le lieutenant-colonel Gould que le poste du fonctionnaire n’était pas une grande priorité pour la BFC de Trenton. Le lieutenant-colonel Gould a souscrit à l’opinion du major Scherr et a donc décidé de résilier le contrat du fonctionnaire avant qu’il vienne à expiration. Il a témoigné que c’était la seule raison pour laquelle il avait décidé de résilier le contrat du fonctionnaire, en déclarant que rien d’autre n’avait influé sur sa décision. En contre-interrogatoire, le lieutenant-colonel Gould a déclaré que le contrat du fonctionnaire avait été raccourci de quelques jours pour faire en sorte qu’il ne devienne pas un employé nommé pour une période indéterminée. Il a également affirmé que, n’eût été des restrictions financières, le fonctionnaire aurait été nommé pour une période indéterminée. Après avoir décidé que le poste du fonctionnaire n’était pas prioritaire, l’employeur n’a pas essayé de lui trouver un autre poste.

41 Le fonctionnaire a présenté des preuves que deux employés embauchés dans le cadre de l’équité en matière d’emploi avaient été nommés pour une période indéterminée à peu près au moment même où son contrat avait été résilié. Un de ces employés occupait un poste classifié AS-04 et l’autre un poste classifié CR-04.

42 L’employeur a déposé en preuve une présentation envoyée par la BFC de Trenton au Quartier général du ministère de la Défense nationale (MDN) au sujet du déficit de son enveloppe salariale. Le lieutenant-colonel Gould a brièvement expliqué cette présentation. Le 2 juin 2005, on a attribué des points à des postes occasionnels et à durée déterminée en fonction de leur priorité. Le nombre de points variait entre 175 pour les postes les moins prioritaires et 750 pour les postes les plus prioritaires. Le poste du fonctionnaire s’est vu attribuer 350 points. Les parties n’ont présenté aucune preuve sur ce qui était arrivé aux occupants des postes auxquels on avait attribué 350 points ou moins.

43 Le fonctionnaire a déposé en preuve une liste de postes vacants en 2006 à la BFC de Trenton. On peut y lire les noms des employés embauchés pour doter les postes vacants et les dates d’embauche. La liste comprend deux postes classifiés DD-04, mais n’indique pas si ces postes étaient dotés ou s’ils étaient vacants. Le fonctionnaire a déposé en preuve une seconde liste semblable à la première, mais avec des codes de différentes couleurs. Il s’est servi de ces codes de couleurs pour identifier les postes au sujet desquels il avait de la documentation et ceux qui relevaient du commandant de la BFC de Trenton.

44 Le fonctionnaire a présenté en preuve deux affiches de Service Canada annonçant des emplois. Il s’agissait dans les deux cas de travail chez Addeco, une agence de placement qui fournissait régulièrement du personnel à la BFC de Trenton. La première affiche annonçait un poste de dessinateur et contenait le résumé d’une description de travail très semblable à celui que le fonctionnaire faisait à la BFC de Trenton. La date de clôture des demandes d’emploi était le 18 juillet 2007. La seconde affiche annonçait deux postes d’ingénieurs arpenteurs. La description sommaire du travail était partiellement comparable à celle du travail que le fonctionnaire faisait à la BFC de Trenton, et la date de clôture des demandes d’emploi était le 25 octobre 2007. Le fonctionnaire a également déposé en preuve une affiche annonçant un poste de technologue des systèmes d’information géographique (SIG) classifié EG-03, lui aussi à la BFC de Trenton. Même si le document déposé à l’audience ne précisait pas de date de clôture des demandes, il avait été mis à jour le 9 juin 2008. Il y a quelques ressemblances entre ce travail et celui que le fonctionnaire faisait à la BFC de Trenton, mais aussi d’importantes différences. Cela dit, le fonctionnaire a également déposé en preuve une liste de postes d’ingénieur civil annoncés ou affichés entre 2001 et 2009 aux Écoles d’architecture et de sciences de la construction du Loyalist College. Cette liste comprend un poste de dessinateur, un poste de technicien en SIG et un poste de technicien en GPS (système de positionnement global) à la BFC de Trenton.

45 Pendant que le fonctionnaire travaillait comme dessinateur à la BFC de Trenton, l’employeur avait décidé d’embaucher deux autres dessinateurs d’Addeco pour faire le même travail que lui. La preuve documentaire présentée à l’audience m’incite à croire que le premier de ces employés avait travaillé d’octobre 2005 à février 2006 et que le second de février au début d’avril 2006.

46 M. Lord a témoigné que personne n’avait été embauché pour remplacer le fonctionnaire après son licenciement en avril 2006. Son poste était resté vacant. Le travail qu’il faisait avant 2006 n’est pas disparu; il s’est simplement accumulé. Quand on a un besoin urgent de mettre à jour des mesures, des plans de bâtiments ou des dessins, le travail est fait par d’autres employés qui ont les aptitudes nécessaires.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

47 Les arguments initiaux du fonctionnaire s’étendaient sur 63 pages et sa réfutation des arguments de l’employeur en comptait 23. J’ai examiné attentivement ces arguments et il ne m’apparaît pas utile de les résumer de façon détaillée dans ma décision. Je vais plutôt me concentrer sur les principaux arguments du fonctionnaire.

48 L’employeur n’a pas pris de mesures d’accommodement quant à l’incapacité du fonctionnaire. Il a également licencié le fonctionnaire quatre jours avant sa date d’obtention du statut d’employé nommé pour une période indéterminée en vertu de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor. Pour comprendre toutes les circonstances qui ont mené au licenciement du fonctionnaire, il est impératif d’interpréter la décision de le licencier compte tenu du fait qu’on n’a pas pris de mesures d’adaptation appropriées, de la discrimination et du harcèlement connexe. La décision de licencier le fonctionnaire ne saurait être séparée de l’attitude adoptée à son égard particulièrement par M. Lord et par le major Scherr. Ces intervenants clés, qui ont recommandé le licenciement du fonctionnaire, avaient également agi de façon discriminatoire à son endroit, directement ou indirectement, en ne prenant pas de mesures d’adaptation à ses besoins. La décision de le licencier était entachée de discrimination.

49 Selon la loi, il est clair qu’on n’a pas besoin de prouver que le traitement et le licenciement du fonctionnaire étaient basés sur la discrimination. Pour peu que la discrimination ait été un facteur (présent d’une façon quelconque, si mineure soit-elle) de la décision de le licencier, cela suffit pour conclure que le licenciement était entaché de discrimination et pour accorder un redressement. Qui plus est, il n’est pas nécessaire de prouver l’intention d’agir de façon discriminatoire — l’effet discriminatoire des actions de la personne intéressée est crucial.

50 La preuve démontre que plusieurs personnes dans des circonstances semblables ont été reconduites avec le statut d’employé nommé pour une période indéterminée (à partir d’une nomination pour une période déterminée ou d’un emploi occasionnel) pour des considérations d’équité en matière d’emploi. L’employeur n’a pas expliqué pourquoi le fonctionnaire s’estimant lésé a été traité différemment. Manifestement, la décision de mettre fin à la nomination pour une période déterminée du fonctionnaire quatre jours avant son expiration était intentionnelle et dans le but de le priver de ce droit de reconduction. De plus, la preuve selon laquelle les tâches accomplies par le fonctionnaire sont toujours existantes et que le poste est ouvert et qu’il doit être doté n’est pas contredite. Bien qu’on ait invoqué le coût comme excuse, on n’a avancé aucune explication raisonnable concernant la raison pour laquelle le fonctionnaire a été licencié contrairement à d’autres personnes qui ont bénéficié d’une reconduction ou qui continuent d’être employées. Le fait que des considérations financières justifiaient sa décision de licencier le fonctionnaire ne constitue pas une bonne défense de la part de l’employeur. De toute évidence, la discrimination a joué dans sa décision, et c’est suffisant en droit pour que le grief soit accueilli.

51 Sur la question de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, il est évident que l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation suffisantes. Par exemple, en dépit de l’importance de certaines rencontres directement liées à l’embauche du fonctionnaire ou d’autres rencontres ultérieures concernant sa sécurité, l’employeur n’a pas fait suffisamment de tentatives, voire n’en a carrément fait aucune, pour obtenir les services d’un interprète en ASL. Rien ne peut justifier que l’employeur ait autant tardé pour prendre des mesures d’adaptation. En outre, l’employeur a commencé à relever la qualité de la langue seconde du fonctionnaire, et ce, même si le manque relatif de maîtrise de l’anglais du fonctionnaire ne nuisait pas à son rendement. Ce changement d’attitude a coïncidé de manière significative avec l’intensification des efforts du fonctionnaire pour obtenir des mesures d’adaptation. L’employeur n’a donné aucune explication de son intérêt soudain pour la maîtrise de l’anglais du fonctionnaire.

52 M. Lord éprouvait manifestement de l’impatience à l’endroit du fonctionnaire et rejetait souvent ses demandes d’adaptation avec brusquerie. Il ne voulait tout simplement pas prendre toutes les mesures d’adaptation nécessaires. Par exemple, il a écrit au fonctionnaire qu’il devrait [traduction] « li[re] le maudit manuel » quand celui-ci avait demandé l’aide d’un interprète en ASL pour comprendre le livret d’instructions du Blackberry. Il avait aussi écrit au fonctionnaire pour lui ordonner de remplir le [traduction] « maudit document », en parlant du questionnaire du sondage sur le moral.

53 La preuve a démontré que les tâches du fonctionnaire ont continué d’exister après son licenciement. M. Lord a témoigné que le poste du fonctionnaire n’avait pas été rempli, mais que l’employeur était en train de le doter. La preuve a montré que le travail ne s’était pas évaporé, mais qu’il avait tout au plus perdu de sa priorité. La preuve a également démontré que l’employeur avait informé le fonctionnaire qu’il serait renouvelé à la fin de sa période d’emploi continu de trois ans. L’employeur en avait informé le fonctionnaire alors qu’il était conscient de ses contraintes de financement.

54 L’employeur a retardé la prise de mesures d’adaptation adéquates auxquelles il s’était engagé au début de 2006. Il n’a donné aucune explication de la raison pour laquelle il avait tant tardé à les mettre en œuvre.

55 L’employeur n’a fait aucun effort pour trouver un autre emploi au fonctionnaire. En fait, M. Lord lui a donné une référence trompeuse qui lui a fait perdre une possibilité d’emploi. Bref, même après avoir été congédié, le fonctionnaire a continué d’être victime de discrimination.

56 Un arbitre de grief a compétence pour se prononcer sur un grief contestant un licenciement si celui-ci était de mauvaise foi. En outre, l’article 209 et les alinéas 226(1)g) et h) de la nouvelle Loi lui donnent les pleins pouvoirs d’interpréter et d’appliquer la LCDP, y compris toutes les dispositions de redressement figurant à l’article 53. Globalement, dans un contexte de droits de la personne, l’arbitre de grief a le droit de contester la prétendue raison d’être d’un licenciement quelconque. En l’espèce, l’employeur a invoqué des [traduction] « compressions budgétaires » pour justifier une décision qui était réellement motivée par de la discrimination. La preuve a montré que le travail que le fonctionnaire effectuait était toujours à faire à la suite de son licenciement et que son poste est toujours disponible. Sa réintégration est donc absolument nécessaire.

57 La jurisprudence a établi le critère de la [traduction] « possibilité simple mais sérieuse » parce qu’il est rare qu’on trouve une preuve directe de discrimination. Par conséquent, on peut déduire qu’il y a discrimination si la preuve la rend plus probable que d’autres déductions ou d’autres hypothèses envisageables. L’intention d’agir de façon discriminatoire n’est pas un facteur lorsqu’on interprète les dispositions législatives sur les droits de la personne visant à éliminer la discrimination. C’est plutôt le résultat ou l’effet de l’action discriminatoire alléguée qui compte.

58 L’arbitre de grief doit être à l’affût d’indices subtils de discrimination. Dans ce cas-ci, il est évident, selon la preuve, que le fonctionnaire était performant et qualifié, et que toutes les parties intéressées croyaient qu’il serait reconduit dans un poste auquel il serait nommé pour une période indéterminée. La preuve démontre aussi que ses tâches sont toujours à faire et que son poste est encore disponible. Aucune explication rationnelle n’a été donnée à savoir pourquoi sa nomination pour une période déterminée n’a délibérément pas été renouvelée alors que d’autres ont été reconduits avec le statut d’employés nommés pour une période indéterminée en vertu de considérations d’équité en matière d’emploi. À l’inverse, les facteurs d’adaptation à ses besoins et la nature de son incapacité ont clairement influé sur le non-renouvellement de son contrat d’emploi pour une période déterminée.

59 En guise de redressement, le fonctionnaire réclame une ordonnance déclarant que l’employeur a agi de façon discriminatoire à son endroit en raison de son incapacité et que la décision de l’employeur de le licencier était discriminatoire. Le fonctionnaire réclame également que l’employeur soit tenu, en consultation avec la CCDP, d’examiner et de réviser ses pratiques d’adaptation pour faire en sorte que ces actions ne se reproduisent plus. Le fonctionnaire demande à être réintégré dans un poste classifié DD-03 et à être dédommagé pour les pertes qu’il a subies au titre du traitement et des avantages sociaux. Il demande également une indemnisation spéciale pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 226(1)h) de la Loi, soit 15 000 $ aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP et 15 000 $ aux termes du paragraphe 53(3) de la LCDP. Il réclame enfin des intérêts composés sur tous les montants accordés par l’arbitre de grief.

60 Le fonctionnaire me renvoie aux décisions suivantes : Basi v. Canadian National Railway, 1988 CanLII 108 (C.H.R.T.); British Columbia (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin); Canada (Procureur général) c. Brooks, 2006 CF 1244; CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114; Canada (Procureur général) c. Uzoaba, [1995] 2 C.F. 569 (1re inst.); Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268; Larente v. Canadian Broadcasting Corp., [2002] C.H.R.D. No. 11 (QL); Longpré c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2004 CRTFP 81; Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Procureur général) (Morris), 2005 CAF 154; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536; Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), 2000 CSC 27; Stevenson c. Agence du revenu du Canada, 2007 CRTFP 43; Wong c. Administrateur général (Service canadien du renseignement de sécurité), 2010 CRTFP 18.

B. Pour l’employeur

61 Le fonctionnaire avait été embauché pour une période déterminée. À chaque reconduction de son contrat pour une période déterminée, on lui a remis une lettre où il était écrit que cette reconduction ne devait pas être interprétée comme une offre d’emploi pour une période indéterminée dans la fonction publique. Son dernier contrat devait expirer le 28 avril 2006. Toutefois, en raison de contraintes financières, l’employeur a informé le fonctionnaire le 22 mars 2006 que son contrat prendrait fin plus tôt que prévu, soit le 24 avril 2006. À part les contraintes financières et une démarche d’établissement de priorité des postes, rien n’a influé sur la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire pour une période déterminée plus tôt qu’à la date précisée dans son dernier contrat. Depuis le départ du fonctionnaire, l’employeur n’a embauché personne pour faire son travail.

62 Si l’arbitre accueillait le grief, il n’aurait pas le pouvoir d’ordonner la réintégration du fonctionnaire, parce que celui-ci avait été nommé pour une période déterminée. L’alinéa 226(1)g) de la nouvelle Loi donne à un arbitre de grief le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la LCDP. L’alinéa 226(1)h) de la nouvelle Loi lui donne également le pouvoir d’accorder un redressement à un fonctionnaire s’estimant lésé aux termes de l’alinéa 53(2)e) ou du paragraphe 53(3) de la LCDP, c’est-à-dire que l’arbitre de grief peut accorder une indemnité pour préjudice moral en vertu de l’alinéa 53(2)e) ou une indemnité spéciale en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP seulement si une personne s’est livrée à une pratique discriminatoire de façon délibérée ou irresponsable. Un arbitre de grief ne peut ordonner aucun autre type de dommages lorsqu’il est saisi d’une allégation de discrimination.

63 L’arbitre de grief devrait rejeter l’allégation de discrimination du fonctionnaire. L’employeur a agi de bonne foi et a fait bénéficier le fonctionnaire de plusieurs mesures d’adaptation au cours de son emploi, la preuve présentée à l’audience le confirme.

64 Le fonctionnaire a prétendu que des mesures d’adaptation n’avaient pas été prises à plusieurs occasions avant avril 2005. La nouvelle Loi est entrée en vigueur le 1er avril 2005. L’employeur a déclaré qu’un arbitre de grief n’a pas compétence pour entendre des questions de droits de la personne datant d’avant cette date en l’absence d’une demande à la Commission fondée sur l’article 41 ou 44 de la LCDP.

65 Quand le grief a été déposé, l’employeur avait déjà offert au fonctionnaire les mesures d’adaptation réclamées. L’employeur avait accepté d’aller au-delà d’une des demandes du fonctionnaire en réservant un interprète en ASL non seulement pour les réunions sur la sécurité, mais aussi pour toutes les autres rencontres ou questions pour lesquelles le fonctionnaire aurait besoin d’un tel interprète (p. ex. pour l’aider à comprendre le manuel du Blackberry ou pour n’importe quelle autre réunion, comme celle au sujet du sondage sur le moral). C’était de toute évidence une réponse satisfaisante à la demande du fonctionnaire. L’employeur déclare donc que la question des mesures d’adaptation ne se pose plus. Il n’y a plus de controverse entre les parties à ce sujet. Qui plus est, l’employeur avait offert la majorité des mesures d’adaptation demandées par le fonctionnaire plusieurs mois avant que le grief ne soit déposé. En outre, puisque les séances mensuelles [traduction] « de revue » avec un interprète en ASL fourni en 2006 avaient été proposées pour apaiser toutes les inquiétudes du fonctionnaire, l’employeur a déclaré qu’elles ne pouvaient être soulevées comme posant un problème à l’avenir.

66 L’employeur a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas été franc quant à sa compréhension de l’anglais écrit. Il n’avait donc pas toute l’information dont il avait besoin pour prendre des mesures d’adaptation. Le fonctionnaire n’avait pas expliqué à l’employeur son niveau de maîtrise de l’anglais. Ce fait a une incidence fondamentale sur la façon dont on devrait évaluer l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation.

67 Enfin, l’employeur a fait valoir que rien dans la preuve présentée par le fonctionnaire ne justifie son allégation de harcèlement. Le fonctionnaire n’a jamais soulevé la question du harcèlement au cours de son emploi et il n’a jamais invoqué la politique interne sur le harcèlement.

68 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4; British Columbia (Public Service Employee Relations Commission, Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; Dansereau c. Office national du film et Pierre-André Lachapelle, [1979] 1 C.F. 100; Spencer c. Canada (Procureur général), 2010 CF 33; Spencer c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1395; Canada (Procureur général) c. Lâm, 2008 CF 874; Ryan c. Canada (Procureur général), 2005 CF 65; Endicott c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 253; Zaytoun c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2010 CRTFP 35; Jensen c. Administrateur général (ministère de l’Environnement), 2009 CRTFP 153; Matear c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord), 2009 CRTFP 97; Spooner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 60; Lloyd c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 15; Pepper c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 71; Zhou c. Conseil national de recherches du Canada, 2008 CRTFP 51; Cyr c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 35; Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8; Keuleman c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 40; Monteiro c. Conseil du Trésor (Agence spatiale canadienne), 2005 CRTFP 27; Foreman c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 73; Pieters c. Conseil du Trésor (Cour fédérale du Canada), 2001 CRTFP 100; Joss c. Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), 2001 CRTFP 27; Hanna c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-26983 (19960624); Laird c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration), dossier de la CRTFP 166-02-19981 (19901207); Day c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 43; Brown c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 24.

IV. Motifs

69 Le fonctionnaire a présenté un grief pour contester la décision de l’employeur de le licencier quatre jours avant qu’il atteigne trois années d’emploi continu et qu’il soit donc reconduit avec le statut d’employé nommé pour une période indéterminée. Il a aussi présenté son grief en déclarant que l’employeur avait agi de façon discriminatoire et qu’il n’avait pas pris de mesures d’adaptation à ses besoins. Dans son argumentation, il a clairement relié ces deux points en affirmant que l’attitude discriminatoire de l’employeur à son endroit avait mené à son licenciement. En d’autres termes, si l’employeur n’avait pas usé de discrimination contre le fonctionnaire, il ne l’aurait peut-être pas licencié. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage deux fois en vertu de deux dispositions distinctes de la nouvelle Loi, soit pour violation de la clause de la convention collective interdisant la discrimination, et pour l’arbitrage d’un grief contestant un licenciement. Je vais commencer par déterminer si la clause interdisant la discrimination a effectivement été violée, après quoi j’examinerai la légalité du licenciement.

A.  L’employeur a-t-il agi de façon discriminatoire contre le fonctionnaire s’estimant lésé?

70 En plus d’avoir présenté son grief alléguant que l’employeur avait violé la clause de la convention collective interdisant la discrimination, le fonctionnaire a informé la CCDP qu’il soulevait une question d’application de la LCDP dans le contexte d’une demande d’arbitrage d’un grief. Plus précisément, il a déclaré que l’employeur avait failli à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à ses besoins comme malentendant parce qu’il ne lui avait pas fourni de services d’interprétation en ASL quand il le demandait et qu’il n’avait pas tenu compte de ses autres demandes relatives aux communications quotidiennes dans son milieu de travail, et parce qu’il avait soulevé la question de sa maîtrise de l’anglais après qu’il eut passé plus de deux ans à son emploi. Le fonctionnaire a également déclaré dans son avis à la CCDP que l’employeur avait résilié son contrat quatre jours avant la date à laquelle il aurait atteint trois années d’emploi continu.

71 L’employeur a déclaré pour sa part qu’il avait déjà pris des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins du fonctionnaire en avril 2006, quand le grief a été déposé. Il n’existait pas d’autre question en litige entre les parties sauf le licenciement du fonctionnaire, de sorte que la question des mesures d’adaptation n’est pas pertinente. L’employeur fait aussi valoir que les arbitres de grief de la Commission n’ont pas compétence pour se prononcer sur les questions de droits de la personne intervenues avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi, le 1er avril 2005. Par conséquent, selon l’employeur, je ne devrais pas tenir compte des situations qui se sont déroulées avant le 1er avril 2005 et dans lesquelles le fonctionnaire prétend que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de prendre des mesures d’adaptation.

72 La clause de la convention collective qui interdisait la discrimination se lit en partie comme suit :

[…]

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

[…]

73 L’employeur a raison de déclarer que les arbitres de grief n’ont pas compétence pour se prononcer sur les questions de droits de la personne intervenues avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi. Toutefois, cela n’empêche pas un arbitre de grief de décider si la clause 19.01 de la convention collective, qui existait dans la convention collective antérieure avec essentiellement le même libellé, avait été violée. En d’autres termes, indépendamment de l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi, la clause de la convention collective interdisant la discrimination s’appliquait au fonctionnaire et à l’employeur, de la date d’embauche du fonctionnaire jusqu’à celle de son licenciement.

74 Pour mieux comprendre la nature du grief, j’estime qu’il est utile de reproduire comme suit la plus grande partie de ce qui figure sous la rubrique des détails du grief dans la formule de présentation du grief :

[Traduction]

[…]

L’employeur a évalué Jeff Stringer favorablement tous les ans après la date de son entrée en fonction […] L’anglais n’a pas été noté comme posant problème […] Il a été informé, pour des motifs contrevenant à la convention collective et à la loi, de son licenciement en vigueur à compter du 24 avril 2006 […]

L’employeur a agi de façon discriminatoire contre Jeff à cause de sa surdité, en refusant en de nombreuses occasions importantes liées aux besoins de l’employé de s’acquitter correctement de sa tâche de retenir les services d’interprètes gestuels quand leurs services étaient nécessaires […] L’employeur a porté atteinte à la dignité de Jeff en le harcelant et en le traitant comme un employé de classe inférieure à cause de sa surdité. Il a contrevenu à la clause 19.01 de la convention collective.

[…]

75 Dans l’avis qu’il a envoyé à la CCDP, le fonctionnaire mentionne également les critiques de l’employeur quant à sa maîtrise de l’anglais, ses refus de lui fournir les services d’interprètes en ASL et sa résiliation du contrat d’emploi. Fondamentalement, le fonctionnaire estime avoir été victime de discrimination de la part de l’employeur, ce qui constitue une violation de la convention collective et de la LCDP.

76 Je ne souscris pas à la prétention de l’employeur qu’il n’y avait plus de questions en litige entre les parties hormis celle du licenciement du fonctionnaire. Le libellé du grief et de l’avis envoyé à la CCDP de même que la preuve présentée à l’audience signifient clairement que le fonctionnaire persiste à croire qu’il a été victime de discrimination durant son emploi à la BFC de Trenton. Il a choisi de présenter un grief quand il a été informé qu’il serait licencié; il a également fait état, dans son grief, de la discrimination qu’il avait subie avant son licenciement.

77 La clause 18.10 de la convention collective stipule que l’employé peut présenter un grief au plus tard 25 jours après la date à laquelle il a pris connaissance de la mesure ou des circonstances ayant donné lieu au grief. Le grief a été déposé dans les 25 jours de la date à laquelle le fonctionnaire a été informé qu’il serait licencié. Il s’agissait pour lui du dernier incident considéré comme étant de la discrimination. Comme la discrimination alléguée peut être considérée comme continue, les incidences de discrimination dont il allègue avoir été victime peuvent être examinées même si elles s’étaient produites avant ces 25 jours. Le concept de grief continu s’applique. Le contraire reviendrait à dire au fonctionnaire qu’il aurait dû présenter un grief pour protester contre chaque incidence de discrimination alléguée dans les 25 jours suivant cet incident. Ce qui compte, c’est que le fonctionnaire a présenté un grief dans les 25 jours du dernier incident de discrimination dont il s’estimait victime.

78 Cette interprétation est compatible avec la LCDP, que je dois interpréter parallèlement à la convention collective. La LCDP ne prévoit pas de périodes claires durant lesquelles une plainte doit être déposée. Toutefois, en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP, la CCDP peut refuser une plainte déposée plus d’un an après sa plus récente violation. Le libellé de cet alinéa implique également que les plaintes sont considérées comme continues et qu’elles peuvent englober une série de plusieurs incidents :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

[…]

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

79 En me fondant sur la preuve présentée à l’audience, je vais vérifier si l’employeur a agi de façon discriminatoire à l’endroit du fonctionnaire ou s’il a failli à son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins du fonctionnaire lorsque nécessaire. Avant d’examiner la preuve, je vais brièvement passer en revue la législation sur la discrimination et les mesures d’adaptation.

80 L’employeur savait que le fonctionnaire était malentendant, et ce, depuis que ce dernier a posé sa candidature. J’admets d’office que la malentendance est une déficience au sens du paragraphe 3(1) de la LCDP et une incapacité à celui de la clause 19.02 de la convention collective. Par conséquent, en vertu de l’article 7 de la LCDP ou de la clause 19.02 de la convention collective, l’employeur ne pouvait pas établir directement ou indirectement une distinction jouant au détriment du fonctionnaire à cause qu’il était malentendant. Dans Simpsons-Sears, la Cour suprême a établi que les employeurs ont l’obligation de prendre des mesures raisonnables d’adaptation aux limites professionnelles de l’employé, tant que cela ne leur impose pas de contrainte excessive. En l’espèce, l’employeur savait que le fonctionnaire était malentendant. Dans les cas où le fonctionnaire lui avait demandé de prendre des mesures d’adaptation et où l’employeur avait refusé de le faire, l’employeur avait la charge de prouver l’existence d’une contrainte excessive.

81 Le fonctionnaire a témoigné que l’employeur avait refusé à plusieurs reprises de lui fournir les services d’un interprète en ASL. Le premier incident a eu lieu en novembre 2002, quand l’employeur a rencontré le fonctionnaire pour parler des formalités d’embauche. Le fonctionnaire a demandé des services d’interprétation en ASL pour mieux comprendre les documents et pour pouvoir poser facilement des questions. L’employeur a rejeté sa demande en lui disant qu’il allait devoir s’habituer à écrire. Le fonctionnaire s’est également fait refuser des services d’interprétation en ASL en mai 2004 ainsi qu’en avril 2005, les deux fois qu’on lui a présenté son évaluation de rendement. Faute d’avoir accès aux services d’un interprète en ASL, le fonctionnaire n’a pas pu comprendre parfaitement son évaluation ni en parler en toute connaissance de cause. Le fonctionnaire s’est aussi vu refuser les services d’un interprète en ASL à l’occasion des réunions mensuelles de 15 minutes sur la sécurité; 14 de ces réunions ont eu lieu en 2003 et en 2004. L’employeur a permis au fonctionnaire d’avoir accès à la documentation écrite et aux vidéos, mais le fonctionnaire n’était pas en mesure de profiter pleinement de tout ce qui se disait à ces réunions en raison de son incapacité. L’employeur lui a également refusé les services d’un interprète en ASL lors d’une réunion à laquelle tous les employés devaient assister en novembre 2005 pour parler d’un sondage sur le moral des employés; le fonctionnaire tenait à bien comprendre ce qu’on dirait. De plus, le fonctionnaire a demandé un interprète en ASL pour l’aider à comprendre le manuel d’instructions du Blackberry qui lui a été fourni en mars 2006. Cette demande a été rejetée par M. Lord, qui a alors écrit ce qui suit au fonctionnaire : [traduction] « Lis le maudit manuel. »

82 Le fonctionnaire a fait toutes ces demandes à l’avance, et elles étaient légitimes. L’employeur n’a produit aucune preuve qu’il aurait subi une contrainte excessive s’il avait fourni au fonctionnaire des services d’interprétation en ASL à ces occasions. Cela lui aurait coûté entre 40 $ et 50 $ l’heure. Je n’ai aucun doute que l’employeur aurait pu payer ce tarif. En refusant d’offrir les services d’un interprète en ASL à ces occasions, l’employeur a manqué à son obligation d’adaptation à l’incapacité du fonctionnaire et s’est rendu coupable de discrimination contre lui. À chacune de ces occasions, il a empêché le fonctionnaire de comprendre pleinement ou de participer pleinement à des activités liées à son travail comme tous les autres employés. Le fonctionnaire avait le droit d’être traité avec dignité, mais il ne l’a pas été.

83 La première langue du fonctionnaire est l’ASL. Il a aussi appris à lire et à écrire en anglais. La preuve a démontré qu’il n’écrivait pas parfaitement en anglais et qu’il avait de la difficulté à comprendre certains mots qui n’existaient pas en ASL. La preuve a également démontré que ces difficultés ne nuisaient pas à son rendement professionnel. Le rapport d’évaluation de son rendement de mai 2004 ne fait état d’aucune difficulté à maîtriser l’anglais écrit. Au contraire, l’employeur a écrit : [traduction] « Bien qu’il soit malentendant, il s’efforce de s’assurer que les communications dans les deux sens soient claires, concises et exactes. » Dans le rapport d’évaluation du rendement du fonctionnaire d’avril 2005, l’employeur a également écrit ce qui suit : [traduction] « Bien qu’il soit malentendant, il est capable d’avoir des interactions efficientes avec ses pairs, ses superviseurs et ses clients […] Jeff est conscient qu’il a besoin de formation pour maîtriser l’anglais écrit, mais cela n’a pas le moindrement affecté son rendement professionnel. »

84 La question de la maîtrise de l’anglais a refait surface à la rencontre du 31 janvier 2006. Cette fois, le major Scherr a déclaré que l’anglais était une exigence du poste et il a recommandé que le fonctionnaire suive des cours d’anglais. L’employeur a dit qu’il avait accepté de prendre des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire, mais qu’il estimait que ces mesures d’adaptation dans le cadre de l’équité en matière d’emploi [traduction] « ne devraient pas être des caprices ». L’employeur a alors informé le fonctionnaire qu’il lui fournirait des services d’interprétation en ASL pour une rencontre une fois par mois mais que ce ne devait pas être considéré [traduction] « comme une béquille » pour le fonctionnaire, qui devrait plutôt améliorer ses aptitudes en anglais.

85 En agissant comme il l’a fait concernant la maîtrise de l’anglais du fonctionnaire, j’estime que l’employeur a agi de façon discriminatoire. Je ne sais pas exactement de quoi il s’agissait, ni quel niveau de maîtrise de l’anglais aurait été acceptable pour l’employeur, qui a d’ailleurs admis que la connaissance de l’anglais du fonctionnaire était suffisante pour qu’il fasse son travail. Il me semble que l’employeur voulait que le fonctionnaire arrive à maîtriser suffisamment bien l’anglais écrit pour ne plus demander d’interprétation en ASL. En d’autres termes, le fonctionnaire s’acquittait entièrement des exigences de son poste, mais l’employeur a décidé d’exiger davantage de lui afin que le fardeau lié aux mesures d’adaptation qu’il était tenu de lui fournir soit moins lourd. C’est fondamentalement inacceptable. Qui plus est, l’emploi d’expressions comme [traduction] « ne devraient pas être des caprices » ou être considéré [traduction] « comme étant une béquille » est tout à fait inacceptable dans le contexte d’une demande de mesures d’adaptation. C’étaient des remarques humiliantes qui constituaient de la discrimination contre le fonctionnaire.

86 Généralement parlant, l’employeur ne s’est pas non plus acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation en n’offrant pas de formation, de conseils ni d’aide à ses gestionnaires de la BFC de Trenton sur ce qui devait être fait, sur la façon de le faire et sur où s’adresser pour obtenir de l’aide afin d’offrir au fonctionnaire les mesures d’adaptation nécessaires. Je suis presque certain que le fonctionnaire n’était pas la première personne malentendante embauchée par l’employeur. Il avait été embauché dans le cadre des programmes d’équité en matière d’emploi. Il était normal que M. Lord n’ait pas su de façon détaillée comment prendre les mesures d’adaptation nécessaires lorsque le fonctionnaire a été embauché ni où trouver les ressources pour l’aider. Ce qui n’est pas normal, c’est qu’aucun spécialiste de l’équité en matière d’emploi ni des ressources humaines de l’employeur n’ait été dépêché pour former, sensibiliser, éduquer et aider M. Lord et le major Scherr afin qu’ils puissent s’acquitter de leur obligation de prendre des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire en leur faisant comprendre ce que leur obligation supposait et ce qu’elle signifiait. La différence aurait pu être énorme.

B.  La décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire était-elle discriminatoire?

87 Le fonctionnaire a soutenu que la décision de l’employeur de le licencier était discriminatoire ou entachée de discrimination. L’employeur a maintenu quant à lui que sa décision était simplement fondée sur des contraintes financières. Même si j’ai déjà conclu que l’employeur a agi de façon discriminatoire contre le fonctionnaire à plusieurs occasions au cours de son emploi à la BFC de Trenton, la preuve présentée à l’audience m’amène à conclure que la décision de le licencier était basée exclusivement sur des raisons financières.

88 Le fonctionnaire a été nommé pour une période déterminée, et l’employeur n’avait aucune obligation de le nommer pour une période indéterminée. Il est toutefois clair que l’employeur lui a promis qu’il serait reconduit avec le statut d’employé nommé pour une période indéterminée après trois années d’emploi. M. Lord a dit au fonctionnaire qu’il serait reconduit après trois années d’emploi. Le fonctionnaire s’était fait dire la même chose par le major Scherr à la rencontre du 31 janvier 2006. De toute évidence, l’employeur n’a pas tenu ses promesses quand il a décidé de licencier le fonctionnaire quelques semaines plus tard. C’est peut-être immoral, mais ce n’est pas une preuve de discrimination ni d’action illégale. C’est plutôt un exemple de gestion à courte vue et mal informée des ressources humaines.

89 L’employeur savait depuis 2005 qu’il y avait un gros problème avec le budget de l’enveloppe salariale de la BFC de Trenton. En juin 2005, il a attribué des points à ses postes d’employés nommés pour une période déterminée afin de les classer en ordre de priorité. Le poste du fonctionnaire s’est vu attribuer 350 points, ce qui n’était pas une priorité élevée. Le 31 janvier 2006, le major Scherr a dit au fonctionnaire qu’il serait reconduit avec le statut d’employé nommé pour une période indéterminée le 28 avril 2006. Après le 31 janvier 2006, mais avant le 21 mars 2006, le major Scherr a recommandé au lieutenant-colonel Gould que le poste du fonctionnaire soit aboli et que le fonctionnaire soit licencié. Le lieutenant-colonel Gould a accepté cette recommandation, et le fonctionnaire a été informé le 21 mars 2006 que son contrat prendrait fin le 24 avril 2006.

90 Le lieutenant-colonel Gould a témoigné qu’il ne disposait pas d’assez de fonds dans son budget pour garder tous les employés nommés pour une période déterminée et qu’il avait dû établir des priorités pour leurs postes. Il avait été décidé que le poste du fonctionnaire n’avait pas une grande priorité pour la BFC de Trenton. Le lieutenant-colonel Gould a témoigné que c’était la seule raison pour laquelle il avait résilié le contrat du fonctionnaire et que rien d’autre n’avait influé sur sa décision. Je le crois. Le lieutenant-colonel Gould a admis que le contrat du fonctionnaire avait été abrégé de quelques jours pour éviter qu’il soit nommé pour une période indéterminée. Il avait le droit de prendre cette décision, même si le fonctionnaire s’était fait promettre plus d’une fois qu’il serait reconduit.

91 Après le licenciement du fonctionnaire, son poste n’a pas été pourvu. Le travail qu’il faisait s’est simplement accumulé ou a été confié à d’autres employés quand on a eu besoin de plans révisés de bâtiments. Le fonctionnaire a déposé en preuve plusieurs affiches annonçant des postes, ainsi que les noms d’employés qui avaient été embauchés ou qui avaient été nommés pour une période indéterminée à la BFC de Trenton. Aucun d’entre eux n’est classifié DD-03 ou n’a été embauché pour accomplir les tâches du fonctionnaire. Dans son argumentation, le fonctionnaire a allégué que M. Lord avait témoigné qu’il était en train de le remplacer. Je n’ai pas entendu M. Lord dire cela. Même s’il avait témoigné en juillet 2010 qu’il était en train de remplacer le fonctionnaire, qui avait été licencié en avril 2006, je n’en déduirais pas que le licenciement du fonctionnaire était illégal. Les besoins de l’employeur et le budget de son enveloppe salariale auraient pu évoluer sur une période de quatre ans.

92 Pour conclure, la preuve produite à l’audience m’a amené à croire que l’employeur n’a rien fait d’illégal en résiliant le contrat du fonctionnaire. Je suis convaincu que la discrimination n’a pas influé sur la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire. Cela dit, je peux comprendre pourquoi le fonctionnaire peut considérer le comportement de l’employeur comme injuste. L’employeur lui avait promis un emploi permanent, l’avait incité à croire qu’il ne devrait pas s’inquiéter à ce sujet, le lui avait écrit dans un document, puis a pris la décision de le licencier quelques semaines plus tard.

93 Pour tous ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

94 Le grief est accueilli en partie.

95 L’employeur a agi de façon discriminatoire contre le fonctionnaire à plusieurs occasions.

96 Les parties ont 60 jours pour s’entendre sur le redressement.

97 Si les parties ne s’entendent pas sur un redressement dans les 60 jours de la présente décision, une audience sera convoquée pour entendre leurs arguments.

98 La décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire n’était pas entachée de discrimination. Par conséquent, la partie du grief portant sur le licenciement du fonctionnaire est rejetée.

Le 14 mars 2011.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.