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Résumé :

La clause 13.01c) de la convention collective stipule que « [l]orsque l'employé est tenu par l'Employeur de voyager pour exécuter des fonctions hors de sa région du lieu d'affectation [...] [u]n jour de repos ou un jour férié désigné payé, l'employé est rémunéré au taux des heures supplémentaires applicable pour les heures de voyage effectuées jusqu'à un maximum de douze heures (12) de rémunération calculées au taux ordinaire ou quinze heures (15) de rémunération calculées au taux ordinaire lorsqu'il voyage hors de l'Amérique du Nord [...] » – l’agent négociateur a contesté l’interprétation de l’employeur voulant que les maximums de 12 et 15 heures s’appliquent à la totalité d’un voyage – l’arbitre de grief a conclu que les maximums de 12 et 15 heures prévus à la clause 13.01c) de la convention collective s’appliquent plutôt à chacun des jours de repos et des jours fériés désignés payés au cours desquels un employé voyage pour affaires. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-06-17
  • Dossier:  569-02-49
  • Référence:  2011 CRTFP 80

Devant un arbitre de grief


ENTRE

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR

employeur

Répertorié
Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour l'agent négociateur:
Dejan Toncic, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Sean F. Kelly, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 11 mai 2011.

I. Grief de principe renvoyé à l'arbitrage

1 Le 12 mars 2009, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’ « agent négociateur ») a déposé un grief de principe contestant l’interprétation faite par le Conseil du Trésor (l’ « employeur ») de certaines dispositions de la convention collective relatives au temps de déplacement. La convention collective applicable est celle intervenue entre l’employeur et l’agent négociateur pour l’unité de négociation du groupe Sciences appliquées et examen des brevets, dont la date d’expiration était le 30 septembre 2007 (la « convention collective »).

2 Le grief vise l’interprétation par l’employeur de la clause 13.01c) de la convention collective. Selon cette interprétation, un employé, pour son temps de déplacement, ne peut recevoir plus de 15 heures supplémentaires pour la totalité d’un voyage effectué hors de l’Amérique du Nord lors d’un jour de repos ou d’un jour férié. L’agent négociateur prétend que le maximum de 15 heures s’applique pour chaque jour de repos ou jour férié et non pas, comme le prétend l’employeur, pour la totalité du voyage.

3 Le grief ne vise que l’interprétation de la clause 13.01c) de la convention collective mais je reproduis ci-dessous d’autres dispositions de la clause 13.01 qui permettent de mettre en contexte la disposition visée par le grief :

Article 13
Temps de déplacement

13.01 Lorsque l'employé est tenu par l'Employeur de voyager pour exécuter des fonctions hors de sa région du lieu d'affectation, il est rémunéré de la façon suivante :

a) un jour de travail normal pendant lequel il voyage mais ne travaille pas, l'employé touche sa rémunération régulière normale;

b) un jour de travail normal pendant lequel il voyage et travaille, l'employé touche :

(i) sa rémunération régulière normale pour une période mixte de déplacement et de travail ne dépassant pas sept virgule cinq (7,5) heures,

et

(ii) le taux des heures supplémentaires applicable pour tout temps de voyage supplémentaire en excédent d'une période mixte de déplacement et de travail de sept virgule cinq (7,5) heures, mais le paiement maximal versé pour ce temps ne doit pas dépasser, un jour donné, douze heures (12) de rémunération calculées au taux ordinaire ou quinze heures (15) de rémunération calculées au taux ordinaire lorsqu'il voyage hors de l'Amérique du Nord.

c) Un jour de repos ou un jour férié désigné payé, l'employé est rémunéré au taux des heures supplémentaires applicable pour les heures de voyage effectuées jusqu'à un maximum de douze heures (12) de rémunération calculées au taux ordinaire ou quinze heures (15) de rémunération calculées au taux ordinaire lorsqu'il voyage hors de l'Amérique du Nord.

4 Même si le libellé du grief ne fait référence qu’aux 15 heures de rémunération payables lors de voyages hors de l’Amérique du Nord, les parties conviennent que le grief vise aussi les 12 heures payables lors de voyages en Amérique du Nord. Les parties conviennent aussi que ce grief est un grief de principe car il vise l’unité de négociation en général au sens du paragraphe 220(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

5 L’interprétation de l’employeur va à l’encontre de la clause 13.01c) de la convention collective. La convention collective doit s’interpréter dans son ensemble et on doit donner à chaque mot son sens commun ou s’en remettre aux définitions de « jour de repos » ou de « jour férié désigné payé » comprises à l’article 2 de la convention collective. La clause 8.01 aide aussi à comprendre le sens du mot « jour ». L’examen de ces dispositions particulières, de l’article 13 et de l’ensemble de la convention collective montre que l’interprétation donnée à la clause 13.01c) par l’employeur est erronée.

6 L’agent négociateur n’a jamais revendiqué de changement à la clause 13.01c) de la convention collective car la question de son interprétation n’a jamais été portée à son attention.

7 L’employeur ne peut limiter unilatéralement le salaire payable à un employé lors d’un déplacement hors de l’Amérique du Nord à 15 heures par voyage sans que cette restriction ne soit clairement exprimée dans la convention collective. Or, ce n’est pas le cas ici car la clause 13.01c) ne comprend aucune mention que la limite de 15 heures s’applique à la durée entière du voyage. Si les parties avaient voulu une telle limite, elles en auraient fait mention dans la convention collective. À défaut d’une telle mention, le maximum de 15 heures s’applique à chaque jour, et non pas à chaque voyage.

8 Les autres clauses auxquelles l’agent négociateur fait référence se lisent comme suit :

2.01 Aux fins de l'application de la présente convention, le terme :

« congé » désigne l'autorisation de s'absenter de son travail ("leave");

[…]

 « heures supplémentaires » désigne tout travail demandé par l'Employeur et exécuté par un employé en excédent de son horaire de travail quotidien ("overtime");

[…]

 « jour de repos », par rapport à un employé, désigne un jour autre qu'un jour férié désigné payé où l'employé n'est pas habituellement obligé d'exécuter les fonctions de son poste pour une raison autre que celle d'être en congé ("day of rest");

« jour férié désigné payé » désigne la période de vingt-quatre (24) heures qui commence à 00 h 01 le jour désigné comme jour férié dans la présente convention ("designated paid holiday");

[…]

8.01 Aux fins du présent article, la semaine de travail est de sept (7) jours consécutifs, commençant à 00 h 01 le lundi et se terminant à 24 heures le dimanche. La journée est une période de vingt-quatre (24) heures débutant à 00 h 01.

B. Pour l’employeur

9 L’employeur prétend que l’interprétation qu’il donne à la clause 13.01c) de la convention collective est la bonne et qu’elle est conforme à l’intention réelle des parties qui est de limiter le nombre d’heures payables lors des déplacements des employés.

10 Selon l’employeur, l’arbitre de grief doit déterminer quelle était l’intention des parties qui ont signé la convention collective. Sa compétence est limitée à interpréter le libellé de la convention et il ne peut modifier les dispositions qui sont claires et sans équivoque. Pour interpréter la convention collective, l’arbitre de grief doit s’en remettre à diverses règles d’interprétation : il faut donner le sens ordinaire aux mots utilisés par les parties; il faut interpréter les mots dans le contexte de l’ensemble de la convention; il faut donner un sens distinct à chaque mot ou à son absence d’une clause; il faut attribuer aux termes différents des sens différents; il faut une intention claire pour accorder un avantage pécuniaire; il faut préférer une disposition exécutoire lorsqu’elle  entre en conflit avec une définition; il peut s’avérer utile d’examiner les textes français et anglais.

11 Les dispositions de la convention collective sont claires et sans équivoque : la clause 13.01c) prévoit le paiement maximum de 12 ou de 15 heures pour les déplacements sans égard au nombre de jours du voyage. Il est évident que les parties ne voulaient pas que le terme « travail » englobe le terme « voyage ». Pour les parties, les déplacements sont des déplacements et le travail est du travail. Cette distinction a pour effet d’empêcher de façon générale le versement de la rémunération des heures supplémentaires pour le temps de déplacement.

12 La clause 13.01b)(ii) indique que la rémunération maximale pour un jour de travail normal au cours duquel un employé voyage et travaille est calculée en fonction de chacun des jours voyagés en raison de l’utilisation des mots « un jour donné ». Or, les mots « un jour donné » ne font pas partie de la clause 13.01(c) de la convention collective. La présence de ces mots dans une clause et l’absence de ceux-ci dans les autres clauses doit signifier quelque chose. L’employeur maintient que cela démontre que les parties voulaient appliquer un calcul constant, sans égard à la durée du voyage, aux situations où un employé voyage mais ne travaille pas.

13 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Aerlinte Eireann Teoranta v. Canada (1990), 68 D.L.R. (4e) 220 (C.A.F.); Arsenault et al. c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 17; Lamothe c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 2; Canadian Postmasters and Assistants Association v. Canada Post Corporation, [1999] C.L.A.D. No. 108 (QL); Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112; Hunt c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans Canada), dossier de la CRTFP 166-02-15797 (19860904); Maple Leaf Fresh Foods Brandon v. United Food and Commercial Workers, Local 832 (2010), 196 L.A.C. (4e) 336; Martin c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-25920 (19950310); Ottawa (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 503, [2010] O.L.A.A. No. 65 (QL); Parmalat Dairy and Bakery Inc. v. Retail Wholesale Canada, CAW Division, Local 462, [2010] O.L.A.A. No. 165 (QL); Small c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossier de la CRTFP 166-02-17579 (19890215); Stevens et al. c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2004 CRTFP 34; Tamborriello c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2006 CRTFP 48; Tembec Industries Inc. v. Pulp, Paper and Woodworkers of Canada, Local 15, [2010] B.C.C.A.A.A. No. 168 (QL); White c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 40; White c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 1017. L’employeur m’a aussi renvoyé aux ouvrages suivants : The Dictionary of Canadian Law, 2e éd; Canadian Labour Arbitration, 4e éd.,et  Collective Agreement Arbitration in Canada, 4e éd.  

III. Motifs

14 La question en litige est relativement simple : l’employeur a-t-il enfreint la convention collective en versant un maximum de 12 heures ou de 15 heures de salaire supplémentaire par voyage aux employés qui voyagent un jour de repos ou un jour férié, sans égard au nombre de jours voyagés? L’agent négociateur prétend que l’employeur a enfreint la convention collective car les 12 ou 15 heures en question sont payables pour chaque jour de voyage. Selon l’employeur, ces heures sont payables pour tout le voyage et non pour chaque jour.

15 Au départ, la clause 13.01 stipule que le temps de déplacement d’un employé qui est requis de voyager par l’employeur est rémunéré. Le reste de la clause fournit les modalités de cette rémunération. Si l’employé voyage un jour de travail normal, il est rémunéré conformément à la clause 13.01a) s’il ne fait que voyager, et conformément à la clause 13.01b) s’il travaille et voyage. Si l’employé voyage un jour de repos ou un jour férié, il est rémunéré conformément à la clause 13.01c). Des maximums de 12 heures et de 15 heures au taux simple s’appliquent, selon le cas, aux clauses 13.01b) et c).

16 La clause 13.01b) prévoit que l’employé reçoit sa rémunération normale de 7,5 heures de travail. En plus de ces heures, l’employé est payé pour les heures supplémentaires pendant lesquelles il voyage jusqu’à concurrence de 12 heures, ou de 15 heures pour les voyages hors de l’Amérique du Nord, au taux ordinaire par jour donné. Par contre, selon l’employeur, l’employé devrait recevoir pour les heures pendant lesquelles il voyage un jour férié ou un jour de repos jusqu’à concurrence de 12 heures ou de 15 heures au taux simple, selon le cas, non pas par jour donné, mais plutôt pour tout le voyage.

17 Selon l’interprétation de l’employeur, les maximums applicables seraient donc plus élevés un jour de travail normal qu’un jour férié ou un jour de repos. Autrement dit, pour des situations de voyage identiques, l’employé serait plus rémunéré un jour de travail normal qu’un jour de repos ou un jour férié pour les mêmes heures voyagées. Une telle interprétation est contraire à la logique même des taux prévus à la convention collective pour un jour de travail normal, un jour de repos et un jour férié.

18 L’article 9 de la convention collective prévoit une surprime ajoutée au salaire pour le travail fait un jour de repos ou un jour férié. Cette surprime est payée afin de compenser l’employé pour le désagrément de ne pas pouvoir être en congé ces jours-là. Par exemple, l’employé reçoit une surprime de 50 % pour les 7,5 premières heures travaillées un premier jour de repos et une surprime de 100 % si ces heures sont travaillées un deuxième jour de repos. Dans le cas d’un jour férié, la surprime est de 150 %.  Pourtant, l’interprétation donnée par l’employeur à la clause 13.01c) de la convention collective implique exactement le contraire en ce sens que la rémunération pour le temps de déplacement pourrait s’avérer inférieure pour l’employé qui voyage un jour de repos ou un jour férié que pour l’employé qui voyage un jour de travail normal.

19  L’employeur a souligné à juste titre qu’on doit donner un sens distinct à chaque mot ou à son absence d’une clause et attribuer aux termes différents des sens différents. La clause 13.01b)ii) de la convention collective fait référence à un « jour donné » pour préciser que les 12 ou 15 heures de rémunération supplémentaire sont payables à chaque jour. La mention « jour donné » n’apparaît pas dans la clause 13.01c). Si ce n’était du résultat illogique que j’ai expliqué au paragraphe précédent, on pourrait peut-être conclure, comme le fait l’employeur, que les 12 ou 15 heures de rémunération sont payables pour la totalité du voyage sans égard au nombre de jours du voyage.   

20 Il est possible que les parties aient décidé d’insérer les mots « un jour donné » pour clarifier le libellé de la clause 13.01b)ii) qui est relativement lourd mais qu’elles aient décidé que cette clarification n’était pas nécessaire à la clause 13.01c). Ainsi, les mots « un jour donné » n’auraient pas été utilisés pour introduire un concept différent de celui de « un jour » qui fait référence à une période de 24 heures, ou un jour de repos qui fait référence à un jour non férié où l’employé ne travaille pas ou à un jour férié désigné payé qui désigne une période de 24 heures qui commence à 00 :01 le jour désigné comme férié dans la convention collective. Partout dans la convention collective, le mot « jour » désigne une période de 24 heures et nulle part ailleurs qu’à la clause 13.01b)ii) on n’y utilise le mot « donné ». J’en conclus que l’ajout du mot « donné » au libellé de la clause 13.01c) n’est pas nécessaire pour conclure que les 12 heures ou 15 heures de rémunération sont payables pour chaque jour de voyage.

21 L’interprétation que je fais des clauses 13.01b) et 13.01c) de la convention collective est qu’un employé est en droit de recevoir la même rémunération pour le temps de déplacement en dehors de ses heures de travail, peu importe si ce déplacement tombe un jour de travail, un jour de repos ou un jour férié. Appliquer l’interprétation donnée par l’employeur impliquerait plutôt qu’un employé pourrait recevoir une rémunération moindre pour voyager lors d’un jour de repos ou d’un jour férié qu’un jour de travail normal. Il s’agirait là d’un non-sens contredisant la logique de rémunération du reste de la convention collective.

22 Les décisions Hunt et Small portent sur la rémunération du temps de déplacement. Dans Hunt, un arbitre de grief a conclu que la rémunération du temps de déplacement se fait différemment de celle du travail et que ces deux termes ont un sens exclusif. Cette question n’est pas en litige ici car les deux parties reconnaissent que le temps de déplacement est rémunéré selon les dispositions de l’article 13 de la convention collective. Dans Small, le grief portait sur la rémunération des heures supplémentaires en temps de voyage mais la question à trancher par l’arbitre de grief n’était pas du tout la même que celle dans le présent cas.

23 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

24 Le grief est accueilli.

25 Je déclare que l’employeur viole la convention collective en appliquant les maximums de 12 et de 15 heures de salaire supplémentaire de la clause 13.01c) de la convention collective à la totalité d’un voyage plutôt qu’à chaque jour de repos ou à chaque jour désigné férié payé.

26 J’ordonne à l’employeur d’interpréter la clause 13.01c) de la convention collective conformément à la présente décision.

Le 17 juin 2011.

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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