Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants, un fonctionnaire et son agent négociateur, ont allégué que l’employeur s’était livré à une pratique déloyale de travail en empêchant le fonctionnaire de communiquer avec les représentants de son agent négociateur pendant qu’il n’était pas en service - la Commission a statué que l’employeur n’avait pas empêché le fonctionnaire de communiquer avec son agent négociateur - l’employeur était en droit de réglementer l’usage de ses propres systèmes de communication - compte tenu du contexte, l’exigence imposée au fonctionnaire de communiquer d’abord avec les personnes responsables n’était pas déraisonnable. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Date: 20110629

Dossier: 561-02-413 et 427

 

Référence: 2011 CRTFP 87

 

Loi sur les relations de travail

dans la fonction publique

PSLRB noT(BW)

Devant la Commission des relations

de travail dans la fonction publique

ENTRE

 

GLYN MERRIMAN ET UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL

OFFICERS - SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA

(UCCO-SACC-CSN)

plaignants

 

et

 

THERESA MACNEIL ET CORINNE JUSTASON

 

défenderesses

Répertorié

Merriman c. MacNeil

Affaire concernant des plaintes visées à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Devant : John J. Steeves, commissaire

Pour les plaignants : Marie-Pier Dupuis-Langis, UCCO-SACC-CSN

Pour les défenderesses : Michel Girard, avocat

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique),

les 4 et 5 mai 2011.

(Traduction de la CRTFP).


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTFP)

Plainte devant la Commission

[1] Il s’agit de deux plaintes pour le compte de deux plaignants, Glyn Merriman et son organisation syndicale, UCCO-SACC-CSN (l’« organisation syndicale »). Les défenderesses sont Theresa MacNeil, sous-directrice de l’Établissement de Mission aux dates pertinentes, et Corinne Justason, directrice par intérim, à ce moment.

[2] Les plaignants allèguent que les défenderesses se sont livrées à une pratique déloyale de travail lorsqu’elles ont décrété que M. Merriman ne pouvait pas appeler quiconque au travail pendant qu’il n’était pas en service, sauf s’il communiquait d’abord avec un membre de la haute direction. Cette directive s’appliquait également aux représentants de l’organisation syndicale du plaignant, UCCO-SACC-CSN, se trouvant au travail. Selon les plaignants, la directive de la défenderesse à l’endroit de M. Merriman enfreignait l’article 185 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »).

Positions des parties

[3] Les plaignants contestent une lettre ayant été remise à M. Merriman lors d’une rencontre avec l’une des défenderesses, Mme MacNeil, le 27 août 2009. Cette lettre prévoyait notamment : [traduction] « Il t’est interdit d’appeler quiconque à l’établissement, à l’exception du directeur ou de la sous-directrice. » La restriction s’appliquait aux représentants de l’organisation syndicale pendant qu’ils étaient au travail. Quand M. Merriman et son représentant ont cherché à savoir la raison de cette directive, la sous-directrice leur a répondu qu’elle suivait simplement les ordres. Les plaignants allèguent qu’il y a eu pratique déloyale de travail en contravention de la Loi.

[4] En guise de réparation, les plaignants demandent ce qui suivent : une déclaration que les défenderesses ont violé la Loi; un affichage public de la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »); une ordonnance par la Commission que les défenderesses cessent d’intervenir dans la représentation des membres de l’organisation syndicale; une ordonnance modifiant la lettre du 27 août 2009 pour permettre à M. Merriman de communiquer avec son représentant au travail; une excuse par écrit à M. Merriman et à son représentant, Allan Serdar.

[5] Les défenderesses soutiennent qu’il n’y a pas eu violation de la Loi. Il est convenu que la lettre du 27 août 2009 a été remise à M. Merriman lors d’une rencontre ce même jour et qu’elle lui interdisait de téléphoner à quiconque à l’établissement, à l’exception du directeur ou de la sous-directrice. Cette restriction s’appliquait aux représentants de l’organisation syndicale, mais en novembre 2009 M. Merriman a été autorisé à téléphoner à ceux-ci. Selon les défenderesses, cette directive était justifiée et nécessaire en raison d’inquiétudes concernant l’aptitude mentale de M. Merriman. Ces inquiétudes étaient fondées notamment sur des plaintes d’autres employés et d’un représentant de l’organisation syndicale. Les défenderesses demandent que les plaintes soient rejetées.

Résumé de la preuve

[6] L’employeur est le Service correctionnel du Canada qui exploite des établissements correctionnels à l’échelle du Canada. Les événements ayant mené aux présentes plaintes se sont produits à l’Établissement de Mission en Colombie-Britannique. M. Allan Serdar est président de la section locale de l’organisation syndicale à l’Établissement de Mission. Il a témoigné que l’organisation syndicale représente ses membres relativement à diverses questions, ce qui comprend les mesures disciplinaires, et qu’elle a également participé à plusieurs comités conjoints de l’employeur et de l’organisation syndicale.

[7] L’organisation syndicale a une petite roulotte derrière l’Établissement de Mission qui lui sert de bureau. M. Serdar a expliqué que le bureau a une ligne téléphonique mais qu’elle est défectueuse et que le télécopieur ne fonctionne pas. Il a un téléphone cellulaire, et ses membres peuvent l’appeler à ce numéro lorsqu’il n’est pas en service. Par exemple, M. Merriman avait le numéro de téléphone cellulaire de M. Serdar avant les événements ayant mené aux présentes plaintes et il s’en est servi pour communiquer avec M. Serdar.

[8] Lorsque les membres de l’organisation syndicale ne sont pas en service, ils communiquent à l’occasion avec leurs représentants au travail à l’Établissement de Mission. Les membres peuvent communiquer avec le standard téléphonique, et l’appel sera dirigé vers le poste de contrôle principal. Comme l’a expliqué M. Serdar, au poste de contrôle principal, il y a habituellement une personne qui sait s’il y a un représentant au travail et où celui-ci travaille. Les représentants comme M. Serdar sont généralement disponibles, sauf lorsqu’ils exécutent certaines fonctions où la sécurité est en jeu. Par exemple, lorsqu’ils escortent des détenus, les représentants de l’organisation syndicale ne sont pas disponibles.

[9] M. Merriman est un agent correctionnel II à l’Établissement de Mission et est un employé depuis 1997. Autour de la mi-juillet 2009, il y a eu un incident impliquant M. Merriman et un détenu. Les détails de cet incident ne sont pas pertinents en l’espèce, mais en bout de ligne, M. Merriman a fait l’objet d’une sanction administrative en raison de sa conduite. Cet incident et la sanction lui ayant été imposée ne font pas partie des plaintes dont je suis saisi.

[10] Mme Justason, une des défenderesses, était directrice par intérim à l’Établissement de Mission à compter du début août 2009. Elle a témoigné qu’elle a appris que l’employeur était inquiet au sujet d’une [traduction] « question de culpabilité potentielle ayant trait à l’état d’esprit de M. Merriman », ainsi que de [traduction] « pensées potentiellement suicidaires » de celui-ci. Avant d’envisager une mesure disciplinaire, la décision a été prise de demander une évaluation de Santé Canada. Selon Mme Justason, l’employeur [traduction] « estimait qu’il était indiqué de traiter cette question d’abord ». Mme Justason a expliqué dans son témoignage que des discussions de haut niveau ont eu lieu et qu’il a été décidé qu’une rencontre avec M. Merriman s’imposait. La rencontre s’est tenue le 27 août 2009; y étaient présents, M. Merriman, M. Serdar et Mme MacNeil, sous-directrice par intérim, et Mme Joy Burke, conseillère en ressources humaines en chef pour l’employeur. Une lettre de cette même date a été remise à M. Merriman lors de la rencontre. Elle était signée par Mme MacNeil et se lit comme suit :

[Traduction]

Demande d’évaluation à Santé Canada

Je vous informe par la présente que la procédure disciplinaire relativement aux commentaires inappropriés que vous avez faits à un détenu [nom supprimé] a été suspendue en attendant l’issue d’une évaluation de votre aptitude au travail par Santé Canada. Nous croyons que vous représentez un risque potentiel pour vous-même et pour les autres.

À compter d’aujourd’hui, vous n’êtes plus autorisé à pénétrer dans aucune installation du SCC sans permission du directeur ou des représentants.

Vous ne devez plus téléphoner à quiconque à l’établissement autre que le directeur ou la sous-directrice.

Vous serez en congé administratif pendant cette période, dans la mesure où vous continuerez à coopérer dans le cadre du processus d’évaluation de Santé Canada.

[Je souligne]

 

J’ai souligné le troisième paragraphe parce qu’il est au cœur des plaintes en l’espèce.

[11] M. Merriman a témoigné qu’il n’avait pas été avisé au préalable de la rencontre et qu’il ne savait pas de quoi il serait question. Il a été estomaqué par la lettre, et la rencontre a été un choc pour lui parce qu’il venait tout juste de retourner au travail après son congé administratif et qu’il était [traduction] « […] extrêmement heureux de reprendre le travail ». De plus, il était affecté à la porte principale de l’Établissement de Mission et il aimait beaucoup ce travail. Il a affirmé avoir dit à Mmes MacNeil et Burke [traduction] « […] comment est-ce possible encore, tout va pour le mieux ». À cela, selon M. Merriman, Mme MacNeil a répondu qu’elle ne pouvait rien lui dire parce qu’elle [traduction] « suivait les ordres de son patron ». Mme MacNeil était [traduction] « très explicite » (encore une fois, selon M. Merriman) sur le fait qu’il ne devait pas appeler à l’Établissement de Mission à moins de communiquer d’abord la sous-directrice [traduction] « ou une personne de niveau plus élevé ». Il pouvait parler à un délégué syndical seulement après avoir appelé la sous-directrice ou une personne de niveau supérieur. M. Merriman a témoigné que lui et M. Serdar ont demandé pourquoi M. Merriman ne pouvait pas communiquer avec un délégué syndical, et Mme MacNeil leur a répondu qu’elle suivait simplement les ordres.

[12] M. Serdar a également témoigné au sujet de la rencontre du 27 août 2009 et a confirmé que Mme MacNeil a dit que M. Merriman n’était pas autorisé à téléphoner à quiconque autre qu’un sous-directeur ou une personne de niveau supérieur. Lors de la rencontre, M. Serdar a dit que, en sa qualité de représentant de M. Merriman, il devait communiquer avec M. Merriman. Mme MacNeil a répondu qu’elle suivait les ordres, que ses [traduction] « mains étaient liées » et que la lettre n’était pas négociable. Il a ajouté que les personnes représentant l’employeur à la rencontre [traduction] « s’étaient grandement ravisées ».

[13] Mme MacNeil a témoigné au sujet de la rencontre. Elle a expliqué qu’elle a remis à M. Merriman une copie de la lettre du 27 août 2009 et qu’elle lui a lue à haute voix. Elle a demandé à M. Merriman s’il avait des inquiétudes et s’il souhaitait avoir des clarifications concernant la directive prévoyant qu’il ne devait pas téléphoner à l’établissement. Mme MacNeil a affirmé lui avoir expliqué que la directive prévoyait qu’il pouvait appeler seulement le directeur ou la sous-directrice et que celui-ci ou celle-ci veillerait à ce que M. Merriman soit mis en contact avec la personne qu’il souhaitait rejoindre, y compris un représentant de l’organisation syndicale. Mme MacNeil n’a pas témoigné et n’a pas été contre-interrogée relativement au fait qu’elle aurait dit quelque chose comme [traduction] « je suis simplement les ordres » ou [traduction] « j’ai les mains liées ».

[14] Selon les plaignants, l’employeur a conclu la rencontre du 27 août 2009 en insistant sur le fait que M. Merriman devait communiquer avec le directeur ou la sous-directrice avant de parler à un représentant de l’organisation syndicale au travail. Cependant, dans un courriel du 5 novembre 2009, le directeur alors en poste a informé M. Merriman qu’il pouvait communiquer avec M. Serdar [traduction] « par téléphone » et à un conseiller en ressources humaines de l’employeur.

[15] Les deux plaintes en l’espèce sont datées du 1er octobre 2009. Chacune allègue, entre autres choses, que les défenderesses ont agi de manière [traduction] « clairement abusive » et que les circonstances des plaintes [traduction] « démontraient qu’il y avait eu intervention dans la représentation des employés et une tentative d’empêcher M. Merriman d’obtenir la représentation de son syndicat ». Encore une fois, les plaignants sont M. Merriman et l’organisation syndicale et les défenderesses sont Mme MacNeil et Mme Justason.

[16] L’évaluation de Santé Canada, à laquelle renvoyait la lettre du 27 août 2009, a eu lieu au début 2010. Dans une lettre datée du 11 février 2010, Santé Canada a indiqué que M. Merriman [traduction] « recevait des soins médicaux appropriés », qu’il était apte à travailler sans aucune restriction et qu’il ne souffrait d’aucun trouble médical pouvant [traduction] « […] expliquer ses comportements inappropriés au travail ». La lettre de Santé Canada a été envoyée au service des ressources humaines de l’employeur, avec une copie à M. Merriman.

Motifs

[17] Comme mentionné précédemment, les plaignants allèguent que les défenderesses ont violé l’article 185 de la Loi et qu’elles se sont livrées à une pratique déloyale de travail en interdisant à M. Merriman, dans la lettre du 27 août 2009, de [traduction] « […] téléphoner à quiconque à l’établissement, à l’exception du directeur ou de la sous-directrice ». Il n’est pas contesté que la directive s’appliquait aux appels téléphoniques que M. Merriman aurait pu faire pendant qu’il n’était pas en service à son représentant syndical qui était au travail, comme M. Serdar. Le courriel du 5 novembre 2009 indique que, à compter de cette date, M. Merriman a été autorisé à communiquer avec son représentant, M. Serdar, au travail en utilisant le système téléphonique de l’employeur. Par conséquent, le litige porte sur la période du 27 août au 5 novembre 2009.

[18] L’article 185 de la Loi définit la pratique déloyale de travail comme étant tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) ou (2) ou toute autre disposition de la Loi. Les parties pertinentes de l’article 186 sont libellées comme suit :

186. (1) Il est interdit à l’employeur et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, qu’il agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci;

[…]

(2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

[…]

c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de congédiement ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger une personne soit à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à une organisation syndicale ou d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical, soit à s’abstenir :

[…]

(iii) de présenter une demande ou de déposer une plainte sous le régime de la présente partie ou de déposer un grief sous le régime de la partie 2.

 

[19] Les plaignants allèguent que les défenderesses ont violé l’alinéa 186(1)a) et le sous-alinéa 186(2)c)(iii) de la Loi.

[20] En ce qui concerne l’alinéa 186(2)c) de la Loi, je ne suis pas en mesure de conclure que les circonstances des plaintes en l’espèce mettent en cause une demande ou une plainte au sens de cette disposition. Ces termes ont un sens spécifique dans la Loi, et rien ne démontre qu’il y a eu intimidation des plaignants dans le cadre de la présentation d’une demande ou du dépôt d’une plainte en vertu de la Loi. Par conséquent, les parties des plaintes qui sont fondées sur l’alinéa 186(2)c) sont rejetées.

[21] En examinant les plaintes par rapport à l’alinéa 186(1)a) de la Loi, elles peuvent être considérées comme des allégations que les défenderesses sont intervenues dans l’administration de l’organisation syndicale et sa capacité à représenter ses membres, comme M. Merriman. Cette intervention s’est manifestée sous la forme d’une directive interdisant à M. Merriman de téléphoner à son représentant au travail. Les plaignants ont demandé une ordonnance que les défenderesses cessent et s’abstiennent d’intervenir, entre autres choses.

[22] L’une des deux plaintes fondées sur l’alinéa 186(1)a) est faite par M. Merriman à titre individuel. L’autre plainte est faite par son organisation syndicale. En ce qui concerne la plainte de M. Merriman, la Commission a décidé dans une autre affaire que seule une organisation syndicale, ou une personne autorisée par celle-ci, peut déposer une plainte en vertu de cette disposition (Laplante c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie et Centre de recherches sur les communications), 2007 CRTFP 95, aux paragraphes 9 et 72). Pour ce motif, je rejette la plainte déposée par M. Merriman en vertu de l’alinéa 186(1)a).

[23] J’examinerai maintenant les questions soulevées dans la plainte faite par l’organisation syndicale, UCCO-SACC-CSN, en vertu de l’alinéa 186(1)a) de la Loi. Dorénavant, j’utiliserai « plainte » au lieu de « plaintes » et « plaignant » au lieu de « plaignants », lorsqu’il est question de l’organisation syndicale.

[24] Je commence en soulignant qu’il est bien établi et important de protéger la confidentialité des communications entre un membre d’une organisation syndicale et son représentant, comme un délégué syndical. Ceci a été décrit comme suit : [traduction] « Bien que les délégués syndicaux ne soient pas placés sur le même pied que les avocats, les arbitres ont jugé qu’un privilège, s’apparentant au secret professionnel de l’avocat, est associé aux communications entre les fonctionnaires s’estimant lésés et les délégués syndicaux […] » [je souligne] (Ronald M. Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada, Quatrième édition, 2009, paragraphe 6.92; citant, entre autres, Canada Safeway Ltd. (1984), 21 L.A.C. (3e) 50 (McColl)). La raison de principe de cette approche est qu’il faut encourager les membres d’organisations syndicales à se confier à leurs représentants sans craindre que ce qu’ils disent puisse être utilisé contre eux, par exemple, lors d’une audience en arbitrage. Il s’agit essentiellement de la même raison qui sert à protéger la nature confidentielle des relations entre avocats et clients et entre médecins et patients, même si la protection accordée aux communications entre les représentants d’une organisation syndicales et leurs membres n’est pas aussi large que celle s’appliquant à la relation entre un avocat et son client. Par exemple, dans Canada Safeway Ltd., l’arbitre a refusé de protéger les communications entre le membre d’un syndicat et son représentant syndical parce que cette protection aurait donné lieu à un abus du processus d’arbitrage.

[25] Il va sans dire que cette confidentialité a pour effet de restreindre l’accès de l’employeur à de l’information découlant de la relation confidentielle entre les organisations syndicales et leurs membres. Par conséquent, il ne m’est guère difficile d’être d’accord avec le plaignant lorsqu’il soutient que l’intervention de l’employeur dans les communications confidentielles entre les organisations syndicales et ses membres est inadmissible. Lorsqu’un employeur intervient dans la relation entre une organisation syndicale et un de ses membres de cette manière, il le fait au risque de se livrer à une pratique déloyale de travail en contravention de la Loi. Cependant, je ne suis pas d’accord avec le plaignant lorsqu’il soutient que cette conclusion règle toutes les questions en litige dans la présente plainte.

[26] La ligne téléphonique et le télécopieur du bureau local de l’organisation syndicale ne fonctionnent pas, et le fait que l’organisation syndicale en soit venue à dépendre du système téléphonique de l’employeur pour communiquer avec ses membres revêt une certaine importance. Par exemple, la preuve démontre que, lorsqu’ils ne sont pas en service, les agents correctionnels communiquent avec le poste de contrôle principal à partir duquel leurs appels sont transférés à un représentant, si celui-ci est disponible. C’est ce que les défenderesses ont dit à M. Merriman, dans la lettre du 27 août 2009 qu’il ne pouvait pas faire directement. La preuve démontre également que l’employeur a accepté cette pratique dans le passé et qu’en novembre 2009, Mme MacNeil a informé M. Merriman qu’il pouvait communiquer directement avec son représentant, à l’aide du système téléphonique de l’employeur.

[27] Néanmoins, le plaignant a allégué que la décision de la défenderesse de priver M. Merriman de l’accès au système téléphonique de l’employeur constituait une pratique déloyale de travail, en contravention de l’article 185 de la Loi. En bref, le plaignant soumet qu’il est habilité à utiliser le système téléphonique de l’employeur pour communiquer avec ses membres. Cela soulève la question de l’étendue de la propriété de l’employeur étant à la disposition d’une organisation syndicale aux fins de communiquer avec ses membres et de les représenter, et soulève également la question de savoir si l’utilisation du système téléphonique de l’employeur par une organisation syndicale est protégée en vertu des dispositions de la Loi concernant la pratique déloyale de travail.

[28] Je note certaines dispositions de la convention collective (conclue entre le Conseil du Trésor et l’organisation syndicale et expirant le 31 mai 2010) qui sont pertinentes en l’espèce. La clause 9.01a) prévoit que l’employeur doit mettre à la disposition de l’organisation syndicale « [u]n espace raisonnable sur les tableaux d’affichage […] pour y apposer des avis officiels […] » de l’organisation syndicale. Cette disposition courante dans les conventions collectives permet aux organisations syndicales d’accéder à ce qui serait autrement la propriété exclusive de l’employeur. Par ailleurs, la clause 9.01b) permet à l’organisation syndicale d’utiliser le réseau électronique de l’employeur pour distribuer de l’information à ses membres, sous certaines conditions. Ces dispositions visent sans contredit à créer un droit contractuel qui permet à l’organisation syndicale d’utiliser la propriété de l’employeur à des fins particulières. Le corollaire de ces dispositions est que, de manière générale, une organisation syndicale n’a pas le droit d’utiliser la propriété de l’employeur pour communiquer avec ses membres. Si ce droit existe, il est habituellement le fruit de la négociation collective.

[29] Je note également que les clauses 9.02a) et b) de la convention collective disposent que l’employeur peut fournir un bureau à l’organisation syndicale à « l’usage exclusif de la section locale » ou, s’il n’y a pas de bureau, les parties « […] se rencontreront afin de trouver si possible […] » un endroit faisant office de bureau. La clause 9.02c) prévoit que l’employeur :

[…]

[…] fournit gratuitement un pupitre, des chaises ainsi qu’un appareil téléphonique et une ligne téléphonique. Si le Syndicat choisit de procéder à l’installation d’une ligne téléphonique directe, les frais d’installation et d’utilisation sont à sa charge. Dans tous les cas, les frais d’interurbains sont à la charge du Syndicat.

Il m’est impossible de trouver dans ce libellé un droit pour l’organisation syndicale d’accéder au système téléphonique de l’employeur de la manière visée par le litige dans la présente plainte. Ces dispositions prévoient simplement un processus en vertu duquel l’organisation syndicale peut obtenir un bureau « si possible » et une ligne téléphonique qui lui est propre. Subsidiairement, l’organisation syndicale peut utiliser une ligne téléphonique spéciale de l’employeur. Toutefois, il s’agit d’un droit beaucoup plus restreint qu’un droit permettant l’utilisation du système téléphonique de l’employeur de manière générale pour les activités de l’organisation syndicale, comme il est envisagé dans la présente plainte.

[30] À mon avis, le fait de restreindre la manière dont un membre communique avec son organisation syndicale n’équivaut pas à empêcher tout contact; il faut faire une distinction entre la communication et le mécanisme ou le moyen de communication. J’ouvre ici une parenthèse pour souligner que les défenderesses en l’espèce n’ont pas dit à M. Merriman qu’il n’était pas autorisé à parler à son organisation syndicale. Elles lui ont plutôt dit qu’il ne pouvait pas utiliser le système téléphonique de l’employeur pour communiquer avec l’organisation syndicale, sauf s’il passait par la haute direction. En réalité, il utilisait d’autres moyens, tels qu’un téléphone cellulaire, pour communiquer avec M. Serdar, son représentant. Par ailleurs, M. Serdar a participé activement à la rencontre du 27 août 2009 et a ensuite eu de nombreux échanges avec l’employeur pour le compte de M. Merriman.

[31] En l’espèce, nul ne conteste le fait que le système téléphonique de l’Établissement de Mission est la propriété de l’employeur. Nul ne conteste non plus le fait que, contrairement aux tableaux d’affichage et au réseau électronique de l’employeur, la convention collective ne confère aucun droit à l’organisation syndicale d’utiliser le système téléphonique général de l’employeur pour communiquer avec ses membres. Il s’ensuit que le refus de l’employeur de transférer l’appel d’un employé qui n’est pas en service à un représentant qui est au travail ne constitue pas une intervention dans l’administration d’une organisation syndicale. Aucune disposition contractuelle n’est invoquée à l’appui de cette affirmation, et il m’est impossible de trouver une telle disposition dans la convention collective. Par ailleurs, je ne connais aucune exigence, prévue par la Loi ou autrement, prévoyant que l’employeur doit fournir un moyen de communication entre un membre d’une organisation syndicale et son représentant, et aucune exigence de cet ordre ne m’a été présentée.

[32] Je pourrais ajouter qu’il s’agit en quelque sorte d’une anomalie qu’une organisation syndicale compte sur un employeur pour ses communications entre elle et ses membres. Il n’est pas difficile de penser à des situations où un employeur ne devrait pas connaître l’existence de communications entre un employé et son organisation syndicale; par exemple, un employé/membre pourrait chercher à obtenir des conseils sur une question très personnelle dont l’employeur n’a pas connaissance et dont il ne devrait pas avoir connaissance. Lorsque des communications passent, par exemple, par le système téléphonique de l’employeur, il existe un risque qu’elles ne demeurent pas confidentielles. Il appartient à l’organisation syndicale de décider, mais, si l’objectif est d’éviter que l’employeur intervienne dans les communications entre l’organisation syndicale et ses membres, ou même qu’il en ait connaissance, il est logique de communiquer de manière tout à fait distincte de l’employeur. Encore une fois, comme le système téléphonique en litige est la propriété de l’employeur, celui-ci peut imposer des contrôles et des règlements, et il m’est impossible de conclure à l’existence d’une restriction dans la loi s’appliquant à l’utilisation que l’employeur fait de sa propriété.

[33] Je me pencherai maintenant sur d’autres aspects de la présente plainte qui sont dignes de mention.

[34] Il est important d’examiner la raison de la décision des défenderesses de restreindre les appels téléphoniques de M. Merriman à l’Établissement de Mission. La preuve démontre qu’il y a eu un incident impliquant des commentaires inappropriés faits par M. Merriman à un détenu. La réponse initiale de l’employeur a été d’imposer une mesure disciplinaire, mais, comme décrit dans la lettre du 27 août 2009, l’employeur a décidé de suspendre cette mesure disciplinaire en attendant l’issue d’une évaluation par Santé Canada de l’aptitude de M. Merriman à travailler. Comme l’explique Mme MacNeil dans la lettre du 27 août 2009, l’employeur croyait que M. Merriman représentait un risque potentiel pour lui-même et les autres. Son témoignage voulant que M. Merriman ait [traduction] « potentiellement des pensées suicidaires » n’a pas été contredit. Par ailleurs, l’employeur n’était pas seul à avoir de telles inquiétudes, comme le démontre le témoignage de M. Serdar voulant que l’organisation syndicale ait aussi exprimé son inquiétude à l’employeur au sujet de M. Merriman. Le 11 février 2010, Santé Canada a informé l’employeur (une copie a été envoyée à M. Merriman) qu’il était apte à travailler immédiatement, qu’il [traduction] « recevait des soins médicaux appropriés » et qu’[traduction] « [i]l n’avait pas de trouble médical expliquant ses comportements inappropriés au travail ».

[35] Cette preuve me permet de conclure que l’employeur, ce qui comprend les défenderesses, était raisonnablement justifié de prendre la mesure visant à restreindre l’accès de M. Merriman à l’Établissement de Mission, en août 2009. Ils étaient inquiets de la sécurité et du bien-être de M. Merriman et des autres employés. Il est vrai qu’il a finalement été déclaré apte à retourner au travail, mais cela était plus de cinq mois plus tard et même alors il recevait apparemment des soins médicaux. Je ne suis pas d’accord avec le plaignant lorsqu’il prétend que M. Merriman était apte à retourner au travail en août 2009. La logique de cette conclusion est qu’on ne peut pas raisonnablement soutenir que les mesures des défenderesses étaient motivées par un sentiment antisyndical, en totalité ou en partie.

[36] Les versions divergent au sujet de ce qui a été dit à la rencontre du 27 août 2009. MM. Merriman et Serdar ont déclaré qu’ils ont posé des questions à Mme MacNeil sur les conséquences de la restriction en ce qui a trait à l’utilisation du téléphone par M. Merriman. Ce questionnement était une réponse raisonnable à la position de l’employeur, communiquée par Mme MacNeil à la rencontre et décrite dans la lettre du 27 août 2009. Selon MM. Merriman et Serdar, Mme MacNeil a refusé de répondre à leurs questions et leur a simplement dit qu’elle [traduction] « suivait les ordres ». Comme Mme MacNeil n’a pas témoigné sur ce point et qu’elle n’a pas été contre-interrogée à cet égard, il est quelque peu difficile d’évaluer ce qui a réellement été dit. Il ne fait aucun doute que MM. Merriman et Serdar étaient mécontents et même furieux. Ils ont insisté auprès de Mme MacNeil et ont peut-être tenté de l’amener à convenir de choses qu’elle ne pouvait pas ou ne voulait pas accepter. Dans l’ensemble, j’estime que Mme MacNeil a refusé, lors de la rencontre, de fournir plus d’information que ce que contenait la lettre du 27 août 2009 et qu’elle s’en est probablement remis aux membres de la direction de niveau plus élevé, face à l’insistance de MM. Merriman et Serdar pour obtenir des réponses. Je comprends que cela ait pu être frustrant pour MM. Merriman et Serdar, mais je ne peux pas conclure que cela était inadmissible au point de constituer une pratique déloyale de travail aux termes de la Loi.

[37] Le plaignant invoque l’annexe G de la convention collective qui prévoit ce qui se produit en cas d’enquête disciplinaire relativement à un incident mettant en cause un agent correctionnel et un détenu :

RETRAIT DES FONCTIONS EN ATTENDANT LE RÉSULTAT D’ENQUÊTES DISCIPLINAIRES RELATIVES À DES INCIDENTS IMPLIQUANT DES DÉTENUS OU DÉTENUES

1. Lorsqu’un-e employé-e est relevé de ses fonctions en attendant le résultat d’une enquête disciplinaire relativement à un incident impliquant un délinquant, l’employé-e peut être affecté à d’autres fonctions avec rémunération ou retiré de son lieu normal de travail avec rémunération en attendant le résultat de l’enquête disciplinaire, à la condition que l’employé-e collabore entièrement à l’enquête en assistant aux entrevues et aux auditions sans délais indus. Le refus d’assister aux entrevues et aux auditions sans délais indus donne lieu à l’interruption de la rémunération tant que l’enquête n’est pas terminée.

[…]

 

[38] Selon le plaignant, l’employeur, ce qui comprend les défenderesses, aurait dû appliquer l’annexe G en août 2009, de sorte que M. Merriman soit réaffecté à d’autres fonctions ou retiré de son lieu de travail normal avec rémunération. Au lieu de cela, on lui a dit qu’il ne pouvait plus entrer à l’Établissement de Mission ou téléphoner à quiconque, sauf au directeur ou à la sous-directrice. À mon avis, une réponse complète à cette prétention est que, comme le dit la lettre du 27 août 2009, le processus disciplinaire a été suspendu à cette date. Or, comme l’annexe G s’applique à une enquête disciplinaire elle n’était pas applicable aux événements ayant découlé de la lettre. Le plaignant a tenté de qualifier cette situation de disciplinaire parce que M. Merriman n’était pas au travail, mais la preuve démontre qu’il n’était pas au travail pour des raisons non disciplinaires à compter du 27 août 2009.

[39] En dernier lieu, le plaignant invoque l’alinéa 2d) de la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (la « Charte »). Cette disposition prévoit que « [c]hacun a les libertés fondamentales suivantes », ce qui comprend la « liberté d’association ». Il invoque également des conventions de l’Organisation internationale du Travail. Par exemple, la Convention sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949 (C98) qui prévoit notamment que les travailleurs [traduction] « […] sont protégés adéquatement contre toute intervention […] dans leur fonctionnement ou administration ». Cette affirmation est essentiellement similaire à celle faite à l’article 185 de la Loi : les défenderesses ne peuvent pas intervenir dans l’administration de l’organisation syndicale en restreignant le droit de M. Merriman à communiquer avec son représentant. Aucune décision d’arbitrage, d’une commission des relations de travail ou d’un tribunal n’étaye cette prétention. Par ailleurs, certains éléments de preuve produits s’appliquaient à la question touchant l’alinéa 2d), mais ni l’une ni l’autre des parties n’a produit de preuve concernant la question touchant l’article 1 de la Charte.

[40] Quoi qu’il en soit, essentiellement pour les motifs susmentionnés, je ne crois pas qu’il y ait eu violation de la liberté d’association de l’organisation syndicale ou de M. Merriman. Les défenderesses et l’employeur n’ont pas dit à M. Merriman qu’il devait cesser toute communication avec l’organisation syndicale. De fait, il a communiqué avec son représentant et a ensuite été représenté par celui-ci aux réunions avec l’employeur, sans incident ni commentaire. Les défenderesses et l’employeur ont dit à M. Merriman que lui et l’organisation syndicale ne pouvaient pas utiliser la propriété de l’employeur, en l’occurrence le système téléphonique de l’Établissement de Mission, pour communiquer entre eux. Cela est compatible avec les droits conférés à l’organisation syndicale aux termes de la convention collective et ne viole pas la liberté d’association. En conclusion, les défenderesses avaient une raison légitime de restreindre l’accès de M. Merriman à l’établissement, comme le démontre la preuve concernant sa santé et les inquiétudes de ses collègues de travail et de l’organisation syndicale. En supposant qu’il y ait eu un élément de liberté d’association protégée dans les circonstances en l’espèce, il ne s’agit pas d’une protection absolue et, selon moi, les restrictions imposées à M. Merriman en ce qui concerne l’utilisation du système téléphonique de l’employeur étaient fondées sur des motifs raisonnables visant à le protéger lui et les autres membres du personnel.

[41] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


Ordonnance

[42] Les plaintes sont rejetées.

Le 29 juin 2011.

Traduction de la CRTFP

John J. Steeves,

commissaire

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.