Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que l'agent négociateur a manqué à son devoir de représentation équitable en ne donnant pas suite à un grief et en essayant de l'obliger à accepter un règlement discriminatoire des questions en litige favorisant son employeur - la Commission a conclu que la décision au sujet du grief que l'agent négociateur a communiquée à la plaignante n'était pas définitive et qu'en conséquence, la plainte était prématurée - le défaut d'utiliser un processus d'examen interne n'empêche pas automatiquement le dépôt d'une plainte de manquement au devoir de représentation équitable; il constitue un facteur pour ce qui est de déterminer si l'agent négociateur a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi - si la plaignante avait eu recours aux processus internes, ses préoccupations auraient pu être résolues et la plainte aurait pu être évitée. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-03-22
  • Dossier:  561-02-477
  • Référence:  2011 CRTFP 36

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

LISA MARKEY

plaignante

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

Répertorié
Markey c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, vice-président

Pour la plaignante:
Elle-même

Pour le défendeur :
Patrizia Campanella, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits déposés
les 19 août, 21 octobre et 10 décembre 2010, et les 7 janvier et 23 février 2011.
(Traduction de la CRTFP)

Plainte devant la Commission

1      Le 29 juillet 2010, Lisa Markey (la « plaignante ») a déposé une plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») contre l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « défendeur » ou l'IPFPC), en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »). La plaignante a allégué que le défendeur avait exercé une pratique déloyale, au sens de l’article 185 de la Loi, et avait violé l’article 187.

2      La plaignante a allégué que le défendeur avait refusé de poursuivre un grief en son nom, et qu'il avait cherché à lui imposer un règlement insatisfaisant et discriminatoire des questions en litige, en faveur de son employeur. Elle a aussi allégué que le défendeur avait aussi agi de façon discriminatoire à son endroit en ne reconnaissant pas son incapacité et l’obligation de l'employeur de prendre des mesures d'adaptation. Au moment de déposer sa plainte, elle n'a pas étayé ses allégations de renseignements supplémentaires.

3      Dans sa réponse initiale à la plaignante, le défendeur a déclaré qu’il s’était acquitté de son devoir de représentation équitable quant aux difficultés liées au milieu de travail de la plaignante. Pour appuyer sa position, le défendeur a produit une lettre de quatre pages datée du 28 mai 2010, que Karyn Ladurantaye, une de ses représentantes régionales, avait envoyée à la plaignante. La lettre expose la compréhension que le défendeur a des problèmes liés au milieu de travail de la plaignante et les recours à sa portée. Le défendeur a avisé la plaignante qu'elle avait droit de porter en appel l'analyse et la mesure proposée dans la lettre du 28 mai 2010. À ce sujet, Mme Ladurantaye a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

En cas de désaccord avec mon évaluation et ma recommandation, vous avez droit de porter ma décision en appel auprès du gestionnaire des Services de représentation régionale, conformément à l'article 2 de la Politique de règlement des conflits de l'Institut, que je joins en annexe à titre d'information. Afin que vous puissiez vous prévaloir du processus d'appel, j'ai demandé et reçu l'autorisation écrite de l'employeur afin de fixer jusqu'au mercredi 30 juin 2010 le délai de présentation d'un grief en suspens.

Si vous choisissez de porter ma décision en appel, je vous prierais d'en informer Joanne Harvey par écrit, d'ici à la fermeture des bureaux, le vendredi 4 juin 2010.

[…]

4      La plaignante a désapprouvé l'analyse et la mesure proposée par Mme Ladurantaye dans sa lettre du 28 mai 2010. Cependant, elle a décidé de ne pas recourir au processus interne d'appel du défendeur. À ce sujet, elle a écrit :

[Traduction]

[…]

Pour l'instant, je ne souhaite pas porter votre décision en appel, parce que je crois être en droit de déposer un grief non pas relativement à un congé, mais à l’obligation de prendre des mesures d'adaptation qui réunit toutes les questions en litige. Je suivrai les conseils d'un avocat et de l'ombudsman du MDN, qui suit mon dossier de près.

5      Le défendeur a produit une copie d'un document intitulé Procédure de règlement des conflits en matière de relations internes du travail.Ce document accompagnait la lettre du 28 mai 2010 envoyée à la plaignante. Il décrit la procédure interne à suivre par les membres de l'IPFPC lorsque le traitement des questions liées aux relations de travail engendre des désaccords. Selon cette procédure, le représentant de l'IPFPC doit fournir au membre une explication de la stratégie proposée pour régler la question liée aux relations de travail. En cas d'impasse entre le membre et le représentant de l'IPFPC, la question doit être soumise au gestionnaire des Services de représentation. Si la question n'est pas réglée à ce niveau, le membre peut s'adresser à l'avocat général, qui analysera alors la situation et fera une recommandation au président qui, lui, rendra une décision finale. L'avocat général analyse la situation et formule une recommandation fondée sur le devoir de représentation équitable de l'agent négociateur.

6      Dans ses arguments du 21 octobre 2010, la plaignante a exprimé avec plus de détail son insatisfaction à l'égard des services qu'elle a reçus du défendeur. Elle a expliqué certains des problèmes qui l'opposent à son employeur. Elle a critiqué les mesures et les positions prises par les représentants du défendeur dans l'effort, ou le manque d'effort, qu'ils ont mis pour l'aider entre juin 2009 et mai 2010. Elle a réitéré son mécontentement à l'égard des services du défendeur dans ses arguments du 7 janvier et du 23 février 2011. Elle a aussi parlé de sa santé, qui s'était détériorée.

7      Dans ses arguments du 10 décembre 2010, le défendeur a déclaré qu'il s'était acquitté de son devoir de représentation équitable auprès de la plaignante. À aucun moment il n’a représenté la plaignante de manière arbitraire ou discriminatoire, ou en agissant de mauvaise foi. Le défendeur a ajouté qu'il avait offert à la plaignante d'exercer un droit d'appel interne, et que la plaignante avait choisi de ne pas s'en prévaloir. Elle aurait pu expliquer sa vision des événements, et donner au défendeur la chance de revoir sa décision, mais elle a choisi de ne pas le faire.

Motifs

8      La présente plainte s'appuie sur les dispositions suivantes de la Loi :

[…]

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[…]

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[…]

9      La Loi oblige l'agent négociateur à représenter ses membres en agissant de bonne foi et d'une manière qui ne soit ni arbitraire ni discriminatoire. Cependant, la Loi ne contraint pas l'agent négociateur à déposer des griefs au nom de ses membres ou de présenter leurs préoccupations exactement comme ils le souhaitent. Dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509, la Cour suprême du Canada a établi qu’il suffit pour l’agent négociateur de démontrer qu’il a examiné les faits d’un cas, qu’il en a apprécié le bien-fondé et qu’il a pris une décision rationnelle quant à la pertinence de poursuivre le cas.

10 La plaignante accuse le défendeur de refuser de soumettre un grief fondé sur les droits de la personne en son nom, et de la forcer à accepter un règlement insatisfaisant et discriminatoire en faveur de son employeur. Elle accuse également le défendeur d'avoir fait preuve de discrimination à son encontre, en refusant de reconnaître son incapacité et l’obligation de l'employeur de prendre des mesures d'adaptation. Même si, dans ses allégations, la plaignante qualifie les gestes de sa représentante d'arbitraires, de discriminatoires et d'empreints de mauvaise foi, les faits allégués par elle révèlent que sa véritable allégation tient au fait que Mme Ladurantaye a agi de façon arbitraire, et c'est sur cette allégation que je dois me pencher.

11 La plaignante allègue que, en lui envoyant la lettre du 28 mai 2010, son agent négociateur a agi de façon arbitraire. Elle soutient que ses gestes se fondaient sur une évaluation de son dossier qui ne tenait pas compte de tous les faits. Toutefois, l'évaluation de son dossier par l'agent négociateur, comme l'indiquait la lettre du 28 mai 2010, n'était pas définitive dans son cas et ne lui a pas été présentée comme telle. La lettre précisait clairement qu'elle pouvait porter en appel la décision de sa représentante, qu'une copie de la politique sur les appels était jointe, et que l'agent négociateur protégerait le délai accordé au dépôt d'un grief pendant le processus d'appel. J'ai donc conclu que la plainte est prématurée, car le défendeur n'a rendu aucune décision finale.

12 La Loi permet le dépôt de plaintes dans les cas où l'agent négociateur a « agi » de façon arbitraire ou discriminatoire, ou de mauvaise foi. Dans ce cas, la plaignante signale le refus de l'agent négociateur de fonder son grief sur des mesures d'adaptation, et c'est son insistance à poursuivre ses griefs en cours selon la manière décrite qui fait preuve d'arbitraire. Cependant, dans sa lettre du 28 mai 2010, l'agent négociateur a proposé d'autres mesures et signalé qu'il agirait selon sa proposition, à moins que la plaignante gagne son appel. La mesure proposée par l'agent négociateur n'était pas finale, comme il l'indiquait clairement, et la plaignante était invitée à lui fournir des renseignements susceptibles de modifier son évaluation du dossier.

13 Même si l'existence d'un processus d'appel interne n'empêche pas automatiquement la plaignante de déposer une plainte, comme ce serait le cas si sa plainte était fondée sur les alinéas 188b) ou c) de la Loi, le fait que la décision qui lui a été communiquée équivalait à une décision intérimaire est néanmoins important. La Loi impose un devoir de représentation équitable aux agents négociateurs, et l'IPFPC a instauré une procédure d'examen interne afin de veiller à ce que ses représentants s'acquittent de ce devoir. Je ne peux donc en conclure, sans en savoir plus, que l'évaluation initiale du dossier par l'agent négociateur constitue un manquement à son obligation de ne pas agir de façon arbitraire. L'existence d'une procédure d'examen interne est un facteur à considérer au moment de déterminer si l'agent négociateur a agi de façon arbitraire. En refusant de suivre le processus et en déposant plutôt une plainte auprès de la Commission, la plaignante a empêché le défendeur d'examiner son cas à fond et de s'acquitter de son devoir.

14 En l’espèce, je me soucie non seulement de l'équité entre les parties, mais aussi des ressources. Les tribunaux ont à plusieurs reprises évité de modifier des décisions administratives interlocutoires, et ont soutenu qu'à moins de circonstances exceptionnelles, une décision interlocutoire ne devrait pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire immédiat. Dans Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2010 CF 154, par exemple, la Cour soutient au paragraphe 39 :

[…]

Il est bien établi en droit que le contrôle judiciaire de décisions interlocutoires ne devrait être entrepris que dans des circonstances exceptionnelles. Plusieurs raisons militent en faveur de ne pas intervenir jusqu'à ce qu'un tribunal rende une décision définitive, entre autres, le risque de fragmentation du processus et la probabilité qu'une telle intervention entraînera des frais et des retards supplémentaires. De même, le contrôle judiciaire de décisions interlocutoires comporte le risque du gaspillage des ressources judiciaires, puisque les demandes de contrôle judiciaire peuvent devenir inutiles à la suite de la décision d'un tribunal sur le fond (voir par exemple Aéroport International Du Grand Moncton c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2008 CAF 68, [2008] A.C.F. no 312; Canada (Procureur général) c. Brar, 2007 CF 1268, [2007] A.C.F. no1629.

Les mêmes préoccupations se posent ici. Si la plaignante avait porté la décision initiale en appel, ses préoccupations auraient très bien pu être réglées, et sa plainte évitée. 

15 Le défendeur a proposé une mesure différente de celle que la plaignante aurait préférée. La décision du défendeur n'était pas définitive, car il proposait de la revoir dans le cadre d'un processus d'appel interne. La plaignante a refusé de recourir à ce processus. Dans l'ensemble, le défendeur n'a pas agi de façon arbitraire ou discriminatoire, ni de mauvaise foi.

16 En termes clairs, les employés qui se prévalent du processus d'appel interne ne sont pas pénalisés pour autant en voyant leur plainte jugée hors délai. Le délai de 90 jours accordé au dépôt des plaintes ne commence à courir que lorsque les employés sont informés, par leur agent négociateur, de l'issue du processus d'appel. À ce sujet, la vice-présidente Bédard, a écrit ce qui suit dans Renaud c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 177 :

[…]

[75] En adoptant un mécanisme interne de plaintes lorsqu’un membre estime avoir reçu une représentation injuste ou arbitraire, la défenderesse incite elle-même ses membres à se prévaloir de ce recours avant de saisir la Commission. Elle ne peut par la suite, lorsqu’un membre s’est prévalu de ce mécanisme, plaider que ce mécanisme n’a pas pour effet de retarder le délai pour présenter une plainte. Si tel était le cas, le recours serait dans bien des cas préjudiciable aux membres de l’ACEP, puisqu’en se prévalant de ce mécanisme, les membres risqueraient de se voir par la suite opposer un délai de prescription les empêchant de déposer une plainte à la Commission. Une telle situation serait complètement illogique.

[…]

[77] Je considère donc que le recours par la plaignante au mécanisme interne de plainte de la défenderesse a eu pour effet de retarder le point de départ du délai de 90 jours dont elle disposait pour déposer sa plainte. Le délai a donc commencé à courir le 13 août 2007 lorsque la défenderesse a refusé d’accéder aux demandes de la plaignante, au dernier palier du mécanisme interne de plainte et la plainte déposée le 24 septembre 2007 a été déposée à l’intérieur du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi.

[…]

17 Les faits du présent cas diffèrent largement de ceux exposés dans Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2011 CAF 98, et Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100. M. Boshra a déposé une plainte contre son agent négociateur, qui aurait manqué à son devoir de représentation équitable en insistant pour fonder un grief sur des motifs autres que ceux sur lesquels il insistait lui-même. La Commission a conclu que sa plainte était hors délai, car ses efforts amicaux pour amener son agent négociateur à modifier sa perception du cas n'ont pas permis d'établir le délai de présentation d'une plainte en suspens. La Commission a déterminé que le délai de 90 jours fixé au dépôt d'une plainte avait commencé à courir le jour où il avait appris que lui et son agent négociateur ne voyaient pas son dossier du même œil. Dans 2009 CRTFP 100, aucune référence n'est faite à un processus officiel d'appel interne de l'agent négociateur. Dans 2011 CAF 98, la Cour fédérale s'est dite d'accord avec la Commission et, au paragraphe 50 de sa décision, elle signale qu'il est révélateur que M. Boshra n'ait fourni aucune preuve du processus interne de l'agent négociateur, pour le règlement des allégations de manquement au devoir de représentation équitable. Le présent cas fait référence à un processus d'examen. Dans des cas comme celui-ci, le délai de 90 jours devrait débuter après la fin du processus d'appel.

18 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

19 La plainte est rejetée.

Le 22 mars 2011.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
vice-président

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