Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la suspension de 10 jours qui lui a été imposée parce qu’il n’avait pas mis son arme à feu de service et son équipement de protection en lieu sûr, conformément à la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) - il a admis que le jour où il avait quitté le travail pour des raisons de santé, il avait placé son arme à feu chargée et son équipement de protection dans l’un des tiroirs d’un classeur non protégé qui se trouvait dans le bureau du surintendant, au lieu de les ranger comme prévu, c’est-à-dire de placer l’arme à feu déchargée et l’équipement de protection dans un contenant personnel situé dans une pièce protégée au lieu de travail - le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la sévérité de la suspension, au motif que c’était une peine trop lourde et qu’il avait subi d’autres pertes qui augmentaient la peine - il avait été affecté à des tâches administratives en attendant la tenue d’une enquête, il avait perdu la possibilité de superviser une équipe spécialisée et ses heures de travail avaient été modifiées, ce qui se traduisait par une perte de rémunération, de primes de fin de semaine et de postes et une diminution de ses crédits de jour férié et de congé de maladie - c’était le premier incident de ce genre pour l’ASFC, qui ne disposait dès lors d’aucun précédent pour déterminer la peine applicable - le projet d’autoriser le port d’armes à feu avait été très politisé - le fonctionnaire s’estimant lésé avait reconnu d’emblée sa responsabilité et exprimé des remords - c’était un bon employé et son dossier disciplinaire était vierge - il occupait un poste de confiance, à titre de superviseur, et il supervisait d’autres agents armés - la jurisprudence applicable à d’autres services de police indiquait que la peine minimale pour une infraction semblable équivalait à une suspension de deux ou troisjours - la suspension imposée par l’ASFC était trop sévère et n’avait pas un effet correctif - le fonctionnaire s’estimant lésé s’était rendu coupable de négligence et non pas d’inconduite volontaire - l’arbitre de grief a ramené la peine à cinqjours - les autres conséquences étaient de nature administrative plutôt que de nature disciplinaire - l’employeur devait toutefois recalculer les heures de travail du fonctionnaire s’estimant lésé pour le mois en question afin de déterminer si la réduction de la suspension était suffisante pour lui attribuer des crédits de congé annuel et de congé de maladie pour ce mois-là. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-03-24
  • Dossier:  566-02-3490
  • Référence:  2011 CRTFP 37

Devant un arbitre de grief


ENTRE

BRIAN EDEN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Eden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Kate Rogers, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Barry W. Adams, avocat

Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Hamilton (Ontario),
les 25 et 26 janvier 2011.
(Traduction de la CRTFP)

 I. Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Le 10 février 2009, le fonctionnaire s’estimant lésé, Brian Eden (le « fonctionnaire ») a déposé un grief contestant la suspension de 10 jours qui lui avait été imposée faute d’avoir laissé sous clé son arme de service, ses munitions et son vaporisateur de poivre dans le casier réservé à cette fin, comme l’exige la Politique sur la possession, le transport et le remisage des armes à feu, des munitions et des articles contrôlés de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC » ou l’« employeur »). Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 10 février 2010, en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

2 Dans son grief, le fonctionnaire conteste la sévérité de la sanction disciplinaire aux motifs que la suspension de 10 jours était trop longue et qu’il avait subi d’autres pertes. Il allègue plus particulièrement que, parce qu’il a été réaffecté à des tâches administratives durant l’enquête disciplinaire, son horaire de travail a changé, de sorte qu’il n’a pas pu travailler les heures fixées initialement dans son entente sur les postes à horaires variables (EPHV), ce qui l’a laissé avec un déficit. En outre, il a perdu ses primes de week-end et de quart, et sa paie pour les jours fériés désignés en a souffert. De plus, il n’a pas travaillé suffisamment d’heures pendant le mois de sa suspension pour gagner des crédits de congé annuel ou de congé de maladie. Il allègue également dans son grief qu’il a perdu la possibilité de continuer de travailler comme superviseur de l’Équipe intégrée de conformité et d’application de la loi (ICA), étant donné qu’une des conséquences directes de son infraction à la discipline a été la dissolution de cette équipe.

3 Comme mesure corrective, le fonctionnaire réclame le remboursement de toutes les pertes financières subies par suite de sa réaffectation, incluant notamment, mais pas exclusivement, la perte de ses primes de jour férié et de quart et celle de ses crédits de congés, de même que les heures de travail qu’il a perdues en raison du changement de son horaire de travail. Il demande que sa suspension pour motif disciplinaire soit ramenée à cinq jours et réclame également sa réaffectation à l’équipe ICA, de même qu’une occasion de rencontrer l’employeur pour parler de ses possibilités de carrière dans un autre lieu de travail et des copies de la jurisprudence sur laquelle l’employeur s’est fondé pour justifier la sanction disciplinaire originale. Ces trois dernières demandes n’ont pas été activement poursuivies à l’arbitrage.

II. Résumé de la preuve

4 Au début de l’audience, les parties m’ont présenté un exposé conjoint des faits et un recueil de pièces. L’employeur a fait comparaître quatre témoins; le fonctionnaire a témoigné pour lui-même. Je n’ai pas résumé les parties des témoignages qui reprennent le contenu de l’exposé conjoint des faits, à moins qu’elles n’aient développé un point qui m’a semblé pertinent pour ma décision.

5 L’exposé conjoint des faits se lit comme il suit :

[Traduction]

[…]

A. LES PARTIES

1.       Le fonctionnaire s’estimant lésé est un agent des services frontaliers FB-05 qui travaillait durant toute la période pertinente comme superviseur au point d’entrée du pont Rainbow, à Niagara Falls.

2.       L’Agence des services frontaliers du Canada ( l’« ASFC ») est l’organisme fédéral responsable de la prestation des services frontaliers intégrés qui contribuent aux priorités de sécurité nationale et de sécurité publique et qui facilitent le libre passage des personnes et des biens, y compris les animaux et les végétaux, satisfaisant à toutes les exigences de la législation du programme. Elle emploie environ 4 800 agents répartis dans ses installations dans tout le Canada.

B. CONTEXTE

3.       Le 31 août 2006, le Premier ministre a annoncé l’Initiative d’armement visant à améliorer la sécurité aux frontières du Canada (voir le communiqué de presse ci-joint). Depuis avril 2007, l’ASFC a pour politique d’autoriser ses agents à être équipés d’armes à feu ainsi que d’autres équipements contrôlés et de s’en servir dans l’exercice de leurs fonctions après avoir reçu une formation rigoureuse. L’Initiative d’armement a fait l’objet d’une vaste campagne de publicité et d’un débat animé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’ASFC. Une partie de la Foire aux questions produite pour sensibiliser ses employés à cette Initiative est annexée (voir la FAQ ci-jointe).

4.       Depuis la mise en œuvre de l’Initiative d’armement, l’ASFC a produit plusieurs politiques et procédures portant sur la formation, la possession, le transport, le remisage et le maniement des armes à feu. Sa politique consiste à s’assurer que tous les employés de l’Agence qui sont appelés à se servir d’une arme à feu le fassent de façon sécuritaire, qu’ils reçoivent une formation adéquate pour savoir s’en servir de cette façon et qu’on leur fournisse les installations et le matériel nécessaires pour qu’ils puissent s’en servir de façon sécuritaire.

5.       Du 6 au 8 novembre 2007, M. Eden a assisté à la séance de sensibilisation à l’Initiative d’armement à l’intention des gestionnaires. Du 28 janvier au 11 février 2008, il a suivi le cours obligatoire sur les armes de service de l’ASFC. Durant ce cours, on enseigne aux agents les éléments de base du maniement et du remisage des armes à feu, entre autres sujets. Le programme du cours sur les armes de service est annexé. M. Eden a également participé à des séances pratiques de maniement de son arme de service le 17 juin et le 25 octobre 2008.

6.       Durant toute la période pertinente, le lieu de travail de M. Eden était le pont Rainbow, à Niagara Falls. À ce lieu de travail, l’employeur a prévu une salle d’armement sécuritaire dont l’accès est restreint et où tous les agents armés sont tenus de décharger et de remiser de façon sécuritaire leurs armes de service et leurs autres armes restreintes. Chaque agent armé s’est fait attribuer un coffret de remisage individuel approuvé étiqueté à son nom (« DASCO »).

7.       Le bureau des surintendants du poste du pont Rainbow est un bureau collectif auquel les employés de l’ASFC ainsi que d’autres employés ont librement accès. On y trouve des classeurs ou des tiroirs verrouillables où les surintendants peuvent déposer des objets personnels tels que des manuels ou d’autres articles non réglementés dont ils se servent pour travailler. Quelque 11 surintendants ont accès à ce bureau 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

8.       Conformément à la Politique sur la possession, le transport et le remisage des armes à feu, des munitions et des articles contrôlés de l’Agence, de la Politique sur l’usage des armes à feu protégées et des armes à feu d’agence et aux Procédures de l’ASFC pour le remisage des armes à feu de service, les agents qui ne sont pas en service doivent remiser leurs armes à feu de service sur place, au bureau de l’ASFC ou au point d’entrée. Quand ils ne s’en servent pas, ils doivent décharger leurs armes à feu de service et les remiser conformément au Règlement sur les armes à feu des agents publics (voir les politiques et les procédures ci-jointes de l’ASFC).

C. INCIDENT DISCIPLINAIRE

9.       Les événements qui ont mené à l’imposition de la sanction disciplinaire se sont produits le 22 décembre 2008, lors du quart de 12 h à 24 h au pont Rainbow.

10.     Le fonctionnaire avait commencé son quart vers 12 h ce jour-là. Il s’est senti mal et a décidé de prendre un congé de maladie pour le reste de son quart. Le 22 décembre 2008, il a quitté le lieu de travail vers 20 h 15.

11.     Avant de quitter son lieu de travail, le fonctionnaire n’a pas remisé son arme à feu de service ni son équipement de protection réglementé conformément aux procédures applicables. Il a laissé son arme à feu de service chargée et son équipement de protection dans un tiroir non verrouillé d’un classeur qui se trouvait dans le bureau des surintendants.

12.     Conformément à la Politique sur la possession, le transport et le remisage des armes à feu, des munitions et des articles contrôlés de l’Agence, il aurait dû décharger son arme à feu de service et la remiser dans son DASCO.

13.     Le fonctionnaire ne s’est pas présenté au travail le 23 décembre 2008 pour cause de maladie; il n’était donc plus censé se présenter au travail avant le 27 décembre 2008.

14.     L’arme à feu de service et l’équipement de protection réglementé du fonctionnaire ont été découverts par un autre surintendant dans un tiroir non verrouillé d’un classeur du bureau des surintendants le 24 décembre 2008.

15.     Le fonctionnaire s’est promptement rendu au pont Rainbow et a pris des mesures pour récupérer son arme à feu de service et pour la remiser correctement. Dans le rapport d’incident qu’il a rédigé le 24 décembre 2008, le fonctionnaire a reconnu :

[…] ne pas avoir correctement remisé [son] pistolet dans [son] casier désigné et avoir laissé [son] arme à feu dans [sa] gaine… avoir commis une très grosse erreur et [avoir] manqué de jugement personnel en ne remisant pas [son] pistolet correctement.

D. DISCIPLINE

16.     Après une enquête et une rencontre disciplinaire au cours de laquelle le fonctionnaire s’était fait offrir la possibilité d’expliquer ses actions, la direction a conclu qu’il avait enfreint la Politique sur la possession, le transport et le remisage des armes à feu, des munitions et des articles contrôlés de l’Agence. Elle a conclu qu’en sa qualité de surintendant, il devait veiller à ce que les agents des services frontaliers se conforment à cette politique et à ses procédures, de sorte que son infraction à la politique était considérée comme grave. La direction a conclu que ses actions constituaient une inconduite qui exigeait l’imposition d’une sanction disciplinaire.

17.     La direction a imposé une suspension de 75 heures à purger du 9 janvier 2009 au 22 janvier 2009, pour un total de 10 quarts de 7,5 heures. Le fonctionnaire a également été tenu de suivre avec succès le Programme de recertification de l’ASFC qui avait déjà été prévu.

18.     Avant les événements ayant donné lieu à la sanction disciplinaire qui fait l’objet du grief, le fonctionnaire n’avait aucune sanction disciplinaire à son dossier.

[…]

6 Alper Yusufyan a témoigné pour l’employeur; il est surintendant au pont Rainbow, à Niagara Falls, en Ontario, et il était en service au moment de l’incident. Comme la plus grande partie de son témoignage ne fait que confirmer le contenu de l’exposé conjoint des faits, je ne crois pas nécessaire de le résumer.

7 On a demandé à M. Yusufyan s’il savait que le fonctionnaire avait laissé son arme dans la gaine fixée au ceinturon de service quand il avait déposé celui-ci dans un tiroir non verrouillé dans le bureau des surintendants. M. Yusufyan a répondu qu’il n’avait pas remarqué si le pistolet du fonctionnaire était encore dans sa gaine.

8 Dave Berardi est le directeur du district de Niagara Falls - Fort Erie de l’ASFC, qui englobe les opérations des points d’entrée des ponts Rainbow, Whirlpool et Queenston Lewiston, le point de passage des passagers à la gare de Via Rail à Niagara Falls et à l’aéroport de district de Niagara, et le point de passage des petits bateaux du cours inférieur de la rivière Niagara. Il est responsable à la fois du personnel et de l’exécution des programmes. Il a expliqué que tout le personnel opérationnel relève de lui par l’intermédiaire de trois chefs, dont chacun a sous ses ordres un certain nombre de surintendants. Les agents des services frontaliers (ASF) et les commis relèvent des surintendants.

9 M. Berardi a exposé le contexte de l’initiative d’armement que l’ASFC avait entreprise après avoir annoncé en 2006 que les ASF seraient armés. Il a expliqué que la décision d’armer les ASF était très politique et qu’elle faisait suite à une période d’intense agitation syndicale au cours de laquelle le syndicat avait fait pression sur l’employeur afin qu’il arme les ASF, pour des raisons de santé et de sécurité. L’initiative avait donc suscité énormément d’attention à ses débuts en 2007. Le District de Niagara Falls–Fort Erie était un des plus prioritaires de tout le pays pour l’armement des ASF. M. Berardi a expliqué que l’employeur avait adopté une approche conservatrice en matière d’armement, puisque les agents armés doivent remiser leurs armes de service dans les casiers prévus à cette fin à leur lieu de travail, alors que les agents d’autres organismes peuvent conserver leurs armes avec eux quand ils ne sont pas en service.

10 M. Berardi a témoigné que le fait que le fonctionnaire n’avait pas remisé son arme à feu correctement avait déclenché une série de consultations et de discussions sur la mesure disciplinaire appropriée. C’était le premier incident de ce genre pour l’ASFC, et personne ne savait quoi faire exactement. La haute direction, tant de la région qu’à Ottawa, notamment le directeur général régional, le directeur général responsable de l’armement, le directeur des Ressources humaines et d’autres cadres supérieurs ont fini par prendre part aux discussions.

11 Le témoin a expliqué que deux questions étaient en jeu. Premièrement, il fallait décider à qui confier l’enquête sur l’incident, puisqu’on ne s’entendait pas à ce sujet. M. Berardi a témoigné qu’il penchait pour une enquête interne, tandis que d’autres voulaient confier l’enquête à un organisme de l’extérieur comme la police locale. À la fin, on a opté pour une enquête interne.

12 M. Berardi a expliqué que l’autre question en jeu était celle de la sévérité de la sanction disciplinaire, puisqu’il n’y avait pas de précédent ni de jurisprudence à l’ASFC pour un tel incident. Il a déclaré que des conseillers en relations de travail des Ressources humaines avaient communiqué avec la Gendarmerie royale du Canada pour obtenir des conseils, qu’il avait contacté le directeur de la Direction de la conformité de l’ASFC pour lui demander son avis, et que ce dernier s’était renseigné auprès du Service de police régional de Niagara (NRPS) (pièce E-2).

13 M. Berardi a témoigné qu’après avoir commencé par envisager l’imposition d’une suspension de 15 à 20 jours, l’employeur a fini par décider qu’une suspension de 10 jours serait appropriée. Il a expliqué que l’employeur avait tenu compte d’un certain nombre de facteurs, dont la gravité du manquement à la politique; le fait que le fonctionnaire, un superviseur, avait participé à la mise en œuvre de l’initiative d’armement et avait même donné au personnel de la formation en ce qui concernait le remisage sécuritaire des armes à feu; le risque de compromettre les relations avec les autres organismes d’application de la loi; le risque d’attirer l’attention du public. Ces facteurs ont été mis dans la balance, avec le fait que le fonctionnaire avait un dossier disciplinaire vierge, qu’il était considéré comme un bon employé et qu’il regrettait sa faute. M. Berardi a souligné que le fonctionnaire craignait de perdre son emploi, et qu’il avait rassuré le fonctionnaire. M. Berardi lui a déclaré qu’il ne serait pas  congédié mais qu’il allait écoper d’une sanction disciplinaire.

14 M. Berardi a témoigné qu’il y avait également eu des discussions à propos de l’emploi du temps du fonctionnaire pendant l’enquête. Il a expliqué qu’il avait été décidé de lui retirer son arme durant ce temps en le réaffectant temporairement. On se demandait comment procéder pour lui rendre son arme afin de pouvoir le réintégrer entièrement au service actif. M. Berardi a expliqué que le fonctionnaire lui-même avait proposé d’avoir recours au processus annuel de recertification pour qu’on puisse lui rendre son arme.

15 Mark Strasser était chef des Opérations au pont Rainbow au moment de l’incident disciplinaire. Les surintendants du pont Rainbow, dont le fonctionnaire, relevaient de lui. Il a témoigné qu’il était en congé au moment de l’incident, mais qu’on l’avait appelé à ce sujet et qu’il s’était présenté au pont pour faire enquête. Il a déclaré avoir rédigé l’avis de mesure disciplinaire (pièce E-1, onglet B) et avoir présidé la réunion organisée pour déterminer les faits, en présence du fonctionnaire, de M. Berardi et d’autres personnes (pièce E-1, onglet I).

16 M. Strasser a témoigné qu’il était au courant des consultations de la haute direction au sujet de la sanction disciplinaire. Il a déclaré qu’on avait d’abord envisagé de licencier le fonctionnaire, mais qu’il estimait qu’une suspension de 10 jours était plus appropriée. Il a expliqué que la décision finale sur la sanction lui incombait et qu’il avait tenu compte de plusieurs facteurs, dont le fait que le fonctionnaire était indisposé le jour de l’incident et qu’il était rentré chez lui pour cette raison, qu’il avait un dossier disciplinaire vierge, que c’était un bon employé, ainsi que le fait qu’il regrettait sa faute. Malgré ces facteurs positifs, il devait tenir compte de la gravité de la faute et du fait que le fonctionnaire occupait un poste de confiance étant donné qu’il supervisait d’autres agents armés.

17 Cela dit, M. Strasser a témoigné que le fonctionnaire avait de bonnes évaluations de rendement dont il a également tenu compte pour déterminer quelle sanction disciplinaire imposer. Il a déclaré que le fonctionnaire aspirait à un poste de gestionnaire et qu’il n’avait encore jamais écopé d’une sanction disciplinaire.

18 M. Strasser a témoigné qu’il savait que le fonctionnaire avait un problème de santé et qu’il allait devoir subir une intervention chirurgicale; il n’avait aucune raison de douter que le fonctionnaire était indisposé le jour de l’incident.

19 M. Strasser a expliqué que même si le fonctionnaire était censé travailler les 27 et 28 décembre 2008, qui auraient été considérés comme des jours fériés et qui auraient donc été rémunérés à taux majoré, on lui a enjoint de ne pas se présenter au travail avant le 29 décembre. Il a déclaré que puisque le fonctionnaire était un employé armé ou « équipé », être armé était une condition de son service. Il n’était pas possible pour lui d’exécuter son travail sans son arme à feu. Puisqu’on la lui avait confisquée, il ne pouvait pas se présenter pour le service et l’employeur n’avait pas d’autres tâches à lui confier dans l’immédiat.

20 Quand le fonctionnaire est retourné au travail le 29 décembre, on l’a affecté à des tâches administratives. M. Strasser a expliqué que les agents affectés aux opérations travaillent des quarts de 12 heures tandis que les autres travaillent 7,5 heures par jour, du lundi au vendredi. Par conséquent, le fonctionnaire aurait pu perdre quelques heures de travail en passant de quarts de 12 heures à un horaire de 7,5 heures par jour.

21 M. Strasser a témoigné que c’est lui qui avait pris la décision de dissoudre l’équipe ICA. M. Berardi et lui-même ont expliqué que cette équipe avait été constituée en tant que projet pilote pour faciliter l’intégration des agents des volets des douanes et de l’immigration et pour renforcer les activités d’application de la loi au pont Rainbow. L’initiative avait été proposée par le fonctionnaire. M. Strasser a déclaré qu’en raison de l’absence du fonctionnaire en janvier, par suite de la réaffectation résultant de sa suspension, l’équipe se serait retrouvée privée de supervision, étant donné qu’aucun des autres surintendants n’était disposé à assumer cette responsabilité. Il a également témoigné que peu de voyageurs franchissaient le pont Rainbow durant cette période-là.

22 Jared Ross donne la formation sur le maniement des armes à feu et l’usage de la force à l’ASFC. Dans son témoignage, il a abordé le sujet de la formation quant à l’usage de la force que le fonctionnaire aurait reçue et il a expliqué les politiques de l’ASFC sur le maniement et le remisage sécuritaires des armes à feu. Des copies du programme de formation et de ces politiques figurent parmi les documents présentés d’un commun accord par les parties (pièce E-1, onglets L et F). Il ressort clairement de l’exposé conjoint des faits que nul ne conteste que le fonctionnaire avait reçu la formation appropriée. Je n’ai donc pas besoin de résumer le témoignage de M. Ross à cet égard.

23 Le fonctionnaire a témoigné qu’il travaille pour l’ASFC depuis 1998, qu’il est devenu surintendant en 2006 et qu’il s’est joint en 2010 à l’équipe d’enquêtes criminelles où il travaille actuellement comme enquêteur.

24 Au moment de l’incident, le fonctionnaire travaillait comme surintendant et il était directement responsable des cinq membres de l’équipe ICA. Il travaillait par quarts de 12 heures, de 8 h à 20 h ou de 0 h à 12 h, à raison de trois jours de travail et de trois jours de repos. Il accumulait 9,37 heures de congé de maladie et 12,75 heures de congé annuel par mois au cours duquel il travaillait un minimum de 75 heures.

25 Le fonctionnaire a témoigné qu’il était censé travailler les 27 et 28 décembre 2008, des jours qui auraient été des jours fériés désignés pour lui, de sorte qu’ils auraient été rémunérés à taux triple. Toutefois, à cause de l’incident, on lui avait enjoint de ne pas se présenter au travail avant le 29 décembre, date à laquelle il a été réaffecté à l’Unité d’inspection secondaire, à quelque distance du point d’entrée, en attendant le résultat de l’enquête. L’horaire de travail pour cette affectation était de 8 h à 16 h, du lundi au vendredi, sans primes de quart. Comme le fonctionnaire avait habituellement un horaire variable par quarts, il était normalement admissible à des primes de quart qu’il perdait en travaillant de jour. Il avait également perdu les primes de week-end auxquelles il aurait normalement eu droit.

26 Le fonctionnaire a témoigné que, n’eut été de sa réaffectation et de sa suspension, il aurait travaillé environ 114 heures avec son horaire variable par quarts de 12 heures. À cause de sa réaffectation, il a travaillé moins d’heures en janvier 2009 qu’avec cet horaire variable, ce qui signifie qu’il n’a pas travaillé les 114 heures initialement prévues à son horaire et qu’il a dû assumer la différence, puisqu’il s’est retrouvé avec un solde négatif. Qui plus est, il n’a pas travaillé 75 heures en janvier 2009, de sorte qu’il n’a pas pu gagner ses crédits de congé de maladie et de congé annuel pour ce mois-là.

27  Quand le fonctionnaire est retourné au travail après sa suspension, l’équipe ICA avait été dissoute et il n’est pas non plus revenu à son horaire variable par quarts de 12 heures, mais à un horaire de quarts de 10,75 heures, à raison de quatre jours de travail et de quatre jours de repos.

28 Le fonctionnaire a déclaré qu’il estimait qu’il aurait pu accomplir plusieurs de ses fonctions de surintendant sans être armé : il a dit qu’il aurait pu « nettoyer » des dossiers ou accomplir des tâches administratives telles que des vérifications, des examens ou de la gestion du rendement.

29 Il a témoigné qu’il savait ce qu’on attendait de lui quant au remisage sécuritaire de son arme à feu. Après l’incident, il a déclaré avoir proposé qu’on le soumette à une recertification à cet égard parce qu’il tentait de démontrer qu’il était disposé à accepter n’importe quelle mesure corrective.

30 Le fonctionnaire a reconnu qu’il n’avait pas mentionné son état de santé dans sa déclaration originale à l’employeur. Il a aussi reconnu qu’il aurait pu mentionner son état quand il avait dit à l’employeur qu’aucun problème personnel n’avait mené à l’incident. Il a déclaré qu’il voulait accepter sa responsabilité, tout en admettant qu’il aurait dit presque n’importe quoi à ce moment-là.

31 Les témoins ont reconnu que la salle d’armement où les armes de service sont remisées n’est accessible qu’avec une carte d’accès. Le bureau des surintendants, où le fonctionnaire avait laissé son arme, est dans une aire protégée derrière l’aire accessible au public. Cette aire protégée renferme non seulement le bureau des surintendants, mais aussi des pièces où l’on peut interroger des gens et une salle d’attente. Les témoins s’entendaient généralement pour dire que les membres du public ne seraient normalement pas laissés seuls dans cette aire protégée, mais que le bureau des surintendants serait accessible aux ASF, au personnel administratif et aux préposés au nettoyage.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

32 L’employeur a déclaré que les faits ne sont pas contestés. Le fonctionnaire a remisé son arme de service et son équipement de protection de façon non sécuritaire. C’était fondamentalement une violation des consignes de sécurité, et ses actions devraient être examinées dans ce contexte. Le fonctionnaire est un agent qui avait reçu la formation nécessaire; il ne fait aucun doute qu’il était conscient des exigences de sécurité et qu’il savait ce qu’on attend des agents armés.

33 L’employeur a déclaré que le fonctionnaire n’a offert aucune véritable explication de la façon dont l’incident aurait pu se produire. Il n’a offert aucune preuve laissant entendre qu’il était médicalement incapable d’assumer ses fonctions, de sorte qu’on doit rejeter la possibilité d’un problème médical. L’employeur a également laissé entendre que le fonctionnaire avait tenté de refuser d’assumer la responsabilité de ses actes et qu’il n’avait pas vraiment de remords.

34 L’employeur a déclaré qu’il s’agit en l’espèce de déterminer si la sanction disciplinaire imposée pour une grave infraction aux consignes de sécurité était raisonnable. La preuve montre clairement que l’employeur a sérieusement réfléchi à la sanction qui s’imposait. Il a tenu beaucoup de consultations tant à l’interne qu’à l’externe. Cet incident, le premier depuis le début de l’initiative d’armement, a eu lieu dans un contexte très politisé, et l’employeur tenait à s’assurer que sa réaction était appropriée.

35 Il était raisonnable pour l’employeur de traiter l’incident comme une grave infraction à ses consignes de sécurité. Laisser une arme à feu chargée dans un endroit non protégé présentait un grand risque, même s’il n’y avait guère de risque que le public y ait accès. Il y avait en outre un certain nombre de circonstances aggravantes, dont le fait que le fonctionnaire, un superviseur, était tenu d’assurer la conformité sur cette question même. Par contre, l’employeur a aussi tenu compte de circonstances atténuantes comme la durée du service du fonctionnaire, son dossier disciplinaire vierge et le caractère isolé de sa faute.

36 L’employeur m’a pressé d’adopter l’approche de Green c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-26720, 6 avril 1998 (19980406) et 14 juin 1996 (19960614) et Pike c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 1, qui précisent les facteurs dont on doit tenir compte pour réduire une sanction disciplinaire. L’employeur déclare qu’il a tenu compte de ces facteurs en décidant quelle sanction disciplinaire imposer au fonctionnaire.

37 L’employeur a également fait valoir qu’il doit pouvoir se dire que ses agents armés savent qu’ils sont tenus de remiser leurs armes à feu de façon sécuritaire et de se conformer à cette exigence avec diligence. Les agents remisent leurs armes sans supervision. La dissuasion est donc importante, et l’employeur a cité les décisions suivantes à l’appui de sa position que la dissuasion est un facteur important lorsqu’il s’agit de déterminer la sanction appropriée : City of Regina v. Canadian Union of Public Employees, Local 21 (2008), 176 L.A.C. (4e) 359; Goodyear Canada Inc. v. United Steel, Paper and Forestry, Rubber, Manufacturing, Energy, Allied, Industrial and Service Workers Industrial Union, Local 189L (2008), 168 L.A.C. (4e) 129; Chemtura Canada Co. v. United Steelworkers (Douglas) (2006), 156 L.A.C. (4e) 438; Securicor Canada Ltd. v. General Teamsters Union, Local 362, [2005] C.L.A.D. No. 165 (QL); P.W. Transportation Ltd. v. P.W. Transportation Drivers’ Association (2003), 114 L.A.C. (4e) 289; Harry v. Universal ATM Services Inc., [1997] C.L.A.D. No. 94 (QL).

38 L’employeur déclare que Securicor Canada Ltd. est particulièrement applicable en l’espèce. Dans cette affaire, l’employé s’estimant lésé, un garde de sécurité armé, avait laissé son arme dans une toilette publique, et l’arme n’avait pas été retrouvée. Il avait été congédié parce que garder le contrôle et veiller sur son arme était une exigence fondamentale de son emploi et que sa négligence était une faute trop grave pour être tolérée. Qui plus est, l’employeur avait déclaré qu’une lourde sanction s’imposait comme moyen de dissuasion pour les autres employés. L’arbitre de grief avait reconnu la gravité de la faute et l’importance d’une politique générale de dissuasion, mais il avait ramené la sanction du congédiement à un mois de suspension.

39 En l’occurrence, l’employeur a déclaré que le fonctionnaire n’avait aucune idée de l’endroit où il avait laissé son arme pendant 36 heures et que c’est seulement par hasard qu’on l’avait découverte dans un tiroir qui n’était pas verrouillé. Comme on l’avait noté dans Securicor Canada Ltd., il est important qu’on reconnaisse que le fonctionnaire avait la responsabilité de garder le contrôle de son arme.

40 L’employeur a déclaré que les arbitres de grief ne devraient pas se mêler des sanctions disciplinaires. Il a cité Rolland Inc. v. Canadian Paperworkers Union, Local 310, (1983) 12 L.A.C. (3d) 391 en me pressant d’en déférer à la décision disciplinaire de l’employeur, particulièrement puisque cette affaire-ci établira la norme de traitement des agents armés de l’employeur. L’employeur m’a également renvoyé à Ferrusi et Giornofelice c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada) 2007 CRTFP 1, pour le contexte de l’initiative d’armement de l’ASFC.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

41 Le fonctionnaire fait valoir que 10 jours de suspension pour la première infraction de quelqu’un qui a un dossier exemplaire est excessif. La discipline n’est ni progressive, ni proportionnelle à la gravité de la faute. Le fonctionnaire déclare que la sanction est trop lourde tant objectivement que compte tenu des circonstances atténuantes.

42 Il souligne que l’employeur a franchement admis que la sanction reflétait son intention qu’elle soit dissuasive et donne le ton à l’ASFC dans l’avenir. Le principe important de proportionnalité de la sanction à la faute a été ignoré dans cette tentative d’établir la norme. Les décisions invoquées par l’employeur au sujet de la dissuasion concernent en grande partie de l’inconduite intentionnelle plutôt que de l’inadvertance. Ce sont des affaires de négligence qui ne sont pas comparables à cette affaire-ci et qui ne sont donc pas pertinentes.

43 Le fonctionnaire déclare qu’il est important de décrire équitablement les faits en l’espèce. L’employeur a déclaré qu’il n’avait pas de remords, mais cela contredit l’exposé conjoint des faits, qui cite le fonctionnaire reconnaissant avoir fait une grosse erreur (pièce E-1, onglet 1, paragraphe 15). Il n’est pas nécessaire de trancher des questions de crédibilité, dans la mesure où il s’en pose, parce qu’elles ne sont pas pertinentes pour décider si la sanction disciplinaire imposée était raisonnable. Les faits sont clairs. Le jour de l’incident, le fonctionnaire a fait une erreur de jugement ponctuelle en ne remisant pas correctement son arme. C’était une erreur par inadvertance plutôt qu’une inconduite intentionnelle. L’explication que l’employeur prétend ne pas s’être fait donner était en fait une indisposition ou de l’épuisement. Toutefois, le fonctionnaire n’a pas invoqué ce fait comme une excuse pour se soustraire à la discipline.

44 Le fonctionnaire a déclaré que la façon de l’employeur de décrire les enjeux a changé, puisque la discussion n’a pas toujours fait état du risque de danger et de la participation du public. L’essentiel de la thèse de l’employeur, telle qu’il l’a présentée à l’audience, était focalisé sur l’incident en tant que manquement aux consignes de sécurité, alors qu’il décrivait initialement la faute du fonctionnaire comme une violation du protocole et de la politique de remisage sécuritaire.

45 Le fonctionnaire soutient qu’en tentant de composer avec la première infraction à sa politique sur les armes à feu, l’insistance que l’employeur accorde à la dissuasion fait abstraction du fait que sa politique disciplinaire stipule que la discipline doit être corrective et non punitive. L’employeur a accordé trop peu d’importance aux faits atténuants que le fonctionnaire était un employé consciencieux et dévoué, qu’il s’agissait d’un événement isolé et que le fonctionnaire avait immédiatement dit regretter sa faute. Le fonctionnaire a appris de son erreur et n’est pas susceptible de la répéter. Il a fait valoir que l’objet de tout régime disciplinaire est correctif, et que cet objet serait mieux servi en l’occurrence par une sanction plus légère que celle qui a été imposée.

46 Le fonctionnaire soutient qu’il est possible de réduire la sanction disciplinaire et de remédier aux conséquences administratives de la suspension sans faire courir de risque à l’ASFC. Suffisamment de temps a passé, et l’agitation politique qui entourait l’initiative d’armement s’est calmée. Selon lui, on ne peut pas légitimement prétendre que l’ASFC soit unique et qu’elle ait des intérêts à long terme à protéger qui lui permettent de dévier de la pratique générale de la discipline progressive.

47 Le fonctionnaire insiste également sur le fait que très peu de décisions citées dans la jurisprudence sont directement liées à la présente affaire. Les décisions les plus directement comparables concernent la Gendarmerie royale du Canada (GRC), et bien que la GRC soit assujettie à une loi différente et à des règles complexes, elle n’en a pas moins une procédure de règlement des griefs. Même si l’on tient compte des différences dans les faits des affaires concernant la GRC, il vaut la peine d’examiner de quelle façon elle traite les questions d’armement, particulièrement compte tenu de sa participation à l’initiative d’armement de l’ASFC. Le fonctionnaire a cité les quatre affaires suivantes non rapportées et dépersonnalisées de la GRC dans lesquelles la sanction pour le remisage non sécuritaire d’une arme de service était la perte de deux ou trois jours de traitement avec une réprimande : The Appropriate Officer “C” Division v. (redacted), le 25 mars 2003; The Appropriate Officer “A” Division v. (redacted), le 5 juillet 2002; The Appropriate Officer “O” Division v. (redacted), le 14 avril 2003; The Appropriate Officer “A” Division v. (redacted), le 18 avril 2000.

48 Le fonctionnaire a également cité Duquette c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada) dossier de la CRTFP 166-02-15202 (19870713), qui portait sur une suspension de cinq jours imposée pour avoir déchargé imprudemment une arme à feu dans le contexte d’une tentative d’évasion de prison; Haydon c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2002 CRTFP 10, qui concernait une suspension de dix jours ramenée à cinq jours pour avoir publiquement critiqué l’employeur en lui causant beaucoup d’embarras; Babineau c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2004 CRTFP 145, qui portait sur une réprimande et sur la perte d’une journée de traitement, ce que l’arbitre de grief avait considéré comme une double incrimination.

49 Le fonctionnaire a fait enfin valoir que la sanction disciplinaire imposée en l’espèce était draconienne. Non seulement on lui a imposé 10 jours de suspension, mais la réaffectation qui en a résulté lui a fait perdre 16 jours de traitement à cause des primes, du taux des jours fériés désignés et des heures de travail qu’il a perdues. C’est bien plus qu’une sanction raisonnable. Dans le cas où je décidais que la sanction est excessive, le fonctionnaire a demandé que je laisse les parties déterminer quelles seraient les autres conséquences.

C. Réplique de l’employeur

50 L’employeur allègue que le remords du fonctionnaire n’est pas sincère et qu’il admet qu’il aurait dit presque n’importe quoi. Ses déclarations doivent être interprétées en en tenant compte.

51 L’employeur déclare que la sanction disciplinaire avait pour objet non seulement d’envoyer un message, mais aussi de sanctionner et de corriger un comportement.

52 L’employeur fait également valoir que les conséquences administratives de la suspension découlaient de l’enquête. Il n’y a pas de double incrimination. La réaffectation était purement administrative et résultait de la confiscation de l’arme à feu du fonctionnaire.

53 Quant à la jurisprudence citée par le fonctionnaire, l’employeur fait remarquer que les affaires concernant la GRC s’étaient déroulées dans un environnement différent, qui ne se compare pas à celui de l’ASFC. La plupart des sanctions imposées résultaient d’observations conjointes, et dans certains des cas de la GRC, on avait porté des accusations pénales qui auraient pu influer sur la sévérité des sanctions disciplinaires, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

IV. Motifs

54 Les faits ne sont pas contestés. Le fonctionnaire reconnaît avoir quitté son lieu de travail le 22 décembre 2008 sans avoir remisé de façon sécuritaire son arme et son équipement de protection. Il a écopé d’une suspension de 10 jours (75 heures) pour sa faute. De plus, l’employeur lui a retiré le droit d’être équipé d’une arme à feu et l’a réaffecté à compter du 24 décembre 2008 dans un poste administratif ou non opérationnel en attendant les résultats de son enquête. Par conséquent, l’horaire de travail du fonctionnaire a changé et est devenu non opérationnel, à raison de 7,5 heures par jour, du lundi au vendredi. Ce changement signifie qu’il a perdu plusieurs primes pour du travail lors des jours fériés et d’autres primes de quart. Il a également dû suivre le Programme de recertification de l’ASFC pour qu’on l’autorise de nouveau à être équipé d’une arme à feu.

55 Le fonctionnaire ne conteste pas qu’une sanction disciplinaire était justifiée, mais il estime que la sanction qui lui a été imposée était trop lourde. Il déclare que l’employeur n’a pas accordé suffisamment d’importance aux faits qu’il s’agissait d’un incident isolé dans une carrière sans tache, ou qu’il avait immédiatement dit regretter sa faute. Il estime qu’en tentant d’établir une norme pour les futurs cas de ce genre, l’employeur est allé bien au-delà d’une sanction raisonnable. Le redressement réclamé dans son grief consiste notamment à demander que la suspension soit ramenée à cinq jours, ce qui m’incite à croire que le fonctionnaire est d’avis qu’une suspension de cinq jours serait raisonnable.

56 Pour justifier la sanction qu’il a imposée, l’employeur a soutenu que le remords du fonctionnaire n’est pas sincère. Je ne suis pas d’accord. Le fonctionnaire a immédiatement admis sa responsabilité, et cette admission est partiellement incluse dans l’exposé conjoint des faits (pièce E-1, onglet 1, paragraphe 15). Deux des témoins de l’employeur, MM. Berardi et Strasser, ont déclaré que le fonctionnaire regrettait son geste et qu’ils en avaient tenu compte pour déterminer la sanction disciplinaire à imposer. Compte tenu de ces témoignages, je ne crois pas que l’employeur ait eu raison de mettre en doute la sincérité du remords du fonctionnaire à l’audience.

57 De même, j’estime que le fonctionnaire était effectivement indisposé le jour de l’incident. On a accepté à ce moment-là qu’il quitte son travail avant la fin de la journée parce qu’il se sentait mal. L’exposé conjoint des faits le mentionne (pièce E-1, onglet 1, paragraphe 10), et tant M. Berardi que M. Strasser l’ont accepté dans leurs témoignages. M. Strasser a même témoigné qu’il avait tenu compte de l’indisposition du fonctionnaire lorsqu’il a décidé de l’importance de la sanction qui devait lui être imposée. Il convient également de noter que le fonctionnaire n’a pas invoqué son état de santé pour excuser ni pour expliquer sa faute. Compte tenu de ce fait, l’argument de l’employeur que le fonctionnaire n’avait présenté aucune explication ni aucune preuve m’apparaît pour le moins étonnant, voire inutile.

58 Afin de déterminer la sanction appropriée en l’espèce, la preuve a clairement montré que l’employeur a tenu compte du dossier disciplinaire jusque-là vierge du fonctionnaire, de ses bonnes évaluations de rendement, de ses longs états de service, de ses remords et du fait qu’il était rentré chez lui malade le jour de l’incident. Les circonstances aggravantes étaient la gravité de sa faute et son rôle de superviseur, son poste de confiance où il dirigeait d’autres agents armés. À cela s’ajoutaient le risque de compromettre les relations de l’Agence avec d’autres organismes d’application de la loi et le risque que le public s’intéresse à la situation. Dans son argumentation, l’employeur a souligné que la faute du fonctionnaire constituait une grave infraction aux consignes de sécurité qui appelait une sanction sévère et il a insisté sur la nécessité d’une mesure de dissuasion.

59 Il s’agissait de la première infraction de ce genre pour l’employeur, qui n’avait aucun précédent pour déterminer l’importance de la sanction à imposer. Je suis convaincue qu’il a vraiment tenté de faire de son mieux. M. Berardi a témoigné que l’employeur avait consulté la GRC et la NRPS. S’il faut en croire un courriel déposé en preuve (pièce E-2) de Neil Mooney, un agent de sécurité des armes à feu de l’ASFC, une suspension de 12 à 20 heures de traitement est normale pour un agent de la NRPS, alors qu’un superviseur ou un sergent pourrait s’attendre à quelque chose de l’ordre d’une rétrogradation pour une période d’un an ou de la perte d’une rémunération au rendement de 3 % à 9 %. L’employeur n’a offert aucune preuve de ce que la sanction habituelle pour une telle infraction serait à la GRC, mais les décisions non rapportées et non identifiables citées par le fonctionnaire laissent entendre que les gendarmes accusés d’infractions analogues écopaient d’une perte de deux à trois jours de traitement et d’une réprimande.

60 Il est impossible de faire des comparaisons directes entre l’ASFC et la NRPS ou la GRC. Les grades (ou les rangs) et les rôles de supervision ne sont pas nécessairement les mêmes, et l’information qu’on m’a présentée n’était pas très généreuse quant au contexte. Le seul aspect qui semble à peu près uniforme, c’est que la sanction de base pour un agent qui ne remise pas une arme de service de façon sécuritaire équivaut à peu près à une suspension de deux ou trois jours.

61 J’estime que la suspension de 10 jours imposée par l’employeur était trop lourde. L’erreur du fonctionnaire était un cas de négligence isolé plutôt que d’inconduite intentionnelle dans une carrière autrement sans tache. J’accepte, comme l’employeur l’a accepté, que le fonctionnaire a du remords. Je crois également que le fait que le fonctionnaire était indisposé situe sa faute dans un certain contexte, sans toutefois excuser ce qui s’est passé. Je suis convaincue que la discipline devrait être corrective et progressive, et je ne crois pas qu’une suspension de 10 jours soit corrective ni progressive dans les circonstances. Même compte tenu du rôle de superviseur du fonctionnaire, ce qui est un facteur légitime à mon avis, la sanction me paraît trop lourde.

62 Je pense que le fonctionnaire a eu raison en proposant une suspension de cinq jours pour n’avoir pas remisé correctement son arme de service. Une suspension de cinq jours est une sanction sévère pour une première faute, mais elle reconnaît la gravité de la faute et reconnaît également le rôle de supervision du fonctionnaire. J’estime que c’est une sanction suffisamment lourde pour satisfaire à l’exigence de dissuasion de l’employeur. Par conséquent, je ramène la sanction à une suspension de cinq jours.

63 Cela ne règle toutefois pas les autres questions soulevées par le fonctionnaire, qui s’est plaint d’avoir été financièrement pénalisé par suite de sa réaffectation à des tâches administratives parce qu’il a perdu des primes de travail des jours fériés désignés et des primes de quart, de la paie pour des jours fériés et des crédits de congé de maladie et de congé annuel. Il s’est plaint que son horaire de travail avait changé par suite de la dissolution de l’équipe ICA et il demande que toutes ces conséquences de sa réaffectation soient renversées.

64 MM. Berardi et Strasser ont tous deux témoigné que l’arme de service du fonctionnaire avait été confisquée immédiatement après qu’on eut découvert qu’il ne l’avait pas remisée correctement. Ils ont déclaré que le fonctionnaire ne pouvait plus être affecté à des tâches opérationnelles après s’être fait retirer son arme. Par conséquent, il a été réaffecté à des tâches administratives dans un poste non opérationnel dont l’horaire de travail était de 7,5 heures par jour du lundi au vendredi. Les quarts des jours de congé que le fonctionnaire était censé travailler étaient le samedi et le dimanche. Il n’avait plus droit à des primes de quart ni à des primes pour le travail effectué des jours fériés désignés parce qu’il ne travaillait plus par quarts pendant sa réaffectation.

65 Toutes les conséquences mentionnées par le fonctionnaire dans son grief résultaient de sa mutation temporaire dans un poste non opérationnel parce qu’il n’était plus qualifié pour effectuer des tâches opérationnelles. Ce n’était pas une sanction disciplinaire, mais une décision administrative résultant inévitablement de sa réaffectation. Par conséquent, la demande du fonctionnaire qu’on lui rembourse ses primes de quart, ses primes pour travailler des jours fériés et ses heures perdues doit être rejetée.

66 Le fonctionnaire s’est également plaint que sa suspension l’a empêché d’accumuler suffisamment d’heures de travail en janvier 2009 pour gagner des crédits de congé annuel ou de congé de maladie. La réduction du nombre de jours de suspension devrait entraîner un nouveau calcul de ses heures de travail en janvier, afin qu’on puisse déterminer s’il aurait travaillé suffisamment d’heures ce mois-là pour gagner ses crédits de congé annuel et de congé de maladie.

67 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

68 Le grief est accueilli en partie. La suspension de dix jours est ramenée à cinq jours, et j’ordonne qu’on rembourse au fonctionnaire cinq jours de traitement perdu. Les heures de travail du fonctionnaire pour le mois de janvier 2009 doivent être recalculées en fonction de la réduction de sa suspension afin de déterminer s’il aurait travaillé suffisamment d’heures pour gagner des crédits de congé annuel et de congé de maladie ce mois-là.

69 Tous les autres éléments du grief sont rejetés.

Le 24 mars 2011

Traduction de la CRTFP

Kate Rogers,
arbitre de grief

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