Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que l'agent négociateur avait failli à son devoir de représentation équitable relativement à plusieurs griefs que le plaignant avait renvoyés à l'arbitrage - la Commission a déterminé que l'agent négociateur n'avait pas agi de manière discriminatoire ou arbitraire ou de mauvaise foi - l'agent négociateur a soigneusement examiné les griefs et a fourni des conseils et du soutien au plaignant - un désaccord concernant la façon de procéder ne pouvait justifier à lui seul une allégation de représentation inéquitable. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-05-13
  • Dossier:  561-34-471
  • Référence:  2011 CRTFP 69

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

GEORGE EDWARD BOULOS

plaignant

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Boulos c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John Steeves, commissaire

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour la défenderesse:
Jerry Kovacs, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits déposés
le 28 février, les 28 et 29 mars, les 11, 14 et 28 avril et le 3 mai 2011.
(Traduction de la CRTFP)

Plainte devant la Commission

1 La présente décision porte sur une plainte de George Edward Boulos (le « plaignant »), qui allègue que son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC ou la « défenderesse »), a manqué à son devoir de représentation équitable. La plainte est visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »), et allègue que la défenderesse a contrevenu à l’article 185 de la Loi

2 La plainte initiale est datée du 8 juin 2010; le plaignant a également soumis des arguments supplémentaires par la suite. La défenderesse a soumis des arguments datés du 28 juillet 2010 en réponse à la plainte initiale du plaignant. Par une entente entre les parties, la présente décision est rendue sur la base d’arguments écrits, sans audience publique. Le plaignant a déposé des arguments datés du 28 février 2011 (comportant 30 pièces jointes) et du 29 mars 2011, et la défenderesse a déposé des arguments datés du 28 mars 2011. J’ai demandé aux parties de me soumettre des arguments supplémentaires sur l’objet de la plainte; les arguments du plaignant sont datés des 11, 14 et 28 avril 2011 et ceux de la défenderesse du 28 avril et du 3 mai 2011.

3 Une question préliminaire a opposé les parties relativement à la communication potentielle de renseignements à l’employeur du plaignant par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »). La Commission envoie généralement une copie des arguments à l’employeur dans une procédure comme celle-ci, mais le plaignant s’y est opposé dans le présent cas. Des arguments ont été reçus des parties sur cette question et, dans l’intervalle, la Commission a donné instruction de ne pas envoyer de copie des renseignements versés au dossier de la Commission à l’employeur. Le plaignant a invoqué le privilège relatif au litige et attiré l’attention sur le fait que les renseignements contenus dans le dossier de la Commission comprenaient des conseils que la défenderesse lui avait prodigués, dont une opinion à propos du bien-fondé des griefs du plaignant contre l’employeur. Les renseignements en question sont surtout contenus dans les arguments de la défenderesse datés du 28 juillet 2010. Dans un document daté du 13 septembre 2010, la défenderesse a indiqué que les arguments du plaignant sur le privilège relatif au litige [traduction] « manqu[aient] de précision » et qu’ils devaient [traduction] « être rejetés ». Elle s’est abstenue toutefois de formuler une opinion sur la décision de la Commission d’ordonner qu’aucune copie des arguments de la défenderesse datés du 28 juillet 2010 ne soit communiquée à l’employeur. Dans une lettre datée du 24 septembre 2010, la Commission a avisé les parties que [traduction] : « Les arguments de la défenderesse datés du 28 juillet 2010 reçus en réponse à la plainte ne seront pas communiqués à l’employeur pour le moment. »

4 Le présent cas soulève une question connexe, comme nous le verrons plus loin, car il porte également sur un différend quant aux griefs qui devraient être portés à l’arbitrage. Le plaignant estime que tous ses griefs devraient être portés à l’arbitrage et de la manière dont il les définit; la défenderesse défend un point de vue différent. Bref, il y a des divergences de vues à propos du bien-fondé des griefs et de la stratégie à employer et quant au nombre de griefs qui devraient être portés à l’arbitrage. C’est pourquoi, dans la présente décision, je présente les grandes lignes des éléments de preuve relatifs au bien-fondé des griefs et à la stratégie envisagée, de manière à ne pas compromettre toute discussion ou procédure future d’arbitrage des griefs.

Positions des parties

5 Le plaignant a déposé six griefs contre l’employeur et la défenderesse lui a fourni une représentation dans chacun de ces dossiers. Aux environs de mars 2010, le plaignant a décidé que la défenderesse ne traitait pas ses griefs de la manière voulue et il pilote lui-même ses dossiers depuis. Ces différends font aujourd’hui l’objet de la présente plainte. S’ajoute à cela un différend sur la question de savoir si les incidents survenus en 2005 et en 2006 font partie de la plainte; il est acquis que les incidents de 2007 et de 2008 en font partie.

6 Selon les arguments du plaignant datés du 28 février et du 29 mars 2011, la défenderesse a fait preuve de négligence grave et ne lui a pas fourni une représentation complète et « énergique ». Il ajoute que la défenderesse a [traduction] « délibérément omis des renseignements pertinents » et qu’elle [traduction] « [l]’a en fait privé de la possibilité d’obtenir un examen impartial de [s]es griefs […] » (tiré des arguments du plaignant datés du 29 mars 2011). Le plaignant affirme que sa plainte est basée exclusivement sur des faits et qu’elle est étayée par des documents pertinents; en revanche, il indique que les arguments de la défenderesse contiennent des erreurs et que des renseignements pertinents ont été omis dans le but de justifier la décision de la défenderesse de ne pas appuyer tous les griefs. Bon nombre des prétentions de la défenderesse sont [traduction] « absurdes » et à la lumière des faits présentés par cette dernière, l’employeur était [traduction] « très déterminé » à prendre les moyens nécessaires pour que les griefs ne se rendent pas à l’arbitrage. Le plaignant allègue que le « processus » d’examen de ses griefs appliqué par la défenderesse était [traduction] « entaché d’irrégularités » et que sa conduite [traduction] « dénote de la négligence, de la complaisance, de l’indifférence, de la mauvaise foi ou de la mauvaise volonté ».

7 À titre de réparation, le plaignant demande trois ordonnances dans sa plainte du 8 juin 2010. La première vise à remédier, dit-il, à l’omission de la défenderesse de renvoyer aux dispositions pertinentes de la convention collective dans au moins un des griefs. Il décrit cela comme l’[traduction] « obstacle érigé par Burchill » et sa crainte est que, par suite de la conduite de la défenderesse, il ne puisse pas soulever ces questions à l’arbitrage; il veut obtenir une ordonnance pour corriger ce problème. Le plaignant demande ensuite une ordonnance enjoignant à la défenderesse de [traduction] « […] [lui] fournir une aide financière relativement aux frais d’arbitrage de celui ou ceux des six griefs qui atteignent le stade de l’audience. Pour finir, le plaignant demande une ordonnance enjoignant à la défenderesse de [traduction] « […] [lui] fournir des services de consultation et d’appui, selon les besoins, relativement aux […] » six griefs.

8 La défenderesse soutient qu’elle n’a contrevenu à aucune disposition de la Loi en représentant le plaignant. Elle affirme expressément qu’elle a agi de manière juste, réelle, avec intégrité et compétence et sans hostilité envers le plaignant, que ses griefs ont été préparés de façon minutieuse et qu’ils ont été présentés avec énergie à l’employeur. La défenderesse indique toutefois qu’elle a effectué une analyse de tous les griefs et pris un certain nombre de décisions quant à la façon de procéder ou de ne pas procéder. Le plaignant est en désaccord avec ces décisions, mais la défenderesse estime qu’aucune disposition de la Loi n’a été violée.La défenderesse demande que la plainte soit rejetée. 

Contexte

9 Le plaignant était employé par l’Agence du revenu du Canada (ARC) depuis novembre 2001. Le dernier poste de durée indéterminée qu’il a occupé chez l’employeur est celui de vérificateur de l’impôt ou de la taxe d’accise (classifié dans le groupe et au niveau SP-05 et, précédemment, dans le groupe et au niveau PM-02) à Burnaby (Colombie-Britannique). Le plaignant allègue qu’il a été licencié en avril 2008; l’employeur affirme qu’il a plutôt abandonné son poste. Le plaignant est également membre de l’organisation syndicale de la défenderesse.

10 Selon le plaignant, les événements donnant lieu à la présente plainte ont commencé en 2005 et en 2006, lorsqu’il a eu des « divergences de vues » avec l’employeur, comme il le dit dans ses arguments du 28 février 2011, sur des questions comme le manque d’appui offert aux employés. L’employeur était (et est toujours) [traduction] « extrêmement réfractaire à toute mauvaise publicité, qu’elle soit justifiée ou non, et à l’envoi de lettres ministérielles ». Le plaignant a expliqué dans ses arguments qu’il avait communiqué avec la défenderesse pour déposer un grief sur ces questions et qu’il avait eu une discussion avec la présidente locale de la défenderesse. Selon le plaignant :

[Traduction]

[…]

[…] elle ne m’est pas revenue là-dessus contrairement à ce qu’elle m’avait promis. Elle m’a expliqué qu’elle avait été absorbée et préoccupée par d’autres sujets et qu’elle avait oublié le grief. Il en résultait que le délai prévu pour la présentation du grief était maintenant expiré. Après s’être confondue en excuses, elle a indiqué que, pour compenser, elle soulèverait la question lors de la prochaine consultation syndicale-patronale […] J’ai accepté ses excuses et j’étais satisfait de la mesure qu’elle promettait de prendre pour compenser. Elle a dit qu’elle me tiendrait au courant, mais elle n’a pas tenu parole. J’ai communiqué avec elle plusieurs fois par la suite pour savoir si la nouvelle mesure qu’elle m’avait promis de prendre avait donné des résultats, mais j’ai découvert qu’elle avait renié sa promesse.

[…]

11 Le plaignant explique qu’il a communiqué de nouveau avec la défenderesse, en 2006, afin d’obtenir son aide relativement à un autre grief. Il ne fournit pas de détails sur l’objet de ce grief, mais nous sommes autorisés à penser qu’il s’agissait d’autres doléances à propos du refus de l’employeur d’appuyer le plaignant et d’autres employés. Quoi qu’il en soit, le plaignant indique dans ses arguments du 28 février 2011 que [traduction] « […] le processus m’inspirait encore moins confiance cette fois-là […] Après ma dernière expérience, je voulais exercer un plus grand contrôle sur ce grief […] » Au début, le délégué syndical était d’accord, mais un conflit a surgi parce que le plaignant voulait qu’il effectue plusieurs entrevues. À la fin, le délégué a indiqué qu’il éprouvait un malaise à faire ces entrevues et qu’il ne les ferait pas. [Traduction] « Il a également déclaré […] qu’il ne voulait pas me fournir une représentation pour le grief, car il ne croyait pas en ses chances de succès ». Selon le plaignant, le premier palier de la procédure de règlement des griefs a [traduction] « […] été escamoté en somme ». Il n’a pas [traduction] « […] eu l’occasion d’examiner et d’approuver [le grief] avant qu’il soit présenté. Sa formulation laissait à désirer et il contenait des erreurs; c’était en fait une source d’embarras pour moi, notamment parce que le délégué l’avait rédigé à la première personne comme si c’était moi qui l’avais préparé. » Le grief n’a pas été accueilli au second palier et, au dire du plaignant, il a rédigé [traduction] « […] des arguments mieux formulés […] » pour le troisième palier. Cela a eu pour résultat que [traduction] « […] l’employeur […] a accordé seulement les mesures correctives demandées qui avaient pour effet d’empêcher le renvoi du grief à l’arbitrage devant la Commission. Il a dès lors été décidé de ne pas pousser le grief plus loin. » 

12 Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les incidents de 2005 et de 2006 font partie de la plainte du 8 juin 2010 dont la Commission est saisie. La défenderesse observe que ces incidents ne sont pas mentionnés dans cette plainte et demande à la Commission de ne pas autoriser une telle modification de la plainte. Le plaignant soutient que sa plainte initiale [traduction] « […] ne constitu[ait] d’aucune façon le contenu complet et essentiel de ma plainte […] » et qu’il a le droit de tirer argument des incidents de 2005 et de 2006. Je reviendrai sur ce différend un peu plus loin dans la présente décision.

13 Les incidents dont il est ensuite question sont survenus en 2007 et le plaignant leur accorde une grande importance. Cette année-là, deux contribuables ont déposé des plaintes contre le plaignant relativement à son travail. L’employeur a jugé une des plaintes non fondée; dans le cas de l’autre plainte, il a décidé d’attribuer le dossier en question à un autre vérificateur. Une réunion a eu lieu avec le plaignant, mais cela n’a pas débouché sur une solution satisfaisante pour le plaignant. 

14 Dans ses arguments du 28 février 2011, le plaignant décrit de quelle manière cet incident s’est amplifié. Le 15 novembre 2007, le plaignant a décidé qu’il voulait déposer un grief relativement à la conduite de l’employeur et le porter à l’arbitrage devant la Commission. Le grief avait pour objet la décision de l’employeur de lui retirer [traduction] « […] les dossiers de vérification de plusieurs contribuables […] par suite d’une plainte non justifiée que l’employeur avait également jugée sans fondement ». Selon le plaignant, cette plainte portait atteinte à sa réputation. Il a ajouté ensuite ceci :

[Traduction]

[…]

J’ai décidé de tenir une manifestation assise très pacifique devant le bureau de mon gestionnaire après avoir appris que la haute direction maintenait sa décision. La direction savait que je manifestais […] La manifestation assise a duré environ deux heures jusqu’à ce que je reçoive la lettre de suspension. J’ai quitté le lieu de travail de mon plein gré immédiatement après cela, mais on m’a également escorté jusqu’à la sortie de l’édifice. Je m’attendais à ce que la mesure disciplinaire (la suspension) qui me serait imposée serait proportionnelle à la gravité de mes actes et à ce qu’on tienne compte de mes antécédents. Or, l’employeur a finalement décidé de me suspendre de mes fonctions pendant cinq mois pour avoir tenu la manifestation, sous prétexte qu’il croyait que j’étais « malade » […] Cela s’ajoutait, bien entendu, à une preuve fortement présomptive qui corroborait l’intention de prendre une mesure disciplinaire déguisée.

[…]

15 Dans une lettre au plaignant, datée du 22 novembre 2007 (citée dans la lettre de la défenderesse du 25 mars 2010), un gestionnaire analyse cet incident et indique notamment : [traduction] « […] Au vu de votre réaction agressive et du comportement inhabituel que vous avez eu par la suite, je m’inquiète pour votre bien-être ainsi que pour la sécurité et le bien-être des autres […] » Dans une autre lettre datée du 15 janvier 2009 (et aussi citée dans la lettre du 25 mars 2010 de la défenderesse), l’employeur indique que le plaignant a agi [traduction] « […] de manière agressive, belliqueuse, imprévisible et déraisonnable ». Cela [traduction] « a causé beaucoup d’agitation et de distraction au travail et les autres employés ainsi que leurs représentants syndicaux ont exprimé des craintes relativement à leur sécurité personnelle ». L’employeur exprimait également l’opinion que le plaignant avait peut-être [traduction] « une maladie ou un trouble médical […] » qui expliquait son comportement. Le plaignant a écopé d’une suspension, mais l’employeur y a substitué par la suite un congé non payé, puis un congé de maladie payé qui s’appliquait rétroactivement à la date de la suspension initiale.

16 Le 20 décembre 2007, le plaignant a déposé quatre griefs relativement à ces incidents. Le premier alléguait que l’employeur avait mis le plaignant en congé de maladie alors qu’il n’avait fait aucune demande de congé de maladie. Le deuxième grief alléguait que l’employeur avait « obligé » le plaignant à encourir une suspension ou le licenciement pour protester contre le fait que ses dossiers avaient été attribués à d’autres. Le troisième grief alléguait que l’employeur avait mis le plaignant en congé non payé, à compter du 17 décembre 2007. À la fin, grâce aux efforts du plaignant et à l’intervention de la défenderesse, le plaignant a été mis en congé spécial payé en attendant les résultats d’une évaluation de son aptitude au travail par Santé Canada. La défenderesse assimile cela à une admission partielle des griefs. Le plaignant s’oppose à ce résultat parce qu’il soulève la question de savoir si une mesure disciplinaire a été imposée et si la Commission peut exercer sa compétence. Le plaignant veut avoir une audience devant la Commission pour exposer ses doléances contre l’employeur; or cela ne sera pas possible si aucune mesure disciplinaire n’a été imposée. En fin de compte, Santé Canada a refusé d’évaluer le plaignant pour la bonne raison, selon les renseignements au dossier, qu’il a jugé que le plaignant était apte à travailler. C’est en tout cas le point de vue que défend le plaignant.

17 Le quatrième grief, qui est également daté du 20 décembre 2007, alléguait que l’employeur avait [traduction] « puni et humilié » le plaignant en lui imposant une mesure disciplinaire après avoir reçu une plainte « non fondée » d’un contribuable. À titre de mesure corrective, le plaignant demandait une déclaration de l’employeur indiquant que la plainte du contribuable était sans fondement et une autre déclaration indiquant que l’employeur n’avait pas appuyé le plaignant.

18 Dans ses arguments du 28 février 2011, le plaignant décrit comme suit les actes de l’employeur donnant lieu à ces griefs :

[Traduction]

[…] L’ARC a décidé d’exploiter la situation afin de m’imposer une mesure disciplinaire et de me punir pour l’exemple. Elle a carrément menti sur certains incidents et en a enjolivé d’autres afin de justifier sa décision de m’obliger de force à prendre un congé de maladie et à me soumettre à une évaluation de l’aptitude à travailler à Santé Canada.

Le plaignant indique que l’évaluation n’a pas été effectuée parce qu’il a expliqué à Santé Canada que [traduction] « ce n’était pas autre chose que de la politicaillerie interne […] En fin de compte, j’ai été suspendu (obligé de prendre un congé de maladie alors que je n’étais pas malade) pendant cinq mois à l’issue de cette campagne durant laquelle l’ARC faisait également traîner la situation en longueur afin de ralentir le processus. »

19 Toujours dans ses arguments du 28 février 2011, le plaignant décrit les problèmes qu’il a eus avec la défenderesse relativement à ces griefs. Au début, il [traduction] « préférait se représenter [lui-même] […] jusqu’au dernier palier » de la procédure de règlement des griefs. Cependant, un représentant de la défenderesse lui a expliqué que, pour bénéficier d’une représentation, il devait solliciter l’aide de la défenderesse dès le début de la procédure. Le plaignant a fini par donner son accord. Un différend s’est ensuivi entre le plaignant et la défenderesse au sujet du nombre de griefs et de la formulation de ceux-ci. Des représentants de la défenderesse ont rédigé les griefs et le plaignant a été informé, dit-il, que [traduction] « […] je n’aurais pas le droit d’y apporter des changements ». Le plaignant s’attendait à « négocier » le contenu des griefs et à en « débattre » avec la défenderesse. En fin de compte, la défenderesse a décidé de modifier sa formulation, après s’être mise « dans l’embarras », parce que la disposition de la convention collective citée dans les griefs était erronée, selon le plaignant. D’autres différends sont survenus à propos notamment de la question des dommages. En juin 2008, le plaignant a demandé à la défenderesse de soulever la question des dommages majorés, mais la défenderesse a refusé. À l’issue d’un échange de courriels, la défenderesse s’est ravisée et a accepté de soulever la question des dommages majorés. Un autre échange de courriels s’est ensuivi, en septembre 2009, à propos du montant des dommages. Dans un courriel daté du 10 septembre 2009, le plaignant demandait à la défenderesse si l’employeur avait été informé que le montant demandé était de 100 000 $, montant que le plaignant avait lui-même proposé à la défenderesse. Dans un courriel daté du 21 septembre 2009, le plaignant reprochait toutefois à la défenderesse d’avoir communiqué ce montant à l’employeur :

[Traduction]

[…]

Quels pouvaient bien être vos motifs pour communiquer cette information à l’employeur en dehors du cadre de la présentation du grief? Vous ne vous en êtes pas rendu compte, mais je ne suis pas d’accord avec ce que vous avez fait, et cela tient en partie à la réaction que vous avez eue lorsque je vous ai initialement proposé ce montant le 26 mars. Vous n’aviez absolument aucune raison valable de leur communiquer ce renseignement à ce moment-là […]

[…]

20 Vers la mi-avril 2008, il y a eu des discussions en vue du retour au travail du plaignant. Dans le cadre de ces discussions, le plaignant a envoyé une lettre à l’employeur dans laquelle, dit-il (dans ses arguments du 28 février 2011), il exprimait [traduction] « […] de vives critiques et indiquait qu[’il] refus[ait] de discuter de [s]on retour au travail avec ceux qui port[aient] la responsabilité de [sa] suspension ». De même, dans une lettre à l’employeur datée du 14 avril 2008, le plaignant écrit notamment que l’employeur  [traduction] « […] s’est donné beaucoup de mal pour me discréditer et m’humilier […] Vos actes dénotent de la malhonnêteté, un manque d’éthique et de jugement, un désir de causer du tort à une autre personne et une utilisation abusive délibérée des ressources gouvernementales. » Le plaignant fixait un certain nombre de conditions pour retourner au travail; il indiquait, par exemple, ceci :

[Traduction]

[…]

[…] je ne suis pas disposé à travailler de nouveau sous la direction des mêmes gestionnaires et je ne veux pas avoir d’échanges directs de ce genre avec vous à propos de mon retour au travail [...] Je n’ai pas l’intention de communiquer de nouveau avec vous pour discuter de mon retour au travail si ce n’est pour soumettre un nouveau grief aujourd’hui même. Si la position de l’ARC est de demeurer inflexible, tout en étant au courant d’une partie des faits ayant trait à cette affaire, qu’elle prenne alors les mesures prévues. Je considérerai pour ma part que j’ai été l’objet d’un congédiement déguisé […]

[…]

21 Le 14 avril 2008, le plaignant a déposé un cinquième grief alléguant que l’employeur s’était livré à du harcèlement. Son objectif était de réintégrer son poste original de vérificateur. Selon un document annexé à un courriel du plaignant à la défenderesse daté du 15 octobre 2009, le grief portait sur divers actes de harcèlement auxquels l’employeur s’était livré, dont [traduction] « […] obliger [le plaignant] à prendre un congé de cinq mois environ sans justification ». L’employeur avait également fixé une [traduction] « condition inacceptable » en exigeant que le plaignant retourne travailler [traduction] « avec l’une des personnes qui s’[était] livrée à ce harcèlement et qui continue d’occuper un poste de pouvoir par rapport à moi »; et l’employeur [traduction] « […] prétendait se soucier de ma santé mentale afin de m’obliger à prendre un congé de maladie ».

22 En juillet 2008, le plaignant s’est fait offrir une affectation temporaire dans un autre poste, comme préposé aux décisions sur le Régime de pensions du Canada ou le Régime d’assurance-emploi (RPC/RA.-E.). Le plaignant n’était pas réintégré pas dans son poste de vérificateur, qu’il occupait en novembre 2007. Dans une lettre à l’employeur datée du 27 août 2008, le plaignant expliquait qu’il avait des « réserves » à propos de ces fonctions temporaires, mais que [traduction] « [m]algré mes réserves et mon malaise relativement au milieu de travail, et parce que mon représentant syndical m’a recommandé de l’accepter, j’ai accepté le poste à compter du 22 juillet 2008 ». Cependant, il n’avait pas réalisé que le poste n’avait [traduction] « pratiquement rien à voir avec [s]a profession de comptable ». Il n’avait pas « tardé » à s’en rendre compte, mais, comme il l’écrit à l’employeur, il a [traduction] « […] continué, non sans réticence, à [s]e soumettre à [sa] volonté, en exerçant les fonctions du poste pendant trois ou quatre mois environ […] » 

23 Il y a eu des problèmes concernant ce poste temporaire. Le plaignant a refusé d’obéir à une demande de son encadreur-conseiller technique concernant la collecte de certains renseignements auprès des personnes qu’il interviewait parce qu’il estimait que ces renseignements n’étaient pas utiles. Après avoir reçu la consigne très claire de faire ce qu’on lui demandait et avoir opposé de nouveau un refus, le plaignant a annoncé à l’employeur qu’il quittait son poste temporaire. Il a remis sa carte d’identité et quitté les lieux. Un gestionnaire a communiqué avec lui par téléphone pour lui demander de revenir au travail, mais le plaignant a refusé parce qu’il ne voulait pas que l’employeur lui impose une mesure disciplinaire pour insubordination. Le 22 août 2008, un chef d’équipe a écrit au plaignant pour lui dire qu’il se conduisait de manière « inacceptable » et qu’il devait se présenter au travail le 25 août 2008. Il indiquait qu’il y aurait [traduction] « d’autres discussions » après son retour au travail et que cela [traduction] « pourrait se solder par une mesure disciplinaire ». Il écrivait également : [traduction] « Si vous continuez de refuser de revenir au travail, une recommandation sera faite à la haute direction dans le but de mettre fin à votre emploi. » Les 26 et 27 août 2008, un représentant de la défenderesse a communiqué avec le plaignant pour l’exhorter à retourner au travail. Le plaignant a refusé.

24 Dans une lettre datée du 27 août 2008 adressée à l’employeur, le plaignant expliquait qu’il se soumettait à la volonté de l’employeur en acceptant le poste temporaire. Il ajoutait ceci : [traduction] « Je ne voulais pas faire d’autres compromis en acceptant des conditions de travail qui ne tenaient pas compte de mes années d’emploi à l’ARC, ni de certains privilèges ou marques de confiance que je m'étais mérités. » Le plaignant a quitté son poste temporaire après un mois de travail en raison de [traduction] « certains facteurs aggravants » qui équivalaient à [traduction] « […] un effort concerté par certains membres du personnel de l’ARC pour trouver une occasion de se débarrasser d’un employé qui a contrarié le personnel dans une certaine mesure et qui s’est attiré l’animosité d’un certain nombre de cadres supérieurs ». Le plaignant terminait sa lettre du 27 août 2008 de la façon suivante : [traduction] « J’ai l’intention de poursuivre mes démarches pour qu’une part de responsabilité soit imputée aux gestionnaires qui ont abusé de leur pouvoir relativement à mes griefs actuels. » 

25 Le plaignant soutient qu’il a été licencié pour des motifs disciplinaires; l’employeur a dit qu’il y a eu abandon de poste et qu’il ne s’agit pas d’une affaire disciplinaire. La raison pour laquelle il est important de savoir si la situation était de nature disciplinaire ou non est que l’arbitre de grief ne peut exercer sa compétence que s’il est saisi d’une question disciplinaire et que, comme je l’ai indiqué au début de la présente décision, le plaignant veut exposer ses doléances à propos de l’employeur devant un arbitre de grief. Le plaignant craignait que la réduction de la mesure disciplinaire décidée par l’employeur donne naissance à un argument que l’arbitre de grief n’avait pas la compétence requise. Cette divergence de vues — le licenciement par rapport à l’abandon de poste — est exposée dans un échange de courriels survenu en septembre 2008. Par exemple, dans un courriel daté du 15 septembre 2008 adressé à l’employeur, le plaignant écrivait en partie ceci :

[Traduction]

[…]

[…] avec tout le respect que je vous dois, je vous avise de nouveau que je ne réintégrerai pas ce poste temporaire pour les raisons que j’ai indiquées dans ma lettre du 27 août 2008. Mon poste de durée indéterminée à l’ARC est celui de vérificateur de l’impôt sur le revenu ou de la taxe d’accise et je n’ai pas rejeté ce poste, seulement le lieu de travail, en raison du problème de harcèlement. Si votre décision de m’offrir le poste/le changement de lieu de travail est irréversible et inébranlable, j’accepte à ce moment-là les conséquences de mes actes sous réserve de tout recours dont je dispose. Je ne m’attends toutefois pas à ce que les conséquences que je pourrais encourir soient exagérées.

J’estime que le contrat d’emploi provisoire que j’avais avec l’ARC à titre de préposé aux décisions sur le RPC ou le RA.-E. a pris fin le 20 août 2008, lorsque j’ai décidé de quitter ce poste. Cela étant établi, je m’interroge sur le fait que la DGPLAR [Direction générale des politiques législatives et des affaires réglementaires] semble croire que je continue de relever de sa responsabilité. Si je dois être licencié de mon poste de vérificateur à l’ARC, il est parfaitement indiqué, selon moi, que dans ces circonstances vous mettiez fin vous-même à mon emploi. Si vous estimez qu’il convient de déléguer ce pouvoir à la DGPLAR, je ne contesterai pas que j’ai été licencié même si j’en suis avisé concrètement par la DGPLAR. Je me prévaudrai toutefois des recours dont je dispose.

Je vous prie d’accepter mes excuses si je semble être raisonneur et faire des problèmes. Je constate malheureusement que vous me considérez comme un agitateur, non pas comme la victime de certains gestionnaires mal intentionnés de l’ARC (et de certains membres de leur personnel de soutien). Je tente seulement d’exiger des comptes et je ne veux pas avoir le sentiment que je suis puni pour cela.

[…]

26 En fin de compte, l’employeur a donné l’ordre au plaignant de se présenter au travail le 22 septembre 2008. Le plaignant a répondu à cet ordre par un courriel daté du 19 septembre 2008 :

[Traduction]

Si je dois me présenter au lieu de travail le 22 septembre dans le seul but d’accomplir les tâches du poste de préposé aux décisions sur le RPC ou le RA.-E., sachez que je ne me présenterai pas au bureau pour cela. Si vous voulez que je revienne pour d’autres motifs, veuillez me le faire savoir sans délai, sans quoi je ne me présenterai pas au travail. J’ai déjà expliqué à la direction de l’ARC pour quelles raisons je prends cette position.

27 Dans ses arguments du 28 février 2011, le plaignant explique pourquoi il a refusé de retourner au travail pour occuper le poste temporaire de préposé aux décisions sur le RPC ou le RA.-E. dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

[…] Lorsque j’ai refusé de retourner au travail pour occuper ce poste particulier sous la menace impitoyable de perdre mon emploi, j’ai été licencié. Malgré l’échange de notes qui témoignait de la mauvaise volonté de l’employeur et les messages qui indiquaient expressément que je n’abandonnais pas mon poste de vérificateur de durée indéterminée, l’employeur a quand même classifié le licenciement comme un abandon de poste — sans aucun doute, selon moi, pour se soustraire à la compétence de la CRTFP.

[…]

28 Le 24 septembre 2008, l’employeur a avisé le plaignant qu’il était licencié parce qu’il avait abandonné son poste de préposé aux décisions sur le RPC ou le RA.-E.

29 Un sixième grief, daté du 26 septembre 2008, a allégué que l’employeur avait licencié le plaignant. Dans un document annexé à son courriel du 15 octobre 2009, le plaignant a expliqué à la défenderesse qu’il avait déposé ce grief [traduction] « […] principalement parce que l’employeur n’a[vait] pas respecté sa Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement […] ». Il y avait d’ailleurs d’autres options à part le licenciement et [traduction] « [l]e fait qu[e l’employeur] ait privilégié le licenciement dénotait sa mauvaise volonté et étaye la prétention que la mesure qui a été prise (l’effort concerté pour trouver une occasion de se débarrasser de moi) était bien d’ordre disciplinaire ». Le plaignant a donné notamment à la défenderesse l’instruction suivante : [traduction] « Je veux que vous fassiez valoir cet argument. »

30 Le 25 mars 2010, un représentant de la défenderesse a préparé une analyse des six griefs en question et une opinion. Il provenait de l’AFPC plutôt que du Syndicat des employé(s) de l’impôt (SEI); le dossier avait, semble-t-il, été renvoyé à l’AFPC pour obtenir une analyse et une opinion. Comme nous le verrons plus loin, le plaignant se méfie des deux organisations. Même si la lettre du 25 mars 2010 était un document interne, le plaignant en a reçu une copie le jour même. La conclusion générale de la défenderesse était qu’elle acceptait de soumettre certaines des questions contenues dans les six griefs à l’arbitrage, mais pas toutes. La lettre du 25 mars 2010 est un document détaillé dont je présente ici les grandes lignes :

a) L’historique des six griefs était décrit assez en détail par la défenderesse. La lettre contenait également des notes détaillées du représentant de la défenderesse qui a aidé le plaignant à préparer ses griefs.

b) Selon la défenderesse, [traduction] « […] deux choses ressortent très clairement des documents […] » La première était que l’objectif du plaignant [traduction] « […] était de trouver un moyen pour soumettre à l’examen d’un arbitre de grief tous les détails de l’incident relatif à la décision de la direction de lui retirer les dossiers de certains contribuables […] » La deuxième chose qui ressortait était que le plaignant était mécontent de son affectation temporaire, sans perte de rémunération, au poste de préposé aux décisions sur le RPP ou le RA.-E. parce que ces fonctions n’avaient aucun lien avec son expertise comme vérificateur et qu’il n’avait pas la même latitude pour exécuter son travail. [Traduction] « D’autre part » le plaignant avait avisé l’employeur qu’il ne voulait pas réintégrer son poste d’attache (comme vérificateur) sous la direction des [traduction] « […] mêmes gestionnaires ».

c) En ce qui concerne les trois premiers griefs, la défenderesse a noté que la suspension avait été remplacée par un congé spécial payé et que la question des dommages majorés avait fait l’objet de discussions.

d) Les quatrième et cinquième griefs ont également été examinés. La défenderesse a noté que le plaignant était préoccupé par le manque d’appui que l’employeur offrait aux employés, mais elle était en désaccord avec le plaignant quant à la suite à donner à ces griefs.

e) Le sixième grief, qui contestait le [traduction] « licenciement » du plaignant [traduction] « au moyen de la déclaration d’abandon de poste » était jugé « le plus important ». La lettre du 25 mars 2010 indiquait que l’opinion du plaignant selon laquelle l’ARC était animée par le désir de [traduction] « trouver une occasion pour se débarrasser d’un employé qui avait contrarié le personnel et s’était attiré l’animosité d’un certain nombre de cadres supérieurs ». Diverses décisions antérieures étaient expressément examinées dans la foulée d’un [traduction] « examen exhaustif de toutes les décisions de la Commission portant sur une déclaration d’abandon de poste ». La défenderesse concluait qu’il serait préférable d’appliquer une autre stratégie que celle proposée par le plaignant pour donner suite au grief.

f) Le résultat était présenté comme suit dans la lettre du 25 mars 2010 :

[Traduction]

Le frère Boulos devrait savoir qu’il a le droit de tenter de poursuivre la totalité ou une partie de ces griefs de manière indépendante et par ses propres moyens devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique, en alléguant une mesure disciplinaire, mais non pas pour l’interprétation de la convention collective, puisqu’il ne bénéficie pas de l’appui de l’agent négociateur. Ce n’est pas ce que recommande l’AFPC, mais la Loi lui reconnaît ce droit. S’il décide de se représenter lui-même, il doit comprendre que ce sera entièrement à ses frais. [Le passage souligné l’est dans l’original]

31 Dans un courriel daté du 29 mars 2010, le plaignant a indiqué à la défenderesse qu’il était en désaccord avec les conclusions contenues dans la lettre du 25 mars 2010. Il a décrit les [traduction] « erreurs qui avaient été commises à propos de certains faits », mais il a indiqué également : [traduction] « Je ne les corrigerai pas pour le moment; je voulais seulement vous signaler qu’il a des erreurs. » De même, le plaignant a indiqué qu’il était faux de dire qu’il avait été rémunéré durant la période de huit mois où il avait été absent du travail. Il a allégué également que la lettre de la défenderesse dénotait [traduction] « un parti pris » et témoignait de [traduction] « la volonté [de la défenderesse] de justifier ou d’atténuer le rôle de la direction dans la suspension de cinq mois […] » De même, la « preuve [était] plus que suffisante » pour établir que le quatrième grief portait sur une mesure disciplinaire. Le plaignant s’est insurgé aussi contre le fait que la défenderesse s’appuyait sur des décisions antérieures; il a qualifié par exemple une de ces décisions de [traduction] « comparaison boiteuse ». Le courriel se terminait comme suit :

[Traduction]

[…]

C’est tout à fait dans ma nature de vouloir vous remercier pour toutes les heures que vous avez assurément consacrées à la préparation de votre analyse, mais je ne peux pas le faire pour l’instant si je crois que vous (l’AFPC) avez l’intention de maintenir votre offre limitée de représentation, une offre que je juge malheureusement insuffisante à la lumière des questions dont vous ne semblez pas saisir pleinement le sens. N’hésitez pas à communiquer de nouveau avec moi lorsque vous serez prêt.

32 La défenderesse a répondu au plaignant dans un courriel daté du 1er avril 2009. Compte tenu des nouveaux renseignements fournis par le plaignant, la défenderesse a modifié sa décision du 25 mars 2010 dans la mesure où elle était disposée à appuyer le cinquième grief du plaignant. Elle n’excluait toutefois pas la « possibilité » que l’employeur soulève comme objection préliminaire que la nature du grief avait été modifiée; il s’agit de ce qu’on appelle l’[traduction] « obstacle érigé par Burchill », d’après l’arrêt de principe analysant cette question (Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109). La défenderesse croyait qu’il était possible de vaincre cette objection. Quant aux cinq autres griefs, sa position demeurait inchangée.

33 Dans un courriel ultérieur daté du 7 avril 2010, le plaignant a mis en doute la bonne foi de la défenderesse dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

[…] étant donné que mes griefs s’entrelaçaient et étaient interreliés, cela n’aurait pas exigé un grand effort que de renvoyer certains des autres griefs à l’arbitrage afin de permettre à l’arbitre de grief de se prononcer sur sa compétence et peut-être même d’accorder d’autres mesures correctives, au lieu de tirer vos propres conclusions sur ce qui va arriver, « selon » vous. Même si je comprends parfaitement bien que cela fait partie de votre travail, il n’en demeure pas moins que c’est une déclaration qui est très facile à faire et qui peut être incroyablement intéressée pour justifier une décision. L’examen auquel s’est livré l’AFPC comportait et comporte toujours des lacunes, car il ressortait clairement de votre analyse que vous ne compreniez pas parfaitement les faits relatifs aux questions en litige et ma réfutation limitée n’avait certainement pas pour but de corriger toutes ces lacunes. Je n’ai toutefois aucunement été surpris de relever des lacunes dans cette analyse, compte tenu de la manière dont certains représentants du SEI ont préparé mes dossiers de grief et de l’influence que le SEI exerce sur l’AFPC.

Il aurait fallu de si peu de choses pour tenir compte de ce que je voulais et démontrer ainsi que vous étiez réellement de bonne foi, de plus, compte tenu des raisons que j’avais de me méfier du SEI, l’AFPC aurait pu tendre la main et démontré qu’elle était de bonne foi. Vous avez malheureusement décidé de n’en rien faire.

[…]

34 Le plaignant a entrepris de porter lui-même ses six griefs à l’arbitrage, sans le soutien de la défenderesse. Il a fixé des dates d’audience avec la Commission pour tous ses griefs, sans l’aide ni la participation de la défenderesse. Dans la plainte faisant l’objet de la présente décision, le plaignant demande à la Commission de rendre des ordonnances enjoignant à la défenderesse de lui offrir son aide pour l’arbitrage de tous ses griefs, et une ordonnance sur une autre question. La mesure corrective expressément demandée par le plaignant, selon la plainte initiale datée du 8 juin 2010, est la suivante :

[Traduction]

1. Une ordonnance, au besoin, pour remédier à l’incapacité d’obtenir une décision à l’arbitrage sur le renvoi 566-34-672 du fait de l’argument de l’employeur quant à [traduction] « l’obstacle érigé par Burchill »;

2. Une ordonnance enjoignant à l’AFPC de fournir une aide financière relativement aux frais d’audition de l’un ou l’autre des six griefs en question qui atteint le stade de l’audience;

3. Une ordonnance enjoignant à l’AFPC de fournir des services de consultation et de facilitation, au besoin, relativement à l’un ou l’autre des six griefs en question qui atteint le stade de l’audition.

35 Dans ses arguments du 14 avril 2011, le plaignant veut modifier la mesure corrective demandée dans sa plainte initiale de juin 2010 afin d’ajouter une mesure [traduction] « corrective intégrale ». Dans sa réponse du 3 mai 2011, la défenderesse s’oppose à [traduction] « […] cette tentative du plaignant de modifier l’objet de sa plainte, y compris la mesure corrective demandée ».

Motifs

36 Le contexte général des plaintes visées à l’article 187 de la Loi a été établi dans une décision antérieure de la Commission (Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13) :

[…]

[48] Le devoir de représentation équitable qui incombe à l’agent négociateur est décrit comme suit à l’article 187 de la […] Loi […] :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[49] L’arrêt qui a été rendu dans l’affaire Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, est couramment utilisé pour expliquer les principes qui sous-tendent le devoir de représentation équitable :

[…]

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié [à la p. 527].

[…]

[50] Un arrêt subséquent de la Cour suprême du Canada, Centre hospitalier Régina Ltée c. Québec (Tribunal du travail), [1990] 1 R.C.S. 1330 à la p. 1349, traite de ces principes plus en détail, au par. 38 :

[…]

Tel que le souligne l’arrêt Gagnon, le syndicat doit, lors même qu’il agit à titre de défenseur des droits (bien fondés selon son évaluation) d’un salarié, tenir compte des intérêts de l’ensemble de l’unité d’accréditation dans l’exercice de sa discrétion de poursuivre ou non un grief. Le syndicat jouit d’une discrétion afin de soupeser ces intérêts divergents et apporter la solution qui lui apparaît la plus juste

[…]

[51] Est également instructive la décision rendue dans l’affaire James W.D. Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000 (2003), 91 CLRBR (2d) 33 (BCLRB), dans laquelle est citée une précédente décision, Rayonier Canada (B.C.) Ltd., [1975] 2 Can LRBR 196 (BCLRB). Un syndicat ne doit pas agir de mauvaise foi, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être hostile à l’égard d’une personne ni être vindicatif sur le plan politique ou être malhonnête. Il ne saurait y avoir de discrimination, y compris une inégalité dans le traitement des fonctionnaires, que ce soit pour des motifs comme la race et le sexe (qui sont des motifs de distinction illicite selon la Loi canadienne sur les droits de la personne) ou le simple favoritisme personnel. Et un syndicat ne peut agir de façon arbitraire en faisant preuve d’indifférence à l’égard des intérêts des fonctionnaires. Un syndicat [traduction] « […] doit adopter un point de vue raisonnable sur le problème qui lui est soumis et arriver à une décision réfléchie sur les mesures à prendre, après avoir tenu compte des divers facteurs conflictuels et pertinents » (Rayonier, aux pages 201-202).

[52] Enfin, l’affaire Judd résume la difficile décision que doit prendre un agent négociateur :

[…]

[Traduction]

42. Lorsqu’un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief pour des considérations pertinentes concernant le lieu de travail – par exemple, vu son interprétation de la convention collective, vu l’effet sur d’autres fonctionnaires ou vu son évaluation selon laquelle le fondement du grief n’est pas suffisant – il accomplit son travail consistant à représenter les fonctionnaires. Le fonctionnaire en cause, dont le grief a été abandonné, peut estimer que le syndicat ne le « représente » pas. Toutefois, décider de ne pas poursuivre un grief en se basant sur ces genres de facteurs est une partie essentielle du travail syndical consistant à représenter les fonctionnaires dans leur ensemble. Quand un syndicat agit en se fondant sur des considérations se rapportant au lieu de travail ou à son travail de représentation des fonctionnaires, il est libre de déterminer la meilleure voie à suivre, et une telle décision n’équivaut pas à une violation du [devoir de représentation équitable]

[…]

37 Dans le présent cas, le plaignant est manifestement insatisfait de la conduite de la défenderesse, plus particulièrement de la manière dont ses griefs relatifs aux incidents survenus en 2005, 2006, 2007 et 2008 ont été traités.

38 Dans ses arguments du 28 février 2011, le plaignant décrit des incidents survenus en 2005 et en 2006 avec la défenderesse. Ces incidents ne sont pas mentionnés dans la plainte initiale du 8 juin 2010 et la défenderesse s’oppose à ce que la plainte soit modifiée pour les y inclure. J’ai observé plus tôt que l’objet de ces incidents n’était pas clairement indiqué, mais je suppose qu’il s’agit du problème que le plaignant décrit dans ses arguments du 28 février 2011, soit qu’il a eu des « divergences de vues » avec l’employeur à propos du manque d’appui offert aux employés visés par des plaintes des contribuables et qu’il voulait obtenir réparation relativement à cette question au moyen de la procédure de règlement des griefs.

39 En ce qui concerne les incidents de 2005, le plaignant allègue que la défenderesse n’a pas respecté le délai prévu pour la présentation d’un grief. La représentante de la défenderesse lui a tout de même fait des excuses et proposé une autre solution. Dans ses arguments du 28 février 2001, le plaignant écrit : [traduction] « J’ai accepté ses excuses et j’étais satisfait de la mesure qu’elle promettait de prendre faire pour compenser. » Elle a dit ensuite qu’elle le tiendrait au courant, mais, selon le plaignant, elle n’a pas tenu parole. Lors d’une réunion ultérieure, [traduction] « […] je lui ai fait comprendre que je n’étais pas content de la façon dont elle avait agi et je lui ai expliqué à quel point elle m’avait déçu ». J’en conclus que toute question de fond a été résolue grâce à la solution de rechange proposée par la représentante et que le plaignant a accepté le résultat. Si un différend subsiste, il est lié à ce que le plaignant décrit comme un manque de communication, bien que ce problème-là semble également avoir été résolu lors de la réunion sur cette question. Quoi qu’il en soit, je suis incapable de conclure que la défenderesse a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en 2005, en violation de l’article 187 de la Loi

40 Pour en venir à l’incident de 2006, il s’agissait, semble-t-il, d’un différend à propos d’un grief que la défenderesse avait déposé au nom du plaignant. Il indique que ce n’est que quelques instants avant que les arguments préparés par la défenderesse soient présentés à l’employeur qu’il a eu l’occasion de les examiner. Il dit que leur [traduction] « formulation laissait à désirer », qu’elles contenaient des erreurs et que c’était une [traduction] « source d’embarras » pour lui parce qu’elles étaient rédigées à la première personne. Au palier suivant de la procédure de règlement des griefs, le plaignant a rédigé des [traduction] « arguments mieux formulés » pour aider le représentant de la défenderesse. Cela a eu pour résultat que [traduction] « […] à ce palier-là, l’employeur a accordé seulement les mesures correctives qui avaient pour effet d’empêcher le renvoi du grief à l’arbitrage devant la CRTFP » et il a dès lors été décidé de ne pas pousser le grief plus loin. Le plaignant a eu une discussion par la suite avec un agent des relations de travail de la défenderesse [traduction] « […] à propos des limites qui existaient quant au type de griefs qui peuvent être portés à l’arbitrage ». L’agent lui a proposé une formulation [traduction] « […] pour faciliter le renvoi d’un grief à l’arbitrage ». Je note également que le plaignant a déclaré ceci dans ses arguments du 28 février 2011 : [traduction] « J’ai suivi à la lettre [les conseils reçus du représentant de la défenderesse] lorsque j’ai participé à la rédaction du texte des griefs relatifs à la plainte visée à l’article 190. »

41 À la lumière du compte rendu de l’incident de 2006 soumis par le plaignant, je conclus que la défenderesse et le plaignant ont l’un et l’autre eu des problèmes avec la rédaction du grief en question. Ces problèmes ont été expliqués au plaignant par la suite et la défenderesse lui a donné des conseils sur la façon de formuler un grief pour éviter ces écueils. Il me semble que c’est le processus qui est généralement appliqué pour préparer un grief et je suis incapable de conclure qu’il y a eu violation de l’article 187 de la Loi dans le cas de cet incident. Je reconnais toutefois que les incidents de 2006 et de 2005 nous fournissent quelques indications générales pour mieux comprendre les six griefs déposés en 2007 et en 2008 qui sont l’objet principal de la présente plainte. J’autorise par conséquent que ces renseignements soient versés au dossier de la plainte que je dois trancher, mais à cette fin uniquement.

42 Voici un résumé des six griefs déposés en 2007 et en 2008 qui sont l’objet de la présente plainte :

a) L’employeur aurait mis le plaignant en congé de maladie sans justification alors qu’il n’avait fait aucune demande de congé de maladie (grief du 20 décembre 2007).

b) L’employeur aurait obligé le plaignant à encourir une suspension ou le licenciement en raison d’un désaccord à propos de l’attribution d’un dossier de vérification (20 décembre 2007).

c) L’employeur aurait mis le plaignant en congé non autorisé à compter du 17 décembre 2007 alors qu’il n’avait fait aucune demande de congé (20 décembre 2007).

d) L’employeur aurait puni et humilié le plaignant en lui imposant une mesure disciplinaire après avoir reçu une plainte non fondée d’un contribuable (20 décembre 2007).

e) L’employeur se serait livré à du harcèlement en assortissant la réintégration du plaignant dans son poste d’attache comme vérificateur de certaines conditions (14 avril 2008).

f) L’employeur aurait licencié le plaignant (26 septembre 2008).

43 On se rappellera également que le plaignant a écopé d’une suspension en 2007 mais que cette mesure a été remplacée ultérieurement par un congé de maladie payé. Le plaignant maintient catégoriquement que la défenderesse appuie le renvoi de tous ses griefs à l’arbitrage. Son objectif, comme il l’a lui-même expliqué, est de se présenter devant un tribunal pour obliger l’employeur à répondre de l’appui qu’il offre ou n’offre pas aux employés qui sont l’objet de plaintes de la part de contribuables. La défenderesse est arrivée, pour sa part, à une conclusion différente, comme en témoigne sa lettre du 25 mars 2010. Par la suite, après avoir reçu des renseignements du plaignant et réexaminé ses griefs, la défenderesse s’est ravisée et a informé le plaignant qu’elle avait décidé de lui offrir un meilleur appui. Le plaignant soutient que la défenderesse doit appuyer toutes les questions telles qu’il les a définies. Cela étant, la principale question que je dois trancher dans la présente affaire est celle de savoir si la défenderesse a contrevenu à l’article 187 de la Loi en décidant de ne pas appuyer le renvoi à l’arbitrage des six griefs du plaignant. Autrement dit, la défenderesse a-t-elle agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi? 

44 Le moment est bien choisi pour préciser que je ne rends pas une décision sur le bien-fondé des six griefs sur lesquels porte la plainte dont je suis saisi. Pour que ce soit bien clair, je ne me prononce pas sur les questions suivantes : le plaignant s’est-il fait imposer une mesure disciplinaire par l’employeur? A-t-il été licencié? A-t-il abandonné son poste? A-t-il été mis en congé de maladie avec raison? L’employeur fournit-il un appui suffisant à ses employés? L’arbitre de grief a-t-il compétence pour trancher l’un ou l’autre des griefs? Le plaignant a-t-il été harcelé par l’employeur? Mon rôle consiste uniquement à rendre une décision aux termes de l’article 187 de la Loi

45 Les préoccupations du plaignant sont exposées pour l’essentiel dans son courriel du 7 avril 2010, dont un long passage est reproduit ci-dessus. Il soutient que puisque ses griefs [traduction] « s’entrela[cent] et [sont] interreliés », ils devraient tous être renvoyés à l’arbitrage. Il demande en plus l’appui de la défenderesse afin de [traduction] « permettre à l’arbitre de grief de se prononcer » sur les questions qui sont analysées dans la lettre de la défenderesse datée du 25 mars 2010. Il refuse que la défenderesse tire [traduction] « […] [sa] propre conclusion sur ce qui va arriver « selon » [elle]. » Le plaignant utilise sensiblement la même formulation dans ses arguments du 29 mars 2011. Il allègue que la défenderesse a fait preuve de négligence lorsqu’elle [traduction] « […] [l’]a en fait privé de la possibilité d’obtenir un examen impartial de [s]es griefs […] » devant la Commission.

46 Ces déclarations démontrent, selon moi, que le plaignant comprend mal le sens du devoir de représentation équitable qui s’applique à la défenderesse en général et à la présente affaire en particulier. 

47 Comme il est indiqué dans Bahniuk, une organisation syndicale comme la défenderesse n’est pas obligée de donner suite à tous les griefs qu’un employé veut présenter. De plus, comme il est clairement indiqué dans Rayonier, il appartient à l’organisation syndicale de décider quels griefs seront poursuivis et lesquels ne le seront pas, compte tenu des besoins et des ressources de l’ensemble de l’organisation et du bien-fondé des griefs. Du point de vue pratique, y compris la viabilité financière de l’organisation syndicale, il est tout simplement impossible de porter chaque grief à l’arbitrage. Les organisations syndicales disposent de ressources limitées et le devoir de représentation équitable leur accorde une latitude considérable pour prendre des décisions réfléchies quant à la manière dont ces ressources sont utilisées. Ajoutons à cela que, sur le plan juridique, les griefs ne sont pas tous valables en droit.

48 Tous les membres de l’organisation syndicale ont le droit de bénéficier d’une représentation, mais ce n’est pas un droit absolu. Cela ne veut pas dire, par exemple, que le membre peut insister pour que l’organisation syndicale appuie un grief. Dans la mesure où l’agent négociateur n’agit pas de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi, il est autorisé à répartir les ressources limitées de l’organisation de manière rationnelle. Par exemple, une organisation syndicale comme la défenderesse peut décider de porter un grief à l’arbitrage ou de ne pas le porter à l’arbitrage sans que la Commission intervienne dans cette décision, dans la mesure où les dispositions de l’article 187 de la Loi sont respectées.

49 Bref, le devoir de représentation juste ne signifie pas que la défenderesse doit porter les six griefs à l’arbitrage afin que l’arbitre de grief puisse rendre des décisions « impartiales », comme le voudrait le plaignant. L’opinion de la défenderesse datée du 25 mars 2010 représentait une tentative détaillée, basée sur un long travail de recherche, pour analyser les six griefs et tirer des conclusions réfléchies quant aux griefs qu’il valait la peine d’appuyer et ceux qui n’en valaient pas la peine. Le plaignant estime que ses griefs « s’entrelaçaient » et étaient interreliés. Pourtant, la défenderesse a été capable de les analyser de manière à établir le bien-fondé de chacun et, partant, à tirer des conclusions quant aux griefs qu’il valait la peine d’appuyer. C’est la procédure normale pour analyser et évaluer des griefs au sein d’une organisation syndicale. Il est également d’usage dans les organisations syndicales de donner suite à certains griefs et pas à d’autres.

50 Dans son courriel du 7 avril 2010, le plaignant dit comprendre « parfaitement » que l’analyse contenue dans la lettre du 25 mars 2010 […] faisait partie [du] travail [de la défenderesse] », mais que c’était [traduction] « incroyablement intéressé […] pour justifier une décision ». Je ne partage pas ce point de vue. Selon moi, cette lettre était l’aboutissement d’un exercice parfaitement approprié et responsable de la part de la défenderesse. Elle contenait une analyse des éléments pertinents et contradictoires et jetait les bases pour prendre une décision réfléchie quant à la manière dont la défenderesse utiliserait ses ressources. Rien dans cette lettre ne dénote une conduite arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Les décisions de la défenderesse d’appuyer certaines questions et non pas d’autres étaient la conséquence logique de l’analyse contenue dans la lettre du 25 mars 2010. Ce n’était pas une justification intéressée de sa part, contrairement à ce qu’allègue le plaignant. 

51 Le plaignant conteste également la décision de remplacer la suspension initiale imposée en 2007 par un congé payé. C’est pourtant une décision qui profite au plaignant, mais elle soulève également la question de savoir si l’arbitre de grief a compétence pour statuer sur la réprimande. D’ordinaire, l’objection du plaignant susciterait l’étonnement, mais dans ce cas-ci, le plaignant considère la mesure comme une autre stratégie de l’employeur pour éviter la tenue d’une audience publique pour débattre de la véritable question en litige, c’est-à-dire le peu d’appui offert par l’employeur aux employés qui sont l’objet de plaintes de la part de contribuables. Cette question est la préoccupation absolue du plaignant et celle pour laquelle il cherche à obtenir de la visibilité. Le plaignant allègue de plus qu’en refusant d’adopter son point de vue sur toutes les questions soulevées dans les six griefs, la défenderesse s’est rendue complice des tentatives de l’employeur pour se soustraire à l’examen du public. C’est une allégation qui n’est pas fondée et je dois la rejeter. Je rappelle de nouveau que je donne mon avis uniquement sur la question de savoir si ces décisions étaient justifiées et non pas sur la question de savoir, par exemple, s’il y a des questions de compétence à trancher ou, s’il y en a, si elles sont fondées.

52 Un autre point important pour le plaignant est le contrôle de ses griefs. Au début, il affirmait qu’il [traduction] « préférait se représenter [lui-même] […] jusqu’au dernier palier ». Il a accepté de se faire représenter par la défenderesse seulement après avoir été informé que cette représentation devait lui être fournie dès le début et non pas à la fin de la procédure de règlement des griefs. À partir de ce moment-là, le plaignant a manifestement eu beaucoup de difficulté à accepter que la défenderesse prenne des décisions sur ses six griefs. Il a tout de même tenté d’exercer un contrôle; comme il le dit lui-même, il croyait que la formulation des griefs ferait l’objet de négociations et qu’il pourrait les [traduction] « examiner […] et [les] approuver ». Rappelons plus particulièrement la réaction alarmée du plaignant lorsque la défenderesse a fait part à l’employeur du montant des dommages (100 000 $) que le plaignant proposait. Il a protesté contre le fait que la défenderesse avait agi [traduction] « en dehors du cadre de la présentation d’un grief ». Cependant, il est d’usage, et c’est même généralement souhaitable, que les discussions entre la défenderesse et l’employeur se tiennent à de nombreux niveaux, y compris en dehors du cadre de la procédure de règlement des griefs. 

53 Le plaignant réprouve également les prorogations de délai obtenues par la défenderesse, cependant, tant qu’il n’y a pas d’abus, cela constitue également un aspect normal et parfois nécessaire de la procédure de règlement des griefs. Le plaignant maintient aussi catégoriquement que la défenderesse a commis une erreur grave par négligence en concluant qu’il avait continué d’être rémunéré pendant qu’il était absent du travail. J’admets que la défenderesse a défendu cette position au début, mais elle a changé d’idée après avoir reçu des renseignements du plaignant. Cela démontre que la défenderesse a tenu un processus de consultation et qu’elle a accepté les changements; rien ne me permet dès lors de conclure que la défenderesse a pris des décisions de ce genre de manière arbitraire et qu’elle nourrissait par ailleurs de l’hostilité à l’endroit du plaignant. 

54 Le plaignant est aussi en désaccord avec d’autres points, notamment la manière dont la défenderesse a formulé une partie des griefs et sa décision de mettre en relief certaines questions ou sur certains faits et non pas d’autres. La réponse générale à ces préoccupations est que la défenderesse a le droit de prendre des décisions fondamentales et stratégiques relativement aux griefs, dans la mesure où ces décisions ne sont pas arbitraires ou discriminatoires ou entachées de mauvaise foi. J’estime que la défenderesse n’a pas agi de manière répréhensible en prenant les décisions dont il est question dans la présente plainte. Le plaignant croyait assurément, et continue toujours de croire, que les griefs en litige auraient dû ou auraient pu être traités de façon différente et il estime qu’il aurait pu faire mieux. Mais ces certitudes ne signifient pas que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable. Il est indéniable que le statut actuel des six griefs est le résultat de l’analyse à laquelle s’est livrée la défenderesse et des décisions qu’elle a prises, après avoir prêté une oreille attentive aux préoccupations du plaignant et apporté des modifications en conséquence. Le plaignant n’a pas réussi à convaincre la défenderesse de se plier à toutes ses demandes, mais au risque de me répéter, cela ne constitue pas une violation de l’article 187 de la Loi. Pour finir, je me dois d’ajouter que rien ne prouve que la défenderesse a [traduction] « délibérément omis des renseignements pertinents et formulé [ses arguments du 28 juillet 2010] de manière à étayer ses décisions quant aux renvois à l’arbitrage et à présenter une défense contre la présente plainte », comme l’allègue le plaignant dans ses arguments du 29 mars 2011.

55 Le plaignant soulève également les questions suivantes : 

a) Le plaignant écrit ceci dans son courriel du 7 avril 2010 à la défenderesse :

[Traduction]

Il aurait fallu de si peu de choses pour tenir compte de mes désirs et démontrer ainsi que vous étiez réellement de bonne foi; de plus, compte tenu des raisons que j’avais de me méfier du SEI, l’AFPC aurait pu tendre la main et démontré qu’elle était de bonne foi. Vous avez malheureusement décidé de n’en rien faire.

J’en conclus que le plaignant se méfie autant du SEI que de l’AFPC et qu’il soupçonne cette dernière d’être inféodée au SEI. Je prends acte de ces soupçons, mais je suis incapable de conclure, à la lumière de la preuve, que cela représente une description fiable de la situation ou que je dois par ailleurs y accorder une importance significative pour statuer sur la présente plainte.

b) Le plaignant s’insurge contre la manière dont la défenderesse a traité sa demande de dommages majorés. Il craignait, en juin 2008, que la défenderesse refuse de soulever ce point et c’est exactement la décision que la défenderesse lui a communiquée dans un courriel daté du 4 juin 2008. Cependant, après avoir obtenu des renseignements du plaignant, la défenderesse a décidé de poursuivre la question des dommages majorés. Cela correspond à la procédure habituelle qui consiste à apprécier les questions soulevées dans le grief, à prendre une décision stratégique quant à la suite à donner au grief et à modifier ensuite une décision à la lumière de nouveaux renseignements. J’ajouterais que cela indique que la défenderesse n’avait pas une idée préconçue quant aux griefs susceptibles d’être portés à l’arbitrage. Je mentionnerai également que la défenderesse s’est ravisée au sujet du grief de harcèlement et qu’elle a finalement décidé de le porter à l’arbitrage, quoique d’une manière qui ne convenait pas au plaignant. Il s’ensuit que je ne partage pas l’opinion du plaignant que ces incidents dénotent de la négligence, à tout le moins, de la part de la défenderesse.

c) Le plaignant a expressément demandé à la Commission de rendre une ordonnance pour [traduction] « remédier à l’incapacité » résultant de l’utilisation par l’employeur, de l’argument concernant [traduction] l’obstacle érigé par Burchill ». Cette demande découle du courriel du 1er avril 2010 dans lequel la défenderesse indique qu’elle n’exclut pas la « possibilité » que l’employeur soulève comme objection préliminaire que la nature du grief de harcèlement a été modifiée parce que la question de la peine pécuniaire ne figurait pas dans le grief initial du 14 avril 2008. Pour les motifs que j’ai exposés ci-dessus, je ne peux pas me prononcer ni dans un sens ni dans l’autre sur cette question qui devra être tranchée par un arbitre de grief investi des pouvoirs nécessaires. Cela dit, dans le contexte d’une plainte visée à l’article 187 de la Loi, j’estime que la défenderesse a agi de manière responsable en faisant ce commentaire; elle a décelé et évalué le problème et pris une décision relativement à la question de fond et à la stratégie en cause.

56 Pour finir, je note que la défenderesse a réussi à obtenir quelques mesures de réparation pour le plaignant relativement à certains de ses griefs. Par exemple, la suspension initiale imposée en 2007 a été remplacée par un congé payé. Les arguments soumis par le plaignant y sont certainement pour quelque chose, mais j’estime également que la défenderesse a joué un rôle important à ce chapitre. Donc, à la lumière de cette information, il est bien évident que nous ne sommes pas en présence d’un cas où la défenderesse est demeurée les bras croisés et n’a fait aucun cas du plaignant ou de ses préoccupations. En fait, il convient de mentionner que la défenderesse a consacré beaucoup de temps et de ressources et déployé des réserves de patience dans diverses tentatives pour aider le plaignant.

57 Au vu des conclusions qui précèdent, il n’est pas nécessaire de décider si le plaignant peut modifier sa plainte de juin 2010 afin d’y intégrer une mesure [traduction] « corrective intégrale ». Le plaignant a formulé cette demande dans ses arguments du 14 avril 2011 et la défenderesse s’y est opposée.

Résumé et conclusion

58 Le plaignant demande à la Commission de rendre des ordonnances aux termes des articles 187 et 190 de la Loi afin d’obliger la défenderesse à appuyer le renvoi de six griefs à l’arbitrage. Après avoir examiné tous les griefs, la défenderesse a décidé d’appuyer le renvoi de certaines questions seulement.

59 Pour s’acquitter de son devoir de représentation équitable, l’organisation syndicale doit représenter les fonctionnaires qui font partie de l’unité de négociation sans agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Cela ne veut pas dire que l’organisation syndicale doit porter à l’arbitrage tous les griefs pour lesquels un fonctionnaire veut obtenir une décision arbitrale. Son obligation consiste plutôt à prendre une décision réfléchie quant au bien-fondé du grief. Dans le contexte de ce processus de réflexion, l’organisation peut décider comment utiliser ses quelques ressources disponibles de manière adéquate et efficace. 

60 Durant la procédure de règlement des griefs, la défenderesse a réussi (avec la collaboration du plaignant) à convaincre l’employeur d’apporter des modifications à ses décisions, dont certaines ont profité au plaignant. De même, dans la présente affaire, la défenderesse s’est livrée à une analyse minutieuse, détaillée et approfondie des griefs du plaignant. Sa décision de ne pas appuyer le renvoi à l’arbitrage de tous les griefs était l’aboutissement d’un processus réfléchi. Bref, la défenderesse n’a pas agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi.

61 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

62 La plainte est rejetée.

Le 13 mai 2011.

Traduction de la CRTFP

John Steeves,
commissaire

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