Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’employeur avait mal calculé son augmentation d’échelon initiale en faisant la distinction entre lui en tant qu’employé à temps partiel et les employés à temps plein - conformément à la politique de l’employeur, sa rémunération avait été augmentée uniquement après qu’il avait travaillé le nombre d’heures correspondant aux heures d’un poste à temps plein, plutôt qu’après un an - la Commission a accueilli un certain nombre de griefs contestant cette politique - après l’émission de la décision de la Commission, les parties ont conclu un protocole d’entente (PE) à l’échelle nationale et ont fait des efforts pour identifier les employés couvert par le PE à l’échelle du pays - malgré de longues discussions portant sur la mise en œuvre du PE, les parties ne sont pas parvenues à arriver à un accord, et le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief à l’arbitrage - l’employeur s’est opposé au renvoi à l’arbitrage du grief pour le motif que la demande avait été déposée en dehors de la limite de 25jours fixée dans la convention collective - cependant, à l’audience d’arbitrage, l’employeur a parlé du respect du délai uniquement dans la mesure où il exigeait que le redressement se limite à la période de 25 jours précédant le dépôt du grief - l’arbitre de grief a statué que le PE avait pour effet de différencier ce cas des autres cas entendus auparavant par la Commission à propos de la même question - l’objection soulevée par l’employeur à la compétence a été rejetée, et le fonctionnaire s’estimant lésé a eu droit au redressement prévu dans le PE. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-01-20
  • Dossier:  566-02-865
  • Référence:  2011 CRTFP 3

Devant un arbitre de grief


ENTRE

Harry Kullar

fonctionnaire s'estimant lésé

et

Conseil du Trésor
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Kullar c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Beth Bilson, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Corinne Blanchette, Union of Correctional Officers of Canada – Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour l'employeur:
Chris Bernier, avocat

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique),
le 26 mai 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Harry Kullar, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») était, au moment de l’audience, un agent de libération conditionnelle employé par le Service correctionnel du Canada (l’« employeur »). Il a été embauché en octobre 2002 à titre d’agent correctionnel et, après avoir suivi une formation, il a été affecté à l’établissement de Matsqui en Colombie-Britannique. Il a déposé un grief, le 26 août 2006, alléguant que l’employeur n’avait pas calculé adéquatement sa première augmentation d’échelon.

2 L’employeur s’est opposé à l’arbitrage au motif que le grief avait été présenté après la période de 25 jours prévue par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, pour le groupe des Services correctionnels, ayant pour date d’expiration le 31 mai 2010. L’employeur a qualifié le grief de grief continu, dont la nature était apparente depuis un bon moment. Il a fait valoir que la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (C.A.) (QL) s’applique dans les circonstances en l’espèce et empêche un arbitre de grief de trancher les questions soulevées dans le grief.

3 Aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs (pièces 3 et 4), l’employeur a soulevé une objection quant au respect des délais de présentation du grief, en citant la clause 20.10 de la convention collective, qui prévoit qu’un employé doit déposer un grief dans une période de 25 jours « qui suit la date à laquelle il est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief ». Après le renvoi du grief à l’arbitrage, l’avocat de l’employeur a présenté une argumentation légèrement différente en attirant l’attention de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») sur l’opposition de l’employeur à ma compétence; dans sa correspondance avec la Commission, il s’est appuyé sur Coallier pour affirmer que toute réparation à laquelle aurait droit le fonctionnaire serait limitée à la période de 25 jours précédant le dépôt du grief. Dans cette pièce de correspondance et dans les arguments qu’il m’a présentés, l’avocat de l’employeur n’a pas argué que le grief en soi était hors délai (l’argument que l’employeur semble avoir fait plus tôt dans la procédure de règlement des griefs), mais que la réparation était limitée à la période de 25 jours.

II.Résumé de la preuve

4 L’agent négociateur, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, a appelé le fonctionnaire et Gord Robertson,  son président régional, à témoigner. L’employeur n’a présenté aucun témoin.

5 Le fonctionnaire a d’abord été embauché le 28 octobre 2002 et a déclaré s’être inscrit au programme de formation pour devenir agent correctionnel en croyant qu’il aurait un emploi à temps plein au terme du programme. En réalité, lorsque le programme a pris fin, on lui a offert un emploi de deux jours par semaine et il a été classifié comme employé à temps partiel jusqu’à ce qu’il soit placé dans un poste à temps plein en mai 2003. Il a eu droit à sa première augmentation d’échelon en janvier 2004 et a reçu une augmentation annuelle chaque année par la suite.

6      M. Robertson a décrit le désaccord entre l’employeur et l’agent négociateur au sujet de la politique de l’employeur concernant le paiement des augmentations aux employés à temps partiel. En vertu de la clause 49 de la convention collective, les employés ont droit à une augmentation chaque année. L’employeur avait formulé une politique salariale qui envisageait le paiement d’une augmentation à un employé à temps partiel seulement lorsque celui-ci avait travaillé le même nombre d’heures qu’un employé à temps plein effectuait au cours d’une année. En 2001, plusieurs griefs ont été déposés pour contester cette politique en invoquant comme argument que rien dans la convention collective ne permettait à l’employeur d’établir une distinction entre les employés à temps partiel et à temps plein aux fins du paiement des augmentations annuelles. Dans Broekaert et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 90, l’arbitre de grief a retenu cet argument, en concluant que l’employeur était tenu d’accorder une augmentation aux employés à temps partiel au passage d’une année, et non pas en fonction du nombre d’heures travaillées.

7 M. Robertson a témoigné que, à la suite de Broekaert, rendue le 4 août 2005, l’agent négociateur s’est affairé à déterminer quels employés étaient susceptibles d’être touchés à l’échelle du pays par cette décision. Pour sa part, il a mené des efforts au niveau régional pour déterminer les employés qui seraient touchés. Il a affirmé que son souci était d’assurer que toutes les catégories de personnes pouvant être touchées étaient incluses, ce qui comprend les employés partageant un poste et les personnes inscrites au même programme de formation qu’avait suivi le fonctionnaire. En décembre 2005, Sherry Enns, une employée qui occupait un poste auprès de l’agent négociateur, a envoyé un courriel à Rick Oakes, gestionnaire de la rémunération de la région du Pacifique. Elle l’avisait qu’elle avait entendu parler de certains règlements dans la région et ailleurs et lui demandait si sa propre rémunération pourrait être étudiée. M. Oakes a répondu ce qui suit : (pièce 9) [traduction] « J’ai demandé à tous les conseillers de revoir les augmentations de tout employé qui travaille ou travaillait à temps partiel, en tenant compte des récentes décisions. Si votre augmentation doit être ajustée, elle le sera sous peu ». Mme Enns a par la suite déposé un grief, qui a été réglé avant l’arbitrage. Il est important de mentionner que Mme Enns a entamé cette démarche pour son propre compte, et non pas à titre de représentante pour d’autres employés.

8 M. Robertson a produit des dépliants et des feuillets volants distribués par l’agent négociateur en mai 2006 (pièce 6), août 2006 (pièce 8) et janvier 2007 (pièce 7), visant à informer les employés des efforts déployés pour régler l’ensemble des demandes reliées aux augmentations.

9 M. Robertson a également produit une copie d’un protocole d’entente, daté du 9 août 2006 (pièce 6), constituant un règlement de plusieurs griefs sur la question. Le protocole d’entente a été conclu et signé au niveau national. Dans une publication de l’unité de négociation, en mai 2006 (pièce 7), le règlement a été décrit comme l’aboutissement d’une longue campagne menée par l’agent négociateur, depuis 2001, pour corriger la question en litige dans Broekaert. Le protocole d’entente prévoyait qu’il s’appliquerait [traduction] « à tous les employés CX touchés du SCC faisant partie de l’effectif au 4 août 2005 » et que l’employeur devait transmettre à l’agent négociateur une liste de tous les employés [traduction] « embauchés comme agents correctionnels occasionnels effectuant des semaines désignées de travail à temps partiel depuis le 1er mai 1994 ». Le protocole d’entente prévoyait que les employés n’étant pas inclus dans la liste avaient jusqu’au 1er novembre 2006 pour contester l’omission de leur nom et que l’omission serait [traduction]« corrigée ou expliquée » dans une période de 30 jours. Le protocole d’entente prévoyait également que des montants forfaitaires seraient payés aux employés visés par le règlement. On ne m’a présenté aucun exemple de circonstances où une omission a été [traduction]« expliquée ». Selon le témoignage de M. Robertson, l’agent négociateur comprenait que le protocole d’entente visait à assurer que tous les employés dont les circonstances étaient semblables à celles retrouvées dans Broekaert seraient rémunérés en conformité avec l’entente.

10 Les éléments fondamentaux du protocole d’entente ont été exposés dans une des communications envoyées aux employés (pièce 8), datée du 20 août 2006. Le fonctionnaire s’est rappelé avoir vu le document. M. Robertson a aussi envoyé un courriel aux employés croyant être touchés pour leur exposer les modalités du règlement (pièce 5). Conformément aux modalités du protocole d’entente, le fonctionnaire a envoyé un courriel signifiant son opposition à l’omission de son nom de la liste, le 21 août 2006 (pièce 15); il l’a envoyé de nouveau le 23 septembre 2006 (pièce 14). Dans l’intervalle, il a déposé son grief, le 26 août 2006.

11 Dans le cadre de leurs discussions avec l’employeur, les représentants de l’agent négociateur ont tenté de s’appuyer sur les indications selon lesquelles l’employeur était disposé à adopter une approche assez proactive pour identifier les employés pouvant avoir droit à des augmentations supplémentaires. Ils ont par ailleurs fait circuler de l’information encourageant les employés à se manifester. À la fin de 2009, des discussions ont eu lieu au niveau régional, entre les représentants de l’employeur et de l’agent négociateur, relativement à la mise en œuvre du règlement national formulé dans le protocole d’entente. L’agent négociateur a proposé que l’employeur détermine tous les employés dont les circonstances semblaient correspondre aux principes établis dans Broekaert et que ces employés puissent bénéficier du protocole d’entente. M. Robertson a renvoyé à une note de service non datée (pièce 11) qu’un représentant de l’employeur a montré à l’agent négociateur lors des discussions. Dans la note de service, les gestionnaires au niveau régional indiquaient qu’ils avaient réservé un montant d’argent pour l’ajustement du salaire des employés de la région du Pacifique ayant été désignés et qu’ils avaient demandé à l’administration centrale l’autorisation de procéder aux ajustements. M. Robertson s’est rappelé que Judy Croft, sous-commissaire adjointe des Opérations, Région du Pacifique, avait écrit la note de service et qu’il l’avait vue en novembre ou décembre 2009. Il se souvenait que la somme réservée par l’employeur était de 40 000 $. Il a souligné la phrase suivante de la note de service : [traduction] « Comme certains ont été payés et d’autres pas, nous croyons qu’en toute équité nous devons nous assurer que nos employés sont traités également. »

12 M. Robertson a déclaré que les discussions avaient comme objectif premier de communiquer avec tous les employés touchés. Il n’a nullement été question de limite de temps pour les griefs ou autres obstacles. Il a dit que Mme Croft a reçu comme réponse de l’administration centrale que l’employeur n’était pas disposé à adopter l’approche qu’elle proposait et qu’il répondrait aux griefs ou objections présentés au fur et à mesure. Dans le cadre de ces discussions, Mme Croft a remis à M. Robertson un tableau (pièce 10) contenant les noms des employés et les règlements proposés. Le nom de M. Kullar était dans la liste, et le tableau indiquait que son grief avait à ce moment était renvoyé à l’arbitrage. On proposait que son cas soit traité en conformité avec Baker c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 34.

13 La décision Baker concerne un autre employé qui demandait le bénéfice de Broekaert. Dans cette décision, l’arbitre de grief a jugé que le grief était continu et a accueilli en partie l’objection de l’employeur à l’égard d’une réparation qui remonterait à plus de 25 jours avant la présentation d’un grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

14 L’objection de l’employeur était fondée sur la clause 20.10 de la convention collective libellée comme suit :

20.10 Au premier (1er) palier de la procédure, l’employé-e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 20.05, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

15 L’avocat de l’employeur a argué que l’interprétation faisant autorité de cette disposition se trouve dans Coallier :

[…]

Nous sommes d’opinion que ce délai de 20 jours [maintenant de 25] a commencé à courir au moment où l’intimé a pris connaissance des faits ayant donné naissance il (sic) son grief; contrairement à ce qu’a décidé l’arbitre et soutenu l’avocat de l’intimé, il n’a pas commencé à courir seulement le jour où l’intimé a été informé de l’illégalité des agissements de l’employeur.

[…]

16 L’avocat de l’employeur a souligné le fait que l’arbitre de grief dans Baker avait appliqué le principe énoncé dans Coallier relativement à un grief découlant de circonstances très semblables à celles en l’espèce. L’arbitre de grief dans Baker a conclu qu’il s’agissait d’un grief continu, et l’avocat de l’employeur a soutenu qu’une conclusion semblable devrait être tirée en l’espèce. L’avocat de l’employeur n’a pas argué que le fonctionnaire connaissait les motifs ayant donné lieu au grief en 2003, lorsqu’il n’a pas reçu d’augmentation au premier anniversaire de son emploi. Cependant, il a fait valoir que le fonctionnaire aurait dû connaître les circonstances ayant donné lieu à son grief lorsque Broekaert a été rendue, en août 2005. Même en tenant compte du temps s’étant écoulé avant que la décision ne soit publiée, le grief a été déposé bien après que la décision est devenue notoire.

17 Selon l’avocat de l’employeur, si le grief n’est pas qualifié de grief continu, la question du temps devient encore plus importante. Le grief déposé en août 2006 aurait été présenté plusieurs années après la violation alléguée de l’entente par l’employeur, en 2003, et longtemps après les délais fixés par la convention collective pour le dépôt d’un grief.

18 L’avocat de l’employeur a aussi répondu à la suggestion selon laquelle l’employeur aurait renoncé à toute objection relative au respect du délai en ne se conformant pas à l’article 95 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79 :

95. (1) Toute partie peut, au plus tard trente jours après avoir reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage :

a) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable au grief n’a pas été respecté;

b) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour le renvoi du grief à l’arbitrage n’a pas été respecté.

(2) L’objection visée à l’alinéa (1)a) ne peut être soulevée que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief en raison de ce non-respect.

[…]

19 L’avocat de l’employeur a souligné que l’employeur avait soulevé la question du respect du délai plusieurs fois aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs, notamment dans sa propre correspondance avec la Commission après le renvoi à l’arbitrage. Toute autre discussion de vive voix avec l’agent négociateur sur un autre fondement reposait sur une volonté d’étudier la possibilité de régler le grief et ne devrait pas être assimilée à une renonciation au droit de soulever la question de fond ayant trait à la compétence de l’arbitre de grief. Dans cette partie de son argumentation, l’avocat de l’employeur semblait utiliser les termes « respect du délai » de manière interchangeable pour renvoyer à la question de savoir si le grief avait été déposé assez tôt après que le fonctionnaire a pris connaissance des circonstances pertinentes, ainsi qu’à la question de savoir si la réparation devrait être limitée à une période de 25 jours avant le dépôt du grief. J’ai souligné précédemment que l’employeur a soulevé la question du respect du délai dans le premier sens aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs, alors que l’avocat a formulé son objection à l’égard de ma compétence en fonction de la réparation; cette forme d’objection a été soulevée plus de deux ans après les réponses de l’employeur  aux premier et deuxième paliers, et après le renvoi du grief à l’arbitrage. Il m’appert que l’argument de l’employeur à ce stade doit clairement être considéré comme se limitant à un argument en faveur de la restriction de la réparation. 

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

20 La représentante de l’agent négociateur a argué que les circonstances du fonctionnaire correspondaient sans équivoque à celles de Broekaert et que sa rémunération devrait être ajustée pour tenir compte du fait que le défaut de l’employeur de lui accorder une augmentation, un an après son entrée en poste, allait à l’encontre de la convention collective.

21 La représentante de l’agent négociateur a également argué que l’employeur avait renoncé à son droit d’invoquer le respect du délai de présentation du grief en ne soulevant pas cet argument tout au long de la procédure de règlement des griefs. À son avis, l’employeur avait soulevé la question du respect du délai à certains moments comme s’il s’agissait d’un grief continu et à d’autres moments comme si cela n’était pas le cas. Les flottements de l’employeur ne sont pas compatibles avec l’article 95 du Règlement, et l’employeur ne peut donc pas contester ma compétence en matière d’arbitrage. Elle a invoqué Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2006 CRTFP 56, et McWilliams et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58, à titre d’exemples de l’application de l’article 95 par les arbitres de grief.

IV. Motifs

22 Bien que la demande du fonctionnaire soit relativement simple – il veut obtenir un ajustement salarial pour tenir compte du fait que sa première augmentation d’échelon lui a été accordée quelques mois en retard en raison d’une mauvaise application par l’employeur de la disposition de la convention collective – elle est compliquée par le fait que sa demande s’inscrit dans une perspective beaucoup plus large mettant en cause plusieurs employés et de longs efforts de l’employeur et de l’agent négociateur en vue d’en arriver à un règlement. Le bulletin d’information de l’agent négociateur, daté de mai 2006 (pièce 7), indiquait que les parties avaient convenu en avril de cette année d’étudier les dossiers de 1 447 employés touchés. Cette entente découlait de Broekaert concernant les 15 griefs initiaux. Cet examen devait vraisemblablement constituer un des ingrédients pour le protocole d’entente signé par les parties, en août 2006. Cependant, le bulletin d’information de janvier 2007 (pièce 8) indiquait que les parties ne s’étaient toujours pas entendues sur la liste complète des employés étant touchés par Broekaert.

23 Il faut examiner le grief déposé par le fonctionnaire en août 2006 dans le contexte de cette suite d’événements.

24 Dans les arguments qu’elles m’ont présentés, les parties ont grandement insisté sur la question de savoir s’il s’agissait d’un grief continu (dans lequel cas le fonctionnaire aurait droit à une réparation pour une période n’excédant pas 25 jours avant la présentation du grief) ou d’un grief alléguant une seule violation (dans lequel cas le grief dépasserait de plusieurs années le délai de 25 jours). La question de savoir si le grief devrait être qualifié de grief continu faisait partie intégrante de l’argument de l’avocat de l’employeur selon lequel la situation entourant le présent grief correspond parfaitement aux circonstances dans Baker et qu’il est donc visé par le principe énoncé dans Coallier.

25 La question de la qualification du grief était également au cœur de l’argumentation de la représentante de l’agent négociateur, à savoir que l’employeur avait modifié son argumentation quant à la manière dont le grief devrait être qualifié et que l’article 95 du Règlement empêchait l’employeur de contester ma compétence aux motifs qu’il n’avait pas avancé cet argument tout au long de la procédure de règlement des griefs.

26 L’article 95 du Règlement vise à empêcher une partie de surprendre l’autre partie lors de l’arbitrage en soulevant pour la première fois une objection relativement au respect du délai. Comme mentionné précédemment, l’employeur a rejeté le grief aux premier et deuxième paliers au motif qu’il n’avait pas été présenté dans le délai prévu à la clause 20.10 de la convention collective. L’objection soulevée par l’avocat de l’employeur, en octobre 2009, était toute autre – qu’aucune réparation ne pourrait être accordée au-delà de la période de 25 jours précédant le dépôt du grief. Bien que ces deux objections renvoient à la clause 20.10, elles constituent dans les faits des objections différentes. Par conséquent, l’objection m’étant présentée se heurte à la disposition du paragraphe 95(2) du Règlement prévoyant qu’une objection relative au respect du délai doit être soulevée de manière constante tout au long de la procédure.

27 J’ai un autre motif pour rejeter l’objection de l’employeur. Je ne souscris pas à l’argument de l’avocat de l’employeur selon lequel le présent cas est identique à Baker et que je devrais donc adopter l’analyse de l’arbitre de grief dans Baker et l’application du principe énoncé dans Coallier.

28 Ce qui distingue le présent cas à Baker est l’absence quelque peu surprenante dans Baker de tout renvoi au protocole d’entente ayant été présenté en preuve devant moi par M. Robertson. Avec l’échange entre Mme Enns et M. Oakes en décembre 2005 (pièce 9), les dépliants produits par l’agent négociateur (auxquels a renvoyés l’arbitre de grief dans Baker pour établir quand on pouvait considéré que Mme Baker avait eu connaissance des circonstances ayant donné lieu au grief) et les échanges subséquents entre les représentants de l’employeur et de l’agent négociateur jusqu’à la fin 2009 (ce qui comprend la réserve d’argent établie par la direction de la région du Pacifique en vue du règlement des cas de tous les employés auxquels Broekaert pouvait s’appliquer), le protocole d’entente doit être considéré comme un élément important des discussions continues entre l’employeur et l’agent négociateur en vue d’une approche globale pour régler l’ensemble des affaires découlant de Broekaert.

29 Dans son argumentation, l’avocat de l’employeur suggère que, même si l’on ne peut pas affirmer que le fonctionnaire avait connaissance des circonstances ayant donné lieu au grief au moment du défaut de l’employeur de lui payer la première augmentation en 2003, cette connaissance peut lui être attribuée à compter du moment où Broekaert a été rendue en 2005, et le délai pour présenter un grief devrait être calculé à partir de ce point.

30 À mon avis, cela va à l’encontre des discussions s’étant tenues entre l’employeur et l’agent négociateur à la suite de Broekaert jusqu’à la fin 2009; ces discussions étaient axées sur la possibilité d’en arriver à une solution complète pour la mise en application de Broekaert. Dans le dépliant produit par l’agent négociateur en mai 2006 (pièce 7), avant la conclusion du protocole d’entente, l’agent négociateur a indiqué qu’il s’était entendu avec l’employeur concernant l’examen de 1 447 dossiers à l’échelle du pays.

31 Le protocole d’entente prévoyait qu’il devait s’appliquer [traduction] « à tous les employés CX touchés du SCC faisant partie de l’effectif au 4 août 2005 [date de Broekaert] ». Dans le document, l’employeur s’est engagé à fournir à l’agent négociateur une [traduction] « liste de toutes les personnes embauchées comme agents correctionnels occasionnels effectuant des semaines désignées de travail à temps partiel depuis le 1er mai 1994 ». Le protocole d’entente prévoyait également que les employés avaient jusqu’au 1er novembre 2006 pour contester leur exclusion de la liste. Cette date a été signalée aux employés dans au moins une publication de l’agent négociateur (pièce 8), ainsi que dans un courriel que M. Robertson a envoyé aux employés (pièce 5). Le fonctionnaire a déclaré que c’est à ce moment qu’il a pris connaissance de la question en litige et qu’il a répondu en demandant que son nom soit inscrit à la liste et en déposant un grief.

32 Ces échanges, ainsi que le règlement formulé dans le protocole d’entente, portent à croire que les parties sont allées de l’avant en tenant pour acquis qu’une approche globale devrait être adoptée et que les circonstances de tous les anciens employés occasionnels touchés devraient être tenues en compte dans le cadre d’une stratégie commune. D’après la preuve m’ayant été soumise, les représentants de la direction de l’employeur dans la région du Pacifique croyaient qu’ils devaient déterminer quels employés correspondaient à la catégorie définie dans le protocole d’entente et corriger la violation constatée dans Broekaert. Ils ont demandé l’autorisation de procéder de cette manière à la fin 2009. À ce moment, la réponse de l’employeur à l’échelle nationale a été que chaque cas devait être traité de manière ponctuelle. Dans le cas du fonctionnaire, l’employeur a proposé que la situation soit considérée comme identique à celle de Baker.

33 Cependant, en dépit de Baker, qui n’a pas tenu compte des effets du protocole d’entente et dans laquelle le protocole d’entente ne semble pas avoir été produit en preuve, j’en suis venue à la conclusion que l’employeur a renoncé au droit de s’opposer à ma compétence au titre de la réparation (qu’il s’agisse d’un grief continu ou non). En participant aux discussions qui, du moins jusqu’à ce que Baker soit rendue, permettaient de croire à un règlement global des demandes de tous les employés visés par le principe énoncé dans Broekaert, l’employeur a fait croire à l’agent négociateur et aux employés qu’il représentait que les demandes individuelles seraient englobées dans un règlement général et que les employés avaient la responsabilité de s’assurer d’être inscrits à la liste – une mesure qu’ils pouvaient prendre en tout temps avant le 1er novembre 2006. Le fonctionnaire a respecté ce délai.

34 Comme j’ai conclu que l’objection de l’employeur à l’égard de ma compétence devait être rejetée, il ne fait aucun doute que le grief doit être accueilli. L’employeur n’a pas nié que le fonctionnaire comptait parmi les employés dont les augmentations avaient été retardées en raison de son interprétation de la convention collective, une interprétation ayant été jugée erronée dans Broekaert. Par conséquent, je conclus que le fonctionnaire a droit à la réparation convenue par les parties dans le protocole d’entente.

35 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

36 Le grief est accueilli.

37 Je demeurerai saisie du grief pour une période de 60 jours à compter de la date de la présente décision au cas où des litiges surviendraient entre les parties relativement à la mise en œuvre de la présente décision. 

Le 20 janvier 2011.

Traduction de la CRTFP

Beth Bilson,
arbitre de grief

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