Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Un des fonctionnaires s'estimant lésé a réclamé la rémunération des heures supplémentaires travaillées, et les deux fonctionnaires s'estimant lésés ont réclamé la PSF - la pratique en vigueur dans l'établissement consistait à payer toutes les heures supplémentaires travaillées, même s’il était indiqué clairement dans la convention collective que les heures supplémentaires ne seraient payées que pour les périodes complètes de 15minutes - l'agent négociateur a fait valoir que l'employeur était empêché par préclusion d’appliquer le libellé strict de la convention collective, mais l'arbitre de grief a jugé que la préclusion n'avait pas été établie - l'arbitre de grief a conclu que la PSF devait être versée à un VM-01 pour tous les quarts de travail durant lesquels aucun VM-02 n'était en fonction. Un grief rejeté. Deux griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-05-13
  • Dossier:  566-32-1270, 1271 et 1405
  • Référence:  2011 CRTFP 70

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DR JEROME KATCHIN ET DR PIOTR PIOTROWSKI

fonctionnaires s'estimant lésés

et

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

Répertorié
Katchin et Piotrowski c. Agence canadienne d’inspection des aliments

Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Roger Beaulieu, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Crystal Stewart et Marcia Kredentser, avocates, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Debra L. Prupas, avocate

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 19 au 21 août 2008, du 23 au 26 juin 2009,
du 22 au 26 novembre et le 9 décembre 2010.
Arguments écrits déposés le 16 décembre 2010.
(Traduction de la CRTFP)

1 La présente affaire porte sur trois griefs d’interprétation en lien avec l’article B3 (Heures supplémentaires) et la clause G3.01 (Prime de surveillance fonctionnelle [la « PSF »]) de la convention collective conclue entre l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« employeur » ou l’« ACIA ») et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC »), expirant le 30 septembre 2007 (la « convention collective »).

2 Je traiterai d’abord du grief du Dr Jerome Katchin au sujet des heures supplémentaires (dossier de la CRTFP 566-32-1405).

3 Les deux autres griefs concernent le non paiement de la PSF (dossiers de la CRTFP 566-32-1270 et 1271). Les griefs sont identiques. Les parties ont produit des éléments de preuve seulement pour le grief visé par le dossier de la CRTFP 566-32-1270. La décision devrait s’appliquer aux deux griefs. Si les griefs sont accueillis, le montant payable à chacun des fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») sera basé sur les calculs s’appliquant à chaque cas.

Résumé de la preuve

A. Les heures supplémentaires

1. Pour le Dr Katchin

4 Lors du dépôt du grief, le Dr Katchin travaillait comme vétérinaire classifié au niveau VM-01 à l’abattoir Maple Lodge à Brampton (Ontario). Il s’agit d’un important abattoir de poulets et de volaille, où l’on transforme 250 000 poulets par jour. Il y a deux quarts de travail par jour à cet abattoir. Le Dr Katchin, un employé de longue date, a commencé à travailler pour le prédécesseur de l’ACIA le 4 octobre 1976. Il a travaillé à l’abattoir Maple Lodge pendant la plus grande partie de sa carrière, et ce, jusqu’à sa retraite, le 30 mai 2007. Ses heures de travail normales étaient de 12 h 30 à 20 h 30, soit les heures de travail du deuxième quart.

5 Le Dr Katchin a été un membre actif de l’IPFPC pendant toute sa carrière, sauf entre 1988 et 1998, alors qu’il travaillait dans son cabinet privé de médecine vétérinaire. En décembre 2001, il a renouvelé son mandat de délégué syndical auprès de l’IPFPC et a occupé plusieurs postes au sein de l’exécutif national (Comité national de santé et sécurité au travail, Comité national de l’hygiène et Comité des relations de travail de l’usine Maple Lodge de 2001 à 2007).

6 Le Dr Katchin a expliqué en détails les nombreuses opérations qui sont effectuées à l’usine Maple Lodge, qui est largement automatisée, ainsi que les interactions étroites entre les inspecteurs et les vétérinaires dans les quatre chaînes de production.

7 Lorsque le grief a été déposé, l’usine comptait environ 1 200 employés qui travaillaient les deux quarts de travail, à tour de rôle. Cinq de ces employés étaient des vétérinaires : l’un deux était un vétérinaire-inspecteur, classifié au niveau VM-02, qui travaillait le premier quart et les quatre autres étaient des vétérinaires classifiés au niveau VM-01 qui travaillaient, à tour de rôle, les premier et deuxième quarts. Le vétérinaire-inspecteur est le vétérinaire responsable.

8 Lorsque le grief a été déposé, les opérations à l’usine Maple Lodge étaient divisées en deux quarts de travail, soit de 4 h 00 à 12 h 00 et de 12 h 30 à 20 h 30. Les deux quarts étaient d’une durée de 7,5 heures, en prévoyant une pause de 30 minutes. Selon le témoin, ces quarts existaient avant 2000.

9 De plus, il est important de mentionner que les heures supplémentaires pour le premier quart sont effectuées entre 12 h 00 et 12 h 30 et que les heures supplémentaires pour le deuxième quart sont effectuées à partir de 20 h 30.

10 En 2006, l’ACIA comptait quelque 120 usines de transformation de la viande au Canada; de ce nombre, 20 usines au maximum avaient deux quarts de travail. Les autres usines n’avaient qu’un seul quart.

11 Selon le Dr Katchin, en ce qui concerne son grief relatif aux heures supplémentaires, la question importante à aborder porte sur la pratique de l’employeur de calculer les heures supplémentaires par périodes de 15 minutes.

12 La clause de la convention collective concernant les heures supplémentaires est libellée comme suit :

ARTICLE B3
HEURES SUPPLÉMENTAIRES

B3.01   Lorsqu’un employé est tenu par l’Employeur d’effectuer des heures supplémentaires, il est rémunéré de la façon suivante :

a)     un jour de travail normal, rémunération à tarif et demi (1,5) pour les sept virgule cinq (7,5) premières heures supplémentaires travaillées et au tarif double (2) par la suite;

[…]

B3.02 Calcul des heures supplémentaires

Tous les calculs d’heures supplémentaires se fondent sur chaque période complète de quinze (15) minutes.

13 Avant août 2006, les employés de l’usine Maple Lodge étaient rémunérés pour chaque période de 15 minutes d’heures supplémentaires travaillées; dès qu’un employé travaillait de une à 14 minutes de plus, cela était compté comme une période complète de 15 minutes de travail supplémentaires. Autrement dit, tel qu’il a été démontré par le Dr Katchin, lorsqu’il effectuait 16 minutes de travail après la fin de son quart régulier, il était payé le tarif et demi pour deux périodes complètes de travail de 15 minutes, même s’il n’avait complété qu’une seule période de 15 minutes.

14 Selon la preuve du Dr Katchin, cette pratique était instaurée depuis plusieurs années à l’usine Maple Lodge. Au milieu de 2006, lorsque la haute direction de l’ACIA a découvert l’existence de cette pratique, elle a informé tous les employés que, comme toutes les usines étaient régies par la même convention cadre de l’IPFPC, le libellé de la clause B3.02 de la convention collective s’appliquerait de manière uniforme et sans exception à l’ensemble des usines, à compter du mois d’août 2006. Lorsque le grief relatif aux heures supplémentaires a été déposé, le libellé des clauses B3.01 et B3.02 existait dans la convention collective de l’IPFPC depuis des années.

15 Lorsque l’usine a imposé la mise en pratique stricte du libellé de la convention collective, les employés ont cessé d’être rémunérés lorsqu’ils travaillaient moins de 15 minutes d’heures supplémentaires.

16 C’est alors que le Dr Katchin a déposé son grief signé le 12 septembre 2006.

2. Pour l’employeur

17 L’employeur a fait comparaître un témoin, Line Caissie, qui s’est jointe à la fonction publique en 1972. Elle a pris sa retraite en 2008, après avoir occupé plusieurs postes à la haute direction de l’ACIA. Alors qu’elle travaillait au Ressources humaines de l’ACIA, elle a occupé le poste d’agente principale des relations de travail et a siégé au Comité national de consultation syndicale-patronale à Ottawa.

18 Mme Caissie a aussi joué un rôle important comme gestionnaire de la négociation collective et comme négociatrice en chef de l’ACIA, de 2002 jusqu’à sa retraite en 2008. Elle a été négociatrice en chef de la partie patronale de la convention collective de l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour les groupes Informatique et Scientifique et analytique, et la négociatrice principale de la partie patronale pour la convention collective de Médecine vétérinaire (VM) visée par la présente affaire (pièce U-1), et pour la convention collective VM précédente.

19 D’après la preuve produite par l’employeur, lorsqu’un employé a travaillé son quart normal de travail de sept heures et demie, les heures supplémentaires sont rémunérées en conformité avec la clause B3.01 de la convention collective et sont calculées en conformité avec la clause B3.02. Autrement dit, les heures supplémentaires sont calculées en fonction des périodes complètes de 15 minutes de travail.

20 Lorsqu’elle a rejeté le grief, la direction a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas établi qu’il n’avait pas été rémunéré pour des périodes d’heures supplémentaires de 15 minutes :

[Traduction]

Essentiellement, vous prétendez que les heures supplémentaires ne vous ont pas été rémunérées conformément à la clause B3.01 de la convention collective de Médecine vétérinaire (VM), et vous avez mentionné des circonstances pour lesquelles vous avez réclamé des heures supplémentaires pour lesquelles vous n’avez pas été rémunéré parce que la durée de la période travaillée n’était pas d’au moins 15 minutes.

Aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs, vous avez été avisé que la direction devait avoir des exemples d’une situation où vous avez effectivement été lésé en application de cette clause. Les exemples que vous avez donnés à l’audience au dernier palier se sont produits après le dépôt de votre grief. Par conséquent, vous ne pouvez pas être considéré comme ayant été lésé étant donné que, pour déposer un grief individuel, un employé doit démontrer qu’il a été lésé dans une période de 35 jours précédent le dépôt du grief, comme le prévoit la convention collective des employées classifiés au niveau VM. Ainsi, la direction ne peut pas déterminer que vous avez effectivement été lésé.

En ce qui concerne la réponse au grief 07-CFIA-ON-CE-12299 au premier palier de la procédure de règlement des griefs, je note que vous acceptez de soumettre de nouveau à la direction des formulaires d’heures supplémentaires pour les dates que vous avez indiquées ici.

Tel qu’il a été indiqué dans les réponses vous ayant été fournies aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs, la clause B3.02 stipule que « [T]ous les calculs d’heures supplémentaires se fondent sur chaque période complète de quinze (15) minutes ». Les employés touchent donc une rémunération d’heures supplémentaires lorsqu’ils ont travaillé une période complète de 15 minutes d’heures supplémentaires.

Compte tenu de cette information, je ne peux pas vous accorder la mesure corrective que vous demandez et je ne peux pas examiner votre plainte.

B. La question de la PSF

1. Pour les fonctionnaires

21 Tom Wright, classifié VM-02, a produit la preuve suivante. Au moment de l’audience, il était vétérinaire à l’ACIA depuis 18 ans et un membre actif de l’IPFPC. Il a joué plusieurs rôles à l’IPFPC, entre autres, il a siégé au conseil de l’exécutif du groupe VM qui compte neuf membres et qui représente tous les VM canadiens à l’ACIA, soit quelque 600 vétérinaires.

22 Le Dr Wright a joué un rôle principal dans la négociation collective pour l’IPFPC et il a présidé le Comité de négociation en vue de la conclusion de la convention collective (pièce U-1). Le Dr Wright a assisté à toutes les négociations qui ont mené à la convention collective.

23 Le libellé de la clause G3.01 était nouveau dans la convention collective. Il remplaçait les anciennes dispositions relatives aux chefs d’équipe des conventions collectives antérieures. Le terme « fonctionnelle » de l’article G3 est le résultat d’une demande de l’IPFPC qui souhaitait donner aux vétérinaires un plus grand statut professionnel et les éloigner du terme « chefs d’équipe ».

24 Selon le Dr Wright, l’employeur souhaitait aiguiller les questions pécuniaires vers des groupes particuliers de vétérinaires, non pas vers l’ensemble des groupes de vétérinaires. La PSF a été conçue à cette fin.

25 Selon le témoignage du Dr Wright, la PSF avait pour but d’indemniser un VM-01 qui travaillait un quart au cours duquel aucun VM-02 n’était en fonction. En l’absence d’un VM-02 lors du deuxième quart (le VM-02 travaillait toujours le premier quart), certaines tâches du VM-02 sont temporairement attribuées à un VM-01 du deuxième quart. Il est ainsi possible de satisfaire à toutes les exigences opérationnelles et de respecter pleinement les lois et règlements en matière de viande et d’hygiène, et ce, sans interrompre la production. Il s’agit d’une responsabilité cruciale. Elle est particulièrement importante dans des usines d’abattage où il y deux quarts, comme c’est le cas de Maple Lodge, qui compte quatre chaînes de production hautement automatisées. Les VM-01 ont de nombreuses responsabilités en sus de celles des inspecteurs qui travaillent à la chaîne de production.

26 Selon le Dr Wright, le rôle de supervision fonctionnelle étendait les responsabilités du VM-02 du premier quart au VM-01 qui travaillait les quarts où il n’y avait pas de VM-02.

27 Le Dr Wright a expliqué qu’au moment du dépôt des griefs, il y avait 120 usines de transformation de viande au Canada; de ce nombre, un maximum de 20 usines avaient deux quarts de travail. Ainsi, la PSF était payable dans un maximum de seulement 20 usines étant donné qu’un VM-02 était toujours en fonction dans les usines ayant un seul quart.

28 Le Dr Wright a également relevé une ambigüité dans le libellé de la clause G3.01 de la convention collective du fait que les quarts de soir et de nuit n’étaient pas définis. Cependant, le Dr Wright a reconnu que l’IPFPC avait demandé que les quarts de soir et de nuit soient définis et a admis que la demande de l’IPFPC avait échoué.

29 Le Dr Wright a reconnu que toutes les conditions du travail par quart en l’espèce étaient et sont couvertes par l’article B2 de la convention collective, et plus particulièrement les clauses B2.01 à B2.12, inclusivement.

30 De plus, le Dr Wright a reconnu et confirmé qu’à l’usine Maple Lodge, le premier quart commençait à 4 h 00 et se terminait à 12 h 00 et que le deuxième quart commençait à 12 h 30 et se terminait à 20 h 30.

31 En conclusion, le Dr Wright a déclaré qu’il avait pris connaissance de la situation concernant la PSF aux usines dans le cadre d’un échange de courriels avec le Dr Dennis Barran, le 6 juin 2006 (pièce U-5).

32 En 2006, les Drs Katchin et Piotrowski ont contesté le fait qu’ils ne touchaient pas de PSF. À une date ultérieure, l’employeur a payé la PSF au Dr Katchin. Toutefois, en 2009, à la demande de l’employeur, le Dr Katchin a dû, sous toute réserve, rembourser 1 256,44 $.

33 Selon le Dr Katchin, le VM-01 qui travaille à la troisième chaîne de production au cours du deuxième quart devrait être celui qui touche la PSF. Étant donné que les quatre VM-01 travaillent à tour de rôle à la troisième chaîne de production, qu’il s’agit du meilleur moyen d’assurer une distribution équitable de la PSF.

2. Pour l’employeur

34 Selon la preuve non contestée de l’employeur, l’IPFPC n’a pas demandé de définition pour les quarts de soir ou de nuit avant d’approuver le libellé définitif de la nouvelle clause au sujet de la PSF de la convention collective (clause G3.01).

35 Mme Caissie a produit en preuve la pièce E-14, un document que les deux parties ont signé et qui énonçait en détails les conditions en vertu desquelles la PSF était payée. Il se lisait en partie comme suit :

[Traduction]

Groupe Médecine vétérinaire

Le 29 juin 2005, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) ont convenu d’inclure une indemnité pour l’hygiène des viandes (IHV), un paiement ponctuel conditionnel pour les VM, ainsi qu’une prime de surveillance fonctionnelle (PSF).

Les parties ont convenu de discuter de toutes difficultés liées à la mise en application de l’indemnité et de la prime et ont établi les principes suivants.

[…]

ARTICLE 03

PRIME DE SURVEILLANCE FONCTIONNELLE

« G3.01  À compter du 1er janvier 2006, l’employé de niveau VM-01 à qui sont assignées des tâches de surveillance fonctionnelle qui travaille un quart de soir ou de nuit alors qu’aucun surveillant de niveau VM-02 n’est assigné à ce quart, recevra une prime de surveillance fonctionnelle représentant quatre pour cent (4 %) de son taux de rémunération horaire pour toutes les heures de travail, y compris les heures supplémentaires. »

Il est important de noter que plusieurs conditions doivent être respectées pour toucher cette indemnité.

-         il faut être un VM-01

-         il faut avoir été assigné à des tâches de supervision fonctionnelle

-         il faut travailler un quart de soir ou de nuit

-         il faut qu’aucun VM-02 ne soit sur place

Ce document ne fait pas partie de la convention collective.

36 La clause sur la PSF a ensuite été incluse dans la convention collective. Le nouveau libellé de la clause G3.01 se lit comme suit :

ARTICLE G3

PRIME DE SURVEILLANCE FONCTIONNELLE

G3.01     À compter du 1er janvier 2006, lorsqu’un employé de niveau VM-01 à qui sont assignées des tâches de surveillance fonctionnelle travaille un quart de soir ou de nuit, et qu’aucun surveillant de niveau VM-02 n’est assigné à ce quart, recevra une prime de surveillance fonctionnelle représentant quatre pour cent (4 %) de son taux de rémunération horaire pour toutes les heures de travail, y compris les heures supplémentaires.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

37 Les avocates des fonctionnaires ont présenté des arguments en ce qui a trait aux heures supplémentaires et à la PSF.

1. Grief relatif aux heures supplémentaires

38 La question touchant les heures supplémentaires est la suivante : Est-ce que, en raison d’une pratique de longue date consistant à payer des heures supplémentaires d’une telle façon, l’employeur est empêché par préclusion d’appliquer la clause B3.02 de la convention collective?

39 Premièrement, les avocates des fonctionnaires ont déclaré que, lorsque moins de 15 minutes étaient travaillées (c.-à-d. entre une et 14 minutes), elles devaient être rémunérées (arrondissement à 15 minutes) en plus de toutes les périodes complètes de 15 minutes d’heures supplémentaires travaillées, conformément à la pratique adoptée par le passé à l’usine Maple Lodge. L’employeur est empêché par préclusion de modifier cette pratique.

40 Les avocates des fonctionnaires ont soumis qu’il serait injuste et inéquitable de permettre à l’employeur de modifier unilatéralement sa pratique à l’usine à mi-chemin de la convention collective.

41 Par ailleurs, les avocates des fonctionnaires ont insisté sur le fait que l’IPFPC s’était fié, à son détriment, à la pratique qui était exercée par la passé.

42 À l’appui de cet argument, les avocates ont invoqué Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e éd. (paragraphe 2:2200 à 2:2221, 3:4400 et 3:4430); Leitch Gold Mines Ltd. et al. v. Texas Gulf Sulphur Co. (Incorporated) et al. (1968), 3 D.L.R. (3d) 161; Excel Forest Products Ltd. v. Industrial Wood and Allied Workers of Canada (2001), 100 L.A.C. (4e) 16; Bunyan et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 85; Newfoundland and Labrador Association of Public and Private Employees v. Labrador School Board District No. 1, [2005] N.L.L.A.A. No. 11 (QL).

43 De plus, les avocates ont fait valoir que les dommages demandés étaient continus, soit à partir de la date du dépôt du grief jusqu’à la date de la retraite du fonctionnaire (du 12 septembre 2006 au 30 mai 2007).

44 Les avocates des fonctionnaires ont argué que si je jugeais que le Dr Katchin n’avait pas droit aux heures supplémentaires, il devrait alors être rémunéré au tarif horaire, aux termes de la clause G1.02 de la convention collective.

45 En conclusion, le Dr Katchin demande que 11,75 heures lui soient rémunérées au tarif des heures supplémentaires approprié ou, selon le cas, au tarif horaire.

2. La PSF

46 La question touchant la PSF est la suivante : Les VM-01 de l’usine de Maple Lodge ont-ils droit, en vertu de la clause G3.01 de la convention collective, à la PSF?

47 Les avocates ont soutenu que deux passages de cette clause comportent des ambigüités latentes. Que signifie-t-on par [traduction] « […] [L]orsqu’un employé de niveau VM-01 à qui sont assignées des tâches de surveillance fonctionnelle […] »?, et par [traduction] « un quart de soir ou de nuit » puisqu’aucune définition de ces termes n’est donnée? Selon les avocates, afin de régler ces ambigüités latentes, je devrais accepter la preuve extrinsèque, plus précisément l’historique de la négociation de la clause, comme une aide à l’interprétation.

48 En ce qui concerne la production d’une preuve extrinsèque, j’ai informé les parties que je prendrais la demande en délibéré, que j’écouterais leurs positions respectives sur la question et que je rendrais une décision quant à son admission dans mes motifs.

49 Les fonctionnaires estiment que, dans une usine fonctionnant avec deux quarts, le VM-01 qui effectue le deuxième quart sans superviseur VM-02 sur place devrait toujours recevoir une PSF. Selon les avocates des fonctionnaires, cela découle du fait qu’un vétérinaire doté de pleines responsabilités en matière de supervision doit être sur place en tout temps pendant les opérations afin d’éviter les interruptions et de satisfaire aux lois et règlements pertinents. Comme un VM-02 responsable supervise toujours le premier quart, aucune PSF ne doit être accordée pour ce quart. Cependant, lors du deuxième quart, comme il n’y a pas de VM-02, un VM-01 doit assumer ces responsabilités. Par conséquent, l’employé classifié au niveau VM-01 doit toucher la PSF, aux termes de la clause G3.01 de la convention collective.

50 Pour ce qui est de la question de l’attribution, le Dr. Katchin a déclaré que le VM-01 qui travaille à la troisième chaîne d’inspection lors du deuxième quart devrait recevoir la PSF, ce qui permettrait une distribution équitable de la PSF à chacun des quatre VM-01 qui sont affectés, à tour de rôle, à cette chaîne.

51 En dernier lieu, les avocates des fonctionnaires ont soutenu que, si je concluais que le libellé de la clause G3.01 de la convention collective ne comportait pas d’ambigüité, alors tous les VM-01 assignés au deuxième quart devraient avoir droit à la PSF.

52 En conclusion, le redressement que demande le Dr Katchin dans son grief relatif à la PSF s’élève à 1 256,44 $, montant qu’on lui avait versé et qu’il avait ensuite dû rembourser parce que l’employeur prétendait lui avoir versé par erreur. De plus, les avocates des fonctionnaires ont conclu en déclarant que la mesure corrective pour le Dr Piotrowski en ce qui concerne la demande de PSF restait à déterminer et que je devrais demeurer saisi du dossier jusqu’à ce qu’il soit indemnisé, selon le cas où je décidais de trancher en sa faveur.

B. Pour l’employeur

53 L’avocate de l’employeur a commencé son argumentation en présentant un exposé conjoint des faits portant sur quatre questions, se lisant comme suit :

[Traduction]

1- Maple Lodge est une importante usine qui fonctionne avec deux quarts de travail et dans laquelle on retrouve un grand nombre d’employés de l’ACIA et de l’usine.

2- L’abattoir Maple Lodge transforme 250 000 poulets par jour, cinq jours par semaine.

3- La principale raison d’être et mission de l’ACIA à Maple Lodge et dans d’autres établissements de l’ACIA est de protéger et de préserver la santé et la sécurité des consommateurs.

4- L’employeur est d’accord avec l’agent négociateur pour dire que la clause G3.01 est ambigüe et comporte une ambigüité latente.

54 Selon l’avocate de l’employeur, si quelque chose va à l’encontre de la loi ou de son règlement, c’est la loi qui prévaut, malgré la preuve du contraire.

55 De plus, elle a soutenu que le Dr Katchin, à titre de médecin vétérinaire officiel et d’inspecteur, peut détenir et retenir, conformément au Règlement de 1990 sur l’inspection des viandes (DORS/90-288) (le « Règlement ») (pièce E-6), un animal, un produit de viande ou [traduction] « autre chose ».

56 L’avocate de l’employeur a soutenu que l’employeur n’était pas tenu d’attribuer des responsabilités de supervision fonctionnelle à un VM-01 en l’absence d’un VM-02. Par ailleurs, elle a déclaré que, lorsque de telles responsabilités sont attribuées à un VM-01, cela ne signifie pas qu’il devient le vétérinaire responsable. Le fait d’attribuer à un VM-01 des tâches de supervision fonctionnelle ne signifie pas que le VM-01 agit à titre de VM-02.

57 L’avocate de l’employeur a déclaré que, conformément à la Loi sur l’inspection des viandes, L.R.C. (1985), ch. 25 (1er suppl.) et au Règlement,un VM-01 est également un inspecteur et est autorisé à arrêter les opérations et à régler les problèmes dans une usine d’abattage.

58 De plus, elle a déclaré que, selon la clause G3.01 de la convention collective, l’attribution de la PSF est à la discrétion de l’employeur. Elle a expliqué que l’attribution comprend plus de responsabilités que celles prévues dans la description de travail des VM-01. Le terme « assigné » défini en termes généraux porte à croire que les tâches des VM-01 ne sont pas toutes contenues dans la description de travail (pièce E-1).

59 Par ailleurs, l’avocate de l’employeur a déclaré que tous les VM-01 visés par la convention collective n’occupent pas la totalité des postes décrits dans la description de poste VM-01.

60 En conclusion, elle a déclaré que, parce que les griefs proviennent d’une usine d’abattage, ma décision doit se limiter aux VM-01 qui travaillent dans une usine d’abattage.

61 Les deux parties ont convenu, dans l’exposé conjoint des faits, que le libellé de la clause G3.01 de la convention collective était ambigu et qu’il contenait des ambigüités latentes. Elles ont demandé que l’arbitre de grief accepte leur historique de négociation à titre de preuve extrinsèque et d’aide à l’interprétation.

62 Dans son témoignage, Mme Caissie a établi que les quarts de soir et de nuit n’avaient pas été définis au moment de la signature de la convention collective et qu’ils n’avaient pas changé depuis la convention collective précédente. Le premier quart commence à 4 h 00 et se termine à 12 h 00 et le deuxième quart commence à 12 h 30 et se termine à 20 h 30. Il est également évident qu’un VM-02 est toujours affecté au premier quart et qu’aucune PSF n’est versée pour ce quart. Par conséquent, à l’usine Maple Lodge, la PSF peut être payée seulement pour le deuxième quart. En conclusion, le libellé clair et non ambigu de la clause G3.01 de la convention collective prévoit que la PSF s’applique seulement à un VM-01 du deuxième quart.

63 En bref, les arguments de l’employeur relativement aux heures supplémentaires étaient les suivants :

[Traduction]

  • L’arbitre de grief n’a pas compétence en l’espèce parce que, au moment du dépôt de son grief, le Dr Katchin n’avait pas été personnellement lésé et on ne lui avait pas refusé de rémunération.
  • En contre-interrogatoire, le Dr Katchin a admis qu’il n’avait pas fait de demande relativement à des heures supplémentaires. Il a aussi admis qu’il n’était pas en mesure de prouver qu’il avait été lésé et qu’on lui avait refusé des heures supplémentaires entre le 12 septembre 2006 et la date de l’audience.
  • Un examen du grief du Dr Katchin (pièce U-23), des réponses au grief (pièces U-23(a) à (c), pièces E-8, E-9 et E-24), du relevé des heures supplémentaires déposé sous toute réserve et sans préjudice, ainsi que des pièces E-10 à E-12, a révélé que l’ensemble des incidents visés dans le contexte du grief se sont produits après le dépôt du grief. Par conséquent, l’employeur a soumis que le grief est hors délai, et que le Dr Katchin n’a produit aucune preuve démontrant qu’il avait été lésé.

64 En dernier lieu, dans son argumentation, l’avocate de l’employeur a traité de deux questions soulevées par les avocates des fonctionnaires, la préclusion et le redressement.

1. Préclusion

65 En ce qui concerne la question de la préclusion promissoire, l’avocate de l’employeur a invoqué Pronovost c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 93.

66 L’avocate de l’employeur a établi lors de l’interrogatoire principal et a confirmé lors du contre-interrogatoire que la pratique à l’usine Maple Lodge de calculer les heures supplémentaires de sorte à inclure toutes les minutes travaillées a été interrompue lorsque la haute direction en a pris connaissance. Au printemps 2006, le Dr Barran a informé le Dr Katchin qu’on mettrait fin à leur méthode de calcul des heures supplémentaires. Un avis approprié a été donné à toutes les personnes concernées et la pratique qui avait été instaurée seulement à l’usine Maple Lodge a été interrompue. Le libellé de la convention collective, qui s’applique à tous les établissements de l’ACIA, a été appliqué de manière uniforme, sans exception. À ce moment, les Drs Barran et Katchin ont instauré une autre manière d’appliquer la clause B3.02 à l’usine Maple Lodge, mais cela n’a duré que quelques semaines. On a mis fin à cette pratique parce qu’elle était également contraire au libellé de la convention collective s’appliquant à l’ensemble des établissements de l’ACIA.

67 L’avocate de l’employeur a conclu que la pratique antérieure ne pouvait pas donner lieu à une préclusion.

2. Redressement

68 Selon le Dr Katchin, en ce qui concerne les heures supplémentaires et la PSF, les griefs étaient de nature récurrente et les deux fonctionnaires devraient se retrouver dans la position où ils auraient été si la convention collective n’avait pas été violée. Les avocates des fonctionnaires ont également fait valoir que la période à prendre en considération en ce qui a trait aux dommages versés devraient débuter à la date du dépôt des griefs et se terminer à la date de départ des fonctionnaires, soit le 30 mai dans le cas du Dr Katchin et, dans le cas du Dr Piotrowski, la date de son départ de l’usine.

69 L’avocate de l’employeur a déclaré que le Dr Piotrowski n’avait pas témoigné et qu’il n’avait pas produit de preuve à l’égard de la PSF ou du nombre d’heures qui lui seraient payables si je juge que son grief est fondé. De plus, aucun redressement ne peut être ordonné puisqu’aucune preuve n’a été produite pour démontrer que la clause relative à la PSF de la convention collective a été violée.

70 Les avocates des fonctionnaires ont réclamé un redressement pour le Dr Katchin sous la forme d’une PSF, du 12 septembre 2006 au mois de mai 2007. L’avocate de l’employeur a soutenu que, si j’accueillais le grief du Dr Katchin relativement à la PSF, je ne pourrais lui octroyer que ce qu’il a réclamé (pièce U-10). En ce qui concerne la PSF, les avocates des fonctionnaires ont produit la pièce U-13, qui donne des précisions en ce qui a trait au recouvrement de 1 256,44 $ par l’employeur auprès du Dr Katchin.

71 En dernier lieu, l’avocate de l’employeur a déclaré que le Dr Katchin aurait dû contester le recouvrement de la PSF par l’employeur. De plus, elle a soutenu que je n’avais pas la compétence nécessaire pour ordonner un redressement en ce qui a trait à des événements qui s’étaient produits après le dépôt du grief.

72 À l’appui de sa position, l’avocate de l’employeur a invoqué: Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.); Motor Transport Industrial Relations Bureau of Ontario v. General Truck Drivers’ Union, Local 938 (1973), 4 L.A.C. (2d) 154; Consolidated Aviation Fueling of Toronto Ltd. v. International Association of Machinists (1972), 1 L.A.C. (2d) 377; Winnipeg (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 500, [2003] M.G.A.D. No. 45 (QL); Cape Breton Regional Hospital/Sydney City Hospital v. C.U.P.E., Local 1613 (1994), 43 L.A.C. (4e) 220; Pronovost; Reid c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-12631 (19820722); Bailey et al. c. Conseil du Trésor (Transports Canada - Garde côtière canadienne), dossiers de la CRTFP 166-02-17350 à 17362 (19880907); Toronto (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 416, [2008] O.L.A.A. No. 376 (QL); Canadian National Railways v. Canadian Pacific Ltd., [1978] B.C.J. No. 1298 (B.C.C.A.) (QL); Piotrowski c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2001 CRTFP 94; Piotrowski c. Procureur général du Canada, 2003 CFPI 757; articles 208 et 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « LRTFP »).

C. Réplique des fonctionnaires

73 Je résumerai la réplique des fonctionnaires aux six questions soulevées dans l’argumentation de l’employeur.

74 La première question concerne la Loi sur l’inspection des viandes. Les avocates des fonctionnaires ont déclaré que, aux termes de la Loi sur l’inspection des viandes et de son Règlement, tous ne sont pas habilités à fermer une usine. Les articles 29.2 et 29.3 du Règlement prévoient que le président de l’ACIA peut suspendre ou annuler le permis d’un établissement agréé (comme une usine) qui a contrevenu à la Loi sur l’inspection des viandes, à son Règlement ou au manuel des méthodes. De plus, le vétérinaire responsable dans un établissement a le pouvoir délégué et la responsabilité de veiller au respect de la loi et d’assurer que des produits carnés sains et savoureux sont disponibles et approuvés aux fins du commerce national et international.

75 Selon les avocates des fonctionnaires, la pertinence de cette question est au cœur de la PSF, qui consiste à assurer qu’une personne est en charge en l’absence d’un vétérinaire responsable. Les avocates des fonctionnaires ont soutenu que, si le vétérinaire responsable n’était pas sur place (ou que personne n’agissait à titre intérimaire comme vétérinaire responsable aux termes de la clause G1.08 de la convention collective ou n’était pas assignée à des tâches de surveillance fonctionnelle aux termes de la clause G3.01), l’établissement se retrouverait sans une personne habilitée à interrompre les opérations, au besoin, ce qui contreviendrait ainsi au manuel des méthodes. Par conséquent, selon les avocates des fonctionnaires, seul le vétérinaire responsable ou un VM-01 à qui des tâches de supervision fonctionnelle auraient été attribuées pourrait arrêter les opérations.

76 La deuxième question vise à déterminer si je devrais limiter mes conclusions aux abattoirs. Les avocates des fonctionnaires ont fait valoir que les parties ont convenu qu’il existait une ambigüité latente dans le libellé de la clause G3.01 de la convention collective et que, une fois cette question résolue après un examen de la convention cadre, il faudrait prendre en considération les abattoirs et les autres usines de l’ACIA en fonction de la preuve. Par conséquent, ma décision ne devrait pas se limiter aux abattoirs.

77 La troisième question concerne la définition des quarts de soir et de nuit. Les avocates des fonctionnaires ont fait valoir qu’il pourrait y avoir des problèmes au sujet de la PSF si ces termes ne sont pas définis. Les parties ont reconnu que l’IPFPC a soulevé la question de la définition des quarts de soir et de nuit au début des négociations pour ensuite la retirer. Ainsi, il n’y a pas de définitions pour les quarts de soir et de nuit dans la convention collective. Encore une fois, je traiterai de cette question dans mes motifs.

78 La quatrième question porte sur le grief du Dr Katchin concernant les heures supplémentaires. Les avocates des fonctionnaires ont affirmé que l’affirmation de l’employeur faisant valoir que le grief était prématuré repose sur le fait que le fonctionnaire n’avait pas été lésé avant d’avoir réellement réclamé des heures supplémentaires et qu’on les lui ait refusées. Selon les avocates des fonctionnaires, les instructions données par l’employeur, le 14 août 2006, n’étaient pas simplement prospectives; dès lors, elles ont donné lieu à une question réelle d’interprétation. De plus, les avocates des fonctionnaires ont fait valoir que, selon l’alinéa 208(1)a) de la LRTFP, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé « […] par l’interprétation ou l’application à son égard : […] ».

79 La cinquième question porte sur la préclusion et les heures supplémentaires. Les avocates des fonctionnaires fondent leur argument relatif à la préclusion sur la pratique qui s’est appliquée à tous les VM-01 de l’usine Maple Lodge au cours des 20 dernières années. Elles ont également fait valoir qu’à la connaissance du Dr Katchin la même pratique était en usage dans plus d’une douzaine d’usines.

80 Les avocates des fonctionnaires ont soutenu que la pratique de longue date de l’employeur consistait à payer des heures supplémentaires que l’employé ait travaillé une période complète de 15 minutes ou une fraction de cette période. Il ressort clairement que, depuis 1987, soit pendant la durée d’au moins quatre conventions collectives, l’employeur a adhéré à cette pratique et a, de ce fait, renoncé à son droit d’appliquer de manière stricte le libellé de la convention collective.

81 De plus, selon les avocates des fonctionnaires, l’employeur connaissait l’existence de cette pratique de longue date et le retour à une interprétation rigoureuse du libellé de la convention collective démontrait qu’il en était conscient et qu’il voulait y mettre un terme.

82 La dernière question porte sur les dommages. Les avocates des fonctionnaires ont réclamé que j’adopte la même approche que pour Hôtel Dieu. Elles ont estimé que tous les griefs étaient suffisamment généraux pour inclure la période suivant leur dépôt.

83 En conclusion, les avocates des fonctionnaires ont fait valoir qu’un redressement vise à placer les fonctionnaires dans la position où ils se seraient trouvés si l’employeur avait interprété correctement la convention collective. Par ailleurs, elles ont aussi soutenu que, même s’il est difficile d’établir le montant exact, l’arbitre de grief doit faire en sorte, au meilleur de sa capacité, que les fonctionnaires soient pleinement indemnisés.

84 En dernier lieu, les avocates des fonctionnaires ont déclaré que la preuve produite permettait à l’arbitre de grief de se prononcer sur la question des dommages. Elles ont demandé que je demeure saisi de l’affaire, au cas où les parties ne soient pas en mesure de s’entendre.

IV. Motifs

A. La question des heures supplémentaires

85 Le grief relatif aux heures supplémentaires du Dr Katchin est rejeté aux motifs suivants.

86 Le Dr Katchin se fie à une pratique de longue date de l’usine Maple Lodge.

87 Cependant, il ressort de la preuve produite par le Dr Katchin (pièce U-19) que le libellé de la clause 9.02 de la convention cadre est identique à celui de la clause B3.02 de la convention collective, qui stipule que « [T]ous les calculs d’heures supplémentaires se fondent sur chaque période complète de quinze (15) minutes ».

88 Le Dr Wright a aussi déclaré que, lorsque le grief a été déposé, l’ACIA comptait 120 usines de production de viande au Canada. Chacune avait le même libellé relatif aux heures supplémentaires dans sa convention collective respective.

89 Le Dr Katchin a déclaré avoir travaillé la plus grande partie de sa carrière à l’usine Maple Lodge pour l’ACIA.

90 Le Dr Katchin a déclaré que la méthode de calcul utilisée à l’usine Maple Lodge en ce qui concerne les heures supplémentaires, à savoir l’inclusion des périodes de moins de 15 minutes, était également en application dans quatre autres usines de l’ACIA. Or, je ne dispose d’aucune preuve de l’existence de cette pratique dans d’autres usines de l’ACIA.

91 Les avocates des fonctionnaires ont fait valoir qu’il était injuste et inéquitable de permettre à l’ACIA de modifier unilatéralement la pratique en matière d’heures supplémentaires à l’usine Maple Lodge à mi-chemin de la convention collective. Par ailleurs, elles ont affirmé que les fonctionnaires s’étaient fiés à cette pratique à leur détriment et que l’employeur aurait dû soulever la question plus tôt. Autrement dit, elles estimaient que l’employeur était préclus en application de la convention collective.

92 Je ne suis pas d’accord avec l’argumentation des avocates des fonctionnaires fondée sur la préclusion promissoire. La preuve non contestée est que l’ACIA comptait environ 120 usines dans l’ensemble du Canada, que l’IPFPC représentait les vétérinaires dans chaque usine et que le libellé de la convention collective en ce qui concerne le calcul des heures supplémentaires était le même pour chaque usine. Ce libellé prévoit que tous les calculs des heures supplémentaires sont fondés sur chaque période complète de 15 minutes d’heures supplémentaires effectuées.

93 Non seulement le libellé est-il clair et exécutoire, mais je crois que l’IPFPC savait, ou aurait dû savoir, que le libellé, qui est identique dans toutes ses conventions collectives conclues avec l’ACIA, n’aurait pas dû être interprété différemment pour l’usine Maple Lodge. Le libellé relatif aux heures supplémentaires de la clause B3.02 de la convention collective n’était pas nouveau. Il existait depuis plusieurs années. Lorsque la haute direction de l’ACIA a découvert que le libellé était interprété différemment à l’usine Maple Lodge, elle a immédiatement avisé les employés des usines que le libellé existant depuis longtemps serait interprété de manière uniforme dans toutes les usines à compter du 21 août 2006, sans exception. Je n’ai pas entendu de preuve à l’effet que les employés de l’usine Maple Lodge ont dû rembourser la rémunération leur ayant été versée à la suite de calculs incorrects des heures supplémentaires.

94 En ce qui concerne la préclusion promissoire, l’employeur a invoqué Pronovost.

95 La théorie de la préclusion est décrite comme suit dans Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e édition, au paragraphe 2:2211 :

[Traduction]

[…]

Selon ce principe, tel que je le comprends, si une partie, explicitement ou implicitement, fait une promesse à l’autre partie ou lui donne une garantie censée avoir une incidence sur leurs rapports juridiques et amener cette autre partie à agir en conséquence alors, une fois que celle-ci l’a prise au mot et qu’elle a effectivement agi en conséquence, la partie qui a fait la promesse ou donné la garantie ne peut plus par la suite revenir aux rapports juridiques antérieurs et faire comme si la promesse ou garantie n’avait jamais existée.[…]

[…]

96 La Cour d’appel fédérale a précisé cette théorie dans Canada (Conseil du Trésor) c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1984] 1 C.F. 1081 (C.A.) :

[…]

Bien que la théorie de la force obligatoire d’une promesse soit loin d’être claire, il semble établi qu’il ne peut exister une telle irrecevabilité en l’absence de promesse, expresse ou implicite, dont les effets sont clairs et précis […] En outre, il semble également établi que la théorie de la force obligatoire d’une promesse exige non seulement que la promesse soit claire et précise, mais aussi qu’elle ait amené celui qui a reçu cette promesse à agir autrement qu’il l’aurait fait en d’autres circonstances. […]

[…]

97 La Cour fédérale a déclaré ce qui suit dans Dubé c. Canada (Procureur général), 2006 CF 796 : « [L]a preuve de l’engagement est primordiale pour démontrer le bien-fondé d’une allégation basée sur le principe de préclusion promissoire ».

98 Il ressort de la preuve en l’espèce que l’employeur n’a pas, par ses paroles ou sa conduite, fait de promesse ou donné d’assurance à l’unité de négociation locale ou à l’IPFPC destinée à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes.

99 Par ailleurs, je ne dispose d’aucune preuve me permettant de croire que l’employeur a pris un engagement quelconque envers l’IPFPC.

100 En ce qui concerne la question de la préclusion promissoire, le contexte du libellé de la clause B3.02 au sujet du calcul des heures supplémentaires est important. Le libellé est non seulement clair et sans ambigüité, mais il est en place depuis plusieurs années. Lorsque le grief a été déposé, le même libellé faisait également partie de 120 conventions collectives conclues entre l’IPFPC et l’employeur à ses 120 usines dans l’ensemble du Canada.

101 De plus, rien dans la preuve dont je dispose ne démontre qu’une promesse a été faite à l’IPFPC à l’effet que la pratique serait maintenue dans le futur. Au contraire, lorsque l’employeur a pris connaissance de la pratique irrégulière en matière de calcul des heures supplémentaires à l’usine Maple Lodge, il a immédiatement pris des mesures correctives pour y mettre un terme et a avisé toutes les personnes concernées que cette pratique cesserait et que toutes les usines de l’employeur, sans exception, devraient se conformer au libellé clair et non ambigu de la clause B3.02 de la convention collective.

102 En l’absence de promesse explicite ou implicite, dont les effets sont clairs et précis, la doctrine de la préclusion ne peut pas s’appliquer et servir de fondement à un grief. Tel qu’il a été mentionné précédemment, la Cour d’appel fédérale en a décidé ainsi dans Association canadienne du contrôle du trafic aérien, et la Cour fédérale a repris ce point dans Dubé.

B. La PSF

103 Les griefs relatifs à la PSF sont accueillis aux motifs suivants.

104 Ma décision est fondée essentiellement sur le libellé de la clause G3.01 de la convention collective (pièce U-1) et sur la description de travail d’un vétérinaire classifié au niveau VM-01, à l’usine Maple Lodge.

105 En résumé, lorsqu’aucun vétérinaire classifié au niveau VM-02 n’est sur les lieux, des tâches de supervision fonctionnelle sont automatiquement attribuées au vétérinaire qui est affecté au deuxième quart d’une usine fonctionnant en deux quarts de travail.

106 Cela découle des éléments de preuve suivants : 

  • Au moment des griefs relatifs à la PSF, le 22 juin 2006, les deux quarts de travail à l’usine étaient de 4 h 00 à 12 h 00 et de 12 h 30 à 20 h 30. Cet horaire de travail par quarts était en place avant 2000.
  • Dans une exploitation à deux quarts de travail, le vétérinaire responsable est toujours affecté au premier quart parce qu’il doit travailler en étroite collaboration avec l’employeur, en plus d’exécuter ses fonctions normales de vétérinaire responsable. Il s’ensuit nécessairement que, durant le premier quart, comme le vétérinaire responsable est sur place, il n’est pas nécessaire d’avoir un superviseur fonctionnel. Par conséquent, la nécessité d’exécuter des tâches de supervision fonctionnelle, donnant lieu à la PSF, survient seulement au cours du deuxième quart.
  • Compte tenu de la clause G3.01 de la convention collective et pour se conformer à la loi et au règlement s’appliquant, il faut attribuer les tâches du vétérinaire responsable à un vétérinaire du deuxième quart. Il s’agit des tâches attribuées au vétérinaire (à titre d’inspecteur) par le président de l’ACIA, en application du paragraphe 13(3) de la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, L.C. 1997, ch. 6. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’assigner de nouveau le vétérinaire auquel des responsabilités en matière d’application au titre de l’inspection ont été attribuées pour qu’il agisse comme inspecteur pendant le deuxième quart, en l’absence du vétérinaire responsable.

107 Au début de leur argumentation, les avocates des deux parties m’ont informé qu’elles s’étaient entendues sur un exposé conjoint des faits, selon lequel la clause G3.01 de la convention collective comportait deux ambigüités, et qu’elles produiraient une preuve extrinsèque fondée sur leur historique de négociation comme aide à l’interprétation.

108 En ce qui concerne la preuve extrinsèque, j’ai informé les parties que j’entendrais leur preuve et que je me prononcerais sur sa pertinence et son poids dans mes motifs.

109 La première question d’ambigüité pour l’employeur concernait la nécessité d’une attribution toutes les fois que des tâches de supervision fonctionnelle étaient déléguées à un VM-01. La deuxième question d’ambigüité pour les avocates des fonctionnaires découlait de la nécessité de définir les quarts de soir et de nuit dans le libellé de la clause G3.01.

110 Ma décision quant à la question de l’ambigüité et de la nécessité d’une preuve extrinsèque est, selon la preuve dont je dispose, que le libellé de la clause G3.01 ne comporte pas d’ambigüité et que, par conséquent, la preuve extrinsèque n’est pas nécessaire pour les motifs suivants.

111 Je comprends que la clause G3.01 signifie que la PSF est payée au VM-01 qui assume des tâches de supervision fonctionnelle en l’absence du VM-02. L’agent négociateur a établi à ma satisfaction que, lors du deuxième quart au cours duquel le VM-02 est absent, un VM-01 assumera ces tâches. L’employeur conteste qu’il n’y ait pas d’attribution. Je conclus qu’il y a une attribution tacite, afin de se conformer à la loi et au règlement s’appliquant. Cela est également, semble-t-il, ce que l’employeur a compris pendant la période où la PSF a été payée au Dr Katchin.

112 En ce qui concerne l’ambigüité reliée à l’utilisation de « quart de soir ou de nuit », je crois qu’on veut dire le deuxième quart, ce que confirme la phrase qui suit immédiatement, « qu’aucun surveillant de niveau VM-02 n’est assigné à ce quart ».

113 Lorsqu’un vétérinaire (VM-01) assume les responsabilités de l’inspecteur vétérinaire (VM-02), il assume une partie considérable des tâches de l’inspecteur vétérinaire pendant toute la durée du deuxième quart, en plus de ses tâches de vétérinaire, et il doit toucher la PSF prévue à la clause G3.01 de la convention collective.

114 Un examen de la version française de la clause G3.01 de la convention collective révèle et confirme clairement deux éléments essentiels, notamment le pouvoir délégué lié à l’attribution du vétérinaire (VM-01) aux tâches de supervision fonctionnelle de l’inspecteur vétérinaire (VM-02) et le fait que la PSF est payable à un seul vétérinaire par deuxième quart, et non pas à l’ensemble des vétérinaires travaillant aux quatre chaînes de production de l’usine Maple Lodge.

115 Je demeurerai saisi de l’affaire pendant une période raisonnable, n’excédant pas 60 jours, afin de permettre aux parties d’examiner et de déterminer les montants payables aux fonctionnaires. Si elles ne sont pas en mesure de s’entendre sur ces montants, je demanderai aux parties de me soumettre leurs positions respectives concernant le redressement, et je rendrai une décision finale.

116 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

117 Le grief relatif aux heures supplémentaires est rejeté (dossier de la CRTFP 566-32-1405).

118 Les griefs relatifs à la PSF sont accueillis (dossier de la CRTFP 566-32-1270 et 1271).

Le 13 mai 2011

Traduction de la CRTFP

Roger Beaulieu,
arbitre de grief

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