Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu puis licencié après avoir, sans autorisation, accédé à des renseignements confidentiels obtenus au travail et les avoir divulgués - sa cote de fiabilité a été révoquée à la suite de son licenciement - le fonctionnaire s’estimant lésé a admis avoir consulté des bases de données pour fournir des renseignements et des conseils à des amis au sujet de leurs réclamations d'assurance-emploi, et il a admis avoir accédé à des renseignements sur certains membres du conseil de copropriété de l'immeuble où il habite, et avec lesquels lui et son épouse sont en conflit - il a nié la prétendue portée des accès et des divulgations soulevée par l'employeur - l'employeur a été informé de la situation par un résident du complexe de copropriété qui a déjà été ami avec le fonctionnaire s’estimant lésé, mais qui est maintenant impliqué dans le conflit entre le fonctionnaire s’estimant lésé et certains membres du conseil de copropriété de l’immeuble où il habite - l'employeur a affirmé que la suspension et la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé étaient de nature administrative et que, par conséquent, elles échappaient à la compétence de l'arbitre de grief - la détermination de la nature d’une suspension, soit administrative ou disciplinaire, est une question de faits - l'arbitre de grief a maintenu que la suspension était disciplinaire, car la lettre de suspension faisait référence à une disposition disciplinaire de la Loi sur la gestion des finances publiques - cependant, la question était théorique, puisque la date de congédiement du fonctionnaire s’estimant lésé était rétroactive à la première journée de la suspension - l'arbitre de grief a déclaré que la preuve n'étayait pas toutes les allégations relatives à l'accès qui ont été faites contre le fonctionnaire s’estimant lésé - l'arbitre de grief a aussi conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait emprunté une approche tactique pour faire ses aveux, n'admettant que le strict nécessaire - cela ébranle sérieusement la sincérité de son témoignage et diminue sa crédibilité - l'arbitre de grief a rejeté l'argument du fonctionnaire s’estimant lésé, selon lequel ses gestes étaient en partie motivés par la crainte, de même que son argument voulant que la personne qui l'avait dénoncé à l'employeur était animée par un sentiment de vengeance - l'arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé se faisait passer pour un enquêteur sur les fraudes - l'arbitre de grief a convenu que l'enquête de l'employeur avait accusé un retard déraisonnable, mais comme le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait toujours pendant l’enquête et qu'il avait reçu un salaire durant la plus grande partie de l'enquête, aucune mesure corrective n'est nécessaire - les gestes posés par le fonctionnaire s’estimant lésé constituaient une grave inconduite - il a délibérément violé son serment d'office, en plus de n'avoir pas respecté les politiques de l'employeur - son inconduite était délibérée et répétée - même s'il s'est excusé, le fonctionnaire s’estimant lésé n'a pas démontré qu'il acceptait la pleine responsabilité de son inconduite, ce qui met en doute sa fiabilité à l'avenir - il était donc justifié de le congédier - pour qu'il y ait pouvoir de révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire s’estimant lésé, la révocation devait constituer une mesure disciplinaire imposée par l'employeur, et la question à trancher était celle de savoir si l'employeur avait eu l'intention d'imposer une mesure disciplinaire - l'arbitre de grief a déterminé que la révocation était une mesure administrative imposée à la suite de la violation constatée et admise des politiques de sécurité de l'employeur, qu'elle n'avait pas été appliquée de mauvaise foi, et qu'elle avait été décidée par une personne investie du pouvoir nécessaire. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-04-11
  • Dossier:  566-02-3072 à 3074
  • Référence:  2011 CRTFP 43

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GRANT SHAVER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

défendeur

Répertorié
Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John Steeves, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
du 6 au 9 juillet 2010 et du 25 au 27 janvier 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), Grant Shaver, était employé comme agent d’entrevue-enquêtes et contrôle (un poste parfois désigné sous le nom d’agent d’intégrité) et travaillait au service de l’assurance-emploi du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, Service Canada (le « défendeur »). 

2 La présente décision porte sur trois questions soulevées dans les trois griefs, en l’occurrence : le défendeur était-il fondé à suspendre le fonctionnaire en septembre 2008?; le défendeur était-il fondé à licencier le fonctionnaire en novembre 2008 (rétroactivement à septembre 2008) parce qu’il avait consulté sans autorisation des systèmes informatiques confidentiels au travail et communiqué des renseignements contenus dans ces systèmes?; le défendeur a-t-il agi de manière raisonnable en révoquant la cote de sécurité du fonctionnaire (la « cote de fiabilité ») en décembre 2008? 

3 Le fonctionnaire admet qu’il a obtenu et communiqué des renseignements sans autorisation. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si j’ai compétence, comme arbitre de grief, pour trancher les première et troisième questions, c’est-à-dire la suspension du fonctionnaire et la révocation de sa cote de sécurité.   

II. Positions des parties

4 Selon le défendeur, le fonctionnaire a admis qu’il avait consulté les bases de données qu’il utilisait au travail pour fournir des renseignements et des conseils à ses amis relativement à leurs demandes de prestations d’assurance-emploi, ainsi que pour faire enquête sur des personnes avec lesquelles il était en conflit à propos du fonctionnement du conseil de copropriété de l’immeuble dans lequel il habitait. Le conseil de copropriété est la structure dirigeante d’un immeuble à logements multiples. Le défendeur avance qu’il avait le droit de suspendre le fonctionnaire pendant qu’une enquête sur ces incidents était en cours. Quoi qu’il en soit, la suspension découlait d’une décision administrative sur laquelle l’arbitre de grief n’a pas compétence. En ce qui concerne le licenciement du fonctionnaire, une enquête complète sur son inconduite a démontré que la mesure était justifiée. Le licenciement était une peine adéquate en raison du poste de confiance que le fonctionnaire occupait, notamment, soutient le défendeur. On a tenu compte de ses années d’emploi et du fait qu’il avait admis une partie des actes, mais l’abus de confiance était suffisamment grave pour annuler l’effet de ces circonstances atténuantes. Le défendeur convient que j’ai compétence pour trancher la question du licenciement.

5 Pour finir, le défendeur soutient que des agents de sécurité du ministère ont fait enquête sur la cote de sécurité du fonctionnaire et qu’ils ont conclu que sa conduite en justifiait la révocation. Il s’agit d’une décision raisonnable et, quoi qu’il en soit, l’arbitre de grief n’a pas compétence pour statuer sur les décisions relatives aux cotes de sécurité. Le défendeur demande que les trois griefs soient rejetés.

6 L’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») soutient, pour le compte du fonctionnaire, que l’arbitre de grief a compétence pour trancher les questions relatives à sa suspension, à la révocation de sa cote de sécurité et à son licenciement. Le fonctionnaire conteste les retards dans le processus d’enquête du défendeur et signale que sa suspension a duré beaucoup plus longtemps qu’elle aurait dû durer. En ce qui concerne le licenciement, l’argument avancé est que le défendeur n’est pas fondé à prendre cette mesure. Le fonctionnaire compte 18 années d’emploi; il a un dossier disciplinaire sans tache et il a collaboré à l’enquête du défendeur en admettant franchement son inconduite, notamment; de plus, le défendeur n’a pas prouvé des aspects importants des actes qu’il lui reproche. L’agent négociateur et le fonctionnaire contestent le volume de renseignements auxquels le fonctionnaire a eu accès, selon le défendeur, et la mesure dans laquelle il les a communiqués à de tierces personnes. Le fonctionnaire soutient qu’il a communiqué les renseignements exclusivement à son épouse et que celle-ci les a communiqués par inadvertance à une autre personne. L’agent négociateur et le fonctionnaire contestent également la crédibilité de la personne qui a formulé les allégations contre le fonctionnaire au défendeur parce qu’elle poursuivait une vengeance contre le fonctionnaire et son épouse en raison d’un conflit au sein du conseil de copropriété de leur immeuble d’habitation. Le fonctionnaire soutient de plus que les processus appliqués durant l’enquête sur sa conduite étaient inéquitables et entachés de mauvaise foi, pour la bonne raison, notamment, qu’on ne lui a pas donné l’occasion de présenter son cas à l’administrateur général de son ministère.

7 En ce qui concerne la cote de sécurité du fonctionnaire, le fonctionnaire et l’agent négociateur avancent que le défendeur a pris la décision déraisonnable de révoquer sa cote. Ils soutiennent que le fonctionnaire devrait être réintégré dans ses fonctions, avec une suspension de durée moyenne, et que sa cote de sécurité devrait être rétablie.

III. Contexte

8 Le défendeur fournit notamment des services d’assurance-emploi aux personnes qui répondent aux conditions requises pour recevoir des prestations. Il a des bureaux dans diverses localités du Canada et le fonctionnaire travaillait au bureau du défendeur à Vancouver (Colombie-Britannique) au moment de son licenciement.

9 Le fonctionnaire occupait le poste d’agent d’entrevues-enquêtes et contrôle, classifié dans le groupe et au niveau PM01, aux Services d’intégrité du défendeur. Dans certains documents, ce poste est désigné sous le nom d’agent d’intégrité. L’une de ses tâches consistait à effectuer des recherches dans des bases de données sur des groupes de personnes qui recevaient des prestations d’assurance-emploi et qui pouvaient être convoqués par la suite à une réunion d’information avec le fonctionnaire. Durant la réunion, le fonctionnaire rappelait aux participants quels étaient leurs droits et obligations et répondait aux questions du groupe. Le fonctionnaire effectuait également un examen préliminaire des demandes de prestations des membres de ses groupes et signalait tout problème à un autre employé, généralement un agent d’enquêtes. Le fonctionnaire n’était pas un agent d’enquêtes. 

10 Le fonctionnaire est entré en fonctions chez le défendeur en 1990, à titre intérimaire; il a ensuite été nommé à un poste de durée indéterminée. Il a prêté le « Serment d’office et engagement au secret professionnel » suivant, le 1er janvier 1992 :

[Traduction]

Je jure solennellement et sincèrement que je remplirai fidèlement et honnêtement les fonctions que me confère mon emploi dans la fonction publique et que, sauf autorisation expresse, je ne révélerai rien de ce qui sera parvenu à ma connaissance en conséquence de cet emploi. Ainsi Dieu me soit en aide.

11 Il a également prêté l’« Affirmation solennelle et engagement au secret professionnel » suivante :

[Traduction]

J’affirme solennellement et sincèrement que je remplirai fidèlement et honnêtement les fonctions que me confère mon emploi dans la fonction publique et que, sauf autorisation expresse, je ne révélerai rien de ce qui sera parvenu à ma connaissance en conséquence de cet emploi.

La date de cette affirmation n’a pas été mise en preuve, mais il est acquis que le fonctionnaire a prêté cette affirmation solennelle au moment de sa nomination à temps plein.

12 Le fonctionnaire a utilisé les bases de données suivantes au travail : SADA, FTS, SSA et GISP. Il a eu accès à d’autres programmes à divers moments, mais ce sont là les bases de données qu’il utilisait de façon régulière. Ces programmes permettaient au fonctionnaire d’avoir accès à des renseignements personnels comme la date de naissance, l’adresse et le numéro d’assurance sociale. Il pouvait obtenir ces renseignements en consultant l’écran « EN04 » du SADA, par exemple. Le défendeur soumet que le fonctionnaire avait accès à un programme désigné sous le nom d’Easy Access, bien que son enquête, dont il sera question plus loin, ait révélé qu’il n’avait pas utilisé ce programme depuis novembre 2007. Dans son témoignage, le fonctionnaire a expliqué qu’il utilisait le programme dans le passé mais qu’il avait cessé de s’en servir depuis que les tâches qu’il accomplissait à l’aide de ce programme avaient été transférées à un autre service du défendeur. Il a également déclaré que son mot de passe pour le programme Easy Access n’était plus valide. 

13 Le fonctionnaire comptait 18 années d’emploi au moment de son licenciement en novembre 2008. Le défendeur s’appuie sur une allégation reçue en septembre 2007 selon laquelle le fonctionnaire avait humilié et intimidé des participants à ses réunions. On affirmait également dans cette allégation que le fonctionnaire avait fait peur aux personnes présentes à la réunion et qu’il s’était présenté comme un agent d’enquêtes. Le défendeur indique que la situation avait nécessité une mesure corrective et qu’une sanction disciplinaire avait été imposée. Le fonctionnaire et l’agent négociateur soutiennent qu’aucune sanction disciplinaire n’a été imposée et que le fonctionnaire a un dossier disciplinaire sans tache. 

14 À l’instar de tout autre employé, le fonctionnaire était assujetti à un certain nombre de politiques régissant sa conduite. Au moment de son embauche, il a signé un « protocole d’entente » dont le sous-titre était : [traduction] « Restriction quant aux activités des employés ». En signant ce document, le fonctionnaire attestait notamment ce qui suit :

[Traduction]

Les employés n’ont pas le droit d’intervenir directement dans l’inscription, le traitement ou l’évaluation des demandes de prestations, de subvention, de permis de travail, de visa ou de tout autre avantage administré par la Commission ou de tenter d’influencer ces processus, pour le compte d’un parent ou d’un ami, ou dans leur intérêt personnel, financier ou autre. Si une situation de ce genre se produit, les employés doivent en aviser immédiatement leur superviseur.

15 Le fonctionnaire était également assujetti à un Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, qui dit notamment ceci :

[…]

Valeurs de la fonction publique

Les fonctionnaires, dans l'exercice de leurs fonctions et dans leur conduite professionnelle, seront guidés par un cadre équilibré de valeurs de la fonction publique : les valeurs démocratiques, professionnelles, liées à l'éthique et liées aux personnes.

Ces familles de valeurs ne se distinguent pas les unes des autres mais se chevauchent. Elles sont des points de convergence qui permettent d'observer l'univers des valeurs de la fonction publique.

Valeurs démocratiques : Aider les ministres, dans le cadre de la loi, à servir l'intérêt public.

Les fonctionnaires fourniront aux ministres des conseils honnêtes et impartiaux, et mettront à leur disposition tous les renseignements pertinents à la prise de décisions.

Ils mettront en œuvre avec loyauté les décisions des ministres qui ont été prises conformément à la loi.

Les fonctionnaires aideront les ministres, à la fois individuellement et collectivement, à s'acquitter de leur obligation de rendre des comptes et fourniront au Parlement et à la population canadienne l'information concernant les résultats de leur travail.

Valeurs professionnelles : Servir avec compétence, excellence, efficience, objectivité et impartialité.

Il incombe aux fonctionnaires de respecter les lois du Canada et de préserver la tradition de neutralité politique de la fonction publique.

Les fonctionnaires doivent s'assurer de l'utilisation adéquate, efficace et efficiente des deniers publics.

Au sein de la fonction publique, la manière d'atteindre une fin doit être tout aussi importante que les fins en soi.

Les fonctionnaires doivent constamment renouveler leur engagement à servir les Canadiens et Canadiennes en améliorant continuellement la qualité du service, en innovant pour s'adapter aux nouveaux besoins et en accroissant l'efficacité et l'efficience des programmes et services gouvernementaux offerts dans les deux langues officielles.

Les fonctionnaires doivent aussi soutenir la valeur qu'est la transparence dans le gouvernement, tout en respectant l'obligation de protéger le caractère confidentiel des renseignements, comme le prévoit la loi.

Valeurs liées à l'éthique : Agir en tout temps de manière à conserver la confiance du public.

Les fonctionnaires doivent exercer leurs fonctions officielles et organiser leurs affaires personnelles de façon à préserver et à accroître la confiance du public à l'égard de l'intégrité, de l'objectivité et de l'impartialité du gouvernement.

La conduite des fonctionnaires doit pouvoir résister à l'examen public le plus minutieux; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi.

Dans l'exercice de leurs fonctions officielles, les fonctionnaires doivent prendre toute décision dans l'intérêt public.

S'il y a d'éventuels conflits entre l'intérêt personnel du fonctionnaire et ses fonctions et responsabilités officielles, l'intérêt public doit primer dans le règlement desdits conflits.

Valeurs liées aux personnes : Faire preuve de respect, d'équité et de courtoisie dans leurs rapports avec les citoyens et avec les collègues fonctionnaires.

Le respect de la dignité humaine et la reconnaissance de la valeur de chaque personne doivent toujours inspirer l'exercice de l'autorité et de la responsabilité.

Les valeurs liées aux personnes renforcent la gamme complète des valeurs de la fonction publique. Les personnes traitées avec équité et civilité sont plus portées à manifester ces valeurs dans leur propre conduite.

Les organisations de la fonction publique doivent être dirigées dans un souci de participation, d'ouverture et de communication, ainsi que dans le respect de la diversité et des langues officielles du Canada.

Le principe du mérite est à la base des décisions de nominations dans la fonction publique.

Les valeurs de la fonction publique devraient jouer un rôle de premier plan dans le recrutement, l'évaluation et la promotion.

[…]

16 Le même document décrit les mesures requises pour prévenir les conflits d’intérêts, dont celles-ci :

[…]

Responsabilités de tous les fonctionnaires :

a. Dans l'exercice de leurs fonctions officielles, organiser leurs affaires personnelles de façon à éviter toute forme de conflit d'intérêts réel, apparent ou potentiel.

b. S'il y a d'éventuels conflits entre l'intérêt personnel du fonctionnaire et ses fonctions et responsabilités officielles, l'intérêt public doit primer dans le règlement desdits conflits.

Le fonctionnaire a aussi les responsabilités individuelles suivantes :

a. Il doit se départir de ses intérêts personnels, excluant ceux autorisés par les présentes mesures, lorsque sa participation à des activités gouvernementales peut avoir une influence quelconque.

b. Il ne doit jamais solliciter ou accepter de transferts de nature économique.

c. Il ne doit jamais outrepasser ses fonctions officielles pour venir en aide à des personnes, physiques ou morales, dans leurs rapports avec le gouvernement, si cela peut occasionner un traitement de faveur.

d. Il ne doit jamais utiliser à son propre avantage ou bénéfice des renseignements obtenus dans l'exercice de ses fonctions officielles et qui, de façon générale, ne sont pas facilement accessibles au public.

e. Il ne doit jamais utiliser directement ou indirectement les biens du gouvernement, y compris les biens loués, ou d'en permettre l'usage à des fins autres que celles officiellement approuvées.

[…]

17 Le fonctionnaire a suivi un certain nombre de cours de formation comme employé. La preuve a établi qu’entre 1995 et 2008, il a surtout reçu de la formation dans des domaines liés à son travail (calcul du taux de prestations, techniques d’entrevue, calendrier Outlook, etc.). Les dossiers du défendeur indiquent qu’il a également suivi un cours portant spécifiquement sur l’éthique (juin 2001) et d’autres cours comme des séances de formation générale. Le défendeur soutient que ces cours ont permis au fonctionnaire de se familiariser avec les politiques du ministère, dont celles mentionnées ci-dessus. Le fonctionnaire affirme que la formation reçue était somme toute minimale et il ne se rappelle pas avoir suivi un cours sur l’éthique.

18 Les employés comme le fonctionnaire sont également assujettis à des politiques portant sur la sécurité des biens du défendeur et sur la sécurité personnelle. Aux termes de l’article 10.9 de la Politique sur la sécurité du Conseil du Trésor (datée du 6 juillet 2009 et entrée en vigueur le 1er février 2002), « Le Gouvernement du Canada doit s'assurer que les individus qui ont accès à ses renseignements et biens sont fiables et dignes de confiance. »

19 La sécurité des activités du défendeur est régie par des politiques distinctes. J. Scott Macdonald, l’agent de sécurité du ministère (ASM) durant les périodes visées par les présents griefs, a témoigné au sujet de cette politique. L’ASM, comme M. Macdonald, exerce les responsabilités qui lui sont déléguées par l’administrateur général du défendeur pour assurer la protection des renseignements et des biens de l’employeur. Ces responsabilités consistent à établir des plans de reprise des activités, à assurer la sécurité de la technologie de l’information et la sécurité physique, à effectuer des enquêtes et à administrer le processus d’attestation de sécurité des ressources humaines, c’est-à-dire l’approbation, le refus ou la révocation des cotes de sécurité. Le fonctionnaire soulève la question de savoir si l’ASM possédait la délégation de pouvoir requise en 2008 pour révoquer sa cote de sécurité.

20 M. Macdonald a témoigné qu’il existait deux grandes classifications en matière de sécurité avant février 2002, soit la mention « protégé » et la mention « classifié ». La mention « classifié » comprenait trois sous-catégories, soit les mentions « confidentiel », « secret » et « très secret », qui sont toujours en usage. La mention « protégé » comprenait aussi trois sous-catégories, soit « A », « B » ou « C »; la sous-catégorie « A » ayant été éliminée en février 2002, la cote minimale de sécurité actuelle correspond à l’ancienne sous-catégorie « B » et est maintenant désignée sous le nom de « cote de fiabilité » (avant février 2002, on utilisait le terme « cote de fiabilité approfondie »); c’est la cote de sécurité minimale qui s’applique à tous les employés. Par conséquent, nul ne peut travailler pour le défendeur à moins de détenir la cote de fiabilité ou une cote de sécurité supérieure.

21 Le fonctionnaire avait la cote de fiabilité afin de s’acquitter de ses fonctions d’agent d’entrevues-enquêtes et contrôle aux Services d’intégrité du défendeur. Il était habilité à examiner des renseignements « de nature particulièrement délicate » ayant trait à des questions d’ordre personnel, médical ou financier. Les exemples décrits dans le « Guide de classification de l’information » (révisé en décembre 2006) comprennent la vérification personnelle de consentement et d'autorisation, la rémunération, les résultats de tests, les références morales, les conflits d’intérêts, l’admissibilité aux prestations sociales, etc.

22 Comme nous le verrons plus loin, les faits du présent cas englobent l’enquête du défendeur sur les allégations que le fonctionnaire a obtenu des renseignements personnels sur certaines personnes dans le cadre de ses fonctions. Le défendeur a commencé par établir une liste de personnes, mais l’enquête a révélé que le fonctionnaire avait obtenu des renseignements sur certaines de ces personnes seulement. Ces personnes n’ont pas témoigné à l’audience et elles n’ont pour ainsi dire aucun lien avec les questions qui sont soulevées dans les présents griefs, mis à part le fait qu’on croyait qu’elles étaient impliquées dans un rude conflit avec le fonctionnaire et son épouse au sein du conseil de copropriété. Afin de protéger la vie privée de ces personnes, j’ai utilisé les lettres « AA », « BB », etc. de manière à ne pas dévoiler leur identité. Règle générale, si une personne n’a pas témoigné ou n’a pas autrement joué un rôle significatif dans les différends faisant l’objet des présents griefs, je l’ai désignée de cette manière. J’ai également supprimé tous les numéros d’assurance sociale indiqués dans les documents qui sont reproduits ci-après.

IV. Événements donnant lieu aux griefs

23 En 2004 ou 2005, le fonctionnaire et son épouse, Nyla Kazakoff, ont acheté un appartement dans un immeuble d’habitation en copropriété à Surrey (Colombie-Britannique). Le fonctionnaire a témoigné que la décision n’avait pas été facile parce que cela supposait de quitter une zone urbaine de Vancouver, Yaletown, pour aller vivre dans une zone à taux de criminalité élevé, notamment. Dans une déclaration datée du 25 juin 2008, le fonctionnaire a déclaré ceci : [traduction] « Mon épouse et moi avons peur de certaines personnes qui habitent à Surrey; ce sont des gens différents de ceux que nous côtoyions depuis des années à Yaletown. Ils sont mal élevés et n’ont pas beaucoup d’instruction et ils semblent vivre dans l’insouciance. » Dans la même déclaration, le fonctionnaire disait qu’un enfant [traduction] « […] avait été trouvé mort gisant sur le pas de la porte d’une habitation située à quelques pâtés de maisons de [leur] domicile ».

24 Le fonctionnaire a indiqué qu’après s’être installés à Surrey, son épouse et lui avaient constaté que la gestion de l’immeuble d’habitation en copropriété laissait à désirer et qu’ils avaient commencé à en parler aux autres propriétaires. L’une des personnes avec lesquelles ils ont discuté des problèmes est M. Todd Decker, qui habitait avec son conjoint de fait, AA, dans l’appartement situé en face du leur. Mme Kazakoff et M. Decker ont commencé à s’intéresser de très près à la gestion de l’immeuble et se sont fait élire au conseil de copropriété. Ils ont uni leurs efforts pour régler un certain nombre de problèmes et fait « front commun » pour faire apporter les changements qu’ils voulaient.

25 Leurs efforts de collaboration les emmenaient à se réunir dans leurs appartements respectifs. Il s’agissait souvent de rencontres sociales durant lesquelles on consommait de l’alcool. Durant l’une de ces rencontres, vers le milieu de l’année 2007 probablement, M. Decker a confié au fonctionnaire et à son épouse qu’il avait acheté un autre appartement dans le même immeuble. Si M. Decker a communiqué cette information en toute confidence, c’est que les règlements administratifs de l’immeuble interdisaient aux propriétaires de posséder un second appartement, sauf dans certaines circonstances. Le fonctionnaire et son épouse ont promis à M. Decker de respecter sa confidence.

26 À la fin de 2007 et au début de 2008, la relation entre M. Decker et AA d’une part et le fonctionnaire et son épouse d’autre part est devenue tendue puis très difficile. La preuve contenait des allégations contraires de M. Decker et du fonctionnaire à propos de conflits concernant, par exemple, le pelletage de la neige, ainsi que des allégations mutuelles d’agression. En mars 2008, la situation s’était tellement envenimée qu’il serait juste de dire que leurs rapports étaient devenus hostiles.

27 M. Decker a témoigné que l’une de ses inquiétudes concernant sa relation avec le fonctionnaire et son épouse était liée au fait qu’il possédait un second appartement. Il avait très peur qu’ils en informent le conseil de copropriété et qu’ils lui causent beaucoup de problèmes. Lorsque la relation d’amitié entre M. Decker d’une part et le fonctionnaire et son épouse d’autre part s’est transformée en relation d’hostilité, il s’est mis à avoir encore plus peur. M. Decker a déclaré qu’il se sentait pressé par Mme Kazakoff en particulier de faire diverses choses afin que l’information concernant l’achat du second appartement ne soit pas ébruitée. M. Decker a déclaré qu’il croyait que s’il ne se pliait pas à leurs demandes, Mme Kazakoff et le fonctionnaire aviseraient le conseil de copropriété qu’il était propriétaire d’un second appartement. Afin d’illustrer ses propos, M. Decker a expliqué qu’après avoir échangé des injures au téléphone avec Mme Kazakoff, il avait reçu un courriel daté du 27 mars 2008 dans lequel elle écrivait ceci : [traduction] « Todd, je te conseille d’y penser à deux fois avant de me traiter de maudite salope, car je sais que t’as cinq chats et que tu possèdes un appartement locatif en toute illégalité! »M. Decker a témoigné qu’il se sentait intimidé et menacé dans son intégrité physique par le fonctionnaire et son épouse, Mme Kazakoff. Il a également renvoyé à un courriel du fonctionnaire, daté également du 27 mars 2008, qui disait ceci : [traduction] « Todd, t’es aussi stupide qu’une poignée de porte!!! J’ai bien hâte de bavarder avec toi en personne un de ces prochains jours. J’aimerais bien savoir si tu vas me parler de la même façon que tu as parlé à Nyla. T’as fait une bien mauvaise erreur mon pote!!!!!! Affectueusement, Grant. »

28 M. Decker a témoigné qu’il se sentait également menacé chaque fois qu’il croisait le fonctionnaire et son épouse dans le couloir ou dans l’ascenseur de l’immeuble d’habitation. Il a expliqué que Mme Kazakoff avait un jour utilisé sa voiture « comme une arme » dans le terrain de stationnement en clouant M. Decker et AA contre une autre voiture. Le fonctionnaire a déclaré dans son témoignage que Mme Kazakoff ne savait pas conduire et qu’elle n’avait pas de permis de conduire. Mme Kazakoff a témoigné, mais elle n’a rien dit sur ce point.

29 D’habitude, ces faits ne seraient pas très utiles pour trancher les présents griefs. Le fonctionnaire se fonde toutefois sur ces faits parce que c’est M. Decker qui s’était plaint au défendeur que le fonctionnaire avait obtenu et communiqué des renseignements confidentiels appartenant au défendeur. Autrement dit, c’est la plainte de M. Decker au défendeur qui a entraîné la succession d’événements qui se sont soldés par la suspension puis le licenciement du fonctionnaire et la perte de sa cote de sécurité. Le fonctionnaire soutient que la plainte et le témoignage de M. Decker ne sont pas crédibles parce que son objectif était de discréditer le fonctionnaire plutôt que de dire la vérité.

30 Selon le témoignage de M. Decker, l’information qu’il a transmise au défendeur et qu’il a communiquée dans son témoignage date de l’époque où il entretenait une relation sociale amicale avec le fonctionnaire et son épouse. Selon M. Decker, le fonctionnaire s’est présenté plus d’une fois comme un « agent d’enquêtes sur le terrain » pour l’Assurance-emploi. Il glissait cette information durant des échanges sociaux ainsi que des réunions des copropriétaires de l’immeuble. Lors de plusieurs échanges, le fonctionnaire a déclaré, selon M. Decker, qu’il [traduction] « effectuait des vérifications sur tous les membres du conseil de copropriété » et que [traduction] « la vengeance n’avait plus de secrets pour lui [le fonctionnaire] ». Au cours de ces échanges, le fonctionnaire avait dit à M. Decker et à AA (AA n’a pas témoigné) que c’était très facile pour lui, vu ses fonctions d’agent d’enquêtes, d’obtenir de l’information sur des gens. M. Decker a déclaré qu’il avait été choqué d’entendre cela, car dans ses fonctions d’infirmier, il était assujetti [traduction] « à une foule de règles quant à l’information à laquelle [il] a[vait] accès ». M. Decker a dit au fonctionnaire qu’il ne le croyait pas, ce à quoi le fonctionnaire a répondu qu’il avait consulté les dossiers de M. Decker et de AA mais qu’ils [traduction] « n’a[vaient] rien à craindre parce que tout [était] en règle », selon le témoignage de M. Decker. AA avait réagi en disant qu’il y avait beaucoup de « [AA] » à Richmond et le fonctionnaire avait déclaré qu’il avait trouvé son dossier parce qu’il n’y avait qu’une personne qui faisait le même travail que AA.

31 M. Decker a également mentionné que le fonctionnaire avait déclaré qu’il avait obtenu de l’information sur BB, un ancien membre de l’exécutif du conseil de copropriété, à savoir qu’il devait 500 $ au titre de prestations d’assurance-emploi reçues en trop. Le fonctionnaire connaissait également la date de naissance, le signe astrologique ainsi que le métier de BB. M. Decker a déclaré qu’il avait été « renversé » de voir que le fonctionnaire avait cette information.

32 Environ à la même époque, l’épouse de BB a fait circuler une lettre parmi les copropriétaires de l’immeuble pour que M. Decker et Mme Kazakoff soient exclus du conseil de copropriété. À la même époque également, les rapports entre M. Decker et AA d’une part et le fonctionnaire et son épouse d’autre part étaient devenus hostiles. À la fin de mars 2008, M. Decker a pris deux mesures. Il a d’abord avoué à chaque membre du conseil de copropriété qu’il avait acheté un second appartement dont il tirait un revenu de location. Lorsqu’il s’est présenté chez M. et Mme BB, il a demandé à Mme BB si l’information que le fonctionnaire lui avait communiquée était exacte. Il a expliqué quelle était cette information et Mme BB a indiqué qu’elle était mécontente; elle a confirmé qu’il s’agissait de renseignements exacts mais très personnels. Mme BB n’a pas témoigné à l’audience.

33 La seconde mesure que M. Decker a prise a été de présenter une plainte au défendeur contre le fonctionnaire. Dans son témoignage, M. Decker a expliqué qu’il était contrarié de savoir que le fonctionnaire utilisait des renseignements obtenus au travail pour acquérir un avantage dans les conflits avec les membres du conseil de copropriété. Le fonctionnaire avance de nouveau l’argument que la plainte de M. Decker était motivée par ces conflits et qu’elle doit être rejetée ou exclue pour cette raison. 

34 La plainte de M. Decker au défendeur est datée du 31 mars 2008. Elle a abouti sur le bureau de Mme Wanda Morrison, la gestionnaire par intérim du fonctionnaire à ce moment-là. Mme Morrison n’a pas témoigné à l’audience, mais des documents produits en preuve indiquent qu’elle a interviewé M. Decker les 11, 15 16 et 21 avril 2008. Ses notes, qui ont également été mises en preuve, contiennent la liste des 12 membres du conseil de copropriété sur lesquels M. Decker croyait que le fonctionnaire effectuait des vérifications au travail. Comme je l’ai indiqué au début de la présente décision, par souci de protéger la vie privée des personnes mentionnées dans la liste, je ne les nommerai pas toutes; nous verrons plus loin qu’un plus petit groupe des personnes en question est concerné. 

35 Mme Morrison s’est entretenue avec BB le 16 avril 2008. Ses notes indiquent qu’il [traduction] « […] craignait que des renseignements personnels le concernant eussent été communiqués […] ». Les notes de Mme Morrison indiquent également que M. Decker craignait pour sa sécurité personnelle et qu’il a discuté avec Mme Morrison de la possibilité de prévenir les services de police. Le 21 avril 2008, Mme Morrison a informé M. Decker que le défendeur avait ouvert une enquête et que le fonctionnaire en serait éventuellement informé.

V. L’enquête du défendeur

36 Par suite de la plainte de M. Decker et des discussions qu’il a eues avec Mme Morrison en mars et en avril 2008, le défendeur a ouvert une enquête. Le fonctionnaire a d’abord été convoqué à une entrevue avec Wendy Heon de la section des enquêtes spéciales du défendeur. Mme Heon a également interviewé d’autres personnes, dont M. Decker, BB et d’autres membres du conseil de copropriété.

37 Le 3 juin 2008, dans le cadre de son enquête, Mme Heon a demandé à M. Gilles Touchette, un agent d’enquête en matière de sécurité de la TI, d’effectuer une enquête sur les diverses bases de données que le fonctionnaire avait utilisées. Dans un courriel à M. Touchette daté de ce jour-là, elle a indiqué ceci :

[Traduction]

Pour faire suite à notre discussion d’hier — pourriez-vous effectuer quelques vérifications supplémentaires en englobant le programme Easy Access. Je ne sais pas si vous êtes au courant de l’histoire ici, mais certains allèguent que l’employé se vante d’avoir utilisé des bases de données au travail pour obtenir de l’information sur [BB] — il a notamment révélé son lieu de travail, son âge, ainsi que le fait que [BB] avait reçu une contravention commerciale deux ans plus tôt et qu’il devait un peu moins de 500 $ à l’Assurance-emploi.

L’employé s’est également vanté d’avoir fait des recherches sur d’autres personnes. Je sais que vous avez effectué les vérifications habituelles et que tout ce que vous avez trouvé est que [l’employé] a consulté l’écran EN04 sur [BB]. Cet écran lui aurait toutefois fourni le NAS de [BB].

Auriez-vous l’obligeance d’effectuer une autre vérification à l’aide du programme Easy Access et de tout autre programme de collecte de donnée sur les clients auquel les employés ont accès en ce qui concerne les personnes suivantes. J’aimerais que votre vérification porte sur une période d’un an.

1. Todd Decker […]

2. AA […]

3. BB […]

4. CC […]

5. DD […]

6. NN […]

7. FF […]

8. GG […]

9. HH

10. Nyla Kazakoff

11. JJ

12. KK

13. LL

14. AA[nom reproduit une deuxième fois]

Je sais bien que vous n’avez pas le NAS des personnes 8 à 14 [par souci de protection de la vie privée, les numéros d’assurance sociale des personnes 1 à 8 indiquées ci-dessus n’ont pas été reproduits ici; dans le cas des personnes 9 à 14, leur numéro d’assurance sociale n’était pas indiqué]. Ces personnes habitent toutes dans le même immeuble que le fonctionnaire, à Surrey — adresse [adresse supprimée] — cette information pourrait vous être utile.

L’ancien gestionnaire de l’employé a indiqué qu’il utilisait habituellement le programme Easy Access — mais pas les autres programmes — de plus, il n’est pas censé avoir accès aux dossiers des personnes susmentionnées, puisqu’elles habitent toutes à Surrey — et non à Vancouver, où réside sa clientèle.

38 À ce stade-ci, cela aiderait probablement le lecteur de savoir que le fonctionnaire a fini par admettre qu’il avait effectué des vérifications sur cinq personnes, en l’occurrence BB, JJ, LL, KK et une autre personne, MM. Dans son témoignage en l’espèce, il nie avoir effectué des vérifications sur M. Decker ou sur AA. Or, il a admis à deux reprises durant l’enquête du défendeur qu’il avait effectué des vérifications sur M. Decker. Il a par ailleurs nié à deux reprises durant l’enquête qu’il avait effectué des vérifications sur AA, mais il ne l’a pas nié à un autre moment. Ces faits sont décrits en détail ci-après.

39 Pour en revenir à M. Touchette et à son enquête, précisons qu’il est un agent d’enquête en matière de sécurité de la TI à Service Canada et qu’il fait partie de la section des enquêtes spéciales. Il possède de la formation et de l’expérience pour fouiller dans des systèmes informatiques et il a accès à des programmes de recherches réservés aux agents d’enquête. Il a fourni des documents contenant l’information qu’il avait tirée des bases de données auxquelles le fonctionnaire avait accès.

40 L’enquête de M. Touchette a porté en grande partie sur la manière dont le fonctionnaire avait utilisé son code d’accès de sept chiffres dans les bases de données auxquelles il avait accès. Cet examen a révélé que le fonctionnaire avait effectué un certain nombre de recherches sur « [JJ] », y compris des variantes telles que « [JJ] [prénom supprimé] »; « [JJ] [variante du prénom supprimée] »; « [JJ] [deuxième variante du prénom supprimée] »; « [JJ] [troisième variante du prénom supprimée] »; « [JJ] [quatrième variante du prénom supprimée] »; et d’autres. De même, le fonctionnaire a effectué des recherches sur « [BB] [variante du prénom supprimée] » à quatre reprises. Ces diverses recherches s’expliquaient par le fait que la base de données contenait plus d’un « [JJ] » et que le fonctionnaire [traduction] « allait à la pêche » pour trouver la bonne personne. L’utilisation de variantes des prénoms était une méthode courante de restreindre une recherche ou d’effectuer des recherches sur des personnes ayant le même nom. Dans son témoignage, le fonctionnaire a indiqué que c’était des commandes qu’il utilisait dans le cadre de ses fonctions.

41 Selon M. Touchette, le fonctionnaire a trouvé les noms de JJ et de BB dans le SADA, deux des noms qui figuraient sur la liste reçue de Mme Heon. À partir de là, le fonctionnaire a consulté l’écran EN04 et trouvé l’adresse, la date de naissance, la langue, le numéro de téléphone de BB, ainsi que des renseignements à propos d’un trop-payé qu’il avait reçu. Un trop-payé est un montant d’argent qu’une personne doit à l’assurance-emploi. M. Touchette a également déclaré que même si le fonctionnaire avait réussi à trouver le dossier de JJ, le système ne contenait pas d’autres renseignements sur cette personne. 

42 M. Touchette a également été capable de déterminer que le fonctionnaire avait effectué des recherches sur KK, sur LL et sur MM, mais qu’il n’avait rien trouvé parce que le système ne contenait pas d’information sur ces personnes. M. Touchette a expliqué que seuls les noms des personnes qui avaient présenté une demande de prestations d’assurance-emploi durant la dernière année ou qui avaient une demande active figuraient dans les bases de données. Par conséquent, si la personne recherchée n’a pas fait de demande de prestations durant cette période ou n’a pas une demande active, son nom ne sera pas dans la base de données. Dans le cas de KK, LL et MM, le système ne contenait pas d’information, ce qui signifie qu’ils n’avaient pas une demande active ou récente de prestations d’assurance-emploi. M. Touchette a également déclaré qu’aucune des cinq personnes sur lesquelles le fonctionnaire a effectué des recherches n’avait un lien avec les fonctions du fonctionnaire. Autrement dit, aucune de ces personnes ne faisait partie des clients du fonctionnaire à titre d’agent d’entrevues-enquêtes et contrôle.

43 En contre-interrogatoire, M. Touchette a déclaré qu’il ne savait pas si le fonctionnaire avait utilisé le programme Easy Access parce qu’il n’avait pas accès à ce programme. Il a confirmé que les seuls renseignements quelque peu détaillés que le fonctionnaire avait trouvés étaient ceux se rapportant à BB. M. Touchette a admis qu’il n’avait pas trouvé d’indice que le fonctionnaire avait effectué des recherches sur M. Decker.

44 Environ à la même époque, le 5 juin 2008, le fonctionnaire a été interviewé par Mme Heon. Une transcription détaillée de cette entrevue a été déposée en preuve; elle contient l’aveu que le fonctionnaire a obtenu des renseignements non autorisés. Le fonctionnaire a expressément admis qu’il avait [traduction] « effectué des vérifications sur » M. Decker et sur BB et qu’il n’avait [traduction] « rien trouvé sur Todd [Decker] », mais que BB [traduction] « avait fait une demande de prestations dans le passé ». Il a nié qu’il avait communiqué des renseignements sur BB, sauf à son épouse. On lui a demandé à plusieurs reprises s’il avait effectué des vérifications sur d’autres personnes; il a déclaré que non, puis il a admis qu’il avait effectué des vérifications sur LL. On lui a également clairement expliqué que la question était de savoir s’il s’en était [traduction] « […] tenu à la vérification initiale […] » des noms ou s’il avait poussé les recherches plus loin pour trouver des renseignements sur les personnes en cause. On lui a demandé s’il avait effectué des vérifications sur AA et il a répondu : [traduction] « Je ne le crois pas ». Le fonctionnaire a nié qu’il avait effectué des vérifications sur son épouse et sur d’autres personnes. Il a également déclaré qu’[traduction] « au cours des 15 dernières années », il avait effectué des vérifications au travail pour aider ses amis qui avaient fait des demandes de prestations d’assurance-emploi; il leur [traduction] « donnai[t] des conseils afin de les aider à se faire admettre dans un programme [et] à trouver un emploi […] [il] ne faisai[t] que leur dire que [leur] demande de prestations semblait en règle ». Il a admis qu’il n’était pas autorisé à vérifier ces renseignements.

45 Après l’entrevue du 5 juin 2008, le fonctionnaire a expédié une déclaration écrite assez détaillée, datée du 25 juin 2008, à un représentant de l’unité de négociation. Cette déclaration a finalement abouti sur le bureau de Mme Heon. Le fonctionnaire a expliqué qu’il envoyait sa déclaration pour la raison suivante : [traduction] « […] je ne sais pas [si] je peux faire confiance à mon représentant syndical. Il travaille dans le même bureau que moi et si cette affaire était ébruitée à mon lieu de travail, j’en éprouverais encore plus d’embarras, d’angoisse et de stress. » Je présume que le fonctionnaire avait surmonté ses inquiétudes concernant la protection de sa vie privée lorsqu’il a envoyé ce document à l’agent négociateur. Il a décrit les raisons qui l’avaient conduit à quitter Vancouver pour s’installer à Surrey et les problèmes qui existaient au conseil de copropriété. Pour expliquer sa conduite, il a indiqué notamment ceci :

[Traduction]

[…]

Il fallait que je sache si elle [l’épouse du fonctionnaire] pouvait siéger sans crainte au conseil de copropriété et à quel genre de personnes elle avait affaire. J’ai effectué des vérifications sur quelques membres pour savoir qui étaient ces gens, mais je n’ai rien trouvé, sauf sur [BB]. Il avait un dossier inactif contenant un trop-payé. J’ai dit à mon épouse qu’elle n’avait aucune crainte à avoir selon mes recherches; la seule chose que j’avais trouvée est que [BB] devait environ 500 $ ou 600 $. Il ne recevait pas de prestations d’assurance-emploi et Todd [Decker] était dans l’erreur.

[…]

Je vous prie d’accepter mes plus sincères excuses; je regrette vraiment ce que j’ai fait.

46 Dans un rapport ultérieur daté du 13 août 2008, Mme Heon a écrit ceci au sujet de son entrevue avec le fonctionnaire :

[Traduction]

Le 5 juin 2008, Grant Shaver a été interviewé par le comité d’enquête en présence de son représentant syndical Frank Karabotso, délégué syndical.

Durant cette entrevue, M. Shaver a admis d’emblée qu’il avait obtenu des renseignements sur des clients en dehors du cadre de ses fonctions et des exigences de son poste. M. Shaver a expliqué que les personnes sur lesquelles il avait effectué des vérifications en dehors du cadre de ses fonctions étaient des amis et des voisins.

Dans le cas des amis, M. Shaver a déclaré qu’il avait effectué ces vérifications afin de répondre à leurs questions sur l’état de leurs demandes de prestations. Il leur prodiguait des conseils et essayait de les faire admettre dans des programmes pour les aider à trouver un nouvel emploi. M. Shaver a été incapable de fournir les noms des personnes en question au comité d’enquête.

Dans le cas des voisins habitant dans le même immeuble en copropriété, M. Shaver a expliqué que son épouse faisait partie du conseil de copropriété et qu’elle s’interrogeait sur certains des membres du conseil, ce qui l’avait incité à effectuer des vérifications pour savoir [traduction] « à qui ils avaient affaire ». M. Shaver a initialement admis qu’il avait effectué des vérifications sur Todd Decker et sur [BB] afin de savoir s’ils recevaient des prestations d’assurance-emploi. Il a également admis qu’il avait obtenu des renseignements sur [AA] et sur d’autres membres du conseil de copropriété et qu’il avait probablement obtenu des renseignements sur [JJ] et sur [LL], mais il ne se rappelait pas s’il avait consulté les dossiers des autres personnes dont on lui a soumis les noms.

47 Le rapport de Mme Heon contenait également le résumé suivant de la déclaration du fonctionnaire datée du 25 juin 2008 :

[Traduction]

Grant Shaver a expliqué qu’il fournissait cette explication supplémentaire parce qu’il n’était [traduction] « pas sûr qu[’il] p[ouvait] faire confiance à [s]on représentant syndical. Il travaille dans le même bureau que [lui] […] ». Dans sa déclaration, M. Shaver fournit des détails sur la situation du conseil de copropriété, les membres du conseil et la dynamique qui sous-tendait les rapports entre les personnes préoccupées par les deux sujets. M. Shaver ajoute qu’il craignait pour la sécurité de son épouse et pour la sienne et qu’ils vivaient dans la peur, en faisait allusion aux crimes violents qui avaient été commis dans leur complexe d’habitation ou à proximité de celui-ci. La nomination de son épouse au conseil de copropriété l’avait incité à effectuer des vérifications sur quelques personnes afin de savoir qui [traduction] « étaient ces gens », car il [traduction] « fallait qu[’il] sache si elle pouvait siéger sans crainte au conseil de copropriété et à quel genre de personnes elle avait affaire ». De plus, Todd Decker, le plaignant, avait informé M. Shaver et son épouse que [BB] [traduction]« recevait des prestations d’assurance-emploi tout en travaillant au noir ». Ses vérifications n’ont rien révélé sur quiconque, sauf sur [BB], qui avait un dossier inactif contenant un trop-payé. M. Shaver a déclaré ceci : [traduction] « J’ai dit à mon épouse qu’elle n’avait aucune crainte à avoir selon mes recherches; la seule chose que j’avais trouvée est que [BB] devait environ 500 $ ou 600 $. Il ne recevait pas de prestations d’assurance-emploi et Todd [Decker] était dans l’erreur. »

M. Shaver a indiqué qu’après la réunion avec le comité d’enquête, il a eu une conversation avec son épouse qui l’a informé qu’elle (Nyla Kasakoff) avait dit à M. Decker par inadvertance que [BB] avait un trop-payé de 600 $ parce que M. Decker n’arrêtait pas de lui poser des questions sur [BB] et qu’elle [traduction] « voulait simplement qu’il cesse de l’importuner ».

M. Shaver conclut sa déclaration en disant qu’il a besoin de son emploi, qu’il regrette ce qu’il a fait et qu’il demande pardon pour avoir [traduction] « effectué des vérifications sur quelques personnes », en répétant qu’il n’a pas communiqué de renseignements, que son seul objectif était d’assurer la sécurité de son épouse. Il a écrit : [traduction]« Je vous prie d’accepter mes plus sincères excuses; je regrette vraiment ce que j’ai fait. »

48 Les conclusions contenues dans le rapport de Mme Heon daté du 13 août 2008 sont les suivantes :

[Traduction]

Conclusions

Grant Shaver est un agent d’entrevues-enquêtes et contrôle et à ce titre, il a accès aux bases de données de Service Canada renfermant des renseignements de nature délicate sur des citoyens canadiens.

Grant Shaver, qui était silencieux et inquiet durant son entrevue, a admis d’emblée qu’il avait consulté les dossiers d’un certain nombre de clients en dehors du cadre de ses fonctions, à des fins personnelles, et dans le but d’aider des personnes qu’il connaissait. Même si M. Shaver nie avoir communiqué les renseignements qu’il a obtenus, l’information que Todd Decker et [AA] ont en leur possession soulèvent des doutes quant à l’exactitude de cette déclaration. De plus, dans la seconde déclaration reçue du SEIC, M. Shaver admet avoir dit à son épouse, Nyla Kasakoff, que [BB] devait environ 500 $ ou 600 $ au gouvernement.

Cette enquête administrative a démontré que Grant Shaver avait consulté les dossiers de certains clients sans autorisation valable, à des fins personnelles. L’enquête révèle également que Grant Shaver a communiqué des renseignements sur des clients à des tierces personnes, en l’occurrence son épouse, Nyla Kasakoff, et, selon la prépondérance des probabilités, à Todd Decker et à [AA], et qu’il s’est rendu coupable d’un abus de confiance.

La cote de fiabilité de Grant Shaver sera réexaminée.

49 Après avoir pris connaissance du rapport de Mme Heon, le défendeur a décidé de suspendre le fonctionnaire de ses fonctions. La décision a été communiquée au fonctionnaire dans une lettre de M. Andy Netzel, directeur exécutif régional, Service Canada, datée du 29 septembre 2008 :

[Traduction]

La présente lettre vise à vous informer que, aux termes de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques et du pouvoir qui m’a été délégué par le sous-ministre, je vous suspends de vos fonctions sans rémunération à compter du 30 septembre 2008, en attendant la tenue d’une enquête.

Cette enquête est devenue nécessaire parce que vous avez utilisé des systèmes informatiques du ministère sans en avoir l’autorisation.

Vous n’avez pas le droit de vous présenter aux bureaux de RHDCC/Service Canada pendant toute la durée de votre suspension. Pour joindre le bureau pour quelque raison que ce soit, vous devez communiquer avec Bernice Cook, gestionnaire de la prestation des services, au [numéro de téléphone supprimé].

Si vous n’êtes pas d’accord avec ma décision, vous avez le droit de déposer un grief dans les vingt-cinq (25) jours suivant la réception de la présente lettre.

50 Dans son témoignage, M. Netzel a admis que l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (LGFP), fait référence à une suspension disciplinaire, mais il a par ailleurs affirmé que la suspension était une mesure administrative et que le renvoi à l’alinéa 12(1)c) de la LGFP dans la lettre était attribuable à une erreur. L’agent négociateur soutient qu’il n’y a pas eu d’erreur et qu’une suspension disciplinaire a été infligée au fonctionnaire. J’analyserai ce point plus en détail dans la présente décision.

51 Le fonctionnaire a déposé un grief daté du 1er octobre 2008 relativement à la suspension non rémunérée. Ce grief est l’un des trois griefs qui sont l’objet du présent arbitrage. La mesure corrective demandée est la suivante :

[Traduction]

Que la suspension soit levée sans délai et que je sois autorisé à reprendre le travail afin de recommencer à m’acquitter pleinement de mes fonctions. Subsidiairement, que la suspension soit levée sans délai et que je sois autorisé à reprendre le travail pour accomplir des tâches ne me donnant pas accès aux systèmes informatiques jusqu’à ce que l’enquête de l’employeur soit terminée.

Si l’employeur ne peut m’offrir des tâches limitées, qu’un congé rémunéré me soit accordé.

Que l’employeur conclue cette enquête le plus rapidement possible.

Que la rémunération, les avantages sociaux et les crédits de pension perdus me soient remboursés.

Que toute mention de cette affaire soit supprimée de mon dossier personnel.

Que je sois indemnisé intégralement.

52 Le défendeur a poursuivi son enquête et le fonctionnaire a été interviewé à deux reprises par sa gestionnaire permanente, Bernice Cook. Les notes des deux entrevues prises par une tierce personne ont été déposées en preuve et le fonctionnaire n’en a pas contesté l’exactitude. 

53 La première entrevue avec Mme Cook a eu lieu le 28 octobre 2008. Le fonctionnaire a nié qu’il avait reçu de la formation sur les valeurs et l’éthique; il a déclaré qu’on ne lui en avait jamais offert. Il a également déclaré qu’il avait un dossier disciplinaire sans tache. Il a justifié sa conduite en disant : [traduction] « […] je n’ai pas agi par malveillance; je n’ai pas communiqué de renseignements à quiconque. Seuls mon épouse et moi étions au courant […] » et qu’il [traduction] « regrett[ait] vraiment ce qu[’il] a[vait] fait ». Mme Cook lui a demandé s’il avait laissé entendre à d’autres qu’il était un agent d’enquêtes; le fonctionnaire a répondu, selon les notes de l’entrevue, qu’il [traduction] « di[sait] simplement aux gens qu’il travaill[ait] pour le gouvernement » et qu’[traduction] « il n’aurait jamais dit qu’il [était] enquêteur pour les cas de fraude ».

54 Les notes de l’entrevue du 28 octobre 2008 entre le fonctionnaire et Mme Cook (« Bernice ») contiennent l’échange suivant :

[Traduction]

[…]

Bernice a commencé par demander à M. Shaver s’il admettait avoir utilisé des programmes informatiques au travail pour obtenir des renseignements sur [BB]. M. Shaver a admis qu’il l’avait fait.

Bernice a demandé à M. Shaver s’il admettait avoir utilisé des programmes informatiques au travail pour obtenir des renseignements sur Todd Decker. M. Shaver a admis qu’il l’avait fait.

Bernice a demandé à M. Shaver s’il comprenait qu’en obtenant des renseignements personnels sur une personne en dehors du cadre de ses fonctions, il portait atteinte à leur vie privée. M. Shaver a déclaré qu’il le comprenait maintenant. Bernice lui a demandé s’il savait qu’il portait atteinte à la vie privée de quelqu’un lorsqu’il a effectué des recherches pour trouver des renseignements. M. Shaver a répondu qu’il n’avait pas pensé à cela à ce moment-là.

Bernice a demandé à M. Shaver s’il comprenait qu’en communiquant à son épouse des renseignements personnels sur un prestataire, il portait atteinte à la vie privée de cette personne. M. Shaver a répondu qu’il le comprenait maintenant. Bernice a demandé à M. Shaver s’il savait qu’il portait atteinte à la vie privée de quelqu’un lorsqu’il a communiqué les renseignements. M. Shaver a répondu qu’il était stressé à ce moment-là et qu’il n’avait pas pensé à cela. Il a déclaré qu’il se faisait du souci pour son épouse et qu’il s’interrogeait sur le genre de personnes qu’elle côtoyait au conseil de copropriété. Son principal intérêt était de protéger son épouse.

M. Shaver a ajouté qu’il n’avait absolument pas fait de recherches sur [AA] et que rien ne prouvait qu’il en avait effectué.

M. Shaver a également ajouté qu’il avait effectué des vérifications sur [BB] parce que Todd Decker lui avait dit que [BB] recevait des prestations d’assurance-emploi tout en travaillant au noir. M. Shaver a dit que Todd avait déjà fait allusion à cela dans le passé et lorsqu’il lui en a parlé une seconde fois, M. Shaver s’est senti obligé de vérifier l’information.

55 Je marque un temps d’arrêt ici pour dire que, durant cette entrevue, le fonctionnaire a admis qu’il avait effectué des vérifications sur BB et sur M. Decker. Il a nié avoir effectué des recherches sur AA, probablement parce que Mme Heon concluait le contraire. Il a également admis qu’il avait obtenu des renseignements pour aider ses amis. 

56 Mme Cook a rencontré le fonctionnaire une deuxième fois, le 24 novembre 2008. Je reproduis ci-après un long passage des notes de cette entrevue : 

[Traduction]

Mme Cook a rappelé à M. Shaver qu’il avait déclaré, au cours de sa dernière entrevue, qu’il avait effectué des vérifications dans nos systèmes sur Todd Decker parce qu’il avait peur de Todd et qu’il craignait pour la sécurité de son épouse. Mme Cook a demandé à M. Shaver à quel moment il avait commencé à avoir peur de Todd. M. Shaver a répondu que c’est après l’envoi de la lettre aux résidents de l’immeuble d’habitation en copropriété.

Mme Cook lui a demandé s’il avait une copie de cette lettre. Kathy Sands a indiqué qu’elle en avait une copie. Mme Cook a demandé à quelle date la lettre avait été envoyée. M. Shaver a répondu que c’était en janvier ou en février 2008.

Mme Cook a demandé à M. Shaver ce qu’il craignait que Todd pouvait faire.

M. Shaver a répondu qu’il avait été témoin d’un changement complet de personnalité chez Todd. C’était un bon gars, mais il était devenu une personne très agressive et rancunière; il était aussi à bout de nerfs. Il (Todd) avait commencé à envoyer des courriels à M. Shaver.

Mme Cook a demandé à M. Shaver s’il craignait pour sa sécurité physique.

M. Shaver a répondu qu’il ne craignait pas pour sa sécurité physique, mais il avait peur que Todd décide de s’en prendre à eux en tailladant les pneus de leur voiture, par exemple.

Mme Cook a demandé à M. Shaver quelles mesures de précaution son épouse et lui avaient prises.

M. Shaver a indiqué qu’il avait dit à son épouse qu’il ne voulait plus voir cet homme-là chez eux. Le problème c’est que son épouse se sentait obligée d’entretenir la relation avec Todd parce qu’ils faisaient tous deux partie du conseil de copropriété. Elle l’invitait à la maison pour discuter de divers dossiers; M. Shaver s’enfermait alors à clé dans un petit bureau.

Mme Cook a demandé à M. Shaver pour quelle raison il s’enfermait à clé dans son bureau lorsque Todd était chez eux s’il craignait pour la sécurité de son épouse.

M. Shaver a répondu qu’il entendait tout ce qu’ils disaient de son bureau, même la porte fermée. Il a ajouté qu’il ne croyait pas que Todd fasse quoi que ce soit lorsqu’il se trouvait tout près.

M. Shaver a également expliqué que Todd se pointait quelquefois chez eux et qu’il se tenait tellement près de son épouse que celle-ci se sentait obligée de le laisser entrer. Il a déjà surgi dans l’appartement sans frapper et s’était mis à injurier son épouse.

Après que M. Shaver eut indiqué qu’il avait effectué des vérifications sur Todd afin d’essayer de trouver des renseignements sur sa moralité, Mme Cook lui a demandé quel genre de renseignements il espérait trouver dans nos systèmes sur la moralité de Todd?

M. Shaver a répondu qu’il ne savait pas ce qu’il allait trouver et qu’il voulait simplement se faire une idée sur sa moralité.

Mme Cook a demandé à M. Shaver de quelle manière il prévoyait utiliser l’information qu’il trouverait sur Todd.

M. Shaver a expliqué que s’il avait constaté l’existence d’une succession de problèmes, par exemple, que Todd travaillait comme infirmier auparavant et qu’il occupait maintenant un poste d’aide-infirmier, il se serait demandé si Todd avait un problème et se serait ensuite empressé de quitter l’immeuble avec son épouse. M. Shaver a déclaré qu’il avait peur pour son épouse et que les services de police refusaient de s’en mêler.

Mme Cook a demandé à M. Shaver si les renseignements qu’il avait trouvés sur Todd Decker dans notre système lui avaient donné raison de s’inquiéter.

M. Shaver a répondu que non.

Mme Cook a demandé pour quelle raison il avait communiqué à son épouse des renseignements qui n’avaient aucun lien avec ses préoccupations à propos de [BB].

M. Shaver a déclaré qu’il n’avait pas donné de noms à son épouse; il lui avait seulement dit qu’il n’y avait pas de trop-payé et qu’il [BB] ne recevait pas de prestations d’assurance-emploi. M. Shaver a expliqué que c’était simplement une façon pour lui d’évacuer le stress. Il a ajouté qu’il racontait souvent à son épouse des incidents survenus au travail lorsqu’il avait eu une mauvaise journée. Par exemple, si un client s’emportait contre lui parce qu’il avait été déclaré non admissible au bénéfice des prestations, il dirait probablement à son épouse qu’il avait eu une mauvaise journée et qu’un client s’était emporté contre lui. Un point c’est tout.

Mme Cook a demandé à M. Shaver s’il avait communiqué d’autres renseignements sur des clients à son épouse.

M. Shaver a répondu que non.

Mme Cook a demandé à M. Shaver s’il avait peur de [BB].

M. Shaver a répondu par la négative.

Mme Cook a demandé pour quelle raison il avait effectué des vérifications sur [BB].

M. Shaver a déclaré que c’était parce que Todd lui avait dit que [BB] recevait des prestations d’assurance-emploi tout en travaillant.

Mme Cook a demandé à M. Shaver s’il avait peur de [JJ].

M. Shaver a indiqué qu’il s’interrogeait à son sujet ainsi que sur son comportement à l’égard de son épouse. Il a expliqué qu’un jour où son épouse enregistrait une réunion du conseil de copropriété, [JJ] était devenu très agressif envers elle; il revenait sans cesse à la charge pour qu’elle éteigne le magnétophone. Son épouse lui avait dit qu’elle avait refusé de le faire parce qu’elle avait peur. M. Shaver a indiqué à Mme Cook qu’il [le fonctionnaire] lui avait envoyé [à Mme Cook] une copie de l’enregistrement.

[…]

Mme Cook a demandé à M. Shaver s’il avait peur de [KK].

M. Shaver a répondu qu’il la connaissait à peine.

Mme Cook a demandé pour quelle raison il avait effectué des vérifications sur elle.

M. Shaver a indiqué qu’il voulait probablement savoir quel genre de personne siégeait au conseil de copropriété avec son épouse.

Mme Cook a demandé à M. Shaver si [KK] siégeait au conseil de copropriété.

M. Shaver a répondu qu’il croyait bien que [KK] faisait partie du conseil de copropriété à ce moment-là.

Mme Cook a demandé à M. Shaver s’il avait peur de [LL].

M. Shaver a répondu qu’il travaillait comme [titre de la profession supprimé] et qu’il avait un problème de [mot supprimé].

Mme Cook a demandé à M. Shaver pour quelle raison il avait effectué des vérifications sur [LL].

M. Shaver a déclaré qu’il voulait en savoir plus sur ce type-là parce qu’il habitait dans l’appartement situé directement au-dessous du leur. Il a expliqué que peu de temps après avoir emménagé dans l’immeuble, ils avaient effectué des rénovations et découvert qu’il y avait des traces de suie sous leurs armoires. Ils en avaient parlé à quelqu’un qui leur avait dit que [LL] avait été la cible d’une bombe incendiaire avant leur arrivée parce qu’il avait une dette de jeu impayée. M. Shaver a déclaré qu’il craignait pour la sécurité de son épouse.

Mme Cook a demandé à M. Shaver s’il avait peur de [AA].

M. Shaver a répondu qu’il ne le savait pas, excepté que [AA] vi[vait] avec Todd Decker.

Mme Cook a demandé à M. Shaver pour quelle raison il avait effectué des vérifications sur [AA].

M. Shaver a répondu que c’était en raison de sa relation avec Todd.

[…]

Mme Cook a rappelé à M. Shaver qu’il avait indiqué, durant la dernière entrevue, qu’il avait effectué des vérifications pour aider ses amis parce qu’ils lui posaient habituellement des questions sur l’état de leur demande de prestations et qu’il les aidait à être admis dans des programmes. Mme Cook a demandé à M. Shaver quel type de renseignements il fournissait à ses amis sur l’état de leurs demandes de prestations.

M. Shaver a répondu qu’il leur indiquait généralement le nombre de semaines de prestations qu’il leur restait à recevoir. Il ne les aidait pas à se faire admettre dans des programmes; il les informait plutôt des divers programmes offerts et de la marche à suivre pour s’y inscrire.

Mme Cook a demandé à M. Shaver s’il fournissait ce service durant les heures de travail ou dans ses temps libres.

M. Shaver a répondu qu’il fournissait le service durant les heures du travail, car il n’avait pas accès aux programmes informatiques à la maison.

Mme Cook a demandé à M. Shaver pour quelle raison il ne dirigeait pas ces clients vers le CAR.

M. Shaver a déclaré qu’il leur demandait de s’adresser au CAR de temps à autre, mais qu’il estimait que l’information était disponible et qu’il essayait simplement de les aider à se trouver un emploi.

Mme Cook a rappelé à M. Shaver que l’écran EN04 fournit le nom, l’adresse, le NAS et la date de naissance, en plus d’indiquer si la personne concernée a fait une demande de prestations d’assurance-emploi, sans plus. Elle a demandé à M. Shaver pour quelle raison il avait consulté cet écran dans le cas de personnes qu’il connaissait.

M. Shaver a répondu qu’il avait consulté cet écran pour obtenir leur NAS.

[…]

Mme Cooke a rappelé à M. Shaver qu’il avait suivi le cours d’orientation générale de Service Canada en septembre 2005. Afin de participer à ce cours, il fallait avoir fait deux modules de formation en ligne, en l’occurrence « Paver la voie : Fondement des valeurs et de l'éthique pour les nouveaux employés » et « Orientation à la fonction publique : Pour qui travaillons-nous? » Cette formation en ligne était suivie d’une journée de formation en classe pour appliquer les connaissances acquises en ligne.

M. Shaver a demandé à Mme Cook de lui fournir plus de détails sur ce point.

Mme Cook a indiqué qu’il avait probablement suivi le cours au bureau de Vancouver ou au Centre Harbour.

M. Shaver a déclaré qu’il ne se rappelait pas avoir suivi ce cours.

Mme Cook a indiqué à M. Shaver qu’il avait participé à un cours de sensibilisation sur la TI, en janvier 2007, et que cette formation portait sur les points suivants :

  • les comportements inacceptables : utilisation des réseaux électroniques du gouvernement à des fins commerciales ou personnelles […]

  • les objectifs : parvenir à trouver des trucs pour assurer la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des systèmes et données de la TI;

  • la sécurité est définie comme les mesures et les moyens de contrôle visant à assurer la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité de l’information.

M. Shaver a répondu qu’il se rappelait vaguement avoir participé à ce cours de formation.

Mme Cook a continué d’énumérer les autres sujets qui avaient été abordés durant ce cours :

  • Précautions à prendre pour protéger les données disponibles.

  • Restreindre l’accès à l’information.

Mme Cook a demandé à M. Shaver s’il se rappelait avoir reçu cette formation.

M. Shaver a répondu qu’il se rappelait vaguement avoir suivi ce cours.

[…]

Mme Cook a alors demandé à M. Shaver s’il se souvenait de la plainte d’un client qui avait été transmise au Bureau de la satisfaction de la clientèle en septembre 2007. Le client a allégué que M. Shaver s’était présenté comme un agent d’enquêtes et qu’il avait humilié et intimidé les personnes qui participaient à la séance. Il a allégué également que le fonctionnaire avait réussi à faire peur aux participants. Le client ne voulait pas que leurs noms soient dévoilés, car ils avaient peur que cela ait une incidence négative sur leurs demandes de prestations. Par suite de cette plainte, votre chef d’équipe avait été obligée de vous donner une rétroaction sur le ton que vous employez durant ses séances et d’assister à l’une de vos séances pour vous fournir une rétroaction supplémentaire.

M. Shaver a indiqué qu’il se souvenait de cet incident et que Lynne Webb (son chef d’équipe à ce moment-là) n’avait pas assisté à l’une de ses séances.

Mme Sands a demandé à M. Shaver s’il avait reçu une sanction disciplinaire par suite de cet incident.

Mme Cook a indiqué qu’elle croyait que le fonctionnaire avait reçu un avertissement verbal.

Mme Sands a déclaré que s’il n’y avait pas eu d’enquête, cette plainte-là ne pouvait pas être prise en considération. Elle a ensuite demandé si elle pouvait en obtenir une copie expurgée.

Mme Cook a répondu qu’elle devait d’abord vérifier si cela était possible.

Mme Sands a indiqué que si M. Shaver ne peut pas en obtenir une copie, la plainte ne devrait pas faire partie de l’enquête.

[…]

M. Shaver a déclaré qu’il avait commis une petite erreur en en parlant à son épouse. Il estime maintenant qu’il n’est pas traité convenablement. L’enquête n’en finit plus et il craint de se retrouver à la rue sans le sou. Il dit qu’il n’a pas d’argent parce qu’il n’a pas droit à des prestations et qu’il est en train de se faire avoir.

Mme Cook a répété qu’elle ne pouvait pas faire de commentaires sur le retard; elle fera toutefois des efforts pour résoudre ce problème d’ici la fin de la semaine afin qu’il puisse reprendre le cours de sa vie.

[…]

M. Shaver a déclaré que la formation reçue laissait fort à désirer. Personne ne lui avait dit qu’il ne pouvait pas faire cela.

Mme Cook a indiqué que sa décision serait basée sur l’information recueillie et qu’elle en informerait le fonctionnaire.

M. Shaver a déclaré que la formation donnée aux employés est ennuyante et qu’on ne leur dit pas les choses qu’ils devraient savoir. La formation qui est donnée au bureau laisse beaucoup à désirer. La seule formation dont il se souvienne est celle qu’il a reçue à Chilliwack et la formation pour les agents d’entrevues. Il a ajouté que les formateurs s’expriment souvent sur un ton monocorde et qu’il est difficile de les écouter.

Mme Cook a déclaré qu’elle refusait de faire des commentaires sur la qualité de la formation. Elle a indiqué qu’elle tenterait de rendre sa décision d’ici la fin de la semaine.

57 Dans un résumé des entrevues d’octobre et novembre 2008 avec Mme Cook, je relève que, durant l’entrevue du 24 novembre 2008, le fonctionnaire a admis qu’il avait effectué des vérifications sur BB et obtenu des renseignements personnels à son sujet. Il a également admis qu’il avait effectué des vérifications sur JJ, sur LL et sur KK. Concernant M. Decker, Mme Cook a rappelé au fonctionnaire, le 24 novembre 2008, qu’il avait déclaré, durant l’entrevue du 24 octobre 2008, qu’il avait effectué des vérifications sur M. Decker; Mme Cook lui a demandé pour quelle raison il avait peur de M. Decker et le fonctionnaire lui a expliqué pourquoi. On lui a également demandé s’il avait peur de AA et il a répondu qu’il (le fonctionnaire) [traduction] « […] ne le savait pas exactement, excepté que [AA] vi[vait] avec Todd Decker ». Comme il est indiqué ci-dessus, on a ensuite demandé au fonctionnaire [traduction] « pour quelle raison il avait effectué des vérifications sur [AA] ». Les notes de l’entrevue indiquent que « M. Shaver a répondu que c’était en raison de sa relation avec Todd ». 

58 Le 25 novembre 2008, Mme Cook a rempli un rapport sur les mesures disciplinaires après avoir terminé ses entrevues avec le fonctionnaire et discuté de sa situation avec des conseillers en relations de travail. Les passages importants de ce rapport sont reproduits ci-après :

[Traduction]

Nature et détails de l’infraction

Une plainte a été reçue voulant que M. Shaver ait obtenu des renseignements personnels sur plusieurs personnes qui habitent dans sa coopérative d’habitation en utilisant les ordinateurs du gouvernement et qu’il avait utilisé cette information pour poursuivre sa croisade personnelle.

Date et résumé de l’entrevue avec l’employé

M. Shaver admet qu’il a effectué des vérifications dans les ordinateurs du gouvernement et qu’il a obtenu des renseignements personnels sur plusieurs personnes qui résident dans sa coopérative d’habitation.

M. Shaver admet également qu’il a communiqué à son épouse des renseignements personnels sur [BB] et qu’elle a ensuite communiqué ces renseignements à d’autres résidents de la coopérative d’habitation.

M. Shaver a expliqué qu’il avait pris ces mesures parce qu’il craignait pour la sécurité de son épouse. L’épouse de M. Shaver faisait partie du conseil de la coopérative d’habitation. M. Shaver a également expliqué qu’il ne craignait pas pour sa sécurité physique ni pour celle de son épouse, mais qu’il avait peur que le plaignant décide de s’en prendre à eux (en tailladant les pneus de leur voiture, par exemple).

M. Shaver admet que les vérifications qu’il a effectuées sur un certain nombre de personnes visaient à déterminer à quel genre de personnes il avait affaire.

Preuve provenant d’autres sources

Les déclarations de l’épouse de [BB] à qui le plaignant a communiqué les renseignements qu’il avait obtenus de M. Shaver.

La déclaration du plaignant Todd Decker qui a fourni des précisions sur les renseignements que M. Shaver lui avait communiqués sur lui-même [M. Todd], sur [BB] et sur [AA].

La déclaration de [AA] qui a fourni des précisions sur les renseignements que M. Shaver lui avait communiqués sur Todd Decker, sur [BB] et sur lui-même [AA].

Les déclarations de M. Shaver à Wendy Heon, agente d’enquête principale, SEP, et à Bernice Cook, Services d’intégrité–SDM, bureau du Grand Vancouver.

Des rapports de la TI démontrant que le SADA et le système FTS ont été utilisés.

Analyse et commentaires du superviseur

L’enquête administrative a révélé que M. Shaver avait consulté le dossier de certains clients sans autorisation valable afin d’en tirer un avantage personnel. M. Shaver a communiqué des renseignements sur ces clients à des tierces personnes […] et s’est rendu coupable d’un abus de confiance.

M. Shaver a admis durant les entrevues disciplinaires qu’il avait obtenu des renseignements personnels sur certains clients à son profit. Il a également admis qu’il avait communiqué des renseignements personnels sur ces clients à une tierce personne.

Les arguments de M. Shaver voulant qu’il ait pris les mesures décrites ci-dessus dans le but de protéger son épouse ne sont pas suffisants pour justifier la violation des règles entourant la protection des renseignements personnels des clients. Son argument selon lequel il n’était pas au courant de la politique ministérielle sur la protection et la communication des renseignements personnels des clients n’est pas crédible au vu de la preuve indiquant qu’il a reçu de la formation sur ce sujet particulier. Compte tenu de la gravité de ces multiples infractions, M. Shaver a trahi la confiance du public et de l’organisme. Bref, M. Shaver ne jouit plus de la confiance nécessaire pour s’acquitter de ses fonctions comme agent des Services d’intégrité.

59 Dans le même rapport, Mme Cook a recommandé que le fonctionnaire soit licencié.

60 Dans son témoignage, Mme Cook a observé que durant les entrevues, le fonctionnaire avait réfuté l’allégation contenue dans le rapport de Mme Heon selon laquelle il avait effectué des vérifications sur AA et obtenu des renseignements à son sujet. Hormis ce point, il n’a pas contesté le contenu du rapport d’août 2008 de Mme Heon, sauf pour dire qu’il trouvait que l’enquête prenait beaucoup de temps. Mme Cook a indiqué dans son témoignage qu’elle avait demandé au fonctionnaire pour quelle raison il avait effectué des vérifications sur AA et qu’il avait répondu que c’était [traduction] « en raison de sa relation avec Todd », d’après les notes de l’entrevue. Dans son témoignage, Mme Cook a déclaré que cela signifiait que le fonctionnaire [traduction] « n’avait pas nié » avoir effectué des vérifications sur AA.

61 Les rapports décrits ci-dessus ont ensuite été transmis à M. Netzel pour qu’il étudie la recommandation de Mme Cook de licencier le fonctionnaire. M. Netzel a déclaré dans son témoignage qu’il possédait le pouvoir ultime de décider de cette question. Le dossier dont il disposait contenait divers documents, dont le rapport d’enquête d’août 2008 et le rapport sur les mesures disciplinaires daté du 25 novembre 2008 préparé par Mme Cook. Il pouvait également se prévaloir des conseils de divers membres du personnel des relations de travail. En contre-interrogatoire, M. Netzel a confirmé qu’il ne disposait pas de renseignements de première main sur les renseignements que le fonctionnaire avait obtenus et communiqués. Sur ce point, il s’est fié aux rapports que son personnel lui avait remis. Il a convenu que l’information dont il disposait indiquait que le fonctionnaire avait effectué des vérifications sur AA. Il a également convenu qu’il n’avait pas eu d’entretien avec le fonctionnaire avant de prendre sa décision.

62 Sur la question des circonstances atténuantes du fonctionnaire, M. Netzel a déclaré que si la conduite du fonctionnaire avait été le résultat d’un bref moment d’égarement, cela aurait été considéré comme une circonstance atténuante, mais les actes reprochés ont été commis à répétition. Si le fonctionnaire avait retiré un avantage pécuniaire de sa conduite, la situation aurait été encore pire. Le fonctionnaire n’a pas retiré d’avantage pécuniaire dans le présent cas, mais il a utilisé des renseignements contenus dans des bases de données du défendeur à des fins personnelles. Ses 18 années d’emploi ont joué en sa faveur, de même que les excuses qu’il a présentées. M. Netzel a nié que tous les cas d’accès non autorisé à des renseignements entraînent systématiquement le licenciement et il a déclaré que chaque cas constituait un cas d’espèce. Il a nié que le défendeur eût une politique de tolérance zéro en matière d’accès à l’information, en ajoutant qu’il y avait [traduction] « probablement des cas où un employé ne serait pas licencié » pour avoir obtenu des renseignements de manière inappropriée. Dans l’ensemble, M. Netzel était d’avis qu’aucun facteur ne pouvait atténuer la gravité des actes du fonctionnaire.

63 M. Netzel a conclu que le licenciement était justifié dans le cas qui nous occupe et c’est ce qu’il a expliqué au fonctionnaire dans une lettre datée du 26 novembre 2008 :

[Traduction]

Je vous écris pour vous informer de la décision que j’ai prise à l’issue de l’enquête disciplinaire sur les allégations voulant que vous ayez obtenu des renseignements sur des clients, à de nombreuses fois reprises et sans autorisation valable, et que vous les ayez utilisés à des fins personnelles.

L’enquête disciplinaire a révélé que vous avez consulté le dossier de certains clients à de nombreuses reprises dans le but d’en tirer un avantage personnel. Vous n’avez pas respecté le Code de valeurs et d’éthique ni le protocole d’entente que vous avez signé à votre arrivée au ministère. Ce type de comportement est inacceptable et ne sera pas toléré.

J’ai examiné et pris en considération tous les renseignements pertinents se rapportant à ce cas. En raison des actes que vous avez commis et de l’atteinte à l’intégrité des systèmes de l’Assurance-emploi dont vous vous êtes rendu responsable, le lien de confiance indispensable à votre maintien en fonctions a été irrémédiablement détruit. Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués par le sous-ministre, je mets fin à votre emploi à Ressources humaines et Développement des compétences Canada (Service Canada) pour un motif valable aux termes de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, à compter du 30 septembre 2008.

Si vous n’êtes pas d’accord avec ma décision, vous avez le droit de présenter un grief dans les vingt-cinq (25) jours suivant la réception de la présente lettre.

64 Le fonctionnaire a déposé un grief daté du 19 décembre 2008 pour contester son licenciement. La mesure corrective demandée était la suivante : [traduction] « [q]ue je sois réintégré sans délai dans mon poste d’attache, que mon statut soit pleinement rétabli et que la rémunération, les avantages sociaux et les crédits de pension perdus me soient restitués. Que toute mention de cette enquête et de la mesure disciplinaire soit retirée de mon dossier personnel. » Ce grief est l’un des trois griefs qui font l’objet du présent arbitrage.

65 Comme nous l’avons vu ci-dessus, dans son rapport du 13 août 2008, Mme Heon a déclaré que la cote de fiabilité du fonctionnaire sera réexaminée par suite de ses conclusions. J’ai indiqué plus tôt que pour accomplir ses fonctions, le fonctionnaire doit détenir une attestation de sécurité connue sous le nom de « cote de fiabilité ». C’est le niveau minimal de sécurité que doivent posséder les employés qui travaillent pour le défendeur.

66 M. Macdonald, l’ASM, a participé directement à l’examen de la cote de fiabilité du fonctionnaire lorsqu’il a été appelé à approuver le rapport de Mme Heon daté du 13 août 2008. Cela l’a emmené à prendre connaissance du rapport. M. Macdonald a déclaré dans son témoignage qu’il avait conclu que la cote de sécurité du fonctionnaire devait être réexaminée parce qu’il avait obtenu des renseignements personnels et qu’il les avait communiqués à d’autres, ce qui semblait constituer une violation de la politique sur la sécurité du défendeur (dont il est question ci-dessus). Le fonctionnaire soulève la question de savoir si M. Macdonald avait la délégation de pouvoir requise pour effectuer cet examen et révoquer sa cote de fiabilité.

67 Au bout du compte, conformément aux instructions reçues de M. Macdonald, Claude Jacques, un agent de sécurité ministériel, a effectué un examen et rédigé un ajout daté du 6 octobre 2008 au rapport du 13 août 2008. Les politiques s’appliquant au fonctionnaire ont été prises en considération, ainsi que le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Je reproduis ci-après des passages de l’ajout :

[Traduction]

[…]

[…] Les éléments de preuve au dossier indiquent clairement que M. Shaver a communiqué des renseignements personnels à M. Todd Decker et à son épouse, Mme Nyla Kasakoff, sur [BB] l’une des locataires de l’immeuble d’habitation en copropriété.

[…] l’enquête a révélé, par le biais d’un rapport de vérification du Système à accès direct de l’assurance (SADA), que le code d’accès de M. Grant Shaver avait été utilisé pour consulter, sans motif valable, le dossier d’assurance-emploi des personnes suivantes (il convient de noter que ces personnes vivent dans l’immeuble d’habitation en copropriété ou y travaillent);

1. [BB] […]

2. [JJ] […]

3. [KK] […]

4. [LL] […]

5. [AA] […]

Le 5 juin 2008, M. Grant Shaver a été interviewé sur cette question. Il a admis d’emblée qu’il avait obtenu des renseignements sur des clients (des amis et des voisins) en dehors du cadre de ses fonctions comme AEC. Dans le cas de ses « amis », M. Shaver a déclaré qu’il avait consulté leur dossier parce qu’il voulait être en mesure de leur venir en aide et de leur prodiguer des conseils. Il a toutefois été incapable de fournir les noms de ses amis sur demande. Dans le cas des « voisins », M. Shaver n’a pas fourni d’explication valable pour justifier sa conduite, à part expliquer que son épouse siégeait au conseil et qu’elle s’interrogeait sur certaines personnes. Afin de lui venir en aide, M. Shaver a consulté les dossiers de ces personnes pour savoir [traduction] « à qui ils avaient affaire ».

[…]

Il est indéniable que M. Shaver a abusé de la confiance dont il bénéficiait à titre d’agent d’enquêtes et de contrôle. M. Shaver a clairement démontré qu’il n’est pas digne d’administrer quelque programme gouvernemental que ce soit et je n’ai donc pas d’autre choix que de conclure, sur la foi des éléments de preuve recueillis durant cette enquête et selon la prépondérance des probabilités, que le fonctionnaire a agi de manière répréhensible et que les actes commis sont suffisamment graves pour que le lien de confiance qui existe entre le fonctionnaire et l’employeur soit rompu. Qui plus est, la conduite du fonctionnaire est incompatible avec le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique.

Au vu de l’abus de confiance qui a été commis, je recommande que la cote de fiabilité de Grant Shaver soit révoquée.

[Le passage souligné l’est dans l’original]

68  Après avoir accepté cette recommandation, M. Macdonald a avisé M. Netzel, dans une lettre datée du 15 décembre 2008, que la cote de fiabilité du fonctionnaire avait été révoquée. Je reproduis cette lettre ci-après :

[Traduction]

La présente vise à vous informer que la cote de fiabilité de Grant Shaver, date de naissance : [date supprimée], agent d’enquêtes et de contrôle, Centre de Service Canada à Vancouver, est révoquée en date d’aujourd’hui.

J’ai fondé ma décision de révoquer la cote de fiabilité de M. Shaver sur les rapports d’enquête ayant trait à l’obtention et à la communication de renseignements non autorisés sur des clients à des tierces personnes. Le rapport daté du 13 août 2008 indique clairement que la conduite et les actes de M. Shaver ainsi que son refus absolu de se conformer au Code de valeurs et d’éthique applicable aux fonctionnaires relevant du Secrétariat du Conseil du Trésor constituent un grave risque pour le ministère.

Le pouvoir de révoquer sa cote de fiabilité m’est délégué à titre d’agent de sécurité ministériel, Ressources humaines et Développement des compétences Canada/Service Canada et en application de la Politique sur la sécurité. Si M. Shaver n’est pas d’accord avec ma décision, il peut la contester en se prévalant de la procédure officielle de règlement des griefs relevant du sous-ministre du ministère.

Je vous saurais gré de prendre les mesures nécessaires pour aviser le fonctionnaire de ma décision par écrit et de me transmettre une copie de la lettre pour nos dossiers.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec moi au numéro [numéro de téléphone supprimé].

69 Le fonctionnaire a été avisé de cette décision dans une lettre datée du 22 décembre 2008.

70 Le défendeur soutient que la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire est une mesure administrative et que, de ce fait, l’arbitre de grief n’a pas compétence pour examiner le grief du fonctionnaire contestant cette décision. Pour leur part, le fonctionnaire et l’agent négociateur soutiennent que l’arbitre de grief a compétence pour examiner cette décision ou, subsidiairement, pour se prononcer sur l’équité procédurale de la décision (Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CRTFP 19, au paragr. 170).

71 Le fonctionnaire a déposé un grief daté du 8 juin 2009 relativement à la révocation de sa cote de fiabilité. Le 8 septembre 2009, le défendeur a rejeté le grief. Ce grief est l’un des trois griefs qui sont l’objet du présent arbitrage.

72 Dans le témoignage qu’il a livré dans la présente affaire, le fonctionnaire a déclaré qu’il avait appris de ses erreurs. Il a également indiqué qu’il aimait beaucoup son emploi, qu’il faisait du bon travail et qu’il était sûr de pouvoir reprendre ses fonctions chez le défendeur sans trop de problèmes. Il a tenté de trouver du travail depuis qu’il a perdu son emploi, mais sans succès. Il a présenté des demandes d’emploi à divers employeurs du secteur public, mais les cinq entrevues qu’il a obtenues n’ont pas débouché sur une offre d’emploi. Depuis son licenciement, il aide son épouse à exploiter sa petite entreprise et ils travaillent tous les deux à la maison. Le fonctionnaire demande les mesures correctives suivantes dans ses griefs : deux années et demie de salaire aux taux annuel de 48 000 $, ainsi que le remboursement de la valeur de la résidence que son épouse et lui ont dû quitter pour fuir M. Decker, des frais médicaux de son épouse en raison de la perte des avantages, d’un montant de 15 000 $ pour payer la marge de crédit que le fonctionnaire a dû obtenir, de la perte de revenu potentiel parce qu’il était incapable de travailler en raison du stress occasionné par le licenciement et du coût du nouveau prêt hypothécaire que son épouse et lui ont dû contracter. Le fonctionnaire a conclu son témoignage sur ce point en disant : [traduction] « C’est tout ce qui me vient à l’esprit pour le moment. » Je suppose que cela signifie qu’il se réserve la possibilité d’ajouter d’autres éléments à cette liste.

73 On a convenu à l’audience que je rendrais des décisions sur la suspension et le licenciement du fonctionnaire ainsi que sur la révocation de sa cote de fiabilité. Au cas où il serait réintégré, la question de la mesure de réparation sera renvoyée aux parties et je demeurerai saisi de l’affaire pour trancher cette question.

VI. Motifs

74 Le présent arbitrage porte sur trois grandes questions, soit la suspension du fonctionnaire, son licenciement et la révocation de sa cote de fiabilité.

75 J’examinerai chaque question à tour de rôle.

A. La suspension

76  En ce qui concerne la suspension du fonctionnaire, je dois trancher la question préalable de savoir si j’ai compétence pour décider de cette question. Le défendeur soutient qu’il s’agit d’une suspension administrative et que, de ce fait, je n’ai pas compétence pour trancher cette question; le fonctionnaire et l’agent négociateur affirment quant à eux qu’il s’agit d’une suspension disciplinaire et que j’ai donc compétence pour rendre une décision. Si je conclus que j’ai compétence en ce qui concerne la suspension, je devrai ensuite déterminer si le défendeur était fondé à suspendre le fonctionnaire.

77 En ce qui concerne la question de ma compétence, je note que la question de savoir si la suspension est de nature administrative ou disciplinaire doit être tranchée en se basant sur les faits (Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24). À ce propos, la lettre du 29 septembre 2008 informant le fonctionnaire qu’il est suspendu de ses fonctions indiquait que la décision avait été prise [traduction] « aux termes du paragraphe 12(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques […] »Cette disposition dit ceci :

Pouvoirs des administrateurs généraux de l'administration publique centrale

12. (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

[…]

c) établir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires;

78 Il est acquis que cette disposition fait référence à une suspension disciplinaire. Le défendeur soutient cependant que le renvoi à l’alinéa 12(1)c) dans la lettre du 28 septembre 2008 est attribuable à une erreur. Selon la preuve du défendeur, la lettre a été corrigée, mais cette information a été fournie pour la première fois lors de la présentation de la preuve du défendeur dans le présent arbitrage. Je note également qu’on n’a pas attiré mon attention sur une autre disposition de la LGFP qui confère expressément au défendeur le pouvoir d’imposer une suspension administrative.

79 Je suis d’avis que la lettre de suspension du 29 septembre 2008 doit être interprétée telle qu’elle est formulée. J’estime que la suspension comportait un aspect disciplinaire, car c’est ce qu’indique le renvoi à l’alinéa 12(1)c) de la LGFP. Le défendeur a eu presque trois ans pour corriger formellement l’erreur que contenait prétendument la lettre et il ne l’a pas fait. 

80 Cela dit, je suis également d’avis que cette question est devenue théorique parce que le licenciement du fonctionnaire a pris effet rétroactivement à la date du premier jour de sa suspension (Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, au paragr. 154). Dans le cas où rien ne justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire, le fonctionnaire aurait droit à une indemnisation intégrale pour la période allant du 29 septembre 2008 à la date de sa réintégration (sauf si la suspension était justifiée).

B. Le licenciement

81 Tel que mentionné ci-dessus, le défendeur estime que le licenciement du fonctionnaire était justifié parce qu’il a utilisé des bases de données au travail pour effectuer des vérifications sur des personnes pour des motifs personnels et qu’il a ensuite obtenu et communiqué des renseignements sur une personne à une tierce partie au moins.

82 Dans le témoignage qu’il a livré à l’audience, le fonctionnaire a admis qu’il avait effectué des vérifications sur des personnes sans autorisation valable. Il a expressément admis qu’il avait effectué des vérifications sur BB, sur JJ, sur KK, sur LL et sur MM et qu’il avait consulté un écran contenant des renseignements personnels sur BB, comme son numéro d’assurance sociale. Cela coïncide avec les résultats de l’enquête menée par M. Touchette; j’y reviendrai plus loin. Le fonctionnaire nie expressément dans son témoignage qu’il ait effectué des vérifications sur M. Decker et sur AA. Il admet qu’il a communiqué les renseignements obtenus sur BB, mais uniquement à son épouse.

83 Malheureusement, l’appréciation de la preuve n’est pas aussi simple que d’examiner les faits que le fonctionnaire a admis dans son témoignage. La raison en est que les aveux du fonctionnaire à l’audience ne concordent pas avec les faits qu’il a admis durant l’enquête du défendeur. Par conséquent, pour déterminer les personnes sur lesquelles le fonctionnaire a réellement effectué des vérifications, il faut examiner attentivement la preuve, y compris celle recueillie durant l’enquête du défendeur.

84 Il faut notamment déterminer si le fonctionnaire a effectué des vérifications sur AA. Dans son rapport du 13 août 2008, Mme Heon déclarait que le fonctionnaire [traduction] « […] a admis qu’il avait obtenu des renseignements sur [AA] […] ». Mon examen de la transcription de l’entrevue du fonctionnaire avec Mme Heon indique qu’il s’est fait demander s’il avait effectué des vérifications sur AA et qu’il a répondu : [traduction] « Je ne le crois pas. » On pourrait dire qu’il s’agit là d’une réponse quelque peu nuancée de la part du fonctionnaire, sauf qu’en l’absence de tout autre élément de preuve, je suis incapable de conclure que cette réponse équivaut à un aveu à Mme Heon sur ce point. Dans le cas de la première entrevue avec Mme Cook, de deux choses l’une, soit le fonctionnaire avait pris connaissance du rapport, soit il en connaissait l’existence et a expressément nié avoir effectué des vérifications sur AA. Ensuite, durant la seconde entrevue avec Mme Cook, cette dernière lui a posé une question en tenant pour acquis qu’il avait effectué des vérifications sur AA et [traduction] « il ne l’a pas nié », comme Mme Cook l’a indiqué dans son témoignage. Je suis incapable de conclure qu’il s’agit là d’un aveu concluant de la part du fonctionnaire. Enfin, M. Touchette n’a pas conclu que le fonctionnaire avait effectué des vérifications sur AA. Eu égard à l’ensemble de cette preuve, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la preuve ne permet pas de conclure que le fonctionnaire a effectué des vérifications sur AA. Bien entendu, cette conclusion ne contredit pas nécessairement l’allégation de M. Decker selon laquelle le fonctionnaire a déclaré qu’il avait effectué des vérifications sur AA. Dans ce cas-ci et ci-après, il faut tenir compte du contexte social, où on consommait de l’alcool, pour examiner les divers échanges entre le fonctionnaire, son épouse et M. Decker. 

85 Il faut ensuite déterminer si le fonctionnaire a effectué des vérifications sur M. Decker. Cette question découle du fait que le fonctionnaire a déclaré à trois reprises durant l’enquête du défendeur (lors des entrevues avec Mme Heon le 5 juin 2008 et avec Mme Cook le 28 octobre et le 26 novembre 2008) qu’il avait effectivement effectué des vérifications sur M. Decker. Mme Cook a demandé au fonctionnaire pour quelle raison il l’avait fait et les notes de l’entrevue indiquent que le fonctionnaire a répondu qu’il [traduction] « […] ne savait pas ce qu’il allait trouver et qu’il voulait seulement se faire une idée sur sa moralité ». Sur la foi de ces aveux, le défendeur a conclu en toute logique que le fonctionnaire avait effectué des vérifications sur M. Decker. Je m’interromps ici pour dire que je ne suis pas lié par cette conclusion. Il est également logique de conclure que le fonctionnaire avait des raisons d’effectuer des vérifications sur M. Decker, puisque c’est la personne qui entretenait les rapports les plus litigieux avec le fonctionnaire et son épouse. Le fonctionnaire a expressément déclaré qu’il avait effectué des vérifications sur d’autres personnes afin de se protéger et de protéger son épouse et, comme il est indiqué ci-dessus et ci-après, il a également déclaré qu’il avait peur de M. Decker. Par conséquent, s’il s’est donné la peine d’effectuer des vérifications sur d’autres membres du conseil de copropriété, il est logique de penser qu’il en a aussi effectué sur M. Decker. Je note également que le fonctionnaire a effectué des vérifications sur ses voisins en mars 2008, alors que ses rapports avec M. Decker étaient devenus très hostiles. La motivation pour effectuer des vérifications sur M. Decker aurait été encore plus grande à ce moment-là et les raisons étaient donc plus nombreuses d’effectuer ces vérifications durant cette période.

86 Dans le témoignage qu’il a livré dans la présente affaire, le fonctionnaire a refusé d’admettre qu’il avait effectué des vérifications sur M. Decker, contredisant ainsi les aveux qu’il avait faits durant l’enquête du défendeur. Mis à part la différence marquée entre ces deux versions, cette contradiction est également troublante parce que le fonctionnaire n’a pas expliqué dans son témoignage pour quelle raison la version des faits qu’il a présentée dans son témoignage et celle qu’il a présentée durant l’enquête du défendeur sont contradictoires. La question de savoir pour quelle raison le fonctionnaire a admis, durant l’enquête du défendeur, qu’il avait fait quelque chose qu’il n’avait pas fait en réalité — c’est-à-dire effectuer des vérifications sur M. Decker — est une question évidente à laquelle ni fonctionnaire ni la preuve n’ont apporté une réponse valable. Le fonctionnaire a bien déclaré, dans un autre contexte, qu’il [traduction] « ne savai[t] plus où [il] en étai[t] » en raison de tout le stress qu’il vivait, mais cela n’explique pas de façon satisfaisante une contradiction aussi importante. Nous sommes en présence d’une contradiction inexpliquée et importante qui jette un doute sur la crédibilité de la version des faits du fonctionnaire sur les points où elle diffère de la version du défendeur et de ses témoins.   

87 En résumé, la preuve relative à la question de savoir si le fonctionnaire a effectué des vérifications sur M. Decker englobe les trois aveux voulant qu’il ait effectué des vérifications. Il avait également une bonne raison, à ce qu’il dit, d’effectuer des vérifications sur M. Decker, compte tenu de l’hostilité qui existait entre les deux hommes. Par contre, dans le témoignage qu’il a livré dans le présent arbitrage, le fonctionnaire nie avoir effectué des vérifications sur M. Decker. De plus, ce déni est corroboré par l’examen technique de M. Touchette qui a clairement indiqué dans son témoignage qu’il n’en était pas arrivé à la conclusion que le fonctionnaire avait effectué des vérifications sur M. Decker. Pour finir, le fonctionnaire n’a pas expliqué pour quelle raison les aveux qu’il a faits au défendeur ne concordent pas avec les faits qu’il a admis à l’audience.

88 Tout compte fait, je conclus que je dois privilégier l’enquête effectuée par M. Touchette pour trancher cette question. Cette enquête s’appuie sur des renseignements relativement objectifs qui ne sont pas basés sur les souvenirs ou les intérêts de diverses personnes et M. Touchette a  déclaré dans son témoignage qu’il était sûr que son enquête était exhaustive et complète. C’est pourquoi, je conclus, à l’instar de M. Touchette, que la preuve ne permet pas de conclure que le fonctionnaire a effectué des vérifications sur M. Decker. J’ai également conclu ci-dessus que le fonctionnaire n’avait pas effectué de vérifications sur AA. Je fais également miennes les conclusions de M. Touchette selon lesquelles le fonctionnaire a effectué des vérifications sur BB, sur JJ, sur LL, sur KK et sur MM.

89 Le témoignage du fonctionnaire soulève un autre problème lorsque je l’examine à la lumière des déclarations qu’il a faites durant l’enquête du défendeur. Lors de l’entrevue avec Mme Heon en juin 2008, le fonctionnaire s’est fait demander s’il avait effectué des vérifications sur des personnes spécifiques (mais on ne l’a pas interrogé sur toutes les personnes figurant sur la liste initiale dressée par Mme Morrison, y compris JJ et MM). Lorsqu’on lui a demandé directement s’il avait effectué des vérifications sur M. Decker, sur BB et sur LL, il a répondu qu’il en avait effectué. On l’a également interrogé expressément sur KK, mais il a nié avoir effectué des vérifications sur cette dernière et sur trois autres personnes indiquées dans la liste initiale. Le fait est que le fonctionnaire a effectué des vérifications sur KK, selon la conclusion de M. Touchette et l’aveu ultérieur du fonctionnaire dans son témoignage. De même, à deux reprises au cours de l’entrevue avec Mme Heon, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait pas effectué de vérifications sur d’autres personnes. À la lumière du témoignage du fonctionnaire dans le présent arbitrage et du rapport de M. Touchette, cela était également faux. Enfin, durant sa première entrevue avec Mme Cook, en octobre 2008, le fonctionnaire a admis qu’il avait seulement effectué des vérifications sur BB (et obtenu des renseignements personnels à son sujet) et sur M. Decker.

90 Après un examen plus attentif de ces faits, je m’interroge sur le choix du fonctionnaire de passer aux aveux durant son témoignage (indépendamment du fait qu’il a admis puis nié avoir effectué des vérifications sur M. Decker, comme je l’ai expliqué ci-dessus). Le fonctionnaire avait l’obligation de faire des aveux complets et absolus et il a eu la possibilité de le faire dès le 5 juin 2008 et à deux autres moments par la suite. Il ne l’a pas fait. Pourtant, dans le témoignage qu’il a livré dans le présent arbitrage, il a admis spontanément qu’il avait effectué des vérifications sur les cinq personnes figurant sur la liste de M. Touchette. Par exemple, le fonctionnaire a attendu jusqu’à l’audition de la présente affaire pour admettre qu’il avait effectué des vérifications sur MM. Il savait, ou il aurait dû savoir que la situation était grave en juin, en octobre ou en novembre 2008 et il avait l’obligation de faire des aveux complets, surtout après s’être fait demander à plusieurs reprises s’il voulait ajouter quelque chose. Il ne l’a pas fait. Ce qui s’est passé, selon moi, c’est que le fonctionnaire a admis seulement ce qu’il ne pouvait pas nier à ce moment-là. Si le défendeur découvrait ensuite d’autres faits, il les admettait aussi. Finalement, lorsqu’il a livré son témoignage, il avait l’avantage de connaître les résultats de toutes les enquêtes effectuées par le défendeur. Il a fait coïncider son témoignage avec ces résultats et plus particulièrement ceux de l’enquête de M. Touchette sur l’utilisation du code d’accès du fonctionnaire. Fait à noter, le fonctionnaire a fait ses derniers aveux après que le défendeur eut déposé ses documents et présenté ses arguments. 

91 Je suis d’avis que les incohérences relevées dans les aveux du fonctionnaire ne sont pas simplement attribuables à un problème de mémoire ou à des erreurs fortuites. Je crois plutôt que le fonctionnaire procédait selon une stratégie bien établie, modifiant ses aveux selon les besoins, mais toujours dans le but d’en atténuer l’importance. Cela a pour effet d’affaiblir considérablement la sincérité de son témoignage et d’entacher sa crédibilité.

92 J’en viens maintenant à la communication des renseignements que le fonctionnaire a obtenus sur BB. Le fonctionnaire a maintenu tout au long de son témoignage qu’il avait communiqué ces renseignements à son épouse, un point c’est tout. Or, dans son rapport daté du 13 août 2008, Mme Heon a conclu que [traduction] « selon la prépondérance des probabilités », le fonctionnaire avait également communiqué ces renseignements à M. Decker et à AA. Dans son rapport sur les mesures disciplinaires du 25 novembre 2008, Mme Cook a conclu que le fonctionnaire [traduction] « […] a[vait] communiqué des renseignements sur des clients à des tierces personnes ». Le fait que Mme Cook utilise le mot « personnes » au pluriel est une indication que le fonctionnaire a communiqué des renseignements à une autre personne au moins à part son épouse.

93 Cela m’amène au témoignage de M. Decker. Ses premiers échanges avec le fonctionnaire se sont déroulés dans un contexte social où on consommait de l’alcool et les derniers s’inscrivaient dans un contexte d’hostilité. Le fonctionnaire et l’agent négociateur m’exhortent à rejeter la totalité du témoignage de M. Decker parce qu’il a été livré durant la période d’hostilité. L’essentiel de cet argument est que M. Decker poursuivait et poursuit une vengeance personnelle contre le fonctionnaire et son épouse et que son témoignage est basé sur ce désir de vengeance plutôt que sur le souci de dire la vérité. Je rejette dans l’ensemble cet argument; j’ai le droit de retenir une partie ou la totalité du témoignage de M. Decker ou encore de le rejeter en bloc selon l’application que je fais des critères habituels d’appréciation de la preuve (voir, par exemple, Faryna v. Chorney (1952), 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.)).

94 L’un des aspects du témoignage du fonctionnaire concernant M. Decker est qu’il me presse de conclure qu’il avait raison d’avoir peur de M. Decker. Si je comprends bien son argument, le fonctionnaire était la victime et M. Decker était l’agresseur et M. Decker n’a pas dit la vérité lorsqu’il s’est entretenu avec le défendeur et lorsqu’il a témoigné. Autrement dit, M. Decker a agi de façon malhonnête dans le but de poursuivre sans relâche sa vengeance contre le fonctionnaire (et son épouse) et d’attirer des ennuis au fonctionnaire pour finalement lui faire perdre son emploi. C’est la raison pour laquelle je ne devrais pas accorder foi au témoignage de M. Decker. Je reconnais que M. Decker a formulé quelques remarques offensantes durant les périodes pertinentes, ce qu’il a lui-même admis dans son témoignage.

95 Cela dit, la preuve démontre également que le fonctionnaire et son épouse ont eu une attitude tout aussi agressive envers M. Decker, comme en témoignent les courriels cités précédemment. Par exemple, le fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Decker le 27 mars 2008 qui disait : [traduction] « Todd t’es aussi stupide qu’une poignée de porte!!! J’ai bien hâte de bavarder avec toi en personne un de ces prochains jours. J’aimerais bien savoir si tu vas me parler de la même façon que tu as parlé à Nyla. T’as fait une bien mauvaise erreur mon pote!!!!!! Affectueusement, Grant. » Selon moi, ce message n’est pas autre chose qu’une légère menace adressée par le fonctionnaire à M. Decker, mais protégé de tout contact direct grâce à la technologie des courriels.   

96 J’attire également l’attention sur le fait que dans son témoignage et durant les diverses entrevues qui ont eu lieu durant l’enquête du défendeur, le fonctionnaire a expliqué qu’il avait effectué des recherches sur des locataires de l’immeuble d’habitation en copropriété et qu’il avait obtenu et communiqué des renseignements non autorisés afin de protéger son épouse. Par exemple, les notes de l’entrevue du 28 octobre 2008 avec Mme Cook résument comme suit les explications données par le fonctionnaire pour justifier sa conduite : [traduction] « M. Shaver a répondu qu’il était stressé à ce moment-là et qu’il n’avait pas pensé à cela. Il a déclaré qu’il se faisait du souci pour son épouse et qu’il s’interrogeait sur le genre de personnes qu’elle côtoyait au conseil de copropriété. Son principal intérêt était de protéger son épouse. » Comme je l’ai indiqué ci-dessus, je n’accepte pas l’argument selon lequel M. Decker représentait une menace de ce genre. Il est encore plus difficile de comprendre en quoi LL représentait une menace, puisque, selon la preuve, il était très peu impliqué dans le conflit au sein du conseil de copropriété. De même, il n’existe aucune preuve que MM, KK et JJ représentaient la moindre menace pour le fonctionnaire et son épouse. Leur implication se limitait à être perçus par le fonctionnaire, son épouse et M. Decker comme étant du côté de la partie adverse au conseil de copropriété. Bref, même si quelqu’un posait un problème de sécurité, le fonctionnaire a violé son serment d’office et contrevenu à la politique du défendeur en obtenant des renseignements à toute autre fin que celle découlant de ses fonctions professionnelles. 

97 Tout compte fait, j’estime que la relation entre le fonctionnaire et M. Decker n’était pas unilatérale au sens où M. Decker était l’agresseur, bien qu’il ait certainement une part de responsabilité dans le climat d’hostilité qui régnait entre les deux protagonistes. Le fonctionnaire et son épouse ont également contribué pour une bonne part à créer ce climat. Il serait absolument faux de dire que le fonctionnaire était la victime de M. Decker. 

98 En ce qui concerne les détails du témoignage de M. Decker, l’aspect déterminant de ce témoignage est que presque tout ce que M. Decker a déclaré sous serment ou durant l’enquête du défendeur était exact. M. Decker avait raison de dire que le fonctionnaire avait effectué des vérifications sur des membres du conseil de copropriété durant les heures de travail. La liste de personnes qu’il a remise au défendeur était plus longue que la liste définitive, mais il arrive fréquemment dans une enquête de commencer avec une longue liste et de se retrouver à la fin avec une liste plus courte. M. Decker avait également raison de dire que le fonctionnaire avait obtenu des renseignements sur BB, notamment l’information sur le trop-payé. Ce qui est plus important encore, c’est que le fonctionnaire a fini par admettre une bonne partie des faits que M. Decker a décrits au défendeur et présentés dans son témoignage. Quant à la question de savoir si le fonctionnaire s’est vanté que [traduction] « la vengeance n’avait plus de secrets pour lui », comme le soutient M. Decker, cela est cohérent avec la nature de leurs rapports, d’autant plus que ces propos auraient été lancés à l’époque où ils entretenaient des rapports sociaux, mais c’est par ailleurs difficile à prouver. Quant au signe astrologique de BB, il était assez facile de déterminer quel était ce signe à partir des données sur sa date de naissance contenues dans l’écran EN04 que le fonctionnaire a consulté. Il est indéniable que le fonctionnaire en a rajouté sur ces capacités durant ces échanges, lorsqu’il a dit, par exemple, à AA qu’il avait effectué des vérifications sur lui et qu’il n’avait [traduction] « rien à craindre » alors qu’il n’en avait probablement pas fait. Ce qu’il faut retenir ici c’est que, pour l’essentiel, les allégations de M. Decker se sont révélées exactes. 

99 M. Decker allègue que le fonctionnaire s’est présenté comme un « enquêteur pour les cas de fraude » durant leurs échanges. Le fonctionnaire nie cela avec véhémence; il a déclaré dans son témoignage qu’il avait toujours donné l’heure juste en se présentant comme un agent d’intégrité, pour utiliser ce titre. Je ne suis pas sûr que ce soit une faute professionnelle grave que d’exagérer ses fonctions professionnelles dans un contexte social en dehors du travail. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas l’un des motifs invoqués par le défendeur pour justifier le licenciement du fonctionnaire. L’incident constitue toutefois un autre moyen d’apprécier la crédibilité relative du fonctionnaire et de M. Decker. 

100 Il s’avère qu’un autre incident semblable est survenu avant les événements donnant lieu au grief dans le présent cas. En septembre 2007, un client s’est plaint que le fonctionnaire avait agi de manière agressive et qu’il avait humilié le client. Il a allégué entre autres que le fonctionnaire s’était présenté comme un « enquêteur pour les cas de fraude » ou comme un « agent d’enquêtes ». Un chef d’équipe a alors eu une discussion avec le fonctionnaire à ce sujet. Le fonctionnaire a admis dans son témoignage que cet incident avait eu lieu et il n’a pas contesté l’allégation du client selon laquelle il avait modifié le titre de son poste. Je conclus ci-après que le fonctionnaire n’a pas reçu de sanction disciplinaire par suite de cet incident, qui corrobore par ailleurs le témoignage de M. Decker, dans la mesure où il démontre que le fonctionnaire avait déjà modifié le titre de son poste dans le passé. Je conclus que le fonctionnaire s’est présenté comme un « enquêteur pour les cas de fraude » ou comme un « agent d’enquêtes » dans ses échanges avec M. Decker, comme il l’avait déjà fait en 2007. J’y vois là une raison supplémentaire de privilégier le témoignage de M. Decker par rapport à celui du fonctionnaire.

101 Le point particulier sur lequel le fonctionnaire et M. Decker sont surtout en désaccord est la question de savoir si les renseignements que M. Decker a obtenus sur BB lui ont été communiqués directement par le fonctionnaire, comme le prétend M. Decker. Subsidiairement, ces renseignements lui ont-ils été communiqués par l’épouse du fonctionnaire, comme le soutiennent le fonctionnaire et son épouse? Il est acquis, ici encore, que le fonctionnaire a obtenu les renseignements au travail et qu’il les a communiqués à son épouse. 

102 Si l’on retient la version des faits du fonctionnaire (il a communiqué les renseignements sur BB exclusivement à son épouse), cela constitue indéniablement en soi une faute de conduite grave. Le fonctionnaire a communiqué des renseignements à son épouse sachant qu’il les avait obtenus sans autorisation et sachant que son épouse était engagée dans un conflit acerbe avec M. Decker. De plus, le fonctionnaire, son épouse et M. Decker croyaient que BB était mêlé à ce conflit (BB n’a pas témoigné). Le fonctionnaire n’a pas précisé à son épouse que les renseignements étaient confidentiels, bien que s’il l’eût fait, la divulgation non autorisée des renseignements n’en aurait pas été jugée plus acceptable. En fait, il est acquis que c’est avant tout pour promouvoir la cause du fonctionnaire, celle de son épouse et celle de M. Decker dans leur différend avec le conseil de copropriété que les renseignements ont été obtenus. Comme il fallait s’y attendre, c’est exactement ce à quoi les renseignements ont servi, ce qui est bien regrettable. 

103 Le fonctionnaire a décidé d’utiliser des renseignements confidentiels obtenus au travail pour effectuer des vérifications sur diverses personnes; il a décidé de fouiller plus loin dans les systèmes du défendeur et de jeter un coup d’œil sur les renseignements personnels d’une personne et il a décidé de communiquer ces renseignements à une tierce personne, c’est-à-dire son épouse. Il s’agit dans tous les cas de choix délibérés de la part du fonctionnaire, qui était en parfait contrôle de la situation à chaque étape. Il ne s’agissait pas d’un manque d’attention de sa part, ni d’un résultat autrement imprévisible ni d’une nécessité; c’était un acte ou une série d’actes délibérés et planifiés avec des conséquences prévisibles. Je crois en outre que le fonctionnaire aurait obtenu d’autres renseignements confidentiels sur les autres personnes dont il a cherché les noms, n’eût été le fait qu’elles n’avaient pas de dossier dans le système du défendeur (car elles n’avaient pas fait de demande de prestations d’assurance-emploi).

104 Quant à la question de savoir si le fonctionnaire a communiqué à M. Decker les renseignements confidentiels sur BB, je note que l’enquête de M. Touchette a révélé que le fonctionnaire avait consulté le dossier de BB le 4 mars 2008, durant la période où les rapports entre le fonctionnaire et son épouse d’une part et M. Decker d’autre part étaient devenus hostiles. Il y a eu des allégations d’agression, y compris des plaintes concurrentes à la police; c’est d’ailleurs un euphémisme que de dire qu’ils ne s’adressaient plus la parole. En fait, M. Decker a soumis sa plainte contre le fonctionnaire au défendeur le 31 mars 2008. Il est peu vraisemblable, à mon avis, que le fonctionnaire ait fait des confidences à M. Decker dans le contexte qui existait à ce moment-là. Cela aurait été parfaitement logique au début de leur relation lorsqu’ils socialisaient ensemble et discutaient de leurs préoccupations concernant le fonctionnement du conseil de copropriété, mais selon le rapport d’enquête de M. Touchette, ce n’est que beaucoup plus tard, soit en mars 2008, que le fonctionnaire a obtenu les renseignements. 

105 Le moment est bien choisi pour aborder diverses autres questions. 

106 Une des questions qui se pose est celle de savoir si le fonctionnaire avait accès à une base de données connue sous le nom de Easy Access. Le défendeur soutient que le fonctionnaire avait accès à ce programme et qu’il pourrait l’avoir utilisé pour effectuer des vérifications sur certaines personnes. Or, selon la preuve produite par le défendeur, le fonctionnaire a utilisé le programme Easy Access pour la dernière fois en novembre 2007, soit bien avant les incidents dont il est question dans le présent arbitrage. Je conclus que le fonctionnaire n’a pas utilisé le programme Easy Access durant les périodes visées par le présent arbitrage.

107 Le fonctionnaire n’a pas obtenu de renseignements personnels sur d’autres personnes, mais la raison en est que seul BB avait déjà fait une demande de prestations d’assurance-emploi. Par exemple, MM n’avait pas fait de demande de prestations dans le passé et le fonctionnaire ne pouvait donc pas consulter un autre écran et obtenir d’autres renseignements sur elle. Le fonctionnaire a déclaré à divers moments durant l’enquête et dans son témoignage que chercher le nom de quelqu’un n’était pas un problème important. Autrement dit, il n’y avait rien de mal à chercher le nom d’une personne qui n’a fait pas de demande de prestations d’assurance-emploi puisqu’il n’y a pas de renseignements se rattachant à ce nom. Je n’accepte pas ce point de vue. Le simple fait de tenter d’obtenir des renseignements sur une personne dans les systèmes informatiques du défendeur pour un usage personnel et non autorisé constituait une violation du serment d’office du fonctionnaire et une infraction à la politique du défendeur.

108 Vers la fin de l’enquête du défendeur et dans son témoignage, le fonctionnaire s’est plaint du délai requis par le défendeur pour effectuer son enquête. Rappelons ici que M. Decker a soumis sa plainte au défendeur en mars ou en avril 2008, que le fonctionnaire a été interviewé par Mme Heon le 25 juin 2008, que le rapport de cette dernière est daté du 13 août 2008 et que le fonctionnaire a été suspendu sans rémunération en date du 30 septembre 2008. À cela s’ajoutent les deux entrevues avec Mme Cook, en octobre et en novembre 2008, qui ont mené au licenciement du fonctionnaire pour un motif valable le 26 novembre 2008 (mais avec effet rétroactif au 30 septembre 2008). Cela représente une période d’environ huit mois, en excluant les quelques semaines supplémentaires (du 26 novembre au 15 décembre 2008) requises par le défendeur pour décider de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire. 

109 Je conviens avec le fonctionnaire qu’il y a eu un retard déraisonnable dans l’enquête du défendeur. Par exemple, aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi il s’est écoulé quatre mois entre l’entrevue du 5 juin 2008 et celle du 28 octobre 2008. C’est un fait bien connu que les problèmes qu’occasionnent les retards sont de deux ordres. Pour commencer, le défendeur doit supporter des coûts considérables si le fonctionnaire est réintégré dans ses fonctions, peut-être même des coûts reliés directement au retard. Une autre conséquence au moins aussi importante est l’incertitude dans laquelle est placé l’employé qui attend une décision pendant ce temps-là. Quant à la mesure de réparation dont dispose le fonctionnaire dans le présent cas, je note que pendant trois mois durant l’enquête, soit de juin à septembre 2008, il avait un poste et recevait une rémunération en attendant que le défendeur l’avise de la prochaine étape. Il a ensuite été suspendu sans rémunération du 29 septembre au 26 novembre 2008. Bref, fait inusité, le fonctionnaire a été rémunéré pendant une grande partie de l’enquête. Je reconnais que la situation était incertaine pour lui, mais je suis incapable de conclure qu’il devrait bénéficier d’une mesure réparatrice pour les deux mois pendant lesquels il a été suspendu sans rémunération.  

110 Dans son témoignage principal dans le présent arbitrage, le fonctionnaire a observé qu’il n’avait aucune idée de ce qui se passait, mais il a par ailleurs déclaré qu’il savait, par des commentaires que M. Decker lui avait faits, que [traduction] « quelque chose s’en venait ». Ces commentaires ont été faits durant un échange acerbe à l’immeuble d’habitation où M. Decker faisait savoir au fonctionnaire qu’il avait présenté une plainte au défendeur et que le fonctionnaire allait en payer le prix. Le fonctionnaire a expressément déclaré dans son témoignage qu’il n’avait pas reçu copie de certains documents à des moments cruciaux, de sorte qu’il ne pouvait pas savoir ce qui se passait. Par exemple, on ne lui a pas remis, ou il n’a pas reçu par un autre moyen, la lettre de suspension datée du 29 septembre 2008. Lorsqu’on l’a interrogé sur ce point en contre-interrogatoire, le fonctionnaire a admis qu’il ne se rappelait pas avoir reçu le document auquel il pensait plus particulièrement. Il a également invoqué l’angoisse dans laquelle il vivait à ce moment-là et le fait qu’il [traduction] « ne savai[t] plus où [il] en étai[t] » pour expliquer ses problèmes de mémoire. J’estime que le fonctionnaire a reçu l’information nécessaire à chaque étape du processus du défendeur, soit l’enquête, la suspension et le licenciement.  

111 Je rejette également la déclaration du fonctionnaire selon laquelle il n’a pas reçu la formation indiquée dans les dossiers du défendeur, plus particulièrement celle sur l’éthique. Il a témoigné avec prudence sur ce point en tenant d’éviter de nier carrément qu’il avait reçu cette formation; je suis d’avis que le fonctionnaire a reçu la formation en question. Quoi qu’il en soit, il était au courant de ses obligations du fait des serments et affirmations qu’il a prêtés au moment de son entrée en fonctions. Le fonctionnaire a également témoigné avec prudence sur ce point en déclarant qu’il ne se souvenait pas « de tous » les détails relatifs à la signature de ces documents. 

112 Le fonctionnaire a poursuivi en disant que son inconduite n’était probablement pas couverte par le serment et l’affirmation qu’il a prêtés. Par exemple, le document intitulé [traduction] « Restrictions quant aux activités des employés » cité précédemment dit notamment ceci : [traduction] « Les employés n’ont pas le droit d’intervenir directement dans […] le traitement ou l’évaluation des demandes de prestations […] ou de tout autre avantage administré par la Commission ou de tenter d’influencer ces processus, pour le compte d’un parent ou d’un ami, ou dans leur intérêt personnel, financier ou autre. » Le fonctionnaire soutient qu’il n’avait pas d’[traduction] « […] intérêt personnel, financier ou autre » dans les demandes de prestations ou dans les dossiers qu’il a vérifiés. Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire a lui-même admis qu’il était venu en aide à ses amis pendant une longue période en vérifiant leurs demandes de prestations et en leur donnant des conseils sur celles-ci.

113 Il ne fait par ailleurs aucun doute que le fonctionnaire a violé le serment qu’il a prêté de ne [traduction] « […] révéle[r] rien […] de ce qui sera parvenu à [s]a connaissance en conséquence de […] » son emploi et qu’il a également contrevenu au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique du défendeur cité précédemment. Par exemple, lorsqu’il est venu en aide à des amis qui avaient fait des demandes de prestations d’assurance-emploi, le fonctionnaire a contrevenu à l’interdiction faite aux fonctionnaires dans le Code d’[…] « outrepasser ses fonctions officielles pour venir en aide à des personnes, physiques ou morales, dans leurs rapports avec le gouvernement, si cela peut occasionner un traitement de faveur ». En ce qui concerne le conflit entre le fonctionnaire et le conseil de copropriété, il a contrevenu à l’interdiction faite aux fonctionnaires d’[…] « utiliser directement ou indirectement les biens du gouvernement […] ou [à] en permettre l’usage à des fins autres que celles officiellement approuvées » en utilisant des renseignements confidentiels obtenus dans le cadre de ses fonctions pour poursuivre ce conflit. 

114 J’arrive à la même conclusion relativement à la plainte du fonctionnaire que le processus du défendeur était entaché de mauvaise foi et que l’issue en était prédéterminée. Selon moi, un processus qui comporte trois entrevues en profondeur et une enquête technique distincte est un processus exhaustif. Il n’existe pas de crainte valable de partialité de la part de Mme Heon ou de Mme Cook et le fonctionnaire a eu plus d’une fois l’occasion de présenter sa version des faits. J’estime également que le défendeur n’a pas adopté une politique de tolérance zéro en matière d’accès non autorisé à des renseignements. Comme M. Netzel l’a déclaré dans son témoignage, la position du défendeur est que chaque cas est un cas d’espèce et que des situations différentes nécessitent des résultats différents.

115 Dans le même ordre d’idées, je rejette l’allégation du fonctionnaire selon laquelle le processus d’enquête du défendeur était inéquitable parce que, par exemple, M. Netzel n’a pas interviewé le fonctionnaire après avoir pris la décision de le licencier. M. Netzel disposait à ce moment-là de tous les rapports d’enquête et pouvait se prévaloir des conseils des conseillers en ressources humaines. Rien ne l’empêchait de rencontrer le fonctionnaire (il a eu une rencontre, en fait avec le fonctionnaire peu de temps avant), mais il avait également le droit de prendre une décision en se basant sur l’information dont il disposait. Le fait est que j’ai conclu que l’information dont disposait M. Netzel contenait des erreurs sur trois points. Le premier point erroné est que, dans son rapport du mois d’août 2008, Mme Heon conclut que le fonctionnaire a effectué des vérifications sur M. Decker. Je suis convaincu qu’elle en est arrivée à cette conclusion de bonne foi en se fondant notamment sur le fait que le fonctionnaire a admis qu’il avait effectué des vérifications sur M. Decker. Les autres points erronés sont que Mme Heon a conclu que le fonctionnaire avait effectué des vérifications sur AA et qu’il avait lui-même communiqué à M. Decker et AA les renseignements qu’il avait obtenus sur BB. Comme je l’ai indiqué précédemment, je suis arrivé à des conclusions différentes sur ces deux points. Cela dit, le présent arbitrage est une audience de novo visant à déterminer si le défendeur était fondé à licencier le fonctionnaire (Tipple c. Canada (Conseil du Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.)(QL)). Cela signifie que j’ai pris connaissance de l’ensemble de la preuve, dont les éléments de preuve relatifs à l’enquête du défendeur et d’autres éléments de preuve, et que j’ai pris ma propre décision.

C. Le fonctionnaire devrait-il être réintégré?

116 L’ensemble de la preuve démontre que les actes du fonctionnaire constituent de l’inconduite grave. Le fonctionnaire s’est servi de son emploi pour effectuer des vérifications sur des personnes afin de promouvoir ses intérêts personnels. Il a obtenu des renseignements personnels sur une personne et les a communiqués à une tierce personne, son épouse, sachant qu’ils seraient utilisés pour poursuivre un conflit acerbe dans leur immeuble d’habitation. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a obtenu les renseignements. Je conclus que le fonctionnaire aurait obtenu des renseignements sur les autres personnes dont il a vérifié le nom n’eût été le fait qu’elles n’avaient pas de demande de prestations d’assurance-emploi et qu’il n’existait pas de renseignements sur elles. Il donnait depuis 15 ans un coup de main à ses amis qui avaient fait une demande de prestations avant les incidents de 2008. Je conclus donc qu’il a violé son affirmation et son serment d’office et contrevenu aux politiques du défendeur en toute connaissance de cause. 

117 Nous n’avons pas affaire ici à un acte fortuit ou à une situation dans laquelle le fonctionnaire a eu une conduite par ailleurs défendable qui a eu des conséquences imprévisibles. Le fonctionnaire est notamment [traduction] « all[é] à la pêche » pour trouver les personnes qu’il cherchait. C’était le résultat d’un plan délibéré visant à obtenir des renseignements confidentiels sur cinq personnes, au travail, afin de promouvoir sa cause dans un conflit entre des membres du conseil de copropriété. Ces renseignements confidentiels étaient indéniablement destinés à un usage personnel. Compte tenu du fait que depuis 15 ans, le fonctionnaire donnait un coup de main à ses amis qui avaient fait une demande de prestations d’assurance-emploi et du fait qu’il a effectué des vérifications sur cinq personnes, j’estime que son inconduite doit être considérée comme répétitive.

118 Il n’y a aucun doute qu’une sanction sévère doit être imposée dans le présent cas et j’ai examiné cette question avec soin. 

119 Au chapitre des facteurs atténuants, on ne peut faire abstraction des 18 années d’emploi du fonctionnaire. Le défendeur allègue qu’un incident disciplinaire est survenu en septembre 2007 lorsqu’un client a déposé une plainte alléguant notamment que le fonctionnaire avait agi de manière agressive. L’incident n’a cependant pas été traité comme étant d’ordre disciplinaire à ce moment-là et je conclus que le défendeur ne peut pas prétendre aujourd’hui qu’il s’agissait d’un incident disciplinaire. Il faut donc considérer que le fonctionnaire n’a jamais reçu de sanction disciplinaire durant ses 18 années d’emploi. Je tiens également compte du fait que le fonctionnaire a présenté ses excuses dès le début et à plusieurs reprises.

120 Cela étant dit, même si le fonctionnaire a présenté ses excuses, il n’a pas démontré qu’il acceptait l’entière responsabilité de son inconduite. J’ai d’ailleurs relevé les difficultés particulières suivantes dans l’argumentation du fonctionnaire :

a)  Le fonctionnaire n’a pas saisi l’occasion de dire la vérité lorsque le défendeur la lui a offerte. Par exemple, il a nié avoir effectué des vérifications sur une personne alors qu’il savait que cela était faux. De même, il a refusé de donner les noms des autres personnes sur lesquelles il a effectué des vérifications lorsqu’on lui en a donné l’occasion.

b) Le fonctionnaire a participé à l’enquête du défendeur et livré son témoignage dans le présent arbitrage d’un point de vue stratégique plutôt que du point de vue de dire la vérité. Par exemple, il a admis certains faits seulement lorsqu’il ne pouvait pas les nier, afin d’atténuer les conséquences de ses actes. 

c)  Le fonctionnaire a également tenté d’atténuer ses actes en disant qu’il avait seulement cherché les noms de quatre des cinq personnes et non pas tenté d’obtenir des renseignements sur ces personnes. En fait, le fonctionnaire a été incapable de trouver des renseignements sur les autres personnes parce que les bases de données du défendeur n’en contenaient pas.

d) Le fonctionnaire a tenté de discréditer le témoignage de M. Decker en disant qu’il poursuivait simplement une vengeance personnelle même si ce témoignage s’est révélé exact pour l’essentiel et que le fonctionnaire en a même reconnu l’exactitude.

e) Le fonctionnaire a tenté d’esquiver la responsabilité de ses actes en déclarant dans son témoignage qu’il n’avait pas reçu de formation en éthique, qu’il ne se rappelait pas avoir prêté l’affirmation et le serment d’office que, de toute manière, ils ne s’appliquaient probablement pas. Fait à noter, selon les notes de l’entrevue du 28 novembre 2008 avec Mme Cook, le fonctionnaire a déclaré que : [traduction] « Personne ne lui a[vait] jamais dit que c’était interdit. » Cela démontre clairement que le fonctionnaire ne comprend pas la gravité de son inconduite.

f)  Pour finir, le fonctionnaire a tenté de faire croire que l’enquête du défendeur était inéquitable et entachée de mauvaise foi. Parmi ses allégations figure une plainte que le défendeur s’est appuyé sur des faits que le fonctionnaire a admis puis niés par la suite.

121 Le fonctionnaire a certainement le droit de soulever ces objections à propos de l’enquête du défendeur. Il y a toutefois un risque à adopter cette approche lorsque les objections ne sont pas corroborées. Dans ces cas-là, ce genre d’objections peut entraîner des inférences négatives quant à la volonté du fonctionnaire d’assumer la responsabilité de ses actes et quant à la pertinence de le réintégrer dans ses fonctions. Tel est le cas dans le présent cas. Confronté aux allégations dont il était l’objet, le fonctionnaire aurait dû fournir une explication rapide, complète et cohérente pour justifier sa conduite. Il ne l’a pas fait ni durant l’enquête du défendeur ni dans son témoignage dans le présent arbitrage.

122 À l’exhortation de l’agent négociateur, je reconnais l’importance du principe des mesures disciplinaires progressives dans les cas de nature disciplinaire, surtout dans le cas d’un employé qui compte 18 années d’emploi. Il reste que c’est un principe général qui ne s’applique pas à tous les cas. Si une inconduite grave a entraîné la rupture du lien de confiance, le licenciement pourrait bien être la mesure qui s’applique d’office. Dans le présent cas, des fautes de conduite graves ont été commises à répétition et en toute connaissance de cause. De même, il ne s’agit pas ici d’un cas où le fonctionnaire a assumé d’emblée et volontairement la responsabilité de ses actes comme ce fut le cas dans Alberta Mental Health Board v. United Nurses of Alberta (Dismissal Grievance), [2001] A.G.A.A. No. 44 (Power), au paragr. 42). Ce cas portait également sur l’obtention non autorisée de renseignements personnels et je note que l’arbitre a conclu qu’une suspension de huit mois était justifiée alors que les fautes commises étaient moins graves que celles dont il est question dans le présent cas. 

123 J’ai tenu compte d’une autre décision antérieure, en l’occurrence Hillis c. Conseil du Trésor (ministère du Développement des ressources humaines), 2004 CRTFP 151. L’arbitre de grief qui a statué sur ce cas a confirmé la décision du défendeur d’infliger une suspension de 10 jours pour une faute de conduite grave reliée à l’obtention non autorisée de renseignements. L’arbitre de grief a cependant observé qu’il s’agissait « de loin, d’une mesure […] clémente » (au paragraphe 129). Le défendeur dans ce cas-là avait appliqué cette peine-là (plutôt que le licenciement) et l’arbitre de grief devait décider si la suspension de 10 jours était justifiée. La question à trancher n’était pas de savoir si une suspension de 10 jours était une mesure juste et équitable dans ce cas-là; l’arbitre de grief a d’ailleurs indiqué qu’une peine plus lourde aurait été justifiée.

124 Dans le cas qui nous occupe, le fonctionnaire occupait un poste comportant un degré moyen de responsabilité, notamment l’accès à des renseignements personnels et confidentiels, et un degré moyen de confiance. Il a contrevenu aux obligations qui lui étaient imposées lorsqu’il a exercé cette responsabilité et il n’a pas démontré dans son témoignage ou durant l’enquête du défendeur qu’il comprenait la nature de cette responsabilité ou de ces obligations. Son témoignage démontre qu’il continue de ne pas accepter la responsabilité de ses actes. Malheureusement, cela suscite des doutes quant à la fiabilité et à la confidentialité future et soulève la question de savoir si les actes reprochés dans le présent cas ou des actes semblables pourraient se répéter dans le cas d’un retour au travail. Dans ces conditions, je conclus que le licenciement du fonctionnaire était justifié.

D. La cote de fiabilité

125 Ayant conclu ci-dessus que le licenciement du fonctionnaire était justifié, il m’apparaît que les questions relatives à la révocation de sa cote de fiabilité sont devenues théoriques. Cependant, en raison de l’abondance d’éléments de preuve et d’arguments sur la cote de sécurité du fonctionnaire, je me prononcerai sur la question de ma compétence. Cette question découle du fait que le défendeur avance que je n’ai pas compétence pour statuer sur la contestation du fonctionnaire relative à la révocation de sa cote de fiabilité.

126 Pour que j’aie compétence, à titre d’arbitre de grief, pour statuer sur la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire, la révocation doit porter sur « […] une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […] » [je souligne] aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La définition de « mesure disciplinaire » a été examinée dans des décisions précédentes. 

127 Dans Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CRTFP 63, l’arbitre de grief a observé que la question à trancher est celle de savoir si l’employeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire et si la contestation de sa décision pouvait servir de fondement à une mesure disciplinaire ultérieure (au paragr. 137, dans une citation tirée de Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176). Un texte faisant autorité est également cité dans Braun; ce texte dit que lorsque l’employeur décide de ne pas sévir contre un employé, sa décision est qualifiée de non disciplinaire (Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, septembre 2010, au paragraphe 7:4210). La situation est résumée au paragraphe 143 de Hillis, une autre décision qui porte sur la révocation de la cote de fiabilité et le licenciement ultérieur :

[…]

[…] D'après l'ouvrage Brown et Beatty (7:4240), il est généralement reconnu que l'employeur ne peut pas imposer plus d'une sanction pour la même infraction, c'est-à-dire pas plus d'une mesure disciplinaire. La révocation de la cote de fiabilité d'un fonctionnaire et son licenciement ultérieur sont des décisions qui sont laissées à l'appréciation de l'employeur en vertu de l'alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques; il ne s'agit donc pas de sanctions disciplinaires, mais de mesures administratives. Les raisons qui motivent ce dernier processus et l'analyse qu'il nécessite sont différentes. Par nature, le premier tient nécessairement compte de la conduite passée du fonctionnaire et tente de modifier ou d'améliorer son comportement tandis que l'autre examine ou, dans l'affaire qui nous occupe, réexamine la relation future entre l'employeur et l'employé en fonction de critères comme la confiance, la fiabilité et la moralité […]

[…]

128 On n’a pas attiré mon attention sur des décisions dans lesquelles la Commission reconnaît avoir compétence pour statuer sur la révocation de la cote de fiabilité d’un fonctionnaire. J’admets que le présent cas porte sur la révocation de la cote de fiabilité après le licenciement du fonctionnaire alors que les autres décisions portaient sur la révocation de cette cote avant le licenciement des personnes concernées (Braun c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada); Gill). Cela dit, j’estime que cette différence n’a pas d’incidence particulière sur la question de ma compétence.

129 Dans le présent cas, je reconnais que le fonctionnaire croit que le défendeur lui a infligé une punition en révoquant sa cote de fiabilité. Il s’agit plutôt, selon moi, d’une décision administrative que le défendeur a prise après avoir pris connaissance de la conclusion selon laquelle le fonctionnaire avait avoué avoir contrevenu aux politiques sur la sécurité du défendeur. Dans le même ordre d’idées, je suis incapable de conclure que la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire constituait une mesure disciplinaire déguisée. Il est vrai que la révocation de la cote de fiabilité est liée au licenciement du fonctionnaire dans la mesure où la première mesure était basée sur les faits relatifs à la seconde mesure. Seulement, cela signifie que les mêmes faits ont produit deux résultats, non pas que la révocation était une mesure disciplinaire.

130 Je note qu’un certain nombre de précédents appuient l’argument selon lequel l’arbitre de grief a compétence pour statuer sur les aspects procéduraux de la décision du défendeur de révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire, y compris les allégations de mauvaise foi (Gill). J’ai examiné cette question et il me semble qu’il serait peu logique de conclure que l’arbitre de grief a compétence pour statuer sur des questions de procédure dans le cas d’une décision de nature administrative; de deux choses l’une, ou bien l’arbitre de grief a compétence ou bien il n’a pas compétence.

131 Quoi qu’il en soit, l’examen des questions de procédure soulevées dans le présent cas révèle que le défendeur n’a pas avisé le fonctionnaire que sa cote de fiabilité faisait l’objet d’un examen ni ne lui a donné l’occasion de faire valoir ses arguments à ce sujet. Il y a bien une mention dans le rapport de Mme Heon daté du 13 août 2008 que la cote de fiabilité du fonctionnaire sera réexaminée, mais cela ne constitue pas un avis au sens où l’exige l’équité administrative. On ne peut donc pas dire que le fonctionnaire a eu l’occasion de présenter des arguments valables et exhaustifs sur la question de savoir si sa cote de fiabilité devait être révoquée. 

132 Il faut ajouter à cela le fait que le défendeur a accepté le rapport du 13 août 2008 sans réserves et fait siennes les conclusions contenues dans ce rapport, y compris les deux conclusions analysées ci-dessus, soit que le fonctionnaire a communiqué des renseignements sur BB à M. Decker et qu’il a effectué des vérifications sur AA. Le fonctionnaire conteste ces conclusions et j’ai conclu ci-dessus qu’elles n’étaient pas étayées par la preuve produite dans le présent arbitrage. Si le défendeur avait avisé le fonctionnaire que sa cote de fiabilité faisait l’objet d’un examen, le fonctionnaire aurait eu l’occasion de corriger ces erreurs, comme il l’avait fait lors de première entrevue avec Mme Cook en octobre 2008 en niant catégoriquement avoir effectué des vérifications sur AA. De même, le défendeur ne semble pas avoir tenu compte des deux entrevues avec Mme Cook, en octobre et en novembre 2008, ni de l’enquête technique effectuée par M. Touchette en juin 2008 pour déterminer si la cote de sécurité du fonctionnaire devait être révoquée.

133 Il y a deux réponses à ces préoccupations. La première est que je ne partage pas le point de vue du fonctionnaire que les lacunes en question constituent de la mauvaise foi. Le défendeur avait le droit de s’appuyer sur les conclusions du rapport de Mme Heon, daté du 13 août 2008, qui étaient basées sur son interprétation des renseignements qu’elle avait recueillis. Rien ne prouve que Mme Heon ou la personne qui a dirigé l’examen de la cote de sécurité du fonctionnaire avaient un parti pris ou qu’elles ont par ailleurs agi de manière inappropriée. Le risque auquel s’exposait le défendeur en acceptant les conclusions du rapport du 13 août 2008 était qu’elles fussent erronées à certains égards, ce qui fut le cas, mais cela ne constitue pas de la mauvaise foi. De toute façon, le rapport sur l’examen de la cote de sécurité daté du 6 octobre 2008 renfermait beaucoup de renseignements exacts. La seconde réponse aux préoccupations du fonctionnaire à propos de l’équité procédurale est que l’audition devant l’arbitre de grief dans le présent arbitrage permet de rectifier tout manquement à l’équité dans le cadre du processus (Braun, auparagr. 192, dans un renvoi à Tipple).

134 Pour finir, le fonctionnaire conteste le pouvoir de M. Macdonald de révoquer sa cote de fiabilité. Il part du principe que le pouvoir de prendre cette décision appartient à l’administrateur général et qu’il ne peut pas ou ne pouvait pas être délégué à M. Macdonald, l’agent de sécurité du ministère. La délégation écrite applicable à M. Macdonald, qui est datée du 18 septembre 2007, a été produite en preuve. Le document indique notamment que M. Macdonald est nommé par le sous-ministre/administrateur général aux termes des articles 10.1 et 10.9 de la Politique sur la sécurité et qu’il assume [traduction] « toutes les fonctions et responsabilités […] y compris celles contenues dans divers documents, dont la Politique sur la sécurité ». Il délègue également à M. Macdonald, [traduction] « [p]ar souci de clarté », la responsabilité [traduction] « de faire enquête sur les allégations, les plaintes et les actes répréhensibles internes ou externes, y compris ceux commis par des employés,  ou sur d’autres activités condamnables ». L’article 10.1 de la Politique sur la sécurité (qui a pris effet le 1er février 2002) dit que, à titre d’ASM, M. Macdonald est nommé pour exécuter diverses fonctions, dont « les vérifications […] de sécurité ». L’article 10.9 décrit la marche à suivre pour effectuer des vérifications de sécurité. Sur la foi de ces documents, je conclus que M. Macdonald possédait la délégation de pouvoir nécessaire pour révoquer la cote de fiabilité du fonctionnaire. 

135 Pour ces motifs, je conclus que je n’ai pas compétence pour examiner la décision non disciplinaire du défendeur de révoquer la cote de fiabilité du défendeur.

E. Résumé et conclusions

136 Le fonctionnaire a utilisé les bases de données du défendeur pour effectuer des vérifications sur cinq personnes. Quatre d’entre elles n’avaient pas fait de demande de prestations d’assurance-emploi, de sorte que le fonctionnaire a été incapable d’obtenir des renseignements sur ces personnes dans les systèmes du défendeur. La cinquième personne avait déjà fait une demande de prestations d’assurance-emploi et le fonctionnaire a donc été capable d’obtenir des renseignements personnels et confidentiels sur cette personne, dont son numéro d’assurance sociale. Le fonctionnaire a communiqué ces renseignements à son épouse, qui les a transmis à d’autres personnes engagées dans un conflit de longue date avec d’autres locataires du complexe d’habitation du fonctionnaire. Le fonctionnaire a obtenu les renseignements au travail pour promouvoir sa cause dans ce conflit. Durant une enquête ultérieure, le fonctionnaire a admis qu’il avait effectué d’autres vérifications dans les systèmes de l’employeur durant une période de 15 ans afin d’aider ses amis et de leur prodiguer des conseils sur leurs demandes de prestations d’assurance-emploi.   

137 Le fonctionnaire a été suspendu de ses fonctions, puis licencié en raison de sa conduite. Sa cote de sécurité (cote de fiabilité) a également été révoquée par le défendeur pour le même motif. Le fonctionnaire a déposé des griefs pour contester les trois décisions.

138 En ce qui concerne la suspension du fonctionnaire, le défendeur soutient qu’il s’agissait d’une décision administrative et que, de ce fait, l’arbitre de grief n’a pas compétence pour statuer sur cette question. Je ne suis pas d’accord. La lettre de suspension renvoie expressément à une disposition de la loi ayant trait aux suspensions disciplinaires, et même si le défendeur soutient que ce renvoi est attribuable à une erreur, la lettre doit être interprétée telle qu’elle est formulée. Il s’ensuit que la suspension infligée au fonctionnaire était de nature disciplinaire et que j’ai compétence pour statuer sur cette question. Par ailleurs, comme le licenciement du fonctionnaire a pris effet rétroactivement à la date du premier jour de sa suspension, la question du bien-fondé de la suspension est devenue théorique.

139  En ce qui concerne le licenciement du fonctionnaire, ses actes constituaient une grave violation de son affirmation et de son serment d’office et des politiques du défendeur. Un certain nombre de facteurs soulèvent outre de sérieuses questions quant à savoir si le fonctionnaire comprend la gravité de ses actes ou s’il en accepte la responsabilité. Le fonctionnaire croit à tort qu’utiliser les bases de données du défendeur pour chercher simplement le nom de quelqu’un n’est pas un problème important. Il a en outre présenté des excuses et avoué ses fautes de conduite, mais après avoir été informé des détails de l’enquête du défendeur. Il admettait avoir effectué des vérifications sur quelqu’un seulement lorsqu’il se rendait compte qu’il ne pouvait pas le nier. Le fonctionnaire a également prétendu que la personne qui est à l’origine de l’enquête sur sa conduite poursuivait une vengeance personnelle contre lui et son épouse. Quels que soient les motifs de la personne qui est à l’origine de l’enquête, les renseignements et les éléments de preuve fournis par cette personne se sont révélés exacts pour l’essentiel. Pour finir, le fonctionnaire a tenté de se poser en victime et de dépeindre cette personne comme l’agresseur, mais cela n’est pas étayé par la preuve.

140 L’inconduite du fonctionnaire résultait d’un choix délibéré et durait depuis 15 ans. Les recherches effectuées sur certaines personnes visaient à promouvoir ses intérêts et ceux de son épouse dans un conflit entre des locataires de l’immeuble d’habitation et les renseignements obtenus ont été utilisés à cette fin. Le fonctionnaire aurait obtenu des renseignements sur les autres personnes dont il a cherché le nom, n’eût été le fait qu’elles n’avaient pas de dossier dans la base de données du défendeur. Le fonctionnaire avait l’obligation de fournir une explication rapide, complète et cohérente pour justifier sa conduite; il ne l’a pas fait ni durant l’enquête du défendeur ni dans son témoignage. Dans ces conditions, le licenciement était justifié. Un retard inexpliqué est survenu dans l’enquête du défendeur, mais le fonctionnaire a continué de travailler et d’être rémunéré pendant une bonne partie de l’enquête.

141 En ce qui concerne la révocation de la cote de fiabilité du fonctionnaire, cette question est devenue théorique, puisque j’ai conclu que le licenciement du fonctionnaire était justifié. Quoi qu’il en soit, j’estime que je n’ai pas compétence pour trancher cette question.

142 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

143 Les griefs sont rejetés.

Le 11 avril 2011.

Traduction de la CRTFP

John Steeves,
arbitre de grief

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