Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le poste du demandeur a été déclaré excédentaire en août 2005 lorsqu’il était en arrêt de travail prolongé et recevait des prestations d’assurance-invalidité - le demandeur souffrait de dépression et d’alcoolisme, consommait de la marijuana tous les jours et avait une dépendance au jeu - il a appris que son poste avait été déclaré excédentaire seulement en décembre 2007 lors de discussions avec l’employeur à propos de sa réintégration au travail - l’employeur l’a avisé qu’il devait exercer une de trois options et il a choisi la troisième option, à savoir démissionner de son poste - sept mois après son départ, le demandeur a déposé un grief alléguant que l’employeur avait profité de sa maladie mentale pour le forcer à prendre des décisions qui le désavantageaient, avait refusé de l’accommoder quand il était employé et avait fait preuve de discrimination contre lui - l’employeur a répondu qu’il n’était plus un employé au moment du dépôt de son grief et que le grief avait été déposé en dehors du délai prévu - défendeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre d’entendre le grief - l’agent négociateur a donc soumis la présente demande de prorogation du délai - le demandeur n’a pas prouvé que le retard était justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes - la preuve médicale a montré que l’état de santé du demandeur au moment de sa démission n’avait pas changé depuis décembre 2007 quand le médecin du demandeur avait recommandé son retour progressif au travail - l’état de santé du demandeur n’empêchait pas ce dernier de demander de l’aide. Demande de prorogation rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-05-09
  • Dossier:  568-02-203 XR: 566-02-3093
  • Référence:  2011 CRTFP 68

Devant le président


ENTRE

ANDRÉ LAGACÉ

demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Commission de l'immigration et du statut de réfugié)

défendeur

Répertorié
Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l'immigration et du statut de réfugié)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, vice-président

Pour le demandeur:
Patricia Harewood, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 8, 11 et 12 avril 2011.

I. Demande devant le président

1 Le 16 novembre 2009, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a demandé au président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), au nom d’André Lagacé (le « demandeur »),  de proroger le délai prévu à la convention collective pour déposer un grief. La convention collective applicable est celle intervenue entre le Conseil du Trésor et l’agent négociateur pour le groupe Services des programmes et de l’administration, dont la date d’expiration était le 20 juin 2007 (la « convention collective »).

2 En vertu de l'article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président m'a autorisé, en ma qualité de vice-président, à exercer tous ses pouvoirs ou à m'acquitter de toutes ses fonctions en application de l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »), pour entendre et trancher toute question de prorogation de délai. L’article 61 et l’alinéa 61b) du Règlement se lisent comme suit :

61. Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par le président, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

3 Compte tenu de la nature des renseignements que cette décision contient et dans le but de respecter la réputation de la famille du demandeur, je n’ai fourni qu’un minimum de détails relatifs au poste du demandeur. Le nom de la conjointe du demandeur ainsi que les détails relatifs à l’emploi qu’elle occupe ne sont pas mentionnés dans la décision.

4 Le demandeur a travaillé pendant 26 ans pour le gouvernement fédéral. Il occupait un poste du groupe des services administratifs à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « CISR » ou le « défendeur » ou l’ « employeur »). Le 21 janvier 2008, l’employeur a avisé le demandeur par écrit que le poste qu’il occupait avait été déclaré excédentaire à l’effectif et qu’il avait 120 jours pour exercer une des trois options suivantes :

Option A : Priorité d’employé excédentaire de douze (12) mois pour trouver une offre d’emploi raisonnable.

Option B : Mesure de soutien à la transition (MST) : montant forfaitaire selon vos années de service au sein de la fonction publique.

Option C : Indemnité d’étude: montant forfaitaire équivalent à la MST plus un remboursement jusqu’à 8 000$ pour les frais de scolarité, les frais de livres et d’équipement requis, appuyés par un reçu.

5 Le 18 mars 2008, le demandeur a avisé l’employeur par écrit qu’il choisissait l’option C et qu’il démissionnait de son poste à compter du 31 mars 2008. Puis, le 31 octobre 2008, soit sept mois après son départ, le demandeur a déposé un grief alléguant que l’employeur avait profité de sa maladie mentale pour le forcer à prendre des décisions qui le désavantageaient, avait refusé de l’accommoder quand il était un employé, avait fait preuve de discrimination contre lui et avait contrevenu à diverses politiques ou directives du Conseil du Trésor. Entre autres mesures correctives, le demandeur a demandé que l’employeur le réintègre dans le poste qu’il occupait le 31 mars 2008 et qu’il lui verse le salaire et les bénéfices perdus depuis cette date. Il a aussi demandé que l’employeur lui verse une somme de 20 000 $ pour les préjudices moraux subis et 20 000 $ pour la discrimination délibérée qu’il a subie. Le demandeur a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu’il soulevait dans son grief une question liée à l’application ou l’interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

6 À chaque palier de la procédure interne de règlement des griefs, l’employeur a répondu que le grief avait été déposé en dehors du délai prévu et que le demandeur n’était plus un employé de l’employeur au moment du dépôt de son grief. À la suite du rejet du grief au palier final de la procédure de règlement des griefs, l’agent négociateur l’a renvoyé à l’arbitrage le 31 août 2009. Le 13 octobre 2009, l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre d’entendre le grief sur la base qu’il n’avait pas été présenté dans les délais prescrits et que l’employeur l’avait rejeté pour ce motif à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs. En réponse à l’objection de l’employeur, l’agent négociateur a soumis la présente demande de prorogation du délai prévu.

II. Résumé de la preuve

7 Le demandeur a présenté 19 documents en preuve. Il a convoqué sa conjointe, Sylvain Archambault, Angela Albert, la Dre Marie Quintal et le Dr Claude Archambault comme témoins. Le demandeur a aussi témoigné. M. Archambault est un représentant syndical travaillant pour une des composantes de l’agent négociateur. Il est impliqué dans le dossier de grief du demandeur depuis avril 2009. Mme Albert est une employée de la CISR. En 2008, elle était la présidente de l’unité syndicale locale à laquelle le demandeur appartenait. La Dre Quintal est psychiatre. En mai 2009, elle a rédigé un rapport d’expertise sur la santé mentale du demandeur. Le Dr Archambault est médecin généraliste. Le demandeur est son patient depuis 1987.

8 L’employeur a présenté 16 documents en preuve. Il a convoqué Valérie Daigle et Suzanne Marcil comme témoins. Mme Daigle était conseillère en relations de travail à la CISR entre janvier 2007 et mai 2009. À ce titre, elle a été impliquée dans la gestion du dossier du demandeur. Mme Marcil est gestionnaire en relations de travail à la CISR depuis 2004. Elle a aussi été impliquée dans la gestion du dossier du demandeur.

9 Avant son départ de la CISR à la fin mars 2008, le demandeur y occupait depuis une quinzaine d’années un poste administratif. Au total, il a travaillé près de 27 ans à la fonction publique fédérale.

A. Le départ du demandeur de la CISR et les mois qui l’ont précédé

10 À partir de septembre 2005, le demandeur a été en arrêt de travail prolongé et il a alors reçu des prestations d’assurance invalidité. À la fin de l’automne 2007, le demandeur devait retourner au travail à défaut de quoi, il risquait de perdre ses prestations d’assurance-invalidité. À la suite de discussions avec sa conjointe et d’une consultation avec le Dr Archambault, le demandeur a proposé à l’employeur de retourner au travail progressivement à compter de janvier 2008. Le 10 décembre 2007, le Dr Archambault a signé un plan de retour au travail préparé par le demandeur et sa conjointe. Ce plan comprenait toute une série de restrictions au travail. Entre autres, le demandeur ne devait assumer aucune supervision, ni avoir à écrire des politiques ou des procédures. Il ne devait pas rester assis à un bureau pour de longues périodes et ne devait faire qu’un minimum de tâches administratives. Le plan recommandait aussi que le demandeur soit plutôt assigné à des tâches nécessitant du travail physique ou à des projets spéciaux. Il devait éviter les ascenseurs le plus possible ou encore pouvoir travailler de la maison. Le plan prévoyait un retour progressif au travail à temps partiel. Le nombre de jours de travail prévu augmentait graduellement pour un retour à temps plein en juillet 2008. Le demandeur a transmis le plan de retour au travail à l’employeur le 17 décembre 2007.

11 Le 20 décembre 2007, le demandeur a rencontré sa superviseure, Christiane Bouvier, avec Mme Daigle et Mme Marcil. Le demandeur leur a dit qu’il avait pris deux tranquillisants ce matin là. Il a témoigné qu’il avait aussi consommé de la marijuana mais n’en a pas avisé les représentantes de l’employeur. C’est lors de cette réunion que le demandeur a appris que son poste avait été déclaré excédentaire mais qu’on ne l’avait pas avisé parce qu’il était en congé de maladie. Les représentantes de l’employeur ont aussi informé le demandeur qu’elles ne pouvaient rien lui offrir compte tenu de ses limitations.

12 Le demandeur dit avoir communiqué avec Mme Albert, qui était alors la représentante locale de l’agent négociateur, autour de décembre 2007, pour obtenir de l’aide sur la question de son poste qui était déclaré excédentaire. Mme Albert lui aurait alors dit qu’elle ne pouvait pas l’aider car il avait été suspendu du syndicat pour avoir franchi la ligne de piquetage lors de la dernière grève de l’unité de négociation dont il faisait partie et qu’il n’avait pas payé l’amende qui lui avait été imposée. M. Archambault a par contre témoigné que l’information transmise par Mme Albert était erronée et que l’agent négociateur avait le devoir de représenter le demandeur. Mme Albert a témoigné ne pas se souvenir d’avoir eu cette discussion avec le demandeur autour de décembre 2007, ni à un autre moment, mais elle se souvient que le statut de membre du demandeur avait été suspendu.

13 Au lieu d’accepter le plan de retour au travail du demandeur, l’employeur lui a proposé de lui accorder un congé payé pour les heures où il proposait de venir travailler. Le demandeur a accepté la proposition de l’employeur et a signé les formulaires de congé pour les heures en question.            

14 Le 21 janvier 2008, le demandeur a appelé Mme Daigle pour lui dire qu’il aimerait se prévaloir des options qu’offrait le programme de réaménagement des effectifs. Le jour même, l’employeur a officiellement informé le demandeur par écrit que le poste qu’il occupait avait été déclaré excédentaire en raison de la suppression des fonctions du poste. L’extrait suivant de cette lettre, dont une partie est déjà citée au paragraphe 4 de cette décision, reflète bien son contenu :

[…]

Étant donné vos limitations restrictives de réintégration au travail, il est peu probable de pouvoir vous trouver un emploi convenable respectant toutes ces restrictions, au même groupe et niveau ou équivalent, à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) et/ou à la grandeur de la fonction publique. Conséquemment, la CISR ne peut vous garantir une garantie d’offre d’emploi raisonnable. Or, j’aimerais vous informer que vous êtes déclaré employé optant à partir de la date de cette lettre. En bénéficiant du statut d’employé optant, vous êtes éligibles [sic] aux trois (3) options suivantes :

Option A : Priorité d’employé excédentaire de douze (12) mois pour trouver une offre d’emploi raisonnable.

Option B : Mesure de soutien à la transition (MST) : montant forfaitaire selon vos années de service au sein de la fonction publique.

Option C : Indemnité d’étude : montant forfaitaire équivalent à la MST plus un remboursement jusqu’à 8 000$ pour les frais de scolarité, les frais de livres et d’équipement requis, appuyés par un reçu.

[…]

15 Le demandeur a témoigné qu’il avait lu des parties de la lettre du 21 janvier 2008. Dans cette lettre, l’employeur a aussi informé le demandeur qu’il devait l’informer de son choix d’option au plus tard le 11 juillet 2008. L’employeur a aussi invité le demandeur à discuter des options avec une personne de confiance et à consulter la partie VI de l’appendice E de la convention collective, qui fournit plus de renseignements au sujet des trois options. Le 29 janvier 2008, le demandeur a écrit à Mme Bouvier pour l’informer qu’il se sentait perdu et qu’il avait besoin de faire des choix éclairés. Il a demandé si son employeur pouvait l’aider à obtenir des services professionnels en réhabilitation et en désintoxication. Puis, le 4 février, le demandeur a écrit à Mme Daigle pour lui demander les coordonnées du syndicat et du programme d’aide aux employés. Mme Daigle lui a fourni l’information le jour même par courriel.

16 Le 5 février 2008, le demandeur a demandé à l’employeur de lui fournir une estimation des montants qui pouvaient lui être versés pour contribuer à un régime enregistré d’épargne-retraite. Le 6 février 2008, l’employeur a répondu au demandeur pour lui faire part des implications financières précises de chacune des trois options. Cette lettre contenait la mention suivante en caractère gras : « Quel que soit le choix de votre option, votre décision demeure irrévocable ». La lettre du 6 février 2008 comprenait aussi des informations relatives aux prestations de retraite et aux prestations supplémentaires de décès.

17 Le 12 mars 2008, Mme Daigle et le demandeur ont eu une conversation téléphonique au sujet de la possibilité que le demandeur obtienne de son médecin un nouveau certificat médical sans limitation, ce qui lui permettrait de revenir travailler. Mme Daigle a expliqué au demandeur que s’il était apte à retourner travailler les options qui s’offraient à lui ne seraient plus les mêmes. Compte tenu que le demandeur ne semblait pas bien comprendre la situation, Mme Daigle lui a offert de le rencontrer. Le jeudi 13 mars 2008, Mme Daigle a envoyé un courriel au demandeur l’informant qu’elle lui avait laissé deux messages téléphoniques pour lui dire qu’elle aurait aimé le rencontrer avec Mme Bouvier et Mme Marcil pour discuter des nouveaux éléments de la situation. Elle lui a demandé de lui répondre dès que possible pour confirmer sa disponibilité. Plus tard, le même jour, le demandeur a répondu à Mme Daigle par courriel qu’il aimait mieux les rencontrer ailleurs qu’au bureau. Il a aussi écrit que si l’employeur acceptait de le payer pour les mois de janvier, février et mars, il signait sa lettre de démission lors de cette rencontre.

18 La rencontre proposée par Mme Daigle a eu lieu le mardi 18 mars en avant-midi à la foire alimentaire d’un immeuble à bureau du centre-ville d’Ottawa. La rencontre aurait duré une trentaine de minutes. À un certain moment, le demandeur a dit aux autres personnes présentes à la réunion qu’il voulait choisir l’option C et qu’à cette fin il voulait démissionner de la fonction publique. Il a demandé qu’on l’informe de ce qu’il devait écrire dans sa lettre et Mme Marcil le lui a dicté. La lettre alors écrite, signée par le demandeur et remise à Mme Bouvier, se lit comme suit :

18 mars 2008

Christiane Bouvier

Suite à la lettre du 21 janvier 2008. La présente est pour vous informer que j’ai choisi l’option C en tant qu’employé optant. À compte du 31 mars 2008 je démissionne de la fonction publique.

André Lagacé

[Sic pour l’ensemble de la citation]

19 Selon le demandeur, les trois options n’ont pas été discutées lors de la rencontre du 18 mars 2008. Le demandeur a témoigné que les choses pressaient, qu’il en avait assez et qu’il avait besoin d’argent. Pour lui, l’option A n’existait plus à cause de ses restrictions. Il dit avoir choisi l’option C et démissionné sur un coup de tête. Il a témoigné qu’il croyait que l’employeur savait qu’il prendrait l’argent. Il ne s’est pas senti menacé, mais il a senti une certaine pression compte tenu qu’il y avait trois personnes. Il se demandait pourquoi il y avait trois personnes pour recevoir une lettre de démission. Aussitôt la lettre signée, elles sont toutes trois parties « comme des voleuses », selon le demandeur. Il n’a pas expliqué sur quoi il basait cette affirmation.

20 Selon Mme Daigle et Mme Marcil, il y a eu une discussion à propos des trois options lors de la rencontre du 18 mars 2008. Selon Mme Daigle, le demandeur voulait prendre une décision lors de cette rencontre et Mme Marcil a suggéré d’attendre et d’en discuter avec des gens de son entourage. Mme Marcil a confirmé le témoignage de Mme Daigle. Elle a ajouté que le demandeur avait dit que sa décision était réfléchie et qu’il avait besoin d’argent. Selon Mme Daigle, le demandeur semblait calme et bien comprendre les trois options et ce qui lui était dit lors de la rencontre du 18 mars 2008. Mme Marcil a confirmé le témoignage de Mme Daigle et a ajouté que le demandeur semblait cohérent mais nerveux. Elle n’avait aucune indication que le demandeur pouvait être intoxiqué.    

21 Le jour même, le demandeur a informé sa conjointe de sa démission. Elle a été nettement ébranlée d’apprendre la nouvelle. Même si elle n’a pas pu le constater visuellement, elle est certaine que le demandeur était intoxiqué le matin du 18 mars 2008 quand il est allé rencontrer les représentantes de l’employeur.

22 Lors de la rencontre du 18 mars 2008, le demandeur a mentionné à l’employeur qu’il avait droit au cadeau qui est remis aux employés qui ont 25 ans de service et qu’il désirait obtenir l’information pour le réclamer. Plus tard, le même jour, Mme Daigle lui a fait parvenir l’information en question. Elle lui a aussi envoyé un formulaire de rapport de fin d’emploi que le demandeur devait compléter. Le demandeur a envoyé un courriel à Mme Daigle le lendemain pour l’informer qu’il avait complété le document demandé.

B. Les réclamations du demandeur après son départ de la CISR

23 Le 27 mars 2008, l’employeur a écrit au demandeur pour lui expliquer l’effet de sa cessation d’emploi sur ses avantages sociaux tels que le régime de retraite de la fonction publique, le régime de prestations supplémentaires de décès, le régime de soins de santé, l’indemnité de départ et l’indemnité d’études. Le demandeur a témoigné qu’il n’a pas donné suite à cette lettre comme il aurait du le faire. C’était trop pour lui. Il a réalisé plus tard qu’il aurait dû aviser l’employeur dans les délais appropriés de ses intentions à l’égard des prestations de décès et du régime de soins de santé. Sa conjointe a témoigné qu’il en est résulté des pertes financières importantes car la famille n’a pas pu réclamer plusieurs centaines de dollars de frais de médicaments.

24 Le demandeur a aussi témoigné qu’il n’a pas fait de suivi en ce qui a trait au 8 000 $ d’indemnité d’études qu’il aurait pu réclamer à partir d’avril 2008. C’était trop pour lui et il ne s’occupait pas de ses affaires à cette époque. Mme Marcil a par contre témoigné que le demandeur l’avait appelé le 11 août 2008 pour obtenir des fonds à partir de cette indemnité d’études pour payer son séjour dans un centre de désintoxication. Mme Marcil a refusé cette demande. Le demandeur est alors devenu agité au téléphone. Il n’était pas d’accord avec Mme Marcil. Il lui a dit qu’il déposerait une plainte à la CCDP. Il a aussi dit que l’employeur l’avait dirigé vers l’option C pour se débarrasser de lui. Mme Marcil a demandé au demandeur de se calmer. Devant son refus, elle a raccroché. Le demandeur admet que cette conversation a eu lieu et est sommairement d’accord avec le contenu des notes manuscrites alors prises par Mme Marcil.

25 Le 8 mai 2008, le demandeur a écrit un courriel à Mme Marcil pour lui demander d’avoir accès à tous les dossiers qui le concernaient et que l’employeur avait en sa possession. Il fut convenu avec Mme Daigle qu’une rencontre aurait lieu entre elle et le demandeur à 9 h, le 15 mai 2008. Le demandeur ne s’est pas présenté à la rencontre. Le 15 mai, à 9 h 25, Mme Daigle lui a laissé un message téléphonique. Puis, à 9 h 46, elle lui a envoyé un courriel pour l’inviter à communiquer avec elle de nouveau s’il désirait toujours consulter ses dossiers.

26 Le 24 juin 2008, le demandeur a écrit à Mme Daigle pour lui demander à quelle date son poste avait été déclaré excédentaire. Le demandeur avait discuté de cette question avec sa conjointe et ils voulaient avoir la réponse à cette question. Le 27 juin 2008, Mme Daigle a répondu qu’il y avait eu une réorganisation en août 2005 et que les fonctions du poste du demandeur avaient alors été réassignées. Le 28 juin 2008, le demandeur a demandé pourquoi il n’avait pas été avisé en août 2005. Le 2 juillet 2008, Mme Daigle lui a répondu par courriel qu’il était alors en congé de maladie et que la pratique était de communiquer le moins possible avec les employés qui étaient en congé de maladie. Elle a aussi ajouté que sa gestionnaire avait des discussions informelles avec lui lors de son congé de maladie et qu’elle l’avisait des changements qui se produisaient et qui étaient à venir.

C. Les problèmes de santé et de dépendance du demandeur

27 Les témoignages du demandeur et de sa conjointe ainsi que ceux de la Dre Quintal et du Dr Archambault concordent quant aux problèmes de santé du demandeur. Pour sa part, sa conjointe est en mesure d’en témoigner directement car elle a vécu avec le demandeur ces 25 dernières années. Il en est de même pour le Dr Archambault qui traite le demandeur depuis 1987 comme patient. Quant à la Dre Quintal, elle base ses commentaires sur une rencontre de deux heures qu’elle a eue au début 2009 avec le demandeur et sur l’étude détaillée de son dossier médical.

28 Le demandeur souffre de dépression et de problèmes d’anxiété depuis plusieurs années. Malgré son état de santé, il a quand même réussi à garder son emploi en prenant des journées de maladie à l’occasion. Le demandeur a aussi souffert d’alcoolisme. En décembre 2004, son père est décédé et sa situation s’est gravement détériorée. Peu de temps après, il a commencé à consommer de la marijuana régulièrement. Graduellement, il en est venu à fumer plusieurs fois par jour. Le demandeur admet qu’à un certain point, il fumait de la marijuana dès son réveil. Le demandeur a aussi une dépendance au jeu. De 1996 à 2009, il dit avoir perdu plus de 200 000 $ au casino et dans les machines vidéo poker.

29 Le demandeur a suivi plusieurs sessions de réadaptation et de désintoxication entre 2005 et 2009 pour se débarrasser de ses multiples dépendances. Entre autres, il a bénéficié de suivis individuels externes au Centre Jellinek entre octobre 2005 et avril 2008 et entre avril 2009 et juillet 2009. Il a aussi bénéficié de six séjours résidentiels (hospitalisé) entre 2006 et 2009 d’une durée d’une dizaine de jours.Le Centre Jellinekoffre des services confidentiels aux personnes ayant un problème de consommation d'alcool, de drogues, de médicaments ou de jeu. Le demandeur a aussi séjourné du 10 au 25 septembre 2008 à la Maison Jean Lapointe. Cette institution a un mandat comparable à celui du Centre Jellinek.

30 Le demandeur a témoigné qu’il était très déprimé en mars et avril 2008. À l’occasion, il avait des pensées suicidaires. Il était confus et désespéré en plus d’être intoxiqué du matin au soir. Le demandeur a aussi témoigné qu’entre avril et octobre 2008 la situation était la même. Il était intoxiqué tous les jours et il n’avait pas la tête à prendre des décisions. Il ne terminait pas ce qu’il commençait. Ainsi, il a débuté deux projets de rénovation mais il les a abandonnés. Il était impulsif et agissait sans penser logiquement. Il a cité à titre d’exemples la fois où il avait acheté 12 000 balles de golf pour peut-être les revendre à profit, ou celle où il voulait acheter une maison de 1,3 million de dollars pour en faire un centre d’accueil. De plus, il ne s’est pas occupé de conserver ses assurances avec l’employeur ou de réclamer son indemnité d’études. À cet effet, sa conjointe a confirmé le témoignage du demandeur en plus d’ajouter qu’en 2008, le demandeur ne s’occupait plus de rien. Elle devait tout faire et prendre toutes les décisions. Elle a aussi témoigné que la santé et l’état d’esprit du demandeur ont empiré après sa démission en mars 2008. Il se droguait et buvait tous les jours.   

31 Le demandeur a témoigné qu’en septembre 2008, il était sur le point de perdre sa famille. Il a donc décidé d’agir en allant se faire soigner à la Maison Jean Lapointe. Ses idées se sont alors éclaircies. Quand il a parlé de la perte de son emploi et de son départ de la CISR avec une thérapeute, cette dernière lui a demandé pourquoi il n’avait pas déposé un grief. Peu de temps après sa sortie de la Maison Jean Lapointe, le demandeur a communiqué avec l’agent négociateur et le grief dont il est question dans cette décision a été déposé. Le demandeur a témoigné qu’il n’avait jamais pensé déposer un grief ou contacter l’agent négociateur entre mars et septembre 2008.

32 En mars 2008, le Dr Archambault a écrit un résumé du dossier médical du demandeur. Ce résumé démontre que le demandeur était épuisé et dépressif dès la fin des années 1980, qu’il prenait des médicaments liés aux troubles dépressifs dès 1993 et qu’il éprouvait de sérieux problèmes de consommation d’alcool dès 1996. En 2001, il a commencé à développer des troubles phobiques. Puis, en 2002 et en 2004, il a fait des crises d’agressivité au travail. En mars 2008, le Dr Archambault concluait que le demandeur souffrait d’anxiété chronique. Le Dr Archambault a vu le demandeur en avril 2008 pour un bilan de santé. Son état de santé n’était alors ni mieux ni pire que ce qu’il était jusque-là. Le Dr Archambault n’a pas rencontré le demandeur entre avril et octobre 2008.

33 La Dre Quintal n’a rencontré le demandeur qu’en février 2009. Elle ne peut donc pas témoigner directement de son état de santé en 2008. Elle base par contre son opinion sur ce que le demandeur lui a dit, sur les rapports médicaux du Dr Archambault et sur divers documents qui lui ont été soumis par l’agent négociateur. La Dre Quintal a expliqué qu’une personne peut mieux réfléchir quand elle arrête de consommer, comme le demandeur l’a fait en septembre 2008. La Dre Quintal ne pense pas que, entre mars et septembre 2008, le demandeur pouvait penser à tout ce qu’il vivait et faire toutes les démarches pour s’en sortir. Il n’était pas capable de saisir l’ensemble des éléments et leurs conséquences sur sa vie. Il agissait sans réfléchir et la consommation d’alcool et de drogues réduisait ses capacités d’analyse.   

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le demandeur

34 Le demandeur demande que la prorogation de délai soit accordée sur la base de l’équité et compte tenu que sa demande satisfait aux critères identifiés dans Schenkman.

35 Le retard du demandeur pour déposer son grief dans les délais prévus à la convention collective est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes. Le demandeur n’était pas capable de déposer un grief entre mars et septembre 2008 et d’informer le syndicat de sa situation. Il était déprimé, confus, désespéré, avait des pensées suicidaires et consommait de la drogue. Il était intoxiqué en tout temps. Faire face à la réalité était trop difficile pour lui. La coexistence de sa maladie et de ses habitudes de consommation faisait qu’il ne pouvait pas apprécier pleinement la situation dans laquelle il était. Cela l’empêchait d’agir.

36  Le grief du demandeur a été déposé six mois après l’expiration du délai prévu à la convention collective. Ce délai est raisonnable et la Commission ou le président de la Commission ont accepté dans le passé de proroger des délais pour des périodes plus longues que six mois. Qui plus est, le demandeur a agi avec diligence. Ce n’est que lors de son séjour à la Maison Jean Lapointe qu’il s’est rendu compte qu’il pouvait déposer un grief. Il avait alors les idées claires, n’a pas perdu de temps, a communiqué avec l’agent négociateur et a déposé un grief dans les semaines qui ont suivi.

37 La preuve déposée ne portait pas sur le fond du grief. Le président ne peut donc pas refuser de proroger le délai sur la base que le grief n’a aucune chance de succès. Enfin, si le président accepte de proroger le délai, le préjudice subi par l’employeur est minime. Par contre, si le président rejette la demande, le préjudice est majeur pour le demandeur car il perdra alors le seul recours qu’il a contre son employeur. Il ne pourra contester sa démission forcée et la discrimination dont il a été victime de la part de l’employeur.

38 Le demandeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1; Trenholm c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65; Richard c. Agence du revenu du Canada, 2005 CRTFP 180; Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81; Vancouver Island Health Authority v. Hospital Employees’ Union, 2008 CLB 14728. 

B. Pour le défendeur

39 Le critère le plus important à considérer lors de la décision de proroger le délai pour le dépôt d’un grief est d’établir si le demandeur avait des raisons claires, logiques et convaincantes de ne pas déposer son grief dans les délais prévus à la convention collective. Or, le demandeur n’a pas fait la preuve qu’il avait de telles raisons. Il aurait pu déposer un grief bien avant ou communiquer avec l’agent négociateur ou demander conseil. Il a attendu six mois avant de le faire. Le vrai motif de son retard est plutôt lié au fait qu’il croyait qu’il ne pouvait pas déposer de grief, jusqu’à ce que quelqu’un l’informe du contraire en septembre 2008. C’est sur la base de cette information que le demandeur a décidé d’agir. Ce n’est donc pas son état de santé qui l’a empêché de le faire plus tôt.

40 En décembre 2007, le Dr Archambault a établi que le demandeur était apte à un retour progressif au travail. Selon le Dr Archambault, l’état de santé du demandeur n’était pas différent en avril 2008 de ce qu’il était en décembre 2007. Si le demandeur était apte à un retour progressif au travail, il était certainement apte à s’informer de ses droits et à déposer un grief. Qui plus est, le demandeur a aussi communiqué avec l’employeur à plusieurs reprises après mars 2008 au sujet de certains points particuliers. S’il pouvait le faire, il pouvait aussi communiquer avec l’agent négociateur pour déposer un grief.

41  Dans les circonstances, le retard de six mois pour déposer un grief est considérable. Certes, le demandeur subit un préjudice important en ne pouvant renvoyer son grief à l’arbitrage. Par contre, l’employeur est en droit de s’attendre à ce qu’une fois le délai pour déposer un grief expiré, les problématiques particulières d’un cas puissent être considérées comme réglées. Il en va de la stabilité des relations de travail.

42 Compte tenu que le demandeur n’a pas fait la preuve qu’il avait des raisons claires et convaincantes de ne pas respecter le délai prévu pour déposer un grief et qu’il a excédé ce délai de plus de six mois avant de déposer son grief, la présente demande devrait être rejetée.  

43 Le défendeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1; Rouleau c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2002 CRTFP 51; Featherston c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada) et Administrateur général (Commission de la fonction publique), 2010 CRTFP 72; Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92.    

IV. Motifs

44 L’agent négociateur, au nom du demandeur, a demandé au président de la Commission de proroger le délai prévu à la convention collective pour lui permettre de déposer un grief. Dans les faits, le grief a déjà été déposé le 31 octobre 2008, mais l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de griefs sur la base que le grief n’avait pas été déposé dans les délais.

45 Le 18 mars 2008, le demandeur a avisé l’employeur par écrit qu’il se prévalait de l’option C dans le cadre du réaménagement des effectifs à la CISR et qu’il démissionnait à compter du 31 mars 2008. Puis, le 31 octobre 2008, soit sept mois plus tard, le demandeur a déposé un grief alléguant que l’employeur l’avait forcé à prendre des décisions qui le désavantageaient, avait discriminé contre lui et avait contrevenu aux politiques du Conseil du Trésor. Même s’il est possible d’argumenter que plusieurs des faits reprochés à l’employeur sont antérieurs au 18 mars 2008, j’assumerai que le 18 mars 2008 est la date à laquelle le demandeur a pris connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu à son grief. Selon la convention collective, le grief aurait du être déposé dans les 25 jours, soit au plus tard le 13 avril 2008. Dans les faits, en excluant les jours fériés, le grief a été déposé 198 jours après l’expiration du délai.

46 Les critères pour trancher des demandes de prorogation de délais ont été maintes fois repris dans la jurisprudence de la Commission. Ils sont les suivants : le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes; la durée du retard; la diligence raisonnable du demandeur; l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur si la prorogation est accordée; les chances de succès du grief. Par ailleurs, l’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même. Il faut examiner les faits qui sont soumis afin de décider de la valeur probante à accorder à chaque critère. Il arrive que certains critères ne s’appliquent pas ou qu’il y en ait seulement un ou deux qui pèsent dans la balance.

47 Nonobstant ce qui précède, il me semble que, de façon générale, le retard doit être justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, sans quoi les autres critères perdent tous leur pertinence. À quoi serviraient les délais dont les parties à la convention collective ont convenu si le président de la Commission pouvait les proroger à la suite d’une demande qui n’est pas solidement justifiée? Le fait d’accepter une demande de prorogation qui ne repose pas sur une justification solide du retard, équivaudrait à ne pas respecter l’entente conclue entre les parties à la convention collective. Évidemment, ce n’est pas dans cet esprit qu’a été rédigé l’alinéa 61b) du Règlement.

48 Même s’il a été établi que chaque cas doit être décidé en fonction de ses propres circonstances, j’ai étudié attentivement les décisions qui m’ont été soumises par les parties avant de décider, à la lumière de la preuve soumise, si les raisons évoquées par le demandeur étaient claires, logiques et convaincantes. Les raisons évoquées dans Rouleau, Grouchy et Richard sont celles qui se rapprochent le plus des raisons soumises par le demandeur.

49 Dans Rouleau, le vice-président Potter a refusé de proroger le délai de griefs. La demanderesse était malade et recevait des soins psychiatriques mais la preuve a révélé qu’elle était encore capable de s’occuper de plusieurs de ses affaires comme par exemple de rédiger des lettres. Dans Grouchy, la vice-présidente Bédard a refusé de proroger le délai pour déposer un grief. La demanderesse souffrait d’anxiété sévère ce qui avait une incidence sur sa capacité à se concentrer et à vaquer à ses activités habituelles. La vice-présidente Bédard a cependant conclu que la preuve n’avait pas établi que l’état de santé de la demanderesse la rendait incapable de comprendre qu’il y avait un délai à respecter dans la procédure interne de règlement des griefs ou la rendait incapable de lire et de comprendre les dispositions du Règlement. Dans Richard, la vice-présidente Matteau a accepté de proroger le délai pour déposer un grief. La demanderesse souffrait du syndrome de stress post-traumatique et ce n’est qu’avec le temps qu’elle a pu évaluer de façon objective l’utilité de déposer un grief. À partir de la preuve présentée par les parties, je peux difficilement conclure que le demandeur ne pouvait évaluer l’utilité de déposer un grief. Qui plus est, je ne suis pas certain qu’il s’agisse là du bon critère à appliquer. Sur ce, je partage plutôt le critère énoncé dans Grouchy qui consiste à examiner la capacité du demandeur à comprendre qu’il y a un délai à respecter.

50 La preuve présentée par les parties révèle que le demandeur était malade de mars à octobre 2008. La preuve révèle aussi que pendant cette période il buvait et il consommait de la drogue quotidiennement. La Dre Quintal a témoigné que le demandeur ne pouvait penser à tout ce qu’il vivait à cette époque, ni saisir l’ensemble des conséquences sur sa vie. Par contre, la Dre Quintal n’a examiné le demandeur que plusieurs mois plus tard et a, en partie, fondé son opinion sur les rapports du Dr Archambault. Pour ce dernier, l’état de santé du demandeur n’était ni mieux ni pire en avril 2008 qu’il ne l’était en décembre 2007 lorsqu’il a recommandé son retour progressif au travail.

51 Nul doute que le demandeur n’était vraiment pas bien en 2008 et qu’il avait de la difficulté à fonctionner. Mais cela ne l’empêchait pas de demander de l’aide s’il se croyait lésé dans ses droits avec son employeur. Un coup de téléphone ou un courriel au bureau central de son agent négociateur ne demandait pas une très grande capacité cognitive. La preuve médicale soumise et les témoignages du demandeur et de sa conjointe ne prouvent pas de façon convaincante que l’état de santé du demandeur l’empêchait de faire cet effort ou cette démarche minimale de communiquer avec le bureau de son agent négociateur ou quelqu’un d’autre pour demander de l’aide. Il ne s’agissait pas ici de faire une analyse exhaustive de sa situation ou de rédiger un grief relativement complexe. Il s’agissait plutôt d’initier les démarches pour que quelqu’un puisse le faire avec lui et pour lui. Même dans l’état où il se trouvait à cette époque, la preuve ne me convainc pas qu’il ne pouvait pas le faire.

52 Après avoir signé sa lettre de démission le 18 mars 2008, le demandeur a communiqué à quelques reprises avec l’employeur. Le 8 mai 2008, il a écrit à Mme Marcil afin d’avoir accès à tous les dossiers le concernant. Le 24 juin 2008, il a écrit à Mme Daigle pour savoir quand son poste avait été déclaré excédentaire. Le 11 août, il a téléphoné à Mme Marcil pour obtenir des fonds pour payer son séjour à la Maison Jean Lapointe à partir des fonds qui pouvaient lui être versés pour les études. Le demandeur était donc minimalement capable d’agir. Aucune preuve ne m’a été soumise pour expliquer pourquoi il était capable de faire ces démarches, toutes liées à son employeur, mais qu’il ne pouvait pas communiquer avec son agent négociateur pour obtenir de l’aide.

53 Le demandeur ne m’a donc pas présenté une preuve voulant qu’il avait des raisons claires, logiques et convaincantes de déposer son grief 198 jours après l’expiration du délai prévu à la convention collective. À partir de là, les autres critères deviennent secondaires et je n’ai pas à en traiter. 

54 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

55 La demande de prorogation du délai est rejetée.

56 Le grief portant le numéro de dossier 566-02-3093 est rejeté.

Le 9 mai 2011.

Renaud Paquet,
vice-président

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