Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignantes ont allégué que l'employeur a mis fin à leur affectation concernant des enquêtes effectuées dans le Nord parce qu'elles ont mené des activités pour le compte de l'agent négociateur et qu'elles ont défendu les droits de leurs collègues - l'employeur s'est acquitté du fardeau consistant à montrer que la décision de réaffecter les plaignantes a été prise à la suite d'un changement dans l’organisation des enquêtes et les exigences de travail, et qu'elle n'était pas fondée sur un sentiment antisyndical. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-06-15
  • Dossier:  561-24-323
  • Référence:  2011 CRTFP 79

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

GAIL HAGER, DONNA HENRY ET LINDA WOODS

plaignantes

et

OPÉRATIONS DES ENQUÊTES STATISTIQUES (STATISTIQUE CANADA)

défendeur

Répertorié
Hager et al. c. Opérations des enquêtes statistiques (Statistique Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissaire

Pour les plaignantes:
John Haunholter, Alliance de la Fonction publique du Canada, et Allison Dewar, avocate

Pour le défendeur:
Christine Singh, avocate

Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba)
du 23 au 25 novembre 2005 et les 10 et 11 mai 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Les fonctionnaires s’estimant lésées, Gail Hager, Donna Henry et Linda Woods (les « fonctionnaires »), allèguent que leur employeur les a retirées d’une affectation en raison de leur appartenance et de leur participation aux activités de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »). Il s’agit de déterminer si la section Opérations des enquêtes statistiques (le « défendeur »), de Statistique Canada, s’est livrée à une pratique déloyale de travail en modifiant leur affectation.

2 La plainte a été déposée devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), le 4 juin 2008, aux termes de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Les plaignantes ont décrit la question en litige et la mesure corrective demandée comme suit :

[Traduction]

[…]

Autour du 28 mars 2008, les plaignantes ont été retirées de l’équipe principale du Nord qui effectuait des enquêtes pour les Opérations des enquêtes statistiques, un mandataire de Statistique Canada, en raison de leur appartenance et de leur participation aux activités de l’agent négociateur.

[Mesure de réparation]

Une déclaration que l’employeur, Opérations des enquêtes statistiques (Statistique Canada), s’est livré à une pratique déloyale de travail.

Réintégration sans délai des plaignantes à l’équipe principale du Nord et indemnisation pour toute perte de rémunération et d’avantages sociaux.

Toute réparation supplémentaire que la Commission jugera appropriée.

[…]

3 Le défendeur (qui incluait également à ce moment le ministre responsable de Statistique Canada) s’est opposé à la compétence de la Commission de se saisir de la plainte. Il a invoqué deux motifs à l’appui de son opposition : 1) la plainte n’établissait pas, à première vue, que les défendeurs s’étaient livrés à une pratique déloyale de travail; 2) la plainte de Mme Woods a été présentée après l’expiration du délai de 90 jours prescrit par la Loi.

4 Dans une procédure préliminaire, j’ai demandé aux plaignantes de préciser leur allégation contre le défendeur. Dans Hager et al. c. Opérations des enquêtes statistiques et le ministre responsable de Statistique canada, 2009 CRTFP 80, j’ai résumé comme suit la déclaration faite pour le compte des plaignantes en réponse à ma demande:

[…]

[10]    Les plaignantes ont indiqué que les Opérations des enquêtes statistiques avaient créé un groupe, l’équipe principale du Nord, pour effectuer des enquêtes dans le nord du Canada. Les trois plaignantes, qui étaient des travailleuses saisonnières, faisaient partie de ce groupe. Elles étaient régies par la convention collective, elles avaient adhéré à l’agent négociateur et elles faisaient partie de l’exécutif de la section locale. À ce titre, elles exprimaient des opinions à l’employeur à propos de l’application et de l’interprétation de la convention collective — [traduction] « […] des choses que font normalement des membres solides d’un syndicat […] et cela en toute légalité » […]

[11]    Les plaignantes ont expliqué qu’elles s’étaient fait dire, à l’insu l’une de l’autre, qu’elles ne faisaient plus partie de l’équipe principale du Nord. L’hypothèse la plus tenace qui circulait à ce moment-là était que leur retrait du groupe était la conséquence de leur appartenance à l’agent négociateur ou de leurs activités syndicales, plutôt que d’une restructuration organisationnelle. L’employeur n’a d’ailleurs pas expliqué pourquoi il retirait les plaignantes de l’équipe.

[12]    Les plaignantes ont déclaré qu’elles ne possédaient aucune preuve documentaire pour établir les raisons de leur retrait de l’équipe principale du Nord. Un membre de l’agent négociateur, qui était aussi un gestionnaire, leur avait également mis la puce à l’oreille lorsqu’il leur avait dit qu’ : [traduction] « […] à force de [se] plaindre et d’insister pour avoir gain de cause, [elles allaient] finir par se retrouver dans une mauvaise posture ».

[13]    Les plaignantes prétendent qu’elles étaient les membres les plus compétentes et les plus expérimentées de l’équipe et qu’il était absurde, sur le plan économique, de les retirer du groupe. Elles avaient l’impression que le remaniement de l’équipe principale du Nord avait surtout touché [traduction] « […] les membres de l’exécutif du syndicat, ceux qui montent le plus souvent au créneau […] ».

[14]    Il existe selon elles des « indices » que leurs activités syndicales [traduction] « […] ont joué contre elles ». Elles demandent à la Commission d’inférer que ces activités ont [traduction] « […] à tout le moins constitué un facteur ».

[…]

5 J’ai demandé aux plaignantes de m’indiquer la disposition de la Loi sur laquelle elles fondaient leur allégation. Elles ont répondu que les défendeurs avaient fait preuve de discrimination à leur endroit parce qu’elles étaient membres ou officiers d’une organisation syndicale, en violation du sous-alinéa 186(2)a)(i), qui est libellé comme suit :

          186. (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

          […]

6 Après avoir entendu l’argumentation, j’ai rejeté l’objection des défendeurs selon laquelle la plainte n’établissait pas à première vue l’existence d’une pratique déloyale de travail. J’ai refusé de me prononcer sur le dépôt tardif de la plainte de Mme Woods avant d’avoir entendu d’autres éléments de preuve. J’ai rendu l’ordonnance qui suit :

[…]

[53]    L’objection des défendeurs à propos de la compétence de la Commission pour trancher la plainte au motif que les plaignantes n’ont pas établi prima facie une violation du sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi est rejetée.

[54]    Les Services du greffe de la Commission communiqueront avec les parties pour fixer les dates de l’instruction de la plainte sur le fond.

[55]    À l’audience, les plaignantes présenteront leur preuve sur le fond en premier, mais la charge inverse de la preuve imposée par le paragraphe 191(3) de la Loi s’appliquera quand même.

[56]    L’objection des défendeurs à propos de la recevabilité de la plainte de Mme Woods sera examinée à l’audience.

[…]

7 J’ai motivé comme suit ma demande que les plaignantes présentent leur preuve en premier, au paragraphe 44 de la décision 2009 CRTFP 80 :

[44]    J’accepte l’argument subsidiaire des défendeurs qu’ils se trouvent placés dans une situation similaire à celle qui est décrite dans Gignac, où le peu de faits allégués par les plaignants faisait en sorte que le défendeur ne savait pas exactement de quoi il était accusé. C’est pourquoi je procéderai de la même façon que l’arbitre de grief dans Gignac en demandant aux plaignantes de présenter leur preuve en premier — autrement dit, à exposer les détails de leur cause — avant que les défendeurs commencent à produire leur preuve. Il faut toutefois bien comprendre que l’ordre de présentation de la preuve ne change rien à la charge de la preuve qui est imposée aux défendeurs aux termes du paragraphe 191(3) de la Loi.

8 J’ai également conclu que, dans le cadre de la plainte, le défendeur sera par la suite désigné seulement comme « Opérations des enquêtes statistiques (Statistique Canada) », à moins que la preuve sur le fond établisse que le « ministre responsable de Statistique Canada » a joué un rôle dans les événements ayant donné lieu à la plainte.

9 L’audience a repris conformément à mon ordonnance. Les parties ont convenu de limiter leur preuve à propos du bien-fondé de la plainte au cas de Mme Henry, en stipulant que la conclusion à l’égard du cas de Mme Henry s’appliquerait également à celui de Mme Hager et Mme Woods. J’ai accepté cette approche. Les parties devaient aussi se pencher sur la question non réglée du dépôt tardif de la plainte en ce qui concerne Mme Woods.

II. Résumé de la preuve

10 Dans le présent résumé, je m’en suis tenu à la preuve m’étant apparue la plus pertinente pour examiner le cas de Mme Henry et à la question du respect du délai en ce qui a trait à la plainte de Mme Woods. J’ai reçu beaucoup de nouveaux témoignages au sujet des enquêtes effectuées par Opérations des enquêtes statistiques (OES), tout particulièrement dans la Région de l’Ouest et des territoires du Nord, ainsi qu’à propos de la carrière de Mme Henry et de l’expérience de Mmes Hager et Woods au sein de l’équipe principale du Nord. Bien que ces renseignements soient en grande partie absents du présent résumé, ils fournissent un contexte utile pour me permettre de comprendre ce qui est arrivé à Mme Henry.

11 En réponse à ma directive voulant que les plaignantes produisent leur preuve en premier, Mme Henry était le seul témoin.

12 Avant d’être embauché par Opérations des enquêtes statistiques à titre d’intervieweuse à temps partiel, en janvier 2003, Mme Henry a occupé d’autres postes pour le gouvernement fédéral et la province du Manitoba. Ses affectations, tout particulièrement à Parcs Canada et au ministère de la Culture, du Patrimoine et de la Citoyenneté du Manitoba, lui ont permis d’acquérir une profonde connaissance et une vaste expérience auprès des communautés du Nord.

13 En juillet 2003, Mme Henry est devenue une employée nommée pour une période indéterminée (à temps partiel). À ce titre, elle a travaillé régulièrement en 2003 et 2004 à diverses enquêtes dans le secteur North Kildonan de Winnipeg, près de son domicile. Elle travaillait, en moyenne, entre 13 et 17 ou 18 heures par semaine, ce qui la maintenait au-dessus du seuil de 12,5 heures de travail par semaine nécessaires pour être admissible aux avantages sociaux.

14 En juillet 2004, à la suite d’une assemblée générale annuelle, Mme Henry a accepté de devenir la vice-présidente de la section locale de son syndicat. L’unité de négociation nouvellement établie à laquelle elle appartenait était composée d’intervieweurs et d’intervieweurs principaux qui travaillaient pour Opérations des enquêtes statistiques. Ses membres avaient récemment ratifié leur première convention collective. Comme elle faisait partie de l’exécutif local (auquel elle a siégé jusqu’en octobre 2009), elle participait aux efforts visant à cerner les préoccupations continues de ses membres. À la lumière d’une étude détaillée qu’elle a menée auprès de 53 intervieweurs au Manitoba, Mme Henry a découvert qu’ils perdaient des milliers de dollars en heures donnant droit à pension par année parce que les heures de travail autorisées par semaine étaient maintenues à un niveau artificiellement bas par rapport aux heures réelles qu’ils effectuaient. Elle a déclaré qu’elle a mené son étude « silencieusement » parce que ses membres craignaient que la direction en soit informée et ainsi mettre leur emploi en péril.

15 Mme Henry a témoigné que sa gestionnaire de la collecte de données, Carol Yablonski, a menacé de la licencier ou de la mettre en disponibilité lorsqu’elle a eu connaissance de l’étude en novembre 2004. Elle a également imposé une mesure disciplinaire aux intervieweurs principaux qui avaient fourni des renseignements dans le cadre de l’étude. Selon Mme Henry, cette même gestionnaire aurait déclaré, lors d’une conférence des intervieweurs sur le terrain qui avait eu lieu un mois auparavant, que les intervieweurs [traduction] « s’étaient tirés dans le pied », en parlant d’une augmentation salariale récemment obtenue, que Statistique Canada envisageait d’autres options de sous-traitance pour répartir la charge de travail et qu’il y aurait réduction des effectifs. Après sa rencontre de novembre avec la gestionnaire de la collecte de données, Mme Henry a porté plainte au superviseur de celle-ci. Un enquêteur nommé par Opérations des enquêtes statistiques a convenu que Mme Henry avait fait l’objet d’un traitement inéquitable. Pour la soustraire à une situation qu’elle décrivait comme très difficile, la région l’a réaffectée aux enquêtes téléphoniques pour les territoires du Nord.

16 En février 2006, Opérations des enquêtes statistiques a annoncé son intention de mettre en disponibilité des intervieweurs à l’échelle du Canada. Mme Henry a reçu un appel d’Arlene McCreary, la gestionnaire régionale par intérim des programmes, et de Bonnie Holte, la chef régionale des ressources humaines, lui offrant un poste au sein d’une nouvelle équipe principale du Nord comme solution de rechange à mise en disponibilité. Elle a compris que l’affectation consistait à continuer son travail d’enquête par téléphone auprès des répondants des territoires du Nord, tout en procédant à des interviews sur le terrain dans le territoires du Nord environ deux fois par année. Mme Henry a accepté l’offre le jour même où on lui a présentée, heureuse de renouer avec le travail dans ce territoire qu’elle aimait.

17 Dès le départ, Mme Henry et Mme Hager, les membres de l’équipe principale du Nord du Manitoba affectées aux enquêtes pour le Nunavut, se sont sentis submergés par la charge de travail en raison du petit nombre d’intervieweurs, et ont fait face à plusieurs problèmes sur le terrain. Mme Henry a donné des exemples de problèmes :

(1) Sa gestionnaire de la collecte de données a pris des arrangements pour un transport aérien vers le Nord, le lundi de Pâques, en avril 2006, mais a dit que le voyage serait rémunéré au taux horaire plutôt qu’au taux des heures supplémentaires. Mme Henry a appelé la gestionnaire de la collecte de données pour le compte de l’agent négociateur, afin d’expliquer pourquoi celui-ci était préoccupé de la situation. Elle a ensuite appelé Mme Holte et la directrice ajointe régionale intérimaire et a négocié un accord ponctuel en vertu duquel les intervieweuses ont accepté de voyager le lundi de Pâques au taux horaire, mais ne travailleraient pas à leur arrivée à destination. Mme Henry a déclaré qu’à la suite de cet incident la direction a accordé une plus grande attention aux horaires de voyage.

(2) Lorsque la gestionnaire de la collecte de données et son intervieweuse principale ont annulé la participation de Mme Henry à un voyage prévu en juillet 2006, Mme Henry s’est plainte à la gestionnaire de la collecte de données que sa décision était inéquitable. L’intervieweuse principale, Shelly Senchuk, l’a ensuite appelée pour lui dire qu’elle serait du voyage. Au moment de prendre l’avion, Mme Senchuk a dit, [traduction] « Je vais vous montrer mesdames ce que c’est que de travailler fort ». Selon Mme Henry, pendant tout le voyage, il était évident que Mme Senchuk était mécontente à l’égard de la plainte faite par Mme Henry.

(3) De plus en plus, les collègues intervieweurs de Mme Henry exprimaient leurs préoccupations en ce qui concerne les longues heures de travail sur le terrain qu’ils étaient tenus d’effectuer, et ce, sans avoir droit à leurs journées de repos et à une rémunération appropriée — Mme Henry partageait ces préoccupations. En sa qualité de représentante de l’agent négociateur, elle a fait part de ces préoccupations à l’intervieweuse principale et à la gestionnaire de la collecte de données. Elle s’est plainte du fait que les intervieweurs devaient travailler pendant 14 jours avant de quitter le terrain pour se reposer et qu’ils étaient rémunérés au taux horaire pendant toute cette période. Elle a également fait valoir que la direction ne fournissait pas aux intervieweurs des vêtements appropriés à l’hiver dans le Nord ou du matériel de sécurité adéquat, tel que lampes de poche et radios. En ce qui concerne les vêtements, Mme Henry a déclaré qu’elle avait soulevé la question auprès de la direction tellement de fois que celle-ci a fini par accepter, après deux ans de représentations, de fournir aux intervieweurs du matériel d’hiver supplémentaire des Forces armées canadiennes.

(4) Mme Henry a déclaré qu’elle avait parlé fréquemment avec la direction relativement aux problèmes de ses membres en rapport avec la Directive sur les voyages, tout particulièrement en ce qui concerne les déjeuners continentaux. Elle a soulevé ces questions aux réunions du comité de consultation syndicale-patronale au Manitoba; elle a également mentionné les préoccupations concernant les heures supplémentaires et la santé et la sécurité.

(5) Aux réunions de consultation et lorsqu’elle représente individuellement des membres, Mme Henry a insisté sur les plaintes concernant l’attribution de la charge de travail. Par exemple, elle a allégué que, lors des voyages, les intervieweurs principaux donnaient la plus grande partie du travail aux intervieweurs qui étaient leurs amis et qu’ils enlevaient du travail aux intervieweurs qui n’étaient pas leurs amis lorsque ceux-ci n’étaient pas en mesure de terminer leur travail sur le terrain.

(6) En janvier 2008, Mme Henry devait se déplacer la nuit de Ft. Smith à Hay River en traversant le Parc national Wood Buffalo dont les routes sont fréquemment bloquées par des bisons. Elle a parlé à son intervieweuse principale, qui a appelé son gestionnaire de la collecte de données, maintenant Chris Preston, pour discuter d’autres moyens de se rendre à Ft. Smith. M. Preston a refusé d’envisager d’autres options en déclarant que Mme Henry avait bien mal choisi le moment pour tenter de modifier les arrangements de voyage. Finalement, c’est Mme Henry qui, de sa propre initiative, a pris des arrangements pour voyager par autobus.

18 Mme Henry a raconté qu’elle avait entendu, en octobre 2007, que la direction planifiait des changements à l’équipe principale du Nord. Lorsque M. Preston est devenu gestionnaire de la collecte de données, en novembre 2007, elle lui a téléphoné pour se présenter, lui souhaiter la bienvenue et lui dire qu’elle voulait demeurer au sein de l’équipe. Dans les jours suivant cette conversation, elle a vu un avis invitant tous les intervieweurs sur le terrain à soumettre une demande en vue de se joindre à l’équipe principale du Nord. Lors d’une réunion de consultation, la section locale du syndicat a posé des questions à la direction au sujet de cet avis. La direction a répondu que les intervieweurs de l’équipe principale du Nord ont été nommés initialement pour éviter les mises en disponibilité et que cette manière de faire n’était peut-être plus la meilleure pour constituer l’équipe. Elle a soutenu que d’autres intervieweurs du Sud intéressés et disponibles devraient avoir la possibilité de se joindre à l’équipe et qu’elle envisageait une rotation des employés au sein de l’équipe afin de développer un petit cadre d’intervieweurs compétents et chevronnés en prévision du recensement de 2011 dans le Nord.

19 À une autre réunion du comité de consultation syndicale-patronale, le directeur régional, Gerry Page, a déclaré qu’il serait peut-être temps d’embaucher des intervieweurs locaux des communautés inuites. Lorsque Mme Henry a visité Gjoa Haven, au Nunavut, en janvier 2008, elle a été étonnée de trouver des avis de concours pour des postes d’intervieweurs à différents endroits dans la communauté.

20 Mme Henry a décrit son voyage à Gjoa Haven comme le début de la fin de sa carrière au sein de l’équipe principale du Nord. La température et les conditions de travail lors de ce voyage ont été terribles. Le premier jour d’une attente d’une semaine à Yellowknife avant que la température permette de se rendre en avion à Gjoa Haven, elle a téléphoné au bureau régional pour avoir l’autorisation de louer un véhicule afin de procéder à des interviews locales dans l’intervalle. Personne n’a répondu à son appel. Elle a ensuite communiqué avec la directrice adjointe régionale intérimaire à Edmonton, qui a approuvé sa demande. Selon Mme Henry, son intervieweuse principale l’a ensuite réprimandée pour avoir contourné la voie hiérarchique habituelle.

21 Finalement, une fois rendu à Gjoa Haven, il est devenu évident pour Mme Henry que les intervieweurs ne pouvaient pas terminer le travail qui leur a été assigné dans le temps qui a été mis à leur disposition. Les intervieweurs d’autres emplacements ont signalé le même problème à Mme Henry. Elle a appelé M. Preston pour lui demander d’approuver une extension de leur séjour à Gjoa Haven ou d’autoriser des heures supplémentaires le dimanche précédent la journée de leur départ. M. Preston a refusé d’autoriser des heures supplémentaires et a dit à une autre intervieweuse qu’elle pouvait décider de travailler le dimanche mais seulement au taux horaire. Mme Henry a rappelé M. Preston, cette fois en sa qualité de représentante de l’agent négociateur, et elle lui a demandé de préciser ses instructions par télécopieur. Il a d’abord refusé, mais a ensuite accepté lorsque Mme Henry lui a indiqué son intention de s’adresser à une instance supérieure. Rien n’a été envoyé. Lors d’une conversation de suivi qui a eu lieu le lundi suivant, M. Preston a dit à Mme Henry qu’il refusait d’envoyer des précisions par écrit. Mme Henry a alors reçu un courriel de la directrice ajointe régionale intérimaire donnant comme directive aux intervieweurs de consulter le manuel de l’employé ou leurs gestionnaires au sujet des heures supplémentaires, plutôt que Mme Henry.

22 Le 28 mars 2010, Mme Henry a reçu un appel de M. Preston lui annonçant qu’elle ne faisait plus partie de l’équipe principale du Nord. Il a expliqué que la direction avait décidé de commencer une rotation des intervieweurs au sein de l’équipe. Il se trouve que les seules intervieweuses ayant été retirées de l’équipe sont les trois plaignantes. La direction a nommé trois intervieweurs embauchés pour une période déterminée au sein de l’équipe principale du Nord à leur place. Selon Mme Henry, aucune de ces personnes n’avait l’expérience et la connaissance des territoires du Nord que les plaignantes avaient. Deux des nouveaux membres de l’équipe principale du Nord devaient séjourner une journée à Winnipeg et Saskatoon respectivement avant de s’envoler vers le Nord, ce qui représentait une augmentation des coûts. Mme Henry a par la suite appris que la charge de travail dans le Nord avait tellement augmenté en avril 2008 qu’il a fallu de l’aide supplémentaire. Pour certains intervieweurs, la charge de travail a doublé.

23 Mme Henry n’a jamais repris le travail au sein de l’équipe principale du Nord. La direction ne lui a jamais demandé si elle était intéressée à retourner dans le Nord. Sa réaffectation au travail dans le Sud a eu d’importantes répercussions. Ses heures de travail au cours du deuxième trimestre sont passées à 128 par rapport à 499,75 au cours du premier trimestre de l’année.

24 Après avoir réfléchi à ce qui s’était passé, Mme Henry a conclu qu’il y avait matière à une plainte de pratique déloyale de travail. À son avis, la direction a soudainement, sur une période de trois mois, retiré trois intervieweuses de l’équipe principale du Nord qui étaient des représentantes actives de l’agent négociateur — premièrement Mme Woods, en décembre 2007, puis Mme Hager et elle-même en mars 2008. Trois autres membres de l’équipe, également des représentants de l’agent négociateur, mais qui, selon Mme Henry, n’ont pas [traduction] « fait de vagues », sont demeurés au sein de l’équipe principale du Nord. Il apparaissait clairement à Mme Henry que la direction avait décidé de changer son approche face aux militants de l’agent négociateur, ce qui a eu pour résultat de réduire considérablement les heures de travail, par conséquent le revenu, de chacune des plaignantes.

25 Selon Mme Henry, des collègues lui ont dit que la direction avait retiré les plaignantes de l’équipe principale du Nord parce qu’elles avaient trop insisté sur la question des heures supplémentaires et que la direction voulait en faire des exemples. Des rumeurs circulaient également au sujet d’une enquête qui aurait permis à la direction de découvrir certaines choses au sujet des plaignantes. Bien qu’elles n’aient jamais été précisées, ces rumeurs ont terni leur réputation. Mme Henry a déclaré que Mme Woods et Mme Senchuk avaient eu une conversation au cours de laquelle Mme Senchuk déclarait que la direction avait réussi à se débarrasser des trois grandes militantes de l’agent négociateur et qu’elles ne réintègreraient vraisemblablement jamais l’équipe principale du Nord. Mme Henry a aussi émis mentionné que la détérioration rapide de sa relation avec Mme Senchuk et M. Preston, au cours des trois premiers mois de 2008, avait coïncidé avec les efforts des plaignantes en vue d’encourager les autres membres de l’équipe principale du Nord à prendre une journée de congé s’ils n’étaient pas rémunérés au taux des heures supplémentaires sur le terrain. Ces efforts ont convaincu trois autres membres de l’équipe et ont eu une incidence sur le budget de M. Preston.

26 Mme Henry a soutenu n’avoir jamais eu de problème dans ses relations avec les membres de la direction, autres qu’avec Mme Senchuk et M. Preston,

27 En contre-interrogatoire, Mme Henry a déclaré ce qui suit relativement à certains problèmes qu’elle a décrits lors de son interrogatoire principal : 1) elle a convenu que la direction avait modifié sa situation de travail lorsque l’enquêteur avait jugé qu’elle avait été traitée de manière inéquitable par Mme Yablonski, et que la directrice adjointe régionale intérimaire, Milana Karaganis, était tellement préoccupée qu’elle a manifesté son intention de surveiller l’attribution du travail par la gestionnaire de la collecte de données. 2) Elle a convenu que la direction s’était occupée de ses problèmes lorsque son voyage dans le Nord a été annulé. 3) Elle a reconnu que Mme Holte et la gestionnaire de la collecte de données à ce moment, Nicole Anderson, l’avaient aidée à régler le problème lié à son voyage le lundi de Pâques, en 2006. Mme Henry a déclaré que Mme Anderson a toujours agi de manière équitable et qu’elle comprenait le rôle de Mme Henry pour l’agent négociateur. 4) Elle a admis que Mme Karaganis avait réglé son problème à Yellowknife en 2008 en autorisant la location d’un véhicule.

28 Lorsqu’on lui a demandé si, de manière générale, la direction s’était penchée sur tous les problèmes qu’elle lui avait soumis, Mme Henry a répondu par l’affirmative, en précisant que la situation avait changé en octobre 2007, lorsque M. Preston est devenu le gestionnaire de la collecte de données. Elle a soutenu que sa relation avec les membres de la direction, autres que M. Preston, avait été bonne. Elle a admis ne jamais avoir pris de mesures pour parler aux superviseurs de M. Preston concernant ses problèmes avec lui, même si, par le passé, elle avait eu l’habitude de faire part de ses préoccupations aux membres de la direction lorsque cela était nécessaire. Elle a reconnu qu’elle aurait pu parler à Mme Karaganis de ses problèmes relativement à M. Preston, ce qu’elle n’a pas fait. Elle a expliqué que les problèmes et les conditions sur le terrain, entre janvier et mars 2008, ont causé un énorme stress. Elle a déclaré que, si elle avait continué de faire partie de l’équipe, elle aurait tenté de régler ses problèmes, tout en reconnaissant néanmoins qu’elle n’avait pas composé avec la situation de la même façon que d’habitude.

29 En réponse à une question concernant le voyage de juillet 2006 et Mme Senchuk, Mme Henry a décrit le comportement de Mme Senchuk comme étant très agressif et contrôlant. Elle a clairement fait comprendre à Mme Henry qu’elle n’était pas la bienvenue. Quand on lui a demandé d’être plus précise, Mme Henry a déclaré que Mme Senchuk ne lui avait jamais dit qu’elle n’était pas la bienvenue. Mme Henry a également désigné Mme Senchuk comme la personne lui ayant dit, à la suite de son retrait de l’équipe principale du Nord, que des choses négatives se disaient à son sujet. Mme Henry a reconnu que Mme Senchuk n’était pas membre de l’équipe de direction.

30 Mme Henry a expliqué que, selon sa compréhension, les intervieweurs de l’équipe principale du Nord seraient affectés seulement dans le Nord, dans la mesure où il y avait suffisamment de travail. Mme Henry a convenu que la direction avait présenté la question d’une rotation au sein de l’équipe principale du Nord lors des consultations syndicales-patronales, en donnant plusieurs raisons justifiant sa décision, notamment sa volonté de créer un plus vaste bassin d’intervieweurs avec une expérience dans les territoires du Nord. Mme Henry s’est aussi rappelé avoir discuté, lors d’une réunion de consultation, de la note de service de la direction du 3 octobre 2007 à l’intention de tous les intervieweurs (pièce R-2). Cette note de service mentionnait la possibilité de permuter les affectations du Nord et du Sud.

31 Mme Henry a déclaré qu’elle ne savait pas si la convention collective contenait une disposition garantissant aux intervieweurs un nombre d’heures de travail minimum ou maximum.

32 Deux personnes ont témoigné pour le compte du défendeur. La première, Mme McCreary, a occupé le poste de gestionnaire régionale par intérim du programme d’interviews sur place assistée par ordinateur (IPAO), entre août 2005 et novembre 2006. Durant les 16 années précédentes, elle était gestionnaire de la collecte de données pour la Saskatchewan. Le deuxième témoin du défendeur était Mme Karaganis, directrice ajointe aux opérations par intérim, dans la même région, du mois d’août 2007 jusqu’en 2008. Lorsqu’elle a terminé son affectation, elle a accepté un poste de directrice adjointe, Division de la planification et de la gestion de la collecte, à Ottawa.

33 Mme McCreary a expliqué que Opérations des enquêtes statistiques est composé d’intervieweurs principaux et d’intervieweurs, embauchés en vertu de la Loi sur les statistiques, L.R.C. (1985), ch. S-19. Les intervieweurs et les intervieweurs principaux sont des employés permanents qui travaillent à temps partiel; ils mènent des interviews par téléphone ou en personne sur le terrain. Opérations des enquêtes statistiques est un employeur distinct. Cependant, les personnes qui gèrent ses activités dans les postes de rangs supérieurs aux intervieweurs principaux et aux intervieweurs sont tous des fonctionnaires qui travaillent pour le Conseil du Trésor (Statistique Canada). Les intervieweurs principaux, qui relèvent du gestionnaire de la collecte de données, supervisent les intervieweurs. (La pièce R-3, l’organigramme de la région, montre neuf postes de gestionnaires de la collecte de données dans la région qui relèvent du gestionnaire du programme des IPAO.)

34 Le gestionnaire de la collecte de données attribue le travail aux intervieweurs principalement en fonction de l’emplacement géographique, mais également en fonction de la formation et de l’expérience des intervieweurs principaux et des intervieweurs disponibles pour effectuer le travail. Le personnel de l’administration centrale à Ottawa détermine le volume de travail, qui peut varier de l’abondance à la disette, selon les enquêtes menées à la demande des clients de Statistique Canada.

35 Mme McCreary a expliqué que, en février ou en mars 2006, Ottawa avait informé la région qu’une réduction radicale de la charge de travail du programme des IPAO était à prévoir, ce qui entraînerait la mise en disponibilité d’intervieweurs à l’échelle du pays. Selon les renseignements fournis par les gestionnaires de la collecte de données relativement au nombre d’intervieweurs nécessaires pour effectuer le travail dans leurs secteurs respectifs du Sud (en se fondant principalement sur l’emplacement géographique, mais également sur la formation, le rendement et la disponibilité), la direction a élaboré une liste des personnes potentiellement visées par une mise en disponibilité.

36 Les gestionnaires devaient normalement faire des pieds et des mains pour trouver des intervieweurs venant des régions du Sud pour effectuer temporairement des enquêtes sur le terrain dans les territoires du Nord. Compte tenu de cette difficulté, et en prévision des mises en disponibilité imminentes, la direction régionale a jugé opportun de tenter de désigner une équipe d’intervieweurs affectés uniquement au travail dans le Nord. À l’aide de la liste des mises en disponibilité potentiels pour la région, elle a désigné des personnes en vue d’une nomination potentielle à une équipe principale du Nord comptant huit postes. La proximité des candidats de la liste d’un aéroport important était un facteur d’économie déterminant pour le choix des candidats.

37 Mme McCreary et la chef régionale des ressources humaines, Mme Holte, ont communiqué par téléphone avec chaque candidat pour connaître leur intérêt à faire partie de l’équipe principale du Nord, plutôt que d’être mis en disponibilité. Elles ont utilisé un ensemble standard de points de discussion comme script pour chaque conversation (pièce R-4). Mme McCreary a déclaré que, lors de sa conversation téléphonique avec Mme Henry, qui avait été désignée comme candidate pour l’équipe principale du Nord, elle n’avait pas dévié des points de discussion et qu’elle ne se rappelait pas avoir parlé à Mme Henry d’autres choses que ce qui était contenu dans le script. Plus précisément, elle a déclaré qu’elle n’avait rien dit à Mme Henry qui pouvait laisser croire que l’affectation était à titre permanent étant donné qu’elle n’était pas en mesure de donner cette indication.

38 En contre-interrogatoire, Mme McCreary a confirmé que l’approbation finale des nominations en vue de joindre l’équipe principale du Nord relevait du directeur régional, M. Page, et de sa directrice adjointe, Carole Dunstone. Mme McCreary a répété que les notes qu’elle avait utilisées (pièce R-4) pour parler à Mme Henry, ainsi qu’avec les autres personnes proposées aux fins de nomination à l’équipe principale du Nord, ne mentionnaient pas combien de temps durerait le travail au sein de l’équipe. Aucune garantie n’a été donnée au sujet du nombre d’heures de travail qui seraient disponibles après les deux premiers trimestres, seulement une indication qu’il pourrait y avoir une augmentation du nombre de voyages vers le Nord si la charge de travail augmentait. Selon Mme McCreary, la mention, dans les points de discussion, que l’équipe principale du Nord était créée à titre de projet pilote démontrait qu’il s’agissait de la première équipe d’intervieweurs créée par la région pour mener exclusivement des enquêtes dans les territoires du Nord.

39 Les huit personnes appelées au sujet de l’équipe principale du Nord, dont Mme Henry, ont accepté l’affectation. Par conséquent, l’équipe principale du Nord était initialement composée seulement d’intervieweurs qui travaillaient déjà pour Opérations des enquêtes statistiques et qui faisaient face à une mise en disponibilité s’ils n’acceptaient pas l’affectation. Quand on lui a demandé si elle avait eu connaissance de courriels ou de documents (autres que la pièce R-4) confirmant la nomination et la nature de l’affectation, Mme McCreary a répondu par la négative. Quand on a insisté sur le fait qu’elle aurait pu dire à Mme Henry que l’affectation était permanente, Mme McCreary a affirmé catégoriquement qu’elle n’aurait pas utilisé ces mots.

40 Quant à la semaine désignée de travail (SDT) pour les intervieweurs, Mme McCreary a expliqué que les gestionnaires de la collecte de données analysent la charge de travail trimestrielle projetée dans leurs secteurs géographiques en fonction du nombre et de la nature des enquêtes devant être effectuées. À partir de consultations auprès des clients, Ottawa calcule un temps estimatif par unité (c’est-à-dire pour chaque interview) pour chaque enquête et établit le nombre de cas d’interviews pour chaque endroit de l’échantillon de l’enquête. Lorsque le produit de ces deux valeurs, agrégées sur l’ensemble des enquêtes devant être effectuées au cours d’un trimestre, est divisé par 13 (semaines dans un trimestre), les gestionnaires de la collecte de données obtiennent une semaine désignée de travail estimative qu’ils accordent aux intervieweurs. Cependant, les choses peuvent changer au cours d’un trimestre donné.

41 À titre de directrice adjointe intérimaire, Mme Karaganis supervisait le programme des IPAO dans la région dont faisait partie l’équipe principale du Nord., Ses premières séances d’information, lorsqu’elle a commencé à assumer ses fonctions en août 2007, incluaient de l’information au sujet de l’équipe principale du Nord. Elle a compris qu’il s’agissait d’un projet pilote visant à stabiliser le processus de trouver des intervieweurs pour travailler dans le Nord. À titre de projet pilote, l’équipe principale du Nord ferait l’objet d’un examen au besoin, selon les fluctuations de la charge de travail dans le Nord et dans le Sud.

42 Au début de son mandat, Mme Karaganis a reçu des estimations d’Ottawa pour la région pour la période d’avril 2006 à mars 2011, durant laquelle on projetait une importante augmentation de la charge de travail (pièce R-5). Pour l’ensemble de la région, les données portaient à croire que la charge de travail dépasserait la capacité d’ici l’hiver 2009 et que les augmentations seraient surtout au Manitoba et en Colombie-Britannique. En ce qui a trait aux territoires du Nord, la charge de travail devait demeurer stable pour la plus grande partie de cette période et connaître une hausse type dans les mois d’hiver, en raison des nombreuses enquêtes spéciales qui créaient une surcharge de travail. Mme Karaganis a mentionné que la période de stabilité relative dans le Nord devait se prolonger jusqu’à la période qui suivrait le prochain recensement, environ quatre mois à compter de l’automne 2011, alors qu’il y aurait beaucoup de travail pour compléter le recensement général de 2011. Les données sur la charge de travail pour la période après le dernier recensement de 2006 ont révélé les mêmes besoins. À compter d’octobre 2006, pendant quatre mois, les besoins liés aux enquêtes ont été multipliés par cinq (d’environ 1 000 heures d’interview par mois à plus de 5 000).

43 Mme Karaganis a expliqué que, lorsque la capacité est insuffisante pour effectuer le travail projeté, la direction doit planifier la charge de travail existante pour l’ensemble de la région de sorte à maximiser les affectations par intervieweur et à utiliser pleinement tous les intervieweurs de la région. Dans certaines circonstances, il peut également être nécessaire d’embaucher du personnel supplémentaire. En ce qui concerne l’équipe principale du Nord, ses membres ont beaucoup d’expérience antérieure dans le Sud. Du point de vue de l’efficience, il est logique, dans la mesure du possible, de les redéployer pour combler les lacunes dans leurs lieux de résidence dans le Sud, au lieu d’embaucher de nouveaux intervieweurs qui doivent suivre une formation exhaustive, tout particulièrement lorsque l’on prévoit une importante charge de travail dans le Sud pendant une longue période.

44 Pour ce qui est des besoins post-recensement 2011 dans les territoires du Nord, il faut planifier à l’avance. Avant la création de l’équipe principale du Nord, la pratique pour les enquêtes dans le Nord était d’y affecter des intervieweurs du Sud intéressés dont la charge de travail permettait d’effectuer temporairement du travail dans le Nord. Entre 2004 et 2006, cette pratique a permis à la région de se constituer un bassin de près de 150 intervieweurs ayant de l’expérience dans le Nord. La direction a fait appel à ces intervieweurs pour répondre aux besoins spéciaux après le recensement de 2006.

45 Quelque temps après la création de l’équipe principale du Nord, la direction est devenue de plus en plus préoccupée par la perte de ce bassin d’intervieweurs ayant de l’expérience dans le Nord et craignait de ne pas avoir à sa disposition suffisamment d’employés qui avaient les connaissances nécessaires pour répondre à ses besoins après le recensement de 2011. Cette préoccupation a été un facteur déterminant du concept de rotation des intervieweurs pour effectuer du travail dans le Nord - concept que M. Page avait approuvé peu après l’arrivée de Mme Karaganis. M. Page, Mme Karaganis et Kelly Welsh, gestionnaire du programme des IPAO, ont décidé qu’il était important de donner une possibilité égale à tous les intervieweurs de la région de manifester leur intérêt à l’égard d’affectations dans le Nord. Mme Welsh a donc rédigé et envoyé un « avis d’intérêt » à tous les intervieweurs (pièce R-1), qui énonçait les critères suivants :

[Traduction]

[…]

  • Emplacement géographique des membres de l’équipe participant à la rotation entre le Sud et le Nord.
  • Rendement et expérience.
  • Être disponible à travailler le jour, le soir et les fins de semaine, au besoin; le travail étant en grande partie effectué en soirée et la fin de semaine.
  • Consentir à voyager et à travailler dans les communautés du Nord pendant de longues périodes.
  • Permis de conduire valide et usage d’un véhicule.
  • Anglais essentiel.

[…]

46 Mme Karaganis a souligné que 23 intervieweurs avaient répondu à l’avis d’intérêt. La direction a réduit ce groupe initial à environ 10 intervieweurs, en se basant sur les renseignements relativement à la charge de travail fournie par les gestionnaires de la collecte de données. En raison de problèmes de dotation en Colombie-Britannique et en Alberta, les 10 intervieweurs provenaient exclusivement du Manitoba et de la Saskatchewan. Cependant, en préparation aux enquêtes de l’hiver 2008, la direction a déterminé que les intervieweurs du Manitoba et de la Saskatchewan étaient toujours nécessaires pour composer avec la charge de travail dans leurs emplacements du Sud. La région a donc décidé de retarder la mise en place de la rotation jusqu’au printemps 2008.

47 Initialement, la direction régionale prévoyait appliquer les critères énoncés dans l’avis d’intérêt pour déterminer quels intervieweurs devaient être exclus de l’équipe principale du Nord. Avant la mise en œuvre de la rotation prévue au printemps 2008, certaines situations survenues dans le Sud ont entraîné la nécessité de modifier sans attendre les affectations. En novembre 2007, une possibilité d’affectation s’est présentée à Kelowna (Colombie-Britannique). La direction savait que Mme Woods avait déjà manifesté par courriel son intérêt de quitter l’équipe principale du Nord et de reprendre une affectation dans le Sud, sa région de résidence. Elle a donc décidé de retirer Mme Woods de l’équipe principale du Nord afin de combler ses besoins à Kelowna et éviter d’embaucher un nouvel intervieweur. Mme Woods a reçu la formation pour sa nouvelle affectation à Kelowna, du 16 au 18 décembre 2007, comme en témoignent ses demandes de paiement pour cette période (pièces R-6 et R-7).

48 À l’hiver 2008, une intervieweuse de la région du Lac du Bonnet (Manitoba) a accepté une affectation spéciale de deux ans dans le cadre de laquelle elle devait se déplacer dans l’ensemble de la région. Au lieu d’embaucher un nouvel intervieweur pour prendre en charge son travail au Lac du Bonnet, la direction a envisagé d’y affecter Mme Hager, qui demeurait dans la région.

49 Pendant cette même période, un gestionnaire de la collecte de données du Manitoba a reçu des plans détaillés pour les enquêtes devant être menées en 2008 et a déterminé qu’il faudrait combler un autre poste à Winnipeg — dans la région de Mme Henry. La direction avait alors le choix d’affecter Mme Henry à ce travail ou d’embaucher un nouvel intervieweur.

50 En somme, au moment où la direction était en position de procéder à la rotation au sein de l’équipe principale du Nord, soit au début du printemps 2008, Mme Woods avait été réaffecté dans le secteur où elle habite. Au même moment, la direction a établi la nécessité d’avoir des intervieweurs dans les secteurs de résidence de Mme Hager et Mme Henry. Elle a donc décidé de retirer Mme Hager et Mme Henry de l’équipe principale du Nord. La direction a également désigné une autre intervieweuse, Favel Wiens, qui devait être retirée de l’équipe en raison de considérations relatives aux coûts, mais celle-ci est finalement demeurée au sein de l’équipe parce qu’il n’y avait pas de travail dans son lieu de résidence et qu’aucun remplaçant n’a pu être trouvé pour elle.

51 En ce qui concerne les nouvelles affectations par rotation à l’intérieur de l’équipe principale du Nord, une fois que les gestionnaires de la collecte de données du Manitoba et de la Saskatchewan ont défini plus précisément leurs besoins pour l’hiver 2008, seulement deux personnes parmi les 10 candidats du Sud retenus sont demeurées disponibles et la direction leur a offert des affectations au sein de l’équipe principale du Nord; les deux ont accepté mais seulement un s’est finalement joint à l’équipe. Comme il demeurait quatre postes à combler au sein de l’équipe (ceux des trois plaignantes et celui de l’autre intervieweur initialement retenu), la direction a élargi sa recherche de façon à inclure les intervieweurs qui ont été embauchés en décembre 2007 pour mener des enquêtes spéciales à l’hiver 2008. Deux personnes ayant eu un bon rendement au cours de la saison hivernale avaient manifesté leur intérêt à l’égard de l’équipe principale du Nord et vivaient près d’importants aéroports dans le Sud. La direction a affecté ces deux intervieweurs à l’équipe principale du Nord.

52 Mme Karaganis a subi un long contre-interrogatoire. J’ai relevé les points suivants comme étant les plus pertinents :

(1) Elle a répété que, selon sa compréhension, l’équipe principale du Nord était un projet pilote qui devait être revu en fonction de l’évolution de la charge de travail.

2) Lorsqu’elle a établi la nécessité de planifier en prévision d’une augmentation considérable des besoins dans la Nord pour la période après le recensement de 2011, Mme Karaganis s’est basée sur l’expérience de 2006. Selon les renseignements qu’elle a reçus, il y avait alors eu tellement de travail que la direction avait dû trouver de nouveaux intervieweurs pour répondre aux besoins.

(3) En ce qui concerne la pointe de travail de l’hiver 2009, elle a déclaré qu’il incombait au gestionnaire de la collecte de données responsable de déterminer s’il était possible de combler la capacité déficitaire en augmentant les heures de travail des intervieweurs.

(4) Elle ne connaissait pas personnellement les années de service et la disponibilité des intervieweurs ou le nombre d’heures que chacun effectuait. La région comptait sur les gestionnaires de la collecte de données pour tenir compte de ces facteurs dans l’information soumise sur la manière de composer avec leur charge de travail.

(5) Dans le cas particulier de l’équipe principale du Nord, M. Preston était le gestionnaire de la collecte de données responsable de fournir les renseignements à la direction.

(6) En mars 2008, M. Page a finalement pris la décision de procéder par rotation au sein de l’équipe principale du Nord. Mme Welsh et M. Preston ont recueilli des renseignements et formulé des recommandations à la direction sur les membres qui devaient être affectés. M. Page a pris les décisions au cas par cas en se basant sur les justifications élaborées par les gestionnaires de la collecte de données et la gestionnaire du programme des IPAO.

(7) Mme Karaganis a confirmé que la direction s’attendait à devoir embaucher du nouveau personnel à l’occasion pour accomplir le travail. Elle ne savait pas si de nouvelles personnes avaient été embauchées pour effectuer du travail dans le Nord au cours de la première moitié de 2008.

(8) Lorsqu’on lui a demandé si, selon elle, il serait inapproprié pour un gestionnaire de la collecte de données de consulter un intervieweur principal avant de recommander des affectations, Mme Karaganis a répondu qu’elle ne le croyait pas. Dans le cas de la rotation parmi les membres de l’équipe principale du Nord, elle a dit qu’elle ne croyait pas que le gestionnaire de la collecte de données ait consulté un intervieweur principal, mais qu’il s’est plutôt fondé sur les critères de la géographie, de la disponibilité de l’intervieweur et de son rendement.

(9) Elle a admis que les employés affectés au recensement dans le Nord ont un meilleur rendement s’ils ont de l’expérience antérieure du travail d’enquête dans le Nord.

(10) Elle ne détenait pas de renseignements au sujet des préférences de Mme Hager et Mme Henry au titre des affectations.

53 Les plaignantes ont accordé une grande attention à la pièce R-5, la représentation graphique des heures de travail estimatives des intervieweurs de la région pour la période d’avril 2006 à mars 2011. Mme Karaganis n’était pas en mesure d’identifier la personne ayant téléchargé les données utilisées pour générer les graphiques et ne pouvait pas dire de manière exacte quand les graphiques avaient été créés. Mise au défi d’expliquer pourquoi des estimations ayant vraisemblablement été produites au début du premier trimestre de 2006 n’étaient pas vieillies au moment de son arrivée en poste, en août 2007, elle a déclaré que la pièce R-5 a été produite selon les procédures normales et que c’est l’analyse qui lui a été fournie en août 2007, et qu’elle utilisait à ce moment. Elle a soutenu que l’utilisation de ces données était conforme aux procédures normales du ministère. Mme Karaganis a déclaré que le l’effectif, au moment où elle a évalué la situation, était particulièrement bas en raison des mises en disponibilité qui avaient été effectués. Cependant, elle ne pouvait pas dire si, ou dans quelle mesure, le déficit entre la capacité potentielle et la capacité réelle démontrée dans les graphiques découlait des mises en disponibilité. Elle ne savait pas non plus avec certitude si les données dataient d’avant ou après les mises en disponibilité.

54 Mme Karaganis a confirmé qu’elle avait vu le courriel de septembre 2006 dans lequel Mme Woods demandait d’être retirée de l’équipe principale du Nord et d’être réaffectée dans le Sud. Elle ne se rappelait pas qu’on lui ait dit que Mme Woods avait changé d’idée par la suite.

55 En renvoyant spécifiquement à Mme Henry, les plaignantes ont demandé si une autre personne, soit Betty Jones, aurait pu prendre en charge le travail auquel Mme Henry a été affectée au Lac du Bonnet. Mme Karaganis a affirmé ne pas connaître personnellement la situation, mais que la direction avait accepté la recommandation de M. Preston à l’égard de Mme Henry du fait qu’elle demeurait plus près du lieu d’affectation que Mme Jones. Lorsque M. Preston a fait part de la décision de la retirer de l’équipe principale du Nord, il a indiqué à la direction que Mme Henry n’avait pas soulevé de préoccupations ou de questions au sujet de la décision.

56 À la fin du contre-interrogatoire, les plaignantes ont demandé à Mme Karaganis quelle connaissance elle avait des problèmes ou des questions soulevés par les membres de l’équipe principale du Nord relativement aux heures supplémentaires ou à la santé et la sécurité. Mme Karaganis se souvenait d’une situation en octobre 2007 où Mme Henry avait communiqué avec M. Preston pour faire approuver des heures supplémentaires, ce qu’il avait fait. Elle a dit que M. Preston, qui était nouvellement arrivé au programme des IPAO, n’avait pas compris pourquoi seul M. Page était autorisé à approuver des heures supplémentaires. Les conseillers en rémunération ont déterminé que les heures supplémentaires en question avaient été effectuées un jour où l’intervieweuse n’avait pas droit à ce taux. La direction a dû renverser la décision de M. Preston.

57 Mme Karaganis a confirmé qu’elle-même, M. Page et Mme Welsh savaient que les plaignantes œuvraient activement auprès de l’agent négociateur. Elle a également confirmé qu’il était notoire que les plaignantes traitaient avec la direction au sujet de questions reliées à l’emploi. Mme Karaganis a déclaré qu’elle rencontrait aussi d’autres représentants de l’agent négociateur parce qu’elle siégeait aux comités de consultation syndicale-patronale pour le programme des IPAO de chaque province de la région.

58 Les plaignantes ont produit une contre-preuve par l’entremise de Mme Woods, Mme Henry et Louise Granger, une intervieweuse de l’équipe principale du Nord.

59 Mme Woods a déclaré qu’en mars 2006, elle avait dû choisir entre être mise en disponibilité ou être affectée à l’équipe principale du Nord. Elle n’était jamais allée dans le Nord, mais elle a accepté l’affectation pour éviter d’être mise en disponibilité. En septembre 2006, elle a été appelée à voyager dans le Nord pour la première fois et elle a paniqué. Elle a envoyé un courriel à Mme Dunstone, sa directrice ajointe, pour donner sa démission. Dans les jours ou la semaine qui a suivi, elle a réexaminé sa décision et a demandé à Mme Dunstone de lui permettre de retirer sa démission. Mme Dunstone a accepté et a réintégré Mme Woods à son poste au sein de l’équipe principale du Nord. Mme Woods a expliqué que son courriel de démission envoyé à Mme Dunstone était le seul document dans lequel elle avait indiqué vouloir quitter l’équipe principale du Nord.

60 Mme Woods a expliqué qu’elle était tombée amoureuse du Nord. Elle a été désagréablement surprise quand M. Preston lui a annoncé, en décembre 2007, qu’on avait besoin d’elle pour effectuer du travail dans le Sud. Lorsqu’elle a quitté l’équipe principale du Nord, elle a été affectée à deux projets d’enquête, soit l’enquête sur l’origine et la destination des marchandises transportées par camion et l’enquête sur l’indice des prix à la consommation (pièce R-6, projets 33060 et 33080).

61 Quand on lui a demandé pourquoi elle avait déposé sa plainte en même temps que Mme Hager et Mme Henry, Mme Woods a déclaré qu’après avoir parlé à Mme Hager et Mme Henry à la suite de leur retrait de l’équipe principale du Nord en mars 2008, elle avait [traduction] « fait le calcul » et réalisé qu’il y avait une tendance. En effet, il est ressorti de leurs conversations qu’elles avaient toutes été traitées de la même manière.

62 Mme Henry a expliqué que, au début de l’automne 2007, après l’émission de l’avis d’intérêt de Mme Welsh, elle avait reçu des appels de collègues, annonçant que la direction cherchait à augmenter le nombre d’employés ou à effectuer une rotation des employés entre l’équipe du Sud des IPAO et celle du Nord (pièce R-1). En qualité de vice-présidente de la section locale de son syndicat, elle a demandé des clarifications au directeur régional et à la directrice adjointe. Il en est découlé une note de service datée du 3 octobre 2007 (pièce R-2). Mme Henry a compris de la note de service qu’elle pourrait être appelée à effectuer du travail d’enquête à Winnipeg si elle n’était pas affectée dans le Nord et si elle était disposée à assumer des fonctions dans le Sud. Pour elle, cette annonce constituait un nouvel arrangement étant donné que, par le passé, les intervieweurs travaillaient exclusivement à des projets dans le Nord ou à des projets dans le Sud. Elle interprétait le renvoi à une rotation comme une volonté de la direction d’élargir le bassin d’employés formés pour travailler dans le Nord. Elle s’attendait à ce que les personnes qui étaient retirées de l’équipe principale du Nord retourneraient travailler dans le Nord éventuellement.

63 À la suite de son retrait de l’équipe principale du Nord en mars 2008, Mme Henry n’a pas eu d’autres possibilités de travailler dans le Nord, elle n’en a pas non plus fait la demande. Outre les personnes qui ont remplacé les plaignantes, aucune autre personne n’a subséquemment été affectée à l’équipe principale du Nord.

64 Lorsqu’elle a recommencé à travailler dans le Sud, Mme Henry a communiqué avec Tasha Felix, la gestionnaire de la collecte de données responsable. Mme Felix a mentionné à Mme Henry qu’elle n’était pas certaine de l’endroit où elle travaillerait. Mme Felix a expliqué que des intervieweurs travaillaient déjà à North Kildonan, la partie nord, The Maples et East Kildonan — des secteurs à proximité du domicile de Mme Henry. Mme Henry a conclu qu’on n’avait pas planifié de nouvelles affectations pour elle, une conclusion dont elle a fait part à Mme Felix dans une lettre adressée à la fin juin (pièce C-5).

65 Entre avril et juin 2008, les heures de travail de Mme Henry ont considérablement diminué (pièce C-4). À son avis, comme elle n’atteignait pas le seuil des 12,5 heures en moyenne par semaine, elle aurait pu perdre ses avantages sociaux si la situation avait perduré. Elle a expliqué qu’après que sa situation ait été soulevée lors de négociations collectives, la direction est intervenue et a créé une affectation artificielle au cours de l’été afin de préserver son statut.

66 Mme Henry a souligné que, entre janvier et mars 2008, trois employés embauchés pour une période déterminée pour une étude dans le Sud ont par la suite été affectés à l’équipe principale du Nord, au moment même où elle et Mme Hager en ont été retirées. Elle a compris que certains nouveaux membres de l’équipe principale du Nord ne vivaient pas près d’un grand aéroport et qu’ils devaient séjourner à l’hôtel, aux frais de la direction, avant de quitter Winnipeg vers les lieux de leurs affectations dans le Nord.

67 Le 28 mars 2008, immédiatement après avoir assisté à une conférence des intervieweurs à Winnipeg qui avait lieu les 26 et 27 mars, Mme Henry a appris de M. Preston son retrait de l’équipe principale du Nord. Durant la conférence, elle a reçu son évaluation de rendement de Mme Senchuk. Son rendement était considéré comme inférieur à entièrement satisfaisant. L’évaluation de son rendement était basée sur des calculs qui, de l’avis de Mme Henry, décrivaient erronément son temps et son coût par unité d’enquête comme étant trop élevés.

68 Mme Henry a attribué son retrait de l’équipe principale du Nord aux nombreuses escarmouches qu’elle a eues avec M. Preston au sujet des heures supplémentaires et des questions de santé et de sécurité pendant les cinq mois où il était gestionnaire de la collecte de données. Elle a aussi affirmé avoir discuté de questions de santé et sécurité avec Mme Senchuk, qui était son intervieweuse principale, et que celle-ci semblait prendre la part de la direction, même si elle siégeait comme représentante de l’agent négociateur au comité local de santé et sécurité. Selon Mme Henry, elle a toujours été consciente que ses activités pour le compte de l’agent négociateur l’exposaient au risque de perdre son poste.

69 Mme Granger est devenue membre de l’équipe principale du Nord dès sa création en 2006, à partir de sa base Winnipeg, où elle avait travaillé précédemment comme intervieweuse pendant de nombreuses années. Elle a déclaré qu’elle avait toujours eu de bonnes relations avec ses superviseurs et ses gestionnaires et qu’elle aimait beaucoup son travail.

70 Mme Granger a assisté à la conférence des intervieweurs, les 26 et 27 mars 2008. Elle était assise aux côtés de Mme Henry et Mme Hager lorsque les évaluations de rendement ont été distribuées et a entendu leurs explications au sujet des évaluations erronées. Comme elle a voyagé dans le Nord avec Mme Henry, Mme Granger savait que l’évaluation était erronée lorsqu’il était mentionné que, lors de ces voyages, le travail avait été effectué par téléphone, et elle savait que cette erreur avait donné lieu à des calculs de temps et de coût par unité trop élevés. Mme Granger s’est rappelé que Mme Senchuk avait déclaré à la réunion que tous les intervieweurs auraient la possibilité de discuter de leur évaluation avant que celle-ci ne soit finalisée. Lorsque Mme Granger a parlé à Mme Henry deux ou trois jours plus tard, elle a appris que Mme Henry avait été retirée de l’équipe et qu’on lui avait dit que son retrait était imputable au coût élevé de son travail.

71 Mme Granger a ensuite parlé à Mme Senchuk. Elle a dit à Mme Senchuk qu’il était injuste que Mme Henry et Mme Hager n’aient pas eu la possibilité de discuter de leur évaluation avant que la direction ne mette en application la décision de les retirer de l’équipe principale du Nord. Mme Senchuk lui a alors dit que les évaluations de rendement et la question des coûts n’étaient pas les seules raisons de leur retrait et qu’il y avait autres choses. Mme Senchuk a ajouté qu’elle espérait que cela serve de leçon aux personnes qui insistaient trop pour obtenir quelque chose. Mme Granger a été estomaquée par ces propos. Elle estimait également que Mme Senchuk avait dû savoir qu’il y avait des erreurs dans les calculs figurant dans les évaluations parce qu’elle avait elle-même fait ces calculs. Mme Granger a indiqué qu’elle savait, en raison d’incidents antérieurs, que Mme Senchuk s’opposait fermement aux efforts de Mme Henry et de Mme Hager en vue d’obtenir, pour le compte de leurs collègues, une journée de congé après 10 jours consécutifs de 12 heures sur le terrain et une rémunération à tarif et demi pour le travail effectué le dimanche.

72 En contre-interrogatoire, le défendeur a demandé à Mme Granger s’il était possible que l’opinion de Mme Senchuk au sujet des désaccords avec Mme Henry et Mme Hager corresponde à son point de vue personnel et non à celui de la direction. Mme Granger a répondu qu’elle n’avait pas été témoin de la manière dont Mme Senchuk interagissait avec la direction et qu’elle ne pouvait pas se prononcer sur les raisons de ses commentaires. Elle a convenu que Mme Senchuk n’avait pas dit que la direction espérait que le retrait de Mme Henry et Mme Hager de l’équipe principale du Nord servirait de leçon à ceux qui se feraient trop insistants.

73 En contre-interrogatoire, Mme Granger a fait valoir son opinion selon laquelle les rapports soumis par Mme Senchuk à la direction auraient eu une incidence, mais que la direction disposait d’autres rapports auxquels Mme Senchuk n’avait pas accès. Mme Granger a déclaré qu’elle n’était pas en mesure d’évaluer le niveau de responsabilité de Mme Senchuk.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

74 Le défendeur a admis qu’il lui incombait de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que ses actions ne constituaient pas une mesure déloyale de travail ou, plus particulièrement, que la raison de retirer les trois plaignantes de l’équipe principale du Nord ne découlait pas d’un sentiment antisyndical. Le défendeur a aussi reconnu qu’il devait établir le fondement de son objection préliminaire que la plainte était hors délai en ce qui concerne Mme Woods.

75 La décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Association des employé(e)s en sciences sociales, 2004 CAF 165 (l’« Association des employé(e)s en sciences sociales »), au paragraphe 53, confirmait l’interprétation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique selon laquelle, pour établir l’existence d’une pratique déloyale de travail, il faut démontrer l’intention de l’employeur de faire preuve de distinction illicite en raison de l’appartenance à l’agent négociateur ou des activités syndicales (citant Major Foods Ltd. v. R.W.D.S.U., Local 1065 (1989), 7 L.A.C. (4e) 129). Bien que la Loi ait par la suite déplacé le fardeau de la preuve aux défendeurs, la jurisprudence sous le régime de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, demeure utile pour démontrer les types de mesures qui témoignent ou non d’un sentiment antisyndical; voir Sabir et al. c. Richmond et al., 2006 CRTFP 118, et Dubreuil c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) et al., 2006 CRTFP 20. La jurisprudence étaye la thèse qu’on ne peut pas conclure à un sentiment antisyndical lorsque les mesures prises par la direction découlent de l’exercice raisonnable de ses droits.

76 Le défendeur soutient avoir pris des mesures raisonnables et logiques, en tenant compte des besoins et des coûts opérationnels, lorsqu’il a décidé d’abord de créer une équipe principale du Nord, puis de la modifier.

77 Le témoignage de Mme McCreary a établi que la décision finale de créer l’équipe principale du Nord a été prise par M. Page et Mme Dunstone, à la suite de consultations qui incluaient les commentaires des gestionnaires de la collecte de données. Ils avaient l’intention de créer une équipe de travail spécialisée en prévision de l’augmentation de la charge de travail qu’il prévoyait dans le Nord. Or, Mme Karaganis a témoigné qu’au cours de l’année qui a suivi la création de l’équipe, les renseignements recueillis à la place par Ottawa projetait plutôt une diminution de la charge de travail dans le Nord, alors que celle dans les secteurs plus au sud demeurait stable. En se basant sur ces renseignements, le défendeur a réexaminé la viabilité du maintien de l’équipe principale du Nord. Il a également tenu compte de la prévision que de plus amples ressources seraient nécessaires dans le Nord au cours de l’année du recensement de 2011. Pour des raisons organisationnelles, le défendeur a décidé de dissoudre l’équipe principale du Nord à titre d’unité spécialisée et de permettre à d’autres intervieweurs intéressés d’acquérir une expérience dans le Nord de sorte que Opérations des enquêtes statistiques puisse avoir à sa disposition un effectif préparé pour composer avec l’augmentation de la charge de travail prévue au cours de l’année du recensement.

78 M. Page, Mme Karaganis et les gestionnaires de la collecte de données ont discuté de procéder à une rotation des membres de l’équipe principale du Nord à la fin 2007. Aucun intervieweur principal n’a participé aux discussions. Ils ont déterminé qu’il fallait terminer immédiatement le travail dans les secteurs du Sud dans lesquels résidaient Mme Henry et Mme Hager. Les deux intervieweuses ont été retirées de l’équipe principale du Nord pour répondre aux exigences opérationnelles, critères qui ont eu préséance sur ceux relatifs aux coûts et à l’emplacement géographique.

79 Mme Karaganis a déclaré dans son témoignage avoir vu le courriel de Mme Woods indiquant qu’elle était préoccupée et anxieuse face aux voyages dans le Nord et demandant d’être affectée ailleurs. Mme Karaganis n’a pas eu connaissance d’un autre courriel indiquant que Mme Woods n’était plus intéressée à une affectation dans le Sud. Selon la perspective de Mme Karaganis, Mme Woods était disponible pour quitter l’équipe principale du Nord, et ce, dès qu’une affectation serait disponible dans son secteur de résidence.

80 Lorsqu’il a initialement doté l’équipe principale du Nord, le défendeur tentait de maintenir les employés en poste au lieu de les mettre en disponibilité. Par la suite, afin d’assurer l’exécution du travail dans le Sud et la formation des nouveaux employés affectés dans le Nord, il a décidé de procéder à une rotation au sein de l’équipe principale du Nord. Sa décision a été le fruit d’un processus qui était en gestation depuis des mois et qui tenait minutieusement compte de toutes les options possibles. Ses mesures étaient entièrement raisonnables et résultaient du changement prévu dans la charge de travail.

81 En ce qui concerne Mme Henry, elle a déclaré avoir toujours eu de bonnes relations de travail avec la direction. Sa participation auprès de l’agent négociateur a commencé en 2004, mais la rotation au sein de l’équipe principale du Nord n’a eu lieu que quatre années plus tard. Pendant ces quatre années, le défendeur n’a pas tenté de modifier ou de supprimer sa charge de travail. Elle est demeurée au sein de l’équipe principale du Nord pendant qu’il y avait du travail à effectuer et en a été retirée seulement lorsque le défendeur a estimé avoir besoin d’elle ailleurs. Comme elle l’a confirmé dans son témoignage, pendant le temps passé au sein de l’équipe principale du Nord, elle a soulevé, à de nombreuses occasions, des questions reliées aux heures supplémentaires et à la santé et la sécurité, et le défendeur a donné suite à ses préoccupations de manière satisfaisante. Lorsqu’elle a quitté l’équipe principale du Nord, le défendeur a pris des mesures pour créer une affectation artificielle pour elle de sorte à ne pas l’exposer au risque de travailler un nombre d’heures inférieur au seuil de 12,5 heures, ce qui lui aurait fait perdre ses avantages sociaux et son appartenance à l’agent négociateur, soit une mesure que la direction n’aurait pas raisonnablement prise si elle était motivée par un sentiment antisyndical.

82 Quant aux sentiments exprimés par Mme Senchuk, la preuve démontre clairement qu’elle ne faisait pas partie de l’équipe qui a décidé de créer l’équipe principale du Nord et, par la suite, de procéder au retrait par rotation de certains de ses membres. Mme Senchuk ne peut pas être considérée comme agissant pour le compte du défendeur. Elle n’avait aucune autorité pour le faire. Les évaluations de rendement qu’elle a rédigées ont été signées par le gestionnaire de la collecte de données ou une instance supérieure. Mme Senchuk a peut-être été consultée, mais c’est le gestionnaire de la collecte de données qui était chargé de l’attribution de la charge de travail.

83 En résumé, le défendeur a entrepris un processus réfléchi, minutieux et prolongé pour prévoir le changement de la charge de travail des employés de l’organisation. Il a affecté les employés en fonction des exigences opérationnelles et des coûts. À toutes les étapes, il a tenu compte des préoccupations exprimées par les employés et par les représentants de l’agent négociateur. Par conséquent, le défendeur s’est acquitté de son fardeau de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, aucun sentiment antisyndical ne sous-tendait ses décisions.

84 Le défendeur a invoqué les décisions suivantes au sujet du respect des délais des plaintes aux termes de l’article 190 de la Loi : Cuming c. Butcher et al., 2008 CRTFP 76, Dumont et al. c. Ministère du Développement social, 2008 CRTFP 15, et Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78.

85 La mesure ou la circonstance qui a donné lieu à la plainte de Mme Woods était son retrait de l’équipe principale du Nord, le 16 décembre 2007 ou autour de cette date. Mme Woods était membre et représentante de l’agent négociateur depuis quelque temps. S’il existait un sentiment antisyndical pendant qu’elle était au sein de l’équipe principale du Nord, elle aurait dû raisonnablement en avoir eu connaissance en décembre 2007. Le délai de 90 jours pour déposer une plainte, aux termes de l’article 190 de la Loi est obligatoire et a été déclenché par la décision de décembre 2007. La plaignante a déposé tardivement sa plainte, et la Commission devrait la rejeter.

B. Pour les plaignantes

86 En ce qui concerne Mme Woods, aux termes du paragraphe 190(2) de la Loi, le délai pour déposer une plainte à commencé à la date à laquelle elle « […] a eu - ou, selon la Commission, aurait dû avoir - connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ». Mme Woods a déclaré avoir réalisé que son retrait de l’équipe principale du Nord pouvait être relié à ses activités syndicales lorsqu’elle a parlé à Mme Hager et Mme Henry, également actives auprès de l’agent négociateur, et qu’elle a appris qu’elles avaient également été retirées de l’équipe principale du Nord. C’est le fait d’apprendre cette information, en avril 2008, qui a déclenché sa plainte. La décision opérationnelle annoncée en décembre 2007 s’est transformée en pratique déloyale de travail parce qu’elle a pris connaissance en parlant à Mme Hager et Mme Henry que les décisions du défendeur étaient motivées par un sentiment antisyndical.

87 En raison de la nature isolée et solitaire de leur travail, il est fréquent que les intervieweurs sur le terrain ne sachent pas ce qui arrive aux autres membres de l’équipe. Pour Mme Woods, la décision prise par le défendeur, en décembre 2007, de l’affecter à du travail à Kelowna semblait à première vue neutre. Cependant, après avoir été informé de la tendance, à la fin mars ou au début avril 2008, la nature véritable de la décision lui est apparue clairement. Son retrait initial de l’équipe principale du Nord en décembre 2007 faisait partie des circonstances ayant donné lieu à sa plainte, mais n’était pas suffisant pour déclencher le délai pour le dépôt de sa plainte. Il a fallu qu’elle apprenne ce qui était arrivé à ses collègues pour prendre pleinement connaissance des circonstances donnant lieu à sa plainte. Sur ce fondement, le délai pour sa plainte a commencé à la fin mars ou au début avril 2008. La plainte a été déposée dans le délai prescrit.

88 Le sentiment antisyndical n’est habituellement pas affiché ouvertement. Son existence est établie en se fondant sur une tendance dans la conduite examinée dans son contexte. Le sentiment antisyndical est révélé lorsque la preuve est étudiée dans son ensemble ou lorsque des brèches dans la preuve sont dévoilées.

89 Pour s’acquitter de la charge inverse de la preuve, aux termes du paragraphe 191(3) de la Loi, le défendeur doit produire une preuve suffisante pour établir que sa décision de retirer les plaignantes de l’équipe principale du Nord était fondée sur une raison opérationnelle légitime. La Commission, quant à elle, doit déterminer si les explications données par le défendeur sont un prétexte pour déguiser une décision répréhensible fondée sur un sentiment antisyndical.

90 Les plaignantes ont contribué les décisions suivantes à l’analyse de la Commission : Lamarche c. Marceau, 2005 CRTFP 153 et 2007 CRTFP 18; Perka et al. c. Ministère des transports et Conseil du Trésor, 2007 CRTFP 92; Quadrini c. Agence du revenu du Canada et Hillier, 2008 CRTFP 37; Shaw c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2006 CRTFP 125; Association des employé(e)s en sciences sociales.

91 Selon les plaignantes, la jurisprudence appuie les thèses suivantes : 1) les commentaires formulés au sujet de l’activité syndicale, s’ils servent à prendre une décision concernant l’emploi, sont suffisants pour établir le sentiment antisyndical; 2) les activités syndicales d’un plaignant fournissent un fondement pour conclure à une violation de l’alinéa 186(2)a) de la Loi, si l’employeur d’un plaignant ne fournit pas de raisons légitimes pour sa décision; 3) le contexte, les tendances et la véracité des justifications d’un employeur sont tous des facteurs importants à étudier.

92 Les plaignantes prétendent que la preuve en l’espèce démontre clairement que la décision du défendeur a été motivée par un sentiment antisyndical et que les raisons opérationnelles invoquées pour retirer les plaignantes de l’équipe principale du Nord n’étaient rien d’autre qu’un prétexte pour des mesures illégales.

93 Personne ne conteste le fait que les trois plaignantes étaient membres et représentantes de la section locale de leur agent négociateur. Il n’est pas non plus contesté que, le défendeur a pris la décision de changer l’équipe principale du Nord durant la même période où elles insistaient, en qualité de représentantes de l’agent négociateur, sur les questions des heures supplémentaires et des jours de repos pour les membres de l’équipe principale du Nord. Elles étaient revendicatrices, actives et bien connues de la direction. Mme Karaganis a témoigné qu’elle était bien au fait de leurs activités syndicales. Mme Henry a déclaré qu’elle avait communiqué avec M. Page pour amener le défendeur à se conformer aux dispositions de la convention collective. Il ressort également clairement que les trois plaignantes étaient des intervieweuses sur le terrain compétentes et expérimentées et que les trois étaient disposées à continuer à travailler dans le Nord comme membres de l’équipe principale du Nord.

94 Dans ce contexte, il est extrêmement révélateur que seules les plaignantes aient été retirées de l’équipe principale du Nord. Les règles ont changé seulement une fois. Après le retrait des plaignantes, aucun autre retrait aux fins de rotation n’a été effectué. Le défendeur a repris ses activités comme à l’habitude.

95 Quelles raisons opérationnelles l’employeur a-t-il invoquées pour ses décisions? Mme McCreary a expliqué que le défendeur avait créé l’équipe principale du Nord pour que le travail dans le Nord soit effectué de manière économique et efficace. Lors de l’affectation des intervieweurs à l’équipe principale du Nord, le défendeur a tenu compte de l’emplacement géographique, de la charge de travail, du rendement et de la disponibilité. Les membres de l’équipe devaient résider près d’un aéroport important et être envoyés dans des secteurs du Nord de la manière la plus économique possible en fonction de leur lieu de résidence. Mme Karaganis a expliqué que, lorsque les projections relatives à la charge de travail au Manitoba ont indiqué un besoin potentiel de réaffecter des intervieweurs, il a été jugé plus économique de retirer par rotation un membre de l’équipe principale du Nord s’il y avait du travail dans son lieu de résidence, plutôt que de former une personne sans expérience pour faire le travail.

96 Que s’est-il réellement passé? Il n’y avait pas de travail pour Mme Henry dans son secteur de résidence à Winnipeg lorsqu’elle a été retirée de l’équipe principale du Nord. Contrairement aux raisons opérationnelles invoquées, il n’était ni économique, ni efficace de réaffecter Mme Henry à du travail dans le Sud, puisqu’il y avait peu ou pas de travail dans ce secteur, alors que de nouveaux employés embauchés pour une période déterminée étaient affectés à l’équipe principale du Nord. Ces nouveaux employés avaient besoin d’une formation pour travailler dans le Nord, et certains de ceux qui ont remplacé les plaignantes ne résidaient pas à proximité d’un aéroport important. Par conséquent, des frais d’hôtel supplémentaires ont dû être engagés lors de leurs déplacements.

97 Même s’il y avait eu du travail dans le secteur de Mme Henry après son retrait de l’équipe principale du Nord, il subsiste la question de savoir pourquoi le défendeur l’a retirée de l’équipe principale du Nord, au lieu de Mme Granger. Les deux intervieweuses résidaient dans le même secteur, mais c’est Mme Henry, la militante de l’agent négociateur, qui a été retirée. L’absence d’une explication pour le choix de Mme Henry au lieu de Mme Granger constitue une brèche importante dans la preuve du défendeur. Par ailleurs, le défendeur n’a pas expliqué pourquoi Mme Henry a été retirée de l’équipe principale du Nord en mars 2008, plutôt que trois mois plus tard, lorsque du travail a finalement été rendu disponible dans le Sud.

98 Ce qui s’est passé immédiatement avant que le défendeur décide de retirer Mme Hager et Mme Henry de l’équipe principale du Nord fait pencher la balance. Le témoignage de Mme Granger confirme que les deux intervieweuses avaient reçu des évaluations de rendement fondées sur des renseignements inexacts qui gonflaient les coûts par unité de leur travail. Un jour après avoir reçu ces évaluations, Mme Hager et Mme Henry étaient exclues de l’équipe. Mme Granger était une employée qui travaillait fort et qui avait de bonnes relations avec la direction; elle n’avait pas de comptes à régler avec celle-ci. Elle a confronté Mme Senchuk au sujet des renseignements erronés dans les évaluations de rendement et a été estomaquée de l’entendre dire qu’elle espérait que la décision enseignerait une leçon à Mme Hager et Mme Henry, c’est-à-dire de ne pas insister trop sur les questions touchant les heures supplémentaires et les jours de repos. Mme Senchuk a déjà appelé Mme Henry en colère pour lui dire que le fait de ne pas avoir suivi la voie hiérarchique en communiquant avec M. Preston était une question reliée au rendement.

99 Mme Senchuk était la superviseure de Mme Henry sur le terrain. Elle savait ce qui se passait. Elle a rédigé son évaluation de rendement et a participé à la collecte de renseignements et à la formulation des recommandations. Son rôle était important compte tenu qu’aucun membre de l’équipe de direction n’était sur le terrain lorsque le travail était effectué. Même si elle n’était pas officiellement membre de l’équipe de la direction, en raison de ses fonctions de superviseure, elle agissait pour le compte du défendeur en ce qui concerne les intervieweurs sous sa responsabilité. Mme Senchuk était une passerelle vers la haute direction. Elle n’était pas physiquement dans la salle lorsque le défendeur a décidé de retirer les intervieweuses de l’équipe principale du Nord, mais l’information, influencée par son sentiment antisyndical, qu’elle a fournie a dû jouer un rôle. D’après le témoignage de Mme Karaganis, M. Preston a participé à la collecte de l’information sur laquelle M. Page a basé ses décisions au sujet de l’équipe principale du Nord. Il n’est tout simplement pas possible de penser que M. Preston, un gestionnaire de la collecte de données qui assumait ses fonctions depuis seulement cinq mois, ne se serait pas fié à l’information viciée provenant de Mme Senchuk et ne l’aurait pas transmise à la direction.

100 Les trois seules personnes qui ont été retirées de l’équipe principale du Nord étaient des représentantes actives de l’agent négociateur. Dans le cas de Mme Henry, son témoignage indique qu’elle insistait activement sur les questions touchant les heures supplémentaires et le travail le dimanche pendant la période ayant mené à son retrait de l’équipe. Ces efforts représentaient un problème pour le défendeur. En la retirant de l’équipe principale du Nord, le problème était réglé.

101 La seule conclusion qui peut être tirée de la preuve est que le défendeur ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir qu’il avait une raison opérationnelle légitime pour retirer les plaignantes de l’équipe principale du Nord. Cette mesure, prise dans son contexte, révèle plutôt un sentiment antisyndical. La Commission doit accueillir la plainte.

102 À titre de mesure de réparation, les plaignantes demandent à la Commission de déclarer que le défendeur a enfreint la Loi et de lui ordonner de publier la décision et d’en fournir des copies à tous les membres de l’équipe principale du Nord. Elles demandent également à la Commission d’ordonner aux parties de s’entendre sur des paiements appropriés aux plaignantes pour les dédommager pour les pertes découlant de leur retrait de l’équipe principale du Nord. Afin de régler tous différends pouvant survenir entre les parties, les plaignantes demandent à la Commission de demeurer saisie de l’affaire pendant 90 jours.

C. Réfutation du défendeur

103 Bien que le résultat ait été le retrait de trois employées, toutes des représentantes de l’agent négociateur, Mme Karaganis a affirmé que le défendeur avait désigné une autre employée, Mme Wiens, qui devait également être retirée de l’équipe. Or, lorsque le moment est venu de procéder à la rotation, personne n’était disponible pour remplacer Mme Wiens.

104 Même si les paroles de Mme Senchuk peuvent révéler un sentiment antisyndical, le défendeur répète que les opinions de celle-ci ne correspondent pas à celles de l’équipe de direction. Elle n’était aucunement autorisée à exprimer des sentiments pour le compte du défendeur et n’avait aucun pouvoir décisionnel. Le témoignage de Mme Karaganis a confirmé que les intervieweurs principaux ne participaient pas au processus de consultation menant à la décision de retirer des employés de l’équipe principale du Nord.

IV. Motifs

A. Question préliminaire — respect du délai pour le dépôt de la plainte en ce qui concerne Mme Woods

105 La plainte respecte le délai si les mesures ou les circonstances y ayant donné lieu se sont produites dans les 90 jours précédant la date du dépôt de la plainte, c’est-à-dire le 4 juin 2008. La Commission a confirmé à plusieurs occasions que le délai de 90 jours pour le dépôt d’une plainte, aux termes de l’article 190 de la Loi, est obligatoire et ne peut pas être modifié.

106 Le défendeur prétend que la plainte est hors délai en ce qui concerne Mme Woods parce que le délai de 90 jours, dans son cas, a commencé le 16 décembre 2007 ou autour de cette date, soit la date à laquelle elle a appris son retrait de l’équipe principale du Nord. Selon le défendeur, Mme Woods aurait dû dès lors savoir que la décision était fondée sur un sentiment antisyndical, d’autant plus qu’elle avait de l’expérience à titre de représentante locale de l’agent négociateur.

107 La thèse du défendeur est fondée. Cependant, je souscris au contre-argument des plaignantes voulant que la preuve spécifique en l’espèce exige que je comprenne les circonstances ayant donné lieu à la plainte d’une manière différente et plus nuancée. Plus particulièrement, j’accepte que la plainte soit essentiellement que la violation du sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi s’applique aux décisions du défendeur à l’égard des trois intervieweuses constituant un tout. La pratique déloyale de travail alléguée par les plaignantes est liée au fait qu’elles étaient toutes les trois des représentantes actives de l’agent négociateur et qu’elles ont été retirées de l’équipe principale du Nord en raison de leurs activités syndicales. Même si on m’a demandé de statuer sur le fond de la plainte en me fondant sur la preuve concernant l’expérience de Mme Henry, le contexte par rapport auquel je dois évaluer son expérience englobe l’expérience de ses deux collègues. La tendance alléguée à l’égard de la prise de décisions du défendeur est au cœur de la plainte.

108 Selon cette perspective, je suis convaincu que Mme Woods a pris pleinement connaissance des circonstances qui ont donné lieu à sa plainte seulement après avoir parlé à Mme Henry et Mme Hager et avoir appris qu’elles avaient toutes connu le même sort. Mme Woods aurait peut-être dû se méfier de la décision de la réaffecter à Kelowna lorsqu’elle l’a apprise en décembre 2007. Cependant, d’après la preuve non contredite, ce n’est qu’à la fin mars ou au début avril qu’elle a compris que son expérience s’inscrivait dans une tendance pouvant fonder une plainte. La plainte qu’elle a par la suite signée avec les autres a été déposée dans le délai de 90 jours après avoir pris connaissance de cette tendance.

109 Pour ce motif, je rejette l’objection du défendeur relativement au respect du délai pour le dépôt de la plainte en ce qui concerne Mme Woods.

B. Le fond de la plainte

110 La plainte exige que j’évalue les mesures prises par le défendeur par rapport à une violation potentielle du sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi, qui est libellé comme suit :

186. (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

Selon l’allégation que les plaignantes ont présentée à la Commission, le défendeur ou une personne agissant pour son compte ont fait preuve de distinction illicite à l’égard des plaignantes dans leur emploi en les retirant de l’équipe principale du Nord en raison de leur appartenance à une organisation syndicale ou de leurs activités comme représentantes de leur agent négociateur.

111 Comme la présente affaire fait intervenir le paragraphe 186(2) de la Loi, l’inversement de la charge de la preuve prévu au paragraphe 191(3) est enclenché. Cette disposition est libellée comme suit :

191. (3) La présentation par écrit, au titre du paragraphe 190(1), de toute plainte faisant état d’une contravention, par l’employeur ou la personne agissant pour son compte, du paragraphe 186(2), constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

112 Le défendeur maintient que son explication de la décision de retirer les plaignantes de l’équipe principale du Nord prouve qu’il a exercé son pouvoir de manière raisonnable en se basant sur son évaluation des exigences opérationnelles et des coûts. Compte tenu du paragraphe 191(3) de la Loi, il lui incombe de prouver cette explication, selon la prépondérance des probabilités, par rapport à l’allégation qu’il a agi par sentiment antisyndical. Comme en témoigne la jurisprudence de la Commission, l’absence d’une telle preuve, selon la prépondérance des probabilités, corrobore la présomption qu’il y a eu pratique déloyale de travail.

113 À mon avis, les deux parties ont exposé de manière efficace leurs thèses respectives quant à ce qui s’est passé en l’espèce. Il ne s’agit clairement pas d’une situation où la preuve et les arguments mènent irrésistiblement à une décision. Je n’ai aucune hésitation à dire que certains éléments de la preuve m’ont semblé inquiétants et me portent à croire que le sentiment antisyndical a effectivement joué un certain rôle dans ce milieu de travail. Cependant, la question est de savoir si la décision qu’on m’a demandé d’évaluer — le retrait de Mme Henry de l’équipe principale du Nord — était un prétexte déguisant un sentiment antisyndical ou si elle découlait d’une analyse non discriminatoire des besoins opérationnels n’enfreignant pas la Loi.

114 Les affaires de ce type font souvent appel à une preuve indirecte, à une évaluation du contexte et à une recherche des tendances sous-jacentes. Il est toujours difficile de regarder derrière les raisons invoquées dans le cadre d’une décision pour déterminer si d’autres facteurs ou influences sont réellement intervenus. Dans le scénario chargé dans lequel les plaignantes allèguent que la direction a pris des mesures de représailles contre un agent négociateur, ses membres ou ses représentants, la tâche est particulièrement ardue.

115 À mon avis, Mme McCreary et Mme Karaganis ont fourni des témoignages crédibles pour le compte du défendeur établissant des raisons opérationnelles légitimes pour la création et la dotation de l’équipe principale du Nord et pour rotation subséquente ayant entraîné le retrait des intervieweuses. En se fondant sur le témoignage de Mme McCreary, il n’est pas difficile de conclure que la création de l’équipe principale du Nord en 2006 était un exercice raisonnable du pouvoir du défendeur et que ce dernier a doté l’équipe de façon, notamment, à permettre aux employés comme Mme Henry d’éviter une mise en disponibilité. J’accepte le témoignage de Mme McCreary selon lequel l’offre initialement faite à Mme Henry, et aux autres, d’une affectation à une équipe spécialisée ne garantissait pas un travail permanent aux projets dans le Nord. Même si Mme Henry a pu comprendre que cela était le cas, la prépondérance de la preuve — notamment les points de discussion de Mme McCreary (pièce R-4) — décrit l’équipe principale du Nord comme un projet pilote dont la viabilité à long terme pourrait être ou serait évaluée si les circonstances le justifiaient.

116 Dans son témoignage, Mme Karaganis a exposé les raisons opérationnelles ayant mené à envisager la rotation d’intervieweurs au sein de l’équipe principale du Nord un an plus tard. Encore une fois, rien ne me permet d’associer la décision du défendeur de modifier son approche au titre des affectations pour le travail d’enquête dans le Nord à autre chose qu’à l’exercice raisonnable de son pouvoir. L’objectif de mettre au point un bassin élargi d’intervieweurs ayant l’expérience du travail d’enquête dans le Nord semble avoir été légitime et neutre. Les données concernant la charge de travail dont a fait état Mme Karaganis (pièce R-5) et son explication de la nature cyclique du travail de recensement dans le Nord étayent raisonnablement l’approche qu’a ultimement adoptée le défendeur. Même s’il existait une bonne raison d’interpréter ces données différemment ou de remettre en question la pertinence de la rotation des employés pour tenir compte de la nature cyclique du travail dans le Nord, le défendeur était parfaitement en droit de modifier sa stratégie de dotation pour l’équipe principale du Nord, voire d’abolir carrément l’équipe, dans la mesure où ses motifs n’enfreignaient pas la Loi. Tout compte fait, je n’ai rien trouvé dans la preuve qui m’amènerait à conclure que le concept de rotation au sein de l’équipe principale du Nord était en soi un prétexte cachant d’autres motifs.

117 Ma conclusion sur ce point est étayée par la chronologie. La preuve indique que la décision de procéder par rotation a été prise par M. Page, avec Mme Karaganis et Mme Welsh, au début septembre 2007 au plus tard. Rien dans la preuve n’indique que le défendeur a désigné des personnes en particulier devant être retirées de l’équipe principale du Nord à ce moment. Il a plutôt publié des critères afin d’augmenter le nombre d’employés ou d’effectuer une rotation entre les affectations du Nord et du Sud, en invitant les intervieweurs de la région de l’Ouest et des territoires du Nord à manifester leur intérêt (avis d’intérêt (pièce R-1)). Comme l’a expliqué Mme Karaganis, plusieurs candidats se sont manifestés, mais le défendeur a décidé de reporter la mise en œuvre de la rotation jusqu’au printemps 2008, après avoir déterminé que les candidats du Manitoba et de la Saskatchewan étaient encore nécessaires pour composer avec la charge de travail de l’hiver dans les emplacements du Sud. Cette preuve n’est pas contestée.

118 Selon Mme Karaganis, des exigences opérationnelles particulières sont apparues dans les mois précédant immédiatement la mise en œuvre retardée de la rotation au printemps 2008, ce qui a précipité les décisions au sujet des affectations des plaignantes. En ce qui concerne Mme Henry, Mme Karaganis a déclaré qu’un gestionnaire de la collecte de données du Manitoba a reçu des plans détaillés pour les enquêtes qui devaient être effectuées en 2008 et a déterminé qu’il devait combler une autre affectation à Winnipeg dans le secteur de Mme Henry. Mme Karaganis a affirmé que le défendeur avait le choix d’affecter Mme Henry à ce travail ou d’embaucher un nouvel intervieweur. Le défendeur a choisi la première option. Le nœud de l’affaire est de savoir si la décision a été prise pour des raisons organisationnelles légitimes ou si elle était reliée à un sentiment antisyndical.

119 Le défendeur a avisé Mme Henry de sa décision le 28 mars 2008. En raison de sa date, la décision semble s’inscrire dans un plan plus vaste pour la rotation au sein de l’équipe principale du Nord, qui a été reportée à l’automne. Bien qu’il soit également possible de concevoir la réaffectation de Mme Henry à un travail à Winnipeg comme une décision distincte fondée sur des circonstances survenues indépendamment, il semble subsister peu de doute que la rotation était généralement perçue comme étant la toile de fond de la décision du défendeur à l’égard de Mme Henry.

120 Je ne dispose d’aucune preuve précise au sujet de l’analyse du travail d’enquête devant être effectué à Winnipeg qui a entraîné la réaffectation de Mme Henry, pas plus que d’une preuve contraire pouvant me convaincre qu’il n’existait pas un besoin, à un certain point, de personnel pour effectuer du travail d’enquête dans le secteur de Winnipeg. Le nom du gestionnaire de la collecte de données du Manitoba qui a déterminé les besoins opérationnels qui mené au retour de Mme Henry dans son secteur de résidence n’a pas été produit en preuve non plus — il aurait pu s’agir de Mme Felix, de qui Mme Henry a relevé par la suite. Je note que M. Preston, le gestionnaire de la collecte de données avec qui Mme Henry aurait eu une relation difficile, a constamment été désigné comme étant le gestionnaire de la collecte de données pour l’équipe principale du Nord et non comme un gestionnaire de la collecte de données du Manitoba. Je dois conclure qu’il n’était pas la personne à avoir déterminé le besoin de personnel à Winnipeg.

121 Qui a pris la décision finale de retirer Mme Henry de l’équipe principale du Nord? Si cette décision s’inscrivait effectivement dans une décision plus large de procéder à une rotation au sein de l’équipe — comme porte à croire la prépondérance de la preuve — le témoignage de Mme Karaganis fournit une réponse précise. À son avis, Mme Welsh et M. Preston ont recueilli des renseignements et formulé des recommandations à la direction sur les membres qui seraient affectés à l’équipe ou retirés de celle-ci. M. Page a pris les décisions au cas par cas en se basant sur les justifications élaborées par les gestionnaires de la collecte de données et la gestionnaire du programme des IPAO. Mme Karaganis a déclaré qu’elle ne croyait pas que le gestionnaire de la collecte de données responsable de l’équipe principale du Nord ait consulté un intervieweur principal dans le cadre de ce processus.

122 Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je n’ai aucune raison de douter du fait que le lien avec le pouvoir décisionnel était tel que décrit par Mme Karaganis. Comme je l’ai mentionné, son témoignage m’a semblé entièrement franc et crédible. Rien dans sa description du processus ne porte à croire que les représentants principaux du défendeur, ayant exercé leur pouvoir de faire et de refaire l’équipe principale du Nord, ont agi sciemment pour d’autres motifs que des raisons opérationnelles légitimes. Il n’y a aucun signe que M. Page, Mme Welsh ou Mme Karaganis nourrissaient des sentiments antisyndicaux ou qu’ils ont été motivés par de tels sentiments. La preuve confirme qu’ils connaissaient bien les activités syndicales de Mme Henry et des autres plaignantes, mais non qu’ils ont tiré des conclusions défavorables de ces activités. Mme Henry a confirmé dans son témoignage avoir eu de bonnes relations avec les cadres supérieurs et avoir eu une expérience positive en ce qui a trait au règlement des problèmes qu’elle soumettait aux cadres supérieurs.

123 Si je devais conclure que les décisions du défendeur masquaient un sentiment antisyndical, ce ne serait que parce que les décideurs principaux se sont fiés à de des renseignements émanant d’autres personnes dont la contribution au processus était entachée d’un sentiment antisyndical. La preuve révèle deux candidats potentiels, M. Preston et Mme Senchuk.

124 M. Preston a fourni des commentaires au titre de la décision de retirer Mme Henry de l’équipe principale du Nord, comme l’a confirmé Mme Karaganis. Comme il n’a pas témoigné pour le défendeur, je ne peux qu’accepter le témoignage non contredit de Mme Henry concernant sa relation tumultueuse avec lui. Une interprétation raisonnable de la preuve porte à croire que M. Preston était probablement en désaccord avec les efforts continus de Mme Henry, voire même qu’il désapprouvait ses efforts, en qualité de représentante de l’agent négociateur pour défendre les intervieweurs de l’équipe principale du Nord relativement à des questions touchant la santé et la sécurité, la durée du travail et les heures supplémentaires. Il en est peut-être venu à avoir une opinion négative de Mme Henry en raison de ses activités de représentante. Cependant, la preuve ne m’amène pas plus loin. Le désaccord ou le malaise potentiel de M. Preston à l’égard des représentations faites par Mme Henry n’établit pas nécessairement qu’il a développé un sentiment antisyndical ou qu’il a agi en raison d’un tel sentiment. À mon avis, cela relève de la conjecture de prétendre que M. Preston ait pu profiter de l’occasion pour fournir aux cadres supérieurs, dans la période qui a mené à la mise en œuvre de la rotation au sein de l’équipe principale du Nord, de l’information ayant provoqué le retrait de Mme Henry en étant motivé par ce sentiment. Cette possibilité existe, mais je ne suis pas disposé à mettre en doute les raisons opérationnelles invoquées par le défendeur pour la réaffectation de Mme Henry en prenant appui sur cette possibilité hypothétique.

125 Le cas de Mme Senchuk est différent. Je n’ai pas à étudier d’autres éléments de preuve que le témoignage non contredit de Mme Granger au sujet de sa conversation avec Mme Senchuk, à la fin mars ou au début avril 2008, pour conclure que Mme Senchuk affichait un sentiment antisyndical à titre de superviseure de Mme Henry. Il est possible que Mme Senchuk ait un souvenir différent de cette conversation ou qu’elle lui donne une interprétation différente, mais je n’ai rien entendu de sa part. Ceci étant, les propos lui étant attribués, à savoir qu’elle espérait que cela servirait de leçon aux personnes qui insistaient trop pour obtenir ce qu’elles voulaient, révèle sans équivoque une attitude hostile à l’égard des activités de représentation des plaignantes. Un autre témoignage de Mme Henry au sujet de Mme Senchuk — comme sa réaction de dire qu’elle montrerait à ces dames ce que c’est que de travailler fort, lorsque Mme Henry a été incluse dans le voyage au Nord en juillet 2006 après s’être plainte d’en avoir été exclue — donne plus de crédibilité au portrait de Mme Senchuk comme une personne ayant de l’antipathie à l’égard de Mme Henry et qui a probablement agi en étant motivé par ces sentiments. L’autre preuve non contredite selon laquelle Mme Senchuk a rédigé l’évaluation de rendement de Mme Henry qui, selon Mme Henry et comme l’a confirmé Mme Granger, reposait sur des calculs des coûts que Mme Senchuk savait ou aurait dû savoir étaient incorrects, renforce ma préoccupation.

126 Quelle est l’incidence de la preuve concernant Mme Senchuk aux fins de déterminer la nature de la décision du défendeur de retirer Mme Henry de l’équipe principale du Nord? Mme Senchuk n’a de toute évidence pas participé au processus décisionnel officiel, et elle n’a joué aucun rôle ou n’a assumé aucun pouvoir de direction. M. Preston, qui a participé au processus et qui était le gestionnaire de la collecte de données qui supervisait Mme Senchuk, aurait pu avoir été exposé aux points de vue de Mme Senchuk à l’égard de Mme Henry. Pour sa part, Mme Karaganis a témoigné qu’elle estimait qu’il n’aurait pas été approprié qu’un gestionnaire de la collecte de données consulte un intervieweur principal avant de recommander des affectations. Elle était également d’avis que M. Preston n’avait pas consulté Mme Senchuk dans le cas de la décision relative à la rotation au sein de l’équipe principale du Nord. Même si je devais conclure le contraire (sans preuve corroborante), je suis encore une fois confronté à un problème. S’il s’agissait de conjecture que d’affirmer que la contribution de M. Preston au processus décisionnel concernant les rotations était entachée d’un certain sentiment antisyndical, en sa basant sur son expérience avec Mme Henry, il relève à tout le moins d’un niveau encore plus élevé de conjecture de soutenir que le sentiment antisyndical de Mme Senchuk a vicié l’information qu’il a transmise aux cadres supérieurs — et que cette information a motivé la décision des cadres supérieurs. Ici encore, j’estime que j’irais trop loin en doutant des raisons opérationnelles invoquées par le défendeur pour réaffecter Mme Henry en me basant sur une telle conjecture.

127 Je me penche maintenant sur trois autres questions qui, selon les prétentions des plaignantes, militent en faveur d’une conclusion qu’il existait un sentiment antisyndical : 1) la décision de retirer Mme Henry ne respectait pas les propres critères du défendeur concernant la rotation; 2) les seules personnes qui ont été retirées de l’équipe principale du Nord étaient des militantes de l’agent négociateur et 3) aucune réponse n’a été donnée pour expliquer pourquoi le défendeur a choisi de réaffecter Mme Henry au lieu de Mme Granger.

128 La première proposition semble comporter deux grands aspects, à savoir qu’il n’y avait aucun plan pour l’affectation immédiate de Mme Henry lorsqu’elle est retournée à Winnipeg et que l’affectation de nouveaux membres à l’équipe principale du Nord n’était pas conforme aux facteurs de l’emplacement géographique et des coûts énoncés dans l’avis d’intérêt de Mme Welsh (pièce R-1).

129 La lettre que Mme Felix a envoyée à Mme Henry, datée du 26 juin 2008 (pièce C-5), expliquait comme suit la pénurie d’affectations lorsqu’elle est retournée à son lieu de résidence :

[Traduction]

[…]

[…] En fin de compte, le moment n’était pas très bien choisi parce qu’il se situait entre les cycles de collecte aux fins de l’ESCC et que tous les dossiers pour le cycle de mars-avril avaient été attribués, ce qui comprend les dossiers dans le secteur auquel vous deviez être affectée. Par conséquent, nous avons discuté de divers secteurs de la ville dans lesquels vous aviez déjà travaillé ou que vous connaissiez. Le but étant de trouver du travail provisoire pour le mois d’avril jusqu’au début du nouveau cycle de l’ESCC, auquel moment vous seriez affectée à un travail régulier. […]

[…]

130 Les plaignantes n’ont pas contesté directement la véracité de l’explication donnée par Mme Felix. Cependant, compte tenu du témoignage de Mme Henry au sujet de sa discussion avec Mme Felix concernant les nouvelles affectations, il y a lieu de se demander si le moment choisi par le défendeur pour retirer Mme Henry de l’équipe principale du Nord était logique au plan opérationnel. Il y a également lieu de conclure que la nomination des membres en remplacement au sein de l’équipe principale du Nord ne respectait pas pleinement les critères régissant les décisions au titre de la rotation énoncés dans l’avis d’intérêt (pièce R-1). Sur ce point, le témoignage de Mme Henry, selon lequel un ou plusieurs nouveaux membres de l’équipe principale du Nord ne résidaient pas à proximité d’un grand aéroport et devaient séjourner une nuit à l’hôtel avant leur départ vers le Nord, a une certaine pertinence.

131 Est-ce que le fait d’admettre que la preuve révèle certaines incohérences opérationnelles dans la décision du défendeur me permet d’affirmer que les raisons invoquées pour retirer Mme Henry de l’équipe principale du Nord étaient un prétexte? Tout compte fait, je ne crois pas. Le défendeur a décidé de procéder à la rotation après la saison des enquêtes d’hiver et, peut-être pas de façon fortuite, à la fin de l’exercice. Le choix du moment n’a peut-être pas été tout à fait idéal pour chacun des intervieweurs, mais la preuve décrivant la décision comme étant artificielle ou sans fondement opérationnel n’est pas solide. Par ailleurs, il est possible que le défendeur ne se soit pas conformé de manière stricte aux critères publiés pour le processus de rotation lorsqu’il a choisi les remplaçants au sein de l’équipe principale du Nord, mais Mme Karaganis a témoigné qu’il restait seulement deux intervieweurs du bassin de candidats aux fins de rotation lorsque le moment est venu de mettre en œuvre le processus. Dans ces circonstances, je ne trouve pas surprenant que le défendeur n’ait pas appliqué de manière uniforme ses critères de sélection.

132 L’argument selon lequel les seules personnes ayant été retirées de l’équipe principale du Nord étaient des militants de l’agent négociateur comporte deux faiblesses. Premièrement, Mme Karaganis a démontré que Mme Wiens, qui n’était pas une militante, a également été désignée par le défendeur comme candidate à l’exclusion de l’équipe principale du Nord. Son explication non contestée des raisons ayant amené le défendeur à la maintenir au sein de l’équipe principale du Nord — il n’y avait pas de travail dans son lieu de résidence et aucun remplaçant ne pouvait être trouvé pour elle — est compatible avec un processus décisionnel fondé sur des exigences opérationnelles. Deuxièmement, Mme Karaganis a déclaré que, pour ce qui est de Mme Woods, elle a agi en croyant que Mme Woods était toujours intéressée à travailler dans le Sud, comme elle l’avait indiqué dans un courriel. Même si le témoignage de Mme Woods établit vraisemblablement que Mme Karaganis faisait erreur, je ne crois pas qu’il me permette d’aller aussi loin que de conclure à l’existence d’un sentiment antisyndical. La preuve la plus convaincante établit un lien entre la décision prise par le défendeur en décembre 2007 de renvoyer Mme Woods à Kelowna et le besoin de combler immédiatement des affectations (pièces R-6 et R-7). Dans son propre témoignage, Mme Woods a dit avoir commencé à travailler à l’enquête sur l’origine et la destination des marchandises transportées par camion et à l’enquête sur l’indice des prix à la consommation dès son retour de formation. Encore une fois, ce qui s’est réellement produit semble avoir été compatible avec les raisons opérationnelles invoquées par le défendeur.

133 Il me reste à trancher la question de l’absence d’une réponse pour expliquer pourquoi le défendeur a choisi de réaffecter Mme Henry au lieu de Mme Granger aux enquêtes dans leur lieu commun de résidence. À l’instar des plaignantes, j’estime qu’il y a une brèche dans la preuve. Cependant, je ne suis pas en mesure de déterminer son importance sans en savoir plus sur la manière dont le défendeur a pris sa décision au sujet des affectations de Mme Granger.

134 En résumé, j’ai examiné divers aspects de la preuve ayant amené les plaignantes à prétendre que la décision du défendeur de retirer Mme Henry de l’équipe principale du Nord était motivée par un sentiment antisyndical, au lieu des raisons opérationnelles invoquées. Comme je l’ai mentionné au début des présents motifs, les deux parties ont soumis des arguments efficaces. En définitive, ma tâche est de pondérer les descriptions divergentes de ce qui est arrivé à Mme Henry et de décider si le défendeur a bien établi sa preuve, selon la prépondérance des probabilités, tel qu’il est prévu au paragraphe 191(3) de la Loi.

135 Je crois que toute personne raisonnable étant exposée à la preuve trouvera une raison de remettre en question les motifs de l’une ou l’autre des personnes visées par la présente affaire, comme l’ont fait les plaignantes lorsqu’elles ont décidé de soumettre leurs préoccupations à la Commission. Comme je l’ai souligné, par exemple, les propos attribués à la superviseure de Mme Henry revêtaient plus qu’une simple suggestion de sentiment antisyndical. D’autres aspects de la preuve portent à croire que, dans la mise en œuvre de ses solutions de dotation, le défendeur ne s’est pas toujours conformé pleinement aux critères énoncés pour répondre aux exigences opérationnelles. Par ailleurs, le facteur peut-être le plus compréhensible est qu’il demeure dans le résultat — le retrait de trois militants de l’agent négociateur — l’apparence extérieure de quelque chose de troublant. Cependant, le résultat final est que, selon la prépondérance de la preuve, et malgré les préoccupations soulevées par les plaignantes, la version du défendeur de ce qui s’est produit demeure plus convaincante que l’affirmation qu’il a agi en étant motivé par un sentiment antisyndical.

136 Je préfère la position du défendeur. Je conclus que les cadres supérieurs du défendeur qui ont participé le plus étroitement à la décision de retirer Mme Henry de l’équipe principale du Nord, ou qui ont pris cette décision, ont exercé leur pouvoir pour des motifs fondés sur l’évaluation des exigences opérationnelles et des coûts. Bien qu’il y ait lieu de se demander si le retrait de Mme Henry de l’équipe, ou le moment de celui-ci, était la meilleure décision compte tenu des exigences opérationnelles et des coûts, il n’en demeure pas moins, tout bien considéré, qu’il s’agissait d’une décision opérationnelle légitime. Les arguments contraires n’étaient pas assez solides pour faire pencher la balance. Les éléments de preuve produits par le défendeur concernant la nature de ses activités et les facteurs dont il a tenu compte pour prendre ses décisions ont répondu, à ma satisfaction, à la majorité des questions posées pour le compte des plaignantes. Lorsqu’une question est demeurée sans réponse, je n’ai pas été convaincu que l’incertitude en découlant remettait sérieusement en doute la preuve du défendeur.

137 Comme il a été entendu que je trancherais cette affaire en me fondant sur la preuve relative à l’expérience de Mme Henry, je conclus que le défendeur a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a agi pour des motifs autres qu’un sentiment antisyndical à l’égard des plaignantes.

138 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

139 L’objection du défendeur relativement au dépôt hors délai de la plainte de Mme Woods est rejetée.

140 La plainte est rejetée.

Le 15 juin 2011.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
commissaire

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