Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé a allégué que l'Agence du revenu du Canada (l’<<employeur>>) avait refusé à tort sa demande de congé de rendement de gestion (CRG) - l'employeur a maintenu qu’il n'avait pas satisfait aux critères relatifs au CRG et qu'aucune mesure disciplinaire n'avait été prise - l'agent négociateur a refusé de représenter le fonctionnaire s'estimant lésé à l'arbitrage, et l'employeur a soulevé une objection préliminaire pour cette raison - il a fait valoir que le grief portait sur l'interprétation et l'application de la convention collective, et non pas sur une mesure disciplinaire, et que l'approbation de l'agent négociateur était nécessaire pour renvoyer le grief à l'arbitrage, conformément à l'article209 de la nouvelle LRTFP - l'employeur a aussi allégué que le fonctionnaire s'estimant lésé avait essayé de redéfinir son grief comme un grief portant sur une mesure disciplinaire, ce qui va à l'encontre du principe établi dans Burchill - le fonctionnaire s'estimant lésé a mentionné que son grief portait sur une mesure disciplinaire déguisée, et que la modification du libellé lors du passage de l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (ancienne LRTFP) à la nouvelle LRTFP faisait en sorte d'élargir la compétence des arbitres de grief concernant les cas de nature disciplinaire - l'arbitre de grief a retenu l'objection de l'employeur relativement à sa compétence - il a conclu que le grief relevait de l'alinéa209(1)a) de la nouvelle LRTFP et que l'approbation de l'agent négociateur était donc nécessaire - il a jugé qu'il n'y avait aucune raison de conclure que le refus de CRG constituait en fait une mesure disciplinaire déguisée entraînant une sanction pécuniaire - même si le fonctionnaire s'estimant lésé a subi une perte financière à la suite du refus du CRG, cela ne constitue pas une sanction pécuniaire - la modification du libellé découlant du passage de l'ancienne LRTFP à la nouvelle LRTFP n'a pas fait en sorte d'élargir la compétence des arbitres de grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-06-03
  • Dossier:  566-34-3288
  • Référence:  2011 CRTFP 75

Devant un arbitre de grief


ENTRE

STANLEY BAHNIUK

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Bahniuk c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Allen Ponak, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 décembre 2010 et les 20 et 21 janvier 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Stanley Bahniuk (le « fonctionnaire »), est un employé de l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur »). Il a déposé un grief le 7 juillet 2009, alléguant qu’une demande de congé de rendement de gestion (CRG) avait été rejetée de façon inappropriée. Après avoir été rejeté aux différents paliers de la procédure de règlement des griefs, le grief a été renvoyé à l’arbitrage par le fonctionnaire, conformément à l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Comme l’agent négociateur du fonctionnaire a refusé de représenter le fonctionnaire à l’arbitrage, l’employeur a soulevé une objection préliminaire. Il a fait valoir que le grief portait en réalité sur l’interprétation ou l’application de la convention collective pertinente. De plus, il a souligné que les griefs de ce genre ne pouvaient pas être renvoyés à l’arbitrage sans l’autorisation de l’agent négociateur, puisqu’ils excédaient la compétence de l’arbitre de grief. La convention collective en question a été conclue entre l’employeur et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Exécution des programmes et des services administratifs (la « convention collective »); elle expire le 31 octobre 2012.

2 Les parties ont convenu que l’objection préliminaire pouvait être décidée par voie de représentations écrites. Des arguments ont été reçus le 22 décembre 2010 et les 20 et 21 janvier 2011. Après en avoir pris connaissance, j’ai admis l’objection de l’employeur en statuant que je n’avais pas compétence pour entendre et trancher la question soulevée dans le grief, soit le rejet de la demande de CRG. Ma décision a été transmise à la CRTFP, qui en a avisé les parties dans un bref courriel. J’expose ci-après les motifs de cette décision.

II. Le grief et la réponse de l’employeur

3 Le grief (pièce 1) est formulé comme suit :

[Traduction]

Détails

Je conteste la décision déraisonnable et arbitraire de mon employeur de rejeter ma demande de congé de rendement de gestion, ce qui équivaut en réalité à une sanction pécuniaire pour le cycle se terminant le 31 mars 2009, en violation de la clause 54.03a) de ma convention collective (convention collective conclue entre l’Agence du revenu du Canada et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Exécution des programmes et des services administratifs).

J’estime que la notation est le résultat de mesures discriminatoires et arbitraires continuelles et de longue durée et d’une décision de mauvaise foi de la part de la haute direction de l’Agence du revenu du Canada. J’estime de plus que M. Yestrau n’était pas en mesure d’évaluer mon rendement en matière de gestion efficace des personnes, car ni lui ni moi n’avions une idée précise des paramètres qui s’appliquaient; la rétroaction qu’il m’a donnée est que j’avais eu un rendement exemplaire. J’estime que la haute direction a agi de façon délibérée, punitive et malveillante et que cela est la répétition de mesures qu’elle a imposées dans le passé. Ces actes ne visent aucunement à corriger des problèmes de rendement ou de gestion efficace des personnes; il s’agit plutôt de mesures punitives et d’actes de harcèlement continuels.

[…]

Mesure corrective

[…]

Une déclaration que la haute direction a agi de manière discriminatoire et de mauvaise foi à mon égard.

[…]

Un nouveau rapport d’évaluation de l’employé pour la période se terminant le 31 mars 2009 décrivant explicitement mes nombreuses réalisations malgré les restrictions imposées par l’employeur et des difficultés qui débordent le cadre de ma description de travail et dépassent celles auxquelles mes collègues font face. Une cote qui tient compte de mes réalisations.

Un congé de rendement et tous les autres avantages auxquels j’ai droit dans la situation actuelle.

[…]

Les services d’un conseiller juridique pour mettre un terme au harcèlement continuel.

[…]

4 L’employeur a rejeté le grief dans ses réponses écrites aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs (pièce 2). Les deux réponses étaient sensiblement identiques. L’employeur a indiqué que le fonctionnaire [traduction] « […] n’avait fourni aucun renseignement complémentaire pour prouver qu’il satisfaisait aux critères établis pour obtenir un congé de rendement de gestion. » L’employeur a également écrit : [traduction] « Je tiens également à vous aviser qu’une sanction pécuniaire ne peut être portée à l’arbitrage que si elle résulte d’une mesure disciplinaire (par exemple, une suspension non payée). Dans ce cas-ci, aucune mesure disciplinaire n’a été imposée. »

III. La convention collective

5 La disposition applicable de la convention collective est libellée comme suit :

54.03 Congé de rendement de gestion

a)       Sous réserve des critères établis dans les Lignes directrices de l’ARC sur la gestion du rendement pour les membres du groupe Management/Gestion (MG) de l’Employeur, les employé-e-s qui effectuent les tâches MG au cours de la période annuelle d’évaluation, seront éligibles à recevoir jusqu’à soixante-quinze (75) heures de congé de rendement de gestion pour leur gestion des personnes selon leur évaluation de rendement annuelle.

b)       Les congés prévus au présent article seront approuvés sous réserve des nécessités de service.

c)       À la fin d’une année financière donnée, ou à la fin de la période d’emploi à l’ARC, la partie des crédits accumulés et inutilisés de congé de rendement de gestion sera automatiquement convertie en congés annuels, sous réserve des dispositions de l’article 34, Congé annuel payé.

IV. La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

6 Les dispositions pertinentes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP)sont les suivantes :

[…]

209.(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i)       la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii)      la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

[…]

V. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

7 L’employeur a avancé deux arguments au soutien de son objection préliminaire. Dans un premier temps, il a fait valoir ceci :

[Traduction]

[…] il est évident que le grief ne porte pas sur une question visée à l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique(LRTFP). Il porte plutôt sur une question visée à l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP. Afin de renvoyer ce type de grief à l’arbitrage, le fonctionnaire s’estimant lésé doit avoir l’appui de son agent négociateur, ce qui n’est pas le cas. Par conséquent, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) n’a pas compétence pour instruire ce grief. [Tiré de la page 1 des arguments écrits de l’employeur du 22 décembre 2010]

8 À l’appui de cette position, l’employeur a cité : Hanna c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien),2009 CRTFP 94; Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112; Rogers c. Agence du revenu du Canada, 2010 CAF 116; Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2005 CRTFP 177; Pieters c. Conseil du Trésor (Cour fédérale du Canada),2001 CRTFP 100; Lee c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments),2008 CRTFP 5.

9 En deuxième lieu, l’employeur a déclaré que [traduction] « […] subsidiairement, la tentative du fonctionnaire de modifier la nature de son grief en une mesure disciplinaire va à l’encontre du principe établi dans Burchill. La CRTFP devrait refuser d’instruire le grief. » On a alors cité : Hanna; Burchill c. Procureur général du Canada,[1981] 1 C.F. 109 (C.A.); Babiuk et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CRTFP 51; Laughlin Walker c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 62.

B. Pour le fonctionnaire

10 Le fonctionnaire a admis que son grief portait en partie sur l’application ou l’interprétation de la clause 54.03 de la convention collective et que, sans l’appui de l’agent négociateur, cet aspect du grief ne pouvait pas être renvoyé à l’arbitrage. L’allégation selon laquelle : [traduction] « [...] M. Yestrau n’était pas en mesure d’évaluer mon rendement en matière de gestion efficace des personnes, car ni lui ni moi n’avions une idée précise des paramètres qui s’appliquaient. La rétroaction qu’il m’a donnée est que j’avais eu un rendement exemplaire » (pièce 1) entrait dans cette catégorie, selon le fonctionnaire.

11 Par ailleurs, le fonctionnaire a défendu la position que le reste du grief portait sur une [traduction] « […] tentative déguisée de la part de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire […] » et que cet aspect relevait de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. À ce titre, le fonctionnaire a fait valoir qu’il n’était pas obligé d’obtenir l’appui de son agent négociateur pour renvoyer cet aspect du grief à l’arbitrage. Il a attiré mon attention sur une plainte de harcèlement qu’un gestionnaire avait déposée contre lui et qui avait été retirée par la suite et sur une suspension disciplinaire de trois jours faisant l’objet d’un autre grief qui n’avait pas encore été tranché à l’arbitrage. Le raisonnement du fonctionnaire est exposé comme suit (tiré de la page 2 de ses arguments écrits datés du 20 janvier 2011) :

[Traduction]

[…] cet aspect de mon grief ne porte pas sur l’interprétation ou l’application des dispositions relatives au congé de rendement de gestion. Si la mention de l’échange avec la haute direction est supprimée du rapport d’évaluation du rendement [l’allégation de harcèlement], il s’ensuit alors que selon les lignes directrices établies par l’employeur, je devrais avoir droit à un congé de rendement, puisque j’ai dépassé les attentes au titre d’au moins une des compétences en gestion efficace des personnes sur lesquelles mon évaluation a porté. Cet aspect du grief porte sur une mesure disciplinaire déguisée qui ne représente qu’une des nombreuses mesures qui ont été prises pour tenter de mettre à l’écart et démotiver moi-même et ma carrière à l’Agence du revenu du Canada. Une chose est sûre, si l’arbitre de grief conclut que la mesure disciplinaire en question n’est pas fondée, il y a alors d’excellentes raisons pour ne pas en faire mention dans le rapport d’évaluation. Même s’il est déterminé que la mesure disciplinaire était fondée, il n’en reste pas moins que selon les lignes directrices établies par l’employeur, une mesure disciplinaire ne peut être imposée qu’une seule fois et non pas à répétition. Or, j’ai reçu deux fois une mesure disciplinaire pour la même chose. Faute de pouvoir contester cette mesure disciplinaire déguisée, je ne pourrai jamais obtenir réparation pour la sanction que j’ai reçue.

12 Le fonctionnaire a également soulevé un deuxième argument relativement à une modification qui a été apportée au libellé de l’ancien article 92, lorsque l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, a été abrogée et remplacée par la nouvelle LRTFP en 2005. Il a observé qu’à la fin de la première phrase du texte anglais du paragraphe 209(1), l’expression « with respect to » a été remplacé par « related to ». Le passage suivant est tiré de la page 4 de ses arguments du 19 janvier 2011 :

[Traduction]

[…] le remplacement de l’expression « with respect to » par l’expression « related to » dans la loi permet à la Commission d’élargir la portée de l’examen auquel elle peut et devrait se livrer pour statuer sur des questions d’ordre disciplinaire. Le principe énoncé dans Burchill a été rendu en vertu de l’ancienne loi et j’estime qu’appliquer ce principe et la jurisprudence correspondante fondée sur cette décision de manière rigide équivaut à faire abstraction de l’objectif de la législation qui est d’élargir la portée de l’examen auquel la Commission peut se livrer. [Tiré de la page 4 des arguments écrits du fonctionnaire]

C. Réplique de l’employeur

13 L’employeur a répondu que, pour l’essentiel, le grief et la preuve du fonctionnaire [traduction] « […] demeurent fondés sur le rejet de la demande de congé de rendement de gestion […] » (tiré de la page 2 de la réponse écrite de l’employeur datée du 21 janvier 2011) et que, de ce fait, le litige continuait de porter sur l’interprétation ou l’application de la clause 54.03 de la convention collective. Pour ce qui est de la mesure disciplinaire déguisée, l’employeur a fait valoir qu'aucune sanction pécuniaire n’avait été imposée au sens de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP et que le rejet de la demande de CRG ne constituait aucunement une mesure disciplinaire implicite ou directe. Enfin, l’employeur a souligné que de nombreuses décisions ont été rendues sous le régime de la LRTFP depuis 2005 et que ces décisions, dont certaines sont citées dans ses arguments initiaux, [traduction] « […] continuent de mettre en évidence et d’appliquer le principe énoncé dans Burchill » (tiré de la page 2 de la réponse écrite de l’employeur).

VI. Motifs

14 Après avoir examiné les arguments et l’autorité de l’employeur et du fonctionnaire, j’ai conclu que l’objection préliminaire de l’employeur quant à ma compétence devait être admise. Ainsi, je n’ai pas compétence pour me prononcer sur le bien-fondé du présent grief.

15 Pour en arriver à une décision, j’ai accepté l’argument de l’employeur selon lequel le grief relevait de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP. Pour qu’un grief présenté en vertu de cet alinéa puisse être renvoyé à l’arbitrage, l’agent négociateur doit approuver le renvoi et fournir une représentation. Il est acquis que l’agent négociateur n’a ni approuvé le renvoi ni fourni une représentation dans la présente affaire; or, faute d’approbation et de représentation, un grief relevant de l’alinéa 209(1)a) ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage.

16 Essentiellement, le fonctionnaire a défendu la position qu’un seul aspect du grief relevait de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP et que le refus de la demande de CRG constituait une mesure disciplinaire déguisée qui pouvait dès lors être renvoyée à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b), avec ou sans l’approbation de l’agent négociateur. Le fonctionnaire a allégué dans son grief que le refus de la demande de CRG était le résultat du processus décisionnel arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi que l’employeur avait appliqué. Il a également accusé l’employeur d’avoir pris délibérément une mesure punitive et malveillante et il a affirmé que c’était [traduction] « […] la répétition de mesures qu’elle a imposées dans le passé ». Le terme « répétition » renvoie à une suspension disciplinaire de trois jours (faisant l’objet d’un autre grief qui n’a pas encore été tranché à l’arbitrage) et à une plainte de harcèlement qui a été déposée contre le fonctionnaire mais qui a été retirée par la suite.

17 Avec tout le respect que je dois au fonctionnaire, rien ne me permet de conclure que le refus de la demande de CRG équivalait en fait à une mesure disciplinaire déguisée ayant entraîné une sanction pécuniaire, ce qui autoriserait son renvoi à l’arbitrage aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Cette disposition indique que la mesure disciplinaire doit avoir entraîné « […] le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». Aucune allégation n’a été formulée selon laquelle le refus de la demande de CRG pourrait être considéré comme une mesure entraînant le licenciement, la rétrogradation ou la suspension. Par conséquent, le seul autre type possible de mesure disciplinaire que le fonctionnaire pouvait prétendre s’être fait imposer est une sanction pécuniaire, compte tenu de la valeur pécuniaire du CRG.

18 La jurisprudence fait une distinction entre une sanction pécuniaire et une perte financière et indique expressément que ces termes ne sont pas synonymes (voir Rogers et Chafe et al.). Par exemple, le retard dans la mise en œuvre d’un changement de classification peut entraîner une perte financière, mais cela ne serait pas suffisant pour conclure que la perte équivaut à une mesure disciplinaire (voir Laughlin Walker et Babiuk et al.). Je conclus que, même si le refus de la demande de CRG a entraîné une perte financière, le grief ne porte pas pour autant sur une mesure disciplinaire visée à l’alinéa 209(1)b). Accepter la position du fonctionnaire pourrait avoir pour effet de transformer en questions disciplinaires toutes les décisions portant sur des questions pécuniaires relevant de l’application de la convention collective. Les employeurs prennent d’innombrables décisions discrétionnaires, en application des conventions collectives, qui ont des conséquences pécuniaires — l’approbation des congés de maladie, le calcul des années d’emploi, l’évaluation du rendement, la détermination de l’admissibilité à la formation, le traitement des demandes de reclassification, les mutations et les promotions, et la détermination des indemnités de poste isolé et autres, pour n’en mentionner que quelques-unes.

19 Il est impossible que l’objectif visé par la convention collective ou par la loi soit de permettre aux employés de qualifier de mesure disciplinaire toute décision malvenue de l’employeur, simplement sur la base que la décision a eu une incidence pécuniaire négative ou a été prise de mauvaise foi. Pour contester les décisions de ce genre, il faut alléguer que la direction a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable. Cela pourrait avoir comme conséquence de révéler ou non que la décision était déraisonnable. Mais dans le cas qui nous intéresse, le litige porte sur l’interprétation ou l’application de la convention collective plutôt que sur une mesure disciplinaire. Il s’agit alors de déterminer si le processus décisionnel qui a été appliqué et les éléments qui ont été examinés constituaient une application raisonnable de la disposition de la convention collective en cause. Les questions de ce genre peuvent faire l’objet de griefs et être renvoyées à l’arbitrage (à la condition qu’il n’existe aucun autre obstacle d’ordre contractuel ou juridique) aux termes de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP, dans la mesure où l’agent négociateur donne son accord. À vrai dire, c’est exactement de cette manière que le fonctionnaire a procédé dans le passé. Avec l’approbation et la représentation de l’agent négociateur, il a déposé des griefs pour contester le refus d’une demande de CRG en 2001 et en 2002 et les a portés à l’arbitrage par la suite (voir Bahniuk, 2005 CRTFP 177).

20 Si l’on applique ces principes au cas qui nous concerne, je suis convaincu que le grief porte réellement sur la raison pour laquelle l’employeur a refusé d’accorder au fonctionnaire le CRG auquel il estimait avoir droit. Le fonctionnaire pouvait contester ce refus en remettant directement en cause le processus décisionnel appliqué par la direction. À première vue, c’est exactement le rôle de ce grief. Il est fort possible que l’employeur ait basé sa décision de refuser la demande de CRG sur la mesure disciplinaire qui avait été imposée au fonctionnaire dans le passé et sur la plainte de harcèlement dont il a été l’objet. Cependant, le caractère raisonnable des facteurs et du processus que l’employeur a appliqué pour refuser la demande de CRG est une question qui a trait à l’interprétation ou à l’application de la clause 54.03 de la convention collective. Sans l’approbation de l’agent négociateur du fonctionnaire, les questions ayant trait à l’interprétation ou à l’application de la convention collective ne peuvent pas être renvoyées à l’arbitrage. Malheureusement pour le fonctionnaire, son agent négociateur a refusé de lui fournir une représentation et de lui donner son accord relativement au grief. Il s’ensuit qu’il ne peut pas renvoyer à l’arbitrage son allégation voulant que sa demande de CRG ait été refusée de manière inappropriée.

21 En somme, j’ai rejeté l’allégation du fonctionnaire selon laquelle les modifications apportées au libellé de l’article 209, lorsque la LRTFP a été édictée en 2005, rendent inapplicable la jurisprudence établie avant 2005. De nombreux cas entendus depuis 2005 ont établi une distinction entre les griefs portant sur des mesures disciplinaires qui sont visés à l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP et les griefs portant sur l’interprétation ou l’application de la convention collective qui sont visés à l’alinéa 209(1)a) (voir Laughlin Walker, Chafe et al. et Hanna). Ayant adopté le raisonnement contenu dans ces décisions, rien ne me permet de conclure que les modifications qui ont été apportées au libellé de l’article 209, en 2005, devraient avoir un résultat différent.

22 Pour terminer, je note que le fonctionnaire a déposé un autre grief pour contester la suspension de trois jours qui, selon lui, serait en partie responsable du refus de la demande de CRG. L’arbitre de grief nommé pour instruire ce grief est la personne désignée pour examiner le motif valable de cette mesure disciplinaire et de la question de la mesure de réparation applicable (si le grief est accueilli en totalité ou en partie). Ces questions excèdent ma compétence dans la présente affaire.

23 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

24 Le grief est rejeté.

Le 3 juin 2011.

Traduction de la CRTFP

Allen Ponak,
arbitre de grief

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