Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé présente une sensibilité aux parfums et cela l’a obligé à s’absenter du travail - au fil des années, il a accumulé dans son compte de congés de maladie un déficit excédant les 187,5heures prévues par sa convention collective - l’employeur lui a demandé de convertir le déficit excédentaire en un autre type de congé - le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief demandant que les congés de maladie qu’il avait utilisés en raison de sa sensibilité aux parfums avant la mise en œuvre d’une politique pour un milieu de travail sans parfum soient remboursés dans son compte - l’arbitre de grief a conclu que le grief avait été présenté dans le délai de 25jours prévu par la convention collective - l’arbitre de grief a également conclu qu’il n’avait pas la compétence pour statuer sur une allégation selon laquelle l’employeur avait contrevenu à la convention collective en ne prenant pas de mesure d’adaptation pour composer avec les besoins du fonctionnaire s’estimant lésé, car cette question n’avait pas été soulevée durant la procédure ministérielle de règlement des griefs - subsidiairement, l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas établi que le déficit excédentaire était attribuable au retard allégué de l’employeur à mettre en œuvre la politique pour un milieu de travail sans parfum, en contravention de la convention collective. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-05-25
  • Dossier:  566-02-909
  • Référence:  2011 CRTFP 71

Devant un arbitre de grief


ENTRE

TERENCE JUBA

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

employeur

Répertorié
Juba c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Paul Love, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Bruce Hughson, avocat

Affaire entendue à Edmonton (Alberta),
les 2 et 3 février 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Terence Juba, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est agent de prestation des services au Centre de traitement des données (le « Centre ») du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (l’« employeur ») à Vegreville (Alberta), depuis mars 1995. Ses fonctions consistent à traiter les demandes de visa des résidents temporaires ainsi que les demandes de résidence permanente, reçues par la poste. Le Centre emploie entre 200 et 220 personnes réparties dans diverses équipes. L’unité de traitement dans laquelle travaille M. Juba compte de 16 à 18 employés.

2 Le fonctionnaire a une sensibilité aux parfums, que nous décrirons plus loin dans la présente décision. Il s’est absenté du travail en raison de sa sensibilité à la présence de parfums dans son lieu de travail.

3 La convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») pour le groupe Services des programmes et de l’administration (date d’expiration : le 20 juin 2007) (pièce G-1) s’applique au fonctionnaire; les clauses 35.02 et 35.04 portent sur les congés de maladie :

35.02 L'employé-e bénéficie d'un congé de maladie payé lorsqu'il ou elle est incapable d'exercer ses fonctions en raison d'une maladie ou d'une blessure, à la condition :

a) qu'il ou elle puisse convaincre l'Employeur de son état de la façon et au moment que ce dernier détermine,

et

b) qu'il ou elle ait les crédits de congé de maladie nécessaires.

35.04 Lorsque l'employé-e n'a pas de crédits ou que leur nombre est insuffisant pour couvrir l'attribution d'un congé de maladie payé en vertu des dispositions du paragraphe 35.02, un congé de maladie payé peut lui être accordé à la discrétion de l'Employeur pour une période maximale de cent quatre-vingt-sept virgule cinq (187,5) heures, sous réserve de la déduction de ce congé anticipé de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite.

4 Le 1er avril 2006, l’employeur a mis en œuvre une politique en vue de promouvoir un lieu de travail sans parfum au Centre (la « politique »; pièce G-2). Cette politique contient le passage suivant :

[Traduction]

[…]

Certaines personnes sont sensibles aux parfums. L’exposition à certains parfums, même en quantité infime, peut provoquer chez elles des réactions ou des effets négatifs. La gravité de certains de ces symptômes peut varier. Alors que certains individus souffrent d’une légère irritation, d’autres sont sérieusement incommodés et doivent abandonner bon nombre de leurs activités « normales » afin d’éviter d’être exposés à certains parfums.

[…]

3. QUE SIGNIFIE UN LIEU DE TRAVAIL SANS PARFUM?

Pour respecter la politique relativement à un lieu de travail sans parfum, il faut cesser de porter ou d’utiliser des articles qui contiennent des parfums obtenus par des moyens artificiels. S’il est difficile de créer un lieu complètement exempt de parfum, on peut tout de même créer un lieu où les parfums artificiels ont été éliminés, dans la mesure du possible.

4. PRODUITS CONTENANT DES PARFUMS

[…]

Des parfums sont utilisés dans une vaste gamme de produits tels que les shampoings et les revitalisants, les eaux de Cologne, les lotions après-rasage, les fragrances et les parfums, les lotions et crèmes, les désodorisants, les pots-pourris, les produits industriels et à usage domestique, les savons, les cosmétiques, les assainisseurs d’air et les désodorisants, les bougies et même certains sacs à déchets.

Il est impossible d’énumérer tous les produits qui contiennent des parfums, de même que de donner la définition exacte de « non parfumé » ou « sans parfum », car l’utilisation de ces termes par divers fabricants n’est pas uniforme. Cependant, si la liste des ingrédients qui entrent dans la fabrication du produit contient les mots « parfum » ou « senteur » ou « odeur », c’est qu’il ne s’agit pas d’un produit sans parfum.

5. PROBLÈME

L’exposition à des parfums peut empêcher certaines personnes d’accomplir leur travail et avoir des effets nuisibles sur leur santé et leur bien-être. La santé et le bien-être du personnel du Centre de traitement des données de Vegreville (CTD-V) nous concernent tous et toutes. Un effort collectif est nécessaire pour limiter les situations qui peuvent avoir des effets négatifs sur les individus qui partagent notre lieu de travail.

6. MESURES MISES EN PLACE JUSQU’À MAINTENANT AU CTD-V

  • Tous les employés ont été informés du problème de manière informelle et doivent s’abstenir de porter ou d’utiliser certains produits parfumés qui peuvent avoir des effets négatifs sur leurs collègues;
  • Des affiches ont été apposées à l’entrée des postes de travail du personnel du CTD-V désignant la zone comme un « lieu sans parfum »;
  • Les employés doivent s’assurer que les visiteurs savent qu’ils doivent s’abstenir de porter ou d’utiliser des produits parfumés avant de se présenter au lieu de travail;
  • Un conférencier a été invité au CTD-V pour discuter de la sensibilité aux parfums.

5 Le 10 août 2006, le fonctionnaire a déposé un grief, qui est libellé comme suit : [traduction] « Je présente un grief parce que j’ai été obligé d’utiliser mes crédits de congé de maladie pour des absences attribuables à la présence de parfums au bureau. » À titre de mesure corrective, le fonctionnaire a demandé qu’on lui restitue les congés de maladie qu’il avait utilisés en raison de sa sensibilité aux parfums, et ce, jusqu’à la date de mise en œuvre de la politique de l’employeur inclusivement (le 1er avril 2006).

6 Les parties n’étaient pas disponibles pour participer à l’instruction du présent grief avant février 2010.

II. Audience

7 Dans sa déclaration d’ouverture, le fonctionnaire a précisé qu’il voulait qu’on lui restitue les congés de maladie qu’il avait utilisés en raison de sa sensibilité aux parfums, de 2003 (à la date de l’évaluation effectuée par Santé Canada) au 1er août 2006.

8 Le fonctionnaire aurait déposé d’autres griefs par le passé relativement à la sensibilité aux parfums et à la politique, et il y aurait eu au moins une séance de médiation. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas saisi des questions qui ont été examinées en médiation ni des solutions qui ont été appliquées. Il semble que la question de la restitution des crédits de congés de maladie du fonctionnaire, sur laquelle porte le présent grief, n’a pas été résolue par les parties dans le cadre des procédures de règlement des griefs précédentes (pièce E-3, onglets 10 et 11).

9 La décision de l’employeur de recouvrer des crédits de congé de maladie auprès du fonctionnaire a été l’élément déclencheur du dépôt du présent grief. Tout a commencé par un courriel de Paul Snow, gestionnaire des Opérations du Centre, daté du 1er août 2006 (pièce G-3) et libellé comme suit :

[Traduction]

[…]

Pour faire suite à la brève discussion que nous avons eue il y a quelques semaines, votre compte de congé de maladie affiche un solde débiteur et nous devons trouver une solution à ce problème.

Nous vous avons informé au début de l’année que vos demandes de congés de maladie seraient mises de côté en attendant que le grief que vous avez déposé relativement aux mesures prises par la direction pour remédier au problème de la sensibilité aux parfums dans le lieu de travail soit résolu; je croyais qu’il était entendu que nous serions liés par les résultats du grief.

Vous savez maintenant que le grief a été tranché en faveur de l’employeur et que je ne suis plus en mesure de vous accorder des crédits de congé de maladie au-delà du nombre prévu par la convention collective. La clause 35.04 de la convention collective dit ceci :

35.04 Lorsque l'employé-e n'a pas de crédits ou que leur nombre est insuffisant pour couvrir l'attribution d'un congé de maladie payé en vertu des dispositions du paragraphe 35.02, un congé de maladie payé peut lui être accordé à la discrétion de l'Employeur pour une période maximale de cent quatre-vingt-sept virgule cinq (187,5) heures, sous réserve de la déduction de ce congé anticipé de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite.

Vous avez déjà obtenu des crédits de congé de maladie totalisant 176,5 heures. Vous avez soumis des demandes de congé de maladie totalisant 142,75 heures. Je suis prêt à vous accorder 11 heures pour combler la différence avec le nombre maximal d’heures de congé de maladie auquel vous avez droit aux termes de la clause 35.04; malgré cela, il restera un déficit de 131,75 heures à combler.

Vous devez m’indiquer de quelle façon vous préférez résoudre ce problème résolu. Vous pouvez convertir ces congés en un autre type de congé, comme des congés annuels ou des congés compensatoires, si vous en avez, ou en congé non payé. Si vous décidez de prendre la totalité ou une partie des congés en question en congé non payé, je vous prierais de venir en discuter avec moi, car nous avons une certaine latitude en ce qui concerne le calendrier de recouvrement.

[…]

Je vous saurais gré de me communiquer votre décision d’ici le vendredi 4 août, faute de quoi, je conclurai que vous souhaitez que les 131,75 heures soient converties en congé non payé et je demanderai à la section de la rémunération d’entamer le processus de recouvrement.

A. Objection préliminaire – respect des délais

10 Le 5 décembre 2008, l’employeur a soulevé une objection de compétence préliminaire dans une lettre adressée aux Opérations du greffe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « greffe »). L’employeur a indiqué que l’arbitre de grief n’avait pas compétence dans cette affaire, car la mesure corrective demandée ne s’appliquait qu’à la période de 25 jours précédant la présentation du grief. La politique de l’employeur est entrée en vigueur le 1er avril 2006 et le grief a été présenté le 10 août 2006. Le 7 janvier 2009, le fonctionnaire a déposé sa réponse, dans laquelle il a indiqué que la situation décrite dans le grief persistait ou s’était produite de nouveau et que le dernier incident était survenu durant le délai fixé par la convention collective. Il a également déclaré que l’employeur avait renoncé à exercer son droit de soulever une objection quant au respect du délai de présentation. Le fonctionnaire a demandé la tenue d’une audience. La question du respect du délai a été débattue dès le début de l’audience et j’ai repoussé le prononcé de ma décision à ce sujet jusqu’à la rédaction de ma décision.

B. Question de compétence – modification du grief

11 Dans sa déclaration d’ouverture, le fonctionnaire a soutenu qu’il voulait obtenir une déclaration indiquant que l’employeur avait contrevenu à la convention collective en ne prenant pas les mesures nécessaires pour composer avec son incapacité après en avoir initialement été informé. Le fonctionnaire veut obtenir une ordonnance d’indemnisation intégrale. Il a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de discuter du nombre exact de jours où il avait été absent du travail, étant donné que des documents explicites étaient disponibles dans le système de paye de l’employeur. Dans sa déclaration d’ouverture, l’employeur a dit que le fonctionnaire avait pris des congés de maladie à quelques reprises et que cela concordait avec l’objet des clauses de la convention collective ayant trait aux congés de maladie. L’employeur a noté que le fonctionnaire n’avait pas soulevé la question de la violation de l’article 19 (Élimination de la discrimination) de la convention collective avant le renvoi du grief à l’arbitrage et qu’il demandait simplement que ses crédits de congé de maladie lui soient restitués. Dans son exposé définitif, l’employeur a déclaré que je n’avais pas compétence pour trancher la présente affaire parce que la nouvelle question relative à l’article 19 avait été soulevée lors de l’arbitrage du grief plutôt que lors du grief initial : voir Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.); Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192; Lee c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2008 CRTFP 5.

C. Résumé de la preuve

12 Le fonctionnaire a déclaré qu’il souffrait d’une sensibilité aux parfums depuis un certain nombre d’années et qu’il était sensible à certaines odeurs provenant des eaux de Cologne et des parfums et de d’autres produits. Il a dit souffrir de ce problème depuis toujours. Ses symptômes se manifestent par des maux de tête, des écoulements nasaux, des saignements de nez, un manque de concentration et de l’irritabilité. Il a tenté de se faire soigner, mais les médecins lui ont dit que c’était un problème incurable. Il a informé l’employeur de sa sensibilité aux parfums dès le début de son emploi. Il a affirmé que l’employeur avait reconnu qu’il avait une sensibilité.

13 Le fonctionnaire a déclaré qu’il s’était absenté du travail pendant des centaines d’heures et que, parfois, quand ça n’allait vraiment pas, il utilisait simplement ses congés annuels. Il a droit à un certain nombre de congés de maladie sans certificat médical (congés sans certificat) par année. Il a indiqué que la plupart des absences attribuables à sa sensibilité aux parfums n’étaient pas documentées.

14 Le fonctionnaire a expliqué que l’employeur l’avait autorisé, ainsi qu’à d’autres employés présentant une sensibilité aux parfums, à apposer une affiche qu’il leur avait lui-même fournie. Un exemple de l’affiche a été déposé en preuve (pièce E-3, onglet 4). Sur l’affiche, en anglais et en français, on y voit des bouteilles de parfums qui séparent les textes anglais de celui en français. Il est écrit ceci :

Scent Sensitive Zone

Please do not enter if you are wearing perfume or cologne

Thank you

[Traduction]

Zone sans parfum

Prière de ne pas entrer si vous portez du parfum ou de l’eau de Cologne.

Merci

15 Le fonctionnaire a déclaré qu’avant la mise en œuvre de la politique, l’employeur avait pris peu de mesures, à part l’envoi d’un courriel en août 2005 indiquant que si des employés apposaient des affiches, les autres se devaient de les respecter (pièce E-5, onglet 4).

16 Le fonctionnaire a apposé l’affiche fournie par l’employeur. Les autres employés n’ont pas très bien réagi. Ils estimaient qu’ils avaient le droit de porter du désodorisant et du parfum et d’utiliser du savon, et ils ont dit au fonctionnaire, en termes injurieux, de se mêler de ses affaires. Le fonctionnaire a signalé à l’employeur les problèmes qu’il avait relativement à la sensibilité aux parfums et l’a informé qu’il devait quitter le lieu de travail de temps à autre parce que les parfums le rendaient malade. On lui a dit que c’était ce à quoi servaient les congés de maladie.

17 L’employeur a mis en œuvre une politique indiquant que les employés devaient s’abstenir de porter des produits parfumés au travail. L’employeur a autorisé le fonctionnaire à quitter son poste de travail pendant de courtes périodes pour s’éclaircir les idées, ce qui n’était pas toujours efficace.

18 Le fonctionnaire a déclaré que l’employeur avait composé avec son incapacité en lui permettant de maintenir un solde débiteur de congés de maladie. Je note que je ne dispose d’aucune preuve documentaire indiquant que l’employeur l’a autorisé à maintenir ce solde débiteur pendant une longue période et à maintenir un solde supérieur à celui prévu par la convention collective.

19 Les autres employés ont continué d’utiliser des parfums, même si le fonctionnaire signalait constamment le problème à l’employeur. Il a envisagé la possibilité de travailler à la maison. Certains lui ont suggéré de quitter son travail. Il a demandé et a obtenu un purificateur d’air. M. Snow lui a accordé du temps pour effectuer des recherches afin de trouver des mesures qui lui apporteraient du répit.

20 L’employeur a informé le fonctionnaire que la mise en œuvre de la politique était reportée parce qu’elle était difficile à appliquer étant donné que les gens utilisaient des produits parfumés au quotidien et qu’il n’était pas facile de leur retirer un tel droit ou privilège.

21 Les congés de maladie sont actuellement comptabilisés à l’aide de « PeopleSoft », un programme informatique dans lequel les employés inscrivent les dates et les heures de leurs congés. Le fonctionnaire a déclaré qu’il inscrivait de temps à autre « sensibilité aux parfums » comme raison de son absence, mais qu’il oubliait parfois de le faire lorsqu’il avait l’esprit embrouillé. Il a indiqué que l’employeur savait qu'il utilisait des congés de maladie payés et non payés.

22 Il semble que le fonctionnaire souffre d’un problème de dos qui fait aussi en sorte qu’il ait à s’absenter du travail. De plus, en contre-interrogatoire, il a admis qu’il prenait des congés de maladie pour des raisons autres que ses problèmes de dos et sa sensibilité aux parfums.

23 Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait un solde débiteur de congés de maladie en août 2006, et que l’employeur lui avait demandé de le combler. Il a expliqué que, lorsqu’une demande de congé est faite à l’aide du programme PeopleSoft, le système indique automatiquement si la demande est approuvée ou non et affiche le solde des congés. Une copie d’un rapport de congés faisant état d’un solde déficitaire de 182,125 heures a été déposée en preuve (pièce G-5).

24 Le fonctionnaire a produit un relevé de congés daté du 3 août 2006 indiquant tous les congés approuvés entre le 11 avril 2005 et le 6 août 2006 (pièce G-6). Le relevé montre que le fonctionnaire a pris des congés annuels, des congés de maladie sans certificat, des congés non payés, des congés pour obligations familiales, des congés pour obligations personnelles et des congés pour d’autres motifs, qui peuvent être utilisés à la place des congés approuvés par le médecin. Il a déclaré que tous les congés avaient été utilisés en raison de l’utilisation de parfums. Précisons toutefois qu’il a également été clairement établi, en contre-interrogatoire, qu’il avait utilisé certains congés en raison d’un problème de dos et d’autres congés en raison d’autres problèmes médicaux.

25 Le fonctionnaire a déclaré que, lorsqu’il est exposé à des parfums, la durée de son absence du travail varie selon la situation. Si les maux de tête sont foudroyants, il s’absente parfois pour le reste de la journée; s’ils sont supportables, il ne prend que quelques heures de congé. Avant la mise en œuvre de la politique, le fonctionnaire signalait généralement ses absences à l’employeur de vive voix ou par courriel. Une copie d’un courriel du fonctionnaire daté du 20 juin 2006 a été déposée en preuve (pièce G-7).

26 Le fonctionnaire a déclaré que des affiches demandant de ne pas utiliser de parfums avaient été apposées au lieu de travail et qu’on rappelait la consigne lors des réunions de groupe. Il avait reçu l’autorisation de quitter le lieu de travail pendant de courtes périodes — 30 minutes au plus — dans l’espoir que cela atténuerait ses symptômes.

27 Le fonctionnaire a expliqué que son problème de sensibilité aux parfums a une incidence sur sa vie personnelle, soit quand il se trouve dans des lieux publics, comme à l’épicerie, mais que, dans ces cas-là, il a la possibilité de quitter les lieux.

28 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait jamais été informé que des délais s’appliquaient au grief. Il l’a appris seulement après avoir dépassé le nombre maximal de congés de maladie auxquels il avait droit.

29 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a déclaré que M. Snow avait pris ses problèmes au sérieux. M. Snow a tenté de travailler en collaboration avec le fonctionnaire et le comité mixte de santé et sécurité au travail (CMSST) pour résoudre le problème. Par exemple, l’employeur a fait l’acquisition d’un purificateur d’air. Le bureau du fonctionnaire a été déplacé à différents endroits dans l’immeuble. Il a demandé au fonctionnaire de suggérer des critères de formation. L’employeur a demandé à un spécialiste de vérifier la circulation d’air, qui répondait aux normes établies en matière de qualité de l’air. L’employeur a donné de la formation aux autres employés sur la sensibilité aux parfums. Le fonctionnaire a admis que l’employeur avait donné suite aux suggestions qu’il lui avait faites en 2005.

30 Lorsqu’il a été interrogé de nouveau, le fonctionnaire a déclaré que, si M. Snow semblait prendre son problème de sensibilité aux parfums au sérieux, il ne pouvait pas en dire autant des autres membres de la haute direction. En revanche, je relève dans la preuve documentaire un courriel portant sur la question de la sensibilité aux parfums qui a été envoyé au personnel du Centre le 17 avril 2003 (pièce E-3, onglet 18), c’est-à-dire avant que le fonctionnaire ne soit examiné par Santé Canada.

31 M. Snow a déclaré qu’il avait été informé du problème de sensibilité aux parfums du fonctionnaire en 2005, après avoir été nommé gestionnaire. Il avait déjà participé à des discussions à ce sujet.

32 Le fonctionnaire a été examiné par le Dr Jim Cheng, un médecin en santé du travail de Santé Canada. Le Dr Cheng a rédigé un rapport daté du 22 mai 2003 (pièce E-3, onglet 17), dont est tiré le passage suivant :

[Traduction]

[…]

Pour l’essentiel, M. Juba présente une sensibilité (intolérance) à certaines odeurs. Il peut supporter d’autres odeurs sans problème. C’est un cas de sensibilité auquel il n’est généralement pas possible de remédier par des moyens médicaux habituels, tels que la prescription de médicaments.

Il existe plusieurs moyens de composer avec une affectation de ce genre.

L’évitement : si l’exposition peut être éliminée facilement, l’évitement est probablement dans ce cas-là la mesure la plus simple et la plus facile à appliquer. Je comprends que cela n’est pas toujours possible. Nous pouvons en discuter plus longuement, au besoin.

L’immunothérapie : il s’agit d’un moyen plus compliqué et moins rapide pour composer avec le problème. S’il opte pour cette solution, il doit déterminer le parfum particulier qui lui cause un problème. Il doit ensuite en faire une dilution et s’y exposer petit à petit jusqu’à ce qu’il puisse tolérer l’odeur. C’est un processus qui prend un certain temps et qui exige des efforts. Il m’a indiqué qu’il savait qui étaient les personnes qui aimaient porter ces parfums. Avec l’aide du ministère, il pourrait peut-être se procurer ces produits parfumés et tenter ensuite d’appliquer le processus d’immunothérapie. Il est impossible de savoir pour le moment quels résultats cela donnera exactement et si ce sera concluant.

[…]

33 Le fonctionnaire a présenté une demande d’indemnisation à la Commission des accidents du travail de l’Alberta (la « CAT »). La plainte faisait suite à un rapport sur un incident survenu le 29 octobre 2002; ce jour-là, le fonctionnaire avait eu des maux de tête, des écoulements nasaux et des saignements de nez occasionnels parce qu’il était entouré de collègues qui portaient du parfum. Dans une décision datée du 24 février 2003, la CAT a déterminé que les éléments de preuve ne corroboraient pas la prétention du fonctionnaire selon laquelle son emploi avait contribué à l’apparition de ses symptômes. La CAT a conclu que la plainte ne donnait pas droit à une réparation (pièce E-3, onglet 19).

34 L’employeur a envoyé un courriel, le 17 avril 2003, au sujet de la sensibilité aux facteurs environnementaux (pièce E-3, onglet 18), dont est tiré le passage suivant :

[Traduction]

[…]

De plus en plus de personnes indiquent avoir des réactions négatives à des substances courantes dans leur environnement quotidien. Des produits comme les produits de nettoyage de bureaux, les parfums, les assainisseurs d’air, les fixatifs pour les cheveux ou les lotions après-rasage peuvent provoquer des réactions plus ou moins aiguës chez certaines personnes. Il est très difficile d’éviter les substances qui déclenchent ces réactions parce que l’utilisation de produits parfumés est très répandue. Les personnes présentant une sensibilité ont parfois de la difficulté à donner leur plein rendement au travail et à fonctionner dans d’autres environnements publics.

[…]

Dans le courriel, l’employeur conseillait de faire preuve de bon sens et de courtoisie et d’éviter d’utiliser des produits parfumés parce que [traduction] « nous respirons tous le même air ». Je note que le courriel a été envoyé avant l’examen du fonctionnaire par Santé Canada.

35 M. Snow a déclaré qu’il avait rencontré le fonctionnaire pour discuter de sa sensibilité aux parfums. Il lui a envoyé un courriel le 23 juin 2005 (pièce E-3, onglet 3), en réponse aux suggestions qu’il lui avait faites. M. Snow s’est engagé à ce que l’employeur travaille en collaboration avec le CMSST et il a décrit les mesures que l’employeur prendrait, soit :

  • former un groupe pour établir les qualités requises de la part d’un consultant pour donner de la formation au personnel;
  • organiser des séances de formation pour le personnel;
  • travailler en collaboration avec Santé Canada et Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, le CMSST et d’autres pour déterminer les améliorations à apporter en matière de qualité et de circulation de l’air;
  • examiner la possibilité de déplacer le filtre à air du fonctionnaire;
  • établir et mettre en œuvre une politique concernant la sensibilité aux parfums et aux produits chimiques.

36 M. Snow a déclaré que l’employeur avait donné suite à toutes les suggestions. M. Snow a rédigé un courriel à l’intention des employés, que son superviseur a envoyé le 30 août 2005 (pièce E-3, onglet 4). Dans le courriel, on indiquait que certains employés présentaient une sensibilité aux parfums, que des affiches avaient été apposées et que les employés qui utilisaient des produits parfumés devaient s’abstenir de circuler dans les zones où des affiches avaient été apposées et communiquer uniquement par téléphone avec les employés travaillant dans ces zones. Une copie de l’affiche utilisée par les employés présentant une sensibilité aux parfums était annexée au courriel.

37 L’employeur a fait vérifier la qualité de l’air du Centre. Bryan Smith, agent d’hygiène du milieu, a produit un rapport provisoire daté du 9 septembre et un rapport définitif daté du 11 octobre 2005 (pièce E-2). La vérification, qui a été effectuée les 10 et 25 août 2005, a révélé que les niveaux de dioxyde de carbone étaient bien en deçà de 1 000 parties par million, c’est-à-dire que le taux de renouvellement de l’air était acceptable, et que la plage de température concordait avec les exigences de la Directive 2-17 du Conseil du trésor, Utilisation et occupation des bâtiments.

38 Dans son rapport, M. Smith a mentionné que la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-22, ne contenait aucune disposition relativement à la sensibilité aux parfums et a écrit ceci :

[Traduction]

[…]

Quoi qu’il en soit, la sensibilité aux parfums est un problème en milieu de travail qui a été soulevé dans d’autres comités de sécurité. Le projet d’un lieu de travail sans parfum que CIC a lancé de sa propre initiative au Centre de traitement des demandes, en collaboration avec le comité mixte de santé et sécurité au travail et le syndicat, semble être un moyen efficace de résoudre le problème.

[…]

39 Comme certaines personnes ont la mémoire courte, sont entêtées ou refusent de renoncer à porter des produits parfumés, M. Snow a déclaré que l’employeur ne s’était pas limité à une approche strictement volontaire pour éviter les parfums. Il a élaboré une politique et a tenu des séances de formation obligatoires, qui ont eu lieu le 29 mars 2006. L’employeur a produit une copie des documents de formation en preuve (pièce E-1, onglet 5). La formation a été donnée par une personne de l’extérieur du Centre afin de ne pas stigmatiser les employés sensibles aux parfums et de signifier que c’était une question sérieuse. M. Snow et le fonctionnaire ont participé à la séance de formation, ainsi que tous ceux qui travaillaient au Centre.

40 M. Snow a indiqué que la rédaction de la politique avait posé des problèmes. Le CMSST a longuement débattu de la question de savoir si la politique pouvait être appliquée; l’employeur s’est engagé à l’appliquer et à en vérifier la conformité. La politique a été établie, la formation connexe a été dispensée et le filtre à air du fonctionnaire a été déplacé.

41 M. Snow a déclaré qu’il savait que le fonctionnaire s’absentait du travail en raison de sa sensibilité aux parfums. Lorsque M. Snow s’est joint à l’unité en 2005, il savait que le fonctionnaire avait un déficit de congés de maladie. Il lui a envoyé un courriel à ce propos, car il fallait trouver une solution; la solution qui est généralement appliquée dans les cas de ce genre est que les employés n’utilisent pas les congés en souffrance, de manière à accumuler progressivement des crédits. Un solde débiteur de congés est parfois porté en déduction d’un solde créditeur de congés. Il arrive aussi qu’on demande à l’employé de rembourser un montant d’argent. On a notamment offert au fonctionnaire de faire des heures supplémentaires dans le but de les échanger contre des crédits de congé. Le fonctionnaire a effectué des heures supplémentaires, mais il a préféré se les faire payer en argent. Diverses options ont été examinées, mais l’important déficit de congés n’a pas été recouvré au complet. Selon le témoignage de M. Snow, l’employeur a effectué des retenues sur la rémunération du fonctionnaire pour recouvrer le déficit. Les détails de cette mesure n’ont pas été produits en preuve.

42 En contre-interrogatoire, M. Snow a déclaré que deux autres employés étaient sensibles aux parfums. Il a indiqué que ni l’un ni l’autre n’avait demandé de mesure d’adaptation et que ni l’un ni l’autre ne faisait partie de son équipe. M. Snow a expliqué qu’il était difficile de déterminer si la conformité volontaire donnait des résultats probants, car il y avait toujours des parfums au lieu de travail; la politique visait à réduire et à éliminer les parfums. M. Snow a déclaré que le fonctionnaire s’était plaint que les employés ne respectaient pas les affiches. Il a indiqué que l’employeur avait fait le suivi de l’application de la politique après sa mise en œuvre, mais qu’un suivi limité seulement avait été effectué avant l’adoption de la politique. M. Snow a expliqué que la politique avait donné de meilleurs résultats que la conformité volontaire et qu’il avait fait enquête au sujet des plaintes du fonctionnaire.

43 Au cours de son témoignage, le fonctionnaire a déclaré que l’employeur lui avait accordé l’autorisation d’accumuler un déficit supérieur au nombre maximal d’heures prévues par la convention collective. Cela avait été présenté comme un accommodement. Cette déclaration ne concorde ni avec le témoignage de M. Snow, ni avec la preuve documentaire (y compris la convention collective), ni avec les déclarations du fonctionnaire en contre-interrogatoire selon lesquelles l’employeur a tenté de recouvrer le déficit. Les seuls éléments de preuve documentaire ayant trait au compte de congés sont les suivants :

  • le courriel du 3 août 2006 de M. Snow au fonctionnaire, indiquant que M. Snow acceptait d’attendre jusqu’au 31 août 2006 avant de prendre d’autres mesures pour recouvrer les crédits de congé de maladie. Les parties avaient entamé des discussions dans le but de s’entendre sur l’obligation de donner un préavis d’au moins deux semaines avant de prendre des mesures de recouvrement (pièce E-3, onglet 9).
  • le courriel du 4 août 2006, de Louise Mardell, représentante nationale de l’agent négociateur, demandant à M. Snow de confirmer que la question de l’arriéré de congés de maladie n’avait pas été résolue par la médiation et que l’employeur n’avait pas renoncé à recouvrer l’arriéré de congés de maladie jusqu’à la date de mise en œuvre de la politique (pièce E-3, onglet 10).
  • le courriel du 4 août 2006, de M. Snow à Mme Mardell, confirmant qu’il n’y avait pas eu de discussion, qu’aucune entente n’avait été conclue quant à l’avance de congés de maladie ou quant à l’utilisation avant le temps des congés annuels et d’autres types de congés, et que l’employeur n’avait pas renoncé à recouvrer tout arriéré de congés de maladie accumulé en raison de la sensibilité aux parfums.
  • le courriel du 14 août 2006, de M. Snow à Mme Mardell (pièce G-4), indiquant que, même si la médiation avait porté sur le plan d’atténuation des effets du parfum au bureau et sur l’établissement et la mise en œuvre de la politique, l’employeur n’avait pas renoncé à recouvrer tout arriéré de congés de maladie.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

44 Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait demandé des mesures d’adaptation en raison de sa sensibilité aux parfums. Avant que M. Snow intervienne dans le dossier, l’employeur n’avait pas pris des mesures d’adaptation efficaces en temps opportun. Le fonctionnaire a utilisé ses congés de maladie pour composer avec sa sensibilité aux parfums parce que l’employeur avait refusé de prendre des mesures d’adaptation.

45 Le fonctionnaire ne réclame pas, dans le présent grief, de dédommagement pour la période postérieure à la mise en œuvre de la politique. Il veut être dédommagé pour les mesures que l’employeur aurait dû prendre avant l’intervention de M. Snow. Pour être valable, la mesure d’adaptation doit être appliquée rapidement et donner des résultats probants; de plus, l’employé ne devrait pas être obligé d’attendre quatre ou cinq ans avant d’en bénéficier.

46 Le fonctionnaire a renvoyé à l’article 22 (Santé et sécurité) de la convention collective, qui est libellé comme suit :

22.01 L'Employeur prend toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. Il fera bon accueil aux suggestions de l'Alliance à cet égard, et les parties s'engagent à se consulter en vue d'adopter et de mettre rapidement en œuvre toutes les procédures et techniques raisonnables destinées à prévenir ou à réduire les risques d'accidents de travail.

47 Le fonctionnaire a déclaré que l’article 35 (Congé de maladie payé) de la convention collective visait à établir les conditions d’utilisation des congés de maladie, pas à « appuyer » le refus de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à son égard.

48 L’employeur savait que l’utilisation de parfums dans le lieu de travail rendait le fonctionnaire malade et lui causait un préjudice. Le fonctionnaire a indiqué que la faute reprochée était le retard à prendre une mesure d’adaptation et que le responsable de ce délai était l’employeur, pas M. Snow. Le problème de sensibilité aux parfums du fonctionnaire aurait dû être résolu par l’employeur en 2003, lorsqu’il en a appris l’existence dans le rapport du Dr Cheng. La décision rendue dans Lloyd c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 15, indique expressément que l’arbitre de grief peut attribuer des dommages.

49 Le fonctionnaire a fait référence à la publication de Lancaster House, Leading Cases on Labour Arbitration Online (Lancaster House labour law on-line), au paragraphe 7.4.1, qui porte sur le principe de l’indemnisation intégrale, et au paragraphe 7.4.3, qui porte sur les pertes non pécuniaires. Il a aussi fait référence à l’ouvrage de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au point 2:1410, qui traite des dommages, ainsi qu’à Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2006 CRTFP 56, et Lloyd. Le fonctionnaire a soutenu que le retard de l’employeur à mettre en œuvre la politique l’avait contraint à s’absenter du travail en raison de sa sensibilité aux parfums. La perte de ses congés de maladie n’était pas hypothétique, elle était raisonnable et prévisible. La restitution des crédits de congé de maladie au fonctionnaire lui permettrait de se retrouver dans la position dans laquelle il se serait trouvé si l’employeur avait composé rapidement avec ses besoins.

50 Le fonctionnaire demande que les congés de maladie qu’il a été obligé d’utiliser en raison de sa sensibilité aux parfums lui soient restitués pour la période s’étendant de la date de l’évaluation par Santé Canada à la date de mise en œuvre de la politique et de la formation connexe.

51 Le fonctionnaire m’a demandé de remettre à plus tard le prononcé de ma décision sur la date de prise d’effet de la déclaration demandée.

B. Pour l’employeur

52 L’employeur a déclaré que je n’avais pas compétence pour trancher le grief, car le délai de présentation n’avait pas été respecté. De plus, si j’accorde une mesure de réparation, le fonctionnaire n’aura droit qu’à se faire rembourser les congés qui lui ont été accordés durant les 25 jours précédant la date de présentation du grief : voir Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (C.A.) (QL). Je note que le délai prévu dans Coallier était de 20 jours mais que celui qui s’applique dans la présente affaire est de 25 jours, selon la clause 18.10 de la convention collective.

53 L’employeur a renvoyé aux principes énoncés dans Burchill, Shneidman et Lee au soutien de l’argument selon lequel l’arbitre de grief ne peut pas exercer sa compétence pour examiner des questions qui n’ont pas été soulevées dans le grief initial. Plus particulièrement, l’employeur a déclaré que la question relative à l’application de l’article 19 (Élimination de la discrimination) de la convention collective n’a pas été soulevée durant la procédure de règlement des griefs et qu’il s’agit d’une nouvelle question.

54 En ce qui concerne le bien-fondé du grief, l’employeur a déclaré qu’après avoir été informé de la sensibilité du fonctionnaire, il avait fait son possible pour qu’il bénéficie d’un lieu de travail sûr et sain. L’employeur a composé avec ce problème de bonne foi pendant des années. Il a déclaré que, de novembre 2002 à avril 2006, le fonctionnaire n’avait fourni aucun renseignement médical indiquant qu’une mesure d’adaptation particulière était requise ni démontré que l’employeur l’avait amené à travailler dans un environnement dangereux ou malsain. Il estimait qu’une approche progressive basée, dans un premier temps, sur la communication de renseignements et la conformité volontaire et, dans un deuxième temps, sur l’établissement et la mise en œuvre d’une politique et sur la formation, était la procédure appropriée.

55 Le fonctionnaire n’est pas atteint d’une incapacité. Il présente une sensibilité aux parfums. Il devait prouver que cela constituait une incapacité. Il ne l’a pas fait. L’employeur a renvoyé à Lafrance et a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas prouvé que l’incapacité de l’employeur à mettre en œuvre une politique plus rapidement a eu une incidence sur l’utilisation de ses congés de maladie.

56 Il incombe au fonctionnaire d’établir les pertes qu’il a subies. Toutefois, il n’a fourni aucune preuve quant aux congés qu’il a utilisés en raison de sa sensibilité aux parfums avant la mise en œuvre de la politique. Il a accès au programme PeopleSoft; il lui appartenait de produire cette preuve à l’audience.

C. Réfutation du fonctionnaire

57 Le fonctionnaire a réfuté que l’employeur avait admis, par le témoignage de M. Snow, que le fonctionnaire avait une incapacité ou un problème d’ordre mental ou physique qui l’empêchait de donner sa pleine mesure au travail. Le grief doit être interprété de façon libérale. Le fonctionnaire a déclaré que Parry Sound s’applique à cette proposition, sans donner la référence ou fournir une copie de cette décision — il s’agirait de Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42. L’employeur possède des documents qui établissent l’ampleur de la perte subie par le fonctionnaire et il peut les fournir. L’approche progressive appliquée par l’employeur n’a pas donné de résultats probants. En réponse à l’argument de l’employeur au sujet de Coallier, le fonctionnaire a déclaré que, jusqu’à ce que l’employeur indique qu’il voulait recouvrer le déficit du compte de congés de maladie, la perte était purement théorique et diminuait progressivement et les parties avaient entamé des discussions. La perte s’est cristallisée lorsque l’employeur a décidé de recouvrer le déficit. Le grief a été déposé dans les 25 jours suivant la date à laquelle le fonctionnaire a été avisé que l’employeur voulait recouvrer le déficit.

IV. Motifs

58 Je me pencherai d’abord sur la question du respect des délais, puis sur Burchill et, pour finir, sur le bien-fondé du grief.

A. Respect des délais

59 Le fonctionnaire a été avisé, le 1er août 2006, que l’employeur voulait recouvrer le déficit de son compte de congés de maladie. Après avoir reçu l’avis, il a déposé un grief, soit le 10 août 2006. La clause 18.10 de la convention collective prévoit qu’au premier palier de la procédure de règlement des griefs, l'employé peut présenter un grief au plus tard le vingt-cinquième jour qui suit la date à laquelle il prend connaissance, pour la première fois, de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief. La clause 18.16 précise que, lorsqu'il s'agit de calculer le délai au cours duquel une mesure quelconque doit être prise, les samedis, les dimanches et les jours fériés désignés payés sont exclus. Selon moi, « l’action ou les circonstances » donnant lieu au grief dans la présente affaire est la demande de l’employeur visant à ce que le fonctionnaire comble le déficit de son compte de congés de maladie. Si j’applique la méthode prescrite pour calculer les délais, il est évident que le fonctionnaire a présenté son grief moins de 25 jours après avoir été avisé, le 1er août 2006, que l’employeur souhaitait recouvrer le déficit de son compte de congés de maladie. Le grief a été présenté dans le délai fixé. Il s’ensuit que je rejette l’argument de l’employeur relatif au respect des délais.

B. Burchill : modification de la nature du grief

60 L’employeur a fait valoir que le grief n’avait pas été présenté, dans la formule de grief, comme contrevenant à la clause 19.01 de la convention collective ou comme une mise en place tardive d’une mesure d’adaptation pour composer avec une incapacité. D’après l’employeur, à la lumière de Burchill, Shneidman et Lee, le fonctionnaire est empêché par préclusion de soulever un de ces arguments lors de la procédure de règlement du grief.

61 La partie qui soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), L.R.C. (1985), ch. H-6, doit, conformément au Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, en aviser la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), qui a qualité pour présenter des arguments : paragraphes 210(1) et (2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Le greffe a fait parvenir l’avis suivant au fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

[l]a partie au grief qui soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne doit en donner avis à la Commission canadienne des droits de la personne au moyen d’un Avis à la Commission canadienne des droits de la personne (formule 24 du Règlement), conformément au paragraphe 92(1) du Règlement.

[…]

62 En conclusion, le fonctionnaire a répondu à mes questions en indiquant qu’il n’avait donné aucun avis à la CCDP et soutenant que son grief portait sur la violation de la clause 19.01 de la convention collective, qui est libellée comme suit :

19.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l'égard d'un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l'Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l'employé-e a été gracié.

63 Le fonctionnaire a également renvoyé, dans son argumentation, à Parry Sound, sans toutefois en fournir une copie complète ou en donner la référence. Après la tenue de l’audience et avant de rédiger la présente décision, j’ai examiné Parry Sound. L’affaire portait sur la question de savoir si la violation du Code des droits de la personne de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. H.19, pouvait être portée à l’arbitrage dans le cadre de la procédure de règlement d’un grief relativement à un congédiement déposé par un employé en cours de stage. Dans le cas des fonctionnaires fédéraux, la Loi établit la procédure à suivre pour soulever une question liée à l’interprétation ou à l’application de la LCDP. Si le fonctionnaire laissait entendre que j’avais compétence pour trancher une plainte relative aux droits de la personne fondée sur la LCDP dans le cadre d’un grief, alors qu’il n’a pas suivi la procédure établie pour le renvoi à l’arbitrage, il faisait erreur. À la lumière des arguments du fonctionnaire, je ne crois pas que je suis saisi d’une demande d’interprétation ou d’application de la LCDP. Le fonctionnaire a allégué une violation de l’article 19 (Élimination de la discrimination) de la convention collective dans son exposé introductif, alors que le grief ne contient aucune allégation de ce genre. Je note également que, dans le grief, le fonctionnaire ne renvoie pas à la clause 22.01, qui traite de santé et de sécurité.

64 À mon avis, le libellé du grief n’indique pas clairement sur quoi repose l’allégation du fonctionnaire contre l’employeur. À l’examen du libellé, une personne raisonnable conclurait que le grief soulève des questions liées à l’interprétation et à l’application des clauses 35.02 et 35.04 de la convention collective, car ces dispositions s’appliquent à la situation du fonctionnaire. Si l’on se fie à la formule de grief, on n’explique pas en quoi l’utilisation de ses crédits de congé de maladie constitue une violation de la convention collective. Il n’indique pas quelles autres mesures l’employeur aurait pu prendre et en quoi sa conduite constitue une violation de la convention collective. Le terme « adaptation » n’apparaît pas dans le texte du grief, pas plus que l’idée d’un manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ou d’un retard dans l’application de telles mesures. De plus, rien n’indique dans le grief que l’employeur a omis de [traduction] « [...] prend[re] toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail d[u] [...] » fonctionnaire (tiré de l’article 22 — Santé et sécurité).

65 À en juger par la décision rendue au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur savait, semble-t-il, que le fonctionnaire alléguait un manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour composer avec sa sensibilité aux parfums. Cette décision disait en partie ceci :

[Traduction]

[…]

Votre agent négociateur a déclaré que vous estimez que l’employeur n’a pas fait tout son possible pour vous assurer un lieu de travail sûr et sain avant le 1er avril 2006, date d’entrée en vigueur de la politique pour un lieu de travail sans parfum, et qu’il est responsable du fait que vous avez un arriéré de congés de maladie.

Je crois comprendre que la direction a tenu compte de votre problème de sensibilité aux parfums au cours des dernières années et que diverses mesures ont été proposées pour tenter d’atténuer vos symptômes […]

Durant la période comprise entre novembre 2002 et avril 2006, vous n’avez fourni aucun renseignement médical à la direction pour établir que vous aviez besoin de mesures d’adaptation particulières; vous n’avez pas non plus démontré que la direction vous avait amené à travailler dans un environnement dangereux ou malsain.

[…]

66 Je note que le fonctionnaire a pour position qu’il n’était pas obligé de donner avis à la CCDP, puisque qu’il n’allègue pas une violation de la LCDP. Il allègue une violation de la convention collective. Si son intention était d’alléguer l’absence de mesures d’adaptation, en violation de la convention collective, il a omis plusieurs étapes de la procédure de présentation de son grief. Pour statuer de façon régulière sur la question des mesures d’adaptation, il faut déterminer s’il y avait une incapacité liée au travail puis établir la nature de la mesure d’adaptation requise et le caractère raisonnable des mesures prises par l’employeur; il faut également examiner si l’employeur a fait preuve de discrimination envers le fonctionnaire s’estimant lésé. Dans son exposé définitif, l’employeur a déclaré que le fonctionnaire avait une sensibilité et non pas une incapacité, que l’employeur avait répondu de manière raisonnable à ses demandes et que le fonctionnaire n’avait pas prouvé que le retard dans la mise en œuvre de la politique, le cas échéant, l’avait contraint à utiliser ses congés de maladie.

67 Après avoir entendu tous les témoignages, je suis d’avis que l’argument du fonctionnaire ne porte pas sur l’établissement de la politique ni sur la formation connexe, mais plutôt sur le fait que l’employeur n’a pas appliqué la politique et la formation plus tôt, étant donné qu’il était au courant de sa sensibilité. Cela dit, ces questions éludent les principales étapes de l’établissement des éléments d’une cause. En général, le fonctionnaire s’estimant lésé doit répondre aux questions suivantes :

  • Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il une incapacité et, le cas échéant, quelle en est la nature?
  • Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il établi que son incapacité nécessitait que l’employeur mette en place un plan de mesures d’adaptation?
  • L’employeur a-t-il mis en œuvre un plan et, le cas échéant, ce plan était-il approprié et raisonnable et a-t-il été mis en place en temps opportun?
  • L’employeur a-t-il fait preuve de discrimination envers le fonctionnaire s’estimant lésé?
  • Quelle mesure de réparation devrait être ordonnée?

68 Il est possible d’éluder ces questions lorsque l’employeur les admet toutes et que la seule question qui reste à trancher est celle des mesures d’adaptation. Ce n’est pas ce qui s’est produit dans la présente affaire. Ces questions ne sont pas soulevées, même en faisant une interprétation libérale du grief présenté à l’employeur. De plus, je ne dispose d’aucune preuve qu’elles ont été examinées durant la procédure de règlement des griefs. Il s’agit, à mon avis, d’arguments qui sont avancés pour la première fois à l’arbitrage de grief. Il s’ensuit que je ne suis pas habilité à en tenir compte; voir Burchill et Shneidman. Il est évident que les principes énoncés dans Burchill ont toujours cours dans la jurisprudence, comme il a récemment été indiqué dans Lee, aux paragraphes 19 à 21 :

[19] […] dans les motifs du tout récent arrêt Shneidman […], la Cour a repris le principe que « l’employée s’estimant lésée doit avoir informé son employeur de la nature exacte de ses doléances tout au long de la procédure interne de griefs » (para. 26), en souscrivant avec approbation au principe établi dans Burchill que « seuls les griefs qui ont été présentés et examinés à tous les paliers internes de la procédure de règlement des griefs peuvent être soumis à l’arbitrage » (ibid.). Par cette confirmation de la décision du tribunal inférieur, la Cour d’appel fédérale a de nouveau confirmé puissamment l’importance et l’applicabilité de Burchill pour les arbitres de griefs.

[20] On l’a déjà dit, Burchill est une interprétation des dispositions de l’ancienne Loi, maintenant remplacé [sic], et les tribunaux les ont aussi interprétées dans Shneidman […] À mon avis, toutefois, Burchill continue de s’appliquer également sous le régime de la nouvelle Loi, puisque le paragraphe 209(1) dispose qu’un fonctionnaire ne peut renvoyer à l’arbitrage un grief individuel qu’à condition de « l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable ». Lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé ne soulève pas une question avant la fin de cette procédure, l’interprétation retenue dans Burchill veut qu’il n’ait pas présenté un grief sur cette question fraîchement soulevée « jusqu’au dernier palier de la procédure applicable ». Le grief n’est alors pas arbitrable en vertu […] de l’ancienne Loi

[21] Le principe énoncé dans Burchill perdure largement parce qu’il est logique dans le contexte des relations de travail. L’employeur devrait avoir le droit d’être informé des détails de ce que le fonctionnaire s’estimant lésé lui reproche afin de pouvoir se pencher correctement sur les problèmes qui sont soulevés et les résoudre, si c’est possible, dans la procédure de règlement des griefs. Lorsque le grief est reformulé ou qu’on y ajoute de nouveaux éléments après la fin de cette procédure interne, la raison d’être même de la procédure peut être sapée.

69 La question de savoir si un grief est nouveau ou s’il est compris dans la procédure de règlement d’un grief en cours peut être matière à débat. C’est une question de qualification et une question de compétence. La capacité de l’arbitre de grief de trancher un grief qui n’est pas formulé de la même manière que le grief qui a été examiné durant la procédure de règlement des griefs comporte de véritables limites. Dans la présente affaire, ce n’est que lors de la plaidoirie finale que la question de ma compétence a été explicitement soulevée. Cependant, même si la question de compétence est soulevée tardivement, l’arbitre de grief doit la trancher. Il va de soi que la décision de l’arbitre de grief sur une question de compétence peut être annulée par les cours dans le cadre d’un contrôle judiciaire, selon les critères pertinents. C’est pourquoi je souhaite donner mon opinion sur le bien-fondé du grief. Je crois également qu’il est important que le fonctionnaire sache que son grief n’a pas été rejeté exclusivement pour des raisons techniques ayant trait à la formulation du grief.

C. Bien-fondé du grief

70 Si je n’avais pas conclu que de nouveaux arguments avaient été avancés à l’arbitrage de grief et, par conséquent, qu’ils étaient irrecevables, j’aurais rejeté le grief sur le fond. Il ne s’agit pas d’un cas de mesure disciplinaire. Le fonctionnaire doit établir tous les éléments de son cas selon la prépondérance des probabilités. Même si j’admets que le fonctionnaire avait une incapacité et que l’employeur aurait pu agir plus rapidement pour appliquer la politique et la formation sur la sensibilité aux parfums, il n’en demeure pas moins que la défense du fonctionnaire comporte une lacune importante sur le plan de la preuve. Il n’existe aucune preuve que le retard dans la mise en œuvre de la politique et de la formation a eu une incidence sur les congés qu’il a utilisés. Je note qu’il incombe au fonctionnaire de prouver ce point. Il n’a pas établi quels jours il s’était absenté en raison de sa sensibilité aux parfums, car il a été démontré qu’il avait également pris des congés pour d’autres problèmes de santé, y compris un problème de dos. Le fonctionnaire n’a produit aucune preuve médicale pour établir son niveau de sensibilité aux parfums ou les mesures requises pour atténuer ses symptômes. Il n’a pas démontré que la formation et la politique avaient occasionné une diminution ou l’élimination des journées d’absence. Il n’a pas établi que le retard dans la mise en œuvre de la politique et de la formation l’avait obligé à prendre des congés de maladie additionnels.

71 En général, dans une affaire comme celle-ci, on s’attend à recevoir une opinion médicale ou à ce que des rapports médicaux soient déposés en preuve. La preuve médicale reçue dans la présente affaire est extrêmement mince. Le rapport de Santé Canada fait état d’une sensibilité, pas d’une incapacité. Le fonctionnaire a décrit les effets de la sensibilité dans son témoignage, mais il n’est pas médecin. Un rapport sur la santé et la sécurité au travail indique essentiellement qu’aucun problème important de qualité de l’air n’a été relevé au lieu de travail. Je crois comprendre qu’il n’existe aucune norme sur la présence de parfums. La CAT a conclu qu’aucun accident de travail ne s’était produit. La conclusion de la CAT n’est pas déterminante, à mon avis, mais c’est une preuve qui n’a pas été contredite.

72 Dans Lloyd, l’arbitre de grief a rejeté la réclamation de la fonctionnaire s’estimant lésée, qui voulait que ses congés de maladie lui soient restitués. La CCDP avait reçu l’avis requis, mais elle n’avait pas participé à l’audience. L’arbitre de grief a écrit ceci :

[50] […]

[…]

À mon sens, cette demande de redressement doit être rejetée. Bien que je compatisse à la présentation d’une telle réclamation, à l’examen de la preuve, il m’apparaît que la fonctionnaire s’estimant lésée n’a produit aucune preuve médicale ni aucune autre preuve étayant son affirmation selon laquelle les « congés de maladie payés » qu’elle a pris étaient directement liés au défaut de l’employeur de lui fournir de façon adéquate ou en temps opportun un plan de mesures d’adaptation. En d’autres termes, ainsi que l’a fait valoir l’employeur, les congés de maladie payés que la fonctionnaire s’estimant lésée a pris ont pu découler de sa déficience et non de l’omission de fournir le plan d’accommodement. En outre, même s’il existait une preuve à l’appui de la nature de cette demande, la fonctionnaire s’estimant lésée n’a produit aucune preuve quant à l’ampleur particulière de cette demande de redressement. À la lumière de la preuve produite, je me vois dans l’impossibilité de déterminer combien de jours de congés de maladie payés la fonctionnaire s’estimant lésée a pu prendre pour des raisons autres que celles de sa déficience. Il me semble que, à tout le moins, le bien-fondé des détails de cette demande de redressement aurait dû être établi et que ce n’est pas une excuse que de laisser entendre que l’employeur aurait eu accès à ces détails, d’autant plus qu’il n’y a pas eu de contre-interrogatoire des témoins appelés par l’employeur sur cette question.

[…]

73 Je note que, dans Lloyd, l’arbitre de grief était saisi d’une affaire dans laquelle l’employeur avait admis la première question à trancher — c’est-à-dire que la fonctionnaire s’estimant lésée avait une déficience. Les autres questions à trancher étaient les suivantes :

  • La fonctionnaire s’estimant lésée a-t-elle établi que sa déficience nécessitait que l’employeur mette en place un plan de mesures d’adaptation?
  • L’employeur a-t-il mis en œuvre un plan et, le cas échéant, ce plan était-il approprié et raisonnable et a-t-il été mis en place en temps opportun?
  • L’employeur a-t-il fait preuve de discrimination envers la fonctionnaire s’estimant lésée?
  • Quelle mesure de réparation faudrait-il ordonner?

74 Dans la présente affaire, l’employeur n’a pas expressément admis que le fonctionnaire avait une incapacité; il a déclaré que le fonctionnaire avait une sensibilité et non pas une incapacité. L’employeur a reconnu cette sensibilité aux parfums en établissant la politique, en formant ses employés, en faisant enquête sur les problèmes, en autorisant la pose d’affiches et en permettant au fonctionnaire de quitter le lieu de travail au besoin. Aucune jurisprudence et aucun argument détaillé n’ont été soumis à savoir si la sensibilité aux parfums constituait une incapacité aux termes de la convention collective, ce que le fonctionnaire doit établir en l’absence d’un aveu. Aucun élément de preuve n’a été produit, aucun argument n’a été avancé selon lequel l’employeur avait fait preuve de discrimination à l’égard du fonctionnaire. Aucune preuve médicale ou autre n’a été produite pour établir un lien entre les congés de maladie utilisés par le fonctionnaire et le retard dans la mise en œuvre de la politique.

75 Selon les renseignements dont je dispose, il m’apparaît que le fonctionnaire présente une affection sous-jacente. Il souffre lorsqu’il est exposé à des parfums. Or, l’utilisation de parfums est répandue dans notre société et il souffre lorsqu’il est dans le vaste monde et qu’il est exposé à des parfums. Il semble que l’employeur a pris le fonctionnaire au sérieux et qu’il a tenté de composer avec ses besoins. Il a appliqué une approche progressive et y a associé le fonctionnaire et le CMSST. Le fonctionnaire n’a pas proposé d’autres méthodes à l’employeur pour composer avec ses besoins et l’employeur est toujours disposé à recevoir ses suggestions.

76 Il ressort du témoignage du fonctionnaire qu’il est toujours sensible aux parfums et que la mise en œuvre de la politique n’a pas résolu le problème. Le fonctionnaire a déclaré qu’il continuait de s’absenter du travail en raison de sa sensibilité aux parfums. Les renseignements médicaux qu’il a produit n’ont pas établi que la sensibilité pouvait être éliminée facilement ou en totalité. À l’audience, le fonctionnaire n’a pas mentionné quels autres changements particuliers l’employeur pourrait effectuer pour lui venir en aide. Il a simplement déclaré que les changements auraient dû être effectués plus tôt. L’employeur a composé avec son trouble en apportant des changements au lieu de travail, en apposant des affiches, ainsi qu’en établissant et en mettant en œuvre une politique. Le problème du fonctionnaire persiste, malgré les changements apportés, et il continue de s’absenter du travail.

77 Il appartenait au fonctionnaire de prouver le bien-fondé de son cas selon la prépondérance des probabilités. Il a échoué. Il n’a pas prouvé que, si la politique avait été mise en œuvre plus tôt, il aurait perdu un moins grand nombre de jours ou d’heures de travail en raison de sa sensibilité aux parfums. Il est purement hypothétique de conclure que l’application de la politique et de la formation à une date antérieure aurait eu une incidence sur le nombre de jours perdus.

78 Lorsque le fonctionnaire est incapable de fournir ses services, il prend des congés de maladie ou d’autres types de congé. Le fonctionnaire semble être capable de prendre des congés de maladie non payés lorsque son compte de congé de maladie est épuisé. Je ne peux pas modifier le texte très explicite des clauses 35.02 et 35.04 de la convention collective. À la lumière de la preuve, je ne peux accorder aucune mesure de réparation. Le fonctionnaire veut que ses congés de maladie lui soient restitués. Il n’a pas su établir de fondement juridique et je ne peux donc pas y faire droit.

79 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

80 L’objection de l’employeur quant au respect du délai de présentation du grief est rejetée.

81 Je déclare que je n’ai pas compétence pour examiner les nouvelles questions soulevées à l’arbitrage de grief et j’ordonne dès lors que le présent dossier soit classé.

Le 25 mai 2011.

Traduction de la CRTFP

Paul Love,
arbitre de grief

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