Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En raison d’une erreur administrative, le fonctionnaire a été rémunéré selon la mauvaise échelle salariale pendant quatre ans - il ignorait qu’il avait été trop payé jusqu’à ce qu’il apprenne de son supérieur que l’employeur entendait recouvrir le montant du trop-payé - le fonctionnaire a déposé un grief contestant le recouvrement - l’arbitre de grief a accepté l’argumentation du fonctionnaire voulant que le principe de la préclusion s’appliquait - la preuve a révélé qu’un autre employé avait soulevé la question d’une erreur possible au moment où l’erreur avait été faite - un délai de quatre ans a induit le fonctionnaire en erreur quant à son traitement et a eu l’effet d’une promesse envers lui - le fonctionnaire avait engagé une responsabilité financière en raison du salaire qu’il recevait en erreur et ne l’aurait pas contractée autrement - l’employeur a la discrétion d’exercer son pouvoir de recouvrement en tenant compte de la situation spécifique du fonctionnaire - en raison de l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont il disposait et du délai qu’il a mis à exercer sa créance, l’arbitre de grief a jugé que l’employeur avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-04-26
  • Dossier:  566-02-2322
  • Référence:  2011 CRTFP 57

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SERGE LAPOINTE

fonctionnaire s'estimant lésé

er

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

employeur

Répertorié
Lapointe c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Patricia Harewood, agente aux griefs et à l’arbitrage

Pour l'employeur:
Martin Charron, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 10 février 2011.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Serge Lapointe, (le « fonctionnaire »), travaillait dans la fonction publique depuis 1973. Au moment de déposer son grief, le fonctionnaire occupait un poste classifié GL-MDO-04 (protection salariale de niveau GS-04) à la Direction générale finances, administration et technologie de l’information du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences (l’ « employeur »), à Montréal, depuis le 15 mars 1999.

2 Entre le 5 août 2000 et le 4 août 2004, en raison d’une erreur administrative, le fonctionnaire a été rémunéré selon la mauvaise échelle salariale; plus précisément, il a été payé au taux horaire de la zone 1 plutôt qu’au taux horaire moins élevé de la zone 2. Le fonctionnaire ignorait qu’il avait été trop rémunéré jusqu’à ce qu’il apprenne de son supérieur hiérarchique, Jean-Marie Ducasse, le 5 juillet 2005, que l’employeur entendait recouvrer un trop-payé de 9 666,56 $ à même son salaire. La rencontre avec M. Ducasse a été suivie de discussions concernant l’effet du recouvrement sur la qualité de vie du fonctionnaire. Le 28 juillet 2005 le fonctionnaire a été avisé par écrit du trop-payé.

3 Le 27 mars 2006, l’employeur a informé le fonctionnaire qu’il se voyait obligé de récupérer le montant du dans les plus brefs délais. L’employeur a aussi informé le fonctionnaire que le montant recouvré serait de 10 % de son salaire brut et prélevé à chaque période de paye jusqu’à extinction de la créance. Le 18 avril 2006, l’employeur a avisé le fonctionnaire que le recouvrement commencerait le 17 mai 2006 sur 65 périodes de paye, en raison de 148,48 $ par paie, sauf la dernière période qui serait de 20,56 $.

4 Le 3 mai 2006, le fonctionnaire a contesté la décision de l’employeur de procéder au recouvrement. Voici le libellé du grief :

Je conteste la décision prise par l’employeur, en vertu de l’article 155 (1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, d’établir un trop-payé salarial au montant brut de 9 666,56$, généré par une erreur administrative.

Je conteste la décision de l’employeur de récupérer la somme due à la Couronne et d’exiger de ma part le remboursement de cette somme.

5 Comme mesure de redressement, le fonctionnaire demande ce qui suit :

Je demande que la Couronne utilise le pouvoir discrétionnaire qui lui appartient selon la Loi sur la gestion des finances publiques et radie cette créance, l’employeur étant totalement responsable de l’existence de cette créance.

Je demande la suspension de toute mesure de recouvrement tant que mon grief n’aura pas été réglé et que je disposerai de droits de recours contre ces décisions.

Je demande que l’administrateur général considère les privations indues que ces décisions entraînent sur ma situation financière actuelle et future, en raison d’engagements conclus avant ces modifications.

6 Le 27 septembre 2006, le fonctionnaire a demandé que le montant recouvré à chaque période de paye soit réduit en raison de sa situation financière. Il a présenté un bilan financier en date du 21 septembre 2006, à l’appui de sa demande. Le 15 décembre 2006, l’employeur a accepté de réduire le montant recouvré à chaque période de paye à 5 %, du salaire brut du fonctionnaire soit 74,20 $, jusqu’à la date d’anniversaire de ses 35 ans de service; par la suite les prélèvements sur sa paye ont été rétablis au montant de 148,20 $; et ce jusqu’à l’extinction de la créance. Le remboursement s’est terminé le 23 juin 2009. Le fonctionnaire a pris sa retraite le 18 juillet 2009.

7 Dans ses réponses au premier et au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a refusé de suspendre ou d’annuler le recouvrement du trop-payé. Au premier palier, le supérieur immédiat du fonctionnaire a dit ne pas pouvoir répondre favorablement au grief puisque le pouvoir d’acquiescer à la radiation de la créance appartenait aux instances nationales. Dans la réponse au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs, la chef des opérations et directrice générale a dit que la radiation d’une créance de trop-payé ne pouvait pas se faire sans l’approbation du Conseil du Trésor.

II. Résumé de la preuve

8 Le fonctionnaire a témoigné qu’il a été très surpris d’apprendre le 5 juillet 2005, qu’il avait été rémunéré selon la mauvaise échelle salariale. Il a dit se souvenir qu’en mars 2002, un collègue de travail, classifié au niveau MDO-05 avait soulevé qu’il jugeait que le montant du paiement rétroactif pour la période du 1er janvier 2001 au 31 mars 2002 était trop élevé. Après vérification, la section de la rémunération aurait rassuré l’employé qu’il n’y avait aucune erreur.

9 Le fonctionnaire a déclaré que lorsqu’il a reçu son nouveau salaire, à la suite de la signature de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services de l’exploitation (date d’expiration le 4 août 2003), il faisait un nouveau travail et bénéficiait d’une protection salariale de niveau GS-04. Il ne s’est donc pas aperçu de l’erreur de rémunération. De plus, il avait été question pendant les négociations de l’abolition du taux de rémunération par zone. Par conséquent, il n’a porté aucune attention à cette question et n’a pas vérifié son salaire. Le fonctionnaire a ajouté qu’il travaillait comme camionneur et qu’il n’avait pas accès à un poste de travail d’où il pouvait facilement vérifier son salaire. Lorsqu’il a rencontré M. Ducasse, le 5 juillet 2005, celui-ci a été très sympathique et lui a appris qu’un autre employé, Jean-Luc Racette, classifié au niveau MDO-5 et bénéficiant d’une protection salariale comme la sienne, avait aussi reçu un trop-payé que l’employeur s’apprêtait à recouvrer. 

10 Le fonctionnaire a témoigné que le recouvrement du trop-payé a créé une situation financière très difficile pour lui et sa famille. Le recouvrement de 10 % de son salaire brut représentait une réduction de gains de quelque 300 $ par mois en plus de la réduction salariale. Lui et son épouse sont une famille d’accueil pour quatre adolescents pour lesquels ils reçoivent une compensation mensuelle de 3 000 $ qui couvre à peine leurs besoins. Pour subvenir aux besoins de sa famille, le fonctionnaire a contracté une marge de crédit. Pendant trois ans, il a planifié étroitement le paiement des factures pour les services publics. La réduction ultérieure du prélèvement à 5 % du salaire brut a aidé à la planification financière mais n’a pas permis de repayer la marge de crédit. Le manque à gagner a aussi fait en sorte que le fonctionnaire n’avait plus d’argent pour terminer le remboursement de son prêt hypothécaire avant sa retraite, ni pour contribuer à un RÉER comme il avait l’habitude de le faire.

11 Le fonctionnaire a expliqué qu’en août 2004, fort du salaire qu’il recevait à l’époque et de l’argent économisé en arrêtant de fumer, il a réalisé son rêve d’acheter une roulotte pour rendre plus confortable le camping en famille. Le fonctionnaire a expliqué sa passion du camping. Il a aussi expliqué qu’il n’aurait pas contracté une dette de quelque 10 000 $ s’il avait connu son salaire réel. Le manque à gagner ne lui a laissé d’autre choix que de vendre la roulotte. Le stress causé par sa situation financière s’est traduit par la détérioration de sa santé, soit la hausse de sa tension artérielle, de son niveau de cholestérol et de son diabète. Aujourd’hui, il travaille à temps partiel comme chauffeur d’autobus scolaire.

12 André Julien est le représentant syndical qui a conseillé le fonctionnaire et qui l’a représenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il a témoigné que les dossiers du fonctionnaire et de M. Racette avaient été traités ensemble parce que les griefs étaient identiques et qu’ils relevaient de la même section locale. Même s’il s’agissait de deux niveaux de classification, les deux employés bénéficiaient d’une protection salariale et avaient fait l’objet d’un trop-payé. Avant d’occuper son poste actuel, M. Julien était un agent de recouvrement à l’Agence du revenue du Canada. En préparation à l’audition des griefs du fonctionnaire et de M. Racette au premier palier de la procédure de règlement des griefs, M. Ducasse lui a téléphoné pour connaître les règles de recouvrement.

13 M. Julien a expliqué que la différence entre le taux de rémunération pour chacune des zones se trouvait à l’Annexe A de la convention collective. La zone 1 comprend la Colombie-Britannique, le Yukon, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest. La zone 2 comprend les provinces de l’Atlantique, le Québec et l’Ontario. La zone 3 comprend le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta. Selon M. Julien, parmi tous les employés dans la province qui effectuent des travaux manuels, seuls le fonctionnaire et M. Racette ont été touchés par le trop-payé. En janvier 2002, M. Racette a communiqué avec M. Ducasse concernant son paiement rétroactif à la suite de la révision salariale du 19 novembre 2001. Selon M. Julien, l’employeur aurait dit à M. Racette qu’il n’y avait aucune erreur et qu’il pouvait encaisser son chèque en toute confiance.

14 M. Julien a représenté le fonctionnaire et M. Racette lors d’une audition commune des griefs le 26 juillet 2006, au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

15 M. Ducasse est le directeur des services administratifs de l’employeur depuis 28 ans. Il a confirmé avoir rencontré le fonctionnaire le 5 juillet 2005 pour lui annoncer le trop-payé pour la période du 5 août 2000 au 4 août 2004. Après cette rencontre, il y a eu des pourparlers avec le syndicat, le service des ressources humaines et le service des finances à l’administration centrale pour savoir comment traiter la situation. L’administration centrale a obtenu un avis juridique stipulant que l’employeur devait récouvrer le trop-payé. M. Ducasse a offert au fonctionnaire un appui financier afin que ce dernier obtienne des conseils auprès d’un expert.

16 M. Ducasse a témoigné que M. Racette était venu le voir au sujet d’un paiement rétroactif qu’il considérait trop élevé. M. Ducasse l’a référé au service de la rémunération pour palier ses inquiétudes. Selon M. Ducasse, le service de la rémunération a rassuré verbalement M. Racette qu’il n’y avait pas d’erreur quant à son niveau de rémunération. À ce moment-là, M. Ducasse ne connaissait pas la source de l’erreur relevée par M. Racette. Il n’a plus entendu parler de ce problème de rémunération jusqu’à ce que la question soit soulevée en juillet 2005. M. Ducasse a affirmé avoir traité séparément les dossiers du fonctionnaire et de M. Racette. M. Ducasse a témoigné ne pas savoir si l’employeur avait fait une demande de radiation de la créance du fonctionnaire au Conseil du Trésor.

III. Résumé de l’argumentation

A.  Pour le fonctionnaire

17 Le fonctionnaire soutient que le principe de la préclusion s’applique en l’instance et que l’employeur ne devait pas recouvrer le trop-payé. Il y a eu une promesse de payer un salaire supérieur pendant une période de quatre ans et le fonctionnaire a agi à son détriment sur la base de cette promesse. La doctrine de préclusion se fonde sur des principes de common law et d’équité. 

18 Le fonctionnaire soutient qu’il ne s’agit pas d’une simple erreur. Un des deux employés affectés a soulevé la possibilité d’une erreur bien avant que l’employeur ne s’en aperçoive. M. Ducasse n’a fait aucun suivi lorsque l’erreur a été soulevée. C’est une erreur qui a duré quatre ans. Le fonctionnaire a alors été pénalisé pendant toutes les années qui ont précédé sa mise à la retraite, des années déterminantes en ce qui a trait à sa pension. L’impact a été personnel et financier. L’employeur savait que le recouvrement causerait un préjudice à un employé qui gagne, somme toute, un petit salaire. Le fonctionnaire s’est endetté en contractant une marge de crédit, il n’a pas été en mesure de rembourser son prêt hypothécaire au rythme qu’il anticipait, ni de contribuer à des REER, et il a dû renoncer à ses projets récréatifs. Bref, il s’agit d’un cas idéal auquel appliquer la préclusion. Qui plus est, l’employeur n’a pas tenté d’obtenir la radiation de la créance en s’adressant au Conseil du Trésor. Le fonctionnaire reconnait que M. Ducasse s’était montré fort sympathique, bien qu’il ne pouvait radier la créance. Le fonctionnaire me demande d’accueillir le grief et d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’accorder les redressements demandés.

19 Au soutien de sa position, le fonctionnaire cite les décisions suivantes:  Defoy c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-25506 (19941025); Conlon et al. c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), dossier de la CRTFP 166-02-25629 à 25631 (19970604); Molbak c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Impôt),CRTFP 166-02-26472 (19950928) (demande de révision judiciaire rejetée [1996] A.C.F. No. 892 (1re inst.) (QL)).

B.  Pour l’employeur

20 L’employeur plaide que le trop-payé a été une malencontreuse erreur et qu’il a rectifié la situation en 2005. Le pouvoir de procéder au recouvrement d’une créance due à la Couronne existe en vertu de l’article 11(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques. L’employeur ne remet pas en question son erreur administrative, mais souligne que le fonctionnaire a bénéficié d’un montant auquel il n’avait pas droit.

21 L’employeur soutient que la seule question en litige est l’application du principe de la préclusion. Il s’agit d’une exception à la volonté contractuelle des parties qui doit être appliquée parcimonieusement. En l’instance, le fonctionnaire doit démontrer qu’il satisfait toutes les conditions d’exception, ce qu’il n’a pas réussi à faire. Le fait qu’un deuxième employé soit touché ou qu’il ait soulevé la question en 2001 n’est pas pertinent, puisqu’il n’y a aucune preuve que les faits sont identiques, sauf qu’ils ont tous les deux fait l’objet d’un trop-payé que l’employeur a recouvré.

22 La promesse de l’employeur de déroger à la convention collective doit avoir été claire et sans équivoque et c’est à la suite de cette promesse que le fonctionnaire doit avoir changé son comportement. Il faut que le fonctionnaire ait eu connaissance de l’erreur et de la promesse.Le fonctionnaire n’a eu connaissance de l’erreur qu’au moment où M. Ducasse la lui a annoncée le 5 juillet 2005. L’employeur n’a eu connaissance de l’enjeu qu’à ce moment. Aucune discussion entre l’employeur et le fonctionnaire n’a incité ce dernier à agir à son détriment. De plus, la convention collective implique une négociation entre l’employeur et l’agent négociateur et exclut une entente individuelle avec un employé.

23 L’employeur soutient qu’il y a plusieurs motifs qui ont pu amener le fonctionnaire à s’acheter une roulotte, à ne pas devancer le remboursement de son hypothèque ou à ne pas contribuer à un REER. L’employeur souligne que le recouvrement n’a aucun impact sur les dernières années de service du fonctionnaire et que celui-ci a renouvelé son hypothèque après le début du recouvrement. De plus, il n’a subit aucune conséquence en ce qui concerne son impôt sur le revenu, puisqu’il est en mesure de demander une correction à l’Agence du revenu du Canada pour les années antérieures, le cas échéant. Le projet de camping du fonctionnaire remonte à plusieurs années et sa récente acquisition d’une roulotte était en raison de l’expansion de sa famille plutôt qu’à la hausse de ses revenus. L’employeur plaide que le bilan financier n’est pas suffisant en soi pour expliquer les difficultés financières du fonctionnaire.

24 Même en l’absence d’une demande d’exemption du recouvrement de la créance au Conseil du Trésor rien n’empêchait l’employeur de recouvrer le trop-payé. L’employeur a agi sur la foi d’un avis juridique. En l’absence d’une promesse claire et non équivoque de l’employeur de rémunérer le fonctionnaire à un taux plus élevé que ce à quoi il avait droit, le principe de la préclusion ne s’applique pas et je dois rejeter le grief.

25 Au soutien de sa position, l’employeur cite les décisions suivantes : Légaré c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. No. 304 (C.A.) (QL); Canada (Conseil du Trésor) c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1984] 1 C.F. 1081 (C.A.); Ménard c. Canada, [1992] 3 C.F. 521 (C.A.); Dubé c. Procureur général du Canada, 2006 CF 796; Procureur général du Canada c. Lamothe et al., 2008 CF 411; Maccabée c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-19793 (19900905); Molbak; Ellement c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27688 (19970611); Bolton c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 39; Matear c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord), 2009 CRTFP 97; Murchison c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 93; Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112.

C.  Réponse du fonctionnaire

26 Le fonctionnaire répond aux soumissions de l’employeur en soulevant le fait que son dossier et celui de M. Racette ont été joints aux fins de traitement selon une procédure de règlement des griefs accélérée. Il s’agit de deux employés du même groupe qui ont été assujettis à la même application erronée de la convention collective, c’est-à-dire qu’ils ont été rémunérés selon le taux de la zone 1 au lieu de la zone 2. Le fait que l’employeur a payé les employés à un taux erroné pendant une période de quatre ans constitue une promesse. Le fait que l’employeur ait donné des assurances à M. Racette est une promesse implicite. Somme toute, l’employeur n’a pas entrepris les démarches devant les instances appropriées pour tenter de faire radier la créance.

27 Par ailleurs, les conséquences du recouvrement se font sentir encore aujourd’hui. Le fonctionnaire n’a pris sa retraite qu’après avoir terminé de rembourser le trop-payé. Il travaille actuellement comme chauffeur d’autobus. Il n’a pas réussi à rembourser la totalité de son hypothèque tel qu’il l’avait planifié. Il ne jouit plus de son projet de camping.

III. Motifs

28 En l’instance, le fonctionnaire conteste la décision de l’employeur de recouvrer un trop-payé de 9 666,56 $ résultant d’une application erronée de la convention collective, soit qu’il a été rémunéré à un taux supérieur à celui auquel il avait droit, et ce, pendant une période de quatre ans (du 5 août 2000 au 4 août 2004). L’employeur a averti le fonctionnaire le 5 juillet 2005 et a commencé à recouvrer le montant en question un an plus tard. Le fonctionnaire a mis trois ans à repayer la somme réclamé, soit jusqu’à deux semaines avant sa retraite.

29 Le fonctionnaire maintient que le principe de la préclusion s’applique à la présente affaire. Ce principe a été décrit par Lord Denning dans Amalgamated Investment and Property Co. Ltd. v. Texas Commerce International Bank Ltd., [1981] 3 All E.R. 577 comme suit :

[Traduction]

[…]

Le principe de l’irrecevabilité est l’une des armes les plus souples et les plus utiles dans l’arsenal de la loi… Parallèlement, on a tenté de le limiter par une série de maximes : l’irrecevabilité est seulement une règle de preuve; l’irrecevabilité ne peut donner lieu à une cause d’action; l’irrecevabilité ne peut remplacer la nécessité d’un examen, etc. Aujourd’hui, toutes ces maximes semblent être intégrées dans un principe général, qui n’est pas assorti de limites. Lorsque les parties à une affaire agissent en fonction d’une hypothèse sous-jacente (que ce soit une hypothèse de fait ou de droit, ou encore qu’elle découle d’une fausse déclaration ou d’une erreur, il n’y a pas de différence), qui a orienté leurs rapports, ni l’une ni l’autre ne peut être autorisée à abandonner cette hypothèse s’il semblerait injuste ou inéquitable de la laisser faire. Si l’une des parties tente de l’écarter, les tribunaux donneront à l’autre partie le redressement que justifie l’équité de l’affaire.

[…]

30 Dans Canada (Procureur général) c. Molbak, [1996] A.C.F. no 892 (1re inst.) (QL), la Cour fédérale a statué qu’un arbitre de grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a la compétence pour entendre un grief et appliquer le principe de la préclusion. Ainsi, la partie qui perçoit un trop-payé de traitement peut contester la décision de recouvrement si elle est en mesure d’établir qu’elle s’est fiée sur l’erreur d’une façon qui lui est préjudiciable. À mon avis, la présente affaire se prête aisément à l’application de ce principe.

31 L’erreur s’est manifestée pendant quatre ans, sans que l’employeur agisse. L’employeur n’a pas nié son erreur. Il est en preuve qu’un autre employé a soulevé la question d’une erreur possible au moment de recevoir son paiement rétroactif à la suite de la révision salariale du 19 novembre 2001. J’estime qu’un délai de quatre ans a induit le fonctionnaire en erreur quant à son traitement et a eu l’effet d’une promesse envers lui.

32 Dans l’ensemble, il me semble raisonnable de croire que l’employeur a eu plus d’une occasion de vérifier le salaire du fonctionnaire, tout particulièrement lors des augmentations d’échelon et du renouvellement de la convention collective. La constatation d’une erreur administrative plusieurs années plus tard n’excuse pas l’employeur de son devoir de vigilance quant à la juste rémunération de son employé tel qu’il est prévu par la convention collective. 

33 A la lumière des relevés du salaire hebdomadaire du fonctionnaire entre le 5 aout 2000 et le 18 juillet 2009, je suis convaincue que le fonctionnaire a honnêtement engagé une responsabilité financière en raison du salaire qu’il a reçu entre le 5 août 2000 et le 4 août 2004 et qu’il ne l’aurait pas engagée autrement. Il a engagé une dépense majeure qu’il n’aurait pas contractée autrement, il a engagé une marge de crédit pour l’aider à satisfaire ses obligations mensuelles, il n’a pas été en mesure de repayer son prêt hypothécaire avant sa retraite tel qu’il l’avait prévu, ni de contribuer à un REER comme il avait l’habitude de le faire.

34 La Loi sur la gestion des finances publiques permet à l’employeur d’exercer son pouvoir discrétionnaire, c’est-à-dire de décider ou non de procéder au recouvrement. Cette disposition n’est aucunement restrictive et en l’instance permettait à l’employeur d’exercer son pouvoir discrétionnaire en tenant compte de la situation spécifique du fonctionnaire. Il y a lieu de souligner que la Commission des relations de travail dans la fonction publique, à plus d’une reprise, a appliqué le principe de la préclusion dans des circonstances où des employés se sont fiés à tort aux représentations de l’employeur, notamment dans Molbak, Murchison, Conlon et Defoy.

35 Dans British Columbia (Public Service Employee Relations Commission) v. British Columbia Government and Service Employee Relations’ Union (1999), 84 L.A.C. (4th) 252, l’arbitre de grief a décidé qu’un délai de six ans pour recouvrer le montant du à l’employeur en raison du trop-payé d’un bénéfice auquel l’employée n’avait pas droit était déraisonnable, voire injuste. Dans la présente affaire, la période de sept ans, soit cinq ans pour que l’employeur constate son erreur suivie d’une période de deux ans avant qu’il procède au recouvrement est tout aussi injuste, compte tenu que le fonctionnaire achevait une carrière de 35 ans dans la fonction publique et avait un faible revenu. En raison de l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont il disposait et du délai qu’il a mis à exercer sa créance, j’estime que l’employeur a exercé son pouvoir discrétionnaire de procéder au recouvrement de façon déraisonnable.

36 Je suis consciente que la présente affaire a son origine dans la province de Québec et que les concepts de droit civil ne sont pas identiques à ceux de la common law. Dans Ménard, la Cour d’appel fédérale n’a pas jugé bon de discuter de la théorie de la préclusion en regard d’un litige né dans la province de Québec. Cependant, la Cour a dit :

[30] Dans un premier temps, bien que la doctrine de l’estoppel soit étrangère à notre droit civil, elle s’apparente étroitement à plusieurs aspects de la notion … civiliste de la fin de non-recevoir.

 La Cour a rappelé que le droit civil reconnaît la validité d’une promesse contractuelle sans que le bénéficiaire ait à fournir une contrepartie.  En l’instance, et pour les motifs déjà invoqués, je suis d’avis que l’erreur de l’employeur a eu l’effet d’une promesse envers le fonctionnaire sans que celui-ci ait eu à fournir une contrepartie.

37 Par conséquent, il est fait droit au grief. Le montant recouvré à titre de trop-payé doit être remboursé au fonctionnaire.

38 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

39 Le grief est accueilli. 

40 J’ordonne à l’employeur de rembourser le fonctionnaire le montant de 9 666,56$ dans le plus bref délai.

Le 26 avril 2011.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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