Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le Service correctionnel du Canada (SCC) a licencié le fonctionnaire s'estimant lésé pour des motifs disciplinaires après qu'il eut plaidé coupable à une accusation d'infraction criminelle concernant le harcèlement et l'intimidation en dehors des heures de travail d'une ancienne employée avec laquelle il a entretenu une relation personnelle - le fonctionnaire s’estimant lésé était un psychologue, et son travail consistait en majeure partie à fournir des services à des délinquants ayant des problèmes psychologiques ou psychiatriques, et à des délinquants condamnés pour des délits sexuels - au premier arbitrage, l'arbitre de grief a annulé la mesure disciplinaire et a ordonné au SCC de réintégrer le fonctionnaire s’estimant lésé dans son poste - le SCC a demandé une révision judiciaire de la décision de l’arbitre de grief - la Cour fédérale a annulé la décision et a retiré le fonctionnaire s’estimant lésé de son milieu de travail - le fonctionnaire s’estimant lésé a alors interjeté appel devant la Cour d'appel fédérale, qui a rejeté son appel, confirmé l'annulation de la décision de l'arbitre de grief et renvoyé l'affaire pour la tenue d'une nouvelle audience devant un autre arbitre de grief, avec des instructions - elle a conclu que les arbitres de grief devaient appliquer le Code de discipline du SCC en tenant compte du contexte fourni par les Règles de conduite professionnelle, à la fois pour déterminer si une infraction disciplinaire a été commise et pour évaluer la sanction disciplinaire imposée pour cette infraction - les deux documents s'appliquaient au comportement des employés durant les heures de travail et en dehors des heures de travail - la Cour a statué que l'arbitre de grief avait commis une erreur lorsqu'il a exigé une preuve directe de la perte de réputation pour le SCC, et elle a désapprouvé son approche consistant à évaluer la preuve concernant la gravité de l'infraction criminelle commise par le fonctionnaire s’estimant lésé - l'arbitre de grief qui a réentendu l'affaire a conclu que le SCC n'avait pas prouvé le premier motif cité pour l'imposition d'une mesure disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé - le SCC a non seulement mentionné que le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé avait <<probablement>> porté atteinte à sa réputation, mais il est allé plus loin et a déclaré que cela avait effectivement été le cas - aucune preuve n'a été présentée permettant de conclure qu'il y avait réellement eu atteinte à la réputation du SCC - le SCC a toutefois prouvé, selon la prépondérance des probabilités, le second motif - le fonctionnaire s’estimant lésé a commis une infraction criminelle qui aurait pu nuire à son rendement courant au SCC - il était essentiel que le fonctionnaire s’estimant lésé fasse preuve d'un comportement approprié dans l'exécution de son travail - le SCC, usant de bon sens et selon un jugement pondéré, pouvait raisonnablement croire que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait probablement une capacité réduite d'exercer les fonctions de son poste - la preuve subséquente à l’événement concernant la période durant laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé a été réintégré dans son poste n'a en rien changé la décision que devait prendre le SCC - le fait de considérer cette preuve comme pertinente pouvait miner l'importance du caractère définitif de la prise de décision et prolonger le grief - quoi qu’il en soit, la preuve subséquente à l’événement n'était pas assez importante pour justifier l'annulation de la décision du SCC selon laquelle il y avait lieu d'imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé - le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé et son infraction criminelle étaient de nature grave - le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé ait tenté de nuancer les faits et qu'il n'ait pas reconnu sa culpabilité a constitué un facteur aggravant supplémentaire - le SCC n'a pas fermé les yeux sur ce qui s'est passé et il n'y a pas eu d'incohérence relativement à la mesure disciplinaire qu'il a prise - le licenciement était une sanction disciplinaire appropriée et proportionnelle à la faute. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique (1985)

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-06-06
  • Dossier:  166-02-35306
  • Référence:  2011 CRTFP 76

Devant un arbitre de grief


ENTRE

FREDERICK JAMES TOBIN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P.-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
David Yazbeck, avocat

Pour l'employeur:
John Jaworski, avocat

Affaire entendue à Kingston (Ontario), les 16 et 17 février 2011.
Observations écrites déposées les 1er, 15 et 18 avril 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Le 7 mai 2004, le Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« employeur ») a mis fin à l’emploi de Frederick James Tobin, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») pour motifs disciplinaires après qu’il eut plaidé coupable à une accusation d’infraction criminelle. Après avoir tenté sans succès de faire renverser cette décision au dernier palier de la procédure interne de règlement des griefs, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage devant l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu du sous-alinéa 92(1)b)(ii) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

2 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, le renvoi à l’arbitrage du grief du fonctionnaire s’estimant lésé était et continue donc d’être traité conformément aux dispositions de l’ancienne Loi.

3 Dans Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 26, l’arbitre de grief a annulé la sanction disciplinaire qui avait été imposée au fonctionnaire s’estimant lésé en ordonnant à l’employeur de le réintégrer dans son poste d’attache de psychologue-conseil (PS-03) au Centre régional de traitement (CRT) du Pénitencier de Kingston, en Ontario. Le fonctionnaire s’estimant lésé est retourné au travail le 18 juin 2007.

4 L’employeur a saisi la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief. Dans Procureur général du Canada c. Tobin, 2008 CF 740, la Cour fédérale a annulé cette décision. L’employeur est alors parti du principe que sa décision originale de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé était encore valide et l’a donc retiré de sa liste de paie à compter du 11 juillet 2008.

5 Le fonctionnaire s’estimant lésé a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale. Dans Tobin c. Procureur général du Canada, 2009 CAF 254, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel, confirmé l’annulation de la décision de l’arbitre de grief et renvoyé l’affaire à la Commission pour qu’elle soit entendue par un autre arbitre de grief, avec les instructions suivantes :

[…]

a) L’affaire devra être instruite sur le fondement de l’application des règles du commissaire pour apprécier le comportement de M. Tobin ainsi que le caractère approprié de la sanction imposée par l’employeur.

b) Il est loisible à l’arbitre de conclure que M. Tobin a terni l’image du Service correctionnel du Canada, en se fondant sur la conduite de ce dernier ainsi que sur les facteurs objectifs et subjectifs entourant sa déclaration de culpabilité au criminel, sans qu’il soit nécessaire d’étayer la perte de réputation par une preuve directe.

6 Le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique m’a nommé pour réentendre l’affaire conformément aux instructions de la Cour d’appel fédérale.

II. Résumé de la preuve

7 Au début de l’audience, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits (l’« ECF ») figurant à l’annexe A de la présente décision. J’ai également admis, avec le consentement des parties, quelque 70 documents présentés à l’audience d’arbitrage du grief originale (pièces E-1 à E-25 et G-1 à G-45). D’autres pièces ont été admises au cours de l’audience.

A. Résumé de l’ECF

8 La chronologie suivante est un résumé des principaux événements; je la présente pour faciliter la lecture de l’ECF.

9 Le fonctionnaire a débuté au SCC en août 1988, comme psychologue-conseil au CRT. En 1997, il est devenu directeur des programmes de l’Unité du comportement féminin au CRT. Entre 1998 et septembre 2001, il a occupé à titre intérimaire des postes plus importants, d’abord comme sous-directeur de la Prison des femmes, puis comme sous-directeur exécutif du CRT – dans ce dernier cas, tout en continuant d’exercer les fonctions associées à son poste d’attache de psychologue classifié PS-03. De septembre 2001 au 26 février 2002, il était détaché à l’administration régionale de l’Ontario (AR). Du 26 février au 8 juillet 2002, il a été sous-directeur intérimaire de l’Établissement Collins Bay (l’ « ÉCB »), également situé dans la région de Kingston.

10 Vers le mois de mars 2001, le fonctionnaire a entrepris une relation avec HM, une employée nommée pour une période déterminée au CRT. De septembre 2001 à la fin février 2002, HM travaillait à l’ÉCB comme employée occasionnelle et elle a continué à y travailler comme bénévole jusqu’à la fin de mars 2002. Quand le fonctionnaire a accepté le poste de sous-directeur par intérim de l’ÉCB, à la fin de février 2002, HM y travaillait et était donc théoriquement sous ses ordres, mais ne relevait pas directement de lui. Leur relation s’est poursuivie pendant un certain temps après qu’elle eut quitté l’ÉCB.

11 Le 5 juillet 2002, le fonctionnaire a été arrêté et détenu sous cinq chefs d’accusation criminels portant sur le harcèlement et l’intimidation à l’endroit d’HM (pièce E-1). Le directeur de l’ÉCB l’a suspendu sans rémunération à compter du 9 juillet 2002, en attendant la fin d’une enquête disciplinaire (pièce E-8).

12 Sur la foi du rapport de cette enquête (Pièce E-16), la sous-commissaire du SCC pour la région de l’Ontario, Nancy Stableforth, a conclu qu’elle n’avait pas suffisamment de renseignements pour prendre une décision sur le cas du fonctionnaire. Le 20 novembre 2002, elle a ordonné son retour au travail dans un poste n’exigeant pas de contact direct avec les délinquants et l’a réintégré au niveau PS-03 avec son traitement et ses avantages rétroactivement à la date de sa suspension (pièce E-16).

13 Le 19 avril 2004, le fonctionnaire a plaidé coupable à un des cinq chefs d’accusation originaux portés contre lui, à savoir qu’il avait enfreint l’alinéa 264(2)d) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. D’après la « Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine » de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (pièce E-2), ce chef d’accusation se lit comme il suit :

[Traduction]

[…] entre le 1er novembre 2001 et le 4 juillet 2002, dans la ville de Kingston (Ontario) et ailleurs dans la province de l’Ontario, M. Tobin, sachant que HM se sentait harcelée et sans se soucier de ce qu’elle se sentît harcelée et sans autorité légitime, s’est comporté d’une manière menaçante à l’égard d’elle, ce qui a eu pour effet de lui faire raisonnablement craindre – compte tenu du contexte – pour sa sécurité, et a donc commis une infraction contrairement à l’alinéa 264(2)d) du Code criminel du Canada.

[…]

Les autres chefs d’accusation ont été rejetés; la Cour a accepté le plaidoyer de culpabilité; le fonctionnaire a été condamné avec sursis et a été imposé une probation de 18 mois assortie de plusieurs conditions prescrites par la loi et autres.

14 Le 21 avril 2004, après avoir été informée de la condamnation du fonctionnaire, Mme Stableforth l’a suspendu en attendant les résultats de l’enquête le concernant (pièce E-20). Le 28 avril 2004, elle a convoqué le fonctionnaire à une réunion en présence de son criminaliste. À cette occasion, elle a accepté, à la demande du fonctionnaire, de lui donner la possibilité de communiquer avec sa représentante syndicale afin d’obtenir son aide pour présenter des arguments à Mme Stableforth. La représentante syndicale du fonctionnaire, de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a produit des observations écrites dans ce contexte le 4 mai 2004 (pièce E-22).

15 Le 7 mai 2004, Mme Stableforth a mis fin à l’emploi du fonctionnaire. La lettre de cessation d’emploi se lit comme il suit :

[Traduction]

[…]

J’ai fait une analyse exhaustive du document sur votre plaidoyer et sur la peine, de même que de l’examen administratif réalisé en 2002. J’ai aussi tenu compte de vos propos tenus lors de notre rencontre du 28 avril 2004 ainsi que des observations que votre représentante syndicale m’a faites parvenir par écrit le 4 mai 2004.

[…] vous avez plaidé coupable à une accusation de conduite menaçante à l’endroit de [HM], incitant ainsi [HM] à avoir des craintes raisonnables pour sa sécurité dans toutes les circonstances; ce faisant, vous avez commis une infraction interdite par l’alinéa 264(2)d) du Code criminel du Canada. Vous avez déclaré accepter la responsabilité de vos actes dans le contexte de cette condamnation, et le tribunal vous a imposé une condamnation avec sursis assortie de dix-huit mois de probation.

Vous avez contrevenu à la Règle 2 - Conduite et apparence du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle :

  • se conduit d’une manière susceptible de ternir l’image du Service, qu’il soit de service ou non;
  • est coupable d’un acte criminel ou d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire en vertu d’une loi du Canada ou d’une province ou territoire pouvant jeter le discrédit sur le Service ou nuire à son rendement ultérieur au Service.

J’ai conclu dans ma décision que votre conduite était incompatible avec les fonctions dont vous devez vous acquitter comme psychologue, ainsi qu’avec la conduite attendue des employés du Service correctionnel du Canada.

Vous avez jeté le discrédit sur le Service correctionnel du Canada aux yeux du public, du personnel et des délinquants, et la confiance qu’on vous accordait a été irrévocablement compromise.

J’ai tenu compte de vos années de service et de votre dossier disciplinaire, mais cela ne change en rien la gravité de vos actes. Par conséquent, en fonction de ce qui précède […] je vous informe que votre emploi au Service correctionnel du Canada a cessé à compter du 23 avril 2004.

[…]

16 Le fonctionnaire a présenté son grief pour contester son congédiement le 18 mai 2004, puis l’a renvoyé à l’arbitrage devant l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique le 25 janvier 2005.

B. Autres témoignages

17 J’ai entendu d’autres témoignages de Mme Stableforth et du fonctionnaire.

18 Mme Stableforth a confirmé qu’elle ne s’est pas fondée sur la Règle 3, [traduction] « Relations avec les autres membres du personnel » du Code de discipline (pièce E-12) lorsqu’elle a décidé de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire.

19 Quand Mme Stableforth a autorisé le fonctionnaire à retourner au travail en novembre 2002, après sa première suspension sans rémunération, la lettre qu’elle lui a écrite (pièce E-16) stipulait qu’une autre enquête serait menée [traduction] « si la direction recevait d’autres renseignements relatifs aux accusations criminelles portées contre [lui] […] ». Lorsqu’elle a été informée du plaidoyer de culpabilité du fonctionnaire et de l’exposé conjoint des faits dans la [traduction] « Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine » (pièce E-2), peu après la comparution du fonctionnaire devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, elle a écrit au fonctionnaire pour lui mentionner qu’elle [traduction] « […] examinait ces nouveaux renseignements et les circonstances qui les entouraient […] » (pièce E-19). Dans une seconde lettre datée de deux jours plus tard (pièce E-20), elle a joint une copie de la [traduction] « Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine » et a informé le fonctionnaire de sa suspension. Par la même occasion, elle a convoqué le fonctionnaire, ainsi que sa représentante, à une réunion prévue le 28 avril 2004.

20 Mme Stableforth a relaté les détails de cette réunion (résumée à la pièce E-21). Elle a déclaré que le criminaliste du fonctionnaire, M. Smith, avait dit que son client n’était pas disposé à présenter des arguments parce qu’il s’attendait à être carrément congédié à cette réunion. Comme M. Smith n’était pas spécialiste des relations de travail, il a demandé à ce qu’on donne au fonctionnaire la possibilité de consulter son agent négociateur, ce à quoi Mme Stableforth a acquiescé. À la fin de la réunion, le fonctionnaire a tenté d’expliquer son plaidoyer de culpabilité et sa condamnation. Mme Stableforth a refusé d’entendre son explication et l’a informé quelle souscrivait à la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

21 Mme Stableforth a confirmé que le seul contact qu’elle a eu par la suite à ce sujet avec la représentante de l’agent négociateur du fonctionnaire a été la lettre que celle-ci lui a écrite le 4 mai 2004 (pièce E-22). Mme Stableforth n’a initié aucun autre contact avec la représentante du fonctionnaire ni avec ce dernier avant de faire connaître sa décision de mettre fin à l’emploi de l’intéressé.

22 En contre-interrogatoire, Mme Stableforth a déclaré ce qui suit : 1) elle n’exerce aucune supervision directe auprès d’un psychologue du SCC dans son rôle de sous-commissaire, mais peut communiquer avec des psychologues lors de discussions qui portent sur les services de santé mentale; 2) elle n’a pas donné au fonctionnaire la possibilité de lui présenter des observations sur la question de savoir s’il faudrait mettre fin à son emploi ou pas; 3) elle n’a pas donné, ni au fonctionnaire ni à sa représentante, d’indication des raisons pour lesquelles elle pourrait décider de mettre fin à son emploi avant de prendre sa décision finale; 4) elle n’a pas expressément demandé au fonctionnaire s’il estimait avoir enfreint la Règle 2 du Code de discipline; 5) elle savait que le fonctionnaire était retourné au travail comme psychologue après la décision de l’arbitre de grief, mais n’a pas fait de suivi de son rendement en cette qualité et était simplement au courant de ses fonctions générales; 6) elle ne se rappelait pas si elle avait cherché d’autres postes auxquels elle aurait pu nommer le fonctionnaire plutôt que de mettre fin à son emploi.

23 Le fonctionnaire a questionné Mme Stableforth à savoir si d’autres employés avaient déjà été reconnus coupables d’une infraction criminelle. On lui a donné trois noms, et elle a déclaré qu’elle n’était pas au courant de leurs condamnations. Mme Stableforth a également décrit une note d’information préparée à son intention à la fin de mai 2004 en réponse à une demande de l’administration centrale, faisant état de 12 cas d’employés faisant l’objet d’accusations d’infraction criminelle dans sa région (pièce G-46). Quand on lui a demandé si elle avait fait une démarche analogue avant de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire, elle a répondu qu’elle aurait parlé des précédents avec un conseiller juridique du Service de même qu’avec ses propres conseillers en relations de travail, mais qu’elle ne pouvait pas se rappeler si l’on avait fait des comparaisons spécifiques basées sur les circonstances du cas du fonctionnaire.

24 Dans son témoignage, le fonctionnaire a décrit la nature de ses fonctions durant sa carrière de psychologue au CRT. Il a déclaré que la majorité de ses tâches consistaient à offrir des services à des délinquants qui présentaient des problèmes psychologiques ou psychiatriques de même qu’à des délinquants condamnés pour des crimes sexuels. Ce travail nécessitait une vaste gamme d’interventions avec des approches de counseling individuel et collectif. Dans le cas des délinquants souffrant de troubles graves, les interventions sont normalement coordonnées avec d’autres membres de l’équipe de santé, incluant des psychiatres et des infirmières et infirmiers.

25 Quand il a été réintégré dans son poste d’attache au SCC après sa suspension initiale, en juillet 2002, le fonctionnaire a travaillé pour Mme Bonnie Smith, une administratrice régionale, dans une unité de la politique et de la planification. Le fonctionnaire a mené à bien plusieurs projets sous la supervision de Mme Smith, notamment l’élaboration d’un nouveau cadre de contrôle de gestion. Il a également évalué des propositions de recherche pour Mme Smith et préparé de la correspondance pour Mme Stableforth. Comme Mme Smith n’avait pas suffisamment de travail pour le tenir occupé, il a été détaché pour travailler sous la supervision de la directrice de l’Établissement Frontenac (ÉF), Mme Janet DeLaat. À l’ÉF, il a notamment participé à la mise en œuvre du nouveau cadre de contrôle de gestion.

26 Quand il s’est fait demander de quels facteurs il a tenu compte lorsqu’il a décidé de conclure une transaction en matière pénale, le fonctionnaire a décrit les difficultés que les circonstances de son cas posaient pour son épouse et ses enfants. Il savait qu’un procès pourrait prendre jusqu’à deux semaines et risquait d’attirer beaucoup de publicité indésirable. Il a déclaré qu’il craignait d’indisposer la victime, sa famille et le SCC. Il se rappelait s’être senti soulagé d’apprendre que la Couronne était disposée à rejeter les autres accusations dans le cadre de cette transaction en matière pénale.

27 Après son congédiement, le fonctionnaire a travaillé comme psychométricien pour l’Administration des services sociaux du comté de Leeds-Grenville (ECF, paragraphe 104). Il a déclaré que cet employeur n’avait constaté aucun problème quant à son rendement, que son superviseur parlait en bien de lui et qu’il lui avait donné des lettres de référence.

28 Quand l’arbitre de grief l’a réintégré dans son poste d’attache de psychologue au CRT, le fonctionnaire a travaillé à un projet pilote dans le cadre du Programme national à haute intensité pour les délinquants sexuels sous la supervision de la Dre Jan Looman. Larry Stebbens était le directeur exécutif du CRT. Quand il a rencontré M. Stebbens le jour de son retour au travail, le fonctionnaire lui a demandé s’il avait des réserves au sujet de son retour; il s’est fait répondre qu’on ne lui avait rien dit de spécifique. Plusieurs mois plus tard, quand le fonctionnaire a demandé à M. Stebbens s’il avait entendu quoi que ce soit de négatif à son sujet, la réponse a été [traduction] « rien, zéro. »

29 Le fonctionnaire a décrit les grandes lignes d’un programme de formation de deux semaines qu’il avait suivi portant sur les approches d’intervention auprès des délinquants sexuels, les instruments d’évaluation des risques et les approches thérapeutiques (pièce G-47), de même qu’une conférence nationale de deux jours à l’intention des psychologues sur les troubles mentaux dans les populations carcérales. Au CRT, il aidait la Dre Dorothy Cotton dans ses évaluations de contrôle des candidats au programme des délinquants sexuels et faisait également ces évaluations indépendamment. Il a administré des versions pilotes du programme de traitement avec un collègue, puis a mené des entrevues d’évaluation préalable au traitement ainsi qu’effectué des tests de réponse aux stimuli phallométriques des participants au programme tels que révisés après les tests préalables. Les participants étaient des délinquants sexuels à haut risque dont certains posaient d’importants défis additionnels en matière de traitement psychologique. Une fois lancé, le programme exigeait des rencontres en groupe d’une durée variant entre une heure et demie et deux heures quatre ou cinq fois par semaine, plus des séances hebdomadaires de counselling avec chaque participant. Le but fondamental du programme consistait à aider les participants à remettre en question leurs idées, leurs attitudes et leurs convictions inappropriées à l’aide du modèle de traitement du programme. Avant, pendant et après le programme, le fonctionnaire appliquait des techniques et des tests d’évaluation variés pour compiler des rapports d’évaluation à propos de chaque délinquant (pièces G-50 à G-53).

30 Le fonctionnaire a expliqué qu’il espérait se perfectionner pour pouvoir succéder à la Dre Cotton, qui comptait prendre sa retraite dans quelques années, et qu’il avait parlé de ses espoirs avec la Dre Looman.

31 Le fonctionnaire a parlé de ce qu’il savait du cas de « M. X », un autre psychologue de la région de l’Ontario. Il avait comparu comme témoin de moralité pour M. X, qui avait été accusé dans le cadre d’une sale affaire de famille. M. X avait été jugé coupable d’au moins une des infractions dont il était accusé, sans toutefois avoir été incarcéré. Sa condamnation avait été rendue publique. M. X n’avait été ni suspendu, ni licencié par le SCC, et il avait continué à s’acquitter de ses fonctions de psychologue dans la région. Il avait déclaré au fonctionnaire avoir seulement reçu une lettre de réprimande.

32 Après avoir été retiré de la liste de paie en juillet 2008 à la suite de la décision de la Cour fédérale, le fonctionnaire a longtemps cherché un emploi. Il a fini par en trouver un en janvier 2011 à H’Art School of Smiles Inc., où il travaille désormais comme coordonnateur des programmes d’aide aux adultes ayant des difficultés de développement qui font la promotion des possibilités d’éducation postsecondaire pour ces clients (pièce G-56). Le fonctionnaire a témoigné que son nouvel employeur est au courant des circonstances de sa condamnation.

33 En contre-interrogatoire, l’employeur a cherché à en savoir davantage sur le cas de M. X. Le fonctionnaire a notamment déclaré qu’il n’était pas au courant de tous les détails de l’agression dont M. X avait été accusé, qu’il n’était pas présent quand la preuve avait été produite en cour, qu’il ne se rappelait pas quels détails du cas avaient été rendus publics dans les médias, qu’il n’avait pas vu la lettre de réprimande de M. X et qu’il n’était pas au courant des discussions qui avaient eu lieu entre M. X et le SCC à ce sujet.

34 En ce qui concerne le travail qu’il faisait quand il avait été réintégré au CRT, le fonctionnaire a reconnu que le modèle utilisé dans le programme de traitement des délinquants sexuels enseigne l’autogestion. Il a pour but d’aider les participants à apprendre à se contrôler dans des situations difficiles et à apprendre comment gérer leur comportement de façon à ne plus commettre d’autres agressions sexuelles.

35 Quand on lui a rappelé l’exposé conjoint des faits dans la [traduction] « Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine » de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (pièce E-2), le fonctionnaire a confirmé qu’il avait supprimé un courriel de l’ordinateur de bureau de HM. Il a également confirmé que HM était restée avec lui dans une chambre d’hôtel payée par l’employeur au cours d’une conférence à Cornwall à laquelle il avait été envoyé par l’employeur. À l’époque, HM n’était plus une employée. Le fonctionnaire a également reconnu s’être servi d’un téléphone cellulaire fourni par l’employeur pour faire des appels téléphoniques répétés à HM et pour lui laisser dans sa boîte vocale les messages qui sont mentionnés dans l’exposé conjoint des faits. Il a également reconnu que l’altercation verbale mentionnée dans la transcription avait eu lieu.

36 En réinterrogatoire, le fonctionnaire a déclaré n’avoir jamais écopé d’une sanction disciplinaire parce que HM l’avait accompagné à Cornwall ou parce qu’il s’était servi du téléphone cellulaire qui lui avait été fourni par l’employeur pour communiquer avec elle ou pour lui laisser des messages. Il avait accédé à l’ordinateur de bureau de HM en se servant du mot de passe qu’elle lui avait donné. Le fonctionnaire a également souligné que l’employeur ne lui avait jamais imposé de sanction à propos des rumeurs voulant qu’il ait été impliqué dans l’embauche initiale de HM dans son poste au CRT.

37 Après l’audience, les parties ont présenté un exposé conjoint des faits relatifs à la condamnation de M. X qui figure au dossier.

III. Résumé de l’argumentation

A. Principaux arguments

1. Pour l’employeur

38 L’accusation d’infraction criminelle à laquelle le fonctionnaire a plaidé coupable concernait une série d’événements qui se sont déroulés entre le 1er novembre 2001 et le 4 juillet 2002. L’accusation ne se limitait pas à ce qui s’est produit le 4 juillet 2002, soit aux circonstances qui ont mené à son arrestation. Le fait que le harcèlement criminel pour lequel il a été condamné impliquait un comportement qui a persisté durant des mois est évident dans le libellé du cinquième chef d’accusation (pièce E-1). Le harcèlement du fonctionnaire à l’endroit de HM comprenait des incidents tant au travail qu’au cours de déplacements en service commandé, comme on peut le lire dans la [traduction] « Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine » (pièce E-2). Le lien névralgique de sa relation avec HM était dans le contexte de son emploi.

39 La lettre de Mme Stableforth mettant fin à l’emploi du fonctionnaire (pièce E-23) soulignait les deux infractions spécifiques à la Règle 2 « Conduite et apparence » du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle (pièces E-11 et E-12) sur lesquelles sa décision était basée, à savoir qu’il s’était conduit, pendant qu’il était en service ou non, d’une manière susceptible de ternir l’image du SCC et qu’il avait commis un acte criminel jetant le discrédit sur le SCC et compromettant son rendement ultérieur.

40 Mme Stableforth déclarait dans sa lettre que la conduite du fonctionnaire était [traduction] « […] incompatible avec les fonctions dont [il devait s’] acquitter comme psychologue […] ». Les fonctions du poste du fonctionnaire sont précisées dans sa description de poste (pièce E-10) et confirmées dans l’ECF aux paragraphes 70 à 73. La condamnation du fonctionnaire pour harcèlement criminel et le comportement sur lequel sa condamnation était basée avaient fait douter de son jugement, jeté le discrédit sur le SCC et sérieusement miné sa capacité de servir de modèle de comportement approprié et respectueux de la loi pour les délinquants. Mme Stableforth avait de bonnes raisons de croire que le fonctionnaire ne pouvait pas offrir de counseling aux délinquants s’il était incapable de contrôler sa propre conduite.

41 Le fonctionnaire comprenait que le travail dans le contexte correctionnel est différent. Il savait que le SCC a pour mission d’encourager les délinquants à respecter la règle de droit et que sa tâche consistait notamment à contribuer à la sécurité du public en enseignant aux détenus à ne pas récidiver. Même si son aptitude technique à s’acquitter de ses fonctions n’a jamais été contestée, sa condamnation au criminel permettait de douter de son sens de l’éthique et de ses qualités personnelles. En tant que psychologue, il était appelé à modifier le comportement de délinquants ayant de gros problèmes — à leur apprendre à « s’autogérer » —, alors que sa conduite criminelle compromettait son aptitude à le faire. Aux termes mêmes des Règles de conduite professionnelle (pièce E-11), le fait qu’il avait commis une grave infraction criminelle [traduction] « […] ne témoignait pas du type de comportement personnel et éthique considéré comme nécessaire au Service [SCC] ».

42 Mme Stableforth a tenu compte des facteurs atténuants suivants pour décider si mettre fin à l’emploi du fonctionnaire était la sanction appropriée : il n’avait jusque-là aucune sanction disciplinaire à son dossier, il comptait seize années d’emploi au SCC et il avait reçu plusieurs éloges pour son travail. Par contre, rien n’indiquait que le fonctionnaire reconnaissait avoir mal agi. Devant la Cour, il avait admis sa culpabilité sans toutefois présenter des excuses pour ses actions. Tant à l’occasion de sa rencontre avec lui le 28 avril 2004 que dans les observations écrites de son agent négociateur (pièce E-22), le fonctionnaire avait tenté de nier la gravité de son infraction en expliquant pourquoi il avait accepté sa transaction pénale. La lettre de l’agent négociateur stipule d’ailleurs qu’il avait conclu cette transaction [traduction] « […] en dépit de sa propre confiance en son innocence […] ». Selon Mme Stableforth, le fonctionnaire n’avait aucun remords et il ne semblait pas comprendre la gravité de sa conduite.

43 Dans le jugement qu’elle a rendu dans Tobin, la Cour d’appel fédérale a analysé les critères subjectifs et objectifs sur lesquels on peut se fonder pour déterminer la gravité de l’infraction commise par le fonctionnaire (aux paragraphes 64 et 65). Le fonctionnaire a été jugé coupable de harcèlement criminel en vertu de l’alinéa 264(2)d) du Code criminel en raison d’une tendance à manifester un comportement menaçant qui avait incité HM à craindre pour sa sécurité; c’est une infraction passible d’une peine maximale de 10 ans de prison. La longueur de la peine susceptible d’être imposée est un indicateur objectif de la gravité du crime. La Cour a qualifié la peine potentielle de 10 ans dont le fonctionnaire était passible de « lourde peine »; voir également R. c. L.M., 2008 C.S.C. 31, paragraphe 24, et Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, paragraphe 40. Dans Tobin, la Cour d’appel fédérale a poursuivi en énonçant une série de critères subjectifs qui pourraient être considérés comme des facteurs aggravants dans le cas du fonctionnaire.

44 La Cour d’appel fédérale s’est également prononcée sur la question de l’évaluation de l’atteinte à la réputation de l’employeur causée par le procès du fonctionnaire — dont il avait été question dans les journaux de Kingston et d’Ottawa. Elle a évoqué Fraser c. C.R.T.F.P., [1985] 2 R.C.S. 455, qui conclut que la notion de capacité réduite est assez élastique, tout comme celle de l’image ternie. Dans ce contexte, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’un arbitre de grief doit faire preuve de [traduction] « bon sens et de discernement » pour décider si la conduite du fonctionnaire a jeté le discrédit sur le SCC.

45 Pour m’aider à déterminer l’atteinte à la réputation du SCC comme résultat de la condamnation du fonctionnaire ainsi qu’à effectuer les autres analyses qu’il considérait comme pertinentes, l’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Flewwelling c. Canada (C.A.F.), [1985] J.C.F. no 1129 (QL) (C.A.), pages 3 et 8; Ottawa-Carleton District School Board v. Ontario Secondary School Teachers’ Federation, District 25 (2006), 154 L.A.C. (4e) 387, pages 393 et 394; Dionne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2003 CRTFP 69, paragraphe 39 et 40; Wells c. Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel Canada), dossier de la CRTFP no 166-02-27802 (19971125); Gibbons c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada), dossier de la CRTFP no 166-02-19622 (19901115), pages 17 et 19; Beirnes c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP no 166-02-21914 (19920710), page 26; MacArthur c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 90, paragraphes 88 à 93 et 97 à 111.

46 Bref, l’employeur a déclaré que les actions du fonctionnaire constituaient une infraction de la Règle 2 du Code de discipline, que sa conduite était incompatible avec son poste de psychologue et que, dans les circonstances, il ne devrait pas être réintégré.

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

47 L’employeur n’a pas basé sa décision d’imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire sur la relation qu’il avait avec HM au travail. Rien dans la lettre disciplinaire (pièce E-23) ne mentionne des incidents liés à son travail. Mme Stableforth s’intéressait seulement à la conduite du fonctionnaire quand il n’était pas en service.

48 Dans sa décision, la Cour d’appel fédérale a examiné les critères dont il faudrait tenir compte pour déterminer les répercussions de la condamnation du fonctionnaire. L’employeur n’a avancé aucune preuve sur ces critères objectifs ou subjectifs; il n’a pas prouvé comment la sanction qu’il a imposée était justifiée et n’a rien ajouté de nouveau sur la question de l’atteinte à sa réputation.

49 Mme Stableforth n’a pas tenté de tenir compte du travail accompli par le fonctionnaire après sa réintégration dans son poste par suite de la décision de l’arbitre de grief. Les témoignages quant au travail qu’il a accompli au CRT entre juin 2007 et juillet 2008 sont la meilleure preuve possible pour rejeter la théorie de Mme Stableforth quant aux répercussions de sa condamnation sur la réputation du SCC et sur son aptitude à s’acquitter des fonctions de son poste. La preuve a révélé que ses superviseurs au CRT n’avaient pas de réserves concernant son passé, qu’ils savaient que le fonctionnaire aurait aimé jouer un rôle à un niveau plus élevé et qu’ils l’encourageaient dans ses aspirations. Il n’y a pas la moindre indication d’une plainte concernant le fonctionnaire, d’une couverture négative dans les journaux ou d’un problème quelconque dans son travail avec les délinquants. Tous les arguments avancés contre le fonctionnaire ont été réfutés par l’année qu’il a travaillé au CRT après avoir été réintégré.

50 Mme Stableforth a imposé une sanction disciplinaire au fonctionnaire en se basant exclusivement sur son opinion, et les preuves basées sur des opinions doivent être traitées avec une grande prudence. Voir Procureur général du Canada c. King, 2009 CF 922, paragraphe 12, citant King c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP64. Tel qu’il est mentionné dans Fraser, au paragraphe 47, la règle normale exige une preuve directe pour prouver l’incapacité de s’acquitter d’une tâche particulière. À cet égard, les conclusions personnelles de Mme Stableforth quant à l’incidence des actions du fonctionnaire sur l’employeur ne sont pas suffisantes. Une preuve plus concluante s’impose, et ce n’est pas la preuve invoquée par l’employeur quant à la couverture défavorable du cas du fonctionnaire dans les journaux. Ces reportages peuvent être ignorés. Mme Stableforth elle-même a témoigné qu’elle n’avait pas congédié le fonctionnaire en raison de la couverture dans les médias (ECF, paragraphe 96).

51 En ce qui concerne la gravité de l’infraction du fonctionnaire, les Règles de conduite professionnelle du SCC (pièce E-11), stipulent (à la page 10) que les actes criminels posent problème [traduction] « […] en particulier dans le cas de récidives ou d’infractions suffisamment graves pour entraîner l’incarcération […] ». Il faudrait donc mettre la prétendue gravité de l’infraction du fonctionnaire en perspective, puisqu’il n’a pas écopé d’une peine de prison et qu’il n’a pas récidivé.

52 La [traduction] « Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine » (pièce E-2) doit être interprétée avec une extrême prudence. Il n’y figure pas que des faits. Par exemple, on y trouve des descriptions des sentiments qu’HM éprouvait, ce qui constitue donc de l’ouï-dire classique. La transcription stipule également que HM avait témoigné que le fonctionnaire avait menacé de la tuer. En acceptant l’exposé conjoint des faits devant la Cour, le fonctionnaire avait reconnu que HM avait rendu ce témoignage sans toutefois en reconnaître la véracité. Pour établir les faits à l’audience, l’employeur ne peut pas se fonder exclusivement sur cette transcription. Il doit vérifier tous les faits qui y sont allégués quant à la gravité de l’infraction avec le fonctionnaire et il ne l’a pas fait. Par ailleurs, le fonctionnaire lui-même a produit une déclaration claire confirmant les éléments factuels de la [traduction] « Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine » (ECF, paragraphe 58).

53 Qu’est-ce que Mme Stableforth savait vraiment lorsqu’elle a imposé cette sanction au fonctionnaire? Elle savait qu’il avait plaidé coupable, mais elle ne lui a posé aucune question sur les répercussions que ce plaidoyer aurait pu avoir à son lieu de travail. Comme on peut le lire dans l’ECF (paragraphe 75), elle avait des idées sur l’incidence que la condamnation du fonctionnaire aurait pu avoir sur son aptitude à s’acquitter des fonctions d’un psychologue, mais au-delà de ces idées, elle n’a pas avancé la moindre preuve pour démontrer comment l’une ou l’autre des fonctions particulières du fonctionnaire aurait pu être compromises par sa condamnation ou par la conduite pour laquelle il avait été condamné. Rien dans la preuve n’indique quoi que ce soit qui ait pu avoir une incidence sur l’aptitude du fonctionnaire à composer avec des détenus. Au contraire, l’année qu’il a passée par la suite à travailler au CRT a confirmé que Mme Stableforth se trompait. La preuve, telle que les rapports d’évaluation qu’il a remplis (par exemple la pièce G-49), démontre que le fonctionnaire excellait dans l’exercice des habiletés requises pour accomplir son travail. M. Stebbens, le directeur exécutif du CRT, a évalué favorablement sa conduite. Toutes les autres preuves confirment que le fonctionnaire était un employé expérimenté et estimé; voir les pièces G-2, 3, 10-17, 19-21, 25, 28, 31, 32, 34 à 39, 54 et 55 ainsi que les témoignages de Mme DeLaat et de David Farnsworth, un autre psychologue du SCC, qui figurent dans l’ECF aux paragraphes 84 à 87.

54 Mme Stableforth n’a basé ses opinions sur rien. Elle n’a pas parlé aux superviseurs du fonctionnaire avant de mettre fin à son emploi (paragraphes 91 et 94 de l’ECF). L’enquête administrative qu’elle avait commandée n’a pas examiné l’incidence sur le public des événements survenus dans le cas du fonctionnaire (ECF, paragraphe 92). Elle n’a pas donné au fonctionnaire l’occasion de parler de la relation entre sa condamnation et son travail (ECF, paragraphe 97).

55 Le fonctionnaire conteste énergiquement la prétention qu’il n’aurait manifesté aucun remords pour ce qui s’est produit. Par exemple, il a témoigné qu’il avait tenu compte de l’effet qu’un procès au criminel aurait eu pour HM, pour sa famille et pour le SCC quand il a décidé de conclure la transaction en matière pénale. De toute manière, son prétendu manque de remords n’est pas pertinent puisque ce n’était pas un facteur mentionné dans la lettre disciplinaire et que ce n’était pas non plus un motif de son congédiement. Il est également injuste de l’accuser de ne pas accepter la responsabilité de ses actes. La lettre de la représentante de son agent négociateur à Mme Stableforth (pièce E-22) précise clairement qu’il [traduction] « […] accept[ait] la responsabilité de ses actes à l’égard […] du cinquième chef d’accusation. Il [n’avait] pas tenté de nier cela […] ».

56 Le fonctionnaire m’a renvoyé aux décisions suivantes à l’appui de son argument que l’employeur n’a pas produit le type ni la qualité de preuve requise pour démontrer que sa condamnation pour une conduite alors qu’il n’était pas en service jetait le discrédit sur la réputation de l’employeur ou nuisait son aptitude à faire son travail : Nova Scotia Teachers’ Union v. Nova Scotia Community College (2003), 121 L.A.C. (4e) 159, paragraphes 98, 102, 108 et 120; Port Moody (City) and C.U.P.E., Loc. 825 (1997), 63 L.A.C. (4e) 203, paragraphes 74 et 78; Toronto District School Board v. Canadian Union of Public Employees, Local 4400 (2009), 181 L.A.C. (4e) 49, paragraphe 65; Burton c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 74, paragraphes 207, 209 et 216; Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 9, paragraphes 161 et 163-166; Canada (Procureur général) c. Basra, 2010 CAF 24, paragraphes 24, 26, 27 et 29; MacArthur, paragraphes 100, 101, 103, 107 et 109; et Leadbetter c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP no 166-02-28705 (19990429), paragraphes 159, 160, 170 et 175. (Le fonctionnaire a également invoqué d’autre jurisprudence sans présenter de commentaires ni d’observations; je l’ai traitée comme fournissant un contexte juridique général pour la présente décision.)

57 Le fonctionnaire a déclaré que d’autres employés du SCC qui avaient été condamnés pour une infraction criminelle avaient été autorisés à continuer à travailler pour le Service; voir l’exemple de M. X et les exemples cités dans la pièce E-25. Selon lui, le traitement que l’employeur lui a réservé est incompatible avec ses actions dans d’autres cas; voir Dosanjh c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP no 166-02-27262 (19970604) et Leadbetter sur la question de l’uniformité de l’approche disciplinaire.

58 Mme Stableforth n’a tenu compte que de deux facteurs atténuants, la durée du service du fonctionnaire et son dossier disciplinaire. Elle aurait dû également tenir compte des autres facteurs atténuants typiquement reconnus dans la jurisprudence; voir United Steelworkers of America, Local 3257 v. Steel Equipment Co. (1964), 14 L.A.C. 356, et Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e éd. (« Brown et Beatty »), au paragraphe 7:4400.

59 Pour résumer, le fonctionnaire a répété qu’il s’agit de déterminer si l’incidence de sa condamnation et le fait qu’on en avait parlé dans les médias avaient influé sur son aptitude à s’acquitter de ses fonctions et sur ce que les gens pensaient du SCC. Même si l’on ne tient pas compte de son rendement après sa réintégration dans son poste, l’employeur ne s’est pas acquitté de la charge de sa preuve. Le fonctionnaire me presse d’accueillir son grief et d’ordonner sa réintégration avec le remboursement habituel de toute perte subie au titre du traitement et des avantages. Il me demande de rester saisi de l’affaire pour assurer le versement du redressement réclamé.

60 Subsidiairement, si je devais conclure que l’employeur avait raison de lui imposer une sanction, le fonctionnaire maintient que la cessation de son emploi était une sanction excessive et que je devrais lui substituer une sanction moins lourde.

3. Réplique de l’employeur

61 Sur la question du rendement du fonctionnaire après sa réintégration, l’employeur a maintenu que la réintégration a été annulée par les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. La preuve relative à ce rendement que le fonctionnaire se propose d’invoquer n’est tout simplement pas pertinente.

62 Contrairement à l’argument du fonctionnaire, la preuve sur laquelle Mme Stableforth s’est appuyée pour décider de mettre fin à son emploi, en fonction de sa connaissance de la région en sa qualité de sous-commissaire, figure amplement dans l’ECF. La Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire à la Commission pour qu’elle soit entendue de nouveau par un nouvel arbitre de grief non pas en fonction d’une nouvelle preuve, mais plutôt de directives sur la façon d’interpréter les renseignements existants. Nonobstant la règle normale énoncée dans Fraser, l’approche qu’il faut adopter pour évaluer cette preuve doit être conforme aux instructions de la Cour d’appel fédérale.

63 L’incarcération n’est pas obligatoire pour prouver la gravité d’une infraction. Dans le cas du fonctionnaire, le fait que son infraction au Code criminel était passible d’une peine de 10 ans de prison suffit à démontrer toute la gravité de son acte; voir MacArthur, dans laquelle le fonctionnaire n’avait pas été incarcéré.

64 La question de l’uniformité des sanctions disciplinaires devrait être interprétée avec prudence, parce que la décision que l’employeur doit prendre dans chaque cas de condamnation au criminel dépend largement des faits spécifiques relatifs à l’infraction et du rapport entre celle-ci et le travail de l’employé.

65 En déclarant que l’employeur ne l’a pas congédié à cause de sa relation avec HM, le fonctionnaire tente de séparer sa relation avec la victime des faits pertinents. Pourtant, c’est sa relation avec HM qui a mené à l’accusation criminelle, et c’est cette accusation qui a mené à son congédiement pour motifs disciplinaires. Sa relation avec HM n’est peut-être pas la raison spécifique pour laquelle il a écopé d’une sanction disciplinaire, mais elle faisait partie intégrante de la chaîne d’événements qui l’ont fait aboutir en cour et qui l’ont rendu passible de la sanction que l’employeur lui a imposée par la suite.

B. Arguments supplémentaires

1. Preuve d’événements subséquents

66 Tel qu’il a été démontré dans le résumé des arguments présentés de vive voix, les parties ont pris des positions opposées à savoir à quel point je pourrais ou devrais me fier aux preuves qui m’ont été soumises sur le rendement du fonctionnaire après sa réintégration dans son poste d’attache au CRT en juin 2007. J’ai jugé opportun de leur demander des observations écrites en réponse à la question suivante :

[Traduction]

L’arbitre de grief peut-il se baser sur des preuves relatives au rendement du fonctionnaire à la suite de sa réintégration comme employé du SCC, le 18 juin 2007, pour déterminer le bien-fondé de la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi et/ou d’un redressement?

67 Les deux parties ont répondu en présentant des mémoires détaillés dont j’ai entièrement pris connaissance. Le texte intégral de ces mémoires et la jurisprudence invoquée ont été versés au dossier à la Commission. Les résumés suivants se limitent aux faits saillants de la position des parties.

a. Pour l’employeur

68 L’employeur m’a d’abord renvoyé à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Cie minière Québec Cartier c. Québec, [1995] 2 R.C.S. 1095, dans lequel la Cour a jugé que l’arbitre de grief avait excédé sa compétence en se fondant sur une preuve d’événements subséquents. Les extraits suivants de l’arrêt reflètent l’essence du jugement de la Cour :

[…]

11. […] lorsqu’il examine une décision de la compagnie de congédier un employé, l’arbitre a une large compétence pour établir les critères applicables pour évaluer si on a fait la preuve d’une « cause juste et suffisante » de congédiement. De plus, l’arbitre a une compétence étendue pour examiner tout élément de preuve qu’il considère pertinent. Toutefois, sa compétence est à la fin limitée, du fait qu’il doit répondre à la question précise qui lui est soumise : à savoir si la décision de congédier l’employé en question était ou non justifiée. L’arbitre doit, notamment, déterminer si la compagnie avait une cause juste et suffisante pour congédier l’employé au moment où elle l’a fait.

12. En règle générale, l’arbitre qui examine une décision de congédier un employé devrait confirmer le congédiement lorsqu’il est convaincu qu’il y avait cause juste et suffisante de congédiement au moment où la compagnie a pris cette décision. Par contre, l’arbitre devrait annuler le congédiement lorsqu’il conclut que la compagnie n’avait aucune cause juste et suffisante pour congédier l’employé au moment où elle l’a fait. […]

13. Ceci m’amène à la question que j’ai soulevée plus tôt quant à savoir si un arbitre peut prendre en considération la preuve d’événements subséquents lorsqu’il statue sur un grief relatif au congédiement d’un employé par la compagnie. À mon avis, un arbitre peut se fonder sur une telle preuve, mais seulement lorsqu’elle est pertinente relativement à la question dont il est saisi. En d’autres termes, une telle preuve ne sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné. Par conséquent, dès qu’un arbitre conclut que la décision de la compagnie de congédier un employé était justifiée au moment où elle a été prise, il ne peut plus annuler le congédiement pour le seul motif que des événements subséquents rendent, à son avis, cette annulation juste et équitable. Dans ces circonstances, un arbitre excéderait sa compétence s’il se fondait sur une preuve d’événements subséquents pour annuler le congédiement. Conclure le contraire reviendrait à accepter que l’issue d’un grief relatif au congédiement d’un employé puisse dépendre du moment où il a été déposé et du délai écoulé entre le dépôt initial et la dernière audience de l’arbitre. […]

[…]

69 Dans Smoky River Coal Ltd. v. U.S.W.A., Local 7621 (1995), 52 L.A.C. (4e) 409, un conseil d’arbitrage a appliqué le raisonnement de la Cour suprême dans Cie minière Québec Cartier pour rejeter la preuve d’événements subséquents invoquée par un employé s’estimant lésé pour démontrer qu’il avait surmonté son problème de consommation d’alcool, en écrivant ce qui suit au paragraphe 13 :

[Traduction]

[…]

L’employé s’estimant lésé a présenté des arguments selon lesquels il ne boit plus et se serait réhabilité. Si l’on admet qu’il dit vrai, il n’en reste pas moins qu’il a cessé de boire et qu’il s’est inscrit à un programme de désintoxication après avoir été congédié. C’est donc une preuve d’événements subséquents qui ne permet pas de [traduction] « déterminer si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a eu lieu » […].

[…]

70 La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a pris une approche analogue dans Canada Safeway Ltd. v. United Food and Commercial Workers Union Local 401 (1997), 47 Alta. L.R. (3d) 192. Dans ce cas, elle devait se prononcer sur la décision d’un arbitre de grief de se fonder sur une preuve d’événements subséquents pour justifier sa réintégration d’un employé s’estimant lésé dont l’emploi avait pris fin après qu’il eut été condamné pour avoir sexuellement agressé une collègue. La Cour a reconnu que la législation provinciale du travail donnait à l’arbitre de grief le pouvoir (en l’absence d’une disposition particulière d’une convention collective) de modifier une sanction disciplinaire lorsqu’il lui semblait [traduction] « juste et raisonnable dans toutes les circonstances » de le faire. Toutefois, elle a déclaré au paragraphe 15 de son jugement que [traduction] « […] “toutes les circonstances” signifient toutes les circonstances applicables au moment du congédiement, pas les nouvelles circonstances survenues à la suite du congédiement qui ne sont pas directement liées à la raison du congédiement. » Et la Cour a déclaré que la preuve d’événements subséquents que l’employé s’estimant lésé s’était marié, qu’il avait volontairement continué de recevoir du counseling après la fin de sa période de probation et qu’il s’était largement réhabilité, d’après les témoignages des experts médicaux, n’était pas directement liée ni pertinente à la cause de son congédiement. En se fondant sur cette preuve pour rendre sa décision, l’arbitre de grief avait excédé sa compétence.

71 Dans Centre for Addiction and Mental Health v. Ontario Public Service Employees Union, Local 500 (2000), 88 L.A.C. (4e) 13, paragraphes 16, l’arbitre de grief s’est penché sur l’application de Cie minière Québec Cartier relativement aux faits de l’affaire. Il a noté ceci :

[Traduction]

16. […] La mesure dans laquelle une « approche pratique » peut étendre les paramètres d’une procédure d’arbitrage de grief pour y inclure les événements survenus après une décision disciplinaire qui ne peuvent pas être considérés comme faisant partie du continuum du renvoi (qui incluraient la réaction d’un employé à l’imposition d’une sanction, par exemple) n’est pas illimitée. Conclure autrement pourrait susciter les difficultés mêmes dont la Cour suprême du Canada a fait état dans Québec Cartier […] Le principe, qu’il ne faut pas ignorer, c’est que les paramètres de l’arbitrage sont établis par le grief et par la procédure de règlement des griefs, qui peuvent tenir compte des événements faisant partie du continuum du grief, mais pas des « nouveaux » événements arrivés après l’imposition de la sanction disciplinaire. À notre avis, les arbitres n’ont pas compétence pour tenir compte des événements survenus après l’imposition de la sanction lorsqu’ils doivent trancher la question fondamentale de sa justification.

72 Dans le cas du fonctionnaire, la preuve à propos de son aptitude à accomplir des tâches et du fait que ses collègues ou ses superviseurs étaient satisfaits de son travail correspond exactement au type de faits qu’envisageait la Cour suprême du Canada dans Cie minière Québec Cartier quand elle a déclaré qu’il serait absurde que la décision de renvoyer un employé puisse être renversée chaque fois que le choc du renvoi le convaincrait de se réformer.

73 Dans Canada Safeway Ltd., la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a donné une indication du type de preuve d’événements subséquents qui pourrait et devrait être admise, avec l’exemple du comportement erratique et de l’insubordination d’un employé qu’on déterminerait après coup avoir été causés par une tumeur au cerveau. En donnant cet exemple, elle a clairement établi qu’un arbitre de grief pourrait se fonder sur une preuve d’événements subséquents si l’employé établissait un fait (la tumeur au cerveau) existant au moment de l’incident ayant mené à son congédiement. Le principe fondamental est que même si la preuve est découverte après cet incident et donc après le congédiement, le fait existait au moment du congédiement. Par conséquent, il satisfait au critère d’aider à clarifier si la décision était raisonnable ou, en d’autres termes, il faisait partie du continuum du grief.

74 Dans le cas du fonctionnaire, les faits relatifs à sa conduite au travail après sa réintégration qu’il dit pertinents se sont produits trois ans après son congédiement. L’exercice de ses fonctions de la manière qu’il allègue était basé sur la possibilité de retourner au travail qui lui a été offerte seulement par suite de la décision d’un arbitre de grief qui a ultérieurement été jugée non fondée et qui a donc été annulée. Dans cette nouvelle audience, l’arbitre de grief ne devrait accorder aucun poids à la preuve d’événements subséquents que le fonctionnaire avance tant sur la question de son congédiement que sur celle du redressement réclamé.

b. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

75 Le droit applicable à la preuve d’événements ultérieurs au congédiement veut que les renseignements relatifs aux événements survenus après que la décision de mettre fin à l’emploi d’un employé peuvent être retenus s’ils sont pertinents. Il ne fait aucun doute que la preuve concernant le rendement du fonctionnaire dans son poste d’attache après sa réintégration est extrêmement pertinente et probante. Elle donne directement des renseignements sur l’effet que la condamnation du fonctionnaire a eu sur l’exercice de ses fonctions et sur la réputation du SCC (à supposer qu’elle ait eu un tel effet). En fait, c’est la meilleure preuve possible de cet effet. Dans la plupart des cas, l’arbitre de grief n’a que l’opinion de l’employeur ou d’autres présomptions quant à l’effet d’une condamnation au criminel. Dans ce cas-ci, l’arbitre de grief a des preuves quant aux véritables résultats.

76 Cie minière Québec Cartier a été la première importante décision rendue sur la question de la preuve après un congédiement. Pourtant, de nombreux arbitres de grief ont conclu que cet arrêt était limité aux circonstances particulières de l’affaire dont la Cour suprême était saisie, dont l’incapacité de l’employé et son congédiement pour absentéisme, de même que le régime de relations de travail unique du Québec. La Cour suprême craignait qu’un employé puisse se réhabiliter après avoir été congédié et chercher à obtenir sa réintégration même s’il ne se serait jamais corrigé s’il n’avait pas été congédié (paragraphe 13). La Cour suprême a jugé que l’arbitre de grief avait erré en imposant à l’employeur une nouvelle obligation de reprendre à son service un employé alcoolique qu’il avait renvoyé pour des motifs valables et qui s’était fait offrir toutes les chances de se réhabiliter, mais qui avait décidé après avoir été congédié et avant que son grief soit entendu de subir avec succès une cure de désintoxication (paragraphe 15). Ces craintes ne semblent pas s’appliquer en l’espèce.

77 Dans son arrêt ultérieur dans l’affaire Conseil de l’éducation de Toronto (Cité)c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, la Cour suprême a conclu qu’un arbitre de grief pouvait se fonder sur une preuve d’événements subséquents. Cette affaire concernait un employé congédié en raison de deux lettres – et autres comportements - contenant des accusations troublantes qui auraient également pu être considérées comme des menaces. Longtemps après son congédiement, mais avant l’audience d’arbitrage de son grief, cet employé avait écrit une troisième lettre contenant elle aussi des accusations et des menaces similaires. La Cour suprême a conclu que l’arbitre de grief avait commis une grave erreur en ne tenant pas compte de cette preuve d’événements subséquents, et elle a écrit ce qui suit aux paragraphes 72 à 74 de son arrêt :

72      La troisième lettre est le dernier élément de preuve important qui mène à la conclusion que la conduite du plaignant n’était pas temporaire. Cette lettre a été rédigée plusieurs mois après la décision de la commission d’enquête, et un mois et demi après la date fixée pour le début de l’audience devant le conseil d’arbitrage. Curieusement, les membres de la majorité n’ont même pas fait mention de cette lettre.

73      […] La troisième lettre faisait partie de la preuve dont disposait le conseil d’arbitrage. En conséquence, il convient d’en tenir compte pour décider si l’inférence des membres de la majorité du conseil d’arbitrage que la conduite [du plaignant] était temporaire était fondée.

74      Il est vrai que la troisième lettre est, dans une certaine mesure, la « preuve d’événements subséquents », puisqu’elle a été rédigée après le congédiement [du plaignant]. Cependant, il a été jugé qu’une telle preuve peut à juste titre être prise en considération « si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné » : Cie minière Québec Cartier c. Québec […] En l’espèce, non seulement aurait-il été raisonnable que les arbitres prennent la troisième lettre en considération, mais ils ont commis une erreur grave en ne le faisant pas.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

La Cour suprême a tiré de cette troisième lettre la conclusion suivante :

[…]

76  Cette lettre est un aveu par [le plaignant] qu’il était encore incapable de maîtriser ses sentiments ou son désir de les exprimer, aussi déplacés qu’ils puissent être. Elle est une preuve irréfutable [qu’il] n’était pas redevenu « plus calme » plusieurs mois après la fin des procédures de la commission d’enquête, et que ses sentiments extrêmes et son manque de jugement persistaient. Compte tenu de cette lettre, il était manifestement déraisonnable pour les arbitres de conclure que la conduite [du plaignant] était temporaire, et de le renvoyer en salle de cours.

[…]

78 La Cour suprême s’est servie de la preuve dans Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) exactement de la même façon que le fonctionnaire voudrait que l’arbitre de grief se serve de la preuve d’événements subséquents en l’espèce. Dans Conseil de l’éducation de Toronto (Cité), cette preuve a été utilisée pour contribuer à prédire l’effet des actions de l’employé dans l’avenir. En l’espèce, la preuve d’événements subséquents devrait être utilisée dans le même but. Elle constitue une preuve irréfutable que la condamnation du fonctionnaire n’aura aucune incidence défavorable sur sa façon d’exercer les fonctions de son poste ni sur la réputation du SCC.

79 Les arbitres de grief nommés sous le régime de la Loi ont reconnu que Cie minière Québec Cartier leur permettait d’admettre la preuve d’événements subséquents pertinente. Ils ont conclu qu’ils n’étaient pas assujettis à la restriction établie par la Cour suprême dans Cie minière Québec Cartier, en raison des différences entre la Loi et la législation applicable au Québec.

80 Dans LaBranche c. Conseil du Trésor (Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2010 CRTFP 65, l’arbitre de grief a écrit ce qui suit :

[…]

166    On pourrait croire que le principe de l’admissibilité possible de la preuve d’événements subséquents est de droit constant, or de nombreux arbitres en ont écarté l’application en se prévalant de la loi applicable pour exercer leurs pouvoirs de réparation […]

167    Cela dit, je considère qu’il n’entrait pas dans l’intention de la Cour suprême du Canada de limiter l’application du principe de la recevabilité de la preuve pertinente d’événements subséquents aux cas de congédiement, mais plutôt d’étoffer un principe général de la preuve qui s’applique à l’étendue des pouvoirs de l’arbitre, c’est-à-dire que l’arbitre doit tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents avant de décider de l’issue d’un grief.

[…]

170    Dans l’affaire en instance, la preuve d’événements subséquents soumise par la fonctionnaire est pertinente eu égard à son grief parce qu’elle confirme le caractère continuel de la réponse inappropriée de l’employeur aux incidents prétendument discriminatoires. Outre le fait que c’est une indication supplémentaire que l’employeur tolérait la discrimination, sa décision de mettre fin à l’emploi de la fonctionnaire après la réception de la correspondance anonyme est le point culminant de sa conduite discriminatoire.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original

Voir aussi Zhang c. Administrateur général (Bureau du Conseil privé), 2010 CRTFP 98, aux paragraphes 91 et 92, et Spawn c. Agence Parcs Canada, 2004 CRTFP 25, au paragraphe 286.

81 Sous le régime de l’ancienne Loi, les arbitres de grief se fondaient également sur la preuve d’événements subséquents lorsqu’elle était pertinente. Dans Jalal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27992 (19990421), l’arbitre de grief a examiné des circonstances virtuellement identiques à celles de la présente affaire. Le fonctionnaire s’estimant lésé, un employé du SCC licencié parce qu’on avait porté des accusations criminelles contre lui, avait avancé en preuve qu’il avait trouvé un emploi après son congédiement dans un domaine où son employeur exigeait de pouvoir lui faire tout autant confiance que le SCC. L’arbitre de grief a conclu que cette preuve démontrait que le congédiement n’était pas raisonnable et justifiée quand elle avait été ordonnée, en se fondant expressément sur le critère de Cie minière Québec Cartier.

82 Le fonctionnaire m’a également renvoyé à la décision rendue sous le régime de l’ancienne Loi dans Batiot c. Conseil du Trésor (Justice Canada), dossier de la CRTFP 166-02-28540 (19990527).

83 Pour des affaires illustrant l’approche adoptée quant à la preuve d’événements subséquents par des arbitres d’autres juridictions, le fonctionnaire a invoqué Titan Steel & Wire Co. v. Teamsters Local Union No. 213 (2003), 116 L.A.C. (4e) 300, Great Atlantic & Pacific Co. of Canada v. United Steelworkers of America, Local 414 (Retail, Wholesale Canada, Canadian Service Sector) (1997), 65 L.A.C. (4e) 306, Alcan Smelters and Chemicals Ltd. (1996), 55 L.A.C. (4e) 261, Natrel Inc. v. Milk and Bread Drivers, Dairy Employees, Caterers and Allied Employees, Local 674 (2004), 134 L.A.C. (4e) 142, Toronto District School Board v. Canadian Union of Public Employees (1999), 79 L.A.C. (4e) 365 et Petro-Canada v. Communications, Energy and Paperworkers Union, Local 593 (2004), 129 L.A.C. (4e) 353. Voir aussi James D’Andrea, Illness and Disability in the Workplace, Aurora, Canada Law Book, 2010.

84 Bref, le fonctionnaire a maintenu qu’il est établi en droit qu’un arbitre de grief peut se fonder sur la preuve d’événements subséquents si cette preuve clarifie les faits ou les présomptions sur lesquels l’employeur s’est basé pour justifier le congédiement.

85 Le fonctionnaire a présenté une preuve pour montrer que la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi était basée sur des faits erronés, particulièrement le fait que sa condamnation au criminel aurait miné son aptitude à s’acquitter de ses fonctions et aurait terni la réputation du SCC. Au moment de son congédiement, l’employeur tentait de prédire cette atteinte à a réputation du SCC en se basant sur des présomptions. La preuve ultérieure au congédiement qui permet de douter de ces hypothèses est extrêmement pertinente et devrait être admise.

86 Personne ne conteste le fait que le fonctionnaire a été de embauché de nouveau pendant plus d’un an dans son poste d’attache original et qu’il n’y a pas le moindre indice de répercussions néfastes de ce fait durant cette période, tant en ce qui concerne l’exécution de ses fonctions que la réputation du SCC. Au contraire, la preuve a révélé que le fonctionnaire avait effectué des évaluations détaillées de délinquants sexuels et produit des rapports étoffés sur ces délinquants incluant des recommandations sur le traitement qu’il fallait leur offrir. Cela démontre que les craintes de l’employeur étaient dénuées de fondement légitime au moment de son congédiement. Ignorer cette preuve ou l’exclure serait une erreur de droit, comme la Cour suprême l’a déclaré dans Conseil de l’éducation de Toronto (Cité).

87 Pour répondre à la question précise que l’arbitre de grief a posée, il peut se baser sur la preuve d’événements subséquents pour déterminer si la décision de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire était fondée, et il devrait le faire. Qui plus est, on n’a avancé aucune preuve laissant entendre que la réintégration ne serait pas l’option appropriée si l’arbitre de grief devait conclure que le congédiement n’était pas justifié. Au contraire, la preuve démontre que la réintégration du fonctionnaire ne soulèvera aucun problème.

2. Réfutations

a. Pour l’employeur

88 L’employeur a commenté Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) de façon détaillée. Dans ce cas, la Cour suprême a considéré la troisième lettre — la preuve d’événements subséquents en jeu — comme faisant partie du continuum du comportement. Elle a jugé qu’il existait un lien indissociable entre la conduite antérieure du fonctionnaire s’estimant lésé, révélée par ses deux premières lettres, et cette troisième lettre. La Cour suprême a jugé que le conseil d’arbitrage n’avait pas suffisamment de preuve pour justifier sa conviction que le comportement du fonctionnaire s’estimant lésé avait changé depuis son congédiement. La troisième lettre était une preuve pertinente, basée sur des opinions médicales obtenues avant le congédiement du fonctionnaire s’estimant lésé, que le comportement qui avait mené à son congédiement allait se poursuivre. Les faits en l’espèce sont entièrement différents. L’employeur a mis fin à l’emploi du fonctionnaire en mai 2004, mais la preuve d’événements subséquents survenus proposée concerne des événements survenus plus de trois ans après et plus de cinq ans après les événements qui y avaient mené. Cette preuve ne faisait donc pas partie du continuum du comportement du fonctionnaire.

89 L’employeur a tenté d’établir une distinction entre la situation en l’espèce et d’autres décisions invoquées par le fonctionnaire, comme le montrent les commentaires suivants :

  • Dans Toronto District School Board, l’arbitre de grief s’était penché sur les mérites de la prétendue preuve ultérieure au congédiement seulement de façon subsidiaire et avait conclu qu’elle révélait des faits survenus soit avant le congédiement, soit en même temps. Même s’il avait accepté cette preuve comme telle, l’arbitre de grief a conclu qu’elle n’aurait pas modifié sa décision.
  • Dans Alcan Smelters and Chemicals Ltd., l’arbitre de grief s’était essentiellement conformé à Cie minière Québec Cartier, en déclarant que [traduction] « […] on peut démontrer la pertinence de la preuve “d’événements subséquents” dans les circonstances telles qu’elles existaient au moment du renvoi. »
  • Dans Batiot, l’arbitre de grief n’avait accordé aucun poids à la preuve d’événements survenus après le congédiement.
  • Dans Jalal, il faut supposer que le nouvel employeur avait décidé de donner une chance au fonctionnaire s’estimant lésé même s’il savait qu’il avait volé et qu’on avait mis fin à son emploi. Dans ce cas-là, l’employeur, à la suite d’une ordonnance de l’arbitre de grief, a dû réintégrer le fonctionnaire s’estimant lésé.
  • Dans Great Atlantic & Pacific Co. of Canada et dans de nombreuses autres décisions invoquées par le fonctionnaire s’estimant lésé, la preuve d’événements subséquents existants au moment de l’événement, quoiqu’inconnus à ce moment-là, a été admise. Dans ces cas, on a conclu que lorsque cette preuve est avancée pour démontrer un changement de comportement, elle est considérée comme n’ayant guère de valeur probante pour déterminer si la décision de mettre fin à l’emploi était raisonnable lorsqu’elle a été prise.
  • Dans Natrel Inc., la gravité du problème de toxicomanie de l’employé s’estimant lésé n’avait été révélée que lorsqu’un témoignage d’expert avait été présenté à l’audience d’arbitrage de son grief. L’arbitre de grief avait jugé que son incapacité était telle qu’elle était la véritable raison de l’absentéisme qui avait mené à son renvoi.
  • Dans Petro-Canada, l’arbitre de grief était disposé à admettre en preuve des faits qui existaient au moment du congédiement du fonctionnaire s’estimant lésé, mais qui étaient inconnus jusque-là, pour clarifier le bien-fondé de la détermination de l’état du fonctionnaire s’estimant lésé par l’employeur.
  • Dans Spawn, la preuve médicale ultérieure à la sanction disciplinaire était pertinente pour clarifier la situation telle qu’elle existait au moment de la décision initiale d’imposer une sanction disciplinaire. Ce type de preuve ultérieure au congédiement est vraiment une preuve de faits existants au moment du congédiement, quoiqu’à l’insu de l’employeur.
b. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

90 L’importance que le fonctionnaire accorde à la preuve d’événements subséquents est entièrement compatible avec les principes énoncés dans Cie minière Québec Cartier, particulièrement compte tenu de Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) et des nombreuses autres décisions d’arbitrage qui ont examiné cette question depuis Cie minière Québec Cartier. La jurisprudence la plus récente limite l’intérêt des vieilles décisions comme Smoky River Coal Ltd.; voir par exemple Mitchell Island Forest Products Ltd. v. Industrial Wood andAllied Workers Union, Local 1-217 (1996), 60 L.A.C. (4e) 73, aux paragraphes 47 à 49, pour des commentaires en désaccord avec les conclusions de Smoky River Coal Ltd.

91 Canada Safeway Ltd., invoquée par l’employeur, souscrit à la conclusion qu’il est justifié de se fonder sur une preuve d’événements ultérieurs au congédiement. Comme l’employeur l’a souligné, cette preuve est pertinente si elle est liée aux circonstances [traduction] « […] existant au moment du congédiement […] ». La lettre de congédiement et la preuve avancée par l’employeur montrent clairement que la raison pour laquelle il a mis fin à l’emploi du fonctionnaire était l’incidence de sa condamnation sur son aptitude à s’acquitter de ses fonctions et sur la réputation du SCC. L’employeur avait le droit de se baser sur sa conviction que cette incidence serait négative. Pourtant, cette conviction doit avoir été étayée par des renseignements et des preuves suffisantes. Toute preuve infirmant cette conviction est extrêmement pertinente. Tel qu’il est mentionné dans Cie minière Québec Cartier, une telle preuve aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié. De toute évidence, le rendement du fonctionnaire dans son poste d’attache était directement lié à la conviction ou à la présomption de l’employeur quant à l’incidence de sa condamnation. Ainsi, ça se rapporte directement au motif de son congédiement.

92 Canada Safeway Ltd. est extrêmement limitée. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta avait conclu que la preuve d’événements subséquents ne pouvait pas être admise parce qu’elle avait été présentée pour démontrer que l’employé avait pris des mesures pour se réhabiliter après son congédiement. Ce n’est vraiment pas pertinent en l’espèce. Dans Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Workers, [2010] C.L.A.D. No. 219, aux paragraphes 56 et 57, l’arbitre de grief a établi une distinction entre son cas et la situation dans Canada Safeway Ltd en concluant que la preuve d’événements subséquents était admissible.

93 Il faut également interpréter Centre for Addiction and Mental Health avec prudence, parce qu’il s’agit d’une décision qui date et en raison de l’importante jurisprudence applicable, particulièrement Conseil de l’éducation de Toronto (Cité), qui a limité l’application de Cie minière Québec Cartier. Quoi qu’il en soit, le conseil d’arbitrage dans Centre for Addiction and Mental Health a conclu que la preuve d’événements subséquents n’était pas admissible pour trancher en ce qui a trait à la question du motif valable, mais qu’elle l’était pour en déterminer la sanction. Pour les raisons déjà citées, la nature de la preuve en l’espèce n’est pas telle qu’elle interdirait de l’appliquer à la question de la justification du congédiement. Néanmoins, et de façon subsidiaire seulement, si l’arbitre de grief devait conclure que la preuve du fonctionnaire s’estimant lésé n’est pas admissible pour décider si son congédiement était justifié, Centre for Addiction and Mental Health a établi que la preuve d’événements subséquents est pertinente pour déterminer la sanction appropriée. Or, comme le fonctionnaire s’estimant lésé et son employeur ont démontré que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait s’acquitter de ses fonctions sans incidence néfaste, il n’était pas nécessaire de mettre fin à son emploi.

94 Dans Toronto District School Board v. Canadian Union of Public Employees, on a invoqué Centre for Addiction and Mental Health pour confirmer le principe que la preuve d’événements survenus après le congédiement a été admise afin de déterminer s’il y avait une raison de maintenir la relation employeur-employé ou s’il y avait une preuve que l’employé avait surmonté des problèmes comme la toxicomanie ou l’alcoolisme. Ces « événements » se sont nécessairement déroulés après le congédiement. Les mêmes circonstances sont applicables en l’espèce. Le rendement du fonctionnaire dans son travail non seulement confirme le maintien de la relation employeur-employé, mais démontre que les prétendus problèmes qui auraient résulté de sa condamnation n’existaient pas.

95 En résumé, les quatre décisions invoquées par l’employeur portent sur des circonstances dans lesquelles un employé s’est réhabilité après le choc de son congédiement. Le raisonnement adopté dans ces décisions était fondé sur la crainte que la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi puisse être renversée seulement par les actions de l’employé après son congédiement. Cela ne s’applique pas en l’espèce. La preuve du fonctionnaire après son congédiement ne résulte pas du choc qu’il avait éprouvé en étant renvoyé et en étant obligé de se réhabiliter. C’est simplement et seulement le résultat de la première décision d’arbitrage de son grief. Ce qui est en jeu, c’est la conviction ou la présomption de l’employeur que la condamnation du fonctionnaire nuirait à l’exercice de ses fonctions ou à la réputation du SCC. La preuve proposée par le fonctionnaire est directement pertinente et clarifie le mieux possible cette conviction ou cette présomption.

3. Cote de sécurité

96 Au cours de l’audience, les parties ont déclaré que l’expiration de la cote de sécurité du fonctionnaire pourrait influer sur la question du redressement. Après lui avoir discuté de la façon de procéder à cet égard, j’ai décidé de leur demander de répondre à une autre question dans les observations écrites qu’elles devaient me soumettre après l’audience : [traduction] « Si l’arbitre de grief envisage la réintégration fonctionnaire dans son poste d’attache, comment l’expiration de sa cote de sécurité peut-elle influer sur sa décision? »

97 Pour les raisons exposées plus loin, je n’ai pas eu besoin de me prononcer sur cette question.

IV. Motifs

98 L’historique de ce type de litige dans cette affaire ne change pas la nature fondamentale des décisions que je dois prendre. Je réentends un grief renvoyé à l’arbitrage concernant une sanction disciplinaire. Comme c’est normalement le cas lorsqu’il s’agit de discipline, je dois essentiellement répondre aux trois questions suivantes : L’employeur a-t-il prouvé, selon la prépondérance des probabilités, les événements ou les actions qui l’ont mené à imposer la sanction disciplinaire? Si oui, a-t-il prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les actions du fonctionnaire s’estimant lésé lui ont donné une raison valable de lui imposer une sanction disciplinaire? Si la justification est prouvée, la sanction disciplinaire spécifique que l’employeur a imposée était-elle appropriée et proportionnelle à la nature de l’inconduite prouvée, compte tenu des facteurs atténuants et aggravants?

99 En répondant à ces trois questions, les paramètres de mon analyse étaient définis par l’identification des motifs disciplinaires que l’employeur a énoncés dans l’avis officiel que Mme Stableforth a signifié au fonctionnaire le 7 mai 2004 (pièce E-23) en ces termes :

[Traduction]

[…]

Vous avez contrevenu à la Règle 2 - Conduite et apparence du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle :

  • se conduit d’une manière susceptible de ternir l’image du Service, qu’il soit de service ou non;
  • est coupable d’un acte criminel ou d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire en vertu d’une loi du Canada ou d’une province ou territoire pouvant jeter le discrédit sur le Service ou nuire à son rendement ultérieur au Service.

J’ai conclu dans ma décision que votre conduite était incompatible avec les fonctions dont vous devez vous acquitter comme psychologue, ainsi qu’avec la conduite attendue des employés du Service correctionnel du Canada.

Vous avez jeté le discrédit sur le Service correctionnel du Canada aux yeux du public, du personnel et des délinquants, et la confiance qu’on vous accordait a été irrévocablement compromise.

[…]

A. L’employeur a-t-il prouvé, selon la prépondérance des probabilités, les événements ou les actions qui l’ont mené à imposer la sanction disciplinaire?

100 Dans les circonstances, il est relativement simple de répondre à cette première question. Nul ne conteste le plaidoyer de culpabilité du fonctionnaire devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario à une infraction à l’alinéa 264(2)d) du Code criminel, en s’étant rendu coupable de harcèlement criminel contre HM, tel que le décrivait le cinquième chef d’accusation (pièce E-1) et son plaidoyer (pièce E-2). Les deux allégations de l’employeur à son endroit reposent sur sa perpétration de cette infraction, d’après la preuve et les arguments qui m’ont été présentés. La déclaration dans la première infraction alléguée qu’il se serait conduit [traduction] « […] d’une manière susceptible de ternir l’image du Service [SCC] » est directement liée aux actions mêmes pour lesquelles il avait été condamné par la Cour supérieure de justice de l’Ontario — qui faisaient l’objet de la seconde infraction alléguée.

101 Le fonctionnaire conteste manifestement certains des faits relatifs à l’infraction à laquelle il a plaidé coupable. Sa version de ce qui s’était passé, telle que décrite dans l’ECF, tente de nuancer ce qui avait été déclaré au tribunal. Cette tentative de nuancer les faits pourrait être pertinente quand je me pencherai sur d’autres questions plus loin dans cette analyse, mais cela ne m’empêche pas d’accepter dès le départ que les éléments fondamentaux de la condamnation au criminel du fonctionnaire ont été prouvés de façon concluante et que l’employeur s’était fondé sur cela pour décider de lui imposer une sanction disciplinaire. À mon avis, on ne saurait douter de la réponse à la première question.

B. L’employeur a-t-il prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les actions du fonctionnaire justifiaient l’imposition d’une sanction disciplinaire?

102 Si je me fie à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Tobin, il y a lieu de diriger mon analyse en fonction de deux aspects principaux. Premièrement, elle me dit comment je dois traiter le Code de discipline de l’employeur (pièce E-12) et les Règles de conduite professionnelle connexes(pièce E-11). Deuxièmement, elle me sert de guide en ce qui a trait au type de preuve sur laquelle je peux me fonder pour déterminer si l’employeur s’est acquitté de sa charge de prouver qu’il avait une raison valable d’imposer une sanction disciplinaire et si la sanction imposée était appropriée et proportionnelle à l’infraction.

103 Tout d’abord, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’un arbitre de grief doit appliquer le Code de discipline de l’employeur, interprété dans le contexte de ses Règles de conduite professionnelle, à la fois pour déterminer si une infraction à la discipline a eu lieu et pour déterminer la sanction disciplinaire imposée à l’égard de cette infraction. Bref, le Code de discipline est exécutoire et fait autorité pour décrire les actions ou la conduite passibles de sanctions disciplinaires. La Cour a écrit ce qui suit :

[…]

[46] Le pouvoir d’adopter le Code de discipline comporte le droit d’apprécier la conduite des employés à la lumière de ses dispositions, sinon il ne serait d’aucune utilité. J’ai examiné les liens dans la chaîne des pouvoirs délégués depuis le Conseil du Trésor jusqu’au commissaire du SCC. Si cette chaîne comportait un lien manquant, rien en ce sens ne nous a été démontré. Le pouvoir du Conseil du Trésor d’établir des normes de discipline dans la fonction publique a été délégué au commissaire qui l’a exercé en adoptant le Code de discipline.

[47] Si le commissaire est en droit d’adopter les normes de conduite, il dispose alors vraisemblablement du droit d’apprécier la conduite des employés en fonction des règles établies dans le Code, sinon celles-ci ne seraient d’aucune utilité. On ne saurait court-circuiter ce raisonnement en tenant pour acquis qu’un autre ensemble de règles est justifié du fait que la conduite visée par la mesure disciplinaire s’est produite en dehors des heures de travail.

[48] La Règle 2 des règles de conduite professionnelle, lesquelles doivent se lire en parallèle avec le Code de discipline, s’applique précisément à la conduite en dehors des heures de travail. En l’espèce, l’infraction disciplinaire prévoit qu’une déclaration de culpabilité peut faire l’objet de mesures disciplinaires. La déclaration de culpabilité visée par l’infraction disciplinaire ne se limite pas à celle découlant d’une conduite affichée dans les locaux de l’employeur. L’avocat de M. Tobin a admis ce point. La question de l’applicabilité des règles du commissaire à la conduite en dehors des heures de travail ne se pose donc pas en l’espèce comme elle se posait dans la décision Millhaven Fibres.

[…]

[51] De la même façon, les règles de conduite professionnelle et le Code de conduite traitent de conduite nuisible à la réputation du SCC. Compte tenu de la mission du SCC, la question de savoir si une déclaration de culpabilité et les circonstances dans lesquelles la culpabilité a été reconnue lui sont nuisibles constituent un facteur à prendre en compte dans l’évaluation du caractère approprié de la sanction imposée à M. Tobin.

[52] […] il serait déraisonnable […] de ne pas appliquer les règles du commissaire. Cette application n’empêche pas un arbitre de conclure que la sanction imposée n’est pas appropriée compte tenu de toutes les circonstances, mais une telle décision devrait être justifiée au regard des Règles de conduite professionnelle et du Code de conduite.

[…]

104 Par conséquent, puisque le cas du fonctionnaire est entendu de nouveau, la charge de l’employeur consiste à prouver, selon la prépondérance des probabilités, les deux infractions à la Règle 2 du Code de discipline décrites par Mme Stableforth dans la lettre mettant fin à l’emploi de l’intéressé. La Cour d’appel fédérale a confirmé que le Code de discipline et les Règles de conduite professionnelle s’appliquent à la conduite des employés aussi bien quand ils sont en service que quand ils ne le sont pas. En l’espèce, elle a donc rejeté le critère largement reconnu et depuis longtemps appliqué de Millhaven Fibres. D’après la décision de la Cour d’appel fédérale, pour déterminer si l’employeur avait une raison valable d’imposer une sanction disciplinaire, autrement dit de définir une inconduite coupable, il faut décider si le fonctionnaire avait commis une infraction décrite dans le Code de discipline. La preuve d’une telle infraction justifie l’imposition d’une sanction.

105 Quel type de preuve faut-il pour prouver ces infractions? La directive de la Cour d’appel fédérale à cet égard est basée d’abord sur sa décision que le premier arbitre de grief avait erré en exigeant un certain type de preuve directe d’atteinte à la réputation de l’employeur résultant de la condamnation au criminel du fonctionnaire :

[…]

[60] […] La preuve directe d’atteinte à la réputation peut être requise dans certaines circonstances, mais il était manifestement déraisonnable pour l’arbitre de fixer une norme qui, à toutes fins utiles, ne pouvait être respectée. L’on ne saurait apprécier ou mesurer la réputation d’une institution nationale de la même façon qu’on le ferait pour une personne au sein d’une collectivité. Comment l’arbitre concevait-il qu’une telle preuve lui serait présentée? Aurait-elle été présentée sous forme de sondages de l’opinion publique? Hormis la question des coûts et de l’emploi à bon escient des fonds publics, il m’apparaît que la conception de tels sondages poserait des difficultés considérables. Par exemple, comment l’employeur s’y prendrait-il pour savoir, avant les événements en question, qu’il doit commencer à recueillir des éléments de preuve d’atteinte à sa réputation? Il est tout simplement déraisonnable de croire que la réputation du SCC puisse être mesurée avec une précision mathématique et qu’un facteur particulier puisse expliquer avec certitude les changements à cette réputation.

[61] Le passage de l’arrêt Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455 [Fraser], auquel le juge de première instance renvoie au paragraphe 50 de ses motifs, est particulièrement pertinent à cet égard. Dans l’arrêt Fraser, il s’agissait de déterminer si les critiques d’un fonctionnaire à l’égard des politiques du gouvernement avaient laissé libre cours à la perception qu’il était incapable de remplir ses fonctions de fonctionnaire. La notion d’incidence néfaste est assez élastique, tout comme celle de l’image ternie. C’est en ce sens que la Cour suprême s’est prononcée :

Si on examine l’incidence néfaste dans un sens plus large, je suis d’avis qu’une preuve directe n’est pas nécessairement exigée. Les traditions et les normes contemporaines de la fonction publique peuvent constituer des éléments de preuve directe. Toutefois elles peuvent également être des éléments d’étude, d’argumentation écrite et orale, de connaissance générale de la part d’arbitres qui ont l’expérience du secteur public et enfin, de déductions raisonnables par ces derniers.

Fraser, précité, au paragraphe 48

[62] Il en va de même pour la question de savoir si une conduite donnée porte atteinte à la réputation du SCC. Il s’agit d’une question dont le traitement commande une dose de bon sens et de discernement. L’arbitre a commis une erreur en la réduisant à une question de preuve empirique.

[…]

106 Et la Cour d’appel fédérale a également rejeté l’approche de l’arbitre de grief pour évaluer la preuve sur la gravité de l’infraction criminelle du fonctionnaire. À cet égard, je cite la Cour in extenso :

[…]

[63] L’arbitre a commis une seconde erreur lorsqu’il a examiné la question de savoir si l’infraction à laquelle M. Tobin avait reconnu sa culpabilité constituait un manquement grave au Code criminel. L’arbitre a seulement apprécié la gravité de l’infraction en se fondant sur la sévérité de la peine infligée. Dans le cas de M. Tobin, l’arbitre a conclu qu’une condamnation avec sursis assortie de 18 mois de probation ne le convainquait pas que M. Tobin avait commis un manquement grave au Code criminel.

[64] La gravité d’une infraction s’apprécie à la fois en fonction des critères subjectifs et objectifs : voir, par exemple, les paragraphes 24 et 25 de l’arrêt R. c. L.M., [2008] 2 R.C.S. 163. On qualifie habituellement de critères objectifs la peine maximale pouvant être infligée à l’accusé et le mode de poursuite, c’est-à-dire soit par acte d’accusation, soit par voie de poursuite sommaire. En l’espèce, l’infraction à l’égard de laquelle M. Tobin a reconnu sa culpabilité, soit celle de harcèlement criminel en se comportant d’une manière menaçante, constitue une infraction mixte, en ce sens que le ministère public peut décider de procéder par voie de mise en accusation ou par voie sommaire. Le mode de poursuite par voie de mise en accusation est réservé aux infractions les plus graves. Lorsque le ministère public procède par voie de mise en accusation, comme en l’espèce, et que l’accusé est reconnu coupable, l’emprisonnement maximal est de dix ans, ce qui constitue une lourde peine. Les critères objectifs soulignent la gravité de l’infraction aux yeux du législateur qui ne dispose naturellement d’aucune information quant aux circonstances entourant la perpétration d’une infraction donnée.

[65] Quant aux critères subjectifs, il s’agit des circonstances, soit atténuantes soit aggravantes, entourant la perpétration de l’infraction. C’est l’ensemble des circonstances qui doit être pris en compte, et non seulement celles qui sont pertinentes eu égard au chef d’accusation pour lequel l’accusé a reconnu sa culpabilité. En l’espèce, il se trouvait un certain nombre de circonstances pertinentes pour l’appréciation de la gravité subjective de l’infraction, lesquelles, semble-t-il, n’ont pas été prises en compte. Au paragraphe 80 de sa décision, l’arbitre énumère une longue liste de facteurs qui, selon M. Tobin, auraient dû être considérés dans son dossier comme des facteurs atténuants. L’arbitre n’a, en aucun temps, pris en compte un certain nombre de facteurs qui auraient pu être considérés comme aggravants. Voici certains de ces facteurs :

-la nature de la relation de travail entre M. Tobin et la victime aux dates pertinentes;

-le refus constant de M. Tobin de voir la victime mettre fin à la relation;

-la position de M. Tobin comme modèle de comportement pour tous les délinquants, y compris les délinquants sexuels et ceux aux prises avec des problèmes relationnels;

-la position de M. Tobin de qui, en sa qualité de psychologue consultant, on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit conscient des conséquences dommageables de son comportement envers la victime;

-la gravité de la conduite de M. Tobin admise à l’audience de détermination de la peine.

[66] En l’espèce, l’arbitre a adopté une approche simplement fondée sur la peine infligée par le juge du procès à la suite de la proposition conjointe présentée par la Couronne et la défense. L’arbitre ne semble pas avoir saisi le sens de la condamnation avec sursis, de la période de probation et de l’interdiction d’avoir en sa possession des armes à feu. L’effet de la condamnation avec sursis est démontré par le fait que si M. Tobin ne respectait pas les conditions de son ordonnance de probation, il pourrait se retrouver devant la cour qui aurait le loisir de lui infliger la peine, y compris une période d’emprisonnement maximale de 10 ans, qu’il jugerait appropriée dans les circonstances. Les tribunaux ont toujours jugé qu’une période de probation ne constituait pas une peine « légère ». Elle impose des restrictions à la liberté du délinquant ainsi que des conditions qui peuvent entraîner des conséquences pénales en cas de violation : voir Jayasekara c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 404, au paragraphe cinquante-quatre; R c. B (M.), [1987] O.J. no 276 (C.A. Ont.). Enfin, l’interdiction d’avoir en sa possession des armes à feu est une condition qui, aux termes de l’article 109 du Code criminel, doit être imposée lorsqu’une personne est reconnue coupable d’un acte criminel passible d’une peine maximale d’emprisonnement égale ou supérieure à dix ans et perpétré avec usage, tentative ou menace de violence contre autrui. De telles circonstances étaient présentes en l’espèce et elles soulignent encore une fois la gravité de l’infraction à l’égard de laquelle M. Tobin a reconnu sa culpabilité.

[67] En conséquence, la peine infligée par la juridiction criminelle ne peut être traitée comme un distillat des critères objectifs et des facteurs subjectifs entourant la perpétration de l’infraction. Selon le Code criminel, le juge qui détermine la peine est tenu de prendre en compte des facteurs qui, dans le contexte d’un milieu de travail, peuvent s’avérer pertinents ou non : voir l’article 718 du Code criminel. Il était déraisonnable pour l’arbitre de limiter son analyse sur cette question à la peine infligée.

[…]

107 À mon avis, ces commentaires de la Cour d’appel fédérale ne me lient pas excessivement les mains sur la question de la preuve démontrant que les actions du fonctionnaire auraient terni la réputation de l’employeur. (Ses commentaires sur la preuve démontrant l’incapacité semblent également s’appliquer à l’incidence de la condamnation du fonctionnaire sur son aptitude à s’acquitter des fonctions de son poste.) Comme la Cour l’a déclaré, en invoquant Fraser, il reste encore de la place pour « une dose de bon sens et de discernement ». En ce qui concerne la preuve sur la gravité de l’infraction commise par le fonctionnaire, les commentaires de la Cour semblent nettement plus limitatifs, même s’ils n’imposent pas une conclusion spécifique.

108 En entendant de nouveau le cas du fonctionnaire, il faut aussi tenir compte d’un nouvel élément de preuve. Ai-je le droit de tenir compte d’une preuve portant sur le travail du fonctionnaire après sa réintégration comme employé du SCC, le 18 juin 2007, pour évaluer le bien-fondé de la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi ou pour décider d’un redressement éventuel?

109 Je vais me pencher sur la question de la preuve d’événements subséquents après avoir d’abord examiné la preuve sur laquelle l’employeur s’est fondé (ou celle dont il disposait) quand il a mis fin à l’emploi du fonctionnaire, tout en tenant compte de la directive de la Cour d’appel fédérale. Si je conclus que les actions du fonctionnaire ont donné à l’employeur une raison valable de lui imposer une sanction disciplinaire en fonction de ce qu’il savait à l’époque, je vais décider si je peux tenir compte de la preuve d’événements subséquents produite par le fonctionnaire et, dans l’affirmative, si cette preuve change ma conclusion à propos de l’existence de la raison de lui imposer une sanction. À l’inverse, si je décide que l’employeur n’avait pas de raison d’imposer une sanction au fonctionnaire en se basant sur les faits connus au moment crucial, je n’aurai pas à me pencher sur la question de la preuve d’événements subséquents. (Je prends note que l’agent négociateur allègue que même si l’on ne tient pas compte du rendement du fonctionnaire après sa réintégration, l’employeur n’a toujours pas prouvé ce qu’il avance.)

1. Le premier motif disciplinaire — le discrédit jeté sur le SCC

110 Le premier motif invoqué par l’employeur pour imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire était axé sur l’incidence de ses actions quant à la réputation du SCC. L’employeur n’a pas seulement mentionné dans la lettre de congédiement une violation de l’interdiction par la Règle 2 d’une conduite « susceptible » de ternir l’image du SCC; il est allé plus loin en tirant ce que j’interprète être une conclusion factuelle lorsqu’il a déclaré dans un paragraphe suivant que le fonctionnaire avait [traduction] « […] jeté le discrédit sur le Service correctionnel du Canada aux yeux du public, du personnel et des délinquants […] ».

111 La Cour d’appel fédérale a rejeté la décision de l’arbitre de grief en partie parce qu’elle avait jugé qu’il avait établi selon elle une norme de preuve directe d’atteinte à la réputation qui, selon la Cour, ne pouvait pas être respectée. Même si elle a abaissé cette norme, il me semble clair, tant dans l’arrêt de la Cour que dans la jurisprudence, que l’employeur doit justifier sa conclusion. La Cour a été moins précise dans ses commentaires en ce qui concerne les types de preuve dont un arbitre de grief peut tenir compte pour évaluer l’atteinte à la réputation que dans ses commentaires sur l’évaluation de la gravité de l’infraction commise par le fonctionnaire. Elle s’est néanmoins reportée à Fraser pour l’évaluation de l’incapacité du fonctionnaire à faire son travail en déclarant que l’arbitre de grief devrait pouvoir faire preuve « de bon sens et de discernement ».

112 La preuve documentaire concernant l’effet de la condamnation du fonctionnaire sur la réputation du SCC est limitée à quatre articles parus dans les médias, deux en 2002 (pièces E-13 et E-14) et deux autres en 2004 (pièces E-17 et E-18). Mme Stableforth a témoigné avoir appris que le fonctionnaire avait été arrêté en consultant les articles publiés en 2002, mais avoir jugé après les avoir lus qu’ils ne contenaient pas « […] suffisamment de renseignements significatifs pour justifier qu’elle maintienne [sa] suspension » (ECF, paragraphe 52). Cela me laisse entendre que les premiers reportages parus dans les journaux n’étaient pas nécessairement des preuves « significatives » d’une atteinte à la réputation du Service dans son esprit. Par contre, Mme Stableforth a témoigné avoir écrit au fonctionnaire et l’avoir suspendu une seconde fois après avoir lu les reportages publiés dans médias en 2004 après sa condamnation (pièce E-20) (voir le paragraphe 65 de l’ECF). Toutefois, elle a également témoigné qu’elle n’avait [traduction] « pas congédié M. Tobin en raison de la couverture dans les médias » (ECF, paragraphe 96). Sur la foi de son témoignage, je ne peux donc pas me fonder sur les reportages parus dans les médias comme preuve de la perception d’atteinte à la réputation du SCC qui aurait amené Mme Stableforth à conclure que le fonctionnaire avait [traduction] « […] jeté le discrédit sur le Service correctionnel du Canada aux yeux du public, du personnel et des délinquants ».

113 Qu’est-ce qui a donc amené Mme Stableforth à cette conclusion? Mon analyse des limites de la preuve figurant dans l’ECF et du témoignage de Mme Stableforth est qu’elle a personnellement conclu que la condamnation du fonctionnaire avait jeté le discrédit sur le SCC sans nécessairement se baser sur des preuves spécifiques. Le paragraphe 96 de l’ECF l’explique :

En ce qui a trait aux répercussions de ces événements, les conclusions personnelles de Mme Stableforth reposaient sur sa compréhension que les gestes reprochés ne renvoyaient pas une image favorable ou crédible du SCC. […]

114 Je crois qu’un observateur raisonnable informé des circonstances de cette affaire souscrirait à la « conviction » de Mme Stableforth. Il me semble raisonnable qu’elle ait pensé que le comportement qui avait mené à la condamnation du fonctionnaire pour harcèlement criminel conformément à son plaidoyer de culpabilité public (pièce E-2), [traduction] « […] ne renvoyait […] pas une image favorable ou crédible du SCC. » Quand un haut fonctionnaire du SCC qui est tenu par ses fonctions de faire respecter la loi et tenu par sa profession de se conformer à des normes d’éthique rigoureuses est jugé coupable d’une infraction criminelle, la possibilité de retombées négatives de la couverture médiatique de sa condamnation ne peut sûrement pas être ignorée. De cette « conviction », il est facile d’en arriver à la conclusion que les actions du fonctionnaire étaient susceptibles « […] de ternir l’image du Service [SCC] », pour citer le Code de discipline. Compte tenu des indications données dans Fraser, juger que les actions du fonctionnaire auraient pu porter atteinte à la réputation du SCC est, à mon avis, une « déduction raisonnable » basée sur une « connaissance générale ».

115 Toutefois, l’employeur avait mis la barre plus haute. Mme Stableforth a expliqué sa décision d’imposer une sanction au fonctionnaire en lui déclarant qu’il avait [traduction] « […] jeté le discrédit sur le Service correctionnel du Canada aux yeux du public, du personnel et des délinquants ». Elle alléguait donc que la condamnation du fonctionnaire avait causé un préjudice démontrable à la réputation du SCC. Je pense qu’il est approprié d’obliger l’employeur à le prouver. À cette fin, il doit produire quelque chose de plus tangible pour étayer la conclusion factuelle de Mme Stableforth que sa conviction personnelle — si raisonnable qu’elle ait été — que les gestes reprochés au fonctionnaire ne renvoyaient pas une image favorable ou crédible du SCC.

116 Tout compte fait, je ne crois pas que l’employeur ait satisfait à cette exigence. Je ne pense pas avoir fixé une charge de la preuve impossible à respecter, comme la Cour d’appel fédérale avait jugé que c’était le cas dans la décision d’arbitrage originale. J’ai examiné la preuve pour trouver une meilleure indication de ce que Mme Stableforth avait en tête lorsqu’elle a conclu que les actions du fonctionnaire avaient jeté le discrédit sur le SCC, particulièrement [traduction] « […] aux yeux […] du personnel et des délinquants […] ». Fondamentalement, j’ai cherché une indication qui pourrait me donner une idée de sa façon d’évaluer la situation, en sachant qu’elle ne s’était probablement pas basée sur une preuve établie systématiquement. Dans le cas du personnel et des délinquants, il est raisonnable de supposer que le poste de Mme Stableforth lui donnait accès à des rapports au moins indirects provenant du CRT ou d’autres établissements sur les réactions à l’affaire du fonctionnaire. Des renseignements de ce genre auraient pu l’amener à conclure que la condamnation du fonctionnaire avait eu l’incidence néfaste qu’elle alléguait. Pourtant, je n’ai pas trouvé la moindre trace de ce type de preuve dans l’ECF ou dans le témoignage qu’elle a rendu de vive voix.

117 Je conclus par conséquent que l’employeur n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, le premier motif qu’il a avancé pour justifier l’imposition d’une sanction au fonctionnaire. Bien que j’accepte qu’il soit raisonnable que Mme Stableforth ait conclu que les actions du fonctionnaire [traduction] « […] ne renvoyaient pas une image favorable ou crédible du SCC », il m’est impossible d’accepter que l’employeur a produit quoi que ce soit de plus pour prouver la véritable atteinte à sa réputation que ce que la lettre de congédiement signée par Mme Stableforth semble alléguer. Dans la mesure où sa conclusion déclarée que le fonctionnaire avait violé le Code de discipline incluait sa déclaration qu’il avait jeté le discrédit sur le SCC, je ne suis pas convaincu que sa première allégation d’inconduite au sens du Code de discipline ait été correctement formulée.

2. Le second motif de sanction disciplinaire — l’incidence sur le rendement au travail

118 La seconde allégation d’inconduite au sens du Code de discipline était que le fonctionnaire avait commis [traduction] « […] un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire […] pouvant jeter le discrédit sur le Service [SCC] ou nuire à son rendement ultérieur au Service [SCC]. » Comme j’ai déjà considéré la question du « discrédit sur le Service [SCC] » dans le contexte du premier motif d’imposition d’une sanction, l’aspect de l’inconduite alléguée qui reste à évaluer est la prétendue incidence de la condamnation du fonctionnaire sur [traduction] « […] son rendement ultérieur au Service [SCC]. » Dans sa lettre de congédiement, Mme Stableforth a déclaré que la [traduction] « […] conduite [dont il avait fait preuve] était incompatible avec les fonctions dont [il devait s’]acquitter comme psychologue […] ». Cette déclaration confirme que la perte de « rendement continu » du fonctionnaire envisagée par Mme Stableforth s’entendait directement de ses fonctions de psychologue, plutôt que d’autres types de fonctions.

119 Le paragraphe 81 de l’ECF expose plus précisément les raisons liées aux tâches professionnelles du fonctionnaire pour lesquelles Mme Stableforth avait décidé de lui imposer une sanction :

81. […] Mme Stableforth a mis fin à l’emploi de M. Tobin pour les raisons suivantes :

[…]

  1. les fonctions de son poste d’attache de psychologue (PS-03) ne sont pas compatibles avec la condamnation;
  2. eu égard à la garde de détenus, il doit montrer l’exemple et être respectueux des lois;
  3. sa crédibilité et son jugement sont remis en cause. Il ne peut pas prodiguer de conseils aux délinquants s’il n’est pas lui-même capable de maîtriser son comportement.

[…]

120 Les extraits suivants de l’ECF me semblent pertinents parce qu’ils témoignent de la connaissance qu’avait Mme Stableforth du travail accompli par le fonctionnaire :

[…]

46. En sa qualité de sous-commissaire, Mme Stableforth était en charge de toutes les opérations de la région, dont la mise en œuvre à l’échelle nationale et régionale des politiques, budgets, programmes et services, de l’ensemble des employés, de tous les détenus (environ 3 600) ainsi que l’ensemble des services correctionnels fédéraux sur le territoire du Nunavut. Entre autres programmes et services, elle était responsable des Services de psychologie.

[…]

48. Mme Stableforth n’avait pas fait d’études en psychologie et se fiait à l’expertise d’autrui. […]

[…]

52. Mme Stableforth a décidé de faire retravailler M. Tobin après l’arrestation initiale et la conduite de l’enquête administrative, et ce, après avoir consulté la jurisprudence. Mme Stableforth était d’avis que les accusations au criminel comportaient de très sérieuses allégations; cependant, M. Tobin avait nié tous les événements qui s’étaient produits, mais n’avait pas non plus fourni de renseignements sur ce qui s’était effectivement produit. Mme Stableforth a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements significatifs pour justifier qu’elle maintienne la suspension de M. Tobin. Cela dit, Mme Stableforth a aussi estimé que les accusations étaient trop sérieuses et que les allégations contenues dans ces accusations étaient de telle nature qu’elle ne pouvait pas réintégrer M. Tobin dans un poste de sous-directeur intérimaire ou dans son poste d’attache aux Services de psychologie. […]

[…]

74. Mme Stableforth a déterminé que M. Tobin ne pouvait pas retourner travailler comme PS-03 du fait que les fonctions d’un PS-03 ne cadrent pas avec le comportement qu’il a adopté et qui avait a donné lieu à sa condamnation au tribunal. En tant que PS-03, il était censé :

  1. réaliser des évaluations et offrir des services de counseling aux détenus;
  2. effectuer des interventions auprès de détenus;
  3. remettre en question le comportement des détenus et les aider à s’adapter aux situations.

75. Mme Stableforth considère que c’est forts de leurs connaissances professionnelles que les psychologues assument leurs fonctions et leurs responsabilités. Pour être en mesure de prodiguer un traitement efficace au détenu, le psychologue doit inspirer du respect au détenu; il doit être capable de montrer un exemple crédible; il doit faire preuve de crédibilité et de jugement. D’après Mme Stableforth, les gestes posés par M. Tobin lors des incidents du 2 juillet 2002 des préoccupations quant à son jugement et à sa capacité de donner l’exemple d’une conduite appropriée.

[…]

121 Cela montre que Mme Stableforth avait une connaissance générale (quoique non spécialisée) des fonctions psychologiques du fonctionnaire ainsi que des programmes et des services qu’il était chargé d’offrir. Sa décision de 2002 de ne pas réintégrer le fonctionnaire dans son poste d’attache après sa suspension initiale, en raison de la nature et de la gravité des accusations criminelles qui pesaient contre lui, laisse entendre que sa connaissance du travail du fonctionnaire était suffisante pour lui permettre de déduire qu’il risquait d’y avoir un impact en ce qui a trait à l’aptitude du fonctionnaire à s’acquitter de ses fonctions spécifiques de psychologue ayant des contacts directs avec des délinquants. Le paragraphe 74 de l’ECF révèle également que Mme Stableforth connaissait les principales fonctions du poste de l’intéressé. Le paragraphe 75 ajoute à cela sa compréhension du fait que le poste du fonctionnaire l’obligeait à être un modèle de comportement approprié pour ses clients délinquants. (La description de poste du fonctionnaire a également été produite en preuve (pièce E-10), mais je n’ai aucune preuve directe démontrant que Mme Stableforth connaissait ce document.)

122 Dans son témoignage, Mme Stableforth a confirmé qu’elle n’exerçait aucune supervision directe d’un psychologue du SCC dans son rôle de sous-commissaire, mais qu’elle aurait pu avoir des contacts avec des psychologues dans des discussions sur les services de santé mentale.

123 L’ECF contient non seulement des renseignements sur les éléments d’où Mme Stableforth tirait ses connaissances du travail accompli par le fonctionnaire, mais également les renseignements suivants sur les responsabilités de l’intéressé en tant que psychologue au SCC :

[…]

69. M. Tobin comprenait que la mission du SCC était d’encourager les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois et de la primauté du droit. Il comprend aussi qu’une partie de son travail consiste à contribuer à la sécurité du public et à dispenser des enseignements aux détenus de sorte qu’ils ne récidivent pas..

[…]

71. M. Tobin a convenu que, en tant que psychologue, il devait :

[…]

v. enseigner, façonner, essayer et procurer aux détenus des stratégies et options en matière d’adaptation;

[…]

73. […] les psychologues doivent évaluer le comportement des détenus et les aider à modifier leur comportement afin qu’ils soient prêts à retourner dans la société et qu’ils ne récidivent pas.

[…]

124 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a confirmé que le modèle employé dans le programme de traitement des délinquants sexuels enseigne l’autogestion et aide les délinquants à apprendre à se contrôler dans des situations difficiles, ainsi qu’à gérer leur comportement afin de ne plus commettre d’autres agressions sexuelles.

125 Les renseignements sur la nature du travail accompli par le fonctionnaire est un des volets de l’analyse dans le cadre d’une analyse de l’aptitude à s’acquitter de ses fonctions. L’autre volet exige des preuves sur le comportement ou sur les actions pour lesquelles il a été reconnu coupable d’une infraction criminelle. À cet égard, je crois pouvoir me fonder sur les faits officiellement notés par la Cour supérieure de justice de l’Ontario à l’audience du plaidoyer et de la détermination de la peine (pièce E-2). L’avocat du fonctionnaire a reconnu à cette audience que [traduction] « […] ces faits [étaient] fondamentalement exacts ». Le fonctionnaire lui-même a confirmé au paragraphe 58 de l’ECF que « les faits énoncés entre la ligne 5 de la page 3 et la ligne 4 de la page 7 de la Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine étaient exacts ». Je souligne, pour en donner une idée, les extraits suivants de ces pages :

[Traduction]

[…]

[…] la victime a tenté à plusieurs reprises de mettre fin à la relation, en raison du comportement excessivement possessif et manipulateur de l’accusé : sa surveillance continuelle, lui dictant qui devrait être ses amis, où elle devrait passer son temps et qui elle devrait fréquenter, tant à son lieu de travail qu’à l’extérieur, la surveillance et la suppression de ses courriels à son lieu de travail […]

[…]

[La victime] recevait des appels répétés indésirés de M. Tobin […] M. Tobin est arrivé et a affronté [la victime] et l’agent d’immeubles. Il est ensuite parti et [la victime] areçu divers messages dégradants sur [son] répondeur.

[…]

[…] alors qu’elle se rendait chez sa mère, elle a croisé l’accusé qui se dirigeait dans l’autre direction – très vraisemblablement vers sa résidence – et il a rapidement fait demi-tour pour se mettre à sa poursuite. Il l’a rattrapée […] En raison de sa façon agressive de conduire, [la victime] a jugé nécessaire, pour sa sécurité, d’entrer dans le […] stationnement […] où M. Tobin l’a suivi.

[…]

[…] L’accusé s’est approché de son véhicule et a commencé à injurier la victime, à l’engueuler et à lui tenir des propos absolument dégradants […]

[…]

Après qu’il eut exigé de façon répétée qu’elle l’accompagne dans sa voiture et après qu’elle eut refusé de façon répétée de le faire, la victime a fini par acquiescer et s’est assise dans le véhicule de l’accusé […]

[…]

[la victime] a témoigné que, pendant le trajet, Tobin avait menacé de la tuer et qu’elle craignait pour sa vie […]

[…]

[…] À son arrivée [le père de la victime] a trouvé l’accusé assis sur le perron de la résidence. Une petite altercation s’en est suivie […]

[…]

126 Les paragraphes 58 à 63 de l’ECF décrivent, la version du fonctionnaire des événements qui ont mené à sa condamnation. Globalement, je considère sa version comme une tentative de nier la gravité des événements et plus particulièrement de se distancer de certains des faits rapportés dans la transcription de l’audience de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Sur ce dernier point, le paragraphe 59 de l’ECF stipule que « [le fonctionnaire] n’a pas été d’accord avec les faits précis mentionnés, mais a simplement convenu que HM croyait cela ou avait ce sentiment ». Ailleurs dans l’ECF, il semble être allé plus loin pour clamer son innocence même après avoir accepté de plaider coupable. Au paragraphe 38 de l’ECF, on peut lire que, selon lui, « son comportement n’était pas “criminel” et qu’il n’avait pas commis les actes reprochés ». Dans sa lettre à Mme Stableforth datée du 4 mai 2004 (pièce E-22), la représentante du fonctionnaire a écrit qu’il avait [traduction] « confiance en son innocence. »

127 Même si je devais accepter le reste du témoignage du fonctionnaire relativement à ses raisons de plaider coupable, je n’ai trouvé dans cette affaire aucune circonstance convaincante [traduction] « […] qui l’emporterait sur le grand intérêt public de traiter une condamnation au criminel comme déterminante des faits » (Brown et Beatty, paragraphe 2:3224). Dans les circonstances, j’estime que la « Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine » devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario devrait être traitée comme un document établissant fondamentalement les faits relatifs au comportement du fonctionnaire à l’endroit de HM. Bien qu’il soit possible qu’une partie de ce qui figure dans la transcription puisse être du ouï-dire — dont je peux quand même tenir compte — il n’en reste pas moins que le comportement du fonctionnaire paraît globalement aberrant.

128 Selon la preuve, Mme Stableforth était au courant de l’exposé des faits convenu devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario et qu’elle s’est basée sur ces renseignements relatifs au comportement du fonctionnaire quand elle a pris sa décision. Elle aurait bien sûr pu ordonner la tenue d’une enquête indépendante sur les circonstances qui avaient mené à la condamnation du fonctionnaire, mais je ne pense pas que sa décision de se baser sur les faits présentés à la Cour et son acceptation du jugement de la Cour puissent être considérées comme injustifiées.

129 La preuve et une déduction raisonnable m’amènent à conclure que Mme Stableforth — en se basant sur ce qu’elle savait quand elle a décidé de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire — avait raison de juger que le comportement pour lequel il avait été condamné était incompatible avec ses fonctions et qu’il aurait pu nuire à son aptitude à continuer de s’acquitter des responsabilités de son poste. Je pense qu’il est logique de déduire qu’elle se devait de conclure, dans sa situation, que l’aptitude du fonctionnaire à exercer ses fonctions pourrait être diminuée à cause de ce qui s’était produit. L’obligation d’être un modèle de comportement pour les délinquants qu’il traitait était une exigence fondamentale du poste du fonctionnaire. Les problèmes de contrôle de soi et d’autogestion qu’il devait aider les délinquants à surmonter étaient essentiellement liés à leur façon de traiter les femmes. J’estime que c’aurait été une évaluation déraisonnable des risques de juger que sa crédibilité comme modèle de comportement quant aux relations appropriées avec les femmes n’aurait pas été diminuée par sa condamnation pour une infraction de harcèlement criminel d’une femme. Mme Stableforth avait le droit d’exiger du fonctionnaire qu’il se conforme à des normes de conduite rigoureuses à titre tant de représentant du SCC chargé de respecter et de faire apprécier la loi que de psychologue qui, par sa formation et son travail, avait une connaissance tout particulière de la dynamique interpersonnelle et des conséquences d’un comportement aberrant. Exiger de lui qu’il se conforme à des normes de conduite rigoureuses était indispensable pour s’assurer que son aptitude à s’acquitter de ses fonctions ne soit pas compromise. Sa condamnation avait prouvé qu’il avait gravement manqué à ces normes.

130 Mon évaluation reflète en partie la mention par la Cour d’appel fédérale dans Tobin des deux facteurs suivants comme exemples de ceux dont on peut tenir compte pour déterminer la gravité de la condamnation du fonctionnaire :

[…]

-la position de M. Tobin comme modèle de comportement pour tous les délinquants, y compris les délinquants sexuels et ceux aux prises avec des problèmes relationnels;

-la position de M. Tobin de qui, en sa qualité de psychologue consultant, on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit conscient des conséquences dommageables de son comportement envers la victime;

[…]

Si ces facteurs sont pertinents pour la détermination de la gravité de l’infraction du fonctionnaire, il s’ensuit qu’ils devraient être également pertinents pour déterminer si sa condamnation justifiait la décision de l’employeur de lui imposer une sanction. En faisant preuve de [traduction] « bon sens et de discernement », est-il raisonnable de croire que Mme Stableforth aurait pu ignorer l’information sur le comportement du fonctionnaire révélée par sa condamnation ou ne pas en tenir compte alors qu’une partie fondamentale de son travail avec les délinquants consistait à être un modèle de comportement avec les femmes entièrement incompatible avec celui qu’il avait eu à l’endroit de HM? Mme Stableforth ne pouvait pas savoir absolument à ce moment-là jusqu’à quel point la condamnation du fonctionnaire allait nuire à son l’aptitude à s’acquitter de ses fonctions, mais je pense qu’elle n’avait pas besoin d’être absolument certaine du résultat pour décider que sa conduite justifiait l’imposition d’une sanction disciplinaire selon les critères du Code de discipline. Comme je l’ai déjà écrit plus tôt dans cette décision, sa démarche comportait nécessairement une évaluation des risques. Elle n’avait pas besoin d’attendre un résultat patent. La preuve me convainc qu’elle avait, au moment où elle a décidé d’imposer une sanction, une raison valable de croire qu’il était vraisemblable que l’aptitude du fonctionnaire à s’acquitter de ses fonctions serait vraisemblablement diminuée en raison de l’incompatibilité entre son comportement criminel et les fonctions dont il était chargé. De ce point de vue, la conclusion de Mme Stableforth que le fonctionnaire avait enfreint la Règle 2 du Code de discipline est impeccable.

131 J’ai examiné les autres décisions d’arbitrage invoquées par les parties sans trouver dans les circonstances de ces affaires ni dans leurs conclusions la moindre raison de changer mon opinion quant au caractère raisonnable de la conclusion de Mme Stableforth qu’elle avait une raison valable d’imposer une sanction disciplinaire. J’ai d’ailleurs été particulièrement frappé par une observation dans une de ces affaires. Flewwelling, de la Cour d’appel fédérale, portait essentiellement sur une question de compétence de l’arbitre de grief, mais la Cour a fait un commentaire sur les conclusions de l’arbitre de grief et a maintenu le congédiement d’un fonctionnaire qui avait qualité d’agent de la paix après qu’il eut été accusé de possession d’une importante quantité de stupéfiants (bien qu’il n’ait pas encore été condamné) :

[…]

Il me semble qu’il existe des formes d’inconduite qui, peu importe qu’elles soient prohibées par règlement, par le Code criminel ou par toute autre loi, sont de nature telle que toute personne raisonnable peut facilement se rendre compte qu’elles sont incompatibles et en contradiction avec l’exercice par leur auteur d’une charge publique, surtout si les fonctions de cette charge consistent à appliquer la loi.[…]

[…]

En l’espèce, la responsabilité du fonctionnaire de donner l’exemple d’un comportement respectueux de la loi était tout aussi claire. Même si mon analyse a porté essentiellement sur l’incompatibilité entre son comportement à l’endroit de HM et ses responsabilités professionnelles particulières d’être un modèle de comportement de contrôle de soi et de relations appropriées avec les femmes, je ne peux pas oublier que son obligation première, à titre d’agent du SCC, de respecter la loi, était également remise en question par sa condamnation. Pour cela seulement, la jurisprudence indique que l’employeur pouvait fort bien avoir une excellente raison de lui imposer une sanction disciplinaire pour sa conduite.

132 Je déclare provisoirement que, compte tenu de toute la preuve, le second motif d’imposition d’une sanction disciplinaire est prouvé et que l’employeur avait une raison valable d’imposer une sanction au fonctionnaire. Ma décision est provisoire en ce sens que je dois maintenant décider si je peux me fonder sur la preuve d’événements subséquents produite par le fonctionnaire et, dans l’affirmative, si cette preuve modifie ma conclusion quant à l’existence d’une raison justifiant la sanction disciplinaire.

3. Preuve d’événements subséquents

133 Je tiens à remercier les deux parties pour les observations détaillées et logiques qu’elles m’ont présentées sur la preuve d’événements subséquents.

134 Ma lecture de la jurisprudence tend à confirmer qu’un arbitre de grief peut tenir compte d’une preuve d’événements subséquents dans un cas de congédiement si cette preuve est pertinente, autrement dit, si elle aide à déterminer si le congédiement était raisonnable et approprié quand il a été imposé. Fondamentalement, les deux parties acceptent cette conclusion. Toutefois, elles ne s’entendent pas lorsqu’il s’agit de savoir si la sorte de preuve d’événements subséquents produite par le fonctionnaire est pertinente ou pas.

135 Sans m’écarter de la jurisprudence, je pense qu’il est judicieux de traiter la preuve d’événements subséquents avec beaucoup de prudence. L’employeur doit prendre ses décisions disciplinaires en se basant sur les meilleures preuves dont il dispose au moment pertinent. Si les preuves qu’il avait à l’époque montrent que l’employeur avait en somme des raisons valables pour imposer une sanction, il est juste que la partie qui invoque plus tard la preuve d’événements subséquents qu’elle dit pertinente ait clairement la charge de prouver exactement pourquoi cette preuve est pertinente et comment elle sert à nuancer ou à infirmer la décision originale.

136 En l’espèce, le fonctionnaire plaide énergiquement pour faire reconnaître la pertinence de la preuve relative à son rendement au CRT pour la période allant de sa réintégration le 18 juin 2007 par suite de la décision de l’arbitre de grief sur son grief à son départ de ce lieu de travail le 11 juillet 2008 après que la Cour fédérale eut annulé cette décision d’arbitrage. Il déclare évidemment que c’est [traduction]« la meilleure preuve possible » et qu’elle réfute de façon concluante la prétention de l’employeur qu’il avait une raison valable de mettre fin à son emploi parce que son aptitude à s’acquitter de ses fonctions était diminuée.

137 L’employeur a notamment fait valoir que la preuve d’événements subséquents résultait dans cette affaire d’une possibilité dont le fonctionnaire n’aurait pas dû bénéficier, puisque la Cour fédérale a renversé l’ordonnance originale de l’arbitre de grief. De mon point de vue, cet argument n’a pas grand poids. Le fait que la Cour fédérale a décidé d’annuler la réintégration du fonctionnaire ne fait pas disparaître les preuves de ce qui est arrivé par la suite et ne les rend pas non plus inadmissibles de ce seul fait. Je me demande plutôt quelle est exactement la pertinence de cette preuve d’événements subséquents en l’occurrence, comment elle peut nous aider à comprendre la décision que Mme Stableforth avait prise plus de trois ans auparavant et, si elle est pertinente, quel poids je devrais lui accorder.

138 Le fonctionnaire maintient que la preuve démontre qu’il s’est acquitté des fonctions de son poste d’attache de psychologue à son retour au travail sans que sa condamnation ait nui à son aptitude à le faire. Il a témoigné n’avoir reçu aucune indication de ses supérieurs que sa condamnation posait un problème au moment de sa réintégration. Il a ajouté dans son témoignage qu’il s’était acquitté des exigences de son poste pendant plus d’un an sans aucun rapport ni de toute évidence aucune allégation de ses supérieurs que sa condamnation ait nui à ses relations avec ses collègues ou nui à son aptitude à travailler avec des délinquants.

139 De mon point de vue, il est important de comprendre d’abord ce que la preuve quant au rendement du fonctionnaire à son travail entre le 18 juin 2007 et le 11 juillet 2008 ne démontre pas ou prétend démontrer. Elle n’apporte rien de vraiment nouveau à la preuve sur la nature du comportement qui avait mené à la condamnation du fonctionnaire en 2004. La situation en l’espèce n’est pas comparable par exemple à celle dans Canada Safeway Ltd., où une tumeur au cerveau diagnostiquée après les incidents qui avaient mené à la sanction disciplinaire avait expliqué le comportement inacceptable pour lequel l’employé s’était fait imposer une sanction. À mon avis, la situation dans ce cas-ci n’est également pas vraiment comparable à ce qui s’était produit dans Conseil de l’éducation de Toronto (Cité, où la récurrence d’un comportement inacceptable plutôt que le contraire était considérée comme pertinente et où il était impératif de dépeindre la « troisième lettre » comme faisant partie du continuum de comportement visé par la décision de l’employeur de congédier le fonctionnaire s’estimant lésé.

140 Dans cette affaire-ci, la preuve d’événements subséquents n’apporte rien de nouveau ni de différent sur la nature des fonctions dont le fonctionnaire était appelé à s’acquitter en sa qualité de psychologue affecté au CRT. Je n’ai aucune raison de croire que savoir ce qu’il a fait au CRT après y avoir été réintégré aurait nettement changé la compréhension qu’avait Mme Stableforth de la nature de son travail dans son évaluation du risque que son aptitude à s’acquitter de ses fonctions ait été compromise quand elle a mis fin à son emploi. Cette preuve ne démontre pas non plus quoi que ce soit de différent de ce que Mme Stableforth savait déjà des habiletés du fonctionnaire et de ses connaissances pour faire son travail — la preuve a clairement montré qu’on n’a jamais douté de ses aptitudes techniques.

141 La seule véritable question consiste à savoir si la preuve d’événements subséquents quant à la prétendue absence d’incapacité professionnelle du fonctionnaire en 2007-2008 aide à comprendre la décision à laquelle Mme Stableforth était arrivée en 2004 au sujet de l’incidence de la condamnation du fonctionnaire sur son aptitude à faire son travail. Le fonctionnaire allègue que parce qu’il a eu l’occasion de mettre le jugement de Mme Stableforth à l’épreuve trois ans plus tard, on devrait maintenant réévaluer le dossier, ce qui revient à dire que je devrais tenir compte de ce qui s’est passé en 2007 et en 2008 pour réévaluer la décision de Mme Stableforth que les actions du fonctionnaire, qu’on avait jugé constituer une infraction criminelle en 2004, nuisaient à son aptitude à servir de modèle de comportement dans l’exercice des fonctions qui lui avaient été confiées. En toute déférence, je ne peux pas souscrire à cet argument du fonctionnaire.

142 Au niveau le plus fondamental, je pense que le fonctionnaire comprend autrement que moi la nature de la décision que Mme Stableforth a dû prendre en 2004. Même s’il dit que Mme Stableforth avait le droit de se baser sur sa conviction que la condamnation allait avoir une incidence néfaste, lorsqu’il réclame des renseignements et des preuves suffisantes de cette conviction il me semble virtuellement exiger une preuve que son aptitude à s’acquitter de ses fonctions était effectivement diminuée. J’ai déjà dit que la décision de Mme Stableforth comportait une évaluation des risques. À mon avis, elle ne pouvait pas se permettre d’attendre pour vérifier si la condamnation du fonctionnaire allait effectivement nuire à son aptitude à s’acquitter de ses fonctions s’il était autorisé à retourner au travail. Si elle l’avait fait, ç’aurait pu revenir à abdiquer sa responsabilité de prévoir et de prévenir les problèmes au travail. Elle devait plutôt déterminer si, comme elle l’a écrit dans la lettre de congédiement, le comportement du fonctionnaire avait été incompatible avec les tâches qu’il était chargé d’accomplir en sa qualité de psychologue et, dans l’affirmative, décider quoi faire. Contrairement à sa déclaration factuelle dans cette même lettre voulant que la conduite du fonctionnaire ait jeté le discrédit sur le SCC, je considère comme essentiellement prédictive sa déclaration dans la lettre sur son rendement ultérieur pouvant être diminué. Étant donné ce qu’elle considérait comme une incompatibilité entre le harcèlement criminel dont le fonctionnaire s’était rendu coupable à l’endroit de HM et son obligation de s’acquitter de ses obligations professionnelles, notamment de donner l’exemple de relations appropriées avec les femmes, j’estime que c’est une déduction raisonnable d’interpréter sa décision comme la conclusion — également raisonnable — qu’il existait un véritable risque que l’aptitude du fonctionnaire à s’acquitter de ses fonctions serait ou pourrait être diminuée. Mme Stableforth devait arriver à cette conclusion en se basant sur les renseignements dont elle disposait à ce moment-là sur l’infraction perpétrée par le fonctionnaire et sur son travail. Presque par définition, il était toujours possible que sa conclusion puisse être infirmée par les événements subséquents si le fonctionnaire revenait au lieu de travail. Cela ne rend pas son évaluation des risques mauvaise dans les circonstances au moment pertinent.

143 En ce sens, je suis convaincu que la preuve d’événements subséquents invoquée par le fonctionnaire n’apporte pas vraiment d’élément nouveau pour éclairer la décision que Mme Stableforth devait prendre. Cette preuve ne porte pas vraiment sur le caractère raisonnable de son évaluation des risques en 2004 que ce qui s’était produit pouvait ou pourrait nuire à l’aptitude du fonctionnaire à accomplir son travail. Elle ne clarifie pas les faits qui existaient à l’époque. C’est plutôt une preuve concernant des faits différents arrivés ultérieurement qui tente de démontrer que la condamnation n’a effectivement pas affaiblie l’aptitude du fonctionnaire à faire son travail. Si je devais accepter que cette preuve est pertinente en l’espèce, je permettrais qu’une évaluation des risques que l’aptitude à s’acquitter de ses fonctions soit affaiblie fondée sur des connaissances à un moment donné puisse être remise en question si, pour une raison quelconque et après une période quelconque, un fonctionnaire ou un employé s’estimant lésé avait la possibilité de reprendre son travail et de prouver que son aptitude à travailler n’était pas affaiblie. À mon avis, une telle approche pourrait compromettre l’importance de la finalité du processus décisionnel et prolonger indûment les délais du continuum de la procédure de griefs dans ce cas de façon injustifiée. C’est mal interpréter la difficulté pour l’employeur de prendre une décision sur le risque que l’aptitude d’un fonctionnaire à faire son travail soit compromise, en faisant preuve de discernement pour déterminer si le comportement criminel dont il a été reconnu coupable et ses tâches connues sont incompatibles.

144 Même si j’avais tort de croire que la preuve d’événements subséquents invoquée en l’espèce n’apporte rien de nouveau pour comprendre la décision que Mme Stableforth devait prendre, je ne suis toujours pas convaincu que cette preuve soit par ailleurs suffisante pour justifier une décision de renverser la conclusion à laquelle elle était arrivée en 2004 en jugeant qu’elle avait une raison valable d’imposer une sanction au fonctionnaire. Bien que la preuve sur son rendement au CRT en 2007-2008 n’ait été contredite par aucun témoin de l’employeur, une grande partie de ce qu’elle renferme doit encore être considéré avec prudence. Les déductions qu’on peut en tirer paraissent limitées.

145 La plus grande partie de la documentation de la preuve d’événements subséquents (par exemple les pièces G-49 à G-53) démontre que le fonctionnaire s’est acquitté avec succès de ses tâches d’évaluation durant l’année de son retour au travail au CRT. Je ne crois toutefois pas que son aptitude à effectuer des évaluations ait jamais été en doute. Le seul rapport d’évaluation de son rendement qui ait été déposé en preuve (pièce G-54) ne renferme aucune évaluation de son rendement comme telle, mais seulement des objectifs de rendement pour la période suivante. Les documents relatifs à la formation et au développement (pièces G-47, G-48 et G-55) sont également très peu révélateurs de la manière du fonctionnaire d’accomplir ses tâches quotidiennes. À mon avis, aucune des pièces déposées ne donne de véritable idée de l’aptitude cruciale compromise par la condamnation du fonctionnaire, son aptitude à être un modèle de comportement licite et de relations appropriées avec les femmes dans son travail avec les délinquants sexuels.

146 Ce qui reste est largement le témoignage de vive voix du fonctionnaire lui-même, qui a déclaré n’avoir eu aucune indication, que ce soit à son retour au travail ou plus tard, que ses supérieurs, ses collègues ou des délinquants aient considéré sa condamnation au criminel comme posant un problème ou compromettant son aptitude à travailler comme psychologue. Ce témoignage a une valeur limitée; il aurait été plus convaincant s’il avait été corroboré par d’autres témoins. Le reste du témoignage du fonctionnaire, dans lequel il a déclaré qu’il avait reçu une rétroaction favorable de ses supérieurs sur son rendement et qu’ils l’appuyaient dans ses aspirations d’avancement professionnel, correspond également à sa perception des faits et devrait être interprété avec prudence.

147 En somme, je n’ai pas trouvé la preuve d’événements subséquents avancée par le fonctionnaire particulièrement révélatrice. En outre, elle doit être interprétée dans son contexte. Contrairement aux arguments du fonctionnaire, j’estime qu’il était tout à fait raisonnable de s’attendre à ce qu’il fasse tous les efforts pour apaiser les craintes qui avaient mené à son congédiement quand on lui a donné la possibilité de retourner au travail. Il est incontestable que sa réintégration ne résultait pas du processus de réhabilitation constaté dans d’autres cas, mais cela ne signifie pas que les années écoulées entre le dépôt des accusations criminelles originales et sa réintégration n’avaient eu aucun effet sur lui et qu’il n’avait pas changé de comportement en conséquence. Il est également raisonnable de croire que l’effet de sa condamnation ait pu s’estomper avec le passage d’une aussi longue période. Pour l’une ou l’autre de ces raisons, je ne suis pas étonné qu’il n’y ait apparemment eu aucun problème à son retour au travail en 2007-2008, mais ce fait, je le répète, n’infirme pas le caractère raisonnable de la décision que Mme Stableforth a prise en 2004.

148 J’ai également examiné l’autre preuve d’événements subséquents concernant l’emploi de psychométricien du fonctionnaire aux services sociaux du comté de Leeds-Grenville entre 2004 et 2007 (ECF, paragraphe 104) et son emploi depuis janvier 2011 à H’Art School of Smiles Inc., et elle m’est apparue largement inutile. À mon avis, la décision de Mme Stableforth sur l’inaptitude du fonctionnaire à s’acquitter de ses fonctions par suite de sa condamnation s’appliquait spécifiquement dans le contexte unique de ses responsabilités de psychologue devant donner à des délinquants incarcérés l’exemple d’un comportement licite et approprié dans leurs relations avec les femmes. Les autres contextes dans lesquels le fonctionnaire a travaillé après son congédiement étaient bien différents.

149 J’ai plusieurs autres commentaires succincts à faire sur la jurisprudence en matière de preuve d’événements subséquents invoquée par le fonctionnaire. Par exemple, il a maintenu que les circonstances analysées dans Jalal étaient virtuellement identiques à celles de son cas. Je ne suis pas d’accord. M. Jalal n’avait pas plaidé coupable et n’avait jamais admis son infraction. La gravité de l’infraction pour laquelle il avait été condamné était également tout à fait différente, puisqu’il s’agissait d’un petit vol de 34,01 $. M. Jalal était un agent correctionnel, mais il n’avait pas de responsabilités professionnelles particulières l’obligeant à donner l’exemple de comportements appropriés qui sont fondamentales pour le travail d’un psychologue du SCC et dont on pouvait douter que le fonctionnaire était encore capable en raison de la nature de sa condamnation. Le critère appliqué par l’arbitre de grief dans Jalal était basé sur Millhaven, et c’est un critère que la Cour d’appel fédérale a jugé inapplicable en l’espèce. Enfin, l’arbitre de grief dans Jalal a modifié la sanction disciplinaire en concluant néanmoins que la condamnation de M. Jalal pour une infraction criminelle mineure n’en justifiait pas moins l’imposition d’une sanction disciplinaire.

150 Dans Batiot, l’arbitre de grief a accepté de tenir compte de la preuve d’événements subséquents des efforts de réhabilitation que Mme Batiot avait déployés « après le choc de sa suspension », en concluant toutefois qu’ils ne constituaient pas une raison suffisante pour qu’il s’ingère dans la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi.

151 Les autres décisions rendues que le fonctionnaire a citées — par exemple Titan Steel & Wire Co., Great Atlantic & Pacific Co. of Canada, Alcan Smelters and Chemicals Ltd., Natrel Inc., Toronto District School Board et Petro-Canada — contribuent également à étayer la proposition générale que la preuve d’événements subséquents pertinente peut jouer un rôle dans le processus décisionnel d’arbitrage. Ceci dit, les faits examinés dans ces décisions sont suffisamment différents pour qu’on puisse facilement les démarquer de la présente affaire.

152 Lorsque j’envisage la jurisprudence de façon plus générale, je réalise que, dans bien des cas, on doit établir une distinction entre la preuve qu’on peut considérer comme reflétant ou révélant des conditions au moment d’un événement ultérieurement révélé et la preuve d’événements subséquents, autrement dit la preuve de quelque chose qui s’est produit après un événement donné qu’on ne peut prétendre refléter ou révéler les conditions existant au moment de cet événement. Le premier type de preuve peut avoir une excellente prétention prima facie à la pertinence parce que, en principe ou dans d’autres circonstances, c’est une preuve qui aurait raisonnablement pu être connue par le décideur ou qui aurait pu avoir été portée à son attention. Établir la pertinence du second type de preuve est plus difficile, parce que nous supposons normalement qu’un décideur n’est tenu responsable que de ce qu’il aurait raisonnablement su lorsqu’il a dû prendre une décision.

153 En me basant sur l’analyse qui précède, je conclus que la preuve d’événements subséquents proposée par le fonctionnaire ne change pas ma conclusion provisoire selon laquelle l’employeur avait une raison valable de lui imposer une sanction disciplinaire. Je conclus donc officiellement que l’employeur s’est acquitté de sa charge de prouver, compte tenu de toute la preuve, qu’il avait une raison valable de lui imposer une sanction.

C. La cessation de l’emploi du fonctionnaire était-elle la sanction appropriée et proportionnelle?

154 La preuve disponible en ce qui concerne l’analyse que Mme Stableforth a faite pour décider que mettre fin à l’emploi du fonctionnaire était la sanction appropriée et proportionnelle n’est pas abondante. Elle a déclaré ce qui suit dans la lettre de congédiement :

[Traduction]

[…]

J’ai tenu compte de vos années de service et de votre dossier disciplinaire, mais cela ne mitige pas la gravité de vos actes. Par conséquent, en fonction de ce qui précède […] je vous informe que votre emploi au Service correctionnel du Canada cessera à compter du 23 avril 2004.

[…]

155 L’ECF décrit certains des aspects du processus disciplinaire que Mme Stableforth avait suivi :

[…]

100. Mme Stableforth n’a jamais présenté à M. Tobin de liste des préoccupations ou des questions relatives à l’impact des événements ayant donné lieu à son congédiement. Mme Stableforth n’a pas discuté avec M. Tobin des points soulevés dans la lettre de cessation d’emploi qu’elle lui a adressée. Mme Stableforth n’a pas non plus discuté de ces questions avec la représentante syndicale de M. Tobin. Hormis dans les lettres datées des 21 et 23 avril 2004, Mme Stableforth n’a pas discuté avec M. Tobin des points soulevés dans la lettre de congédiement.

[…]

102. Au chapitre des évaluations du rendement de M. Tobin, Mme Stableforth ne pouvait pas dire si elle en avait pris connaissance avant le congédiement de M. Tobin. Mme Stableforth n’a pas examiné d’autres possibilités d’emploi pour M. Tobin avant son congédiement, au printemps 2004.

103. Eu égard à la question de la réadaptation et au Guide d’application – Sanctions disciplinaires et rétrogradation ou congédiements non disciplinaires, Mme Stableforth n’a pas envisagé de mesures particulières, mais elle a été influencée par les événements et n’a pas considéré l’avenir.

[…]

156 L’ECF renferme aussi les renseignements suivants sur ce que Mme Stableforth pensait des condamnations au criminel, quoique dans le contexte de sa réaction aux accusations portées contre le fonctionnaire en 2002 :

[…]

88. […] a convenu que la condamnation au criminel d’un employé du SCC ne condamnait pas automatiquement de mesures disciplinaires.

89. Eu égard à l’application du code de déontologie du SCC, Mme Stableforth ne considère pas que l’incarcération d’un employé est pire qu’une condamnation pour ce qui est du niveau approprié des mesures disciplinaires à prendre. Mme Stableforth a reconnu que l’emprisonnement est un facteur important à considérer.

[…]

157 Le témoignage rendu de vive voix par Mme Stableforth, résumé plus tôt dans cette décision, a confirmé qu’elle n’avait pas demandé l’opinion du fonctionnaire ni de sa représentante sur les raisons de son congédiement ni sur sa justification et qu’elle n’avait pas envisagé l’autre solution de le nommer à un poste différent.

158 La déduction la plus logique qu’on puisse tirer de la preuve, c’est que Mme Stableforth jugeait que la gravité de la condamnation du fonctionnaire était telle qu’elle justifiait le congédiement plutôt que toute autre sanction moins lourde. Par conséquent, ma tâche doit consister à décider si cette conclusion était raisonnable, compte tenu de la gravité de l’infraction du fonctionnaire, en examinant les facteurs aggravants et atténuants pertinents.

159 La directive de la Cour d’appel fédérale semble favorable à ce que je traite la condamnation pour harcèlement criminel du fonctionnaire comme une infraction grave nonobstant le fait qu’il n’a pas été condamné à une peine de prison. La Cour a contesté la décision d’arbitrage initiale parce que l’arbitre de grief avait conclu qu’une condamnation avec sursis assortie de 18 mois de probation était insuffisante pour démontrer la gravité de l’infraction au Code criminel perpétrée par le fonctionnaire. La Cour a déclaré que l’arbitre de grief « […] ne sembl[ait] pas avoir saisi le sens de la condamnation avec sursis, de la période de probation et de l’interdiction d’avoir en sa possession des armes à feu. » La Cour a qualifié l’emprisonnement maximal de 10 ans qui aurait pu être imposé au fonctionnaire de « lourde peine » et d’indicateur objectif de la gravité du crime sur lequel l’arbitre de grief aurait pu se fonder.

160 La Cour d’appel fédérale a également critiqué l’évaluation que l’arbitre de grief avait faite des facteurs aggravants et atténuants, en lui reprochant de ne pas avoir tenu compte de considérations telles que la nature de la relation professionnelle entre le fonctionnaire et HM, le refus persistant du fonctionnaire d’accepter la fin de sa relation avec HM, ses responsabilités de modèle de comportement pour les problèmes relationnels et le fait qu’on se serait attendu que son travail le sensibilise aux conséquences de son comportement pour la victime.

161 Mon examen de la preuve ne m’a révélé aucune raison de penser que l’infraction criminelle du fonctionnaire et son comportement sous-jacent n’étaient pas graves. Je pense qu’un informateur raisonnable bien informé serait du même avis. Le fonctionnaire avait entrepris une relation extraconjugale consensuelle avec une jeune femme qui travaillait au SCC et sur laquelle il exerçait temporairement au moins une certaine autorité indirecte. Ces circonstances n’ont pas déclenché d’intervention de l’employeur, et je ne fais aucune déduction sur la conduite du fonctionnaire à cet égard. HM a tenté de rompre la relation. Ce qui est devenu un comportement criminel selon la Cour supérieure de justice de l’Ontario, c’est la poursuite de cette relation par le fonctionnaire contre la volonté de HM, une poursuite caractérisée par un comportement insouciant et des efforts aussi persistants qu’indésirés pour communiquer avec elle, des menaces et ce que HM avait fini par considérer comme la possibilité d’être agressée. Pour reprendre les termes mêmes de la disposition du Code criminel à laquelle il a plaidé coupable, les actions du fonctionnaire avaient raisonnablement incité HM à craindre pour sa sécurité. Même avec une lecture très flegmatique de la déclaration de l’impact sur la victime faite par HM à l’audience sur le plaidoyer et la détermination de la peine (pièce E-2, pages 9 à 12) — non contestée par le criminaliste du fonctionnaire —, l’effet écrasant des actions du fonctionnaire sur HM est absolument évident.

162 Que le fonctionnaire ait été condamné avec sursis et qu’il ait bénéficié d’une probation ne change pas vraiment mon opinion sur la gravité de son infraction. Je pourrais être disposé à accepter qu’une longue peine d’emprisonnement aurait pu renforcer mon opinion, mais l’absence d’une telle peine n’arrive pas à ramener le crime du fonctionnaire à une infraction mineure ou à me donner l’impression que ce qu’il a fait devrait être interprété avec plus de tolérance, dans mon esprit. À cet égard, je prends note de l’approche adoptée dans Ottawa-Carleton District School Board pour juger de la gravité d’une infraction compte tenu de la peine effectivement imposée. Le conseil d’arbitrage qui a entendu cette affaire a maintenu le renvoi d’un gardien d’école qui avait commis un vol à main armée pendant sa pause-repas même s’il avait écopé de ce qui était décrit comme une peine « particulièrement légère » après avoir plaidé coupable au tribunal. Une peine nettement inférieure à la peine maximale possible n’avait pas changé l’opinion de la majorité du conseil d’arbitrage, qui jugeait le crime très grave et estimait qu’il avait irrévocablement compromis la confiance qu’on devait pouvoir accorder au titulaire de ce poste. Je suis du même avis en ce qui a trait à l’effet de la peine qui a été effectivement imposée au fonctionnaire.

163 C’est bien sûr une évidence de dire que personne ne peut être jugé plus coupable d’une infraction qu’un autre. Quelle que soit la peine qui lui a été imposée, le fonctionnaire est aussi coupable de harcèlement criminel que n’importe quel autre individu reconnu coupable d’avoir enfreint l’alinéa 264(2)d) du Code criminel, mais pas plus. Néanmoins, dans cette affaire, je suis convaincu que la formation professionnelle du fonctionnaire et ses responsabilités professionnelles particulières au travail auraient dû le rendre particulièrement sensible à la nature inacceptable de son comportement envers HM. Ce doit être un facteur particulièrement aggravant qu’il ait eu une compréhension professionnelle privilégiée de la dynamique interpersonnelle, qu’il ait travaillé de nombreuses années comme professionnel de la santé et qu’il ait été tenu de donner quotidiennement du counseling à des délinquants pour les aider à se contrôler et à avoir une conduite appropriée envers les femmes, alors qu’il s’est comporté à l’endroit de HM d’une manière diamétralement opposée au comportement qu’il était censé enseigner et dont il devait donner l’exemple. Dans ce contexte, ses longs états de service sans sanction disciplinaire et son rendement professionnel reconnu ne changent pas grand-chose. Une personne ayant autant d’expérience, avec sa formation et ses responsabilités professionnelles, qui avait également été exposée à des responsabilités de gestion de niveau supérieur au-delà de son travail comme psychologue, aurait tout simplement dû avoir plus de jugement, c’est évident.

164 À mon avis, la preuve d’événements subséquents dont il a été question plus tôt n’est pas pertinente en ce qui concerne la gravité de la condamnation du fonctionnaire. Elle peut avoir une valeur limitée en laissant entendre qu’il est peu susceptible de récidiver, mais cela n’enlève rien à la gravité de ce qu’il a fait en 2002, ni à la gravité de sa condamnation en 2004.

165 J’ai également de la difficulté à accepter ce que j’ai perçu comme les efforts du fonctionnaire pour contester des faits attestés dans le contexte de son plaidoyer au criminel et pour donner une explication de ce plaidoyer qui n’acceptait pas franchement sa culpabilité. Même s’il a affirmé que l’absence d’excuses au moment de sa condamnation ne devrait pas être interprétée comme une preuve de manque de remords, je note qu’il n’a fait aucune tentative manifeste à l’occasion de cette nouvelle audition de son affaire, sept ans plus tard, pour faire connaître plus clairement ses sentiments. Au contraire, ce que j’ai de nouveau entendu, ce sont les raisons pour lesquelles il a fait une transaction en matière pénale, et si ces raisons n’étaient pas fallacieuses comme telles, elles étaient loin de constituer une véritable acceptation d’avoir mal agi. À la réflexion, il m’est également particulièrement difficile d’accepter qu’il ait pu, par l’intermédiaire de sa représentante et après sa condamnation, déclarer qu’il acceptait [traduction] « […] la responsabilité de ses actions à l’égard du […] cinquième chef d’accusation », tout en ayant fait parler sa représentante de [traduction] « […]sa propre confiance en son innocence » (pièce E-22). Tout compte fait, je conclus que les attitudes du fonctionnaire concernant sa condamnation et certains des faits ne révèlent pas de véritable remords et qu’elles constituent donc un autre facteur aggravant.

166 Le fonctionnaire a tenté d’introduire un aspect de tolérance des actions ou du moins d’uniformité des sanctions disciplinaires. J’ai examiné la pièce E-25, qui énumère cinq cas mentionnées à l’audience d’arbitrage originale. Deux des exemples (ceux des employés « D » et « E ») sont cités hors contexte. Une des trois autres affaires porte sur la condamnation d’une infirmière pour conduite avec facultés affaiblies, mais ne semble pas mettre en doute l’aptitude de l’intéressée à s’acquitter de ses fonctions. Les deux derniers exemples portent tous deux sur des condamnations pour violence conjugale, mais dans un des cas, on ignore s’il y a eu une sanction disciplinaire, tandis que dans l’autre, il n’est pas possible de déterminer si le fait que la conjointe de l’intéressé s’est suicidée devant lui a influé sur la décision de l’employeur de limiter la sanction à une réprimande écrite.

167 La pièce G-46, produite au cours de l’interrogatoire principal du fonctionnaire quand son grief a été entendu de nouveau, mentionnait 12 cas d’employés accusés d’infractions criminelles dans la région de Mme Stableforth en date du 28 mai 2004. Cela ne me sert à rien, faute d’avoir plus de renseignements sur la nature de ces accusations et de savoir si elles ont abouti à des condamnations (et comment l’employeur a réagi aux condamnations, le cas échéant).

168 Dans son témoignage de vive voix, le fonctionnaire a également mentionné le cas de M. X, un autre psychologue de la Région de l’Ontario qui avait été jugé coupable d’au moins une infraction criminelle, mais à qui l’employeur n’aurait imposé qu’une lettre de réprimande à la suite de sa condamnation. À mon avis, ce que le fonctionnaire a ensuite admis en contre-interrogatoire a révélé sa connaissance limitée des circonstances entourant cette affaire, même s’il avait témoigné en cour pour l’intéressé comme témoin de moralité, ce qui m’empêche de déduire quoi que ce soit de pertinent de ce témoignage. Les autres faits convenus entre les parties après l’audience permettent également de distinguer nettement la situation de M. X de celle du fonctionnaire.

169 Toujours sur la question de l’uniformité des sanctions disciplinaires, le fonctionnaire m’a renvoyé à Dosanjh et à Leadbetter. Je n’arrive pas à comprendre la pertinence de Dosanjh, une décision portant sur une altercation sur les lieux de travail entre des agents correctionnels qui leur avait valu une suspension de sept jours ultérieurement ramenée à trois jours. Si ce n’est qu’il s’agissait là aussi du SCC, je ne trouve rien là d’important qui puisse être comparé entre les actions du fonctionnaire dans Dosanjh et celles du fonctionnaire en l’espèce. Leadbetter portait sur les agissements d’un administrateur d’un établissement correctionnel qui a été licencié après avoir demandé à des employés relevant de lui de fabriquer six boîtes de bois pour son usage personnel et avoir fait retirer ces boîtes du lieu de travail. L’arbitre de grief avait décidé que le renvoi était une sanction excessive. Une fois de plus, je ne crois pas qu’il soit raisonnable de prétendre pouvoir tirer plus qu’une comparaison très faible entre les faits dans Leadbetter et les faits dans ce cas-ci. Ni Dosanjh, ni Leadbetter ne soulèvent une question crédible de manque d’uniformité dans l’application des sanctions disciplinaires.

170 Il s’agit au fond de déterminer si les circonstances qui entouraient la condamnation du fonctionnaire étaient suffisamment graves et incompatibles avec l’exécution de ses tâches spécifiques de psychologue que le congédiement était une réaction appropriée et proportionnelle. Je conclus que la jurisprudence est généralement favorable au choix de Mme Stableforth; voir par exemple Dionne, Wells et Beirnes. Particulièrement dans le monde de la justice et de l’application de la loi, les condamnations pour de graves infractions criminelles appellent fréquemment de très lourdes sanctions disciplinaires. Je suis convaincu qu’un observateur raisonnable bien informé ne considérerait pas ce cas comme une exception. L’argument voulant qu’on impose une sanction moins lourde est faible. Une suspension, si longue soit-elle, suivie de la réintégration du fonctionnaire dans son poste aurait toujours risqué de donner l’impression que la condamnation du fonctionnaire pour harcèlement criminel pourrait éventuellement être conciliée avec ses responsabilités spécifiques de psychologue chargé de traiter des délinquants en leur enseignant à se contrôler et à avoir des relations appropriées avec les femmes. Cela laisse l’option d’une suspension suivie d’une affectation à d’autres tâches. Si je fais abstraction des problèmes relatifs à mon pouvoir d’envisager un redressement consistant à toutes fins utiles à ordonner une nomination, je ne connais aucun principe légal qui aurait obligé Mme Stableforth à envisager l’option d’une réaffectation au moment pertinent. En tant que représentante déléguée de l’employeur, elle aurait pu décider d’agir de cette façon, mais elle était à mon avis loin d’abuser de son autorité en limitant sa décision sur l’avenir du fonctionnaire à son poste.

171 Il y a dans l’ECF et dans le témoignage rendu de vive voix des énoncés de fait laissant entendre que Mme Stableforth aurait pu discuter davantage avec le fonctionnaire et/ou avec sa représentante avant d’arrêter sa décision. En tant que possibilité d’entendre entièrement de novo cette affaire, la présente audience remédie à ces lacunes procédurales, si cela peut être décrit comme tel; voir Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (QL) (C.A.).

172 En somme, je juge que le congédiement du fonctionnaire était une sanction disciplinaire appropriée et proportionnelle dans les circonstances de cette affaire. Mon évaluation des principaux facteurs atténuants et aggravants ne m’a pas mené à m’immiscer dans la décision de l’employeur.

173 Pour tous les motifs qui précèdent, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

174 Le grief est rejeté.

6 juin 2011.

Dan Butler,
arbitre de grief


Annexe A – Exposé conjoint des faits

  1. Le fonctionnaire s’estimant lésé, M. Fred Tobin (le « fonctionnaire »), était employé par le Service correctionnel du Canada (SCC) comme psychologue (PS-03), en poste au Centre régional de traitement (CRT), un établissement à sécurité maximale situé dans la réserve et dans l’enceinte du Pénitencier de Kingston, à Kingston (Ontario). Le CRT offre des services de traitement à des détenus sous responsabilité fédérale souffrant de maladies mentales graves.
  2. M. Tobin a été congédié de son poste le 7 mai 2004 par lettre datée du même jour. Le congédiement prenait effet le 23 avril 2004.
  3. Pendant toute la période pertinente, Mme Nancy Stableforth était sous-commissaire du SCC pour la région de l’Ontario ainsi que la personne ayant mis fin à l’emploi de M. Tobin au SCC.
  4. Pendant toute la période pertinente, M. Alan Stevenson était employé par le SCC et était le directeur de l’établissement de Collins Bay (ECB), un établissement à sécurité moyenne pour détenus de sexe masculin situé à Kingston (Ontario), à l’intérieur des limites de la région de l’Ontario du SCC.
  5. Durant toute la période pertinente, Mme Janet DeLaat était employée par le SCC et était la directrice de l’établissement Frontenac, un établissement à sécurité minimale pour délinquants également situé à Kingston (Ontario), sur la même réserve fédérale que l’ECB. Mme DeLaat connaissait M. Tobin sur le plan professionnel depuis 1996, mais elle fréquentait régulièrement M. Tobin et sa femme dans un contexte social.
  6. Durant toute la période pertinente, M. David Farnsworth était employé comme psychologue (PS-03) au SCC et était en poste au CRT. Il s’est joint à la fonction publique fédérale en 1990.
  7. HM est une jeune femme qui a travaillé comme bénévole et qui a ultérieurement été employée pour une période déterminée par le SCC. Elle était en poste soit au CRT soit à l’ECB.
  8. M. Tobin est titulaire d’un baccalauréat spécialisé en psychologie de la Dalhousie University et d’une maîtrise en psychologie clinique de la St. Mary’s University.
  9. Les antécédents professionnels de M. Tobin sont les suivants :
    1. de 1982 à 1985, il a été directeur de programmes aux Metropolitan Group Homes, à Halifax. Il s’agissait d’une organisation communautaire qui fournissait des services à des personnes atteintes de maladies mentales graves et qui assistait ces mêmes personnes dans leur réinsertion sociale;
    2. de 1985 à 1988, il a travaillé au service de psychologie du Halifax County Regional Rehabilitation Centre (centre régional de réadaptation du comté de Halifax), où, entre autres responsabilités, il administrait des tests psychologiques, en interprétait les résultats, rédigeait des rapports, fournissait des services de consultation aux membres du personnel dans diverses autres disciplines et dispensait des programmes de counselling individuel et de groupe. Il a œuvré sur trois fronts : les troubles mentaux graves; les déficiences intellectuelles; les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer;
    3. il a commencé son emploi au SCC en 1988, à titre de psychologue consultant, et, peu après, s’est vu offrir le poste de directeur des programmes de l’Unité du comportement féminin;
    4. il a travaillé à l’Unité du comportement féminin, où il a dirigé quelques groupes en assumant son rôle de directeur des programmes. À ce titre, il assurait la supervision fonctionnelle de divers employés dans de nombreux domaines d’expertise, dont le counselling, l’intervention, les programmes et l’analyse des programmes;
    5. en 1994-1995, il était en congé de formation;
    6. en 1997, il a été nommé directeur des programmes de l’Unité pour délinquantes du CRT;
    7. entre 1998 et 2000, il a été sous-directeur intérimaire de la Prison des femmes et a ultérieurement assumé les fonctions de sous-directeur exécutif intérimaire du CRT. Les fonctions de ce poste avaient trait au fonctionnement courant de l’établissement, dont la supervision des agents en uniforme, du personnel de gestion des cas et des agents de libération conditionnelle. En outre, le poste comprenait des fonctions relatives aux aspects cliniques et opérationnels. Dans l’exercice de ces fonctions, M. Tobin a été appelé à gérer des situations de crise et à faire face à des problèmes touchant les délinquantes, comme des comportements autodestructeurs et agressifs, des refus d’obéir et des refus de participer. Pendant son service au CRT, il faisait partie de l’Unité du comportement féminin.
  10. Les antécédents de travail de M. Tobin de mars 2000 à la date de son congédiement sont les suivants :
    1. de mars 2000 à septembre 2001, il a travaillé au CRT à la fois comme titulaire de son poste d’attache (PS-03) et, de manière occasionnelle, comme sous-directeur exécutif par intérim;
    2. de septembre 2001 au 26 février 2002, il a été détaché à l’administration régionale de l’Ontario (l’AR);
    3. du 26 février 2002 jusqu’à la date de sa suspension, le 8 juillet 2002, il a été sous-directeur intérimaire de l’ECB;
    4. du 8 juillet au 20 novembre 2002, il a été suspendu sans solde; cette suspension a été annulée et il a été dédommagé de toutes les pertes en rémunération et en avantages sociaux qu’il a subies durant cette période;
    5. du 20 novembre 2002 au 23 avril 2004, il a travaillé à des projets d’affectation spéciale sous la supervision de la directrice de l’établissement Frontenac, Janet DeLaat;
    6. du 23 avril au 7 mai 2004 (date de son congédiement), il était suspendu sans solde.
  11. M. Farnsworth a fait la connaissance de M. Tobin en 1990; ils sont amis depuis. De janvier à septembre 1996 (une période de neuf mois), il a été le superviseur de M. Tobin et aurait alors pris part à l’évaluation de son rendement.
  12. M. Farnsworth a jugé excellente la compétence de M. Tobin pendant son service au CRT et n’aurait aucun problème à retravailler avec M. Tobin après sa condamnation. Il estime que, pendant les cinq ou six années durant lesquelles il a travaillé avec lui, M. Tobin avait d’excellentes interactions avec les détenus. M. Farnsworth ne verrait aucun inconvénient à permettre à M. Tobin de travailler auprès de détenus. M. Farnsworth n’était pas au courant des infractions criminelles ni des circonstances entourant ces infractions, pas plus qu’il ne connaissait l’accusation à laquelle M. Tobin avait plaidé coupable.
  13. M. Farnsworth a supervisé M. Tobin pendant une période de neuf mois, en 1996. M. Tobin est devenu son patron pendant une courte période. M. Farnsworth n’a pas travaillé avec M. Tobin ni ne l’a supervisé depuis environ 14 ans.
  14. Alan Stevenson était le directeur de l’ECB alors que M. Tobin assumait les fonctions de sous-directeur intérimaire (de cet établissement). Pendant le mandat de M. Tobin, l’ECB était (et demeure) un établissement à sécurité moyenne pour délinquants de sexe masculin. Cet établissement abritait alors quelque 200 à 240 détenus et comptait un effectif d’environ 200 personnes.
  15. Initialement, M. Tobin devait assumer les fonctions de sous-directeur par intérim de l’ECB pendant six semaines. Après cette période initiale, M. Stevenson a demandé à M. Tobin s’il souhaitait continuer d’assumer ces fonctions. M. Tobin a alors commencé à participer plus directement à la planification à long terme de l’établissement et à certaines questions opérationnelles, en particulier en matière de construction. À la connaissance de M. Tobin, son rendement ne posait aucun problème.
  16. Le poste de sous-directeur est extrêmement exigeant en ce que son titulaire doit constamment faire preuve de dynamisme, d’innovation et de jugement. Les fonctions de sous-directeur ont une plus grande incidence sur l’établissement que celles du directeur. M. Stevenson, en tant que directeur de l’ECB, était à l’extérieur environ 40 % du temps, si bien que c’est le sous-directeur qui était alors responsable de l’établissement. En outre, le sous-directeur voit les détenus davantage que le directeur. Par ailleurs, lors de situations de crise, c’est le sous-directeur qui remplit un rôle significatif.
  17. M. Tobin participait à la gestion courante de l’établissement et agissait souvent au nom du directeur Stevenson lorsque ce dernier n’était pas à l’établissement de Collins Bay.
  18. M. Stevenson a souscrit en ces termes à l’évaluation du rendement de M. Tobin qui a été faite, en partie, dans un document intitulé « Rapport narratif d’évaluation du candidat » :

    [Traduction]

    Dans ses fonctions de sous-directeur par intérim et dans ses affectations antérieures, M. Tobin a toujours fait preuve d’une connaissance et d’une compréhension approfondies de la mission du SCC, de ses politiques et de ses objectifs globaux. Il aide son personnel à comprendre les enjeux, en le sensibilisant à l’importance de s’assurer du respect des exigences prescrites par les lois et les politiques.

    […]

    J’ai eu l’occasion de gérer plusieurs crises avec l’aide de M. Tobin; il a fait preuve d’une bonne connaissance des exigences juridiques et liées aux politiques ainsi que d’un bon jugement dans des situations très difficiles. Il donne au personnel les instructions nécessaires pour que la crise se règle en toute sécurité. Je considère son style de gestion et ses connaissances comme un atout dans la gestion de situations de crise.

  19. M. Stevenson a convenu que M. Tobin s’était bien acquitté de ses fonctions de sous-directeur par intérim et qu’il était capable d’assumer l’ensemble des fonctions de ce poste.
  20. HM a travaillé au CRT au moins durant la période de mars à septembre 2001 et a travaillé à l’ECB jusque vers la fin février 2002. De la fin février à la fin mars 2002, à peu près, elle a continué de travailler à cet établissement à titre de bénévole.
  21. La relation de M. Tobin avec HM a commencé aux alentours de mars 2001, alors qu’il était sous-directeur intérimaire du CRT, et, peu de temps après, HM a commencé à travailler bénévolement au CRT. Ultérieurement, HM a été embauchée à titre occasionnel au CRT. Il a été insinué que M. Tobin avait quelque chose à voir avec cette embauche. C’est à la suite de ces insinuations que M. Tobin a accepté l’affectation à l’AR, en septembre 2001, pour éviter l’ouverture d’une enquête officielle sur la question. Pendant la période de service de M. Tobin à l’AR, le mandat de HM au CRT a pris fin et elle a par la suite obtenu un poste à titre occasionnel à l’ECB. La relation entre HM et M. Tobin était connue de certains membres du personnel du SCC. Les mesures disciplinaires à l’endroit de M. Tobin n’ont jamais été prises pour la seule raison de cette relation.
  22. Tandis que la candidature de M. Tobin était envisagée pour le poste de sous-directeur intérimaire à l’ECB, sa relation avec HM se poursuivait. HM travaillait comme employée occasionnelle à l’ECB. Lorsque l’emploi de HM à l’ECB a pris fin, elle a continué d’œuvrer et de travailler bénévolement à cet établissement jusqu’à la fin mars 2002, période durant laquelle M. Tobin était le sous-directeur par intérim; leur relation avait toujours cours.
  23. Lorsque M. Tobin travaillait au CRT, HM relevait techniquement de ce dernier, mais elle ne lui faisait pas rapport directement.
  24. Avant de nommer M. Tobin au poste de sous-directeur intérimaire de l’ECB, M. Stevenson l’avait rencontré (il ne se souvient pas exactement du motif ni d’autres détails au sujet de la rencontre). Lors de cette rencontre, ils ont abordé, de façon générale, certaines des circonstances ayant poussé M. Tobin à se faire transférer du CRT à l’AR. Bien que les détails n’aient pas été discutés, M. Stevenson était au courant du transfert de M. Tobin du CRT à l’AR et du fait que quelque problème était survenu au sujet d’un membre du personnel. Sans être au courant des détails de la relation, M. Stevenson se souvient que M. Tobin lui avait dit que sa relation avec cette jeune femme était bel et bien terminée. M. Stevenson ne se souvient pas des détails de la rencontre qui s’est déroulée lorsque cette discussion a eu lieu.
  25. M. Tobin se souvient de deux rencontres avec le directeur Stevenson. Il n’a pas pris de note à l’issue de ces rencontres. Toutefois, contrairement à ce que déclare M. Stevenson, il ne se souvient d’aucune discussion durant laquelle il y aurait eu des déclarations au sujet de la jeune femme avec qui il avait une liaison. Il se souvient que la première de ces rencontres avec M. Stevenson avait eu lieu à sa première journée au poste de sous-directeur intérimaire, alors que Janet DeLaat le familiarisait avec les fonctions du poste; M. Stevenson lui avait alors dit qu’il recherchait un sous-directeur possédant davantage d’expérience. Aux dires de M. Tobin, la seconde rencontre a eu lieu vers la fin de la période initiale d’affectation intérimaire de M. Tobin et a porté sur la poursuite de son affectation à l’ECB. M. Tobin ne se souvient pas d’avoir dit à M. Stevenson, en ces occasions, que sa relation avec HM était terminée.
  26. Le 5 juillet 2002, M. Tobin a été arrêté et détenu sous des chefs d’accusation liés à du harcèlement et à de l’intimidation à l’endroit de HM. Les cinq premiers chefs ont été déposés au moment de l’arrestation de M. Tobin, en juillet 2002, tandis que le sixième a été ajouté ultérieurement. Les accusations portées contre M. Tobin étaient les suivantes :
    1. a proféré une menace de causer la mort à l’endroit de HM, en contravention de l’alinéa 264.1(1)a) du Code criminel du Canada (CCC);
    2. a, sans autorisation légitime, séquestré HM en contravention du paragraphe 279(2) du CCC;
    3. a, injustement et sans autorisation légitime, empêché HM de se rendre à la destination qu’elle voulait, en contravention de l’alinéa 423(1)e) du CCC;
    4. a, sachant que HM se sentait harcelée ou sans se soucier de ce qu’elle se sentît harcelée et sans autorisation légitime, cerné ou surveillé sa maison d’habitation et/ou d’autres lieux où HM se trouvait, ce qui eut pour effet de lui faire raisonnablement craindre – compte tenu du contexte – pour sa sécurité et a donc commis une infraction à l’alinéa 264(2)c) du CCC;
    5. s’est, sachant que HM se sentait harcelée et sans se soucier de ce qu’elle se sentît harcelée et sans autorisation légitime, comporté d’une manière menaçante à l’égard d’elle, ce qui a eu pour effet de lui faire raisonnablement craindre – compte tenu du contexte – pour sa sécurité et a donc commis une infraction à l’alinéa 264(2)d) du CCC;
    6. a commis une agression sexuelle à l’égard de HM et a donc commis une infraction à l’alinéa 271(1)a) du CCC.
  27. Comme il est indiqué dans la Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine, datée du 20 avril 2004, Cour supérieure de l’Ontario, devant l’honorable juge Chilcott (« Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine ») et comme M. Tobin l’a confirmé, ces événements ont découlé de, et ont impliqué, la relation entre M. Tobin et HM.
  28. En ce qui concerne l’arrestation de M. Tobin, en juillet 2002, M. Stevenson a eu vent de la situation lorsqu’il a reçu un appel de Janet DeLaat, la directrice de l’établissement Frontenac, qui l’a informé de l’arrestation de M. Tobin.
  29. Mme DeLaat a eu connaissance des accusations portées contre M. Tobin après la longue fin de semaine de juillet 2002, lorsque la femme de M. Tobin, Wendy, a communiqué avec elle. En apprenant cela, Mme DeLaat a envoyé un message par téléavertisseur à M. Stevenson, le directeur de l’ECB dont M. Tobin relevait, car Mme Tobin avait indiqué (à Mme DeLaat) qu’elle voulait que M. Stevenson soit au courant de la situation.
  30. M. Stevenson a consigné ce qui s’est déroulé lors des rencontres et discussions qu’il a eues après la libération sous caution de M. Tobin. Il a documenté ces discussions dans des notes qu’il a prises en vue de les déposer et qui sont datées des 6 et 8 juillet 2002 (trois notes séparées).
  31. Le 8 juillet 2002, M. Stevenson a reçu un message de M. Tobin sur son téléavertisseur. Lorsque M. Tobin l’a rappelée, il lui a dit qu’il n’était pas coupable et que les tribunaux allaient l’exonérer.
  32. Les options que M. Stevenson a alors envisagées étaient les suivantes :
    1. suspendre M. Tobin avec solde;
    2. le réintégrer dans son poste d’attache;
    3. le réaffecter.

    M. Stevenson n’a pas discuté de ces options avec M. Tobin.

  33. M. Stevenson et M. Tobin se sont rencontrés le lendemain (le 9 juillet 2002) pour déjeuner, et M. Stevenson a remis à M. Tobin la lettre de suspension (qui était datée du 9 juillet 2002). Lors de cette rencontre, M. Tobin a de nouveau assuré M. Stevenson de son innocence. Là encore, à l’issue de cette rencontre et de cet entretien, M. Stevenson a rédigé une note à verser au dossier.
  34. M. Stevenson a rencontré M. Tobin une nouvelle fois, lorsqu’il s’est rendu chez lui pour lui remettre des documents. À nouveau, lors de cette visite, M. Tobin a assuré M. Stevenson qu’il était innocent, que les accusations portées contre lui étaient sans fondement et que toute l’affaire résultait d’une mauvaise attitude (de HM) envers lui.
  35. M. Stevenson n’a jamais discuté d’un quelconque aspect de la description du poste de sous-directeur avec M. Tobin en rapport avec les événements ayant donné lieu au congédiement. M. Stevenson n’a pas essayé d’obtenir de renseignements au sujet de l’incidence de ces événements en ce qui concerne l’exécution des tâches.
  36. M. Stevenson conviendra qu’il n’est pas réputé pour sa bonne mémoire, si bien qu’il prend des notes et les verse aux dossiers.
  37. De l’avis de M. Stevenson, au moment du congédiement de M. Tobin, le seul changement qui s’était produit était que M. Tobin avait plaidé coupable et qu’il avait été condamné. M. Stevenson n’a pas parlé à M. Tobin de l’incidence des événements sur ses tâches et fonctions avant la cessation de son emploi.
  38. M. Tobin a déclaré que, selon lui, son comportement n’était pas « criminel » et qu’il n’avait pas commis les actes reprochés. Il a confirmé avoir bel et bien déclaré cela à M. Stevenson et, par la suite, à Mme Stableforth. Il a également convenu qu’il l’avait sans doute dit aussi à d’autres personnes. M. Tobin ne se souvient pas qu’on ne lui ait jamais demandé pourquoi il prenait cette position.
  39. Au sujet des accusations au criminel, M. Tobin a confirmé avoir bel et bien mentionné, alors, qu’il n’était pas coupable ou qu’on allait le blanchir des accusations. Il a dit cela parce que, selon lui, il n’avait pas commis les actes reprochés. Lorsqu’il a déjeuné avec M. Stevenson, il a répété qu’il pensait qu’il n’était pas coupable, et M. Stevenson lui a dit qu’il le croyait. M. Tobin ne pouvait pas prédire l’avenir, mais, à son avis, il n’avait pas commis d’infraction. Si bien qu’il pensait qu’on allait l’exonérer.
  40. Aux dires de M. Tobin, les accusations ont eu un effet dévastateur sur sa vie personnelle. Il était en état de choc et se sentait traumatisé. Cela était notamment dû au fait qu’il avait passé une nuit en détention au poste de police de Kingston et deux nuits au centre de détention de Quinte. Ces événements ont été accablants et exceptionnellement difficiles à vivre.
  41. Selon M. Tobin, cela a aussi eu un impact sur sa famille, en particulier sa femme et ses enfants. Ils ont dû faire face à l’embarras causé par l’affaire, à la couverture médiatique, ainsi qu’à l’atteinte à la réputation et à la carrière de M. Tobin. Nombre de ses amis ont rompu leurs liens avec lui.
  42. M. Tobin ne se souvient pas d’avoir discuté de ses fonctions avec la haute direction à la suite de ces accusations.
  43. M. Stevenson n’a pas eu de rôle à jouer dans les mesures disciplinaires prises à l’endroit de M. Tobin.
  44. Nancy Stableforth était la sous-commissaire du SCC pour la région de l’Ontario. Mme Stableforth a été admise au Barreau en 1980. Le sous-commissaire est l’équivalent d’un sous-ministre adjoint. En tant que sous-commissaire de la région de l’Ontario, Mme Stableforth était responsable de 13 établissements, dont le CRT et l’ECB.
  45. Mme Stableforth relève directement du commissaire du Service correctionnel du Canada, et tous les directeurs d’établissement de la région de l’Ontario relèvent directement d’elle. Mme Stableforth avait deux sous-commissaires adjoints qui lui faisaient rapport.
  46. En sa qualité de sous-commissaire, Mme Stableforth était en charge de toutes les opérations de la région, dont la mise en œuvre à l’échelle nationale et régionale des politiques, budgets, programmes et services, de l’ensemble des employés, de tous les détenus (environ 3 600) ainsi que l’ensemble des services correctionnels fédéraux sur le territoire du Nunavut. Entre autres programmes et services, elle était responsable des Services de psychologie.
  47. Mme Stableforth a été sous-commissaire régionale pour l’Ontario pendant près de 8 ans et travaille au Service correctionnel depuis 14 ans. Avant d’occuper son poste de sous-commissaire régionale, elle était sous-commissaire pour les femmes.
  48. Mme Stableforth n’avait pas fait d’études en psychologie et se fiait à l’expertise d’autrui. Elle n’avait ni bagage ni expertise dans le domaine des mesures de l’opinion publique, de la réalisation de sondages ou des statistiques.
  49. Mme Stableforth a appris l’arrestation de M. Tobin en lisant un article du Kingston Whig Standard (non daté) intitulé « Deputy Warden accused of kidnap » ([traduction] Sous-directeur accusé de séquestration) et dans un article du Ottawa Citizen (daté du 11 juillet 2002) intitulé « Acting Collins Bay Warden Faces Stalking Charge » ([traduction] Le directeur intérimaire de Collins Bay fait face à une accusation de harcèlement). À cette date, elle n’était pas sous-commissaire pour la région de l’Ontario, et elle n’a été nommée à ce poste qu’après l’arrestation et la suspension de M. Tobin.
  50. Le 25 juillet 2002, une enquête administrative sur l’arrestation de M. Tobin et les accusations au criminel portées contre lui a été convoquée par le sous-commissaire adjoint aux opérations, Lou Kelly. Un rapport d’enquête a été produit en date du 10 septembre 2002. M. Tobin et HM ont refusé de fournir des renseignements au sujet des événements du 2 juillet 2002 relatifs à l’arrestation et aux accusations portées.
  51. Au sujet de l’enquête administrative menée à la suite de son arrestation et suivie du rapport daté du 10 septembre 2002, M. Tobin admet que, sur les conseils de son avocat, il n’a fourni aux enquêteurs aucun renseignement sur les événements ayant donné lieu aux accusations au criminel portées contre lui.
  52. Mme Stableforth a décidé de faire retravailler M. Tobin après l’arrestation initiale et la conduite de l’enquête administrative, et ce, après avoir consulté la jurisprudence. Mme Stableforth était d’avis que les accusations au criminel comportaient de très sérieuses allégations; cependant, M. Tobin avait nié tous les événements qui s’étaient produits, mais n’avait pas non plus fourni de renseignements sur ce qui s’était effectivement produit. Mme Stableforth a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements significatifs pour justifier qu’elle maintienne la suspension de M. Tobin. Cela dit, Mme Stableforth a aussi estimé que les accusations étaient trop sérieuses et que les allégations contenues dans ces accusations étaient de telle nature qu’elle ne pouvait pas réintégrer M. Tobin dans un poste de sous-directeur intérimaire ou dans son poste d’attache aux Services de psychologie. Elle a aussi estimé que si une autre enquête était conduite ultérieurement, des mesures disciplinaires, pouvant aller jusqu’au congédiement, pourraient être prises. Mme Stableforth a fait valoir cette éventualité à M. Tobin dans une lettre datée du 20 novembre 2002.
  53. Après avoir pris connaissance du rapport d’enquête administrative et déterminé que M. Tobin retournerait travailler, en attendant l’issue des procédures pénales, Mme Stableforth a eu une rencontre imprévue avec M. Tobin. Ce dernier, apprenant qu’il retournerait travailler en attendant l’issue des poursuites pénales, attendait à l’extérieur du bureau de Mme Stableforth à l’AR et, lorsque cette dernière est arrivée, il l’a priée de lui accorder un moment pour s’entretenir avec elle, ce à quoi elle a acquiescé. M. Tobin a assuré Mme Stableforth qu’il était innocent des accusations au criminel portées contre lui et qu’il en serait exonéré. Avant de déterminer que M. Tobin retournerait travailler en attendant l’issue des poursuites pénales, Mme Stableforth n’avait pas discuté de la question avec le principal intéressé.
  54. M. Tobin est retourné travailler alors que les accusations étaient toujours en instance. On lui a assigné quelques tâches à exécuter sous la supervision de Mme DeLaat. M. Tobin n’est pas retourné travailler à l’ECB, à l’AR ou au CRT à titre de sous-directeur intérimaire et de psychologue. L’une des tâches qu’on lui avait confiées dans le cadre d’un projet spécial et pour laquelle il relevait de Mme DeLaat consistait à piloter le cadre de contrôle de la gestion avec l’équipe de direction de l’établissement Frontenac et donc à devancer les autres établissements de par cette initiative.
  55. Mme DeLaat était satisfaite du travail accompli par M. Tobin sur ces projets, tout comme l’étaient les autres membres de l’équipe de direction à l’égard du projet. Elle a également indiqué que le rendement de M. Tobin au travail pendant cette période ne lui avait inspiré aucune inquiétude. Quant à l’accusation au criminel, Mme DeLaat se préoccupait uniquement de ce que, au retour de M. Tobin, il n’y aurait pas de réactions négatives. Elle a déclaré que cela ne nuirait pas aux résultats de son rendement. Qui plus est, Mme DeLaat a déclaré qu’être au courant de la condamnation de M. Tobin n’influerait pas sur sa décision de l’embaucher.
  56. M. Tobin a plaidé coupable à l’une des accusations le 19 avril 2004. Il en est fait état dans le plaidoyer et la détermination de la peine. D’après la Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine et M. Tobin, ce dernier a plaidé coupable au chef d’accusation no 5, lequel est le suivant :

    [Traduction]

    « Entre le 1er novembre 2001 et le 4 juillet 2002, dans la ville de Kingston (Ontario) et ailleurs dans la province de l’Ontario, M. Tobin, sachant que HM se sentait harcelée et sans se soucier de ce qu’elle se sentît harcelée et sans autorité légitime, s’est comporté d’une manière menaçante à l’égard d’elle, ce qui a eu pour effet de lui faire raisonnablement craindre – compte tenu du contexte – pour sa sécurité, et a donc commis une infraction contrairement à l’alinéa 264(2)d) du Code criminel du Canada. »

  57. Les cinq autres chefs d’accusation auxquels faisait face M. Tobin ont été annulés par la Cour.
  58. M. Tobin confirme que les faits énoncés entre la ligne 5 de la page 3 et la ligne 4 de la page 7 de la Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine étaient exacts. M. Tobin confirme ce qui suit :
    1. il s’est rendu au domicile de HM le soir du 2 juillet 2002;
    2. le 2 juillet 2002, sa relation avec HM n’avait pas encore pris fin;
    3. lorsqu’il s’est présenté au domicile de HM, il a découvert que cette dernière n’était pas seule et qu’elle était en compagnie d’un autre homme, buvant du vin avec lui, et avec qui, ainsi que M. Tobin l’a présumé, elle entretenait une relation;
    4. M. Tobin a quitté la résidence de HM;
    5. il a laissé plusieurs messages sur le répondeur de HM. Dans ces messages, il qualifiait HM de divers noms dégradants;
    6. il est retourné chez lui pour en repartir au volant de sa voiture. Tandis qu’il conduisait en direction de la résidence de HM, il l’a vue conduisant dans la direction opposée; c’est alors qu’il a fait demi-tour avec sa voiture et a suivi HM;
    7. HM a rangé son véhicule sur le bas côté, et M. Tobin s’est approché de son véhicule sur le côté du chemin et a commencé à l’insulter en la traitant de qualificatifs dégradants;
    8. HM pleurait tandis que M. Tobin lui parlait;
    9. M. Tobin et HM se sont rendus au Tim Hortons, puis à Lemoines Point, où ils ont passé un certain temps; après quoi, M. Tobin a raccompagné HM à son véhicule;
    10. le lendemain, il est retourné au domicile de HM et y a rencontré par hasard le père de cette dernière;
    11. ce jour-là, il a laissé d’autres messages à l’attention de HM.
  59. En ce qui concerne la Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine et l’exposé conjoint de faits, M. Tobin déclare ne pas avoir cru que HM s’était sentie menacée par lui, mais il a convenu que c’était ainsi qu’elle se sentait. Eu égard à l’intégralité de la transcription, dans bien des cas, M. Tobin n’a pas été d’accord avec les faits précis mentionnés, mais a simplement convenu que HM croyait cela ou avait ce sentiment.
  60. Au sujet des paroles extrêmement dégradantes et abusives qu’il avait prononcées au sujet de HM, M. Tobin a déclaré que cette dernière avait elle aussi tenu des propos de cette nature à son endroit. M. Tobin ressentait alors de la colère et était extrêmement émotif; il avait l’impression qu’on se moquait de lui.
  61. Aux dires de M. Tobin, il s’est rendu chez HM ce soir-là car elle l’avait appelé à quelques reprises le même jour. M. Tobin savait que HM se sentait tendue. Elle lui avait aussi dit qu’elle rencontrait l’une des ses amies le soir en question. Selon lui, il y avait quelque chose qui clochait, si bien qu’il est allé chez elle. M. Tobin a constaté que le véhicule qui s’y trouvait n’était pas celui de l’amie de HM, si bien qu’il a appelé et demandé qui était là. M. Tobin a essayé de se présenter, mais la personne a choisi de ne pas lui rendre la pareille.
  62. Aux dires de M. Tobin, il avait aussi laissé huit ou neuf messages non menaçants sur le répondeur de HM le jour suivant. Essentiellement, il disait dans ces messages qu’il s’inquiétait et qu’il voulait savoir si HM allait bien. Elle l’a appelée deux fois le matin suivant. Il a également reçu, sur son téléavertisseur, deux messages de HM qui était au travail et dans lesquels elle disait qu’elle souhaitait le rencontrer.
  63. Concernant la page 23 de la Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine, l’avocat de la Couronne a fait allusion à une [traduction] « différence de perception ». La position de M. Tobin pendant les procédures pénales, telle qu’elle est énoncée à la page 23, était qu’il n’avait pas l’impression que HM se sentait menacée. Il a également convenu qu’elle avait cette perception.
  64. M. Tobin n’a pas souvenir que M. Stevenson ou Mme Stableforth lui aient parlé directement des raisons pour lesquelles il a déclaré qu’il n’était pas coupable ou pour lesquelles il croyait qu’il serait exonéré, ou encore de la raison pour laquelle il a plaidé coupable.
  65. Mme Stableforth a vu les articles de journaux traitant du plaidoyer dans le Kingston Whig Standard (non daté) et le National Post (22 avril 2004). Le 21 avril 2004, Mme Stableforth a écrit à M. Tobin pour l’aviser qu’il était suspendu de son emploi.
  66. Par lettre datée du 23 avril 2004, Mme Stableforth a convié M. Tobin à une rencontre prévue le 28 avril 2004. L’objet de cette rencontre était que Mme Stableforth présente à M. Tobin les renseignements qu’elle avait reçus et qu’elle lui donne une occasion de s’expliquer. M. Tobin s’est présenté à cette rencontre avec son avocat, M. Smith. Mme Stableforth a témoigné que, pendant cette rencontre, M. Tobin et son avocat avait demandé à ce que la rencontre soit remise à plus tard et à ce que M. Tobin soit autorisé à prendre contact avec un représentant syndical, étant donné que M. Smith était un avocat spécialisé en droit criminel et non en relations de travail. Mme Stableforth a acquiescé à cette demande, et une note de service envoyée par courriel le 1er juin 2004 en fait état. Quant à la lettre datée du 23 avril 2004, Mme Stableforth n’y mentionnait pas qu’elle avait déjà pris de mesures disciplinaires (c.-à-d. la suspension) à l’endroit de M. Tobin. Néanmoins, elle a bel et bien admis qu’elle avait déjà pris la décision de le suspendre.
  67. M. Tobin a tenté d’expliquer ses actions concernant le plaidoyer de culpabilité à Mme Stableforth, mais elle lui a dit qu’elle ne voulait pas [traduction] « ouvrir un nouveau procès à ce sujet », puisqu’elle avait accepté la décision de la Cour.
  68. Aucune autre rencontre n’a eu lieu; cependant, la représentante syndicale de M. Tobin, Maria Dolenc, a fait suivre une lettre à l’attention de Mme Stableforth, en date du 4 mai 2004, au nom de M. Tobin.
  69. M. Tobin comprenait que la mission du SCC est d’encourager les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois et de la primauté du droit. Il comprend aussi qu’une partie de son travail consiste à contribuer à la sécurité du public et à dispenser des enseignements aux détenus de sorte qu’ils ne récidivent pas.
  70. La description de travail d’un poste de psychologue classifié PS-03 est une description de travail générique pour le groupe et le niveau correspondant à ce poste et, au meilleur de la connaissance de Mme Stableforth, cette description était exacte en 2002. M. Tobin confirme que cette description décrivait avec exactitude les fonctions et les responsabilités d’un PS-03.
  71. M. Tobin a convenu que, en tant que psychologue, il devait :
    1. faire passer des tests psychologiques détaillés aux détenus et évaluer les détenus;
    2. prendre des notes et rédiger des rapports sur les besoins en traitement des détenus;
    3. traiter des questions du risque concernant les détenus, l’établissement et le public;
    4. offrir des services de counselling aux détenus;
    5. enseigner, façonner, essayer et procurer aux détenus des stratégies et options en matière d’adaptation;
    6. accomplir son travail dans un environnement d’équipe pluridisciplinaire comprenant non seulement des psychologues, mais aussi du personnel infirmier, des travailleurs sociaux, des gestionnaires de cas et des agents de correction.
  72. M. Tobin convient que les délinquantes (avec qui l’on peut interagir sur un plan professionnel) peuvent être manipulatrices.
  73. Un psychologue travaillant pour le SCC serait souvent appelé à traiter des délinquants souffrant d’une variété de problèmes, parmi lesquels des troubles de la personnalité. M. Farnworth a indiqué que les psychologues ont affaire à des personnes manipulatrices et doivent souvent, presque quotidiennement, gérer des crises. De plus, dans le cadre de leur fonction, les psychologues doivent évaluer le comportement des détenus et les aider à modifier leur comportement afin qu’ils soient prêts à retourner dans la société et qu’ils ne récidivent pas.
  74. Mme Stableforth a déterminé que M. Tobin ne pouvait pas retourner travailler comme PS-03 du fait que le fonctions d’un PS-03 ne cadrent pas avec le comportement qu’il a adopté et qui a donné lieu à sa condamnation au tribunal. En tant que PS-03, il était censé :
    1. réaliser des évaluations et offrir des services de counselling aux détenus;
    2. mener des interventions auprès de détenus;
    3. remettre en question le comportement des détenus et les aider à s’adapter aux situations.
  75. Mme Stableforth considère que c’est forts de leurs connaissances professionnelles que les psychologues assument leurs fonctions et responsabilités. Pour être en mesure de prodiguer un traitement efficace au détenu, le psychologue doit inspirer du respect au détenu; il doit être capable de montrer un exemple crédible; il doit faire preuve de crédibilité et de jugement. D’après Mme Stableforth, les gestes posés par M. Tobin lors des incidents du 2 juillet 2002 soulèvent des préoccupations quant à son jugement et à sa capacité de donner l’exemple d’une conduite appropriée.
  76. Mme Stableforth n’a pas pris de mesures disciplinaires contre M. Tobin pour avoir harcelé HM, comme le prévoyait la Règle 3 du Code de discipline du SCC; elle a plutôt pris des mesures disciplinaires à l’égard des gestes qu’il a posés en application de la Règle 2 du Code de discipline du SCC et de la lettre de cessation d’emploi.
  77. M. Tobin a confirmé qu’il connaissait tant les Règles de conduite professionnelle que le Code de discipline du SCC, et il a reconnu qu’on les lui avait remis par écrit lorsqu’il a commencé son emploi au SCC, en août 1988.
  78. La Règle 2 des Règles de conduite professionnelle du SCC stipule ce qui suit :

    « Le comportement d’une personne, qu’elle soit de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter de façon à rehausser l’image de la profession, tant en paroles que par leurs actes. De même, lorsqu’ils sont de service, leur apparence et leurs vêtements doivent refléter leur professionnalisme et être conformes aux normes de la santé et de la sécurité au travail.

    […]

    L’esprit professionnel au sein du Service correctionnel dépend beaucoup de la manière dont les employés parlent, se présentent et s’habillent. Il faut montrer l’exemple. En tant que modèles pour les délinquants, les employés se doivent d’adopter des normes élevées que les délinquants peuvent respecter et essayer d’imiter. Employer un langage injurieux, être discourtois envers les autres ou ne pas respecter leurs opinions pourraient encourager les délinquants témoins de ce comportement à faire de même, et, de ce fait, créer une atmosphère peu favorable à une interaction saine. Les employés doivent veiller à ce présenter, tant en service qu’en dehors du service, comme des citoyens responsables et respectueux des lois.

    Les employés qui commettent des actes criminels ou d’autres violations graves de la loi – en particulier dans le cas de récidives ou d’infractions suffisamment graves pour entraîner l’incarcération – ne présentent pas le genre de comportement considéré comme acceptable dans le Service, sur les plans tant personnel que professionnel. Par conséquent, tout employé accusé d’une infraction au Code criminel ou à une loi fédérale, provinciale ou territoriale doit en aviser son surveillant avant de reprendre ses fonctions. »

  79. La Règle 2 du Code de discipline du SCC prescrit ce qui suit :

    « Infractions »

    Commet une infraction l’employé qui :

    - présente une apparence ou un comportement indigne d’un employé du Service lorsqu’il est au travail ou en uniforme;

    - est injurieux ou offensant envers le public dans l’exercice de ses fonctions;

    - se conduit d’une manière susceptible de ternir l’image du Service, qu’il soit de service ou non;

    - commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province, risquant ainsi de ternir l’image du Service ou d’avoir un effet préjudiciable sur le rendement au travail;

    - omet d’avertir son supérieur, avant de reprendre ses fonctions, qu’il a été accusé d’une infraction criminelle ou d’une infraction à une loi;

    - retient sans autorisation ou détourne une somme d’argent ou un bien public, ou une somme d’argent ou un bien appartenant à autrui, et qui entre en sa possession dans l’exercice de ses fonctions ou du fait qu’il est membre du Service, ou encore omet d’en rendre compte;

    - pendant les heures de service, consomme de l’alcool ou d’autres substances qui réduisent ses capacités;

    - se présente au travail en état d’ébriété ou inapte à remplir ses fonctions parce qu’il a consommé de la drogue ou de l’alcool;

    - dort pendant ses heures de travail.

  80. La directive du commissaire du SCC 060 a été émise le 30 mars 1994 et s’intitule Code de discipline. Cette directive prévoit notamment ce qui suit :

    Le comportement d’une personne, qu’elle soit de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter de façon à rehausser l’image de la profession, tant en paroles que par leurs actes. De même, lorsqu’ils sont de service, leur apparence et leurs vêtements doivent refléter leur professionnalisme et être conformes aux normes de la santé et de la sécurité au travail.

    Commet une infraction l’employé qui [entre autres] se conduit d’une manière susceptible de ternir l’image du Service, qu’il soit de service ou non; commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province, risquant ainsi de ternir l’image du Service ou d’avoir un effet préjudiciable sur le rendement au travail.

  81. Mme Stableforth a envoyé à M. Tobin la lettre de congédiement datée du 7 mai 2004 qui mettait fin à son emploi, une décision qu’elle avait prise. Mme Stableforth a mis fin à l’emploi de M. Tobin pour les raisons suivantes :
    1. il a enfreint la Règle 2 des Règles de conduite professionnelle;
    2. il a commis, en dehors du service, une inconduite qui a été admise dans un exposé conjoint des faits, comme en fait état la Transcription du plaidoyer et de la détermination de la peine datée du 20 avril 2004;
    3. il était responsable de la garde de délinquants et, dans les circonstances, le type de l’infraction était très grave de l’avis de Mme Stableforth;
    4. il a manifesté un schème comportemental qui a perduré et qui dénotait un manque de jugement de sa part;
    5. ses actions ont jeté le discrédit sur le Service aux yeux du public et dans les médias;
    6. les fonctions de son poste d’attache de psychologue (PS-03) ne sont pas compatibles avec la condamnation;
    7. eu égard à la garde de détenus, il doit montrer l’exemple et être respectueux des lois;
    8. sa crédibilité et son jugement sont remis en cause. Il ne peut pas prodiguer de conseils aux délinquants s’il n’est pas lui-même capable de maîtriser son comportement.
  82. Eu égard à la lettre du 7 mai 2004, Mme Stableforth n’a abordé aucun de ces aspects (susmentionnés) avec M. Tobin avant d’en arriver à cette décision. M. Tobin ne s’est vu offrir aucune occasion de formation pour corriger toute déficience alléguée par suite de cette condamnation ni de possibilité de chercher un autre emploi.
  83. M. Tobin ne s’est vu offrir aucun service de formation, d’orientation et de counselling en rapport avec les accusations portées ni sur la façon dont il pouvait continuer de travailler après la condamnation. La seule exception à cela était que M. Stevenson lui avait offert une option du Programme d’aide aux employés peu après son arrestation et sa libération sous caution.
  84. Mme DeLaat était au courant du fait que M. Tobin avait plaidé coupable à une accusation. Lorsqu’on lui a demandé si elle pourrait ou voudrait confier à M. Tobin le travail particulier (qu’on lui avait donné auparavant) après qu’il eût été déclaré coupable d’une infraction criminelle, ou si elle aurait accepté M. Tobin pour exécuter ce travail, Mme DeLaat a déclaré que, pour autant que M. Tobin se qualifie dans le cadre d’un processus régional de sélection et qu’on lui confie la supervision de son poste, cela ne lui poserait aucun problème.
  85. De plus, Mme DeLaat, étant au courant de la condamnation de M. Tobin, n’aurait aucun problème à assigner un travail nécessitant des contacts avec les détenus à M. Tobin, s’il y avait un besoin, pour autant qu’il fût qualifié pour accomplir le travail, que cette qualification eut été attestée par un processus régional de sélection et qu’il fût disponible pour accomplir le travail.
  86. M. Farnsworth est un ami de M. et Mme Tobin. Lorsque M. Tobin a été appréhendé, Mme Tobin s’est rendue chez M. Farnsworth et elle était très ébranlée par l’arrestation de son mari. M. Farnsworth s’est rendu, en compagnie de Mme Tobin au centre de détention de Quinte, où M. Tobin était détenu, dans l’attente de sa libération sous caution.
  87. M. Farnsworth était au courant de l’aventure extraconjugale de M. Tobin. Il n’a eu aucun rôle à jouer dans l’enquête administrative qui a été ouverte ni dans l’enquête policière. Il s’est certes présenté au palais de justice le premier jour du procès de M. Tobin au criminel, mais il n’est pas entré dans la salle d’audience. Il n’était pas au courant du détail des accusations qui avaient été portées contre M. Tobin. Ce dernier lui a dit qu’il était innocent des infractions criminelles, mais M. Farnsworth n’en a pas discuté avec lui. M. Farnsworth et sa femme sont restés amis avec M. Tobin et sa femme.
  88. Mme Stableforth a convenu qu’une personne pouvait être déclarée coupable même si elle clamait son innocence. Mme Stableforth savait qu’il était possible que M. Tobin soit condamné. Elle a convenu que la condamnation au criminel d’un employé du SCC ne commandait pas automatiquement la prise de mesures disciplinaires.
  89. Eu égard à l’application du code de déontologie du SCC, Mme Stableforth ne considère pas que l’incarcération d’un employé est pire qu’une condamnation pour ce qui est du niveau approprié des mesures disciplinaires à prendre. Mme Stableforth a convenu que l’emprisonnement est un facteur important à considérer.
  90. Mme Stableforth a convenu que la seule règle du Code de discipline du SCC que M. Tobin avait censément enfreinte était la Règle no 2.
  91. Mme Stableforth n’a pas consulté M. Stevenson avant de décider de mettre fin à l’emploi de M. Tobin.
  92. Mme Stableforth a admis que, dans le rapport d’enquête administrative (daté de septembre 2002), on ne s’était pas penché sur l’incidence des chefs d’accusation et des événements en cause sur le public.
  93. Mme Stableforth a indiqué que le rendement de M. Tobin au travail ne lui avait posé aucun problème, et elle a souscrit aux renseignements dont fait état la note de service qu’elle a adressée, en août 2003, aux Ressources humaines concernant l’obtention d’une affectation pour M. Tobin en attendant l’issue des poursuites pénales contre lui.
  94. Mme Stableforth n’a pas parlé aux superviseurs ou collègues de M. Tobin concernant l’incidence de ces événements sur le rendement de M. Tobin.
  95. Mme Stableforth n’a jamais comparé mot à mot le contenu des articles de journaux et celui de la transcription des procédures judiciaires.
  96. En ce qui a trait aux répercussions de ces événements, les conclusions personnelles de Mme Stableforth reposaient sur sa compréhension que les gestes reprochés ne renvoyaient pas une image favorable ou crédible du SCC. Elle n’a effectué aucun sondage à ce sujet et a témoigné qu’elle n’avait [traduction] « pas congédié M. Tobin en raison de la couverture médiatique ».
  97. Mme Stableforth a convenu que les incidents de juillet 2002 s’étaient produits en dehors du service, mais elle a déclaré qu’ils avaient un lien avec le lieu de travail. Elle n’a pas discuté avec M. Tobin de ce rapport au lieu de travail.
  98. Mme Stableforth croit se souvenir que M. Tobin lui avait dit qu’il « serait » exonéré des accusations et non qu’il « serait vraisemblablement » blanchi.
  99. En ce qui concerne la déclaration de la victime faite par HM, qui a été versée au dossier lors du plaidoyer et de la détermination de la peine de M. Tobin, Mme Stableforth a déclaré qu’elle ignorait que M. Tobin ou son avocat avait contesté ou remis en cause des aspects de cette déclaration. Quant à l’assertion que l’avocat de M. Tobin a faite à la Cour et selon laquelle il fallait ne pas tenir compte de certains aspects de la déclaration de la victime [p. 18 de la pièce E-2], Mme Stableforth a présumé que cela concernait d’autres employés.
  100. Mme Stableforth n’a jamais présenté à M. Tobin de liste des préoccupations ou questions relatives à l’impact des événements ayant donné lieu à son congédiement. Mme Stableforth n’a pas discuté avec M. Tobin des points soulevés dans la lettre de cessation d’emploi qu’elle lui a adressée. Mme Stableforth n’a pas non plus discuté de ces questions avec la représentante syndicale de M. Tobin. Hormis dans les lettres datées des 21 et 23 avril 2004, Mme Stableforth n’a pas discuté avec M. Tobin des points soulevés dans la lettre de congédiement.
  101. Le 23 avril 2004, après le dépôt du plaidoyer de M. Tobin et la détermination de sa peine, Mme Stableforth a écrit à M. Tobin pour lui faire savoir qu’elle le suspendait de son travail en attendant les résultats d’une autre enquête.
  102. Au chapitre des évaluations du rendement de M. Tobin, Mme Stableforth ne pouvait pas dire si elle en avait pris connaissance avant le congédiement de M. Tobin. Mme Stableforth n’a pas examiné d’autres possibilités d’emploi pour M. Tobin avant son congédiement, au printemps 2004.
  103. Eu égard à la question de la réadaptation et au Guide d’application – Sanctions disciplinaires et rétrogradation ou congédiements non disciplinaires, Mme Stableforth n’a pas envisagé de mesures particulières, mais elle a été influencée par les événements en soi et n’a pas considéré l’avenir.
  104. Après son congédiement, M. Tobin a obtenu un poste de psychométricien aux services de développement du comté de Leeds-Grenville. Les fonctions de ce poste comprennent l’administration et l’interprétation de divers tests psychologiques que l’on fait passer à des enfants, des adolescents et des adultes. La clientèle est référée à ces services par le ministère provincial et comprend des personnes souffrant de déficience intellectuelle, de graves troubles d’apprentissage et de troubles envahissants du développement. Les fonctions assumées par M. Tobin comprenaient notamment la formation du personnel, la consultation de membres du personnel, des écoles, de parents et du personnel soignant, la tenue d’ateliers, la discussion des constatations et conclusions de rapports ainsi que l’encadrement d’enseignants dans la mise au point et la révision de plans individuels d’éducation. Son employeur était au courant de sa condamnation au criminel avant de lui offrir le poste, puisque M. Tobin en avait parlé lors de son entrevue d’emploi. À sa connaissance, aucune préoccupation n’a été soulevée. Il n’a pas non plus connaissance d’un quelconque problème de rendement à la suite de cela. Dans le cadre de ses fonctions, il a régulièrement des interactions individuelles avec les clients. Son employeur lui a dit qu’il exerçait si bien les fonctions de son poste actuel qu’il allait lui confier la supervision de tous les services psychologiques de l’organisme. M. Tobin ne s’est jamais rendu jusque là puisqu’il a été réintégré dans ses fonctions au SCC. Il a occupé le poste de psychométricien du 29 novembre 2004 à juin 2007, date à laquelle il a recommencé à occuper un emploi au SCC, conformément à la décision initialement rendue par la CRTFP dans cette affaire.
  105. En ce qui concerne son rôle de psychologue, M. Tobin est d’avis que sa condamnation n’est pas incompatible avec la mission du SCC et que son rôle n’avait pas changé à la suite de cet événement.
  106. M. Tobin a terminé sans problème sa période de 18 mois de probation et a respecté toutes ses conditions.
  107. Il y a eu des effets sur la vie de M. Tobin en raison de son plaidoyer de culpabilité. Ce plaidoyer de culpabilité procurait une exonération à M. Tobin, étant donné l’abandon de plusieurs chefs d’accusation sérieux. M. Tobin était inquiet pour sa réputation, sa famille, ses enfants et sa carrière.

Fait à Kingston, le 16 février 2011.

____________________________

David Yazbeck,

avocat du fonctionnaire s’estimant lésé

____________________________

John Jaworski,

avocat de l’employeur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.