Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé un grief de principe alléguant qu’un employé qui adhère à l’unité de négociation du groupe Vérification, commerce et achat (AV) devrait bénéficier du crédit de congé annuel prévu par la clause 15.18a) de la convention collective même s’il a déjà bénéficié d’un crédit semblable dans une autre unité de négociation - le nouveau libellé de la clause a été présenté dans le cadre des négociations collectives afin d’accorder le droit, une seule fois, à une semaine de congés annuels rémunérés - les parties voulaient que le nouveau libellé remplace celui sur le congé de mariage contenu dans la convention collective précédente - un libellé identique a remplacé également la clause relative au congé de mariage dans trois autres conventions collectives négociées par l’agent négociateur - l’arbitre de grief a conclu que l’agent négociateur ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve en démontrant que, selon la prépondérance des probabilités, l’employeur avait contrevenu à la convention collective - il a conclu que, contrairement à l’argument de l’agent négociateur selon lequel il devait considérer la clause comme une disposition qui s’applique spécifiquement au groupe AV, il existait un lien entre les droits prévus par la convention collective dont il ne pouvait pas faire abstraction - il a conclu que la disposition de la convention collective contenait une ambiguïté latente - l’interprétation de l’employeur concordait davantage avec la structure de la convention collective - il n’était pas raisonnable ni cohérent d’interpréter la clause15.18a) de manière qu’un droit accordé une seule fois se renouvelle de multiples fois - le renvoi à la clause 15.03 dans la clause15.18a) démontre que les parties avaient choisi à dessein de lier l’application de la disposition relative aux congés annuels à une <<période de service>> au sein de la fonction publique en général - l’arbitre de grief a conclu que la clause 14.02 de la convention collective étayait également la notion de période de service au sein de la fonction publique en général. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-04-18
  • Dossier:  569-02-89
  • Référence:  2011 CRTFP 46

Devant un arbitre de grief


ENTRE

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR

employeur

Répertorié
Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour l’agent négociateur:
Sarah Godwin, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 30 mars 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief de principe renvoyé à l'arbitrage

1 Le 2 décembre 2009, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a déposé le grief de principe suivant contre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») en vertu du paragraphe 220(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »), pour le compte du groupe Vérification, commerce et achat (AV) :

[Traduction]

L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada conteste la manière dont l’employeur interprète et applique la clause 15.18 de la convention collective.

[mesure corrective]

Nous demandons à l’employeur de mettre fin immédiatement à la manière dont il interprète à l’heure actuelle la clause 15.18 et de reprendre sa pratique antérieure.

Le droit une seule fois à un congé annuel de cinq jours prévu par la clause 15.18, que l’employeur a pu refuser à un employé au motif qu’il a été muté d’un autre ministère, doit être rétabli immédiatement.

2 La clause 15.18 figure dans la convention collective conclue pour le groupe AV qui expire le 21 juin 2011 (la « convention collective »). Elle est libellée dans les termes suivants :

15.18

a) L’employé-e a droit une seule fois à un crédit de trente-sept virgule cinq (37,5) heures de congé annuel payé le premier (1er) jour du mois suivant l’anniversaire de sa deuxième (2e) année de service, comme le précise le paragraphe 15.03.

b) Dispositions transitoires

Le 22 juin 2007, l’employé-e   ayant plus de deux (2) années de service, comme le précise le paragraphe 15.03, aura droit une seule fois à un crédit de trente-sept virgule cinq (37,5) heures de congé annuel payé.

c) Les crédits de congé annuel prévus aux alinéas 15.18a) et b) ci-dessus sont exclus de l’application du paragraphe 15.07 visant le report et épuisement des congés annuels.

3 L’agent négociateur soutient essentiellement que l’employé qui adhère à l’unité de négociation du groupe AV devrait avoir droit au congé prévu à la clause 15.18a) de la convention collective, sans égard à la question de savoir s’il a obtenu un droit semblable lorsqu’il appartenait à une autre unité de négociation, et à condition qu’il satisfasse aux critères d’admissibilité énoncés dans la convention collective. L’employeur n’est pas d’accord. Lorsqu’il a rejeté le grief de principe le 15 février 2010, il a fait valoir que la disposition confère le droit une seule fois à un congé et que les nouveaux membres du groupe AV qui ont déjà obtenu un droit semblable sous le régime d’une autre convention collective n’obtiennent pas à nouveau le même droit après leur adhésion au groupe AV.

4 L’agent négociateur a renvoyé l’affaire pour arbitrage à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») le 18 mars 2010.

II. Résumé de la preuve

5 Les parties ont déposé l’« Exposé conjoint des faits » suivant ainsi que divers documents à l’appui :

[Traduction]

[…]

  1. La convention collective pertinente dans cette affaire, dont la date d’expiration est fixée au 21 juin 2011, a été conclue le 25 juin 2009 pour le groupe Vérification, commerce et achat (AV) par des représentants de l’IPFPC et du SCT (onglet 1).

  2. À l’issue de négociations collectives, les parties ont adopté un nouveau libellé conférant aux employés le droit une seule fois à un congé annuel payé de trente-sept virgule cinq (37,5) heures. Les parties souhaitaient par ce nouveau libellé de la clause 15.18 remplacer le libellé précédent se rapportant au congé de mariage (clause 17.12d) de la convention collective précédente (la convention collective du groupe AV qui a expiré le 21 juin 2007)) (onglet 2).

  3. Un grief de principe a été déposé le 2 décembre 2009, contestant la manière dont l’employeur interprète et applique la clause 15.18 de la convention collective du groupe AV (onglet 3).

  4. Les positions des parties sont les suivantes :

    A. Agent négociateur

    L’agent négociateur soutient que la clause 15.18 signifie que le droit qui y est prévu est propre à l’unité de négociation. Qu’il ait reçu ou non un droit semblable lorsqu’il appartenait à une autre unité de négociation, l’employé de la fonction publique obtient le même droit prévu à la clause 15.18 lorsqu’il adhère à l’unité de négociation du groupe Vérification, commerce et achat (AV) et qu’il compte plus de deux années de service au sein de la fonction publique, ainsi que le prévoit la clause 15.18.

    B. Employeur

    L’employeur soutient que la restriction relative au droit « une seule fois » à un congé énoncée à la clause 15.18 est propre à la fonction publique et non à l’unité de négociation. Il fait valoir que l’employé de la fonction publique qui obtient le droit en question ne peut l’obtenir à nouveau, même s’il occupe subséquemment un poste relevant d’une autre unité  de négociation.

  5. Le grief et la mesure corrective ont été rejetés le 15 février 2010 (onglet 4).

  6. Le grief de principe a été renvoyé à l’arbitrage le 18 mars 2010.

  7. Des griefs individuels se rapportant à des dispositions semblables figurant dans d’autres conventions collectives conclues par le Secrétariat du Conseil du Trésor, dont deux relèvent de la convention collective du groupe SP, sont tenus en suspens en attendant l’issue du grief de principe en cause dans la présente affaire.

[…]

6 Sur consentement des parties, j’ai admis en preuve les trois conventions collectives suivantes conclues entre les mêmes parties : la convention collective pour le groupe Sciences appliquées et examen des brevets (SP), qui expire le 30 septembre 2011 (pièce G-1); la convention collective pour le groupe Architecture, génie et arpentage (AR/EN), qui expire le 30 septembre 2011 (pièce G-2); la convention collective pour le groupe Systèmes d’ordinateur (CS), qui a expiré le 21 décembre 2010 (pièce G-3). Les parties ont affirmé qu’une disposition semblable à la clause 15.18 de la convention collective du groupe AV figure dans la convention collective du groupe SP — clause 15.19 — dans la convention collective du groupe AR/EN — clause 15.17 — et dans la convention collective du groupe CS — clause 15.18.

7 Les deux parties ont choisi de présenter leurs arguments et de n’appeler personne à témoigner.

III. Résumé de l’argumentation

8 Les parties ont déposé par écrit les grandes lignes de leurs arguments oraux, à partir desquelles j’ai fait les résumés suivants.

A. Pour l’agent négociateur

9 L’arbitre de grief doit appliquer les termes choisis par les parties à la convention ou ceux qui y sont inclus par suite d’une décision arbitrale. Il doit donner aux mots leur sens ordinaire et éviter de chercher au-delà de ceux-ci l’intention des parties. Les droits ou les obligations des parties découlent simplement du texte de la convention, à moins que le sens ordinaire de cette dernière n’aboutisse à une incongruité ou à un résultat franchement absurde. Voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Centre de la sécurité des télécommunications, 2009 CRTFP 121, paragr. 162, et Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e éd., (« Brown et Beatty »), paragr. 4:2100.

10 La clause 15.18 de la convention collective s’applique sans restriction à tous les employés de l’unité de négociation du groupe AV qui y sont admissibles. Ces employés ont donc droit au congé prévu à la clause 15.18 s’ils sont des employés au sens de la Loi, qu’ils sont membres de l’unité de négociation du groupe AV et qu’ils comptent deux années de service continu ou discontinu au sein de la fonction publique.

11  L’employeur cherche en fait à ajouter un libellé qui limite l’application du droit énoncé à la clause 15.18 de la convention collective aux employés qui n’ont pas tiré profit d’une disposition semblable lorsqu’ils étaient membres d’une autre unité de négociation avec l’employeur. Son point de vue fait abstraction de la terminologie spécifique de la convention collective, à savoir que l’employé « membre de l’unité de négociation » a droit au congé en vertu de la clause 15.18.

12 Il faut un libellé clair pour nier à un employé l’avantage qui lui est conféré dans une convention collective : United Nurses of Alberta, Local 121-R v. Calgary Regional Health Authority (2000), 93 L.A.C. (4e) 427, paragraphes 24 et 25. Par conséquent, pour que l’interprétation avancée par l’employeur soit juste, il aurait fallu que la clause 15.18 de la convention collective prévoie [traduction] « […] le droit une seule fois à un crédit de trente-sept virgule cinq (37,5) heures de congé annuel payé pendant sa carrière au sein de la fonction publique fédérale ». Or, la disposition en cause est dénuée d’un libellé clair dans ce sens.

13 Accepter l’argument de l’employeur selon lequel la clause 15.18 de la convention collective ne s’applique qu’une seule fois à l’égard de toute la période au cours de laquelle l’employé travaille dans la fonction publique reviendrait à ajouter un libellé à la disposition, ce qui excède la compétence de la Commission : S.E.I.U., Local 268 v. US.W.A, Local 5481 (1994), 43 L.A.C. (4e) 76. Rien n’indique que l’agent négociateur aurait donné son accord à un tel libellé : Foote c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux), 2009 CRTFP 142, paragraphes 28 et 31.

14 L’employeur qui souhaite restreindre l’admissibilité à un avantage prévu dans une convention collective doit obtenir l’accord de l’agent négociateur. Il ne peut par ailleurs revenir sur le sens ordinaire de la disposition d’une convention collective : Klock c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 99, paragr. 21; Julien c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 67, paragr. 20.

15 Le critère qui s’applique aux fins de conclure que le libellé ordinaire choisi par les parties mène à un résultat absurde qui doit être écarté est rigoureux. Le sens ordinaire des mots doit donner lieu à un résultat qui ne permet d’atteindre aucun objectif lié aux relations de travail et qui n’est justifié par aucune raison cohérente à ce chapitre. Le résultat doit être par ailleurs impraticable : Mitchnik et al., Leading Cases on Labour Arbitration, vol. 3; Ontario Finnish Resthome Assn. v. Service Employees International Union, Local 268, [2004] O.L.A.A. No. 371 (QL); Canada Post Corporation v. Canadian Union of Postal Workers, (1993) 34 L.A.C. (4e) 139.

16 Le seul fait pour l’employeur de ne pas être d’accord avec le sens d’une disposition donnée ne signifie pas que cette disposition n’est pas claire à sa lecture même. Le fait que l’application d’une disposition entraîne un résultat inacceptable pour l’une ou l’autre partie n’établit pas à lui seul une ambigüité : General Spring Products Ltd. v. U.A.W. Local 1524 (1971), 23 L.A.C. 73.

17 La clause 15.18 de la convention collective est claire à sa lecture même. L’on ne peut dire qu’elle ne permet d’atteindre aucun objectif lié aux relations de travail. Telle qu’elle est rédigée, elle est conforme au principe de la représentation exclusive, lequel est une pierre angulaire des négociations collectives. Bien que l’employeur juge le résultat inacceptable, c’est l’interprétation qui ressort clairement du libellé qui doit être maintenue.

18 L’agent négociateur n’assume aucune responsabilité à l’égard des conventions collectives négociées par d’autres agents négociateurs. En outre, même s’il représente un certain nombre de groupes dont l’employeur est le Conseil du Trésor, chaque groupe est distinct, et la convention collective de chaque groupe est négociée séparément. Compte tenu de la disposition sur la reconnaissance énoncée dans la convention collective (clause 25.01) et du principe de la représentation exclusive consacré par l’article 67 de la Loi, l’interprétation proposée par l’employeur ne pourrait être valide que si la convention collective du groupe AV était assortie d’une annexe dressant une liste de toutes les autres conventions collectives en cause, signées par tous les négociateurs concernés.

19 L’agent négociateur soutient que l’arbitre de grief devrait accueillir le grief et il demande 1) qu’il déclare que les membres de l’unité de négociation du groupe AV qui comptent deux années de service, selon la définition de la clause 15.03 de la convention collective, ont droit au congé prévu à la clause 15.18, qu’ils aient ou non obtenu un congé semblable sous le régime d’une autre convention collective; 2) qu’il ordonne que les employés à qui l’on a refusé le congé prévu à la clause 15.18 au motif qu’ils ont obtenu un congé semblable sous le régime d’une autre convention collective, obtiennent ce congé.

B. Pour l’employeur

20 L’employeur m’a renvoyé à l’ouvrage de Palmer et Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada, 4e éd., paragraphes 2.1, 2.10 et 2.17, pour déterminer les règles d’interprétation qui devraient s’appliquer.

21 L’employeur soutient que l’employé qui obtient ailleurs dans la fonction publique le droit à un congé annuel payé de 37,5 heures en vertu de la clause 15.18 de la convention collective n’y a plus droit par la suite.

22 L’alinéa a) de la clause 15.18 de la convention collective s’applique aux nouveaux employés. Le lendemain de l’anniversaire de leur deuxième année de service, ils sont admissibles une seule fois au congé. L’alinéa b) s’applique à l’égard des employés qui comptent déjà deux années de services dans la fonction publique au 22 juin 2007. Sans l’alinéa b), ces employés ne pourraient obtenir le congé, puisqu’ils n’atteindraient jamais l’événement déclencheur, à savoir le lendemain de l’anniversaire de leur deuxième année de service (cet événement déclencheur s’étant déjà produit pour eux). L’alinéa b) prévoit que tous les employés de la fonction publique visés par la convention collective, qui comptent plus de deux années de service au 22 juin 2007, obtiendront le congé une seule fois. Ils obtiennent ce droit en dépit du fait qu’ils n’atteindront plus jamais la date de déclenchement prévue à l’alinéa a).

23 La clause 15.18 de la convention collective crée un droit spécial qui se produit « une seule fois ». La question, en bout de ligne, est celle de savoir ce qu’« une seule fois » signifie.

24 Bien que l’agent négociateur souligne que la définition d’« employé » énoncée dans la convention collective renvoie aux employés qui font partie de l’unité de négociation, la limite prévue à la clause 15.18 ne fait pas mention des « employés qui comptent plus de deux années de service ». Elle renvoie plutôt au service « comme le précise le paragraphe 15.03 ». L’expression « une seule fois » tire donc son contexte immédiat de la clause 15.03, qui prévoit que le service admissible aux fins du congé annuel est le service effectué au sein de la fonction publique.

25 Il ressort clairement de la clause 15.03 de la convention collective que « […] toute période de service au sein de la fonction publique, qu’elle soit continue ou discontinue, entre en ligne de compte dans le calcul des crédits de congé annuel […] ». S’il avait été dans leur intention de ne compter que le service effectué par les employés pendant qu’ils font partie de l’unité de négociation du groupe AV, les parties n’auraient pas eu à renvoyer à la clause 15.03 dans la clause 15.18.

26 Si les parties avaient souhaité que le droit au congé annuel en vertu de la clause 15.18 de la convention collective soit un cadeau offert aux employés par suite de leur adhésion à l’unité de négociation du groupe AV et de leur maintien au sein de cette unité pendant plus de deux ans, la clause aurait été libellée dans les termes suivants :

[Traduction]

Le 22 juin 2007, l’employé-e ayant plus de deux (2) années de service au sein de l’unité de négociation du groupe AV aura droit une seule fois à un crédit de trente-sept virgule cinq (37,5) heures de congé annuel payé. L’employé-e aura droit à ce congé sans égard au fait qu’il ou elle a obtenu le même congé au sein d’un autre ou d’autres groupes professionnels dans la fonction publique.

Les parties n’ont pas négocié un tel libellé. Elles ont limité l’application du droit au congé annuel aux employés qui comptent plus de deux années de service « comme le précise le paragraphe 15.03 ».

27 L’exemple suivant illustre bien l’argument. Supposons que l’employé Y ait été membre de cinq unités de négociation, chaque fois pour une période de deux ans moins un jour. N’a-t-il pas droit une fois au congé annuel? De l’avis de l’employeur, il devrait y avoir droit, les parties ayant défini le service admissible comme étant tout service effectué au sein de la fonction publique.

28 Comme la période d’admissibilité au droit prévu à la clause 15.18 de la convention collective vise l’ensemble de la fonction publique, l’employeur fait valoir que les parties souhaitaient que les employés aient droit « une seule fois » au congé pendant qu’ils travaillent dans la fonction publique et non une seule fois pour chaque unité de négociation qui bénéficie du même droit que celui prévu à la clause 15.18.

29 La thèse de l’agent négociateur est incompatible avec l’utilisation par les parties de l’expression « droit une seule fois » à la clause 15.18 de la convention collective. Les parties ont choisi cette expression également dans la disposition aux termes de laquelle les employés doivent compter plus de deux années de service dans la fonction publique pour être admissibles. Toute autre interprétation donnerait lieu à une absurdité. Aurait-il pu avoir été dans l’intention des parties de permettre que ce droit « une seule fois » à un congé puisse profiter à l’employé X une fois dans sa carrière parce qu’il a passé tout son temps au sein du groupe AV, alors que l’employé Y, qui a occupé de nombreux postes dans différentes unités de négociation, pourrait à plusieurs reprises tirer profit du droit une seule fois à un congé? La réponse à cette question doit être négative. Les parties souhaitaient que ce droit une seule fois à un congé soit conféré véritablement « une seule fois ». L’employé qui obtient le droit au congé n’importe où dans la fonction publique n’y a plus droit par la suite.

30 L’employeur soutient que l’agent négociateur ne s’est pas acquitté de la charge qui lui incombe d’établir qu’il y a eu manquement à la convention collective, et demande que le grief soit rejeté dans son intégralité.

C. Réfutation de l’agent négociateur

31 La mesure de redressement proposée par l’agent négociateur est conforme à l’article 232 de la Loi : Procureur général du Canada c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2009 CF 344, paragraphes 18 et 22.

32 Contrairement à ce qu’avance l’employeur, l’agent négociateur ne maintient pas que le droit prévu à la clause 15.18 de la convention collective est conditionnel au maintien par l’employé dans l’unité de négociation du groupe AV pendant deux ans. Toutes les années de service au sein de toute la fonction publique entrent en ligne de compte. Comme le service dont il est question est le service effectué au sein de l’ensemble de la fonction publique, l’on ne peut en déduire que le nombre de fois qu’un employé peut obtenir le droit au congé est limité. Le service admissible et le droit à l’avantage dont il est question à la clause 15.18 sont des concepts distincts.

33 L’agent négociateur a réitéré que l’obtention à plusieurs reprises du droit au congé annuel de 37,5 heures n’est pas un résultat absurde.

D. Question supplémentaire

34 J’ai demandé aux deux parties si la clause 14.02 de l’article intitulé « Congé – Généralités » de la convention collective, reproduit ci-après, a une quelconque incidence sur la question dont je suis saisi :

14.02 Le nombre de jours de congé payé, porté au crédit d’un employé par l’Employeur au moment de la signature de la présente convention ou au moment où il commence à être assujetti à la présente convention est conservé par l’employé.

35 L’agent négociateur a soutenu que la clause 14.02 est sans pertinence. L’employeur a fait valoir que la clause 14.02 étaye sa thèse sur l’interprétation à donner à un droit « une seule fois » à un congé en vertu de la clause 15.18.

IV. Motifs

36 Il incombe à l’agent négociateur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur a contrevenu à la clause 15.18 de la convention collective, dont le texte est reproduit ci-après :

15.18

a) L’employé-e a droit une seule fois à un crédit de trente-sept virgule cinq (37,5) heures de congé annuel payé le premier (1er) jour du mois suivant l’anniversaire de sa deuxième (2e) année de service, comme le précise le paragraphe 15.03.

b) Dispositions transitoires

Le 22 juin 2007, l’employé-e        ayant plus de deux (2) années de service, comme le précise le paragraphe 15.03, aura droit une seule fois à un crédit de trente-sept virgule cinq (37,5) heures de congé annuel payé.

c) Les crédits de congé annuel prévus aux alinéas 15.18a) et b) ci-dessus sont exclus de l’application du paragraphe 15.07 visant le report et épuisement des congés annuels.

37 La clause 15.03a) de la convention collective définit le « service » dans les termes suivants :

15.03

a) Aux fins du paragraphe 15.02 ci-dessus, seulement, toute période de service au sein de la fonction publique, qu’elle soit continue ou discontinue, entre en ligne de compte dans le calcul des crédits de congé annuel sauf lorsque l’employé reçoit ou a reçu une indemnité de départ en quittant la fonction publique. Cependant, cette exception ne s’applique pas à l’employé qui a touché une indemnité de départ au moment de sa mise en disponibilité et qui est réaffecté dans la fonction publique dans l’année qui suit la date de son licenciement.

38 L’agent négociateur affirme que la clause 15.18 de la convention collective est une disposition non ambiguë, dont le sens ordinaire révèle l’intention des parties de conférer un droit au congé annuel de « trente-sept virgule cinq (37,5) » heures à l’employé qui est ou qui devient membre de l’unité de négociation du groupe AV et qui compte deux années de service dans la fonction publique, selon la définition de la clause 15.03a). Il maintient que la clause 15.18 ne prescrit aucune limite au droit « une seule fois » à un crédit de congé qui pourrait naître de l’application de dispositions semblables d’autres conventions collectives. Selon l’agent négociateur, l’arbitre de grief n’a aucune raison de déroger à une interprétation littérale des termes de la clause 15.18, et il doit maintenir son interprétation sur ce fondement.

39 Au paragraphe 2 de l’« Exposé conjoint des faits », les parties ont affirmé que la clause 15.18 de la convention collective a été adoptée pour « […] remplacer le libellé précédent se rapportant au congé de mariage […] ». En des termes plus familiers, la preuve produite indique fortement qu’un marché a été conclu au cours des négociations. Les parties ont retiré de la convention collective le droit qui existait auparavant à un congé de mariage et l’ont remplacé à la clause 15.18 par le droit spécial « une seule fois » à un congé annuel de 37,5 heures. Le même résultat figure dans chacune des trois autres conventions collectives conclues entre les parties qui ont été produites en preuve (pièces G-1 à G-3) — aucune d’elle ne contient aujourd’hui de disposition sur le congé de mariage; chacune d’elle contient une disposition qui, essentiellement, est identique à la clause 15.18.

40 À mon avis, ce contexte est pertinent relativement à l’affaire que je dois trancher. Contrairement à l’affirmation de l’agent négociateur que, dans les faits, je dois conclure que la clause 15.18 de la convention collective est une disposition propre au groupe AV, je crois qu’il existe entre les droits prévus dans une convention collective un lien dont on ne peut faire fi. L’on ne peut faire abstraction non plus du fait que le droit à un congé de mariage a été remplacé ailleurs par le même droit spécial à un congé annuel, comme l’ont indiqué les parties. Lors de l’audience, je leur ai posé des questions sur la clause 14.02, qui figure dans l’article intitulé « Congé – Généralités », précisément parce qu’à mon avis, cette disposition établit définitivement l’existence d’un lien entre conventions collectives. La clause 14.02 est reproduite encore une fois ci-après :

14.02 Le nombre de jours de congé payé, porté au crédit d’un employé par l’Employeur au moment de la signature de la présente convention ou au moment où il commence à être assujetti à la présente convention est conservé par l’employé.

41 La clause 14.02 de la convention collective permet au nouveau membre de l’unité de négociation du groupe AV qui a précédemment obtenu le droit, une seule fois, à un congé annuel de 37,5 heures, mais qui ne l’a pas utilisé — par exemple, en vertu de la clause 15.19 de la convention collective du groupe SP — de conserver ce droit en tant qu’employé faisant partie du groupe AV. Suivant le sens ordinaire du libellé de la clause 14.02, le congé annuel acquis ailleurs sous le régime de dispositions similaires à la clause 15.18 est maintenu. La clause 14.02 s’inscrit donc dans le cadre de la convention collective que je dois concilier en tentant de donner à la clause 15.18 une interprétation compatible et harmonieuse.

42 Pourquoi est-ce important? D’après ce que je comprends de la clause 15.18 de la convention collective, il y a à mon avis à tout le moins une ambigüité latente dans le renvoi au congé annuel de 37,5 heures comme étant un droit conféré « une seule fois ». L’on pourrait dire que, pris isolément, les mots conférant un droit « une seule fois » à la clause 15.18 sont non équivoques à leur lecture, mais la clause ne s’applique pas isolément. Dans le contexte des autres dispositions d’application de la convention collective, comme la clause 15.03 et la clause 14.02 dont il y est fait mention, l’interprétation de la clause 15.18 devient plus incertaine ou difficile : voir Brown et Beatty, au paragraphe 3:4401. Cette incertitude ou difficulté est évidente dans le conflit qui a mené les parties à la présente audience.

43 Si je respecte l’intention apparente des parties que le congé de 37,5 heures prévu dans la clause 15.18 de la convention collective est un droit « une seule fois » à un congé, comment par exemple devrais-je régler la situation de l’employé qui a préalablement obtenu le même droit à un congé de 37,5 heures sous le régime d’une autre convention collective et qui a conservé ce droit en tant que nouveau membre du groupe AV en vertu de la clause 14.02 de sa convention collective? Si je retiens l’argument de l’agent négociateur, ce même employé obtient ainsi deux droits « une seule fois » à un congé en même temps, tous deux étant sanctionnés par la même convention collective (l’un par la clause 15.18 et l’autre par la clause 14.02). À mon humble avis, il est difficile de croire que c’est le résultat que souhaitaient les parties.

44 Mon analyse m’a plutôt mené à conclure que l’interprétation par l’employeur de la clause 15.18 est davantage conforme à l’architecture de la convention collective dans son ensemble, bien que peut-être pas pour toutes les raisons qu’il invoque. Par la clause 15.03, les parties ont intentionnellement lié l’application de la disposition sur le congé annuel à une définition de « service » qui s’applique à l’échelle de la fonction publique. En vertu de la clause 15.03, le processus d’accumulation du service aux fins des congés annuels ne vise pas uniquement le groupe AV. Les autres dispositions de l’article 15 doivent être interprétées en harmonie avec cet élément clé du régime des congés annuels négocié par les parties. La clause 14.02, qui renforce le point de vue selon lequel c’est de la fonction publique en général dont il est question, doit aussi être conciliée avec les autres dispositions de la convention collective.

45 Dans ce contexte, je ne crois pas qu’il soit raisonnable et cohérent d’interpréter la clause 15.18 de la convention collective d’une manière qui permet qu’un droit conféré une seule fois puisse être invoqué à plusieurs reprises. À mon sens, le renvoi à « une seule fois » à la clause 15.18 puise son sens dans le contexte de l’accumulation unique d’années de service continu à l’échelle de la fonction publique aux fins du congé annuel ainsi qu’il est prévu à la clause 15.03. Le long de ce continuum, les employés accumulent de nouveaux crédits ou des crédits supplémentaires de congés annuels. Leur position sur le continuum — au chapitre de l’accumulation d’années de service — n’est pas modifiée lorsqu’ils passent d’une unité de négociation à une autre. Comme le révèlent les conventions collectives produites en preuve en l’espèce, il existe sur le continuum un point fixé en commun — deux années de service — où les employés obtiennent un droit spécial à un congé annuel de 37,5 heures décrit en commun. Chaque employé franchit cette étape des deux années de service une fois seulement. Compte tenu de ces paramètres, je ne crois pas qu’un droit une seule fois à un congé puisse se reproduire.

46 Bien que cela ne soit pas nécessaire aux fins de mon analyse, mon opinion sur le sens de la clause 15.18 de la convention collective est renforcée par un sens très pratique de ce qui s’est produit dans le cadre de la relation de négociation entre les parties. Par l’entente qui a apparemment été conclue, les employés ont abandonné le droit qu’ils avaient auparavant à un congé de mariage et obtenu en remplacement un droit une seule fois à un congé annuel de 37,5 heures, à condition qu’ils comptent deux années de service dans la fonction publique, ou à la date d’anniversaire de leur deuxième année de service. Dans le contexte de l’affaire dont je suis saisi et des conventions collectives que les parties ont fournies, il semble des plus improbable qu’un employé ait pu être contraint à abandonner le congé de mariage à deux reprises. Comment alors devrait-il obtenir l’équivalent en congé annuel spécial à deux reprises du fait qu’il passe d’une convention collective à une autre?

47 J’ai examiné la jurisprudence produite par l’agent négociateur pour y trouver des conclusions qui pourraient modifier ma perspective sur cette question, et je n’ai rien trouvé qui me convainque.

48 De toute évidence, je ne peux avoir aucune objection, par exemple, quant à la proposition fondamentale énoncée dans United Nurses of Alberta, Local 121-R, selon laquelle il faut un libellé clair pour priver un employé d’un avantage. J’accepte également sans réserve le principe énoncé dans cette décision et dans S.E.I.U., Local 268,selon lequel la décision d’un arbitre de grief ne peut avoir pour effet d’ajouter un nouveau libellé à la disposition d’une convention collective. Cependant, je remarque que, dans United Nurses of Alberta, Local 121-R, l’arbitre de grief a souscrit également à la nécessité d’interpréter une disposition contestée [traduction] « […] dans le contexte de l’intégralité de […] l’intention exprimée dans l’article dans son ensemble » lorsqu’il existe [traduction] « […] une imprécision apparente dans les dispositions de la convention collective […] » (voir les paragraphes 20 et 17), ce qu’à mon avis, j’ai fait ici. Je remarque également le commentaire suivant dans l’affaire S.E.I.U., Local 268 :

[Traduction]

19. L’on attend et l’on exige de l’arbitre qu’il donne un sens aux dispositions d’une convention qui sont vagues dans des situations que les négociateurs de cette convention n’ont pas expressément prévues. S’il applique à cet égard des principes raisonnablement puisés dans les dispositions d’une convention et qu’il ne traite pas d’une question qui n’est pas visée du tout dans la convention, l’arbitre n’excède pas indûment la portée de ses pouvoirs.

49 Encore une fois, je crois que j’ai tenté de déterminer l’interprétation correcte de la clause 15.18 de la convention collective dans cet esprit.

50 Dans Foote, un arbitre de grief collègue a résumé la jurisprudence selon laquelle il y a lieu d’écarter les interprétations ayant pour effet d’ajouter une restriction qui ne peut ou qui ne devrait être négociée que par les parties à la table des négociations. L’on pourrait dire de l’interprétation que je donne à la clause 15.18 de la convention collective qu’elle a un effet restrictif comparativement à l’objectif que cherche maintenant à atteindre l’agent négociateur. Or, je ne suis pas convaincu que cette interprétation a pour effet d’ajouter une restriction qui va à l’encontre de la volonté des parties au moment où elles ont négocié la clause 15.18. Pour des raisons qui sont probablement valables, les parties n’ont produit aucune preuve extrinsèque sur ce dont elles ont effectivement discuté au cours de ces négociations. Je dispose cependant de l’exposé conjoint des faits des parties, qui porte sur la nature de l’échange qui a eu lieu et sa reproduction dans d’autres conventions collectives. Avec égards, j’estime que mon interprétation donne à la clause 15.18 un sens qui est davantage compatible avec les faits dont il a été convenu et avec les dispositions cadres pertinentes de la convention collective. En ce sens, plutôt que d’imposer une restriction non souhaitée, je tente, par mon interprétation, de comprendre, sur le fondement de ce dont les parties ont convenu dans leur convention collective, la manière dont elles auraient envisagé la question soulevée dans la présente affaire si elles s’étaient penchées alors sur celle-ci. Elles auraient peut-être adopté une approche différente, mais à mon avis, les faits dont elles ont convenu et le cadre de la convention collective considérés dans leur ensemble n’indiquent pas, selon la prépondérance, qu’un résultat différent est plus probable.

51 Les décisions rendues dans Klock et Julien reprennent la préoccupation formulée dans Foote pour ce qui est d’éviter de retenir une interprétation restrictive qui aurait dû être expressément incluse par les parties elles-mêmes. Mes commentaires en réaction avec Foote s’appliquent également à ces décisions.

52 L’agent négociateur a invoqué une jurisprudence portant sur le critère à appliquer en vue de conclure à l’existence d’un résultat absurde ou d’un résultat qui ne permet d’atteindre aucun objectif lié aux relations du travail. À mon sens, les décisions citées ne sont pas utiles dans le présent cas, car je ne crois pas que l’interprétation par l’agent négociateur de la clause 15.18 de la convention collective satisfasse à ce critère. Mon désaccord avec la thèse de l’agent négociateur repose sur une analyse différente. Je n’accorde pas de poids non plus à l’importance qu’accorde l’agent négociateur au fait qu’il a obtenu un droit de représentation exclusive sous le régime de la Loi et des dispositions relatives à la reconnaissance qui figurent dans la convention collective. Dans le présent cas, il n’est pas question d’une dérogation aux droits de représentation. En outre, à mon avis, l’affirmation de l’agent négociateur selon laquelle mon interprétation de la clause 15.18 pourrait être valide dans le seul cas où la convention collective serait assortie d’une annexe dressant une liste de toutes les autres conventions collectives en cause, signées par tous les négociateurs concernés, n’est pas fondée en droit. À tout le moins, la clause 14.02, telle qu’elle a été négociée par les parties, écarte tout argument selon lequel il ne peut y avoir d’interaction entre les dispositions tirées de conventions collectives différentes sans la signature de tous les négociateurs concernés.

53 Bref, je conclus que l’agent négociateur n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur a contrevenu à la clause 15.18 de la convention collective.

54 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

55 Le grief de principe est rejeté.

Le 18 avril 2011.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.