Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé avait deux quarts consécutifs prévus à son horaire - la convention collective prévoyait que l’employeur devait fournir tous les efforts raisonnables possibles pour que l’employé bénéficie d’au moins huitheures de repos entre deuxquarts - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’avait pas fourni tous les efforts raisonnables possibles - l’arbitre de grief a décidé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait le droit d’être rémunéré au tarif des heures supplémentaires pour les heures additionnelles qu’il avait effectuées après son premier quart. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-03-28
  • Dossier:  566-02-1565
  • Référence:  2011 CRTFP 38

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GREGORY COOPER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Cooper c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Roger Beaulieu, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Michel Bouchard, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
le 17 mars 2010; arguments écrits déposés les 27 avril et 21 juin 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Quand il a déposé son grief, Gregory Cooper, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était agent correctionnel CX-02 au Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») à l’Établissement de Fenbrook (l’« Établissement »). Le grief, déposé le 23 juillet 2007, porte sur un changement apporté à son horaire de travail de la semaine du 18 juin 2007, pour lequel il a été payé à son taux normal. Le fonctionnaire a dû travailler 16 heures d’affilée, de 15 h le 23 juin à 7 h le 24 juin 2007. Le redressement réclamé consistait à se faire payer le taux des heures supplémentaires approprié pour les 7,5 dernières heures qu’il avait travaillées à cette occasion.

II. Résumé de la preuve

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

2 Au début de l’audience, le représentant du fonctionnaire a produit trois pièces, les deux premières étant la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur »), dont la date d’expiration est le 31 mai 2010 (la « convention collective ») et le grief, qui se lit comme suit :

[Traduction]

Je conteste le fait d’avoir été enjoint vers le 11 juin 2007 de travailler au moins 16 heures d’affilée le 24 juin 2007.

Je demande qu’on me rembourse les sommes qu’on aurait dû me payer au taux des heures supplémentaires (8 heures).

Je demande à ne pas être forcé à travailler/à ce qu’on ne s’attende pas que je travaille d’autres heures supplémentaires ou à ne pas être contraint d’utiliser d’autres crédits de congé pour composer avec un horaire de travail/hebdomadaire/annuel mal géré par l’employeur par suite de cela.

Je demande que la direction se conforme à la convention collective des CX.

La troisième pièce était un exposé conjoint des faits qui se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

1. M. Gregory Cooper (le fonctionnaire s’estimant lésé) est un employé à temps plein du Service correctionnel du Canada. Il est agent correctionnel II à l’établissement à sécurité moyenne de Fenbrook.

2. Le fonctionnaire s’estimant lésé travaille par quarts. Son horaire de travail est composé de quarts de huit heures et demie (8,5) et de neuf (9) heures.

3. Le fonctionnaire s’estimant lésé devait initialement travailler les quarts du soir (de 14 h 30 à 23 h) durant la semaine du 18 juin 2007.

4. L’Employeur a changé le quart du soir du 24 juin 2007 du fonctionnaire s’estimant lésé pour un quart du matin (de 22 h 45 à 7 h 15).

5. L’Employeur a donné au fonctionnaire s’estimant lésé un préavis de plus de quarante-huit (48) heures du changement de quart requis.

6. Par suite de ce changement, le fonctionnaire s’estimant lésé a dû travailler seize (16) heures d’affilée, de 15 h le 23 juin 2007 à 7 h le 24 juin 2007.

7. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été payé à taux simple le 23 juin et le 24 juin 2007.

3 Le représentant du fonctionnaire n’a fait comparaître aucun témoin.

B. Pour l’employeur

4 L’avocate de l’employeur a fait comparaître un témoin, Leonard Page, un gestionnaire d’expérience ayant de longs états de service qui était chargé de l’établissement des horaires et du déploiement et responsable des horaires de tous les agents correctionnels à tous les niveaux de l’Établissement. L’employeur a également produit trois pièces.

5 Au moment du grief en 2007, il y avait environ 50 agents correctionnels CX-02 et de 80 à 98 agents correctionnels CX-01 à l’Établissement.

6 M. Page a confirmé que le fonctionnaire travaillait par quarts et qu’il travaillait au moment du grief sept jours consécutifs avec trois jours de congé (« 7-3 ») ou sept jours consécutifs avec quatre jours de congé (« 7-4 »).

7 M. Page a déclaré que les nécessités du service ne lui avaient pas laissé le choix : il avait dû changer l’horaire de travail du fonctionnaire les 23 et 24 juin 2007. Il a toutefois déclaré qu’un changement comme celui qu’il avait dû apporter à l’horaire du fonctionnaire ces deux jours-là était très rare. Selon lui, un tel changement d’horaire n’était arrivé que deux fois à l’Établissement au cours des cinq dernières années (de 2005 à 2010).

8 En contre-interrogatoire, M. Page a déclaré qu’il n’avait pas eu d’autre alternative que de changer l’horaire du fonctionnaire comme il l’avait fait. De plus, il a déclaré qu’il avait pris sa décision le 7 mai 2007 (pièce E-3).

9 L’audience a été ajournée à la demande des parties le 17 mars 2010, après que M. Page eut déclaré en contre-interrogatoire qu’une entente conclue avec le vice-président local de l’agent négociateur, Stuart Mungham, interdit à l’employeur de fixer des heures supplémentaires à l’avance. Comme l’employeur n’avait pas pu trouver cette entente pour la produire à l’audience, il avait dû demander un ajournement.

10 Ce document a été produit ultérieurement. Il s’agissait d’une série de courriels dans lesquels M. Mungham et Bernie Blimkie, le directeur adjoint par intérim de l’Établissement, limitent l’application de l’entente aux conditions normales. M. Mungham avait écrit que [traduction] « [c]ette politique s’applique dans des conditions normales, et les cas d’urgence dont il faut s’occuper plus tôt ne peuvent manifestement pas être visés par ceci ».

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

11 Le représentant du fonctionnaire m’a demandé de tenir compte des deux questions suivantes : 1) Était-il approprié que l’employeur fixe à l’horaire deux quarts consécutifs les 23 et 24 juin 2007 au fonctionnaire? 2) Le fonctionnaire a-t-il touché le taux de rémunération approprié pour le second quart, le 24 juin 2007?

12 Le fonctionnaire a déclaré qu’on lui a incorrectement fixé 16 heures d’affilée de travail et qu’il n’avait pas été correctement payé pour les 7,5 dernières heures.

13 Le changement de quart a fait en sorte que le fonctionnaire a travaillé deux quarts consécutifs de 15 h le 23 juin à 7 h le 24 juin 2007. Le fonctionnaire soutient que l’employeur a violé les clauses 21.02a)(ii) et b)(i) de la convention collective, qui se lisent comme suit :

21.02 Lorsque les heures de travail des employé-e-s sont établies suivant un horaire irrégulier ou par roulement :

a) elles doivent être établies de façon à ce que les employé-e-s :

[…]

(ii) travaillent huit virgule cinq (8,5) heures par jour.

b) l’Employeur prendra toutes les mesures raisonnables possibles :

(i) pour ne pas fixer le début du quart de travail dans les huit (8) heures qui suivent la fin du quart de travail précédent de l’employé-e […]

14 La clause 21.02 de la convention collective s’applique dans cette situation, puisque le fonctionnaire travaille par quarts. Le représentant du fonctionnaire a déclaré que la première question qu’il faut se poser est la suivante : l’employeur a-t-il pris toutes les mesures raisonnables possibles pour ne pas fixer le début du quart de travail suivant du fonctionnaire dans les huit heures suivant la fin de son quart de travail précédent? Selon le représentant du fonctionnaire, la preuve non contestée est que l’employeur a fixé à l’horaire deux quarts d’affilée au fonctionnaire. La question de savoir si l’employeur a pris toutes les mesures raisonnables possibles pour que le fonctionnaire puisse prendre huit heures de repos entre ses quarts reste entière. La preuve a révélé que M. Page était incapable d’affecter un autre employé ayant un horaire de travail régulier au quart commençant à 23 h le 23 juin 2007 et se terminant à 7 h le lendemain. Il s’ensuit, entre autres options, que l’employeur aurait pu offrir ce quart en temps supplémentaire à des employés qui se seraient portés volontaires.

15 Le représentant du fonctionnaire a déclaré qu’on aurait raisonnablement dû penser à résoudre un problème comme celui-là plus tôt qu’une heure et demie avant le début du quart de minuit en question. Par conséquent, c’était précisément le genre de situation que les auteurs de l’échange de courriels avaient tenté d’exclure de leur entente.

16 Subsidiairement, l’employeur aurait pu tenter de trouver quelqu’un dans une liste de volontaires pour lui offrir le quart juste avant qu’il commence. Quoi qu’il en soit, ni M. Mungham, ni M. Blimkie n’étaient autorisés à modifier les dispositions de la convention collective.

17 Si l’entente locale a mené à une violation de la clause 21.02b)(i) de la convention collective, ce sont ses dispositions qui doivent prévaloir. Dans Babb et al. c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2000 CRTFP 54, au paragr. 129, on a déclaré ce qui suit dans un contexte analogue :

[129] Le dernier grief concerne une allégation de violation de la clause NU-8.19. Cette clause est claire et exécutoire : « l’employé ne doit pas être appelé à travailler plus de cinquante-deux heures et demie (52 1/2) sans avoir au moins deux (2) jours de repos consécutifs. » Aucun élément de preuve n’a démontré que, en raison des exigences du service, les fonctionnaires devaient travailler sept jours consécutifs. Au contraire, l’employeur a convenu que n’importe quel horaire composé de postes de 8 heures serait acceptable. La clause NU-8.19 ne l’autorise pas à se soustraire à l’interdiction d’obliger les fonctionnaires à travailler plus de 52,5 heures sans avoir au moins deux jours de repos consécutifs. Il faudrait que la convention collective précise qu’un représentant à l’échelon local peut renoncer à l’application de telles dispositions obligatoires de la convention collective.

[Je souligne]

18 Enfin, le représentant du fonctionnaire a insisté sur le fait que M. Page avait témoigné qu’il est rare que deux quarts consécutifs soient prévus à l’horaire d’un fonctionnaire. M. Page a dit que c’était arrivé deux fois à l’Établissement entre 2005 et 2010.

19 Pour conclure, en ce qui concerne la [traduction]« clause voulant que l’employeur prenne toutes les mesures raisonnables possibles », le représentant de l’agent négociateur soutient qu’il aurait été raisonnable que l’employeur tienne des consultations avec les représentants locaux de l’agent négociateur s’il voulait obtenir une dérogation occasionnelle à l’entente locale existante. Rien n’indique toutefois que l’employeur a tenté de parler de la situation avec l’agent négociateur.

20 Pour toutes ces raisons, le fonctionnaire maintient que l’employeur n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour lui accorder une pause de huit heures entre ses quarts.

21 La seconde question soulevée par l’agent négociateur était la suivante : quel était le taux de rémunération approprié pour le fonctionnaire de 23 h 30 le 23 juin 2007 à 7 h le 24 juin 2007?

22 Le représentant du fonctionnaire a analysé les clauses suivantes de la convention collective :

[…]

2.01 q) « heures supplémentaires » (overtime) désigne :

(i) dans le cas d’un-e employé-e à temps plein, les heures de travail qu’il est autorisé à effectuer en sus de son horaire normal de travail;

[…]

21.09 Lorsque le cadre prévu à l’horaire d’un-e employé-e ne commence ni ne finit le même jour, ce quart est réputé, à toutes fins utiles, avoir été entièrement effectué :

a) le jour où il a commencé lorsqu’au moins la moitié (1/2) ou plus des heures de travail effectuées se situe ce jour-là,

[…]

21.12 Rémunération du travail supplémentaire

L’employé-e a droit à une rémunération à temps et demi (1 1/2) sous réserve du paragraphe 21.13 pour chaque heure supplémentaire de travail supplémentaire exécutée par lui.

[…]

[Je souligne]

23 Enfin, le représentant du fonctionnaire a déclaré qu’il a le droit d’être rémunéré à temps et demi pour chaque heure de travail supplémentaire qu’il a travaillée. Il a été payé à taux simple pour toutes les heures qu’il a travaillées, de sorte qu’il a droit à la différence pour les 7,5 dernières heures qu’il a travaillées le jour en question.

24 Le représentant du fonctionnaire a conclu que l’employeur avait violé la clause 21.02b)(i) de la convention collective en faisant travailler le fonctionnaire deux quarts d’affilée le 23 et le 24 juin 2007 et que le fonctionnaire devrait être dédommagé en conséquence, conformément à la convention collective.

B. Pour l’employeur

25 L’employeur affirme qu’il n’a pas violé la convention collective parce que les parties s’étaient entendues pour que l’employeur puisse faire le genre de changement de quart qui est contesté en l’espèce. Les parties s’étaient également entendues dans la convention collective pour que l’employé reçoive un préavis de 48 heures avant un changement de quart quelconque, à défaut de quoi l’employeur subit une pénalité en devant rémunérer l’employé à temps et demi pour le premier quart complet travaillé. En l’occurrence, le fonctionnaire avait reçu le préavis de 48 heures, de sorte qu’il n’avait pas droit à une rémunération à taux majoré.

26 L’avocate de l’employeur a soutenu que les dispositions pertinentes de la convention collective sont les clauses 21.02 et 21.03d). M. Page a expliqué que l’employeur a recours à des agents substituts pour remplacer les employés absents. Au moment en question, le fonctionnaire travaillait précisément comme agent substitut. Qui plus est, M. Page a déclaré que le fonctionnaire préférait travailler le quart du soir et n’aimait pas travailler le quart du matin. Il a également confirmé que les substitutions de quarts sont fréquentes à l’Établissement, mais qu’elles résultent rarement en un quart de 16 heures. Entre 2005 et 2010, il n’avait connaissance que de deux incidents où une substitution de quart avait abouti à un quart de 16 heures. Enfin, M. Page a témoigné qu’il existait [traduction] « une entente avec les représentants locaux du syndicat interdisant aux gestionnaires correctionnels d’autoriser des heures supplémentaires avant le compte du quart ». Il a dit qu’il pensait que cette entente locale aurait pu être par écrit.

27 L’entente locale en question était mentionnée dans un échange de courriels qui a commencé lorsque Steve Callaghan a envoyé le 7 décembre 2005 à Carol Litster un courriel qui se lit comme suit :

[Traduction]

Bonjour Carol, j’ai une question et j’espère que vous pourrez y répondre. Le S/C Ferguson et moi parlions du processus d’attribution des heures supplémentaires. Y avait-il quelque chose par écrit sur la fenêtre pendant laquelle les CX devaient inscrire leur nom sur la feuille de signature avant les quarts. La règle non écrite est environ 1,5 h avant son quart. Je me demandais si on avait établi quelque chose avec M. Provan. Tout ce que vous avez sera utile, merci. Je vais demander au Syndicat son information sur le contexte dans cette situation également.

[…]

Ensuite, M. Blimkie a répondu à M. Callaghan le 8 décembre 2005 :

[Traduction]

Je ne pense pas qu’il y ait jamais eu une règle établie. Il est certain que rien n’empêche un CX d’inscrire son nom même à la dernière minute, mais on aurait probablement déjà attribué le TS à quelqu’un d’autre s’il était disponible.

Je ne suis pas au courant de la règle non écrite de 1,5 h que vous mentionnez.

Si vous parlez de 1,5 h avant le quart au cours duquel on a besoin de TS, je penserais que le T/S serait attribué avant ça, particulièrement dans le cas d’un quart de minuit, pour donner au personnel à la maison le plus long préavis possible et peut-être la chance de prendre un peu de sommeil au besoin.

Je pense que les SC ne commenceraient normalement pas à attribuer le TS pour le prochain quart, au moins jusqu’à ce que le personnel du quart d’avant arrive, pour lui donner la possibilité d’inscrire son nom.

Len, veuillez faire des commentaires si vous avez d’autres renseignements.

Ryan/Stuart, c’est quelque chose dont nous voulons parler et relier à une fenêtre précise.

M. Mungham a répondu ce qui suit à M. Blimkie, à M. Callaghan et à Ryan Dewey le 15 décembre 2005 :

[Traduction]

Si cela vous semble acceptable, nous pouvons accepter que le S/C responsable attribue le T/S une fois que le premier compte de chaque quart est fait. Cela devrait donner à tous les intéressés le temps de signer et de faire le prochain quart. Les gens qui signent après que le compte est fait devraient encore passer dans l’ordre d’attribution en vertu des lignes directrices en vigueur, sans toutefois supplanter ceux auxquels on a déjà attribué le TS. Cette politique s’applique dans des conditions normales, et les cas d’urgence dont il faut s’occuper plus tôt ne peuvent manifestement pas être visés par ceci.

[Je souligne]

Et la série de courriels se termine avec ce courriel-ci de M. Blimkie, en réponse à M. Mungham, M. Callaghan, M. Dewey et Scott Tempest :

[Traduction]

D’après ce que j’ai réussi à déterminer, cela ressemble assez à ce qui se passe habituellement en l’absence de toute politique à ce sujet.

Alors, entendons-nous pour agir dans cette fenêtre comme politique. Dans des conditions normales, nous ne commencerons à attribuer du T/S avant d’avoir terminé le premier compte après le début de chaque quart.

28 Dans les remarques d’ouverture des arguments écrits de l’employeur, son avocate a répété les deux questions soulevées par l’agent négociateur : 1) Était-il approprié pour l’employeur de fixer deux quarts consécutifs pour le fonctionnaire? 2) Quel est le taux de rémunération approprié pour le second quart quand un employé travaille deux quarts d’affilée?

29 L’avocate de l’employeur a déclaré que la véritable question consiste toutefois à savoir si l’employeur a violé l’article 21 de la convention collective quand il s’est prévalu de son droit de changer l’horaire de quarts du fonctionnaire le 24 juin 2007. En d’autres termes, l’employeur a-t-il violé la clause 21.02 en ne « prenant [pas] toutes les mesures raisonnables possibles » pour ne pas fixer le début du second quart de travail du fonctionnaire dans les huit heures suivant la fin de son quart de travail précédent?

30 L’avocate de l’employeur a fait valoir que le fonctionnaire n’avait pas démontré l’existence d’une violation de la convention collective et que le grief devrait donc être rejeté.

31 La clause 21.03d) de la convention collective oblige l’employeur à donner un préavis de 48 heures d’un changement de quart, faute de quoi l’employé est compensé à temps et demi pour le premier quart de travail complet travaillé dans le cadre du nouvel horaire. L’employeur a donné le préavis requis et n’a donc pas violé la clause 21.03d).

32 L’employeur fait également valoir que la convention collective reconnaît le droit de la direction d’établir des horaires de travail réguliers et d’apporter des changements à ces horaires à condition que ces changements respectent les dispositions de la convention collective. La clause 21.03 reflète directement cette condition en imposant une pénalité financière à l’employeur en cas de non-conformité.

33 L’avocate de l’employeur a poursuivi en posant la question suivante [traduction] : « Quelle(s) mesure(s) l’employeur a-t-il prises pour éviter le changement de quart, et ces mesures étaient-elles raisonnables? » L’employeur a répondu que le facteur du temps supplémentaire n’est pas un critère approprié pour déterminer le caractère raisonnable de ses actions, en me renvoyant à Morhart c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 36, où l’arbitre de grief a jugé que le caractère raisonnable d’une action de l’employeur en ce qui concerne l’établissement de l’horaire de travail doit être déterminé dans le contexte de ses opérations.

34 L’avocate de l’employeur a soutenu que la conduite de l’employeur était raisonnable et que le témoignage de M. Page étaye cette conclusion.

35 L’avocate de l’employeur a soutenu également que le fonctionnaire avait été informé du changement de quart le 7 mai 2007 et du fait que s’il avait des inquiétudes, il devrait communiquer avec le superviseur correctionnel responsable. Or, il n’a ni déclaré, ni communiqué la moindre inquiétude. En outre, l’employeur fait valoir que le fonctionnaire aurait pu parler du changement de quart avec M. Page après avoir reçu le préavis du 7 mai, mais qu’il ne l’a jamais informé de la moindre inquiétude.

36 Quant à l’idée qu’il aurait pu avoir recours à des heures supplémentaires, l’employeur déclare que cela aurait été contraire aux dispositions de la convention collective, qui prévoit clairement le type de changement de quart dont il s’est servi aussi bien que les heures supplémentaires.

37 Pour ce qui est de la série de courriels relatifs à l’entente interdisant à l’employeur de prévoir des heures supplémentaires à l’avance (voir l’Annexe A), l’employeur déclare dans ses arguments que l’entente locale sur les heures supplémentaires n’est pas pertinente en l’espèce.

38 Enfin, sur la question de la rémunération appropriée, l’employeur souligne les clauses 21.02 et 21.03 de la convention collective en affirmant que le fonctionnaire a touché la rémunération appropriée parce qu’il avait reçu un préavis de plus de 48 heures de son changement de quart.

39 L’employeur me demande de rejeter le grief.

IV. Motifs

40 J’accueille le grief pour les motifs suivants.

41 La question fondamentale en litige dans le présent cas consiste à savoir si l’employeur a violé la clause 21.02b)(i) de la convention collective, qui se lit comme suit :

b) l’Employeur prendra toutes les mesures raisonnables possibles :

(i) pour ne pas fixer le début du quart de travail dans les huit (8) heures qui suivent la fin du quart de travail précédent de l’employé-e […]

L’employeur maintient dans ses arguments écrits que le fonctionnaire n’a pas établi l’existence d’une violation de la convention collective et que son grief devrait par conséquent être rejeté. En outre, l’employeur se fonde dans ses arguments écrits sur la clause 21.03d) et sur le fait qu’il avait donné un préavis de 48 heures d’un changement de l’horaire du fonctionnaire pour éviter de violer la convention collective :

21.03

[…]

d) Un-e employé-e dont le quart de travail normalement prévu est modifié, tel que prévu à l’article 21.02b)(ii), sans un avis préalable de quarante-huit (48) heures est compensé à temps et demi (1 1/2) pour le premier (1er) quart de travail complet travaillé dans le cadre du nouvel horaire. Les quarts de travail ultérieurs dans le cadre du nouvel horaire doivent être rémunérés en temps normal.

42 Un examen attentif de la clause 21.03d) de la convention collective révèle clairement qu’elle ne s’applique qu’à la clause 21.02b)(ii), laquelle se lit comme suit :

21.02 b) l’Employeur prendra toutes les mesures raisonnables possibles :

[…]

(ii) pour veiller à ce qu’un-e employé-e affecté à un cycle de quarts réguliers, ne doive pas changer de quart plus d’une fois au cours de ce cycle de quarts sans son consentement, sauf en situation d’urgence survenant dans un pénitencier. Un changement de quart suivi du retour au quart d’origine ne constitue qu’un seul changement.

Quart veut dire heures de travail régulières de l’employé-e portées à l’horaire conformément à l’article 21.03a) et non le poste de travail auquel l’employé-e est affecté.

43 Se fonder sur la clause 21.03d) de la convention collective n’exempte pas l’employeur de ses responsabilités aux termes de la clause 21.02b)(i). Au contraire, l’employeur se doit non seulement d’envoyer à l’employé un préavis approprié d’un changement de quart, mais également de prendre « toutes les mesures raisonnables possibles » pour ne pas fixer le début de son quart de travail dans les huit heures qui suivent la fin de son quart de travail précédent. Cette responsabilité et cette obligation de l’employeur en vertu de la clause 21.02b)(i) commençaient en l’espèce le 7 mai 2007, quand le préavis a été envoyé, et perduraient jusqu’au 23 juin 2007, soit pendant 47 jours. Pour le fonctionnaire, cela signifiait que l’employeur avait l’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables possibles pendant 47 jours pour éviter de le faire travailler deux quarts d’affilée sans lui offrir une pause de 8 heures entre ces deux quarts.

44 On ne m’a présenté aucun élément de preuve démontrant que l’employeur ait pris toutes les mesures raisonnables possibles afin d’éviter de fixer deux quarts d’affilée au fonctionnaire entre le moment où il lui a envoyé son préavis de changement de quart daté du 7 mai et les 23 et 24 juin 2007.

45 Ce que j’ai entendu en preuve de l’employeur sur ce point, c’est qu’il n’a entendu ni questions, ni inquiétudes du fonctionnaire après le préavis de M. Page en date du 7 mai 2007. Je dois souligner que l’obligation contractuelle prévue par la clause 21.02b)(i) incombe directement à l’employeur.

46 Peut-être le fonctionnaire n’a-t-il fait aucun effort pour parler à M. Page, mais la preuve non contredite est qu’il s’est conformé au nouvel horaire. Il a travaillé les 23 et 24 juin un total de 16 heures d’affilée, puis a présenté un grief. En d’autres termes, il a fait ce qu’on attendait de lui, après quoi il a déposé son grief (conformément au principe « obéir maintenant et présenter un grief ensuite »).

47 En l’espèce, la responsabilité de l’employeur aux termes de la clause 21.02b)(i) de la convention collective commençait le 7 mai 2007 et durait jusqu’au commencement des deux quarts consécutifs du fonctionnaire, les 23 et 24 juin 2007.

48 L’employeur a déclaré que l’entente locale n’est pas pertinente. Sans analyser le bien-fondé de cette entente locale, je dirais que la série de courriels révèle que l’employeur et la section locale de l’agent négociateur avaient historiquement su se rencontrer et conclure des ententes locales sur les dispositions de la convention collective.

49 À l’audience, je n’ai entendu aucun témoignage indiquant que l’employeur ait tenté de trouver une solution avec les dirigeants locaux de l’agent négociateur. Si cela était arrivé, cela aurait pu être un exemple de mesures raisonnables prises par l’employeur pour trouver une façon d’éviter de fixer un quart de 16 heures.

50 La clause 21.02b)(i) de la convention collective impose à l’employeur l’obligation de prendre « toutes les mesures raisonnables possibles » pour ne pas fixer le début du quart de travail d’un employé dans les huit heures qui suivent la fin de son quart de travail précédent.

51 L’employeur avait l’obligation de prendre « toutes les mesures raisonnables possibles » en vertu de la clause 21.02b)(i) de la convention collective. Mon examen de la version française de cette clause confirme qu’elle va encore un peu plus loin que la version anglaise :

21.02 Lorsque les heures de travail des employé-e-s sont établies suivant un horaire irrégulier ou par roulement :

[…]

b) l'Employeur prendra toutes les mesures raisonnables possibles :

(i) pour ne pas fixer le début du quart de travail dans les huit (8) heures qui suivent la fin du quart de travail précédent de l'employé-e. […]

52 La version française de la clause 21.02b)(i) de la convention collective stipule que l’employeur doit prendre « toutes les mesures raisonnables possibles ».

53 Le représentant de l’agent négociateur a soulevé deux questions, à savoir 1) Est-il approprié pour l’employeur de fixer deux quarts consécutifs? 2) Quel est le taux de rémunération approprié pour le second quart quand un employé a travaillé deux quarts d’affilée?

54 En réponse à ces deux questions du représentant de l’agent négociateur, l’employeur déclare que la véritable question consiste à savoir s’il a violé l’article 21 de la convention collective en se prévalant de son droit de changer l’horaire de quarts du fonctionnaire le 24 juin 2007. En d’autres termes, l’employeur a-t-il violé la clause 21.02 en ne prenant pas « toutes les mesures raisonnables possibles » pour ne pas fixer le début du quart de travail du fonctionnaire dans les huit heures suivant la fin de son quart de travail précédent?

55 L’employeur a le droit de faire des changements de quart de même que d’introduire et de mettre en œuvre les exigences opérationnelles. Ces droits doivent toutefois être toujours exercés conformément aux dispositions de la convention collective.

56 Je conclus que l’employeur a violé la clause 21.02b)(i) de la convention collective. Il aurait pu prendre toutes les mesures raisonnables possibles pour éviter de fixer deux quarts d’affilée pour le fonctionnaire, mais il ne l’a pas fait.

57 La prochaine question à trancher est celle du taux de rémunération approprié pour le second quart. De toute évidence, les 7,5 heures du second quart correspondent à la définition des « heures supplémentaires ». Par conséquent, en vertu de la clause 21.12 de la convention collective, le fonctionnaire a droit à 7,5 heures à temps et demi.

58 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

59 Le grief est accueilli. L’employeur a violé la clause 21.02b)(i) de la convention collective. Le fonctionnaire a droit à 7,5 heures de rémunération d’heures supplémentaires à temps et demi.

Le 28 mars 2011.

Traduction de la CRTFP

Roger Beaulieu,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.