Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant était candidat à un poste de contremaître charpentier dans un processus de nomination annoncé. Un autre candidat a été retenu pour le poste et s’est vu offrir une proposition de nomination. Le plaignant a formulé à l’encontre de l’intimé des allégations d’abus de pouvoir dans le choix et l’application des méthodes d’évaluation, et de favoritisme à l’égard du candidat reçu. Il a ajouté que l’intimé n’a pas tenu compte de ses besoins dans la fixation de la date de l’entrevue. Décision Le Tribunal a jugé que l’intimé a commis un certain nombre d’erreurs graves dans l’évaluation des candidats. Un seul résultat global a servi à l’évaluation de deux qualifications essentielles durant l’entrevue. Les candidats pouvaient donc obtenir la note de passage pour l’évaluation globale des deux qualifications sans pour autant avoir démontré qu’ils possédaient chacune d’elles individuellement. Cette méthode d’évaluation allait à l’encontre de l’article 30(2)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, qui stipule qu’il doit être prouvé à la satisfaction de la Commission de la fonction publique ou de l’administrateur général que la personne à nommer possède chacune des qualifications essentielles pour le poste. Une deuxième erreur de l’intimé consistait à ne poser au cours de l’entrevue aucune question visant à évaluer l’une des qualifications essentielles liées aux capacités. Une autre erreur venait du fait que l’intimé a évalué une qualification essentielle liée aux capacités sur la base de réponses à une des questions. Le Tribunal a estimé qu’il n’y avait pas de lien clair entre la question et la capacité essentielle à évaluer. En fin de compte, le Tribunal a conclu que l’intimé avait fait preuve de négligence dans la conception et l’application de sa méthode d’évaluation. L’intimé n’a pas établi que le candidat reçu a été évalué par rapport à toutes les qualifications essentielles et qu’il les possédait toutes. Cette négligence était suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir. Pour ce qui concerne les allégations de favoritisme, le Tribunal a estimé que le plaignant n’a pas démontré que le favoritisme personnel avait été un facteur dans la décision de l’intimé de choisir le candidat retenu. S’agissant de la question des besoins du plaignant, ce dernier a fait valoir qu’en raison de la naissance de son enfant deux jours avant l’entrevue il ne se sentait pas tout à fait dans son assiette, et cette situation se serait répercutée sur sa prestation à l’entrevue. Néanmoins, vu que le plaignant n’a pas démontré qu’il avait sollicité le report de son entrevue, il n’y avait aucune preuve d’abus de pouvoir de la part de l’intimé pour défaut de prise en compte des besoins du plaignant dans la fixation de la date de l’entrevue. Plainte accueillie. Le Tribunal a ordonné à l’administrateur général de ne pas nommer le candidat retenu au poste de contremaître charpentier sur la base de ce processus de nomination. Au cas où ce dernier aurait déjà été nommé, le Tribunal a ordonné que l’intimé révoque la nomination dans les 60 jours suivant cette ordonnance.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2009‑0202
Rendue à:
Ottawa, le 10 février 2011

NATHAN ROCHON
Plaignant
ET
LE SOUS‑MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est accueillie
Décision rendue par:
Kenneth J. Gibson, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Rochon c. le sous‑ministre des Pêches et des Océans
Référence neutre:
2011 TDFP 0007

Motifs de décision


Introduction


1 Le plaignant, Nathan Rochon, affirme qu’il y a eu abus de pouvoir dans le déroulement du processus de nomination pour un poste de contremaître charpentier à la base de la Garde côtière canadienne de Prince Rupert, en Colombie‑Britannique. Le plaignant soutient qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix et l’application des méthodes d’évaluation, favoritisme envers la personne pressentie pour la nomination et non-prise en compte de ses besoins dans l’établissement de la date d’entrevue.

2 L’intimé, le sous‑ministre des Pêches et des Océans, affirme que la candidature du plaignant a été rejetée parce qu’il ne possédait pas trois des qualifications essentielles pour le poste.

3 Comme il sera expliqué dans les présents motifs, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) estime que l’intimé a fait preuve de négligence relativement à l’élaboration et à l’utilisation de l’outil d’évaluation employé dans ce processus de nomination. Cette négligence était suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir.

Questions en litige


4 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en ce qui a trait au choix et à l’application des méthodes d’évaluation?
  2. L’intimé a‑t‑il fait preuve de favoritisme envers le candidat retenu?
  3. L’intimé a‑t‑il omis de tenir compte des besoins du plaignant dans l’établissement de la date d’entrevue?

Résumé des éléments de preuve pertinents


a) Preuve relative au processus d’évaluation

5 Le 26 février 2009, l’intimé a lancé un processus de nomination interne annoncé pour doter un poste de contremaître charpentier à la base de la Garde côtière canadienne de Prince Rupert, en Colombie‑Britannique.

6 Le processus de nomination était géré par un comité d’évaluation, lui‑même présidé par Harry Young, superviseur, Infrastructure maritime civile, Garde côtière canadienne, à Prince Rupert. M. Young a élaboré l’énoncé des critères de mérite (ECM) pour le poste, en concertation avec son surintendant et le personnel des ressources humaines. M. Young a également préparé le Guide de cotation, qui comprenait les questions d’entrevue utilisées pour évaluer les qualifications essentielles des candidats.

7 M. Young a invité Stewart McDevitt, contremaître charpentier à la base de la Garde côtière de Victoria, en Colombie‑Britannique, à faire partie du comité d’évaluation. N’étant pas charpentier de profession, M. Young voulait pouvoir compter sur un spécialiste du domaine, qui en outre ne connaissait aucun des candidats.

8 M. McDevitt a confirmé qu’il jouait le rôle d’expert en la matière et a affirmé qu’il ne connaissait aucun des candidats avant le début du processus de nomination.

9 En tout, quatre personnes, dont le plaignant, ont présenté leur candidature.

10 Le plaignant a passé une entrevue le 11 mars 2009. Le 12 mars, il a été informé qu’il avait été jugé qualifié et que son nom avait été placé dans un bassin de candidats en vue d’une éventuelle nomination.

11 Un avis de nomination ou de proposition de nomination concernant un autre candidat qualifié, Jeremy Yamamoto, a été diffusé le 19 mars 2009. En date de l’audience, M. Yamamoto n’avait toujours pas été nommé.

12 Le 3 avril 2009, le plaignant a présenté une plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

13 Une fois la plainte présentée, le personnel des ressources humaines de l’intimé a examiné le dossier du processus de nomination et a déterminé qu’une erreur avait été commise dans l’évaluation des candidats. En effet, le comité d’évaluation avait évalué les candidats en fonction de chacune des qualifications essentielles, mais il s’était ensuite fondé sur un résultat global pour décider s’ils avaient obtenu la note de passage. Le comité avait attribué la note de passage sans établir si les candidats possédaient chacune des qualifications essentielles.

14 Durant l’entrevue, le comité d’évaluation s’est servi du Guide de cotation pour noter le résultat des candidats au regard de chaque qualification essentielle. Le plaignant avait obtenu 84 points sur 119 pour son entrevue. Le Guide de cotation établissait la note de passage à 76. Selon le rapport initial du comité de présélection, qui indiquait le résultat des candidats et la note de passage pour chaque question d’entrevue, le plaignant était qualifié pour le poste. Cependant, le rapport indiquait également que le plaignant n’avait pas obtenu la note de passage pour trois des qualifications essentielles.

15 Selon le rapport initial du comité d’évaluation, signé par MM. Young et McDevitt en mars 2009, les quatre candidats avaient obtenu un résultat supérieur à la note de passage globale et avaient été jugés qualifiés.

16 M. Young a déclaré qu’il avait déjà participé à environ huit processus de nomination sous le régime de l’ancienne LEFP. Dans ces processus, il avait donné aux candidats un résultat global. Il ne savait pas que cette pratique n’était plus acceptable avant que le personnel des ressources humaines l’informe que les candidats devaient maintenant posséder chacune des qualifications essentielles. Il a donc examiné le résultat des quatre candidats et déterminé que seul M. Yamamoto possédait toutes les qualifications essentielles. C’est ainsi que le plaignant et les deux autres candidats ont appris, le 3 juin 2009, que leur candidature avait été éliminée du processus de nomination parce qu’ils ne possédaient pas toutes les qualifications essentielles.

17 Pour corriger cette erreur, de nouveaux rapports ont été préparés, soit un rapport du comité de présélection (non daté) et un rapport du comité d’évaluation. Ce dernier a été signé par les deux membres du comité en juillet 2009. Les deux documents indiquent que seul M. Yamamoto était qualifié.

18 Le plaignant a fait quelques observations qui dénotent selon lui que l’évaluation des qualifications essentielles comportait un problème :

(i) Les questions d’entrevue n’étaient pas associées aux qualifications essentielles pour le poste

19 Le Guide de cotation était structuré en cases et en colonnes. Chaque case contenait les renseignements servant à l’évaluation d’une qualification. Les cases étaient divisées en sept colonnes, contenant respectivement la qualification évaluée, la question d’entrevue, les éléments de réponse, la note maximale, la note de passage, un espace où les évaluateurs pouvaient noter leurs observations sur la réponse du candidat, et la note attribuée au candidat. Les qualifications relatives à l’expérience, aux connaissances, aux capacités et aux qualités personnelles étaient respectivement identifiées par les lettres EX, CO, CA et QP. Pour la plupart des qualifications, la case permettant d’identifier la qualification comprenait des lettres et un chiffre désignant la qualification, ainsi qu’une description tirée de l’ECM. Par exemple, pour la première qualification relative aux connaissances, le Guide de cotation indiquait les caractères « CO1 », suivis de « Connaissance des principes et des pratiques mathématiques liés au métier et applicables au plan d’implantation de bâtiments et de constructions » [traduction].

20 Le plaignant a remarqué que pour les qualifications CA2 et QP4, seuls les lettres et le chiffre étaient indiqués, sans description de la qualification à évaluer. Il a également souligné que la description de la qualification CA4 se trouvait dans la case correspondant à la qualification CA3. En outre, il a affirmé qu’aucune des questions d’entrevue ne permettait d’évaluer la « capacité de travailler avec un minimum de supervision et d’établir les priorités » [traduction], l’une des qualifications essentielles mentionnées dans l’ECM.

21 Dans son témoignage, M. Young a expliqué que la question associée à la qualification CA2 portait en fait sur la « capacité de gérer des ressources humaines et financières, des contrats et des projets » [traduction], soit la même qualification évaluée par la question CA1. Il a reconnu avoir omis d’inscrire la description de la qualification CA2 dans le Guide de cotation. Il a également affirmé avoir omis d’inscrire la qualification pertinente (leadership) à côté de la question QP4 dans le Guide de cotation. M. Young soutient toutefois qu’il est évident que la question QP4 portait sur le leadership, car elle traitait de l’aptitude à gérer une équipe. M. Young n’a pas commenté les allégations du plaignant au sujet de l’emplacement de la description de la qualification CA4 ou de l’absence d’une question sur la « capacité de travailler avec un minimum de supervision et d’établir les priorités » [traduction].

(ii) Les questions d’évaluation étaient divisées et combinées

22 Le plaignant a observé que les questions portant sur les qualifications CO2 et CO3 étaient divisées et qu’une note de passage était attribuée à chacune des parties. Il soutient que normalement, la pratique veut qu’une seule note de passage soit attribuée à chaque question, et qu’il était inapproprié qu’une note de passage différente soit associée à différentes parties d’une même question.

23 Le plaignant a également constaté que les qualifications EX1 et EX2 étaient évaluées globalement, le résultat maximal étant établi à 10 et la note de passage à 7 pour les deux qualifications combinées. En guise d’explication, M. Young a indiqué qu’il avait décidé de jumeler ces deux qualifications simplement parce que c’est ce qu’il avait prévu avant le début du processus.

(iii) L’information fournie aux candidats était insuffisante pour l’une des questions

24 La question d’entrevue relative à la qualification EX3 se fondait sur des renseignements figurant sur un plan plastifié. Le plaignant affirme que ce plan ne contenait pas tous les renseignements dont les candidats avaient besoin pour effectuer le calcul exigé. Durant l’entrevue, il a demandé et reçu cette information et a donc été en mesure de faire le calcul. Pendant la communication de renseignements entre l’intimé et le plaignant, ce dernier a demandé à voir le plan original. M. Young lui a alors répondu qu’il ne le trouvait pas. Le plaignant a plutôt reçu une version papier du plan, qui selon lui ne correspondait pas à celle qui avait été utilisée à l’entrevue. En effet, il a affirmé que cette version contenait les renseignements manquants qui n’apparaissaient pas sur le plan utilisé en entrevue. Il soutient que, bien que M. Yamamoto ait réussi à répondre à cette question, il lui était impossible d’obtenir la bonne réponse sans les renseignements manquants. Selon le rapport du comité de présélection, deux candidats, dont M. Yamamoto, ont répondu correctement à la question portant sur la qualification EX3, alors que le plaignant et un autre candidat y ont échoué.

25 Dans son témoignage, M. Young a expliqué qu’il avait plastifié le plan pour pouvoir l’utiliser durant les quatre entrevues. Par après, il l’a jeté, croyant qu’il était suffisant d’en conserver une version papier. Selon lui, la version papier fournie au plaignant après la communication de renseignements était identique à celle qui avait été utilisée dans les quatre entrevues. M. Young a indiqué qu’il s’agissait d’un dessin fait à l’aide d’un ordinateur, fourni par les services d’ingénierie de la Garde côtière canadienne de Victoria, et qu’il lui était impossible de le modifier. En outre, même s’il avait pu modifier le plan, il lui aurait fallu comploter avec l’autre membre du comité, M. McDevitt, afin de préparer et de plastifier deux copies différentes à donner à différents candidats. De son côté, M. McDevitt a indiqué qu’il avait répondu à la question EX3 par lui‑même avant les entrevues, et que tous les renseignements nécessaires se trouvaient sur le plan.

(iv) Les candidats avaient accès au travail effectué par les autres candidats

26 Pour l’évaluation de la qualification CO4, les candidats devaient se connecter à un programme nommé MAXIMO afin de remplir une commande de travail. Le plaignant a indiqué qu’il avait été la dernière personne à passer en entrevue, et qu’il avait par la suite découvert qu’il était possible de se connecter de nouveau à MAXIMO et d’accéder aux commandes de travail préparées par les autres candidats. Il a également mentionné qu’il aurait pu se rendre à son bureau après l’entrevue, se connecter et modifier ses réponses.

27 M. Young a affirmé que le but de l’exercice lié à la qualification CO4 était de déterminer si les candidats étaient en mesure de préparer une commande de travail électronique devant le comité. Il y avait un ordinateur dans la salle d’entrevue; le comité pouvait donc observer les candidats et notait leurs résultats dès lors qu’ils avaient accompli la tâche.

b) Preuve relative à l’allégation de favoritisme

28 Le plaignant a déclaré que plusieurs événements l’ont amené à croire que M. Yamamoto avait reçu un traitement favorable durant le processus de nomination. Premièrement, à la question CA2 il a répondu 10 000 $ et reçu la note de passage, même si le Guide de cotation indiquait que la bonne réponse était 1 000 $. Deuxièmement, M. Yamamoto a reçu la note de passage pour la qualification CO4, en dépit du fait que son ordinateur s’était bloqué et qu’il n’avait pas pu terminer la commande de travail. Troisièmement, relativement à la qualification EX3, M. Yamamoto a utilisé la bonne formule mathématique même si le plan ne comportait pas tous les renseignements nécessaires pour obtenir une bonne réponse. Quatrièmement, le plaignant a affirmé que M. Young s’est fait demander le nom du candidat retenu, ce à quoi il a répondu : « Le candidat que nous pressentions pour l’emporter a effectivement été retenu. » Le plaignant n’a pas nommé la personne qui aurait posé cette question à M. Young. Cinquièmement, selon la justification de la décision relative à la sélection, M. Yamamoto a obtenu le meilleur résultat d’entrevue parmi les quatre candidats, mais le résumé des résultats indique que M. Yamamoto et un autre candidat avaient tous deux obtenu un résultat de 94. Sixièmement, le plaignant soutient qu’étant donné que M. Young était le seul membre du comité qui connaissait les candidats, c’est lui qui a déterminé que M. Yamamoto était la bonne personne pour le poste.

29 En ce qui a trait à la première allégation du plaignant, M. Young a déclaré avoir appris durant le processus d’entrevue que Travaux publics et Services gouvernementaux Canada avait fait passer la limite autorisée pour les marchés de services de 1 000 $ à 10 000 $. Le comité a donc décidé d’accepter les deux réponses pour la question CA2.

30 M. Young a affirmé que l’ordinateur s’était bloqué pendant que M. Yamamoto réalisait la commande de travail pour la question CO4. Il s’était connecté et n’avait aucune difficulté à remplir le document dans les minutes précédant le blocage de l’ordinateur. Le comité a donc décidé de lui demander d’expliquer verbalement le reste du processus. M. Yamamoto a donné sa réponse et laissé ses notes au comité. Le comité a jugé que M. Yamamoto savait comment compléter le processus sur le logiciel de commande de travail (MAXIMO) et lui a donné la note de passage.

31 En ce qui concerne la qualification EX3, MM. Young et McDevitt ont déclaré qu’ils avaient remis le même plan aux quatre candidats et que celui‑ci contenait toute l’information nécessaire.

32 Malgré l’information figurant dans le rapport d’évaluation du comité de présélection, M. Young a affirmé qu’il croyait que M. Yamamoto avait obtenu le résultat le plus élevé parmi les quatre candidats. En outre, il a souligné qu’il n’était plus nécessaire de nommer le candidat ayant obtenu le résultat le plus élevé. En effet, en vertu de la nouvelle LEFP, a‑t‑il souligné, les gestionnaires ont une certaine latitude pour choisir « la bonne personne ». Selon M. Young, M. Yamamoto possédait toutes les qualifications essentielles, en plus de répondre au besoin organisationnel d’embaucher des membres de groupes visés par l’équité en matière d’emploi, conformément à la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44.

33 M. McDevitt a affirmé que lui et M. Young, après avoir discuté, avaient convenu que la bonne personne à nommer au poste était M. Yamamoto.

34 M. Young n’a fourni aucune explication concernant l’allégation selon laquelle il s’attendait à ce que M. Yamamoto soit choisi au terme du processus de nomination.

c) Preuve relative à l’allégation du plaignant selon laquelle il n’a pas pu profiter de mesures d’adaptation

35 Le 9 mars 2009, le plaignant a appris que son entrevue était prévue pour le 10 mars. Il a téléphoné à M. Young tôt le matin du 9 mars pour lui dire qu’il ne serait pas disponible le 10 parce que sa femme était sur le point d’accoucher. M. Young a répondu qu’il repousserait l’entrevue. À 15 h 50 le 9 mars, le plaignant a rappelé M. Young pour connaître la nouvelle date d’entrevue. L’adjoint de M. Young l’a informé que l’entrevue était prévue pour le 11 mars.

36 Le soir du 9 mars, la femme du plaignant a accouché, et il a passé la plus grande partie des journées du 9 et du 10 mars à l’hôpital. Il a indiqué qu’il ne se sentait pas bien à son arrivée à l’entrevue le 11 mars, et qu’il l’aurait repoussée s’il avait pensé que cela était possible. Il a déclaré que M. Young lui a dit, après l’entrevue, qu’il aurait dû l’appeler le 10 mars pour remettre l’entrevue, mais le plaignant croyait que la nouvelle date était définitive.

37 Le plaignant a reconnu que l’annonce de possibilité d’emploi indiquait que les candidatsdevaient informer l’intimé s’ils avaient besoin de mesures d’adaptation, mais il a ajouté qu’il n’avait pas ce document en sa possession à l’hôpital.

38 M. Young a affirmé que tout le monde au bureau savait que la femme du plaignant était sur le point d’accoucher. Il avait donc prévu que le plaignant passerait son entrevue en dernier. Il a ajouté que le plaignant connaissait son numéro de téléphone cellulaire et qu’il aurait pu communiquer avec lui pour modifier la date de l’entrevue. Il a également souligné que le plaignant était arrivé tôt au travail le jour de l’entrevue et qu’il discutait avec des collègues, près du bureau de M. Young. Il a ajouté que le plaignant aurait pu aller lui demander de repousser l’entrevue, mais qu’il ne l’avait pas fait.

Argumentation des parties


A) Argumentation du plaignant

39 L’argumentation du plaignant a été brève et reposait sur sa conviction que la preuve était sans équivoque. Selon le plaignant, la preuve montre que l’intimé n’a pas mené le processus de nomination de façon équitable et ouverte.

40 Le plaignant affirme que la méthode de cotation aurait dû être définie avant le début du processus de nomination et qu’elle n’aurait pas dû être modifiée par la suite. Le plaignant soutient que, selon la méthode de cotation révisée, aucun des candidats n’aurait été jugé qualifié. Il ajoute que, selon la preuve, M. Yamamoto aurait dû échouer aux qualifications EX3, CO4 et CA2.

41 Le plaignant a demandé que des mesures correctives soient prises, c’est‑à‑dire que le candidat retenu ne soit pas nommé.

B) Argumentation de l’intimé

42 L’intimé soutient que le critère établissant l’abus de pouvoir est rigoureux, que le plaignant doit prouver que l’intimé a agi de mauvaise foi, malhonnêtement ou de façon manifestement arbitraire, et que de simples erreurs ou omissions ne suffisent pas pour conclure à l’abus de pouvoir. Pour étayer cette argumentation, l’intimé a cité la décision Tibbs c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008,para. 50 et 65.

43 L’intimé affirme que selon les art. 30(2) et 36 de la LEFP, il dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable dans l’établissement des qualifications nécessaires pour un poste et le choix des méthodes d’évaluation.

44 Selon l’intimé, le processus était équitable et transparent dès le départ. Le comité d’évaluation a consulté des cadres supérieurs et des employés des ressources humaines à chaque étape. L’outil d’évaluation a été choisi et appliqué de façon à évaluer adéquatement les candidats en fonction du travail à effectuer. L’intimé estime que la preuve présentée par ses témoins était claire, pertinente et éloquente, qu’elle établissait un lien direct entre les critères évalués et les tâches à accomplir, et qu’elle montre que le processus de nomination était équitable et non discriminatoire.

45 L’intimé avance que M. Young pouvait facilement expliquer le lien entre les critères d’évaluation et chaque question, même lorsque les descriptions avaient été omises. À la lecture des questions, le lien entre les questions et les qualifications était évident.

46 L’intimé souligne qu’un processus d’évaluation ne peut pas être invalidé par des erreurs mineures. À cet effet, il cite la décision Visca c. le sous‑ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024, para. 38, ainsi que la décision Oddie c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 0030, para. 88 et 89. Il reconnaît qu’il y a eu erreur au départ lorsque le comité d’évaluation a utilisé une note globale. Cependant, les questions d’évaluation étaient fondées sur les critères de mérite, et la modification de la méthode de cotation par le comité n’a pas empêché l’évaluation de ces critères.

47 S’agissant de la question relative à la qualification CA2, l’intimé reconnaît qu’il y avait deux bonnes réponses. Par conséquent, les candidats ayant donné l’une ou l’autre de ces réponses ont obtenu tous les points.

48 L’intimé reconnaît également que le Guide de cotation ne comprend aucune description de la qualification QP4, mais M. Young a facilement fait le lien entre cette question et le critère de mérite approprié, soit le leadership.

49 L’intimé fait valoir que, pour assurer la transparence du processus, M. McDevitt a été invité à faire partie du comité d’évaluation à titre d’expert en la matière. En outre, il ne connaissait aucun des candidats.

50 En ce qui a trait à la question sur la qualification EX3, les deux témoins de l’intimé ont affirmé que tous les candidats avaient reçu le même plan.

51 Bien que le plaignant ait affirmé qu’il avait entendu des déclarations selon lesquelles M. Yamamoto était pressenti pour être le candidat retenu à l’issue du processus de nomination, il n’a pas précisé la source de ces déclarations ni indiqué dans quelles circonstances elles avaient été faites. L’intimé soutient donc que la preuve du plaignant au sujet de ces prétendues déclarations relève en fait du ouï‑dire.

52 L’intimé soutient qu’il était clairement mentionné dans l’annonce d’emploi que les candidats pouvaient demander des mesures d’adaptation au besoin. M. Young a déclaré que le plaignant n’avait pas demandé de mesures d’adaptation autres que celles qui lui avaient déjà été accordées.

53 L’intimé demande que la plainte soit rejetée.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

54 La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas assisté à l’audience, mais elle a présenté des observations écrites comprenant une analyse des lignes directrices de la CFP qu’elle jugeait pertinentes dans le contexte de la plainte.

55 La CFP soutient que, selon ses Lignes directrices en matière d’évaluation, les processus et les méthodes d’évaluation doivent permettre d’identifier les personnes qui possèdent les qualifications utilisées aux fins de la décision de nomination et fournir un fondement solide pour effectuer des nominations selon le mérite. Chaque qualification essentielle doit être évaluée. Les méthodes, processus et outils d’évaluation doivent être directement liés aux critères de mérite et permettre de les évaluer adéquatement. Les administrateurs généraux doivent s’assurer que les membres du comité d’évaluation peuvent s’acquitter de leurs rôles et responsabilités de façon équitable et juste. Les gestionnaires subdélégataires doivent étayer leurs décisions au moyen d’une justification solide.

56 La CFP soutient que l’analyse à effectuer en l’espèce relativement au choix et à l’application de la méthode d’évaluation se trouve dans la décision Jolin c. l’administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 0011. Pour que le Tribunal conclue à l’abus de pouvoir dans le choix des méthodes d’évaluation, le plaignant doit prouver que le résultat est inéquitable et que les méthodes d’évaluation n’étaient pas raisonnables, qu’elles ne permettaient pas d’évaluer les qualifications, qu’elles n’étaient pas liées aux qualifications indiquées dans l’ECM ou qu’elles étaient discriminatoires.

57 La CFP soutient que, selon ses Lignes directrices en matière de sélection et de nomination, les nominations doivent être fondées sur le mérite et exemptes d’influence politique et de favoritisme personnel. Ces lignes directrices exigent en outre que les raisons justifiant la décision de nomination soient documentées. La CFP soutient d’autre part que pour conclure au favoritisme personnel, le Tribunal doit être convaincu, à la lumière des faits présentés, que la nomination était motivée par des intérêts personnels indus et non par le mérite.

Analyse


58 Le plaignant a présenté une plainte en vertu de l’art. 77(1) de la LEFP, qui stipule qu’une personne dont la candidature n’a pas été retenue au terme d’un processus de nomination interne peut présenter une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir de la part de l’administrateur général dans l’exercice de ses fonctions.

59 La LEFP ne définit pas ce qu’est un abus de pouvoir, mais l’art. 2(4) stipule que « pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

60 L’article 30 de la LEFP stipule que les nominations doivent être fondées sur le mérite et que la personne nommée doit posséder les qualifications essentielles établies par l’administrateur général.

Question I :  L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en ce qui a trait au choix et à l’application des méthodes d’évaluation?

61 Dans la décision Robert et Sabourin c. le sous‑ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 TDFP 0024, para. 68 et 92, le Tribunal a conclu que les nombreuses erreurs et omissions commises par l’intimé dans un processus de nomination pouvaient mener à une constatation d’abus de pouvoir. Dans la décision Burke c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0003, para. 56, 63 et 64, le Tribunal a établi que l’utilisation d’un outil d’évaluation inapproprié ne permettait pas de conclure avec certitude que la personne nommée était qualifiée pour le poste. En l’espèce, le Tribunal estime que les erreurs et omissions sont à ce point graves qu’il est impossible de déterminer si la nomination proposée était effectivement fondée sur le mérite, comme l’exige l’art. 30 de la LEFP. Il s’agit donc d’un abus de pouvoir.

62 La première de ces erreurs importantes concerne la combinaison de deux qualifications essentielles, soit « Expérience de la coordination et de l’organisation de projets de construction sur un chantier et en atelier » [traduction] et « Expérience de l’évaluation des coûts afin de répondre aux besoins en matériel, en temps et en ressources humaines » [traduction] (EX1 et EX2 respectivement). Cette méthode d’évaluation est problématique étant donné qu’EX1 et EX2 sont deux qualifications essentielles distinctes dans l’ECM. L’intimé a reconnu qu’il était inapproprié d’attribuer un résultat global pour les deux qualifications plutôt que de les évaluer séparément dès le départ. Or, en fin de compte, l’intimé a tout de même utilisé un résultat global pour évaluer les qualifications EX1 et EX2, sans les évaluer individuellement. Par conséquent, un candidat aurait pu obtenir la note de passage pour l’évaluation globale des qualifications EX1 et EX2, sans pour autant avoir prouvé qu’il possédait chacune d’elles individuellement. La méthode d’évaluation de l’intimé va donc à l’encontre de l’art. 30(2)a) de la LEFP, qui stipule que, pour qu’une personne soit nommée, la Commission ou l’administrateur général doit pouvoir conclure que cette personne possède chacune des qualifications essentielles pour le poste.

63 La deuxième erreur importante soulevée dans la preuve du plaignant est l’absence d’une question permettant d’évaluer la qualification essentielle « Capacité de travailler avec un minimum de supervision et d’établir les priorités » [traduction]. Dans l’ECM, cette capacité fait partie des qualifications essentielles, mais elle n’apparaît pas dans la liste de qualifications du Guide de cotation. Ni M. Young, ni M. McDevitt n’ont abordé ce point dans leur témoignage.

64 Dans leurs guides d’entrevue, MM. Young et McDevitt avaient inscrit à la main la qualification « Capacité de superviser » [traduction]. Cette capacité ne figure pas dans l’ECM et elle ne correspond pas à la capacité de travailler avec un minimum de supervision et d’établir les priorités. La question relative à la capacité de superviser portait sur la procédure à suivre pour envoyer des employés dans un endroit éloigné et leur indiquer comment gérer leur charge de travail. Les notes d’évaluation des deux membres du comité d’évaluation ne contiennent rien qui pourrait laisser croire que cette qualification est liée à la capacité de travailler avec un minimum de supervision et d’établir les priorités.

65 Comme le Tribunal l’a établi dans la décision Tibbs, para. 54, en l’absence de preuve contraire, le Tribunal peut tirer des conclusions raisonnables sur la base de faits non contestés :

[54] Bien qu’il soit possible pour l’intimé, pour sa part, de nier tout simplement l’allégation, une fois que le plaignant a présenté certains éléments de preuve pour appuyer son allégation qu’un abus de pouvoir a eu lieu, il voudra vraisemblablement invoquer un moyen de défense positif à l’égard de l’allégation. De plus, il est possible pour le Tribunal de tirer des conclusions raisonnables de faits non contestés. Par conséquent, si l’intimé ne présente pas d’éléments de preuve pour expliquer les motifs d’une ligne de conduite particulière, il risque de devoir faire face à une décision défavorable par le Tribunal, soit que la plainte est fondée : Gorsky, Uspich et Brandt, supra, aux pp. 9‑15 et 9‑16.

66 L’intimé n’a présenté aucune preuve pour expliquer l’erreur soulevée par le plaignant à l’égard de cette qualification. Il est donc raisonnable de conclure que le comité d’évaluation n’évaluait pas la capacité de travailler avec un minimum de supervision et d’établir les priorités lorsqu’il évaluait la capacité de superviser.

67 Les Lignes directrices en matière d’évaluation de la CFP, auxquelles est assujetti l’intimé en vertu de l’art. 16 de la LEFP, précisent que l’intimé doit établir un lien clair entre les qualifications essentielles figurant dans l’ECM, les méthodes et outils d’évaluation choisis, et les conclusions tirées au moyen de ces méthodes et outils relativement à l’évaluation des candidats. L’intimé n’a pas établi ce lien pour ce qui est de la capacité de travailler avec un minimum de supervision et d’établir les priorités. Par conséquent, le Tribunal ne peut pas conclure que cette qualification essentielle a été évaluée. Il n’y a pas de lien clair entre cette qualification et les méthodes utilisées pour l’évaluer. Le Tribunal n’est donc pas convaincu que le comité a évalué cette qualification, indiquée dans l’ECM.

68 La troisième erreur importante concerne la qualification essentielle « Capacité de communiquer efficacement de vive voix et par écrit » [traduction]. Le plaignant a affirmé qu’il n’y avait dans le Guide de cotation, vis‑à‑vis de CA4, aucune description de la qualification évaluée. La capacité de communiquer apparaît dans la case correspondant à la qualification CA3. Les témoins de l’intimé n’ont présenté aucune preuve à ce sujet. Toutefois, les deux évaluateurs ont noté, dans leur version du Guide de cotation, que la qualification CA4 correspondait à la capacité de communiquer. M. Young a inscrit CA4 vis‑à‑vis de la description de cette qualification, et M. McDevitt a déplacé la ligne séparant les qualifications CA3 et CA4 au‑dessus de la description de la qualification liée à la communication. Il est clair que le but de ces modifications écrites était de lier la capacité de communiquer à la question et aux éléments de réponses se rapportant à la qualification CA4.

69 La question portant sur la qualification CA4 était formulée de la manière suivante : « Veuillez expliquer comment vous composeriez avec un employé qui n’accomplit pas son travail de façon à répondre aux attentes. Si des mesures disciplinaires étaient nécessaires, comment procéderiez‑vous? » [traduction].

70 Les éléments de réponse contiennent 13 étapes qu’un superviseur doit normalement suivre pour composer avec un employé dont le rendement est déficient. Aucun des éléments de réponse ne définit en quoi la réponse d’un candidat montre sa capacité de communiquer de vive voix ou par écrit. Rien dans les notes des membres du comité sur l’entrevue du plaignant, ni dans les notes de M. Young sur l’entrevue de M. Yamamoto, n’indique que la capacité de communiquer a été évaluée.

71 Il est possible d’évaluer la capacité de communiquer de vive voix d’un candidat au moyen de différents types de questions, techniques ou autres. En l’espèce, le problème relève du fait qu’il n’existe pas de lien clair entre les qualifications essentielles figurant dans l’ECM, les méthodes et outils d’évaluation choisis, et les conclusions tirées au moyen de ces méthodes et outils relativement à l’évaluation des candidats. En se montrant conciliant, il est possible de reconnaître que le comité a évalué la capacité de communiquer de vive voix; toutefois, aucun élément du processus d’évaluation ne permettait de montrer que la capacité de communiquer par écrit avait été évaluée. Aucune autre question du Guide de cotation ne porte sur cette capacité. Selon les allégations officielles du plaignant, le processus de sélection reposait uniquement sur l’entrevue. Il n’y a pas de preuve que d’autres outils ont été employés pour évaluer cette capacité dans le processus de nomination.

72 Bien que l’art. 36 de la LEFP accorde aux administrateurs généraux un vaste pouvoir discrétionnaire relativement au choix et à l’utilisation des méthodes d’évaluation, celles‑ci doivent permettre d’évaluer efficacement la qualification et être appliquées de façon équitable et raisonnable. Le Tribunal peut conclure que l’administrateur général a abusé de son pouvoir si les méthodes employées ne sont pas liées aux qualifications, si elles ne permettent pas d’évaluer les qualifications, si l’outil est inapproprié ou si le résultat ne peut pas être considéré raisonnable ou équitable (voir, par exemple, la décision Ammirante c. le sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2010 TDFP 0003, para. 98 et la décision Burke, para. 56, 63 et 64).

73 En fin de compte, le Tribunal estime que l’intimé a fait preuve de négligence relativement à l’élaboration et à l’application de la méthode d’évaluation. Il juge également que cette négligence était suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir. L’intimé a évalué deux des qualifications essentielles sur la base d’un résultat combiné plutôt que d’évaluer chacune d’elles séparément. En outre, le Tribunal n’est pas convaincu que l’intimé a évalué deux des qualifications essentielles liées aux capacités mentionnées dans l’ECM, soit la capacité de travailler avec un minimum de supervision et d’établir les priorités, et la capacité de communiquer de vive voix et par écrit.

74 En ce qui a trait aux autres erreurs commises, l’intimé les a corrigées ou a convaincu le Tribunal qu’il ne s’agissait pas d’erreurs, d’omissions ou d’actes répréhensibles graves.

75 Par exemple, dans la justification de la décision relative à la sélection, le comité d’évaluation a indiqué que M. Yamamoto avait obtenu le meilleur résultat des quatre candidats. Dans son témoignage, M. Young a maintenu que cet énoncé était exact. Or, selon le rapport du comité de présélection fourni par l’intimé, un autre candidat avait obtenu le même résultat que M. Yamamoto. Ces deux documents ne peuvent évidemment être tous deux justes. Néanmoins, comme M. Young l’a fait valoir dans son témoignage, il n’est pas nécessaire de nommer le candidat ayant obtenu le résultat le plus élevé.

76 Bien qu’il ait reconnu qu’aucune description de qualification n’apparaissait vis‑à‑vis de la question CA2 du Guide de cotation, M. Young a affirmé que cette question était liée à la « capacité de gérer des ressources humaines et financières, des contrats et des projets » [traduction]. La question CA1 évaluait cette même qualification. Le Tribunal remarque que la qualification CA2 se trouve dans la même case que la qualification CA1 et que la question porte sur le plafond monétaire des marchés. L’explication de M. Young est donc raisonnable.

77 De plus, bien que la qualification QP4 ne soit pas décrite dans le Guide de cotation, M. Young a expliqué que cette qualification se rapportait à la qualité personnelle « leadership ». La question QP4 porte sur la direction d’équipes.

78 En outre, le plaignant n’a pas réussi à démontrer que certaines de ses allégations faisaient état d’erreurs dans le processus d’évaluation. Par exemple, le plaignant a affirmé que le Guide de cotation n’existait pas au moment où les entrevues ont été réalisées, et qu’il avait été créé par la suite. La preuve n’appuie pas cette allégation. Le résultat du plaignant est le même sur les deux rapports du comité de présélection. La seule différence est que dans le premier rapport, l’intimé avait déterminé les personnes qualifiées en se fondant uniquement sur le résultat global plutôt qu’en évaluant si les candidats possédaient chacune des qualifications. Tous les éléments de preuve tendent à indiquer que l’intimé a utilisé les mêmes résultats du Guide de cotation pour les deux évaluations.

79 Le plaignant a également affirmé qu’il était inapproprié de la part de l’intimé d’évaluer la qualification CO2 en quatre parties et la qualification CO3 en deux parties, et d’attribuer à chacune des parties un résultat distinct. Comme il a été mentionné ci‑dessus, l’art. 36 de la LEFP accorde aux administrateurs généraux une grande marge de manœuvre relativement au choix et à l’utilisation des méthodes d’évaluation. Cette marge de manœuvre peut se traduire par l’application de plusieurs méthodes pour évaluer une même qualification.

80 Le plaignant a également soutenu que le plan qui lui a été remis par suite de la communication de renseignements n’est pas le même que celui qui a été utilisé durant l’entrevue aux fins de l’évaluation de la qualification EX3. Il affirme que le plan fourni durant l’entrevue était incomplet et qu’il ne contenait pas suffisamment d’information pour permettre aux candidats d’obtenir la bonne réponse. Cependant, le Tribunal note que M. McDevitt a été invité à faire partie du comité d’évaluation, puisqu’il s’agissait d’un expert en la matière et qu’il ne connaissait aucun des candidats. Ces caractéristiques n’ont pas été contestées à l’audience. M. McDevitt a affirmé qu’il avait répondu à la question EX3 par lui‑même avant de réaliser les entrevues. Selon son souvenir, toute l’information nécessaire figurait sur le plan. En outre, M. Young a affirmé que le document avait été préparé par les services d’ingénierie à Victoria et qu’il n’avait aucun moyen de le modifier. Le Tribunal accepte l’argumentation de l’intimé, selon laquelle le plan fourni aux candidats contenait toute l’information nécessaire. Le Tribunal estime que, conformément au critère relatif à la crédibilité établi dans la décision Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A. C.‑B.), la preuve présentée par l’intimé concernant le plan est en conformité avec la prépondérance des probabilités qu’une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait d’emblée comme raisonnables, compte tenu des conditions et de l’endroit; par conséquent, la preuve de l’intimé est préférée à celle du plaignant pour cette question.

81 En conclusion, l’art. 30 de la LEFP stipule que les nominations doivent être fondées sur le mérite, et qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles pour le travail à accomplir. En l’espèce, le Tribunal juge que l’intimé n’a pas démontré que M. Yamamoto possédait toutes les qualifications essentielles, parce qu’il n’a pas établi clairement que deux des qualifications relatives aux capacités avaient bel et bien été évaluées, ni que M. Yamamoto possédait chacune des qualifications relatives à l’expérience. Ces erreurs et omissions sont graves et constituent un abus de pouvoir en vertu de l’art. 77(1) de la LEFP.

Question II :  L’intimé a‑t‑il fait preuve de favoritisme envers le candidat retenu?

82 Le plaignant affirme que l’intimé a fait preuve de favoritisme envers le candidat retenu. Pour appuyer cette allégation, le plaignant a affirmé ce qui suit : (a) M. Yamamoto a reçu la note de passage à la question CA2 même s’il avait fourni une réponse erronée; (b) M. Yamamoto a reçu la note de passage à la question EX4 même si l’ordinateur s’est bloqué et qu’il n’a pas pu terminer la tâche demandée; (c) M. Yamamoto a répondu correctement à la question EX3 même s’il ne disposait pas de suffisamment d’information pour effectuer le bon calcul; (d) M. Young a déclaré qu’il s’attendait à ce que M. Yamamoto soit retenu au terme du processus de nomination; (e) M. Young a déterminé par lui‑même que M. Yamamoto était la bonne personne pour le poste; (f) M. Young a écrit, dans la justification, que M. Yamamoto avait obtenu le résultat le plus élevé des quatre candidats, alors qu’un autre candidat s’était vu attribuer la même note.

83 Dans la décision Glasgow c. le sous‑ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007, para. 39, le Tribunal a établi que c’est bien le favoritisme personnel, et non tout autre type de favoritisme, qui constitue un abus de pouvoir. En l’espèce, le plaignant n’a présenté aucune preuve montrant qu’il y avait une relation personnelle entre M. Young et le candidat retenu.

84 Pour ce qui est des allégations, le Tribunal estime que le plaignant n’a pas réussi à établir que le favoritisme personnel avait été un facteur dans la décision de l’intimé de nommer M. Yamamoto. Premièrement, en raison d’un changement de la limite autorisée pour les marchés, le comité a accepté deux réponses pour la question CA2. La réponse fournie par M. Yamamoto était l’une de ces réponses et correspondait effectivement à la nouvelle limite établie récemment. Deuxièmement, l’ordinateur s’est bloqué pendant que M. Yamamoto répondait à la question EX4. Les évaluateurs ont déterminé qu’il avait réussi à accomplir une partie de la tâche sur l’ordinateur et lui ont permis de décrire verbalement les étapes restantes. Le comité a conclu qu’il possédait l’expérience relative à cette qualification. Troisièmement, le Tribunal a déjà déterminé que le plan fourni aux candidats contenait l’information nécessaire pour répondre correctement à la question EX3. Par conséquent, le fait que M. Yamamoto ait bien répondu à cette question ne constitue pas une preuve de conduite irrégulière. Quatrièmement, selon le plaignant, M. Young avait déclaré que la personne pressentie pour l’emporter avait effectivement été nommée, mais le plaignant n’a fourni aucune preuve pour appuyer cette allégation. Cinquièmement, le plaignant affirme que M. Young a à lui seul déterminé que M. Yamamoto était la bonne personne pour le poste; cependant, dans son témoignage, M. McDevitt affirme que cette décision a été prise conjointement par lui‑même et M. Young. Enfin, selon le rapport du comité de présélection, M. Young a fait une erreur en indiquant dans la justification que M. Yamamoto avait obtenu le meilleur résultat des quatre candidats. En effet, M. Yamamoto avait obtenu le même résultat qu’un autre candidat. Cependant, cette erreur n’est pas en soi le fait d’un favoritisme personnel, et le Tribunal estime que cette preuve ne suffit pas pour corroborer une affirmation selon laquelle M. Yamamoto a fait l’objet de favoritisme personnel.

85 À la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas réussi à prouver que le favoritisme personnel a été un facteur en l’espèce.

Question III :  L’intimé a‑t‑il omis de tenir compte des besoins du plaignant dans l’établissement de la date d’entrevue?

86 Le plaignant affirme qu’en raison de la naissance de son enfant, il ne se sentait pas bien au moment de l’entrevue et il aurait préféré la repousser à une date ultérieure. Il croyait que la date établie pour l’entrevue était définitive et ne pouvait pas être changée. M. Young a affirmé que le plaignant n’avait pas sollicité un nouveau report de la date d’entrevue.

87 Le plaignant avait demandé le report de son entrevue à une date ultérieure, et cette demande a été acceptée. Il souhaitait obtenir un nouvel ajournement, mais n’a pas fait de demande en ce sens. Il croyait que la date du 11 mars 2009 était définitive et ne pouvait être modifiée, mais il n’a présenté aucune preuve pour appuyer cette supposition. M. Young a déclaré que le plaignant était arrivé à l’avance pour son entrevue et qu’il discutait avec des collègues près de son bureau; il n’est toutefois pas allé lui demander de repousser son entrevue. Le plaignant n’a pas réfuté ces affirmations.

88 M. Young n’a pas été mis au courant du fait que le plaignant souhaitait repousser l’entrevue une deuxième fois, et rien ne pouvait lui laisser croire que c’était le cas. Le Tribunal estime donc que le plaignant n’a pas réussi à établir que l’intimé a abusé de son pouvoir en ne tenant pas compte des besoins du plaignant dans l’établissement de la date d’entrevue.

Conclusion


89 Le Tribunal juge que la nomination proposée de M. Yamamoto n’est pas fondée sur le mérite, contrairement à ce que l’arti. 30 de la LEFP exige. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’intimé a abusé de son pouvoir au sens de l’art. 77(1)a) de la LEFP.

Décision


90 Pour tous ces motifs, la plainte est accueillie.

Ordonnance


91 Conformément à l’art. 81(1) de la LEFP, si le Tribunal juge qu’une plainte présentée en vertu de l’art. 77 est fondée, il peut ordonner à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas. Puisque le Tribunal a accueilli la plainte en constatant que la nomination proposée n’était pas fondée sur le mérite, il ordonne à l’administrateur général de ne pas nommer M. Yamamoto au poste de contremaître charpentier sur la base de ce processus de nomination. Dans le cas où M. Yamamoto aurait déjà été nommé, le Tribunal ordonne que l’intimé révoque cette nomination dans les 60 jours suivant cette ordonnance.


Kenneth J. Gibson
Membre


Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2009‑0202
Intitulé de la cause :
Nathan Rochon et le sous‑ministre des Pêches et des Océans
Audience :
Le 14 septembre 2010
Prince Rupert (Colombie-Britannique)
Date des motifs :
Le 10 février 2011

COMPARUTIONS

Pour la plaignante :
Larry Teslyk
Pour l'intimé :
Michel Girard
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