Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Trois fonctionnaires s’estimant lésés ont renvoyé plusieurs griefs à l’arbitrage - les griefs visant des suspensions imposées pour non-exécution du travail ont été rejetés - l’arbitre de grief a déterminé que le comportement des fonctionnaires s’estimant lésés constituait de l’insubordination - les griefs portant sur des suspensions concernant des entretiens avec les médias ont été rejetés - l’arbitre de grief a jugé que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas prouvé que leur droit de s’exprimer publiquement avait priorité sur leur devoir de loyauté - les interventions des fonctionnaires s’estimant lésés devant les médias étaient alarmistes, ne véhiculaient aucun renseignement nouveau et ne correspondaient pas aux exceptions définies dans Fraser c. C.R.T.F.P., [1985] 2 R.C.S. 455 - les griefs visant deux licenciements pour insubordination ont été rejetés - l’arbitre de grief a conclu que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient refusé de travailler et que l’employeur était justifié de mettre fin à leur emploi - un grief visant un licenciement pour insubordination a été accueilli - l’arbitre de grief a déterminé que l’employeur avait mis fin à l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé de façon prématurée. Cinq griefs pour suspension rejetés. Deux griefs pour licenciement rejetés. Un grief pour licenciement accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-08-04
  • Dossier:  166-02-33999, 34329 à 34331, 34767, 34768, 35107 et 35125
  • Référence:  2011 CRTFP 99

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SHIV CHOPRA, MARGARET HAYDON ET GERARD LAMBERT

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Santé)

employeur

Répertorié
Chopra et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
David Yazbeck and Bijon Roy, avocats

Pour l'employeur:
John Jaworski, Jennifer Lewis and Sean Kelly, avocats

Affaire entendue à Ottawa (Ontario)
(Voir l’annexe 1 pour les dates des audiences
et l’annexe 2 pour les dates de dépôt des arguments écrits.)
(Traduction de la CRTFP)

Table des matières

  1. Griefs renvoyés à l'arbitrage De [1] à [3]
  2. Contexte [4]
    1. Milieu de travail De [5] à [11]
    2. Conflits et pressions
      1. Généralités De [12] à [20]
      2. Exemple : évaluation de la tylosine De [21] à [34]
    3. Comité consultatif d´experts sur l´utilisation
      d´antimicrobiens chez les animaux
      et les conséquences pour la résistance
      et la santé humaine De [35] à [37]
    4. Encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) De [38] à [55]
    5. Agent de l´intégrité de la fonction publique (AIFP)
      – Processus De [56] à [60]
    6. Plaintes de harcèlement
      1. Plainte des fonctionnaires [61]
      2. Plaintes contre les fonctionnaires De [62] à [69]
  3. Suspension de 10 jours du Dr Chopra
    1. Éléments de preuve De [70] à [125]
    2. Arguments
      1. Pour l´employeur De [126] à [133]
      2. Pour le fonctionnaire s´estimant lésé De [134] à [157]
      3. Réponse de l´employeur De [158] à [169]
    3. Motifs De [170] à [172]
      1. Suspension disciplinaire De [173] à [184]
      2. Récupération de salaire De [185] à [187]
  4. Suspension de 10 jours du Dr Lambert
    1. Éléments de preuve De [188] à [190]
      1. Attribution des tâches et charge de travail
        à la DMV De [191] à [197]
      2. Tâches affectées au Dr Lambert De [198] à [244]
    2. Arguments
      1. Pour l´employeur De [245] à [250]
      2. Pour le fonctionnaire s´estimant lésé De [251] à [282]
      3. Réponse de l´employeur De [283] à [291]
    3. Motifs De [292] à [310]
  5. Mesures disciplinaires pour s´être adressé aux médias
    1. Mesures disciplinaires imposées De [311] à [313]
    2. Mesures disciplinaires antérieures De [314] à [318]
    3. Propos devant les médias
      1. CTV National News De [319] à [322]
      2. Canada AM De [323] à [327]
      3. Lettre ouverte aux organismes vétérinaires [328]
      4. Lettre des fonctionnaires au sous‑ministre [329] et [330]
      5. National News et Country Canada à la CBC De [331] à [345]
      6. Lettre au premier ministre De [346] à [348]
      7. Conférence de presse et couverture médiatique De [349] à [358]
      8. Entrevue à CFAX‑AM De [359] à [367]
      9. Séance d´information sur l´irradiation
        des aliments De [368] à [371]
      10. Reportage sur la surveillance de l´ESB à
        CBC Radio One [372]
      11. Reportages sur l´ESB de CTV News et du
        Globe and Mail De [373] à [375]
      12. Reportage sur l´ESB à Canada Now sur
        la chaîne CTV [376] et [377]
      13. Émission de Dave Rutherford De [378] à [384]
      14. Émission de Stirling Faux, à CHED-AM De [385] à [387]
    4. Faits et constatations de l´employeur
      1. Reportage de CTV [388] et [389]
      2. Commentaires aux médias sur l´ESB [390] et [391]
    5. Lettres de suspension
      1. Points en commun De [392] à [396]
      2. Suspension de 20 jours du Dr Chopra [397] et [398]
      3. Suspension de 5 jours du Dr Lambert [399] et [400]
      4. Suspension de 10 jours de la Dre Haydon [401] et [402]
    6. Arguments
      1. Pour l´employeur De [403] à [420]
      2. Pour les fonctionnaires s´estimant lésés De [421] à [445]
      3. Réponse de l´employeur De [446] à [450]
      4. Arguments relatifs à Tobin (CF et CAF) De [451] à [456]
    7. Motifs
      1. Considérations préliminaires
        1. Tolérance [457]
        2. Législation relative à la dénonciation
          publique De [458] à [468]
      2. Décisions visant les griefs relatifs à la dénonciation
        1. Dr Lambert De [469] à [472]
        2. Dre Haydon De [473] à [478]
        3. Dr Chopra De [479] à [493]
  6. Griefs pour licenciement
    1. Questions d´ordre général
      1. Crédibilité de Mme Kirkpatrick De [494] à [496]
      2. Choix du moment des trois licenciements [497]
    2. Éléments de preuve
      1. Licenciement du Dr Chopra De [498] à [529]
      2. Licenciement de la Dre Haydon De [530] à [579]
      3. Licenciement du Dr Lambert De [580] à [607]
    3. Arguments
      1. Grief pour licenciement du Dr Chopra
        1. Pour l'employeur De [608] à [620]
        2. Pour le fonctionnaire s´estimant lésé De [621] à [662]
        3. Réponse de l´employeur De [663] à [679]
      2. Grief pour licenciement de la Dre Haydon
        1. Pour l'employeur De [680] à [684]
        2. Pour la fonctionnaire s´estimant lésée De [685] à [721]
        3. Réponse de l´employeur De [722] à [734]
      3. Grief pour licenciement du Dr Lambert
        1. Pour l'employeur De [735] à [744]
        2. Pour le fonctionnaire s´estimant lésé De [745] à [774]
        3. Réponse de l´employeur De [775] à [788]
    4. Motifs
      1. Grief pour licenciement du Dr Chopra De [789] à [807]
      2. Grief pour licenciement de la Dre Haydon De [808] à [822]
      3. Grief pour licenciement du Dr Lambert De [823] à [831]
        1. Redressement De [832] à [834]
  7. Ordonnances De [835] à [841]

I. Griefs renvoyés à l'arbitrage

1      Les fonctionnaires s’estimant lésés, les Drs Shiv Chopra, Margaret Haydon et Gérard Lambert (les « fonctionnaires ») ont renvoyé huit griefs à l’arbitrage en 2004. Cinq de ces griefs visaient des suspensions disciplinaires et trois visaient leur licenciement respectif. L’audition de ces griefs et l’examen des arguments écrits se sont déroulés sur une période de quatre ans et demi, soit plus de 150 journées d’audience (les listes complètes des dates d’audiences et de présentation des documents écrits figurent respectivement aux annexes 1 et 2). De plus, les fonctionnaires ont demandé la possibilité de répondre à la réplique de l’employeur. J’ai établi qu’une telle démarche n’était pas requise. La possibilité de pouvoir répondre à la réplique ne devrait être autorisé que dans des circonstances exceptionnelles. Ce n’est pas approprié lorsqu’une partie vise à préciser des faits, à répondre à des attaques envers sa crédibilité ou à répondre à une mauvaise interprétation de la preuve ou des arguments. En ce qui concerne l’absolution judiciaire, les parties ont présenté leurs arguments et des observations additionnelles de la part des fonctionnaires n’y ajouteraient rien.

2 Pour les motifs énoncés dans la présente décision, tous les griefs relatifs aux suspensions sont rejetés. De même, les griefs relatifs au licenciement du Dr Chopra et de la Dre Haydon sont rejetés. Le grief pour licenciement du Dr Lambert est accueilli.

3 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, les renvois à l’arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’ « ancienne Loi »).

II. Contexte

4 Dans la présente section, j’ai résumé les éléments de preuve qui décrivent le contexte de chacun des griefs.

A. Milieu de travail

5 Les fonctionnaires étaient évaluateurs de médicaments au ministère de la Santé (l’« employeur » ou « Santé Canada »); ils évaluaient des médicaments vétérinaires. L’employeur est l’organisme réglementaire chargé d’approuver les nouveaux médicaments vétérinaires et les nouvelles utilisations de produits déjà approuvés en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27 (la « LAD »). Les évaluateurs de médicaments de la Direction des médicaments vétérinaires (DMV), autrefois appelée Bureau des médicaments vétérinaires (BMV), sont chargés de l’expertise et de l'évaluation scientifique de données relatives à la médecine vétérinaire et à la production animale, ainsi que de l’innocuité et de l’efficacité de produits pharmaceutiques destinés aux animaux et aux poissons. Leurs recommandations reposent sur une évaluation des présentations des établissements pharmaceutiques visant l’approbation règlementaire pour leurs médicaments ou pour autoriser de nouvelles utilisations de médicaments existants. Une recommandation positive entraîne la publication d’un avis de conformité pour le médicament et son usage prévu.

6 Lorsqu’il procède à une évaluation, l’évaluateur peut déterminer que des données additionnelles seront nécessaires et les demander au fabricant de médicaments, auquel cas il envoie une lettre de données complémentaires (LDC).

7 Il incombe également à l’évaluateur de procéder à une évaluation scientifique de l’étiquetage des médicaments vétérinaires, y compris le mode d’emploi, les mises en garde et les avertissements à l’intention des vétérinaires et des producteurs. Les évaluateurs procèdent également à l’examen des demandes soumises par des enquêteurs relativement à l’essai clinique de médicaments.

8 Tel qu’il est mentionné dans leur description de travail (pièce E-1, onglet B-1), un évaluateur de médicaments doit, entre autres, formuler des conseils et des recommandations à l’intention des gestionnaires au sujet de l’élaboration de lignes directrices, de normes ou de politiques nationales ou internationales, qui favoriseront la réalisation des objectifs de l’employeur en ce qui concerne l’harmonisation de ses exigences réglementaires avec celles d’organismes vétérinaires et des associations corporatives du monde entier.

9 La description de travail comprend un certain nombre de défis, dont les suivants sont pertinents aux griefs ici en cause.

[Traduction]

Des efforts constants sont nécessaires pour effectuer des évaluations de produit exhaustives et approfondies tout en respectant un échéancier très serré. […]

Lorsqu’un produit est approuvé dans un pays étranger, de la pression supplémentaire est exercée par le commanditaire canadien et le public dans le but que l’évaluation soit effectué plus rapidement; il est essentiel d’avoir la force psychologique de ne pas succomber à ces pressions; on ne peut pas contrôler le moment, la fréquence ou la durée d’une évaluation.

Il faut avoir la force psychologique requise pour demeurer calme et objectif lors des rencontres avec des scientifiques et des représentants de l’industrie afin de leur expliquer et de leur préciser le besoin d’information et de données supplémentaires à l’appui des allégations proposées. Les réunions peuvent être musclées. […]

Depuis l’instauration des droits de recouvrement des coûts pour l’évaluation de présentation de produits vétérinaires, les fabricants s’attendent à ce que le processus d’évaluation de leur présentation soit accéléré favorablement.

[…]

10 En mai 2001, l’employeur a créé le Comité d’évaluation des dossiers scientifiques (CEDS) (pièce E-15, onglet B-1), dont le mandat est le suivant :

[Traduction]

[…] assurer des évaluations de risques fondées sur une science solide. Dans le cas où on ne parvient pas à un consensus scientifique au sein de la BMV (secteur de programme chargé de l’évaluation de la sécurité et de l’efficacité des médicaments vétérinaires), il est responsable de s’assurer qu’il existe une tribune de discussion visant à atteindre un consensus scientifique.

11 Le CEDS était composé de Diane Kirkpatrick, directrice du BMV (par la suite directrice générale de la DMV), des chefs de programme, et [traduction] « au besoin, d’autres personnes-ressources » représentant les secteurs de programmes qui contribuaient aux activités du BMV (devenu la DMV). Des employés pouvaient être invités à assister [traduction] « selon les besoins », à des réunions du CEDS afin de présenter des points précis à l’ordre du jour, ou d’en discuter.

B. Conflits et pressions

1. Généralités

12 Les fonctionnaires ont amplement témoigné des mesures qu’ils ont prises par le passé afin de faire part, à l’interne, de leurs préoccupations au sujet des moyens de pression dont ils faisaient l’objet, avec d’autres évaluateurs, en vue de l’approbation de médicaments; certains de ces moyens de pression ont été présentés en détail au cours d’autres procédures, entre autres par la Cour fédérale dans Haydon c. Canada (1re inst.), [2001] 2 C.F. 82, et dans une décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique relativement à plusieurs plaintes déposées en vertu de la LRTFP (Chopra et al. c. Nymark, dossiers de la CRTFP 161-02-858 et 860 [19981221]).

13 Les fonctionnaires et d’autres scientifiques ont comparu, en 1998 et en 1999, devant le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. À l’époque, le Comité se penchait sur la STbr, une hormone de croissance. Dr Chopra a témoigné des moyens de pression exercés à son égard pour approuver la STbr, des antibiotiques et d’autres médicaments. Dans son rapport préliminaire, le Comité formule les commentaires suivants au sujet des pressions que subissent les scientifiques (pièce G-49, aux pages 12 et 13 et aux pages 8 et 9 de 11) :

[…]

[…] Selon le Comité, il faut permettre aux évaluateurs de médicaments de Santé Canada de faire leur travail sans donner l'impression que l'industrie ou la direction de Santé Canada les forcent à approuver des médicaments d'innocuité douteuse. Même si la direction de Santé Canada a l'obligation de s'assurer que les évaluations sont faites dans des délais raisonnables, son premier devoir est de s'assurer de l'innocuité des produits et de faire régner un climat permettant aux évaluateurs de faire preuve de diligence raisonnable dans l'accomplissement de leur travail.

[…]

On nous a dit que c’est par ce Comité [Comité consultatif mixte de gestion du programme] que l’industrie obtient couramment le nom des évaluateurs de leurs produits. Cela se fait malgré les objections de ces derniers, qui craignent les pressions de l’industrie. Dans le domaine de la santé et de la sécurité, il ne doit y avoir ni pression, ni parti pris, ni conflit d’intérêts. Le public canadien doit être assuré que les évaluateurs de médicaments, les inspecteurs des aliments et les autres intervenants ne subissent aucune pression, pour avoir confiance dans les aliments et les médicaments; les Canadiens doivent être convaincus que ces professionnels ne sont autorisés à agir que dans le meilleur intérêt du public. Nous estimons qu’il faut prendre des mesures pour que les opérations du Bureau des médicaments vétérinaires ne puissent pas être influencées incorrectement par l’industrie, qui exprime ses doléances par le biais du Comité consultatif mixte. À cette fin, le Comité exhorte le Ministre de la Santé à revoir la composition et le rôle du Comité consultatif.

[…]

14 Le Dr Chopra a évalué le processus de présentation du Baytril (un antibiotique) et rédigé un rapport intitulé Baytril: Report On The ‘Roadblocks’ To The Human Safety Review (le « rapport sur le Baytril – obstacles »), en octobre 2000 (pièce G-158A). J’ai pris connaissance d’une multitude d’éléments de preuve au sujet de ce rapport et de la réplique de Mme Kirkpatrick à celui-ci. J’estime que la plupart de ces éléments n’ont aucun lien avec les griefs en cause. Par conséquent, je n’en résume que les parties pertinentes.

15 Dans son rapport, le Dr Chopra a indiqué avoir été l’objet de moyens de pression de la part des gestionnaires de l’employeur afin qu’il soit [traduction] « conciliant » en ce qui concerne les exigences règlementaires. Les gestionnaires de l’employeur ont eux-mêmes été soumis aux pressions des établissements pharmaceutiques. Dans le cas précis évoqué par le Dr Chopra, il s’agissait [traduction] « d’endosser de façon tacite » les recommandations d’organismes étrangers, notamment l’équivalent américain de la DMV. Le Dr Chopra a passé en revue de nombreux documents qui lui ont permis de conclure que trois évaluateurs de médicaments (dont lui-même) avaient été victimes de [traduction] « harcèlement, de coercition et de diffamation » dans le but qu’ils recommandent l’approbation de demandes de distribution de médicaments d’urgence (DMU) ou d’avis de conformité.

16 Dans sa réplique au rapport du Dr Chopra, Mme Kirkpatrick a affirmé que toute référence à des moyens de pression devrait être retirée, car aucune preuve ne venait étayer ces allégations (pièce G-60, onglet B).

17 Manisha Mehrotra et Lateef Adewoye ont été chargés de préparer un plan d’évaluation de la présentation du Baytril. Mme Kirkpatrick a témoigné ne pas avoir attribué cette tâche au Dr Chopra, car elle estimait qu’il s’était déjà fait une idée à ce sujet. Une copie du plan d’action préparé par Mme Mehrotra et M. Adewoye a été remise au Dr Chopra. Le Dr Chopra a soulevé des préoccupations relativement à la suggestion, dans le plan d’action, selon laquelle un avis de conformité assorti de conditions pourrait être délivré conformément au cadre réglementaire de la LAD (pièce G-164). Un avis de conformité relativement à l’utilisation du Baytril pour du bétail avait été délivré en février 2004 (pièce G-165).

18 Le Dr Chopra a témoigné au sujet du rôle de l’Institut canadien de la santé animale (ICSA), un groupe de lobbying de l’industrie. Selon lui, l’ICSA a joué un rôle déterminant dans l’instauration des droits de recouvrement des coûts dans les demandes d’autorisation des médicaments. Le Dr Chopra a expliqué que les droits de recouvrement des coûts agissaient comme des [traduction] « points de compression » sur les évaluateurs; en effet, comme les établissements pharmaceutiques étaient désormais considérés comme des clients et des intervenants, ils exigeaient de la DMV qu’elle assure un certain rendement dans ses services.

19 Au fil des audiences et dans les preuves documentaires, il devenait évident que les fonctionnaires et l’employeur percevaient la pression de façon différente. Pour les fonctionnaires, le fait que l’industrie les pousse à accélérer le traitement des dossiers était une preuve des moyens de pression exercés pour approuver des médicaments à l’innocuité douteuse. En ce qui concerne l’employeur, même s’il a reconnu que l’industrie cherchait à faire accélérer l’évaluation des médicaments, il n’a pas eu l’impression qu’il s’agissait de moyens de pression dans le but de faire approuver les médicaments. M. Alexander a déclaré que lorsqu’il a voulu trouver une preuve des moyens de pression subis, il a cherché des preuves de l’existence d’une demande ou d’une directive précise d'un fabricant.

20 Le 6 juillet 2001, les fonctionnaires, avec Cris Basudde, Rajinder Sharma, Arnost Vilim et Sudarshan Malik, ont envoyé une lettre au ministre Allan Rock (pièce G-117). Une copie conforme de cette lettre a été envoyée au sous-ministre, au premier ministre, au président de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« IPFPC ») et aux groupes d’intérêt suivants : Syndicat national des cultivateurs, Le Conseil des Canadiens, Sierra Club du Canada et Coalition canadienne de la santé. Dans cette lettre, les scientifiques ont affirmé avoir subi du harcèlement et des moyens de pression dans le but d’approuver des médicaments à l’innocuité douteuse devant être administrés à des animaux destinés à l’alimentation. Les auteurs soulignaient que [traduction] « […] les pressions s’intensifient pour qu’ils approuvent une série de médicaments ou en préservent le statut même s’il [était] couramment signalé qu’ils [étaient] cancérigènes, qu’ils résistaient aux antimicrobiens et qu’ils pouvaient causer d’autres troubles chez l’humain. »

La lettre se terminait ainsi :

[Traduction]

Nous affirmons que la direction actuelle est entièrement responsable de la situation qui prévaut, laquelle est fautive et inappropriée. Par conséquent, nous ne pouvons pas accomplir nos fonctions de fonctionnaires avec toute la diligence voulue. Nous ne pouvons pas plus tolérer en silence cette situation.

Si nous vous écrivons aujourd’hui, c’est pour vous presser d’agir sans attendre à titre de ministre fédéral afin de protéger la santé de la population canadienne. Espérant que vous donnerez suite à notre démarche, nous nous tenons à votre disposition pour vous rencontrer afin de discuter de ces questions.

2. Exemple : évaluation de la tylosine

21 La tylosine est un antibiotique destiné à traiter les infections respiratoires. Elle a également été utilisée comme additif alimentaire qui contribue à stimuler la croissance chez les porcs, les bovins et les poulets. L’Union européenne a interdit, en 1999, l’usage non-thérapeutique de la tylosine chez les porcs, les poulets et les dindes. En Europe, la tylosine n’a jamais été approuvé pour usage non thérapeutique chez les bovins.

22 Santé Canada a approuvé la tylosine pour divers types d’utilisation depuis au moins 1981 (pièce G-102). En 1996, le Dr Lambert a examiné un supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN) relativement à un nouveau mode d’administration de la tylosine (par injection sous-cutanée plutôt qu’intramusculaire), connue sous l’appellation « Tylan 200 ». Lors de l’examen, M. Lambert a conclu qu’il était nécessaire d’obtenir plus de données sur l’innocuité pour l’humain. Le Dr Chopra, deuxième examinateur, était du même avis. Après avoir discuté de la question avec le chef de la Division de l’innocuité pour les humains, une demande a été soumise au fabricant en vue d’obtenir des données supplémentaires. En 1997, un avis de conformité a été délivré pour l’utilisation thérapeutique de la tylosine dans les aliments pour animaux (« prémélange à la tylosine »).

23 En octobre 1998, l’employeur a reçu une présentation de drogue nouvelle (PDN) concernant un produit d’implant contenant de la tylosine. Il avait déjà approuvé le même produit mais sans tylosine. La nouvelle présentation visait une série de pellets (aussi appelés « composants ») à implanter dans l’oreille de bestiaux. Les pellets contenaient des hormones de croissance et l’un d’eux contenait une concentration sous-thérapeutique de tartrate de tylosine (vendu sous la marque « Tylan »). Le but visé du pellet de tylosine était d’éviter la formation d’abcès infectés dans les oreilles qui peut survenir après l’implantation.

24 En mars 1998, l’employeur a avisé le fabricant que chaque composant devrait faire l’objet d’une PDN individuelle. De plus, le fabricant a été avisé que Man Sen Yong, chef de la DIH, avait déterminé que la quantité de tartrate de tylosine contenue dans le produit [traduction] « […] ne posait pas de risque supplémentaire pour la clientèle », et qu’il n’était donc pas nécessaire de procéder à l’examen des cinq nouveaux produits (puisqu’ils avaient déjà été homologués sans tartrate de tylosine) (pièces G-38 et G-39).

25 Le 2 avril 2002, le Dr Lambert a été nommé chef par intérim de l’équipe de pharmacologie et de toxicologie de la DIH pour environ quatre mois. Le 18 avril 2003, Vasu Dev Sharma, directeur de la DIH, a rencontré les Drs Lambert et Basudde ainsi que M. R. Sharma et M. Vilim pour discuter de la pertinence d’une étude sur l’innocuité pour l’humain des présentations sur les composants.

26 Le 22 avril 2002, M. V. Sharma a avisé par courriel l’agent du contrôle des présentations qu’il avait été convenu que les cinq présentations étaient conformes aux critères d’innocuité pour l’humain (pièce G-40). Le lendemain, M. Vilim est devenu le nouveau directeur par intérim et il a mis la question en suspens de nouveau (pièce G-41). Il a ensuite demandé à M. R. Sharma et à d’autres membres de la DIH d’effectuer une évaluation des risques. M. Shabnam et Mme Mehrotra ont été chargés de cet examen, qu’ils ont terminé le 6 mai 2002 (pièce G-42). Ils se sont fiés aux données qui avaient déjà été fournies, statuant que, comme aucun renseignement au sujet des données sur les résidus n’avait été obtenu en utilisant des animaux vivants, il était impossible d’en arriver à un constat définitif sur la durée de persistance de la tylosine au site d’implantation. Ils ont toutefois conclu que, selon des études d’efficacité fournies par le fabricant, des petites doses de tylosine n’auraient pas une diffusion prolongée.

27 Le 7 mai 2002, le Dr Lambert a demandé à rencontrer M. R. Sharma et d’autres personnes pour leur faire part de ses préoccupations au sujet du rapport (pièce E-28). Dans son courriel, il a déclaré : [traduction] « Il est inacceptable de tolérer un examen in-vitro en lieu et place d’un examen in-vivo » et [traduction] « Nous en revenons à l’acceptation de témoignages plutôt que de données aux fins de l’approbation de médicaments vétérinaires. » Il a également écrit qu’une étude sur la déplétion des résidus s’imposait et que le Canada n’avait jamais accepté d’étude de bioéquivalence in-vivo, comme le proposait le fabricant dans ce dossier. Le Dr Lambert a par ailleurs souligné que le Dr Basudde n’avait pas reçu copie d’une note pertinente. Ce dernier lui a répondu par courriel qu’il adhérait à ses commentaires, ajoutant que la direction de Santé Canada semblait avoir tendance à faire délibérément la sourde oreille à des questions d’importance capitale. Il s’est aussi dit préoccupé d’avoir été exclu de la DIH, ce qu’il a qualifié de [traduction] « dégoûtant ».

28 Mme Kirkpatrick a répondu le jour même à tous les destinataires du courriel pour indiquer qu’elle rencontrerait [traduction] « les personnes concernées » afin de discuter des questions qui avaient été soulevées et de l’approche à adopter lorsque de telles questions sont soulevées. Elle a précisé que [traduction] « […] bien qu’il puisse y avoir certains désaccords sur des questions d’ordre scientifique, le respect envers les collègues demeure un principe directeur » (pièce E-28). Dans un courriel distinct aux Drs Basudde et Lambert (pièce E-27), elle a écrit que [traduction] « quelles que soient les questions d’ordre scientifique soulevées […] le ton employé et les critiques proférées sont inacceptables, car ils reflètent un manque de respect envers les collègues, ce qui nuit à l’organisme dans son ensemble ».

29 Le 8 mai 2002, lors de sa rencontre avec les Drs Lambert et Basudde ainsi que M. R. Sharma et M. Vilim, Mme Kirkpatrick a dit au Dr Lambert que le ton de son courriel était inacceptable et déplacé et qu’il lui faudrait adresser des excuses à ses collègues.

30 Le 10 mai 2002, M. V. Sharma a envoyé un courriel au Dr Lambert dans lequel il déclare qu’à l’issue du rapport d’examen et de ses échanges avec la Division de l’évaluation chimique et de la fabrication, il avait conclu qu’il n’y aurait aucun risque indu à la santé humaine et qu’il avait recommandé la délivrance des avis de conformité du point de vue de l’innocuité humaine (pièce E-30).

31 Le 13 mai 2002, les Drs Lambert, Chopra et Basudde ont écrit une note à Mme Kirkpatrick pour lui faire part de leurs préoccupations quant à l’approbation imminente des composants (pièce E-31). Ils ont déclaré que toute décision de délivrer un avis de conformité sans avoir les données scientifiques nécessaires serait contraire à la LAD et à ses règlements. La note se terminait comme suit :

[Traduction]

Toutefois, compte tenu de nos derniers échanges par courriel, nous en déduisons que vous avez choisi de passer outre à notre opinion commune sur la question et que la délivrance rapide d’un avis de conformité est imminente.

Nous sommes d’avis qu’il s’agit d’un manquement de votre part. Nous estimons qu’aucun représentant de Santé Canada, quel que soit son rang administratif, ne devrait passer outre aux exigences législatives de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements.

32 Le 14 mai 2002, Mme Kirkpatrick a rencontré le Dr Lambert pour lui annoncer qu'elle mettait un terme à sa nomination intérimaire comme chef d’équipe. Elle lui a expliqué que puisqu’il lui avait adressé un ultimatum sans avoir cherché d’abord à établir un dialogue, il n’était pas un candidat convenable au poste de chef d’équipe. Elle a indiqué en être arrivée à cette conclusion avant d’avoir reçu la note du 13 mai 2002, dont elle avait trouvé le ton inapproprié.

33 Le 16 mai 2002, Mme Kirkpatrick a écrit aux Drs Chopra et Basudde et au Dr Lambert pour répondre à leur note du 13 mai 2002 (pièce E-33). Elle y soulignait que leur opinion avait été dûment considérée dans la décision de délivrer les avis de conformité. Elle a déclaré que cette décision avait été prise en conformité avec la LAD et ses règlements connexes, et concordait aussi avec les conclusions d'autres pays (mentionnant expressément les États-Unis). Par ailleurs, elle a ajouté que leur affirmation selon laquelle M. V. Sharma et elle avaient effectué des [traduction] « actions inappropriées » était sans fondement. La note se terminait ainsi :

[Traduction]

En conclusion, je suis déçue que vous mettiez en doute mon intégrité et celle de M. Sharma en raison d’un désaccord sur l’évaluation scientifique de ces présentations. Comme je vous l'ai déjà dit, cette prise de position est défavorable pour l'organisme dans son ensemble.

34 Le Dr Basudde a été réprimandé pour son attitude tant à la réunion que dans sa correspondance (pièce E-34). La lettre de Mme Kirkpatrick à cet effet déclarait qu’il avait refusé de prendre part au dialogue scientifique et qu’il avait élevé la voix, qu’il avait eu un langage corporel menaçant et qu’il l’avait accusée de le [traduction] « victimiser » avant de quitter la réunion. Elle mentionnait également le programme d’aide aux employés, qui est disponible. La réprimande se concluait en l’avisant que tout autre comportement semblable [traduction] « […] mènerait à des mesures disciplinaires plus sévères ». (Je ne suis pas saisi des réprimandes faites à l’endroit du Dr Basudde ni des questions connexes. Toutefois, les fonctionnaires ont évoqué ces faits dans leurs commentaires aux médias, c’est pourquoi ceux-ci sont pertinents.)

C. Comité consultatif d’experts sur l’utilisation d’antimicrobiens chez les animaux et les conséquences pour la résistance et la santé humaine

35 La DMV a créé le Comité consultatif d'experts sur l’utilisation d’antimicrobiens chez les animaux et les conséquences pour la résistance et la santé humaine en 1999. Présidé par le Dr Scott McEwan, de l’Université de Guelph, le comité se composait de représentants du milieu universitaire, d’organismes de protection des animaux, de groupes d’intérêt des consommateurs, de l’industrie de l’alimentation animale, de l’industrie des animaux destinés à l’alimentation, de représentants des remèdes administrables à l’homme, de l’industrie pharmaceutique, de l’intérêt de la santé public ainsi que de professionnels en médecine vétérinaire. Le rôle et le mandat du Comité, tels que les a définis la DMV, est de conseiller le directeur général de la DMV dans la conception d’options stratégiques sur l’utilisation d’agents antimicrobiens pour le soin des animaux. Un secrétariat formé de chercheurs de la DMV et de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), dont le Dr Chopra, a été mis sur pied pour aider le Comité.

36 Le 28 juin 2002, le Comité consultatif McEwan a déposé son rapport (le « rapport McEwan ») à la DMV. Le rapport comportait 38 recommandations, dont la majorité visait directement le rôle de Santé Canada. On y retrouvait également de nombreux commentaires au sujet de ce rôle et de la résistance aux antimicrobiens. Voici quelques extraits du résumé de ce rapport.

La résistance aux effets des médicaments antimicrobiens est un sérieux problème au Canada et dans le monde entier. Ce problème, souvent appelé « résistance aux antimicrobiens » […] coûte des vies et de l’argent et menace notre capacité à traiter les infections chez les humains et chez les animaux. Notre réponse traditionnelle au développement de la résistance antimicrobienne a été d’utiliser des médicaments différents, souvent nouveaux, pour traiter la maladie. Cette approche n’est plus défendable, parce que l’on prévoit que la fourniture de nouveaux produits, efficaces, sans danger et abordables, diminuera à l’avenir.

[…]

En général, le Comité est préoccupé par le fait que Santé Canada ne dispose pas des plans nécessaires pour gérer les risques rattachés à la résistance aux antimicrobiens transmise à partir des animaux destinés à l’alimentation.

De plus, Santé Canada manque de méthodes et de critères crédibles, valides scientifiquement, pour évaluer la sécurité des médicaments à usage vétérinaire en ce qui a trait à la résistance aux antimicrobiens et à la santé humaine. Les organismes de réglementation canadiens ne sont pas aussi actifs et efficaces qu’ils devraient l’être pour traiter de ces déficiences.

[…]

[…] il n’existe ni méthodes, ni critères précis à la disposition de Santé Canada pour évaluer la sécurité pour la santé humaine des médicaments à usage vétérinaire en ce qui a trait à la résistance aux antimicrobiens. Sans des méthodes rigoureuses sur le plan scientifique pour évaluer la sécurité, Santé Canada ne peut analyser objectivement l’ensemble des risques pour la santé associés à la résistance aux antimicrobiens et par le fait même, déterminer si l’usage actuel ou futur des antimicrobiens chez les animaux justifie des mesures de réglementation. Sans des méthodes et des critères rigoureux, il est impossible que le public informé (dont les promoteurs des médicaments) connaisse « les règles en usage ». Par ailleurs, il est important que Santé Canada approuve de manière opportune les nouveaux antimicrobiens qui peuvent être utilisés de façon légitime et sécuritaire chez les animaux. Il en va de l’intérêt public parce que le manque de médicaments sûrs et efficaces est un important facteur de motivation pour une utilisation non indiquée sur l’étiquette, une méthode d’utilisation qui offre une garantie de sécurité inférieure.

Il serait faux de laisser croire qu’il s’agit là de questions simples à traiter. Il n’existe aucun accord international sur des normes de sécurité concernant les pathogènes résistants aux antimicrobiens dans les aliments ou dans l’environnement. Toutefois, on note des progrès sur le plan international et le Canada doit participer plus activement.

[…]

Le Comité est préoccupé par l’absence au Canada d’une politique claire et globale sur l’utilisation non indiquée sur l’étiquette. Le Comité croit que Santé Canada devrait utiliser l’autorité qui lui est conférée pour définir les limites acceptables de cette pratique, pour ce qui est de l’effet sur la résistance aux antimicrobiens. Une approche sensible consiste à limiter autant que possible l’utilisation non indiquée sur l’étiquette, surtout pour les médicaments considérés comme essentiels pour la thérapie des humains et des animaux. Le cas échéant, les organismes de réglementation devraient interdire l’utilisation non indiquée sur l’étiquette de certains médicaments.

[…]

Cependant, la résistance soulève de nombreuses préoccupations. Tout d’abord, la plupart des catégories de médicaments utilisés avec les animaux sont aussi utilisés chez les humains. Certains d’entre eux sont homologués pour servir dans l’alimentation pour stimuler la croissance ou à titre prophylactique. Ensuite, certains antimicrobiens utilisés chez les humains sont administrés couramment à un grand nombre d’animaux à des fins de traitement, à titre prophylactique ou comme stimulateur de croissance. Cette utilisation courante soulève une préoccupation concernant la résistance, à cause du nombre d’animaux concernés. En outre, les méthodes modernes de production imposent que même les traitements thérapeutiques de certains types d’animaux comportent nécessairement le traitement de groupes entiers d’animaux, par les aliments ou l’eau. Cela accroît effectivement l’exposition potentielle à la pression sélective de la résistance. Finalement, certains médicaments sont homologués pour deux ou plusieurs des catégories suivantes : stimulateurs de croissance-accroissement de l’efficacité de l’alimentation; lutte contre la maladie-prophylaxie ou thérapie. Cela pourrait accroître la pression sélective de la résistance, compromettant finalement l’efficacité dans l’une ou l’autre catégorie.

[…]

Santé Canada a pour mission de protéger la santé des Canadiens et cela devrait se refléter dans ses décisions stratégiques concernant la gestion des risques liés à la résistance. Ces décisions devraient toujours être fondées sur la science, ce qui englobe l’examen minutieux des renseignements scientifiques disponibles. Santé Canada devrait consulter et communiquer avec les Canadiens à propos des questions touchant les risques liés à la résistance, de son processus pour évaluer et étudier les options de gestion des risques et de la justification de ses décisions, ce qui serait compatible avec la politique de réglementation canadienne.

[…]

Malheureusement, toutes les utilisations d’antimicrobiens entraînent des risques liés à la résistance et Santé Canada doit décider quels risques sont acceptables en regard des avantages obtenus. Santé Canada ne peut simplement cesser arbitrairement d’approuver l’utilisation de nouveaux antimicrobiens du simple fait qu’il y a des risques liés à la résistance. Des animaux continueront de tomber malades et auront besoin d’un traitement pour leur bien-être et l’investissement financier des producteurs. Le manque d’antimicrobiens approuvés efficaces est l’un des principaux motifs de l’utilisation non indiquée sur l’étiquette de médicaments. Le Comité est d’accord avec la conclusion du Joint Expert Technical Advisory Committee on Antibiotic Resistance (JETACAR) de l’Australie, selon quoi les utilisations d’antimicrobiens chez les animaux devraient être réservées à des situations dont les avantages sont clairs et importants.

Le Comité croit que les avantages sont les plus clairs et les plus importants lorsque les antimicrobiens sont utilisés à des fins thérapeutiques, dans des conditions d’utilisation prudente et sur l’ordonnance d’un vétérinaire. Les avantages sont moins clairs et moins importants lorsque ces médicaments sont utilisés dans un but prophylactique (surtout lorsque cette utilisation se fait couramment) ou pour stimuler la croissance; ces avantages sont alors presqu’entièrement économiques.

[…]

Le Comité a exprimé certaines préoccupations au sujet des stimulateurs de croissance. Plusieurs stimulateurs de croissance utilisés au Canada sont les mêmes médicaments que ceux utilisés chez les humains ou leur sont apparentés, ou ils peuvent servir de sélection pour la résistance à des médicaments utilisés chez les humains. Les stimulateurs de croissance représentent une part importante de l’exposition totale aux antimicrobiens. En outre, ils ne sont pas utilisés en vertu d’une ordonnance vétérinaire, ni pour traiter des infections chez des animaux. Certains membres pensaient que les stimulateurs de croissance favorisent des pratiques d’élevage des animaux qui ne sont pas saines et donc douteuses pour ce qui est du bien-être des animaux. D’autres encore se préoccupaient des effets économiques sur les producteurs et des conséquences des modifications de la politique sur les stimulateurs de croissance sur le commerce international. Le Comité a donc jugé approprié d’examiner les risques et les avantages rattachés à cette pratique et de faire une recommandation spéciale.

[…]

Le Comité croit que la résistance aux antimicrobiens est un problème important pour la santé des humains et des animaux. Le problème atteint les proportions d’une crise en médecine humaine, où des efforts sont faits pour freiner l’usage non nécessaire d’antimicrobiens chez les gens et pour lutter contre les infections dans les hôpitaux et dans la collectivité. Dans le cas des animaux, il y a résistance lorsque des antimicrobiens sont utilisés pour la thérapie, la prophylaxie des maladies ou la stimulation de la croissance. C’est un problème en médecine vétérinaire, parce que l’efficacité des antimicrobiens disponibles pour traiter des infections s’en trouve réduite et entraîne l’utilisation de médicaments beaucoup plus chers, importants pour la santé humaine. C’est aussi un problème important parce que les bactéries résistantes passent des animaux aux humains. Certaines de ces bactéries rendent les gens malades ou transfèrent leurs gènes résistants aux bactéries des humains. Même si l’ampleur des effets sur la santé publique est inconnue, on sait que la résistance est un sérieux problème dans les infections bactériennes des humains, qui proviennent des animaux.

Le Comité croit que ces problèmes justifient des changements dans la façon de réglementer, de distribuer et d’utiliser les antimicrobiens pour les animaux. Ces changements comprennent les suivants : tenir compte des risques liés à la résistance dans le cadre du processus d’examen réglementaire des antimicrobiens nouveaux et existants, adopter la disponibilité uniquement sur ordonnance, combler les lacunes de l’usage personnel et des IPA, élaborer une politique améliorée sur l’utilisation non indiquée sur l’étiquette, mettre en place rapidement une réduction progressive des stimulateurs de croissance qui sélectionnent la résistance chez les humains et créer un système de surveillance de l’usage des antimicrobiens et de la résistance. Les recommandations sont données au complet à la fin de ce résumé et à chaque chapitre pertinent du rapport d’accompagnement.

[…]

37 Dans la foulée du rapport, le gouvernement du Canada a créé le Programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens (PICRA) (pièce E-268), programme national de surveillance des tendances du développement de la résistance aux antimicrobiens. Le gouvernement jugeait que les renseignements recueillis par le programme de surveillance étaient nécessaires pour élaborer et évaluer des politiques relatives à l’usage prudent d’antimicrobiens et à d’autres stratégies de gestion du risque.

D. Encéphalopathie spongiforme bovine (ESB)

38 L’encéphalopathie spongiforme bovine (« ESB » ou « maladie de la vache folle ») est une affection qui touche le cerveau des bovins. Elle se caractérise par une dégénérescence progressive du système nerveux. L’ESB est transmissible à l’humain. J’ai entendu de nombreux témoignages en ce qui concerne l’origine de l’ESB et ses modes de transmission à l’humain. Le fait de nourrir les bovins de produits transformés issus d’animaux est l’un des facteurs important de la propagation de la maladie (Organisation mondiale de la Santé [OMS], pièces G-121 et E-19, onglet E-9). En 2002, l’OMS a conclu que la consommation de nourriture contaminée par un agent infectieux de l’ESB constituait le mode d’exposition le plus plausible pour l’humain (pièce G-121). La Dre Haydon et le Dr Chopra ont témoigné qu’il restait encore beaucoup de choses à découvrir relativement aux répercussions de l’ESB sur la santé humaine et sur les modes de transmission de la maladie. Aux fins d’une étude (pièce E-188), on a infecté des cochons à l’ESB en leur injectant des matières contaminées dans le cerveau. Or, les cochons qui ont été nourris d’aliments contaminés par l’ESB n’ont pas contracté la maladie. Selon le Dr Chopra, l’échantillon de l’étude était trop petit pour qu’on puisse en tirer des conclusions valides, à savoir si l’ESB pouvait se transmettre aux cochons par leur alimentation.

39 Les programmes d’inspection de l’ESB relèvent de l’ACIA. Le Dr Brian Evans est premier vice-président et vétérinaire en chef à l’ACIA. Au moment où se sont déroulés les événements qui ont mené au dépôt des griefs, il était directeur exécutif de la Direction des produits animaux de l’ACIA; à ce titre, la responsabilité première de l’ESB lui incombait. Selon le Dr Evans, Santé Canada et l’ACIA se partagent la responsabilité de la sécurité alimentaire. Santé Canada établit les normes en matière de salubrité des aliments, alors que l’ACIA se charge du système fédéral d’inspection des aliments. Santé Canada a le pouvoir de vérifier que les services d’inspection de l’ACIA sont conformes à la norme établie par l’employeur. Au chapitre de l’inspection, le rôle de l’ACIA se limite aux produits alimentaires qui traversent une frontière provinciale ou internationale.

40 Les fonctionnaires, ainsi que d’autres individus, avaient déjà exprimé leurs inquiétudes au sujet de l’ESB au Canada. Le 16 décembre 1997, le président de l’IPFPC avait abordé la question dans une lettre écrite au premier ministre à la suite d’une demande des fonctionnaires et d’autres scientifiques (pièce G-130); l’employeur n’y a pas répondu. Les fonctionnaires ont aussi déclaré qu’ils avaient soulevé la question auprès de leur syndicat en avril 2003 (pièce E-198, onglet 4), mais rien n’indique que cette deuxième tentative ait été portée à l’attention de l’employeur.

41 Les scientifiques ont aussi écrit au ministre en septembre 1999 (pièce G-190, onglet N) au sujet de leurs préoccupations relativement à l’ESB.

42 En 2001, la Dre Haydon a fait une sortie publique relativement à l’interdiction d’importer du bœuf du Brésil. Elle a alors fait l’objet de mesures disciplinaires pour s’être adressée aux médias; à l’issu d’un processus d’arbitrage, les mesures ont été maintenues en partie (la suspension est passée de 10 à 5 jours). Au cours des procédures de règlement de griefs et d’arbitrage, la Dre Haydon a exprimé son inquiétude au sujet de l’ESB et de ses conséquences sur la santé et la sécurité publique, surtout en ce qui concerne les produits dérivés des bovins, comme la gélatine et les confiseries.

43 En mai 2003, le premier cas confirmé d’ESB d’origine canadienne a été identifié en Alberta. Auparavant, la maladie n’avait été détectée que chez des bovins importés. Le Dr Evans, chargé de diriger l’enquête, a témoigné des efforts consacrés à retracer l’origine de l’animal infecté.

44 Le 27 mai 2003, les fonctionnaires et le Dr Basudde ont rédigé une lettre à Mme Gorman au sujet de l’ESB, avec copie au sous-ministre, au greffier du Conseil privé, à la ministre, à Mme Kirkpatrick et au président de l’IPSPC (pièce E-15, onglet B-2), relativement à un cas récent de « maladie de la vache folle ». Les auteurs déclaraient qu’il fallait en faire davantage pour assurer la santé et la sécurité, précisant qu’à leur avis, la transmission et la propagation de la maladie résultaient essentiellement du fait de continuer de nourrir les animaux de produits transformés issus d’animaux. La lettre se concluait de la façon suivante :

[Traduction]

Afin d’endiguer la maladie, nous vous pressons d’interdire sur-le-champ l’utilisation de telles matières dans tout type de nourriture ou d’autre produit, qu’ils soient destinés aux humains ou aux animaux. Précisons que cette même mesure a été adoptée avec succès au Royaume-Uni et dans d’autres pays d’Europe.

[…]

45 Le 4 juin 2003, Mme Gorman a répondu à cette lettre (pièce E-15, onglet B-3) en indiquant qu’elle avait demandé à ses employés de [traduction] « […] trouver un moment opportun pour que [eux] et d’autres employés intéressés puissent échanger de l’information et discuter des questions liées à l’ESB ». La lettre se terminait ainsi [traduction] « Soyez assurés que Santé Canada continue de collaborer de près avec l’Agence canadienne d’inspection des aliments pour voir à l’adoption de mesures efficaces afin de régler ce problème et de protéger la santé des Canadiens. »

46 Le 10 juin 2003, les fonctionnaires ont écrit à Anne McLellan, ministre de la Santé, pour réitérer leur demande de bannir l’utilisation de produits transformés issus d’animaux et la prier de les rencontrer dès que possible (pièce E-18, onglet B-4).

47 Le personnel de la DMV a été convié à une réunion au sujet de l’ESB tenue par la Direction des aliments de Santé Canada le 13 juin 2003 (pièce E-15, onglet G-2). Les fonctionnaires étaient présents, de même que Mme Kirkpatrick, bien qu’elle ne se soit pas exprimée. Karen Dodds a présidé la séance. Le Dr Evans a assisté par téléconférence; il a donné une vue d’ensemble des mesures prises par l’ACIA relativement à l’ESB. Il a déclaré qu’on lui avait demandé de donner un aperçu de l’enquête, de décrire les facteurs sous-jacents qui ont été découverts, de présenter les considérations initiales sur les orientations politiques de l’État et de demander aux participants s’ils estimaient que le gouvernement était sur la bonne voie.

48 Les fonctionnaires ont réitéré leur position, à savoir que le seul moyen de mettre un frein à l’ESB consistait à strictement interdire l’utilisation de produits transformés. Mme Dodds a répondu que les conseils des fonctionnaires seraient considérés.

49 Le 16 juin 2003, la Dre Haydon a écrit un courriel à Mme Dodds au nom des fonctionnaires (pièce E-15, onglet B-5). Elle a écrit que les fonctionnaires, après avoir pris connaissance de l’information communiquée à la réunion, n’avaient pas changé leur opinion relativement aux mesures à prendre en ce qui concerne l’ESB :

[Traduction]

Comme nous l’avons réitéré à la réunion, nous demandons une fois de plus à Santé Canada d’interdire intégralement et immédiatement l’utilisation de produits transformés issus d’animaux dans la nourriture et dans les autres produits destinés aux humains et aux animaux. Il s’agit, à notre avis, de la seule décision qui puisse être efficace pour protéger la santé publique, aider l’industrie des viandes et accroître la confiance de la population et des pays étrangers.

50 Dans son courriel, la Dre Haydon a également indiqué que l’ESB [traduction] « [était] là pour rester », ce qu’avaient admis divers organismes, dont l’ACIA. Le président de l’IPFPC a reçu copie du message.

51 Dans sa réponse (pièce E-15, onglet B-5), Mme Dodds a affirmé qu’elle ne croyait pas que l’ESB était [traduction] « là pour y rester ». Elle a aussi affirmé que comme la réunion était interne le président de l’IPSPC n’aurait pas dû recevoir copie du courriel.

52 Le Dr Chopra a répondu au courriel de Mme Dodds le 2 juillet 2003 (pièce E-15, onglet H-17). Il a déclaré que d’autres cas d’ESB surviendraient vraisemblablement au cours des prochaines années. Il a aussi déclaré qu’il était nécessaire d’interdire sur-le-champ l’utilisation de produits transformés. Dans sa réponse, Mme Dodds a expliqué que l’employeur tiendrait compte de cette opinion et de celle des autres fonctionnaires. Elle a également demandé à ces derniers de lui fournir de la documentation pertinente. Dans sa réplique au courriel de Mme Dodds, Dr Chopra lui a conseillé de consulter l’historique des publications et des mesures de contrôle de l’ESB effectuées par le Royaume-Uni, l'Union européenne et le Japon.

53 Le 26 juillet 2003, l’ACIA a rendu public un rapport provenant d’experts du monde entier (pièce G-45) dans lequel on peut lire que les mesures d’observation de l’ESB instaurées par le passé avaient eu les résultats voulus en donnant la possibilité de repérer les animaux infectés « […] d’une manière qui a permis d’empêcher qu’il[s] ne se retrouve[nt] sur [sic] la chaîne alimentaire des humains ». On peut également y lire que les mesures de gestion du risque instaurées au Canada avaient permis de diminuer les risques de « propagation et d’amplification » de la maladie. Afin de réduire ou d’éliminer l’exposition future des cheptels à l’ESB, le rapport recommandait diverses mesures en plus de l’interdiction d’utiliser des produits transformés issus d’animaux comme aliments. Il concluait avec la nécessité de mettre en œuvre et de contrôler à l’échelle nationale des mesures de prévention de l’exposition due à une nourriture contaminée. On y retrouvait aussi un certain nombre de mesures auxquelles il fallait accorder la première priorité; voici celles qui sont pertinentes aux commentaires formulés aux médias par les fonctionnaires.

  1. Interdiction des matières à risque spécifiées (MRS). Les MRS sont des parties du bovin, comme le cerveau, la moelle épinière, les ganglions, les amygdales et les yeux, où se logent couramment les agents infectieux de l’ESB. Selon le rapport, bannir les MRS constituait « […] la mesure la plus déterminante et importante […] » pour la protection de la santé publique et de la salubrité des aliments et que cette mesure devrait être mise en œuvre, exécutée et faire l’objet de vérifications de la conformité.
  2. Restrictions relativement aux aliments pour animaux. Le rapport convenait qu’exclure les MRS de la chaîne alimentaire serait un moyen efficace de réduire l’infectiosité dans la farine de viande et d’os, stipulant : « Il faudrait éviter d’ajouter toute farine de viande et d’os issue de ruminants au régime alimentaire des ruminants et éliminer toute possibilité de contamination croisée. » Selon le rapport, éviter la contamination croisée par voie alimentaire à l’échelle des exploitations agricoles exige des vérifications étroites de la conformité, et les ressources requises à cette fin font en sorte que l’interdiction serait une « mesure plus réalisable ».
  3. Surveillance. Le rapport appuie la proposition de mettre sur pied un plus important programme national de surveillance ciblée axé sur les populations les plus à risque.

54 Le Dr Evans a témoigné au sujet de certaines des mesures prises par le gouvernement fédéral en 2003 après la détection du cas d’ESB d’origine canadienne. En juillet 2003, le gouvernement a adopté la suppression des MRS de la chaîne d’alimentation humaine. L’ACIA s’est par ailleurs vu attribuer des ressources supplémentaires pour procéder à des inspections annuelles de toutes les usines de traitement et meuneries commerciales. L’agence a également cherché à concevoir des méthodes, autres que celles documentées ou prévues dans la méthode d’inspection actuelle, afin de détecter la présence de matières interdites dans les aliments pour animaux. L’ACIA a également convié divers pays à dépêcher des représentants au Canada pour examiner l’inspection d’aliments pour animaux et étudier les protocoles en vigueur qui y sont rattachés.

55 La Dre Haydon et le Dr Chopra ont fait l’objet d’un contre-interrogatoire exhaustif sur leur expérience et leurs connaissances de l’ESB. Ni l’un ni l’autre n’a mené de travaux de recherche sur cette maladie ou lu toute la documentation à ce sujet. Selon son témoignage, la Dre Haydon était au fait des pratiques en matière d’alimentation des animaux, notamment en raison de l’expérience qu’elle a acquise au parc d’engraissement familial.

E. Agent de l’intégrité de la fonction publique (AIFP) – Processus

56 Le poste d’AIFP a été mis en œuvre à la suite d’une politique du Conseil du Trésor. Le rôle de l’AIFP est d’enquêter sur des plaintes pour actes répréhensibles portées contre des employés de l’administration publique fédérale. Les fonctionnaires et le Dr Basudde ont soumis une plainte au Bureau de l’intégrité de la fonction publique (BIFP) le 4 juin 2002 (pièce E-24). Selon les fonctionnaires, ils auraient déposé la plainte à la demande du président de l’IPFPC. Voici ce qu’ils y alléguaient :

[Traduction]

[…] nous soussignés, employés à Santé Canada, subissons des moyens de pression de nos superviseurs en vue d’approuver une série de médicaments vétérinaires ou d’en préserver le statut sans avoir en main la preuve de leur innocuité pour la sécurité humaine […].

[…]

[…] nous avons tous fait l’objet de sanctions visant clairement à nous faire comprendre que nous devions nous rallier à la direction et nous montrer favorables aux groupes de pression pharmaceutiques, sous peine d’être sanctionnés par le ministère.

57 Dans une lettre datée du 19 septembre 2002, le BIFP a avisé les parties qu’il n’examinerait ni les questions ni les préoccupations si d’autres recours étaient possibles, comme la procédure de règlement de grief.

58 Dans son rapport du 21 mars 2003, le BIFP a rejeté les allégations selon lesquelles les fonctionnaires avaient subi des moyens de pression dans le but d’approuver des médicaments à l’innocuité douteuse. Toutefois, il a déterminé que le fait d’avoir retiré le Dr Lambert de son poste intérimaire constituait des représailles à son encontre pour avoir exprimé ses inquiétudes relativement aux composants avec du « Tylan ».

59 La Cour fédérale a autorisé une demande de contrôle judiciaire du rapport du Bureau de l’intégrité de la fonction publique; voir Chopra et al. c. Canada (Procureur général), 2005 C.F. 595. La Cour a rendu sa décision le 29 avril 2005. Le rapport a été infirmé et la plainte a été renvoyée au BIFP afin qu’il procède à un nouvel examen, au motif que l’AIFP avait enquêté uniquement sur les composants avec du « Tylan » sans s’intéresser aux autres processus d’approbation de médicaments évoqués par les demandeurs.

60 En vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. (2005), ch. 496, le BIFP a fait place au Commissariat à l’intégrité du secteur public (CISP). Au moment de conclure la présente audience, ce dernier n’avait toujours pas déposé de nouveau rapport.

F. Plaintes de harcèlement

1. Plaintes des fonctionnaires s’estimant lésés

61 En 2003, les fonctionnaires et le Dr Basudde ont allégué, dans un grief pour harcèlement, qu’ils avaient été soumis à [traduction] « […] une influence politique considérable, avaient été l’objet de moyens de pression et de harcèlement de la part de la direction de Santé Canada dans le but d’approuver ou de maintenir divers médicaments d’innocuité douteuse au profit du lobbying politique de certains groupes d’intérêts particuliers et au détriment de l’intérêt public »(pièce G-190, onglet U). La Dre Haydon et le Dr Chopra ont aussi exprimé des préoccupations semblables auprès de Phil Chodos, dont les services ont été retenus par l’employeur en janvier 2003 pour qu’il mène une enquête en matière de harcèlement.

2. Plaintes contre les fonctionnaires

62 Le 16 juillet 2002, 12 employés de la DMV, dont Mme Mehrotra, alors superviseure du Dr Chopra, ont adressé une plainte écrite à l’IPFPC (pièce E-209). Les 12 signataires se sont plaints des commentaires faits par les fonctionnaires et le Dr Basudde devant les médias relativement aux moyens de pression visant à faire approuver des médicaments. Les plaignants y déclaraient n’avoir subi aucune pression pour approuver ou non des médicaments et se dissociaient de leurs collègues dans ce dossier. En outre, ils ont soutenu qu’en raison de l’attention médiatique, leur charge de travail avait augmenté, qu’ils ne désiraient pas [traduction] « être ni distraits ni entraînés dans cet imbroglio » et que les reportages diffusés [traduction] « nuisaient à leur travail et à leur intégrité professionnelle ».

63 Des agents de l’IPFPC ont rencontré les plaignants et les fonctionnaires. Le Dr Chopra a souligné que l’avocat général de l’IPFPC lui avait dit que les plaignants avaient été informés qu'il n’y aurait pas de suite à leur plainte.

64 Le 12 décembre 2002, 16 employés de la DMV ont soumis une plainte de harcèlement à Santé Canada contre les fonctionnaires et le Dr Basudde. Le groupe comprenait notamment M. R. Sharma et M. Vilim et Mme Mehrotra (les superviseurs des fonctionnaires). Dans leur plainte, ils exprimaient les inquiétudes suivantes au sujet des propos prononcés publiquement par les fonctionnaires et le Dr Basudde entre le 3 juillet et le 21 novembre 2002 (pièce G-217, onglet 2) :

[Traduction]

[…]

Ces personnes […] nous ont, par leurs actions, leurs commentaires et leurs manifestations, avilis et rabaissés de même qu’humilié et embarrassé personnellement et publiquement. Ces personnes ont porté atteinte, sur les tribunes publiques, à notre crédibilité et à notre réputation professionnelle.

65 Le 10 avril 2003, le même groupe d’employés (plus quelques autres plaignants) ont déposé une nouvelle plainte contre le Dr Chopra en raison de ses commentaires aux médias au sujet du bilinguisme officiel.

66 M. Chodos a signé un contrat avec l’employeur en janvier 2003 afin qu’il effectue une enquête sur les plaintes de harcèlement portées en décembre 2002 et en avril 2003.

67 Les fonctionnaires et le Dr Basudde ont été avisés en janvier 2003 des plaintes à leur encontre. M. Chodos les a rencontrés en entrevue. À la fin janvier 2003, les fonctionnaires et le Dr Basudde ont reçu une copie de l’ébauche du rapport afin qu’ils puissent formuler leurs commentaires. Comme la version française du rapport qui leur a été remise contenait une version préliminaire des analyses et des conclusions, toutes les parties ont reçu la même version, en anglais, au début de février 2003.

68 Le 16 mars 2004, les fonctionnaires et le Dr Basudde ont reçu le rapport d’enquête final (pièce G-217, onglet 2). Le rapport concluait qu’il n’y avait pas eu de harcèlement et critiquait ainsi le comportement des fonctionnaires :

[Traduction]

[…]

  1. Pour autant, les déclarations publiques du genre de celles des défendeurs ne peuvent toutes être prononcées impunément. […] Les défendeurs semblent croire qu’ils ont le droit de critiquer le ministère s’ils estiment qu’il est dans l’intérêt public de le faire. À mon avis, il s’agit d’une interprétation erronée de leurs droits et obligations en tant que fonctionnaires.

  2. Toutefois, j’estime que la politique en matière de harcèlement n’est pas le moyen de remédier à ce type d’inconduite potentielle. Il incombe plutôt à la direction de régler ces problèmes en tant que questions d’ordre administratif et disciplinaire, comme elle l’a fait dans les situations évoquées dans les décisions de la CRTFP mentionnées ci-dessus [Chopra et Haydon].

  3. […] Je ne mets nullement en doute la bonne foi des demandeurs dans ce dossier. Comme je l’ai déjà indiqué, je suis convaincu de leur sincérité lorsqu’ils s’inquiètent des répercussions de la conduite des défendeurs sur le fonctionnement efficace de leur lieu de travail. J’ajouterais que je ne crois pas que la direction pilotait les plaintes ni, comme l’allèguent les défendeurs, qu’elle a acheté la loyauté des plaignants qui sont devenus chefs d’équipe. Je rejette également comme non fondée la suggestion des défendeurs selon laquelle des chefs d’équipe auraient forcé les autres plaignants à ajouter leur nom à la plainte.

  4. On pourrait soutenir qu’en contribuant au climat d’hostilité et de suspicion qui règne dans leur milieu, les défendeurs ont effectivement nui à l’intérêt public au lieu d’en faire la promotion. Ils doivent assumer une certaine responsabilité pour le climat de doute et de méfiance qui prévaut à la Direction depuis des années. […] Ces doutes, qu’ils soient ou non fondés, minent l’esprit de collégialité nécessaire pour que les scientifiques de la DMV collaborent à remplir leur mandat aux termes de la Loi sur les aliments et drogues. Le fait qu’une majorité de scientifiques de la Direction aient signé la plainte en dit long sur la prévalence de ces sentiments chez les collègues des défendeurs.

  5. […] J’estime également que les plaintes constituaient une réponse compréhensible à ce qui paraissait être une conduite néfaste et répréhensible des défendeurs. […]

[…]

69 Dans sa lettre d’accompagnement destinés aux plaignants (pièce G-217, onglets 3 à 5), Mme Gorman a écrit que même si, selon le rapport, on concluait qu’il n’y avait pas matière à harcèlement, on y mentionnait également que [traduction] « […] ce comportement n'est pas propice à un milieu de travail sain et productif et devrait être corrigé ». Elle a déclaré qu’elle étudierait les questions soulevées dans le rapport afin de choisir [traduction] « une réponse de la direction appropriée à leur sujet ». Elle a déclaré qu’elle entendait rencontrer tous les employés impliqués dans la plainte afin de traiter avec eux de la teneur de celle-ci et [traduction] « […] des mesures à prendre pour résoudre les questions en suspens ».

III. Suspension de 10 jours du Dr Chopra

A. Preuve

70 Le Dr Chopra s’est vu imposer une suspension de 10 jours en raison d’une absence non autorisée du travail que l’employeur a jugée être de l’insubordination. Dans la lettre disciplinaire du 30 mai 2003 (pièce G-2, onglet A), Mme Kirkpatrick a indiqué avoir accepté un certificat médical pour la période d’absence allant du 4 février au 15 mars 2003. Toutefois, elle a déterminé que le Dr Chopra s’était absenté sans permission du 16 mars au 30 avril 2003. Elle précisait en outre que des mesures étaient en cours pour recouvrer tout salaire versé durant cette absence. Le motif de la mesure disciplinaire se lisait comme suit :

[Traduction]

[…] la prolongation non autorisée de votre absence du travail, votre insistance à continuer d’effectuer du télétravail contrairement aux directives répétées de la direction, votre omission de soumettre, dans un délai raisonnable, et ce malgré nos demandes successives à cet égard, un certificat médical ou toute autre pièce justificative à l’appui de votre absence, de même que de l’information relative à votre allégation en matière de santé et sécurité, constituent, à mon avis, de l’insubordination et une conduite inacceptable de votre part.

71 Le Dr Chopra a déposé un grief relativement à cette suspension et au recouvrement de son salaire (pièce G-2, onglet A), alléguant que cette dernière constituait une mesure disciplinaire déguisée. Il a également contesté la [traduction] « résiliation injuste » de son entente de télétravail par suite d’une évaluation formelle [traduction] « issue de la coercition ». Il a soutenu par ailleurs dans ce grief que Mme Kirkpatrick abusait de son autorité et de l’usage de représailles, et qu’elle et d’autres s’adonnaient à du harcèlement [traduction] « constant ». Mon champ de compétence se limite à la mesure disciplinaire et au fait d’établir si le recouvrement de salaire constituait une mesure disciplinaire déguisée.

72 Mme Mehrotra était chef de l’équipe de l’innocuité biologique à la DIH, d’abord à titre intérimaire avant d’être confirmée dans ses fonctions en octobre 2003. Elle était la superviseure du Dr Chopra depuis mai 2002. M. V. Sharma était directeur de la DIH.

73 Depuis 1997, en vertu d’une série d’ententes de télétravail (pièce E-2, onglet B-5), le Dr Chopra travaillait de la maison. Le Guide de régime de travail souple de l’employeur (pièce E-2, onglet B-1) stipule que le gestionnaire d’un employé doit approuver chaque entente de télétravail au cas par cas, à sa discrétion, et qu’une entente de télétravail ne constitue pas un droit de l’employé. Le 8 mars 2001, dans une note de service à tout le personnel, Mme Kirkpatrick a rappelé que les ententes de télétravail ne constituaient [traduction] « pas un droit » (pièce E-2, onglet B-4).

74 Le 25 octobre 2002, le Dr Chopra a signé une entente de télétravail d’une durée de quatre mois à compter du 1er septembre 2002 (pièce E-2, onglet C-2). Mme Mehrotra et M. V. Sharma l’ont aussi signée. L’entente comprenait les dispositions suivantes :

[Traduction]

[…]

[…] Je comprends qu’après cette période d’essai de quatre mois, si mon rendement est jugé satisfaisant, l’entente de télétravail pourra être prolongée de quatre autres mois. […]

[…]

Je comprends que, « à la suite d’un préavis raisonnable de l’une ou l’autre des parties », cette entente de télétravail peut être résiliée en tout temps.

Je comprends que le télétravail est un privilège et non un droit et que le maintien de l’entente, si elle est acceptée, dépend de ma productivité et de mon rendement. […]

[…]

75 Les évaluations de rendement du Dr Chopra au cours des années précédentes ont été positives (pièce G-13). Toutefois, le présent grief vise le processus d’évaluation du rendement pour la période de janvier à septembre 2002.

76 Le jeudi 30 janvier 2003, M. V. Sharma et Mme Mehrotra ont rencontré le Dr Chopra. À cette occasion, Mme Mehrotra lui a lu l’ébauche de son évaluation du rendement (pièce E-3, onglet C-3). M. V. Sharma a signé le document, qui était libellé comme suit :

[Traduction]

Lorsqu’on lui demande d’assumer une fonction ou d’accomplir une tâche, le Dr Chopra […] affirme presque invariablement ne pouvoir le faire sans d’abord rencontrer la directrice générale afin de discuter de la nature et de la validité de la demande ou de la tâche en cause, ou affirme qu’il est impossible d’accomplir cette tâche. Comme il ne fournit aucun motif pertinent pour justifier la tenue d’une telle réunion et étant donné qu’il occupe un poste d’évaluateur principal de médicaments, il n’est pas déraisonnable pour la direction de considérer qu’il s’agit pour le moins d’une manœuvre dilatoire ou que cela démontre un manque d’intérêt pour l’accomplissement de la tâche attribuée, ou les deux.

Outre une présentation relativement à un certificat d’études expérimentalesqui aurait dû prendre moins d’une semaine à examiner, le Dr Chopra n’a terminé aucun autre projet durant toute cette période.

Par conséquent, pour les motifs mentionnés précédemment, je juge insatisfaisant le rendement du Dr Chopra.

[…]

L’attitude du Dr Chopra à l’égard de ses tâches est inacceptable. Son approche à l’égard du travail et sa faible productivité sapent les mesures instaurées par la direction pour favoriser l’amélioration continue dans l’établissement d’objectifs de travail, la réalisation des tâches et le maintien d’un milieu professionnel sain, soit des éléments essentiels au bon fonctionnement de l’organisme et au bien-être du personnel.

77 M. V. Sharma a annoncé au Dr Chopra qu’en raison de cette évaluation, il résiliait l’entente de télétravail. Le Dr Chopra devait rentrer au travail le lundi suivant (le 3 février 2003). Une copie de l’ébauche de l’évaluation a été remise au Dr Chopra. Lorsque M. V. Sharma lui a demandé s’il avait des questions, le Dr Chopra lui a répondu par la négative et a quitté la réunion, qui a duré entre cinq et dix minutes.

78 Alors qu’elle se préparait à entendre les griefs déposés relativement aux évaluations du rendement des fonctionnaires, y compris celui du Dr Chopra, Mme Gorman a posé des questions à Mme Kirkpatrick au sujet du rôle qu’elle avait joué dans le processus d’évaluation (pièce G-3). Par courriel, cette dernière lui a répondu qu’un des [traduction] « grands défis » pour les gestionnaires chargés des évaluations du rendement de ces fonctionnaires consistait à distinguer [traduction] « […] les éléments liés au rendement […] des éléments extérieurs au rendement (c.-à-d. la dénonciation) ». Selon elle, son rôle s’est [traduction] « […] limité à veiller au maintien de cette distinction et, ce faisant, à voir à ce que les éléments externes au rendement lui-même n’influencent pas l’évaluation ».

79 M. V. Sharma a témoigné que plusieurs facteurs avaient mené à la résiliation de l’entente de télétravail du Dr Chopra, notamment la productivité de de ce dernier, les plaintes des autres employés au sujet de l’entente de télétravail et la nécessité pour le Dr Chopra d’être présent au travail afin qu'on puisse le consulter à propos de situations cruciales. Mme Kirkpatrick a été consultée au sujet de l’évaluation du rendement et elle était d’accord pour résilier l’entente de télétravail. Elle a déclaré qu’elle avait pris cette décision à la suite des recommandations de Mme Mehrotra et de M. V. Sharma. Elle a également déclaré que, selon les commentaires du Dr Chopra au sujet de son évaluation du rendement, la décision aurait pu être revue.

80 Le 31 janvier 2003, Mme Mehrotra a confirmé la résiliation de l’entente de télétravail du Dr Chopra dans un courriel qu’elle lui a envoyé, avec copie à diverses personnes, dont Mme Kirkpatrick, (pièce E-2, onglet C-1). Dans son courriel, elle a précisé qu’il devait se présenter au travail (à l’immeuble Holland Cross, à Ottawa, en Ontario) le 3 février 2003.

81 Le Dr Chopra s’est présenté au travail le 3 février 2003. Il a eu un échange avec un collègue, Aspi Maneckjee, dans la salle à manger des employés, à la suite duquel il a quitté les lieux. L’employeur a eu connaissance de l’incident de façon générale le 4 avril 2003; de plus amples détails à ce sujet lui ont été donnés le 17 avril 2003.

82 L’échange entre le Dr Chopra et M. Maneckjee a commencé par un courriel intitulé [traduction] « Abstenez-vous de formuler des commentaires sans preuves », que M. Maneckjee a adressé au Dr Chopra le 13 décembre 2002 (pièce E-2, onglet C-14). Dans le courriel, l’auteur faisait référence aux commentaires du Dr Chopra diffusés peu de temps auparavant dans les médias. M. Maneckjee exhortait le Dr Chopra de : [traduction] « faire attention et de ne pas généraliser en l’absence de preuves, car vous nuisez aux autres (moi) ». Le Dr Chopra a répondu le 16 décembre 2002 (pièce E-2, onglet C-14) que l’accusation était [traduction] « absolument sans fondement et fausse » et que le sujet était clos. M. Maneckjee était par ailleurs l’une des personnes qui avaient porté la plainte de harcèlement contre les fonctionnaires. Le 3 février 2003, il a parlé au Dr Chopra dans la salle à manger des employés; le Dr Basudde était aussi dans la pièce. Dans un courriel envoyé le soir même à son représentant syndical (pièce E-2, onglet C-14), le Dr Chopra a résumé ainsi cette interaction :

[Traduction]

[…]

Comme j’allais m’asseoir pour ouvrir mon sac à lunch, Aspi Maneckjee m’a dit : « Shiv, tu ne me parles pas ». Je n’ai rien répondu. Lorsqu’il a répété « Shiv, tu ne me parles pas », j’ai répondu par une autre question : « Faut-il que je le fasse? », et il a ajouté, d’un ton condescendant : « Tu dois toujours parler aux autres ». J’ai alors répliqué : « Je ne veux pas te parler, car tu as déposé une plainte de harcèlement contre moi ». C’est parce que je ne voulais pas me quereller avec lui de quelque façon que ce soit. Cependant, dès qu’il a commencé à dire : « Comme je te l’ai écrit, tu nuis aux autres (moi) […] » – voir ci-joint [le courriel antérieur était joint au message] –, j’ai mis un terme à la conversation en lui demandant de ne plus m’adresser la parole. Il a alors quitté la pièce.

83 Le Dr Chopra a témoigné qu’au lieu d’avoir une prise de becs avec M. Maneckjee, qu’il a décrit comme un [traduction] « homme plutôt imposant », il est simplement retourné à son bureau, d’où il a téléphoné à son médecin. Il a quitté les lieux au milieu de l’après-midi pour aller consulter son médecin.

84 Le lendemain, soit le 4 février 2003, le Dr Chopra a téléphoné à la secrétaire de la division pour lui dire qu’il était malade et qu’il ne se présenterait pas. Il a rappelé le 7 février 2003 pour indiquer qu’il n’allait pas mieux et qu’il consulterait son médecin.

85 En février, M. V. Sharma a demandé à deux reprises au Dr Chopra de commenter son évaluation du rendement. Ce dernier a refusé de formuler ses commentaires tout en précisant qu’il n’était pas d’accord avec son évaluation. Il a également demandé que toute communication relative à son évaluation du rendement soit adressée à son avocat, Me Yazbeck.

86 Le 5 février 2003, Me Yazbeck a écrit au sous-ministre Green (pièce G-2, onglet C) pour faire part de préoccupations au nom du Dr Chopra, du Dre Haydon, du Dr Lambert et de M. Bassude évoquant des incidents qui, de l’avis de ses clients, constituaient une [traduction] « […] tentative manifeste de la direction de Santé Canada de cibler délibérément ces quatre scientifiques afin de leur faire subir des représailles, de les dissuader d’exprimer leur opinion dans l’intérêt public et de leur nuire ». Voici les incidents mentionnés :

[Traduction]

1.  Évaluations du rendement négatives pour les quatre scientifiques. Selon Me Yazbeck, chaque évaluation était « inexacte », « incohérente » avec les évaluations antérieures et « […] présentée de manière tout à fait injuste et malvenue ».

2.  Résiliation de l’entente de télétravail du Dr Chopra. « L’absence de transparence et d’équité qui caractérise cette démarche rend les actions du ministère fort douteuses. »

3.  Plainte de harcèlement déposée contre les quatre scientifiques par un groupe de leurs collègues. « […] le manque de transparence, d’équité et de bonne foi est évident. »

87 Dans sa lettre, Me Yazbeck indiquait par ailleurs ne pas comprendre pourquoi le Dr Chopra [traduction] « […] serait forcé de retourner au travail » compte tenu de la plainte de harcèlement et de l’attitude de ses collègues à son égard , ajoutant qu’il y avait [traduction] « […] un risque réel et grave de préjudice personnel, physique et émotionnel », pour son client comme pour les trois autres chercheurs. Le Dr Chopra a témoigné qu’une [traduction] « situation dangereuse » s’établissait et que l’employeur, loin de séparer les gens, les obligeait à [traduction] « rester au cœur du brasier », ce qui était pour lui une source de stress émotionnel et psychologique, qu’il a décrit comme [traduction] « un stress dangereux sur lequel il n’avait aucun contrôle ». Il a dit craindre sa réaction s’il devait se mettre en colère. Il a par ailleurs décrit son lieu de travail comme un endroit ni sûr ni sécuritaire. Selon son témoignage, d’autres incidents comme celui survenu avec M. Maneckjee ont eu lieu, assortis de langage corporel et de gestes de collègues. Il y avait à son avis un risque constant de violence. Il a affirmé s’être inquiété que s’il faisait [traduction] « ce qu’on lui ordonnait de faire, cela nuirait à son travail », car il s’agissait d’un lieu de travail plus stressant et, dans une certaine mesure, plus dangereux.

88 Dans sa lettre, Me Yazbeck a affirmé que la plainte de harcèlement était une tentative de [traduction] « […] museler ces chercheurs et d’usurper l’autorité de gestion compétente ». Il a également affirmé : [traduction] « Laisser de tels comportements sévir, et même s’épanouir, envoie un message simple, mais éloquent : Santé Canada ne tolérera aucune dissidence, sous quelque forme que ce soit, aussi légitimes les critiques fussent-elles. »

89 Me Yazbeck a pressé M. Green d’enjoindre aux supérieurs immédiats de [traduction] « restaurer le statu quo » jusqu’à ce que ces questions soient traitées. Il a précisé qu’à tout le moins, l’entente de télétravail du Dr Chopra devrait être rétablie, et que les évaluations du rendement des quatre chercheurs devraient être annulées. Il a soutenu qu’il faudrait par ailleurs retirer les employés à l’origine des plaintes contre les quatre chercheurs de tout rôle associé aux évaluations du rendement et qu’il y aurait lieu [traduction] « […] d’examiner sérieusement la possibilité de séparer ces plaignants des quatre chercheurs en cause ».

90 Le même jour, soit le 5 février, Me Yazbeck a écrit à Mme Gorman au sujet de la plainte de harcèlement (pièce G-2, onglet D). Dans sa lettre, il a demandé de plus amples renseignements à ce sujet. Il lui a fait remarquer que trois des plaignants étaient des chefs d’équipe et que ceux-ci supervisaient trois des quatre chercheurs (tous sauf Dre Haydon). Il a également indiqué que ses clients envisageaient la possibilité de soumettre à leur tour des plaintes de harcèlement, car la plainte à leur égard pouvait être considérée comme une tentative de [traduction] « harcèlement et de musèlement ». Il a conclu en invitant Mme Gorman à communiquer avec lui au sujet des mesures que l’employeur entendait adopter.

91 Le 10 février 2003, Mme Mehrotra a envoyé un courriel au Dr Chopra (pièce E-2, onglet C-6) pour lui demander quel était son état actuel et quand il pourrait revenir au travail. Dans son message, elle a expliqué rapidement qu’elle croyait comprendre qu’il était absent du travail pour cause de maladie. Le Dr Chopra lui a répondu le jour même, confirmant qu’il ne se sentait pas bien et qu’il avait consulté son médecin. Il lui a affirmé qu’il l’aviserait lorsqu’il se sentirait assez bien pour travailler.

92 Le 13 février 2003, M. V. Sharma a communiqué par courriel avec le Dr Chopra (pièce G-2, onglet G) pour lui rappeler qu’il lui avait demandé ses commentaires ou sa rétroaction à propos de son évaluation du rendement. Le 15 février 2003, le Dr Chopra lui a répondu et lui a indiqué qu’il pouvait signer l’évaluation [traduction] « […] s[‘il le] désir[ait], mais [que] ce sera[it] en [s]on absence et sans [s]on accord ». Il l’a également prévenu que son avocat travaillait [traduction] « […] ce dossier et d’autres questions telles que “l’intimidation, l’abus de pouvoir et les représailles” que [V. Sharma] et d’autres gestionnaires de Santé Canada [lui] ont fait subir ».

93 Dans une lettre écrite à Mme Gorman datée du 19 février 2003 (pièce G-2, onglet F), Me Yazbeck a réitéré ses préoccupations relativement à la plainte de harcèlement et a demandé une réponse aux points soulevés dans la lettre adressée au sous-ministre. Plus précisément, il a souligné l’absolue nécessité d’en revenir au statu quo [traduction] « afin que toutes les personnes en cause soient à nouveau traitées sur un même pied d’égalité », et de mettre un terme au processus d’évaluation du rendement actuel et de restaurer l’entente de télétravail du Dr Chopra. Il a enfin souligné qu’il faudrait [traduction] « […] examiner sérieusement la possibilité de séparer ces plaignants des quatre chercheurs en cause ».

94 Le 21 février 2003, M. V. Sharma a écrit qu’il en était à finaliser l’évaluation du rendement (pièce G-2, onglet G). Dans le même courriel il a mentionné que malgré l’opinion du Dr Chopra au sujet de cette dernière, celui-ci devait comprendre qu’il était [traduction] « […] tenu d’exécuter et de terminer les tâches qui lui étaient attribuées ».

95 Le 26 février 2003, le Dr Chopra a déposé un grief relativement à la résiliation de son entente de télétravail (pièce G-1). Dans le document, il a également formulé une plainte en ce qui concerne les éléments suivants : [traduction] « abus d’autorité, représailles, harcèlement pour que je taise mes objections à l’approbation continue par Santé Canada de médicaments d’innocuité douteuse ».

96 Dans une autre correspondance entre lui et Mme Gorman datée du 27 février 2003 (pièce G-2, onglet G), Me Yazbeck a protesté contre le fait que les évaluations du rendement avaient été terminées sans aucune rétroaction des fonctionnaires. Il a également soulevé des questions au sujet du déroulement de l’enquête sur le harcèlement. Il a conclu en lui demandant si elle entendait donner suite aux préoccupations qui avaient été soulevées, y compris celle concernant la résiliation de l’entente de télétravail.

97 Le 7 mars 2003, Mme Gorman a répondu aux lettres de Me Yazbeck des 19 et 27 février (pièce E-2, onglet C-5). Elle a mentionné que les dossiers des évaluations du rendement et de la résiliation de l’entente de télétravail faisaient l’objet de griefs et que les préoccupations en question seraient traitées dans le cadre de la procédure de règlement de griefs.

98 Le 5 mars 2003, Mme Mehrotra a envoyé un courriel au Dr Chopra dans lequel elle lui a demandé de lui fournir, au plus tard le 12 mars 2003, un certificat médical qui motiverait sa demande de congé de maladie et de lui indiquer la date prévue de son retour au travail. Le 12 mars 2003, le Dr Chopra lui a répondu ce qui suit (pièce E-2, onglet C-6) :

[Traduction]

Je ne peux pas vous fournir les renseignements que vous me demandez sur mon état de santé, surtout parce qu’ils sont directement associés au harcèlement que vous et d’autres personnes me faites subir. Sachez que cette question est l’objet de mes griefs au ministère et qu’une enquête est en cours à ce sujet. Si vous désirez tout de même aller de l’avant avec votre demande, veuillez vous adresser à mon avocat, Me David Yazbeck, selon les voies appropriées. […]

99 Le 18 mars 2003, Mme Mehrotra lui a répondu par courriel et lui a demandé de nouveau de lui remettre un certificat médical, tout en citant l’article pertinent de la convention collective. Elle a demandé que le certificat médical lui soit remis au plus tard le 25 mars 2003. Elle y précisait qu’à défaut de recevoir le document voulu, elle conclurait qu’il s’était absenté sans autorisation, ce qui est passible d’une mesure disciplinaire.

100 Le lendemain, soit le 19 mars 2003, le Dr Chopra a répondu au courriel de Mme Mehrotra. Il lui a répondu que sa demande de certificat médical contrevenait à la politique en matière de harcèlement et qu’elle devrait s’adresser à Me Yazbeck.

101 Le Dr Chopra a aussi spécifié qu’il continuerait de mener [traduction] « de [s]on mieux » l’évaluation qu’on lui avait attribuée. En effet, on l’avait chargé d’une évaluation le 21 janvier 2003 (pièce G-19). Il a déclaré qu’il avait continué de travailler durant son congé, et ce, jusqu’à son retour au travail. En contre-interrogatoire, on a demandé à Mme Mehrotra si elle savait que le Dr Chopra avait continué de travailler de la maison. Selon sa réponse, elle ignorait ce fait jusqu’à ce qu’elle lise le courriel; elle a donc assumé qu’il travaillait. Pendant l’absence du Dr Chopra, elle n’a eu aucun contact avec lui au sujet des tâches qui lui avaient été assignées. Le 28 mai 2003, le Dr Chopra a fait parvenir son rapport d’évaluation à M. V. Sharma (pièce G-7).

102 Dans une lettre adressée à Mme Gorman datée du 20 mars 2003 (pièce E-2, onglet C-7), Me Yazbeck a écrit que le refus du Dr Chopra de fournir un certificat médical découlait directement de ses préoccupations liées au harcèlement que Mme Mehrotra lui faisait subir.

[Traduction]

[…]

[…] le Dr Chopra estime que l’information qu’il divulguerait à Mme Mehrotra ne pourrait qu’être utilisée contre lui; quoi qu’il en soit, il n’est pas du tout à l’aise de fournir cette information à une personne qui s’est ainsi adonnée à du harcèlement.

[…]

Il s’agit donc d’un cas où un employé a soulevé des préoccupations relativement au harcèlement d’une supérieure à son égard. Cette supérieure a demandé à l’employé des renseignements qu’il ne désire pas lui divulguer justement en raison du harcèlement. En retour, elle fait fi des préoccupations de l’employé et fait planer sur lui la menace de mesures disciplinaires s’il ne fournit pas l’information voulue. À tous égards, un tel comportement constitue du harcèlement envers le Dr Chopra et est tout à fait inapproprié.

[…]

103 Dans sa lettre, Me Yazbeck a laissé entendre qu’il serait possible de fournir le certificat médical à un représentant de l’employeur qui ne révélerait pas l’information contenue aux gestionnaires qui harcèlent le Dr Chopra. Il a également précisé que ce dernier continuait de travailler de la maison.

104 Dans cette même lettre :

[Traduction]

[…]

[…] le Dr Chopra croit que la décision de révoquer son entente de télétravail repose sur des préoccupations inappropriées. Un tel contexte ne peut que mettre encore plus en doute la bonne foi qui sous-tend la demande de certificat médical.

Vous savez par ailleurs qu’il est pratique courante et raisonnable de séparer les employés lorsqu’il y a des allégations de harcèlement. Nous vous avons expressément indiqué que le Dr Chopra avait été victime de harcèlement au travail et nous avons demandé que la décision de le rapatrier dans les locaux de Santé Canada soit révoquée jusqu’à ce que ce dossier soit réglé. Vous nous avez avisés que cette demande était en cours d’examen, ce qui, encore une fois, jette un doute sur le fondement de la demande de certificat médical en plus de mettre en lumière la nécessité d’intervenir rapidement.

105 Il a conclu la lettre en annonçant que l’employeur recevrait une plainte de harcèlement détaillée, déposée au nom du Dr Chopra et des autres fonctionnaires.

106 Le 27 mars 2003, Mme Kirkpatrick a écrit à Me Yazbeck (pièce E-2, onglet C-8) relativement à la séparation des plaignants parties au dossier de harcèlement et des défendeurs. On avait revu le lien hiérarchique respectif des Drs Chopra, Lambert et Basudde; dorénavant, ils se rapporteraient à M. V. Sharma, directeur de la DIH, plutôt qu’à leur chef d’équipe respectif. Elle a également expliqué qu’à compter du 31 mars 2003, les Dr Chopra et Lambert seraient déménagés du bureau 14 de l’immeuble Holland Cross à un autre endroit dans le même complexe. Le nouveau lieu de travail du Dr Basudde et de la Dre Haydon n’avait cependant pas encore été défini. En terminant, Mme Kirkpatrick a affirmé que ces arrangements [traduction] « […] ne devraient aucunement nuire aux interactions quotidiennes courantes avec les autres employées dans l’exécution de leurs fonctions ».

107 Le 28 mars 2003, Mme Kirkpatrick a avisé par courriel les Drs Lambert et Chopra que leurs postes de travail ne seraient pas prêts comme prévu le 31 mars (pièce E-2, onglet C-26), mais qu’on les préviendrait dès qu’ils le seraient. Elle a ajouté qu’entre-temps il leur faudrait se présenter au travail à leur poste actuel, au bureau 14. Les nouveaux postes n’ont été prêts que le 30 avril 2003 (pièce E-2, onglet C-27). On a demandé aux Drs Chopra et Lambert de s’adresser au coordonnateur des réinstallations au plus tard le 5 mai 2003 afin d’organiser le déménagement. Ils ont également été prévenus qu’ils auraient accès à leur poste de travail du lundi au vendredi de 7 h à 18 h.

108 Le 28 mars 2003, Me Yazbeck a écrit à Mme Kirkpatrick (pièce E-2, onglet C-10) pour dénoncer les modalités de travail de ses clients, soit le Dr Chopra, le Dr Basudde, la Dre Haydon et le Dr Lambert, les qualifiant de [traduction] « tout à fait inacceptables ». Selon lui, d’autres arrangements auraient pu être pris sans qu’il soit nécessaire de retirer physiquement ses clients de leur lieu de travail. Il a suggéré de préserver le statu quo jusqu’à ce que ces questions aient été abordées.

109 Le 28 mars 2003, Mme Kirkpatrick a envoyé un courriel au Dr Chopra (pièce E-2, onglet C-9) afin de le rencontrer le 4 avril 2003 pour discuter de son absence du lieu de travail. Dans son courriel, elle précisait les points suivants à aborder :

[Traduction]

  • vos réactions à la demande de certificat médical […] afin que votre médecin confirme que vous ne pouvez pas travailler et la durée de votre absence;

  • vos commentaires en ce qui concerne le travail à partir de la maison même si votre entente de télétravail a été résiliée;

  • le ton de vos derniers courriels à Manisha et le fait que vous considérez cette demande de la direction comme du harcèlement.

110 Mme Kirkpatrick, M. V. Sharma, le Dr Chopra, Me Yazbeck et Kerry Strachan, une conseillère en ressources humaines, ont assisté à la réunion. Le Dr Chopra a signalé à Mme Kirkpatrick qu’un incident survenu le premier jour de son retour au travail, soit le 3 février 2003, avait causé sa maladie. Il a expliqué qu’il y avait alors un problème de santé et de sécurité au travail, sans fournir davantage de détails au sujet de l’incident. Dans ses notes (pièce E-2, onglet C-12), Mme Kirkpatrick a écrit que le Dr Chopra avait déclaré qu’il devait penser à sa sécurité et qu’il avait dû [traduction] « se retirer très rapidement », car certains collègues relevaient des superviseurs qui avaient signé la plainte de harcèlement. Le Dr Chopra a témoigné ne pas avoir pu aborder à la réunion l’incident avec M. Maneckjee, car il [traduction] « faisait l’objet de moyens de pression dans le but d’obtenir un certificat médical ».

111 Au cours de la rencontre, Mme Kirkpatrick lui a dit qu’il pourrait remettre le certificat médical à elle ou à M. V. Sharma. Elle lui a aussi demandé de plus amples précisions au sujet de l’incident afin que l’employeur puisse analyser la situation et lui donner des nouvelles à ce sujet.

112 À la réunion, Mme Kirkpatrick a souligné que dans son courriel du 19 mars à l’attention de Mme Mehrotra, le Dr Chopra avait indiqué qu’il travaillait de la maison. Elle lui a également demandé quand il recommencerait officiellement à exercer ses fonctions (à son retour de congé de maladie). Elle lui a rappelé que son entente de télétravail avait été résiliée et qu’il était tenu de travailler sur les lieux, à la DMV.

113 Le 9 avril 2003, Mme Gorman a écrit à Me Yazbeck (pièce E-2, onglet C-13) pour lui préciser qu’on ne demandait pas à Dr Chopra de fournir des renseignements médicaux détaillés, mais bien de soumettre un certificat médical habituel qui confirmerait son absence du travail et une date prévue de retour au travail. Elle a également mentionné que le certificat pouvait être envoyé à Mme Kirkpatrick ou à M. V. Sharma. Dans cette lettre, elle a aussi confirmé la modification des liens hiérarchiques et la relocalisation des bureaux respectifs des fonctionnaires. En conclusion, elle a déclaré qu’à moins que son absence soit autorisée, le Dr Chopra était [traduction] « tenu d’accomplir ses fonctions au lieu de travail qui lui a été désigné ».

114 Le 17 avril 2003, le Dr Chopra, par l’entremise de Me Yazbeck, a fourni un certificat médical pour son absence du travail du 4 février au 15 mars 2003 (pièce E-2, onglet C-14). Mme Kirkpatrick a témoigné avoir eu des doutes quant à cette maladie; elle a toutefois accepté d’emblée le certificat. Elle a subséquemment approuvé un congé de maladie pour cette période (pièce E-2, onglet A-1).

115 Dans sa lettre du 17 avril 2003, Me Yazbeck a expliqué que le Dr Chopra travaillait de la maison [traduction] « […] en raison de ses craintes pour sa sécurité et du harcèlement subi au travail ». Il a ajouté que le nouveau lieu de travail du Dr Chopra n’était pas encore prêt, et que d’ici là, ce dernier travaillerait de la maison. Il a aussi mentionné que le Dr Chopra était d’avis que la résiliation de l’entente de télétravail était illégale et inacceptable, car il s’agissait d’une mesure de représailles et constituait du harcèlement à son égard. Me Yazbeck a donc demandé que la décision d’annuler l’entente de télétravail soit revue. Des courriels échangés entre le Dr Chopra et son représentant syndical étaient joints à la lettre. Dans ces courriels, le Dr Chopra relatait l’incident qui lui a fait craindre pour sa sécurité (pièce E-2, onglet C-14, dont un extrait est cité au paragraphe 81 de la présente décision).

116 Le Dr Chopra a témoigné qu’il avait continué à travailler de la maison, que son travail lui avait été envoyé et que ses collègues continuaient de correspondre avec lui. Il a également déclaré que le travail qu’il accomplissait était accepté et reconnu.

117 Le 30 avril 2003, Mme Gorman a répondu à la lettre du 17 avril précédent (pièce E-2, onglet C-15). Dans cette lettre, elle a mentionné que Mme Kirkpatrick s’occupait des questions du certificat médical, des relations hiérarchiques et de l’emplacement des postes de travail et qu’elle-même se chargeait d’examiner le grief relatif à l'entente de télétravail, qu’elle n’avait pas jugé d’avance. Elle a affirmé ne pas avoir entendu parler d’une plainte de harcèlement déposée par le Dr Chopra et qu’on ne lui avait fait part d’aucune allégation précise. Elle a aussi déclaré que le dossier concernant l’incident avec M. Maneckjee évoqué dans la lettre du 17 avril avait été renvoyé à Mme Kirkpatrick.

118 Lors de son témoignage, Mme Kirkpatrick a déclaré avoir discuté de l’incident de la salle à manger avec M. Maneckjee. M. Maneckjee n’a pas témoigné. Le Dr Basudde n’a pas voulu discuter de l’incident avec l’employeur. Dans un courriel adressé à un représentant de l’employeur, le Dr Basudde a indiqué que la question devrait être traitée par l’entremise de son avocat, Me Yazbeck (pièce G-2, onglet A). Le Dr Chopra a témoigné ne pas avoir été questionné au sujet de l’incident, ni par Mme Kirkpatrick ni par tout autre représentant de l’employeur.

119 Dans la lettre du 30 mai 2003 imposant la mesure disciplinaire, Mme Kirkpatrick a mentionné que les courriels soumis par Dr Chopra à l’appui de son allégation relative aux craintes en matière de santé et sécurité issues de son interaction avec M. Maneckjee n’étayaient pas cette allégation (pièce E-2, onglet A-1). Elle a affirmé avoir parlé à M. Maneckjee et être convaincue que celui-ci avait été respectueux à l’égard du Dr Chopra et qu’il continuerait de l’être. Dans la lettre, elle a également fait des remontrances au Dr Chopra pour ne pas avoir immédiatement communiqué ses craintes à l’employeur.

120  Dans la lettre disciplinaire, Mme Kirkpatrick a conclu que le Dr Chopra était en congé non autorisé depuis le 16 mars 2003, soit le lendemain de la fin de son congé de maladie approuvé. Elle a déclaré que des mesures seraient prises pour recouvrer le salaire qui lui avait été versé depuis le 16 mars 2003, et ce, jusqu’à ce qu’il se présente à son [traduction] « lieu de travail désigné ».

121 Mme Kirkpatrick a aussi conclu que le Dr Chopra faisait preuve d’insubordination et que sa conduite était inacceptable. En voici les raisons :

  • le prolongement de son congé non autorisé du travail;

  • son insistance à continuer à faire du télétravail, contrairement aux directives répétées de l’employeur à cet effet;

  • l’omission de motiver son absence du travail;

  • le refus de soumettre rapidement un certificat médical malgré des demandes répétées;

  • le fait de n’avoir pas fourni d’information au sujet de l’allégation relativement à sa sécurité, malgré des demandes répétées.

122 Mme Kirkpatrick a imposé une suspension de 10 jours au Dr Chopra et lui a indiqué qu’il serait prévenu des dates précises de cette sanction. Elle lui a dit qu’il était tenu de se présenter immédiatement au travail, sans quoi il pourrait être passible d’autres mesures disciplinaires, pouvant aller jusqu’au licenciement. Dans son témoignage, elle a décrit cette lettre disciplinaire comme une [traduction] « demande directe de se présenter au travail »; en contre-interrogatoire, elle a précisé : [traduction] « nous en avions assez de ce cirque ».

123 Mme Kirkpatrick a abordé la question du lieu de travail du Dr Chopra et du Dr Lambert dans une lettre distincte envoyée le même jour, soit le 30 mai 2003, à Me Yazbeck (pièce G-2, onglet A). Elle y explique avoir conclu qu’il y avait lieu de séparer les fonctionnaires des collègues qui avaient soumis la plainte de harcèlement.

124 Dans son témoignage, elle a déclaré qu’elle avait jugé la suspension de 10 jours appropriée, car le Dr Chopra était un évaluateur principal de médicaments vétérinaires d’expérience et au fait des règles régissant les absences du travail. Elle a aussi tenu compte de sa suspension antérieure de cinq jours.

125 Mme Kirkpatrick a témoigné qu’elle avait exigé le recouvrement du salaire du Dr Chopra parce qu’il s’était absenté sans autorisation. Elle visait ainsi à lui faire clairement comprendre qu’il était tenu de se présenter au travail.

B. Arguments

1. Pour l’employeur

126 Le Dr Chopra a fait l’objet de mesures disciplinaires pour ne pas s’être présenté au travail après la résiliation de son entente de télétravail. L’entente sur le télétravail, telle qu’elle a été signé, prévoyait qu’on puisse la résilier à la suite d’un préavis raisonnable. Il y était clairement indiqué que la continuité de l’entente de télétravail reposait sur des critères de productivité et de rendement. Il y était aussi clairement écrit, de même que dans les politiques et communications de l’employeur, que le télétravail est un privilège plutôt qu’un droit.

127 Le Dr Chopra a déposé un grief relativement à la résiliation de l’entente de télétravail sans toutefois évoquer une quelconque crainte liée à la santé et à la sécurité.

128 Le Dr Chopra aurait dû avouer franchement à l’employeur les motifs pour lesquels il ne voulait pas se présenter au travail, ce qu’il n’a pas fait. Il était tenu de l’aviser sur-le-champ de toute crainte pour sa sécurité; voir Mercury Builder’s Supplies v. Teamsters Union, Local 879 (1990), 18 L.A.C. (4e) 168. On a également invoqué Dickins c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2000 CRTFP 67.

129 Trois questions essentielles doivent trouver réponse pour qu’il soit possible d’établir s’il y a eu insubordination :

  1. L’ordre émanait-il d’une personne en position d’autorité, et la directive a-t-elle été transmise de manière claire et concise?

  2. Le Dr Chopra a-t-il bien compris la directive?

  3. Le Dr Chopra a-t-il désobéi à la directive?

130 Mme Mehrotra était la superviseure du Dr Chopra. Elle était donc en position d’autorité. Elle a clairement exprimé dans ses courriels à l’attention du Dr Chopra qu’il était tenu de se présenter au travail. Mme Kirkpatrick était également en position d’autorité lorsqu’elle lui a confirmé qu’il était toujours tenu de revenir au travail. En cas de malentendu, Mme Gorman, qui était également en position d'autorité, a également intimé au Dr Chopra de revenir au travail

131 Un employé est tenu de fournir des précisions au sujet de toute crainte au chapitre de la sécurité (Dickins). Dans ses lettres, Me Yazbeck, n’évoquait le harcèlement qu’en termes généraux. Par ailleurs, dans son témoignage, le Dr Chopra a fait preuve d’ambivalence sur la question de la sécurité; s’il n’était pas certain d’être en danger, alors il n’y avait aucune crainte valide pour sa sécurité.

132 Les risques à la santé et à la sécurité sont l’une des exceptions au principe voulant qu’on obéisse d’abord pour déposer un grief ensuite. Il incombe au fonctionnaire de démontrer qu’une situation relève de l’exception à la règle et qu’il a communiqué à l’employeur les motifs de son refus; voir Lewchuck c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2001 CRTFP 76, où l’arbitre a conclu que « […] moment auquel on communique les motifs d’un refus de travailler doit avoir un lien avec le moment auquel l’ordre est donné ». Le Dr Chopra n’a pas justifié son refus de revenir au travail avant le 17 avril 2003, soit longtemps après l’incident qu’il invoquait à l’appui de ses craintes en matière de santé et de sécurité.

133 Par ailleurs, les risques déclarés à la santé doivent être sérieux. Le critère permettant d’évaluer le danger dans un lieu de travail est objectif; voir Alexander c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 110. Dans le cas présent, le lieu de travail était probablement déplaisant pour le Dr Chopra; toutefois, ce simple critère ne suffit pas à justifier un refus de se présenter au travail (Lewchuk).

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

134 Il incombe à l’employeur de prouver qu’il était en droit de sanctionner le Dr Chopra. Aucune directive claire et concise ne lui a été donnée. En plus de la suspension de 10 jours, le Dr Chopra il a vu l’employeur recouvrer son salaire pour la période allant du 15 mars 2003 jusqu’à son retour au travail, en juin. Ce recouvrement salarial était lui aussi de nature disciplinaire.

135 Le refus du Dr Chopra de retourner au travail ne reposait pas uniquement sur l’incident avec M. Maneckjee. Ses inquiétudes relativement au milieu de travail malsain ont été abordées dans la correspondance de Me Yazbeck. Dans sa lettre du 12 mai (pièce E-2, onglet C-16) à Mme Gorman, Me Yazbeck a demandé si l’employeur entendait répondre aux préoccupations du Dr Chopra (et du Dr Lambert) selon lesquelles la réinstallation dans un autre lieu de travail constituait du harcèlement [traduction] « […] ou une menace pour leur santé et leur sécurité ». Il a ajouté qu’advenant une réponse négative de l’employeur, Mme Gorman devrait [traduction] « par l’entremise d’une lettre au soussigné, enjoindre le Dr Chopra et M. Lambert de déménager au nouveau lieu de travail, » sans quoi les deux fonctionnaires continueraient [traduction] « de travailler du même endroit tant que leurs préoccupations n’auront pas été abordées ». Selon la lettre, il était évident que le Dr Chopra n’estimait pas avoir reçu un ordre direct de retourner au travail. Le défaut de l’employeur de répondre directement à cette demande de directive précise a fait en sorte qu’il renonçait à son droit d’alléguer qu’un ordre direct avait été donné. Ce n’est que lorsqu’il lui a envoyé la lettre disciplinaire du 30 mai 2003, que l’employeur a prié le Dr Chopra, pour la première fois, de se présenter au travail (pièce E-2, onglet A-1). La directive était alors claire et facile à comprendre; le Dr Chopra l’a respectée et n’a fait preuve d’aucune insubordination.

136 Il y a eu beaucoup de discussions relativement à ce que le Dr Chopra allait faire et de qui il relèverait. De plus, son nouveau bureau n’était pas prêt. Il n’a pas refusé d’y aller, et il s’est impliqué dans des échanges de bonne foi afin de trouver des solutions aux problèmes. Ses collègues et lui ont mis en lumière ce qu’ils jugeaient être un milieu de travail toxique. De l’avis de Mme Kirkpatrick, lorsqu’elle a envoyé la lettre disciplinaire, [traduction] « on en avait assez de ce cirque ». Elle a témoigné que la lettre disciplinaire constituait un [traduction] « ordre direct » de sa part. De l’avis même de l’employeur, l’une des exigences nécessaire pour conclure à l’insubordination n’a pas été satisfaite.

137 L’employeur ne peut critiquer le Dr Chopra après n’avoir manifesté aucun intérêt pour l’incident survenu avec M. Maneckjee, comme en témoigne le fait que Mme Kirkpatrick n’a pas communiqué avec le Dr Chopra lorsqu’elle enquêtait à ce sujet. Elle a tiré ses conclusions sans s’être adressée à deux des témoins (les Drs Chopra et Basudde). De plus, dans sa lettre du 30 avril, l’employeur ne mentionne aucunement le retard dans le traitement de ce dossier (pièce E-2, onglet C-15). Il n’a donc pas les « mains propres »; s’il avait effectué une enquête, il aurait peut-être pu résoudre le problème.

138 La nature de la résiliation de l’entente de télétravail est importante. Selon l’entente, la continuité de cet arrangement était conditionnelle au respect de critères de productivité et de rendement. L’entente stipulait également qu’on pouvait la résilier après un préavis raisonnable. Dans ce cas-ci, la décision de résilier l’entente de télétravail n’était ni juste ni équitable ni transparente. La décision reposait plutôt sur une évaluation du rendement que le Dr Chopra n’avait pas même vue et qu’il n’avait pas eu la possibilité de commenter. La décision à ce sujet a été prise avant la rencontre sur le rendement du 30 janvier 2003, et le préavis a été très court. Cette résiliation était manifestement inappropriée puisque Mme Mehrotra était partie à une plainte de harcèlement déposée en 2002 contre le Dr Chopra et ses collègues.

139 L’employeur ne s’intéressait aucunement aux préoccupations du Dr Chopra au sujet de son évaluation du rendement et de la résiliation de son entente de télétravail. De plus, l’employeur n’a pas pu identifier de norme de rendement que le Dr Chopra n’aurait pas respectée. La continuité de l’entente sur le télétravail reposait sur le maintien d'un rendement suffisant; l’entente a été reconduite en octobre 2002. Comment le rendement du Dr Chopra a-t-il pu être jugé satisfaisant en octobre, puis changer soudainement? La prémisse est teintée de partialité et de la fermeture d’esprit de l’employeur. L’absence d’évaluation objective relativement à l’entente sur le télétravail a entaché toutes les actions subséquentes de M. V. Sharma et de Mme Mehrotra. Bref, rien ne justifie raisonnablement la résiliation de l’entente sur le télétravail.

140 Ni M. R. Sharma ni M. Maneckjee n’ont témoigné. Je suis en droit de conclure que la preuve qu’ils auraient apportée n’aurait pas aidé l’employeur, ce qui explique qu’ils n’aient pas été cités à comparaître.

141 À l’audience, l’employeur a semblé remettre en question le certificat médical du Dr Chopra et le congé de maladie connexe. Il ne revient pas à l’employeur de juger de ce point étant donné que Mme Kirkpatrick avait approuvé le congé de maladie.

142 Le Dr Chopra n’a jamais refusé de soumettre un certificat médical en soi, seulement de le faire parvenir à Mme Mehrotra. Il était prêt à l’envoyer à quelqu’un d’autre, ce qu’il a indiqué par écrit. L’employeur lui a répondu qu’il pouvait acheminer le certificat à une autre personne, ce qui a été fait. L’employeur a convenu qu’il n’était pas légitime de demander au Dr Chopra de remettre le document à Mme Mehrotra.

143 Le Dr Chopra a continué de travailler de la maison au cours de la période en cause; il en a informé l'employeur par l’entremise de lettres de son avocat. Il a témoigné qu’il pouvait composer avec le fait de se rendre à son lieu de travail à l’occasion, mais pas pour y travailler chaque jour durant huit heures. Il a reconnu qu’il pourrait se mettre en colère et s’était demandé comment il maîtriserait cette émotion. Il ne désirait pas susciter davantage de conflit. Il a témoigné qu’il avait continué de travailler et qu’on lui avait confié des tâches. Le statu quo constituait une solution efficace. Tant que les autres problèmes ne seraient pas résolus, continuer de travailler à la maison représentait la meilleure solution. De toute évidence, l’employeur n’était nullement intéressé à engager un dialogue à cette étape malgré de nombreuses lettres dans lesquelles l’avocat du fonctionnaire demandait la tenue d’une rencontre.

144 Les fonctionnaires ont exprimé leurs inquiétudes relativement au harcèlement. Dans sa lettre du 30 avril 2003, Mme Gorman a affirmé n’être au courant d’aucune plainte de harcèlement (pièce E-2, onglet C-15). La loi est claire : si l’employeur est au fait d’un cas de harcèlement, il est tenu de le régler, qu’une plainte ait ou non été déposée. Mme Gorman savait que les fonctionnaires se considéraient victimes de harcèlement. Il est aussi indigne qu’inacceptable pour l’employeur de n’avoir rien fait relativement à ces allégations de harcèlement.

145 Les précédents relatifs au refus de se présenter à un lieu de travail qu’a invoqués l’employeur ne s’appliquent pas. En effet, dans ces cas, le fardeau de la preuve incombait à l’employé, et non à l’employeur; dans le cas-ci, le fardeau de la preuve incombe à l’employeur. Il ne s’agit pas non plus d’un problème de sécurité professionnelle où le danger serait grave et pourrait toucher d’autres personnes sur le lieu de travail. L’employeur n’a jamais daigné s’occuper des inquiétudes du Dr Chopra relativement à la santé et à la sécurité, et il ne lui a pas parlé de l’incident.

146 Canadian Freightways Ltd. v. Teamsters Union, Loc. 31 (1996), 59 L.A.C. (4e) 246, repose sur des faits propres et n’est pas pertinent. Dans le cas de Dr Chopra, toutes les lettres de Me Yazbeck énonçaient les inquiétudes en cause et invitaient à en discuter. Dans Canadian Regional Airways Ltd. v. C.U.P.E (1998), 72 L.A.C. (4e) 167, la décision était clair et sans équivoque, ce qui n’est pas le cas ici. Par ailleurs, l’employeur avait approuvé le certificat médical du Dr Chopra.

147 Si on renvoie à Goyette c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 65, le Dr Chopra avait un motif sérieux de ne pas retourner au travail : il estimait qu’on lui demandait de retourner dans un milieu malsain. Il croyait en toute sincérité que sa santé et son bien-être étaient en jeu, ce qu’il a exprimé à son employeur. Le critère est subjectif, et non objectif, et la conviction de Dr Chopra était raisonnable. Dans cette affaire, il n’est pas question de juger du caractère raisonnable du refus, mais bien de déterminer si la mesure disciplinaire était appropriée. Dans Dickins, rien ne prouvait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait exprimé à son superviseur la nature exacte de ses préoccupations, ce qui n’est pas ici le cas. De plus, on n’a donné à Dr Chopra aucun ordre clair et précis. Les parties étaient en pourparlers, et l’employeur n'a pas indiqué que le retour au travail constituait une exigence absolue.

148 Payeur c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires extérieures), dossier de la CRTFP 166-02-15250 (19860613) se distingue de Chopra. Dans Payeur, le fonctionnaire s’estimant lésé avait complètement cessé de travailler, alors que le Dr Chopra a continué d’assumer ses fonctions. Dans Sysco Food Services of Ontario v. C.A.W.—Canada, Loc. 414 (2004), 130 L.A.C. (4e) 273, la situation est aussi complètement différente. Dans le cas du Dr Chopra, l’employeur savait exactement pourquoi celui-ci restait à la maison, il en avait été avisé par écrit à de nombreuses reprises. Dans Petrovic c. Conseil du Trésor (Ressources naturelles Canada), dossier de la CRTFP 166-02-28216 (19980729), l’arbitre de grief a indiqué que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu discuter du problème avec son superviseur, ce que voulait faire le Dr Chopra.

149 Pour justifier l’imposition de mesures disciplinaires pour insubordination, l’employeur doit prouver qu’un ordre a été clairement transmis par une personne en position d’autorité, et que l’employé a refusé de l’exécuter. Or, il existe des exceptions au principe général voulant qu’on obéisse d’abord et qu’on dépose le grief ensuite. Voici les exceptions pertinentes dans le cas du Dr Chopra :

  • La procédure de règlement de griefs et l’arbitrage ne peuvent produire un redressement adéquat. Dans ce dossier, il était impossible d’obtenir un redressement car l’employeur n’a rien fait. Lorsque le Dr Chopra a contesté sa décision, l’employeur n’a pas voulu mener d’enquête ni assurer un suivi.

  • La direction choisie par un employeur influence ce qu’il y a de plus personnel et de plus intime dans la vie d’un employé. Dans ce dossier, le Dr Chopra s’est trouvé au cœur d’une tempête et s’est senti menacé, mais l’employeur a fait la sourde oreille à ses préoccupations.

150 Des arbitres de différends et de grief ont maintenu qu’il n’y a pas lieu de parler d’insubordination lorsque le refus d’obtempérer ne cause aucun préjudice grave à la capacité de l’employeur de poursuivre sa production ou remet en question son autorité symbolique. L’employeur a invoqué une jurisprudence où aucun travail n’était accompli. Le Dr Chopra a continué de travailler de la maison après le 15 mars, soit l’échéance de son congé de maladie, et jusqu’à son retour au bureau. Rien n’indique que l’employeur en ait subi des répercussions négatives.

151 Le temps qu’a mis l’employeur à imposer une mesure disciplinaire au Dr Chopra prouve également qu’il a toléré le comportement en cause. Si l’employeur estimait réellement qu’un ordre direct avait été intimé, sa sanction aurait été infligée plus rapidement. Mme Gorman a affirmé qu’elle était prête à dialoguer, et le Dr Chopra était en droit de s’attendre à ce que ce soit le cas.

152 Le recouvrement du salaire du Dr Chopra constituait une mesure disciplinaire déguisée. La retenue salariale visait à le faire revenir au travail. On m’a renvoyé à Grover c. Conseil national de recherches du Canada, 2008 CRTFP 59, et Synowski c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 6. Le Dr Chopra travaillait au cours de la période visée par le recouvrement salarial. Recouvrer le salaire d’une personne qui exécute son travail ne constitue pas une mesure administrative, mais bien une mesure disciplinaire. Cela dénote également une sanction pécuniaire.

153 Dans Peters c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Nord), 2007 CRTFP 7, l’arbitre de grief a déclaré ce qui suit (paragraphe 309) :

[…] un fonctionnaire s'estimant lésé qui allègue qu'il y a eu mesure disciplinaire déguisée a pour obligation de montrer que l'employeur a constaté une lacune ou un acte malfaisant à dessein de la part du fonctionnaire s'estimant lésé et qu'il a ensuite pris une mesure disciplinaire déguisée en réponse à cette lacune ou à cet acte. Formulée un peu différemment, la solidité de la preuve qu'il y a eu mesure disciplinaire déguisée dépend de la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé de démontrer que l'employeur avait l'intention de lui imposer une mesure disciplinaire pour une ou plusieurs raisons précises, mais a déguisé la mesure disciplinaire, c'est-à-dire en lui donnant une forme différente, mesure qui a cependant eu l'effet équivalent de corriger ou de punir le fonctionnaire s'estimant lésé.

154 Il s’agit précisément de la situation dans laquelle se trouvait le Dr Chopra. On m’a aussi renvoyé à Stevenson c. Agence du revenu du Canada, 2007 CRTFP 43. Mme Kirkpatrick estimait que toutes les actions de Dr Chopra constituaient de l’insubordination et a répliqué par le recouvrement du salaire. De plus, les actions de l’employeur ne correspondaient pas au [traduction] « cours normal des choses »; il s’agissait donc d’une mesure disciplinaire déguisée [Lo c. Conseil du Trésor (Secrétariat du Conseil du Trésor), dossier de la CRTFP 166-02-27825 (19980514)]. Le recouvrement salarial se voulait une mesure corrective et a eu des répercussions néfastes immédiates sur le Dr Chopra. On m’a aussi renvoyé à Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 C.F. 1176.

155 Dans sa lettre disciplinaire, Mme Kirkpatrick a écrit que le Dr Chopra avait [traduction] « […] refusé de fournir quelque information ou quelque preuve que ce soit à l’appui de [ses] allégations » (relativement à l’incident avec M. Maneckjee). C’est n’est pas juste. Le Dr Chopra a initié une correspondance par courriel, et Mme Kirkpatrick n’était pas intéressée à lui parler de l’incident. Elle a décidé qu’elle n’était pas d’accord avec lui, ce qui ne justifie pas la prise de mesures disciplinaires à l’égard du Dr Chopra.

156 Dans sa lettre du 17 avril 2003 à Mme Gorman (pièce E-2, onglet C-14), Me Yazbeck a écrit : [traduction] « [s]i vous estimez qu’il demeure pertinent d’ordonner au Dr Chopra de travailler à un autre endroit désigné, veuillez m’en aviser dans les plus brefs délais. » Dans sa réponse du 30 avril suivant, Mme Gorman est restée muette à ce sujet. Par conséquent, il ne s’agissait plus d’un ordre clair et direct de se présenter au travail. Selon la lettre du 17 avril 2003, il était évident que le Dr Chopra considérait toujours qu’il était harcelé. La loi stipule qu’un employé n’a pas à travailler si l’employeur ne lui assure pas un lieu de travail exempt de harcèlement.

157 L’avocat des fonctionnaires a soutenu que le grief devrait être admis et que le Dr Chopra devrait bénéficier d’un remboursement pour sa suspension et le recouvrement de son salaire, avec intérêts et autres avantages connexes. Toute mention de mesure disciplinaire devrait être retirée de son dossier. Si on conclut qu’il y a eu insubordination, on pourrait la désigner comme étant une insubordination « technique » n’exigeant aucune mesure disciplinaire. La dernière possibilité consisterait à tenir compte des importants facteurs atténuants en cause pour n’imposer tout au plus qu’une réprimande.

3. Réponse de l’employeur

158 Le 21 janvier 2003, on a confié une dernière tâche au Dr Chopra avant son départ en congé de maladie, en février 2003; il a rendu son travail à sa superviseure à la fin du mois de mai 2003, avant de revenir au travail. Aucune autre tâche ne lui a été assignée. L’urgence de revenir au lieu de travail existait en mars, en avril et en mai 2003.

159 Même si les échanges avec l’employeur étaient continus, le Dr Chopra était quand même tenu de se présenter au travail. La directive à cet effet a été clairement exposée à la réunion du 4 avril 2003 et réitérée dans la correspondance subséquente (9 avril 2003). L’obligation de se présenter au travail n’a pas été tenue en suspens. Les pourparlers en cours n’affranchissaient pas le Dr Chopra des directives de l’employeur et de la nécessité de revenir au travail. Le Dr Chopra a reconnu la résiliation de l’entente de télétravail dans une lettre de Me Yazbeck.

160 Des recours étaient à la portée du Dr Chopra. L’employeur a répliqué aux griefs (pièce G-4). Le fait que le Dr Chopra était en désaccord avec les résultats ne signifiait pas qu’il n’avait pas de recours.

161 Si son refus de revenir au travail reposait sur un motif autre que l’incident avec M. Maneckjee (ou s’il avait peu d’importance), pourquoi trois autres employés (le Dr Basudde, le Dr Lambert et la Dre Haydon) ont-ils pu demeurer sur le lieu de travail tout au long de la période visée?

162 Tout en reconnaissant que la question du certificat médical aurait pu être mieux traitée, l’avocat de l’employeur a indiqué qu’elle avait été réglée honnêtement. Le Dr Chopra aurait pu obtenir le document et le fournir à un employé classifié à un échelon supérieur ou le faire parvenir à l’employeur par l’intermédiaire de son avocat.

163 M. Maneckjee n’avait pas besoin de témoigner. L’employeur ne contestait pas la version des événements du Dr Chopra et ne doutait pas de la preuve de ce dernier relativement à ce qui s’était produit dans la salle à manger. En ce qui concerne le fait que l’employeur n’a pas appelé M. R. Sharma à comparaître, on peut conclure que si l’avocat des fonctionnaires avait jugé son témoignage important, il aurait pu être convoqué.

164 Le Dr Chopra avait peut-être de nombreuses raisons de rester chez lui, mais il ne les a jamais communiquées à l’employeur. Dans sa correspondance, Me Yazbeck évoquait toute une série de problèmes, mais aucun n’était lié aux absences du Dr Chopra de son lieu de travail.

165 Canadian Council for the Arts v. Public Service Alliance of Canada, [2003] C.L.A.D. No. 409, ne s’applique pas, car il ne s’agissait pas d’un cas évident d’insubordination. De même, dans Crotty c. Conseil du Trésor (Transport Canada), dossier de la CRTFP 166-02-16319 (19870227), l’employé a suivi une directive lorsqu’elle a été claire. Dans le cas du Dr Chopra, il ne suivait pas les directives qu’on lui donnait.

166 Dans Flynn c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-29015 (19991123), il est clairement stipulé qu’il incombe aux fonctionnaires s’estimant lésés de démontrer qu’il y a eu mesure disciplinaire déguisée. Dans Lo, le dossier repose manifestement sur les faits, tout comme Peters, Reid c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossiers de la CRTFP 166-02-19551 et 19552 (19901003), et Cominco Ltd. v. United Steelworkers of America, Local 480, [1997] B.C.C.A.A.A. no 716 (QL).

167 Pour ce qui est de l’observation selon laquelle l’employeur aurait fermé les yeux sur le fait que le Dr Chopra ne retournait pas au travail, ce dernier a été réprimandé plutôt rapidement et après que plusieurs directives lui aient été données. Les affaires concernant des préjudices hors proportion renvoient à des directives éphémères, ce qui n’était manifestement pas le cas ici.

168 En ce qui a trait au recouvrement du salaire, les précédents invoqués par les fonctionnaires peuvent tous être écartés. Le Dr Chopra savait très bien qu’il était tenu de se présenter à nouveau au travail à l’échéance de son congé de maladie. L’employeur ne l’a pas empêché de se présenter au bureau. Le Dr Chopra a choisi de ne pas retourner au bureau, contrairement à Grover. L’employeur tentait-il de contraindre le Dr Chopra à se présenter au travail? C’est évident. La suspension de 10 jours et la menace d’éventuelles mesures disciplinaires sont les moyens qu’il a employés à cette fin.

169 On m’a aussi renvoyé à Reade c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-15557 (19860903), où il avait été déterminé qu’un départ volontaire du bureau contrevenait au principe voulant qu’on obéisse d’abord et qu’on dépose le grief ensuite.

C. Motifs

170 Le présent grief comporte deux volets : la suspension de 10 jours du Dr Chopra et le recouvrement de son salaire pour la période durant laquelle il n’était pas présent au bureau. J’ai traité chacun de ces volets séparément.

171 Dans son argumentation, l’employeur a semblé douter de la légitimité du congé de maladie approuvé du Dr Chopra. Le temps alloué à l’employeur pour contester cette légitimité est passé. Mme Kirkpatrick a approuvé le congé, et l’employeur n’a pas infirmé ni contesté cette décision avant d’imposer la mesure disciplinaire.

172 Dans le même grief, le Dr Chopra contestait la résiliation de son entente de télétravail, alléguant le harcèlement et l’abus de pouvoir. Je n’ai pas compétence pour trancher ces questions liées au grief et je ne les ai pas examinés.

1. Suspension disciplinaire

173 Le Dr Chopra s’est vu imposer une suspension de 10 jours pour insubordination en raison d’une absence non autorisée de son lieu de travail. Je dois déterminer si la mesure disciplinaire imposée par l’employeur était fondée et, dans l’affirmative, si celle-ci était appropriée. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’employeur était en droit d’imposer une mesure disciplinaire et que la suspension de 10 jours constituait une sanction appropriée dans les circonstances.

174 En décidant d’imposer une mesure disciplinaire pour insubordination, l’employeur s’est appuyé sur les inconduites suivantes du Dr Chopra :

  1. Absence non autorisée du bureau

  2. Insistance à poursuivre le télétravail malgré les directives de l’employeur

  3. Le défaut de justifier en temps opportun son absence du travail (p. ex. un certificat médical)

  4. Le défaut de ne pas avoir fourni rapidement d’information relativement à ses craintes pour sa sécurité

175 Toutes ces fautes de conduite alléguées font partie intégrante de l’insubordination alléguée.

176 Les éléments nécessaires pour conclure à l’insubordination sont bien établis : un employé refuse de se conformer à un ordre clairement communiqué par une personne en position d’autorité. Une fois l’insubordination établie, il faut ensuite déterminer si le défaut d’obéir en cause correspond à l’une des exceptions au principe [traduction] « obéir d’abord, déposer un grief ensuite ».

177 La superviseure du Dr Chopra, Mme Mehrotra, lui a intimé un ordre clair. S’il y a eu de la confusion de la part du Dr Chopra, elle a été éliminée lorsque Mme Mehrotra a réitéré l’ordre dans son courriel du 31 janvier 2003. Le fait que le Dr Chopra se soit présenté au travail, le 3 février 2003, démontre hors de tout doute qu’il avait compris l’ordre de revenir au travail. Son refus de revenir au travail le lendemain était motivé par le congé de maladie qui a été approuvé par la suite. Cependant, le 15 mars 2003, soit la date d’échéance de ce congé, Dr Chopra n’est pas retourné au travail.

178 L’avocat des fonctionnaires a soutenu que le défaut de l’employeur de répondre à la demande directe du Dr Chopra voulant qu’elle lui ordonne de revenir au travail constituait une renonciation de la part de l’employeur. Quand un employeur donne un ordre clair, il n’est pas tenu de le répéter simplement parce que l’employé visé n’est pas d’accord ou refuse de l’exécuter. Même si l’avocat des fonctionnaires a soulevé des préoccupations dans les nombreuses lettres qu’il a adressées à l’employeur au cours de la période visée, ces démarches ne suspendent pas l’exécution d’un ordre direct venant de l’employeur.

179 Je dois maintenant établir si le Dr Chopra avait une raison valable de désobéir à l’ordre de retourner à son lieu de travail. J’ai déjà conclu que l’employeur avait approuvé son absence jusqu’au 15 mars (durée du congé de maladie autorisé). Le Dr Chopra avait-il des motifs valables de ne pas revenir à son lieu de travail à l’échéance de son congé de maladie? Autrement dit, son refus de se présenter à nouveau au travail relevait-il de l’une ou l’autre des exceptions reconnues au principe [traduction] « obéir d’abord, déposer un grief ensuite »?

180 Le Dr Chopra a notamment invoqué l’incident de la salle à manger survenu à son retour pour justifier son refus de se présenter au travail. Je suis d’accord avec l’arbitre de grief dans Lewchuk, que, si un employé veut invoquer une préoccupation liée à la santé et la sécurité pour justifier le refus d’obéir à un ordre, il doit le faire dès que possible. Le Dr Chopra a fourni à l’employeur les détails requis pour lui permettre de mener une enquête le 17 avril 2003 seulement, soit plus de deux mois après l’incident. Ce délai était trop long pour justifier le refus de se présenter au travail après l’échéance du congé de maladie.

181 Le Dr Chopra s’est également fié aux préoccupations générales en matière de harcèlement. Il importe de souligner que les autres fonctionnaires ont aussi allégué être victimes de harcèlement à cette époque, mais ils ont été capables de continuer de travailler à l’immeuble Holland Cross. Le fait que le lieu de travail soit possiblement déplaisant ne justifie pas la contravention à un ordre. Le Dr Chopra n’a jamais mentionné à ses employeurs ses préoccupations particulières en ce qui concerne la violence au travail, il ne les a soulevées qu’à l’audience. Les éléments de preuve ne révèlent rien de plus que des relations difficiles avec certains collègues.

182 Le Dr Chopra a par ailleurs soutenu qu’une des raisons pour lesquelles il avait enfreint l’ordre de se présenter au travail était que ses préoccupations n’avaient pas été abordées adéquatement dans le cadre de la procédure de règlement de griefs. Cette exception au principe [traduction] « obéir d’abord, déposer un grief ensuite » repose sur le concept d’un tort irréparable ne pouvant être redressé au moyen de la procédure de règlement de griefs. Dans le cas qui nous intéresse, au moment où l’ordre de retourner au travail a été donné, les préoccupations du Dr Chopra auraient pu être abordées par la procédure de règlement de griefs. Il ne s’agit pas d’une analyse a posteriori : le fait que ses préoccupations n’aient finalement pas été réglés à sa satisfaction ne suscite pas une exception rétrospective au principe [traduction] « obéir d’abord, déposer un grief ensuite ».

183 Le Dr Chopra a aussi fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir omis de soumettre en temps opportun un certificat médical. Compte tenu des problèmes de communication survenus au sujet des preuves qu’il devait fournir pour établir le fondement médical de son absence du travail, je suis prêt à accorder le bénéfice du doute au Dr Chopra. Il est aujourd’hui évident que l’employeur n’a pas exigé que celui-ci fournisse des détails sur son état de santé à sa superviseure. Son inquiétude à l’idée de divulguer cette information à une personne qui avait déposé une plainte de harcèlement à son endroit est justifiable. Quoi qu’il en soit, l’employeur a par la suite approuvé un congé de maladie pour la période visée par le certificat médical.

184 L’employeur a démontré que le Dr Chopra avait fait preuve d’insubordination en refusant de retourner au travail et qu’il n’avait pas été en mesure de motiver son refus. Par conséquent, l’employeur était dans son droit de lui imposer une mesure disciplinaire. Compte tenu du dossier disciplinaire du Dr Chopra et de la gravité de cette insubordination, la suspension de 10 jours était raisonnable.

2. Recouvrement du salaire

185  En plus d’imposer une mesure disciplinaire au Dr Chopra, l’employeur a recouvré le salaire qui lui avait été versé à compter de la fin de son congé de maladie jusqu’à son retour au travail, le 3 juin 2003. L’employeur soutient qu’il s’agissait d’une mesure administrative et qu’un arbitre de grief n’avait pas compétence pour trancher cette question. Le Dr Chopra, quant à lui, allègue qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire déguisée, et que cette question est donc du ressort d’un arbitre de grief.

186 Le Dr Chopra était tenu par son employeur d’être à son lieu de travail. Il a refusé. Compte tenu du principe voulant qu’en l’absence de travail, il n’y a pas de rémunération, le recouvrement du salaire était approprié. Le Dr Chopra a affirmé avoir travaillé durant la période en cause. Il s’est en effet occupé d’un dossier qui lui avait été confié avant la résiliation de son entente de télétravail. Aucun élément de preuve n’indique que d’autre travail ne lui a été attribué après le 4 février 2003. Toutefois, ce qu’il importe de retenir, c’est qu’il n’accomplissait pas ses fonctions conformément aux exigences de l’employeur. On a ordonné au Dr Chopra de travailler dans les locaux de la DMV. Comme il n’a pas accompli son travail de la manière demandée par l’employeur, il n’a pas droit à la rémunération pour sa période d’absence non autorisée. C’est le fait de ne pas avoir travaillé qui a entraîné la mesure administrative imposée par l’employeur, soit de ne pas verser de salaire pour la durée du congé non autorisé.

187 Le recouvrement du salaire a beau avoir eu des répercussions majeures pour le Dr Chopra, cela ne suffit pas à en faire une mesure disciplinaire. L’incitatif au retour au travail qui découle d’une telle mesure ne correspond pas à une [traduction] « action corrective » au titre disciplinaire. Le fait pour Mme Kirkpatrick d’avoir témoigné que le recouvrement du salaire versé durant l’absence non autorisée visait à faire clairement comprendre au Dr Chopra qu’il était tenu de se présenter à son lieu de travail ne fait pas de cette mesure administrative une mesure disciplinaire.

IV. Suspension de 10 jours du Dr Lambert

A. Preuve

188 Le 14 mai 2004, le Dr Lambert s’est vu imposer une suspension de 10 jours pour insubordination (onglet E-283, pièce A-2). Cette mesure disciplinaire a été imposée parce qu’il n’avait pas terminé le travail qui lui avait été assigné relativement à sept dossiers, de juin 2002 à février 2004.

189 Voici un extrait de la lettre disciplinaire de Mme Kirkpatrick :

[Traduction]

[…]

[…] Je déduis de vos actions que vous avez sciemment induit la direction en erreur au sujet de l’état de ces dossiers, délibérément refusé vos services lorsque vous avez omis d’accomplir le travail comme promis et, en outre, fait preuve d’insubordination en faisant fi des demandes et des directives de la direction au sujet des suivis et du retour des dossiers.

Vous n’avez fourni aucune justification satisfaisante pour expliquer les retards dans l’exécution et le renvoi de ces dossiers ni pour avoir fait la sourde oreille aux demandes répétées de vos superviseurs.

[…] vos actions constituent une inconduite grave et délibérée qui ne peut être et ne sera pas tolérée. Compte tenu de votre dossier disciplinaire et de la nature répétitive de votre comportement, je vous avise par la présente que vous serez suspendu sans salaire pour une période de 10 jours. […]

Je saisis l’occasion pour réitérer la gravité de la situation. Vous avez fait preuve d’un manque de respect inexcusable envers vos supérieurs et nos clients, un comportement qui vient miner les efforts considérables que déploie le ministère pour assumer ses responsabilités de manière prompte et professionnelle. Il importe d’étudier chaque présentation et d’y répondre rapidement et d’une manière professionnelle, sinon, la réputation de tout le ministère en souffre. Je vous préviens que toute autre inconduite de votre part sera l’objet d’autres mesures disciplinaires, qui pourraient aller jusqu’au licenciement.

190 La suspension était du 17 au 31 mai 2004.

1. Attribution des tâches et charge de travail à la DMV

191 Les évaluateurs à la DMV étaient affectés à l’évaluation de présentations d’une drogue nouvelle (PDN), de suppléments à une présentation de drogue nouvelle (SPDN) et de présentations visant l’obtention d’un certificat d’études expérimentales (CEE). Ils accomplissent également d’autres tâches, au besoin. Ni la LAD ni les règlements pris en application de celle-ci ne fixent pas de délai pour l’évaluation des présentations. Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation relatif au Règlement sur le prix à payer pour l’évaluation de drogues vétérinaires, SOR/96-143, fixe des normes de service de 60 jours pour un CEE et de 180 jours pour une PDN (pièce E-204), mais il ne s’agit que de lignes directrices.

192 Les évaluateurs sont également chargés également de rédiger les réponses aux demandes d’évaluation des risques de l’ACIA. Selon le témoignage de M. Lambert, il s’agit de tâches prioritaires.

193 Des retards avaient été accumulés dans l’évaluation des présentations au BMV, puis à la DMV. Selon une analyse effectuée par Price Waterhouse en 2002, cette situation perdurait depuis 1996 (pièce E-202). Les rapports de la situation de la DIH révèlent que de nombreuses évaluations n’étaient pas terminées, parfois depuis des années (pièces E-292, E-299, E-300, de E-304 à E-308, et G-258). Au début de 2002, on a demandé aux évaluateurs s’ils étaient prêts à travailler des heures supplémentaires afin d’éliminer une partie du retard (pièce E-283, onglet B-4).

194 Mme Kirkpatrick a témoigné que certains des retards accumulés dans l’évaluation des présentations étaient hors du contrôle des évaluateurs. Parfois, les retards surgissent lors de l’attribution des dossiers à évaluer. De plus, un évaluateur peut devoir attendre la réception de renseignements supplémentaires du fabricant de médicament requérant. Mme Kirkpatrick a affirmé qu’il n’existait aucun système fiable pour assurer le suivi des présentations. D’ailleurs, lorsqu’elle a quitté la DMV, l’employeur était toujours dans la phase de développement d’un système de suivi approprié des procédures d’évaluation des présentations.

195 M. V. Sharma a témoigné que des réunions de la DIH avaient lieu mensuellement. Si possible, il rencontrait les chefs d’équipe hebdomadairement. On attendait des trois chefs d’équipe de la DIH qu’ils tiennent des réunions à intervalles réguliers avec les évaluateurs afin de suivre l’évolution des dossiers et de confirmer que le travail était complété de façon opportune.

196 Le Dr Lambert a reçu une évaluation du rendement positive pour la période allant de juin à décembre 2001 (pièce G-269). M. V. Sharma a écrit que le Dr Lambert avait terminé l’évaluation d’une grande quantité de présentations en cours et de CEE, [traduction] « ce qui a permis de rattraper une partie du retard accumulé ». Il a également mentionné que la contribution relativement aux présentations complexes continuait d’être exceptionnelle.

197 L’agent administratif de la DIH préparait des tableaux mensuels indiquant les dossiers qui avaient été attribués à chaque évaluateur. M. R. Sharma a témoigné que, en tant que chef d’équipe, il les vérifiait souvent. Le Dr Lambert a témoigné que lui-même ne les avait jamais vus. Mme Kirkpatrick a déclaré ne pas les examiner. Selon les tableaux d’avril et de juin 2002 (pièce E-283, onglets B-2 et B-3,) c’est le Dr Lambert qui était responsable du plus grand nombre de dossiers.

2. Tâches affectées au Dr Lambert

198 Les sept dossiers en cause sont les suivants :

  • SPDN sur le Regumate;
  • SPDN sur le prémélange Avatec;
  • PDN sur l’Ovagen – deuxième évaluation;
  • CEE sur le GRF;
  • CEE sur l’estradiol;
  • CEE sur le CIDR-B (deuxième évaluation);
  • CEE sur l’Anafen (deuxième évaluation).

199 En plus de ces dossiers, le Dr Lambert a déclaré qu’il avait d’autres responsabilités liées au travail. Il répondait à des demandes d’évaluation des risques de l’ACIA et à des demandes d’information provenant d’universités, d’instituts de recherche et d’étudiants. Il a déclaré que les demandes de renseignements pouvaient prendre beaucoup de temps. Il préparait des notes de breffage et travaillait à des projets spéciaux, notamment pour des litiges. Selon lui, les évaluateurs peuvent passer environ la moitié de leur temps à l’évaluation des présentations. Le reste de leur temps est consacré aux congés, aux réunions, à la formation continue et au suivi de l’évolution du domaine par des lectures scientifiques.

200 Pendant qu’il travaillait sur les sept dossiers mentionnés ci-dessus, le Dr Lambert était également chef par intérim de l’équipe de pharmacologie et de toxicologie. À ce titre, il était notamment chargé d’encadrer et de superviser un évaluateur. Cette nomination intérimaire lui a été retirée le 14 mai 2002. On lui a aussi demandé de comparaître devant le CEDS et de s’y préparer.

201 Durant la même période, le Dr Lambert a aussi participé aux discussions internes sur la tylosine (résumées précédemment aux paragraphes 20 à 33 de la présente décision). Il a déclaré que ces discussions prenaient beaucoup de son temps et suscitaient des tensions au travail.

202 Il a témoigné d’un certain nombre de tâches et de projets spéciaux qu’il a terminés pendant qu’il travaillait aux dossiers en cause. Selon ses dires, de janvier à mai 2002, les projets spéciaux ont accaparé tout son temps, ce qui l’a empêché de faire progresser les présentations qui lui avaient été confiées.

203 En novembre 2002, le Dr Lambert a préparé la chronologie et un résumé des questions pertinentes à la plainte déposée au Bureau de l’intégrité de la fonction publique (BIFP) (voir les paragraphes 55 à 59 de la présente décision).

204 En 2002, la DMV avait des retards accumulés relativement à l’évaluation des présentations, et M. V. Sharma a demandé des volontaires pour travailler des heures supplémentaires et effectuer certaines évaluations. Le Dr Lambert s’est dit prêt à évaluer le SPDN pour le prémélange Avatec. Il devait commencer le 28 février 2002 et terminer le 28 mars 2002 (pièce E-283, onglet B-4).

205 Le Dr Lambert a témoigné que lorsque M. V. Sharma était son superviseur, il ne lui donnait normalement pas de date limite pour terminer son travail. Or, M. V. Sharma lui a adressé un courriel le 28 mai 2002 pour lui indiquer qu’il avait [traduction] « […] beaucoup de présentations en cours » (pièce E-283, onglet B-1). Il lui a demandé de discuter de ses présentations et autres tâches en cours avec M. R. Sharma au plus tard le 31 mai 2002. Il lui a aussi enjoint de préparer et de lui communiquer un plan qui lui permettrait de réduire sa charge de travail. Le Dr Lambert a déclaré ne pas avoir répondu à ce message ni parlé à M. R. Sharma par le 31 mai 2002. Il a affirmé qu’il y avait eu une rupture de communication entre M. V. Sharma, M. R. Sharma et lui en avril et en mai en raison du problème relatif à la tylosine. M. R. Sharma n’a pas parlé d’un plan de travail avec le Dr Lambert.

206 Le 5 juin 2002, M. V. Sharma a communiqué par courriel avec le Dr Lambert (pièce E-283, onglet B-5) pour lui rappeler qu’il n’avait pas répondu à son courriel du 28 mai. Il a organisé une réunion avec M. R. Sharma et le Dr Lambert afin de discuter d’un plan de travail dans le but de compléter l’évaluation des présentations en cours. À cette réunion, tenue le 18 juin 2002, il a été question de la charge de travail du Dr Lambert. Deux nouveaux dossiers ont également été abordés (Carbadox et Zeranol). La présentation sur le Zeranol a été réattribuée à un autre évaluateur. Le Dr Lambert a affirmé qu’on lui avait demandé de consacrer deux heures par semaine à la présentation sur le Carbadox et de fournir un rapport d’étape à ce sujet.

207 Au cours de la réunion, il a été question de l’avancement des dossiers et de l’échéancier pour les terminer. Après cette rencontre, M. V. Sharma a rédigé un courriel (pièce E-283, onglet B-6) qui, selon le témoignage de M. R. Sharma, résumait fidèlement les discussions qui ont eu lieu durant la rencontre. À propos du Regumate, le Dr Lambert a signalé que le retard était dû à l’importance de sa charge de travail et au fait qu’il n’avait pas compris initialement que cette présentation lui avait été attribuée. Il a affirmé qu’il soumettrait un délai pour l’achèvement des travaux dans les deux semaines. Il a expliqué que la présentation sur le prémélange Avatec était complexe. Il a dit que le rapport était prêt, et qu’il le soumettrait le 20 juin 2002. Il a affirmé qu’il était d’accord avec le premier évaluateur au sujet de la présentation sur l’Ovagen et qu’il terminerait la deuxième évaluation au plus tard le 21 juin 2002. Il a annoncé qu’il téléphonerait aux évaluateurs qui avaient demandé les CEE sur le GRF et l’estradiol pour savoir s’ils désiraient toujours obtenir ces documents et qu’il tiendrait M. R. Sharma au courant de l’évolution de ce dossier avant le 21 juin 2002. Enfin, il a déclaré que le CEE sur le CIDR-B serait terminé au plus tard le 26 juin 2002 et celui sur l’Anafen, le 28 juin 2002 (pièce E-283, onglet B-6).

208 Le Dr Lambert a témoigné qu’il n'avait jamais été question de mesures disciplinaires éventuelles durant la réunion. Selon le témoignage de Mme Kirkpatrick, l’employeur n’envisageait pas alors d’imposer de mesures disciplinaires.

209 Le Dr Lambert a déclaré avoir téléphoné aux deux évaluateurs au sujet des CEE sur le GRF et l’estradiol, sans toutefois réussir à les joindre; il n’a pas laissé de message.

210 Le 18 juin 2002, M. V. Sharma a confirmé que deux présentations avaient été retirées au Dr Lambert pour être réattribuées à un autre évaluateur; deux autres dossiers scientifiques ont été assignés au Dr Lambert : la saisie des carcasses et la Nitrasone (pièce E-283, onglet B-7).

211 Le Dr Lambert a témoigné avoir été affecté à l’évaluation du Regumate en janvier 2000, précisant que tout le matériel nécessaire pour accomplir cette tâche était dans le dossier, et ce, depuis 2000.

212 En juillet 2002, M. R. Sharma a envoyé plusieurs courriels au Dr Lambert lui demandant de faire le point sur l’avancement de la présentation sur le Regumate. Selon son témoignage, il n’a assuré aucun suivi en personne auprès du Dr Lambert, car les tensions qui régnaient au travail l’avaient mis trop mal à l’aise.

213 Le 8 août 2002, M. R. Sharma et M. V. Sharma ont rencontré le Dr Lambert pour discuter de l’évolution des présentations en cours d’évaluation. Selon le Dr Lambert, M. R. Sharma s’est montré si [traduction] « désagréable » qu’il en a presque quitté la réunion. M. R. Sharma n’a pas été contre-interrogé à ce sujet. Le Dr Lambert a accepté plusieurs échéances en août 2002 relativement à l’achèvement de ses dossiers, à l’exception de celui du Regumate. Il a convenu d’aviser M. R. Sharma de la date de début de son évaluation du Regumate et de la date à laquelle il prévoyait la terminer (pièce E-283, onglet B-12). Le Dr Lambert n’a pas respecté l'échéancier et n’a pas communiqué à M. R. Sharma la date de début de son évaluation du Regumate. Le Dr Lambert a aussi témoigné qu’il n'avait jamais été question de mesures disciplinaires éventuelles.

214 En contre-interrogatoire, M. R. Sharma a témoigné ne pas avoir demandé au Dr Lambert comment il pouvait améliorer son rendement. Il a également déclaré qu’il n’avait pas cherché à déterminer si un problème personnel, d’apprentissage, de santé ou de stress entravait la capacité du Dr Lambert d’accomplir son travail. De plus, il a déclaré qu’il n’avait pas recommandé, lors de la réunion, que Dr Lambert reçoive de la formation.

215 Le 6 novembre 2002, M. R. Sharma a demandé au Dr Lambert par courriel qu’il lui fasse rapport des tâches en cours, et ce, avant le 9 novembre 2002 (pièce E-283, onglet B-17). Il n’a obtenu aucune réponse. Dans son témoignage, le Dr Lambert a convenu qu’il aurait pu répondre, mais qu’il ne l’avait pas fait.

216 Dans le cadre du processus d’évaluation pour la période du 1er janvier au 30 septembre 2002, la secrétaire de la DIH a envoyé des courriels au Dr Lambert, soit le 20 septembre, les 1er, 3 et 9 octobre et le 22 novembre 2002, lui demandant une liste des dossiers qu’il avait complétés ainsi que son plan de travail, (pièce E-283, onglets B-13 à B-18). Le Dr Lambert n’a pas fourni l’information demandée. Il a témoigné ne pas avoir soumis la liste, car M. V. Sharma avait déjà accès à tous ces renseignements.

217 Le 30 janvier 2003, le Dr Lambert a rencontré M. R. Sharma et M. V. Sharma au sujet de son évaluation du rendement (« Processus de discussion sur le rendement », ou PDR). M. R. Sharma a lu à voix haute les commentaires du superviseur au sujet de l’évaluation (pièce E-283, onglet B-23). Parmi ces commentaires, il a mentionné que cette évaluation marquait un [traduction] « virage manifeste » par rapport à celle de l’année précédente, lorsqu’il avait été jugé que le Dr Lambert avait eu un « bon » rendement. Les commentaires se poursuivaient ainsi :

[Traduction]

[…]

Depuis juin 2002, le Dr Lambert […] n’a répondu à aucune des nombreuses demandes de son superviseur ou du chef de sa division relatives à l’affectation de projets ou de tâches ou aux suivis de son superviseur. En conséquence, peu de travail a été accompli et les échéances n’ont pas été respectées. Ainsi, son superviseur a dû réaffecter des tâches à d’autres employés de la division, ce qui a comme résultat d’imposer une charge de travail additionnelle aux autres.

[…]

Le Dr Lambert a l’expertise technique pour faire du bon travail, mais au cours de l’année écoulée, il a eu beaucoup de difficulté à terminer les tâches qui lui avaient été attribuées et à travailler en équipe.

Par conséquent, je conclus que le Dr Lambert n’accomplit pas son travail de façon satisfaisante.

218 M. R. Sharma a aussi écrit que le Dr Lambert devait améliorer ses habitudes de travail et son rendement. Il a aussi noté qu’au cours des mois à venir, le Dr Lambert devrait avoir un rendement pleinement satisfaisant [traduction] « […] y compris pour ce qui est de respecter l’échéance de tous les livrables ». De plus, on attendait du Dr Lambert qu’il suive des cours sur la gestion de la charge de travail et l’établissement de priorités. Le Dr Lambert n’a formulé aucun commentaire à la réunion.

219 Le 14 février 2003, le Dr Lambert a dit à M. V. Sharma qu'il avait confié l'ébauche de son évaluation du rendement à son avocat (pièce E-283, onglet B-25). Dans son courriel, il a également évoqué deux lettres rédigées par son avocat et envoyées au sous-ministre et à Mme Gorman au sujet de l’intimidation, de l’abus de pouvoir et de la plainte de harcèlement déposée contre les fonctionnaires. Il a fourni une copie de ces missives à M. V. Sharma. Le 21 février 2003, M. V. Sharma a indiqué au Dr Lambert qu’il signerait l’évaluation et que celui-ci était tenu de commencer et de terminer le travail qui lui avait été attribué (pièce E-283, onglet B-25).

220 Mme Kirkpatrick a témoigné avoir demandé aux gestionnaires de voir à ce que la DMV fasse des progrès en ce qui concerne les présentations en cours pendant son absence du bureau, à l’été 2003. Elle a déclaré que des entreprises dont la présentation avait été confiée au Dr Lambert avaient demandé par écrit un suivi de l’avancement de l’évaluation de leur dossier. Une lettre à la DMV en date du 11 décembre 2003 constitue la seule preuve déposée de demandes émanant de d’établissements pharmaceutiques.

221 Le 6 juin 2003, M. V. Sharma a demandé qu’un suivi sur les présentations en cours lui soit présenté au plus tard le 11 juin 2003 (pièce E-283, onglet B-26). Dans son courriel, il précisait la date des demandes de suivi antérieures, soulignant que le Dr Lambert mettait beaucoup de temps à lui répondre. Il a demandé que le suivi comprenne le travail terminé jusqu'à présent, ce qu’il restait à faire et toute difficulté que rencontrait le Dr Lambert dans l’exécution de ses tâches, de même qu’une date prévue d’achèvement.

222 Le Dr Lambert lui a répondu le 11 juin 2003 (pièce E-283, onglet B-26) qu’il était [traduction] « étonné » de recevoir une telle demande à ce moment, car il se préparait à emménager dans son nouveau bureau (en raison de la plainte de harcèlement, les fonctionnaires avaient été relocalisés). Il a déclaré que l’essentiel du travail serait terminé avant la fin de la première semaine de juillet et que l’évaluation du Regumate le serait avant la fin de la première semaine d’août, peut-être même avant. M. V. Sharma lui a répondu le 19 juin 2003 qu’en tant que superviseur, il lui incombait d’assurer un suivi des tâches attribuées. Il a confirmé l’échéancier présenté dans le courriel du Dr Lambert (pièce E-283, onglet B-26). Le Dr Lambert n'a pas complété l’évaluation des présentations dans les délais mentionnés dans son courriel.

223 Le 25 février 2003, le Dr Lambert a déposé un grief au sujet de son évaluation (pièce G-266). À cette fin, il a fourni une liste de 59 réalisations, documentation à l’appui, pour la période visée par l’évaluation du rendement (pièce G-253). Le 30 juin 2003, Mme Gorman a demandé à M. V. Sharma de passer cette liste en revue (pièce G-257), ce qu’il a fait avec l’aide de M. R. Sharma, de M. Vilim et de Mme Mehrotra; il a soumis ses commentaires le 17 juin 2003 (pièce G-257). Les commentaires relatifs à chaque réalisation mentionnaient que de plus amples renseignements étaient nécessaires ou que la participation du Dr Lambert à un dossier donné était [traduction] « marginale ».

224 À la dernière étape de la procédure de règlement de griefs, Mme Gorman a rejeté le grief du Dr Lambert au sujet de son évaluation du rendement; une demande de contrôle judiciaire a été déposée. Cette dernière est tenue en suspens.

225 À partir du 23 juillet 2003, M. V. Sharma était en congé prolongé. Le 8 août 2003, Kathy Dobbins, directrice générale par intérim, a envoyé un courriel au Dr Lambert pour l’aviser qu’il relèverait désormais directement de Mme Kirkpatrick. Elle lui a aussi dit que l’échéancier convenu pour les présentations était échu. Elle lui a demandé de terminer les évaluations au plus tard le 12 août 2003 (pièce E-283, onglet B-28). Le Dr Lambert n’a pas répondu à ce message et n’a pas fourni les évaluations à la date demandée.

226 Le 3 novembre 2003, Mme Kirkpatrick a demandé qu’il rapporte immédiatement à son bureau les dossiers relatifs à l’Ovagen, au Regumate et à l’Avatec (pièce E-283, onglet B-29). Le Dr Lambert a récupéré le dossier relatif au Regumate le jour même au registre central. Il n’a pas rapporté les dossiers. Le 4 novembre 2003, le Dr Lambert a pris un congé de maladie. L’adjointe de Mme Kirkpatrick lui a téléphoné à la maison le 5 novembre 2003. Il lui a expliqué que les dossiers étaient rangés sous clé dans son armoire et qu’il serait au bureau le lendemain. Mme Kirkpatrick a approuvé sa demande de congé de maladie.

227 Le 6 novembre 2003, en milieu de matinée, l’adjointe de Mme Kirkpatrick a parlé au Dr Lambert dans son bureau. Il a promis d’apporter deux dossiers à Mme Kirkpatrick le matin même et un autre au cours de l’après-midi. Il n’a pas apporté les dossiers ce matin-là. Il a témoigné que si Mme Kirkpatrick voulait vraiment ces dossiers, elle (ou son adjointe) aurait pu passer les prendre.

228 En milieu d’après-midi, l’adjointe de Mme Kirkpatrick a avisé le Dr Lambert par téléphone que celle-ci voulait le rencontrer dans son bureau dans une quinzaine de minutes. À cette rencontre, il a remis deux des dossiers à Mme Kirkpatrick (Avatec et Ovagen). Il avait terminé l’évaluation de l’Avatec le 26 mars 2002. Il avait également terminé l’évaluation de l’Ovagen. Il a demandé plus de temps pour terminer l’évaluation du Regumate. Mme Kirkpatrick a enjoint au Dr Lambert de lui remettre l’évaluation terminée du Regumate au plus tard le 14 novembre 2003.

229 Mme Kirkpatrick a demandé au Dr Lambert pourquoi il mettait tant de temps à terminer et à soumettre les évaluations. Il lui a expliqué que les autres fonctionnaires et lui [traduction] « lutt[aient] pour [leur] survie » et qu’il avait l’impression que son emploi était [traduction] « en jeu ». Mme Kirkpatrick a témoigné qu’il a mentionné les enquêtes d’établissement des faits au sujet des commentaires aux médias ainsi que l’enquête sur le harcèlement. Dans son témoignage, le Dr Lambert a dit qu’il avait aussi évoqué plusieurs griefs et l’enquête du BIFP. Mme Kirkpatrick lui a affirmé à la rencontre qu’outre les réunions imposées par la convention collective pertinente, ces autres activités ne devaient pas être menées pendant les heures de travail. Elle a convenu en contre-interrogatoire que les employés n’avaient pas à prendre congé pour assister aux réunions relatives à la plainte de harcèlement ou à l’enquête du BIFP. Elle n’a pas demandé au Dr Lambert combien de temps il consacrait à la préparation relative à ses griefs et à d’autres procédures connexes.

230 Elle lui a demandé pourquoi il n’avait pas soumis l’évaluation de l’Avatec alors qu’il semblait l’avoir terminée le 26 mars 2002. Il a convenu qu’il aurait dû le faire et que l’établissement pharmaceutique était [traduction] « en droit d’être contrariée » (pièce E-283, onglet B-33). Dans son témoignage, le Dr Lambert a déclaré avoir voulu dire que l’établissement pharmaceutique serait contrarié si la DMV n’approuvait pas sa présentation.

231 Mme Kirkpatrick a rappelé au Dr Lambert ses obligations au titre du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique et lui a signifié qu’on le payait pour accomplir son travail. Il lui a répondu qu’il lui fournirait l’évaluation terminée du Regumate. Il a témoigné qu’il n’a jamais été question de mesures disciplinaires éventuelles à cette réunion.

232 L’adjointe de Mme Kirkpatrick a téléphoné au Dr Lambert le 12 novembre 2003 pour lui rappeler qu’il devait remettre son évaluation du Regumate le 14 novembre 2003. Elle a rapporté à Mme Kirkpatrick qu’il lui avait affirmé qu’elle recevrait les documents avant la fin de la semaine (pièce E-283, onglet B-34). Le Dr Lambert n’a pas soumis l’évaluation terminée du Regumate à Mme Kirkpatrick le 14 novembre 2003. Les 13 et 14 novembre, il était en congé de maladie (congé que Mme Kirkpatrick a approuvé par la suite). Le 17 novembre, il a dit à l’adjointe de Mme Kirkpatrick qu’il aurait terminé ce travail pour le 20 novembre 2003. Il n’a pas soumis l’évaluation du Regumate à cette date.

233 Le 19 décembre 2003, le fabricant a demandé à la DMV un suivi concernant l’avancement de la présentation concernant l’Ovagen (pièce G-260), après que le Dr Lambert eut soumis son évaluation.

234 Le 13 janvier 2004, Mme Kirkpatrick a demandé le retour du dossier relatif au Regumate (pièce E-283, onglet B-37). Lorsqu’il a rendu le dossier, le Dr Lambert a demandé un autre sursis pour terminer l’évaluation. Mme Kirkpatrick lui a répondu que c’était impossible, car elle rencontrait les représentants de l’établissement pharmaceutique cette semaine-là. Dr Lambert a déclaré que c’était la première fois qu’il entendait parler de cette rencontre. Mme Kirkpatrick lui a dit qu’il avait ce dossier en sa possession depuis longtemps et qu’il avait mis la DMV [traduction] « dans une position inacceptable ». Le Dr Lambert lui a répliqué que le ton de son courriel lui [traduction] « fai[sait] peur ». Mme Kirkpatrick a témoigné ne pas se rappeler d’avoir discuté avec lui du ton de son courriel. Le Dr Lambert a déclaré dans son témoignage qu’il avait eu peur parce qu’il s’agissait de la première demande officielle qu’on lui adressait pour qu’il rende tous ses dossiers. Mme Kirkpatrick n’a pas évoqué la possibilité de mesures disciplinaires.

235 Dans un courriel envoyé le 14 janvier 2004, le Dr Lambert a expliqué que c’était la première fois que Mme Kirkpatrick lui demandait de rendre le dossier (pièce E-283, onglet B-37). Celle-ci lui a répondu avoir déjà demandé le dossier, soit le 3 novembre 2003. Le Dr Lambert a témoigné qu’il avait été convenu après le 3 novembre 2003 qu’il continuerait de travailler à ce dossier. Mme Kirkpatrick lui a également annoncé dans son courriel qu'elle tiendrait une réunion avec lui pour traiter plus en détail de la question du retard.

236 Le 19 janvier 2004, le Dr Lambert a soumis une évaluation du Regumate à la secrétaire de la DIH. Mme Kirkpatrick a témoigné que selon elle, l’évaluation avait été retirée au Dr Lambert à la réunion du 13 janvier 2004.

237 La réunion portant sur le dossier relatif au Regumate devait avoir lieu le 20 janvier 2004, mais le Dr Lambert était absent pour cause de maladie. La réunion a donc été reportée au 27 janvier 2004. À la réunion, Mme Kirkpatrick a souligné le retard et a demandé au Dr Lambert pourquoi il avait mis tant de temps à terminer son évaluation. Celui-ci a convenu qu’il était en mesure de terminer l’évaluation. Il estimait qu’il lui aurait fallu de trois à six mois pour le faire. Dans son témoignage, il a précisé que ce délai aurait été raisonnable s’il avait pu se concentrer sur son travail. Il a par ailleurs évoqué le problème du manque de communication. Mme Kirkpatrick ne voyait aucun problème à ce chapitre, soulignant les nombreux courriels et communiqués qui avaient été envoyés. Il n’a pas été question de mesures disciplinaires.

238 Le 6 février 2004, le Dr Lambert a soumis les évaluations terminées des quatre présentations de CEE (pièces E-283, onglet E-4). Mme Kirkpatrick a recommandé de clore les dossiers de CEE, pour cause d’inactivité, compte tenu du temps mis à les évaluer (pièce E-283, onglets E-1 à E-4). Selon le témoignage du Dr Lambert, en l’absence d’un suivi de la part du requérant, les évaluateurs de la DMV concluent à l’abandon d’une demande de CEE. Mme Kirkpatrick a témoigné que la question des échéances était un facteur important pour bien des demandes de CEE.

239 Le 14 novembre 2003, Mme Kirkpatrick a adressé à tous les employés une demande de documentation pour le processus de discussion sur le rendement (PDR) visant la période du 1er octobre 2002 au 30 septembre 2003 (pièce E-283, onglet B-35). Elle devait recevoir cette documentation au plus tard le 31 décembre 2003. Mme Kirkpatrick a prévenu le Dr Lambert qu’elle le rencontrerait au cours de la semaine du 9 février 2004 au sujet du PDR et qu’elle devait recevoir les documents pertinents relatifs au PDR au plus tard le 30 janvier 2004. Les documents suivants devaient être inclus dans la documentation : une liste de tout le travail attribué; une liste de toutes réalisations et de tout le travail en cours; un plan de travail pour les mois à venir assorti d’échéances; un plan de perfectionnement et de formation. À l’échéance du délai fixé, le Dr Lambert n’avait pas fourni la documentation requise.

240 La réunion du 9 février 2004 a été reportée au 18 février suivant, car le Dr Lambert était en congé de maladie du 9 au 11 février. À la réunion, celui-ci a discuté avec Mme Kirkpatrick de la présentation relativement à l’Avatec, de son congé de maladie et du PDR. Il lui a fourni une liste de 40 tâches qu’il avait terminées au cours de la période visée par l’évaluation (pièce E-283, onglet B-32). Elle a passé cette liste en revue et conclu que certains éléments avaient été terminés hors de la période d’évaluation.

241 Mme Kirkpatrick a déclaré à cette occasion que si elle considérait que l’évaluation de la présentation sur l’Avatec avait été terminée au cours de cette période, cela signifierait qu’il n’aurait terminé l’évaluation que d’une seule présentation au cours de cette période. Mme Kirkpatrick a posé des questions au Dr Lambert au sujet des quatre CEE en cours. Elle l’a avisé qu’en fonction de son analyse initiale de la liste de réalisations, elle jugeait son rendement inacceptable. Elle lui a affirmé que des [traduction] « mesures correctives » étaient nécessaires pour accroître son rendement. Dans un courriel envoyé après la réunion (pièce G-268), le Dr Lambert a écrit que lorsqu’il a demandé à Mme Kirkpatrick ce qu'elle entendait par mesures correctives, elle n’avait pas répondu. Elle lui a par ailleurs demandé de [traduction] « mieux justifier » avant la fin de la semaine ce à quoi il consacrait son temps de travail. Le Dr Lambert n’a pas fourni d’autres informations.

242 Lors de cette réunion, il a également été question du congé de maladie du Dr Lambert. Mme Kirkpatrick lui a signalé qu’il avait été en congé de maladie 50 jours du 1er octobre 2002 au 30 septembre 2003 et que, sur consultation de la Section des ressources humaines de Santé Canada, il avait été déterminé que tout autre congé de maladie nécessiterait un certificat médical. Dans un courriel qu’il lui a adressé deux jours plus tard avec copie à son avocat, le Dr Lambert l’a informée qu’il considérait la demande de certificat médical comme un abus de pouvoir et comme du harcèlement à son égard (pièce G-268).

243 Le 14 mai 2004, Mme Kirkpatrick a remis une lettre de suspension au Dr Lambert. Elle a témoigné ne pas avoir consulté M. R. Sharma et M. V. Sharma au sujet de cette mesure disciplinaire. Elle a également témoigné avoir tenu compte de la suspension antérieure de cinq jours du Dr Lambert (pour ses commentaires aux médias; voir à partir du paragraphe 310) lors de sa décision d’imposer une mesure disciplinaire. Elle a par ailleurs tenu compte des évaluations du rendement précédentes, qui étaient positives, ainsi que de l’expérience du Dr Lambert à titre de facteurs aggravants. Elle n’a pas considéré son recours aux congés de maladie approuvés comme un facteur atténuant. Selon son témoignage, elle ne lui a pas suggéré de recourir au programme d’aide aux employés ni envisagé la possibilité qu’il ait besoin de mesures d’adaptation.

244 Le Dr Lambert a témoigné qu’après avoir parlé aux médias en juillet 2002, il a eu l’impression que ses superviseurs l’avaient [traduction] « dans leur ligne de mire » et qu’ils cherchaient à créer [traduction] « une trace documentaire pour monter un dossier » contre lui.

B. Arguments

1. Pour l’employeur

245 L’employeur a soutenu que malgré les engagements répétés du Dr Lambert à terminer le travail qui lui avait été attribué et à assurer un suivi de l’avancement de ses dossiers, il a constamment omis de respecter les échéances et ignoré les demandes de mises à jour de son superviseur. Le comportement du Dr Lambert montrait qu’il retenait sciemment ses services et faisait preuve d’insubordination en ignorant les demandes d’information sur l’état des tâches qui lui avaient été assignées.

246 Dans Canadian Labour Arbitration, 4e édition (paragraphe 7:3612), Brown et Beatty exposent les critères suivants, essentiels pour établir l’insubordination :

[Traduction]

Dans le cas typique où l’employé est sanctionné pour avoir refusé d’accomplir un travail qui lui a été attribué, les arbitres ont tenu l’employeur de démontrer qu’un ordre avait bel et bien été donné, que celui-ci avait été clairement communiqué à l’employé par une personne ayant autorité sur lui et que l’employé avait soit refusé de prendre acte de cet ordre, soit carrément refusé de l’exécuter.

Toutefois, même en l’absence d’un ordre précis, on peut conclure à l’insubordination si l’arbitre établit que l’employé devait savoir ce qu’il était tenu d’accomplir, mais a refusé d’obéir. Par ailleurs, pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire pour insubordination, il n’est habituellement pas nécessaire à l’employeur de prouver que l’employé voulait s’opposer à la direction ou était dans un état d’esprit répréhensible, ni que lui-même avait subi une perte financière, bien que l’absence de tous ces facteurs vienne généralement atténuer la gravité de l’inconduite.

247 Le Dr Lambert a omis de répondre aux demandes répétées de ses superviseurs de remettre les tâches terminées et de fournir un suivi sur l’avancement des dossiers. De toute évidence, le Dr Lambert connaissait les attentes à son égard en tant qu’évaluateur de médicaments. Il s’agit d’une forme d’insubordination; voir Trilea-Scarborough Shopping Centre Holdings Ltd. v. S.E.I.U., Loc. 204 (1990), 14 L.A.C. (4e) 396, et Bérard c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-22344 et 22914 (19930423).

248 Le Dr Lambert a reconnu que rien ne l’empêchait de respecter les échéances. Il a simplement choisi de ne pas s’y conformer. Par ses actes, il a fait preuve d’insubordination en omettant d’accomplir ce qu’on attendait de lui et ce qu’on lui demandait de faire. Comme il rémunère ses employés, l’employeur est en droit de recevoir le travail terminé.

249 Les motifs invoqués par le Dr Lambert pour ne pas avoir terminé ses tâches et répondu aux demandes de suivi n’ont pas résisté au contre-interrogatoire. Sauf pour son propre refus de la faire, rien ne l’empêchait d’accomplir son travail et de communiquer avec ses superviseurs. Par exemple, en réponse à une question posée en contre-interrogatoire au sujet de son défaut de répondre à une demande de suivi que lui a adressée Mme Kirkpatrick le 8 août 2003, il a déclaré qu’il avait déjà des ennuis avec elle et [traduction] « [qu’]un peu plus » n’y changerait pas grand-chose. Essentiellement, son attitude se traduisait par : « Un peu plus ou un peu moins, qu’importe. » De plus, le Dr Lambert a indiqué que l’employeur aurait dû en faire davantage pour obtenir l’information demandée; tenter ainsi de rejeter la faute sur l’employeur démontre de l’insubordination.

250 Le Dr Lambert a systématiquement omis de donner suite aux suivis demandés, de répondre aux courriels de ses superviseurs, de terminer ses tâches et de respecter son propre échéancier. L’employeur a fait valoir que lors du contre-interrogatoire, le Dr Lambert avait reconnu qu’il aurait pu répondre aux demandes de ses superviseurs, terminer son travail et respecter son échéancier; la seule conclusion que nous pouvons en tirer est qu’il a tout simplement décidé de passer outre aux requêtes de son employeur. Le Dr Lambert a choisi de ne pas faire son travail et, par ses actions, a clairement fait preuve d’insubordination.

2. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

251 Le Dr Lambert a soutenu que compte tenu de la situation, la suspension disciplinaire n’était pas justifiée. L’accumulation systémique du travail avait atteint des proportions endémiques à son lieu de travail, et il n’avait aucunement l’intention de refuser ses services ou de tromper l’employeur. Cela dit, il est évident que l’employeur, en ignorant cette question des mois durant et de manière répétée, fermait les yeux sur les retards et les omissions de fournir des suivis. Au cours de la période de presque deux ans pour laquelle la mesure disciplinaire a été imposée, l’employeur n’a presque jamais cherché à adopter des principes de gestion des ressources humaines appropriés pour régler ce problème. De plus, il n’a pas tenu compte de facteurs atténuants comme un congé de maladie et d’autres questions liées au travail qui ont eu un impact sur la production du Dr Lambert au cours de cette période.

252 Ni la LAD ni les règlements pris en application de celle-ci ne fixent de délai pour le traitement des CEE et des PDN. Les directives applicables n’avaient pas force exécutoire et étaient prises à la légère. Les longs retards dans le traitement des présentations de médicaments étaient courants depuis des années. Mme Kirkpatrick a témoigné que divers facteurs externes et hors du contrôle des évaluateurs pouvaient contribuer aux retards dans le traitement des présentations. De plus, durant la première moitié de 2002, le Dr Lambert avait une lourde charge de travail. Même si plusieurs évaluations de médicament étaient déjà en cours, on lui avait attribué d’autres tâches. L’employeur n’avait jusqu’à présent jamais eu à se préoccuper du rythme de travail du Dr Lambert auparavant. De plus, le Dr Lambert avait été complimenté, lors de son évaluation du rendement précédente, pour sa contribution dans la réduction de la charge de travail.

253 Lors de la réunion du 8 août 2002, la question des présentations en cours assignées au Dr Lambert a été abordée pour la première fois depuis qu’une échéance avait été convenue le 18 juin 2002. Selon les principes courants en matière de ressources humaines, si l’employeur considère que le Dr Lambert a désobéi ou refusé de suivre des directives et qu’il mérite une sanction, il était tenu de l’aviser de ses intentions. Le fait que l’employeur ait omis de mentionner la possibilité d’imposer des mesures disciplinaires à l’une ou l’autre des réunions démontre qu’il ne prenait pas la conduite du Dr Lambert au sérieux.

254 Même si le Dr Lambert n’avait pas terminé les tâches qui lui avaient été confiées, personne ne lui a demandé pourquoi. De plus, personne ne lui a indiqué qu’il pourrait être assujetti à des mesures disciplinaires s’il ne respectait pas l’échéancier imposé.

255 L’employeur a toléré les retards, car il n’avait pas assuré un suivi constant auprès du Dr Lambert. Comme il a laissé tomber la question en novembre 2002, il n’est pas approprié pour l’employeur de sanctionner le Dr Lambert pour ses retards.

256 Le Dr Lambert a allégué que le moment choisi pour demander un suivi constituait du harcèlement. L’employeur n’a jamais donné suite à cette allégation, conformément à son habitude d’éviter les questions ou d’ignorer les inquiétudes du Dr Lambert à propos du lieu de travail, comme son appel répété pour une enquête générale indépendante à l’égard de divers dossiers, dont le harcèlement et la pression.

257 Dans le grief relatif à son évaluation du rendement, le Dr Lambert a fourni une liste de ses réalisations que l’employeur a scrutée à la loupe. La plupart de ses réalisations ont été minimisées. Pourtant, lors de son évaluation précédente, il avait soumis une liste semblable, qui avait alors été jugée satisfaisante. Aucune explication n’a été fournie pour expliquer cette différence de traitement entre les évaluations du rendement.

258 Mme Kirkpatrick a justifié le délai de l’employeur relativement aux demandes de suivi par le fait que des requérants avaient envoyé des lettres demandant un suivi de l’état des dossiers de Dr Lambert durant la période précédant novembre 2003. Mme Kirkpatrick n’a pas réussi à trouver de tels exemples. Une seule lettre a été produite en preuve. Cette lettre était datée d’un mois plus tard et ne démontrait aucune urgence de la part du fabricant.

259 Mme Kirkpatrick n’a pas demandé au Dr Lambert comment il établissait l’ordre de priorité de ses tâches. Elle n’a pas vérifié s’il savait quelles tâches associées à ses problèmes avec l’employeur pouvaient être effectuées pendant les heures de travail et quelles devaient l’être dans ses temps libres.

260 En janvier 2004, l’environnement de travail du Dr Lambert était très tendu. Il a été isolé dans l’immeuble Holland Cross, ce qu’il a trouvé très difficile, et l’enquête au sujet de la plainte de harcèlement était en cours. Il est frappant de constater que l’employeur n’a jamais tenu compte de ces éléments dans son analyse des gestes du Dr Lambert. Même si Mme Kirkpatrick a mentionné le perfectionnement professionnel et la formation, elle ne s’est pas rappelé avoir fait d’effort particulier pour déterminer quelle formation aurait alors été profitable au Dr Lambert.

261 Dans une affaire d’insubordination, l’employeur doit prouver trois éléments essentiels : 1) un ordre clair a été donné qui a été compris par le fonctionnaire, 2) l’ordre a été transmis par une personne en situation d’autorité et 3) le fonctionnaire a désobéi à l’ordre. De plus, au paragraphe 7:3612, à la section 7-118, Brown et Beatty définissent divers facteurs justifiant une atténuation de la gravité d’une mesure disciplinaire pour insubordination, notamment l’absence d’intention de s’opposer à la direction ou d’état d’esprit répréhensible ainsi que l’absence de perte financière pour l’employeur. Voir Doucette c. Le Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), 2003 CRTFP 66, au paragraphe 86; Nanaimo Collating Inc. v. Graphic Communications International Union, Local 525-M (1998), 74 L.A.C. (4e) 251, au paragraphe 262; Lilly Industries Inc. v. United Steelworkers of America, Local 13292-02 (2000), 86 L.A.C. (4e) 397.

262 Compte tenu de la gravité de conclure à l’insubordination, le seuil déterminant de ce que constitue un ordre clair est très élevé. Comme il a été observé dans Nanaimo Collating Inc. (au paragraphe 33), hors d’un milieu de type militaire, une directive ne peut donner lieu à l’insubordination que si elle est précise et expresse. Par exemple, une suspension disciplinaire a été révoquée dans Lilly Industries Inc. parce que les instructions du superviseur ne précisaient pas expressément si la tâche en cause était attribuée à l’employé s’estimant lésé ou à un subordonné. Même si, dans cette affaire, l’employeur a soutenu que le sens véritable du propos du superviseur était sous-entendu, l’arbitre de différends a conclu que les directives n’avaient pas été assez claires pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire pour insubordination [voir National Harbours Board, Vancouver v. Vancouver Harbour Employees Association, Local 517, I.L.W.U. (1974), 6 L.A.C. (2e) 5; Hunter Rose Co. Ltd. v. Graphic Arts International Union, Local 28-B (1980), 27 L.A.C. (2e) 338; Lyons c. Conseil du Trésor (Revenu Canada [Impôt]), dossier de la CRTFP 166-02-22400 (19931112)].

263 Dans des cas liés à l’insubordination, des employeurs ont accepté comme pratique positive le fait de réitérer un ordre et de souligner les conséquences du refus de s’y conformer. Cette pratique convient particulièrement aux milieux de travail où sont survenus des tensions, des plaintes de harcèlement et des allégations de discrimination. Dans Grover, une affaire décrite comme [traduction] « […] un seul chapitre dans la longue saga de relations employeur-employé difficiles », M. Grover a été sanctionné pour insubordination après avoir refusé d’exécuter un ordre d’effectuer un processus de sélection. L’employeur a répété, par écrit, l’ordre à deux reprises, suivi d’un avertissement clair. L’employeur a imposé une mesure disciplinaire après ces étapes seulement.

264 L’infraction technique d’un ordre, même lorsque clairement énoncé, ne constitue pas nécessairement de l’insubordination s’il n’en a découlé aucun préjudice ou si elle s’est faite dans un contexte plus tolérant. Comme il a été observé dans Myler c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166-02-22912 et 22913 (19930903), au paragraphe 11, dans lequel Collective Agreement Arbitration in Canada (deuxième édition) est cité, l’insubordination est, au bout du compte, une question d’attitude ou de défi envers l’autorité :

[…]

[…] la simple omission d’exécuter un ordre n’équivaut pas à l’insubordination, à moins que le retard d’exécution ne soit excessif. Il en va de même lorsqu’on juge que l’ordre donné n’est pas ferme. Ce qui importe, c’est « l’attitude » de l’employé en cause. […]

[…]

265 Le but fondamental de la discipline progressive est d’être corrective et de viser la réhabilitation. De plus, les arbitres de différends et de grief ont jugé que les employeurs ont un devoir positif d’offrir à leurs employés de la formation et des services de consultation relativement aux éléments de leur travail où leur rendement est déficient (Canadian Labour Arbitration, paragraphe 7:4422).

266 Il faut également tenir compte de la conduite de l’employeur pour déterminer s’il y avait lieu d’imposer une mesure disciplinaire (Canadian Labour Arbitration, paragraphe 7:4410).

267 Un principe fondamental de gestion des ressources humaines généralement reconnu dans la jurisprudence arbitrale veut qu’une mesure disciplinaire inappropriée puisse être invalidée en raison d’un retard ou d’un type de comportement toléré par l’employeur (voir Canadian Labour Arbitration, aux paragraphes 7:2100, 7:2120 et 7:2140, et Manitoba Pool Elevators Brandon Stockyards v. United Food and Commercial Workers’ Union, Local 832 (1993), 35 L.A.C. (4e) 276, aux paragraphes 11 et 12).

268 Dans Doucette (paragraphe 100), l’arbitre de grief a soutenu que les employeurs n’ont pas le droit de retarder l’imposition de mesures disciplinaires afin de regrouper les incidents.

269 Il n’est pas toujours nécessaire de faire la preuve d’un préjudice pour invalider une mesure disciplinaire en invoquant les délais. Bien que les longs délais soient tenus pour être en soi préjudiciables, il ne s’agit pas toujours d’un élément pertinent. Dans Corporation of the Borough of North York v. Canadian Union of Public Employees, Local 373 (1979), 20 L.A.C. (2e) 289, un licenciement pour [traduction] « acte fautif grave » a été annulé, car l’employeur avait attendu huit mois et sept semaines avant de sanctionner l’employé. Le commentaire de l’arbitre, voulant qu’une [traduction] « décision retardée indûment ne peut pas du tout être rectifiée : elle est tout simplement invalide », a été citée avec succès dans des cas où aucune preuve de préjudice n’était requise (voir Manitoba Pool Elevators Brandon Stockyards et Brunswick Bottling Ltd. v. Retail, Wholesale and Department Store Union, Local 1065 (1984), 16 L.A.C. (3e) 249).

270 La Cour fédérale, au paragraphe 74 de Pachowski c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. no 1679 (T.D.) (QL), a admis que le fait de tolérer un comportement est un élément pertinent pour permettre à un arbitre de grief de déterminer si un employeur a imposé des mesures disciplinaires progressives de manière appropriée. Si l’employeur n’a pas auparavant appliqué certaines règles ou certaines clauses d’une convention collective, il ne peut en sanctionner la contravention s’il ne transmet pas d’abord un avis ou un avertissement clair à ses employés. Dernièrement, dans Lindsay c. Agence des services frontaliers du Canada, 2009 CRTFP 62, l’arbitre de grief a réduit la suspension imposée à l’employée, qui ne s’était pas conformée au code vestimentaire, après avoir établi que l’employeur n’avait jamais auparavant imposé une norme aussi stricte. Même en cas d’inconduite grave, comme le vol, un retard d’aussi peu que quatre mois a suffi à faire invalider la mesure disciplinaire (University of Ottawa v. International Union of Operating Engineers, Local 796-B (1994), 42 L.A.C. (4e) 300). Un employeur ne peut tolérer sans rien faire un comportement qu’il estime digne de sanction. Le principe fondamental derrière les mesures disciplinaires progressives veut qu’elles soient avant tout correctives. Après une durée raisonnable, les employés sont en droit de conclure que le comportement a été pardonné. Ce principe (de la tolérance) est libellé ainsi dans les Lignes directrices concernant la discipline du Conseil du Trésor (pièce G-288) :

[…]

Il ne faudrait pas tarder à prendre des mesures disciplinaires, car s'il s'écoule beaucoup de temps entre le moment où la transgression est commise et celui où la direction impose une sanction, le fonctionnaire aura tendance à dissocier le délit de la mesure corrective et à penser que la direction a fermé les yeux sur son geste. Cela pourrait aussi nuire aux arguments de la direction advenant l'arbitrage d'un différend.

[…]

271 Le Dr Lambert s’est vu imposer des mesures disciplinaires pour avoir sciemment trompé l’employeur au sujet de l’avancement de sept dossiers qui lui avaient été attribués. Or, rien n’indique qu’il a trompé l’employeur à ce sujet. Il a discuté de l’avancement des dossiers à diverses reprises et, lorsqu’on le lui a demandé, il a toujours donné un compte rendu exact du travail qu’il restait à accomplir et justifié ce qui l’empêchait de le terminer. Les préoccupations de l’employeur visaient le rythme de travail et l’omission de respecter l’échéancier fixé. Il n’a jamais demandé au Dr Lambert s’il entendait le tromper ou s’il lui refusait sciemment ses services. Lorsqu’il a refusé d’accepter l’explication que lui fournissait le Dr Lambert au sujet des retards dans l’exécution de son travail et le retour des dossiers qui lui avaient été confiés, l’employeur a conclu à l’insubordination. Lorsque les faits sont examinés dans le contexte approprié, les motifs invoqués par le Dr Lambert fournissent une justification raisonnable de l’évolution des dossiers de mai 2002 à mai 2004.

272 Le changement marqué dans la relation du Dr Lambert avec son employeur et les préoccupations de l’employeur relativement au rendement professionnel du Dr Lambert coïncident avec les événements associés à la délivrance de l’avis de conformité concernant la tylosine. Aucun autre employé n’a fait l’objet d’une surveillance aussi formelle. De toute évidence, à la suite du débat sur la tylosine et du retrait du Dr Lambert de son poste de chef d’équipe intérimaire, celui-ci s’est inquiété de certains comportements de l’employeur. En juillet 2002, après s’être exprimé sur la place publique, il a senti que ses superviseurs ne se contentaient pas de surveiller son travail, mais plutôt qu’ils l’avaient [traduction] « dans leur ligne de mire ». Il a eu l’impression que quoi qu’il fasse, il serait blâmé, et que ses superviseurs créaient une trace documentaire pour monter un dossier contre lui.

273 Le Dr Lambert participait aussi aux démarches auprès du BIFP, ce qui lui a demandé beaucoup de temps à compter du 31 mai 2002 et tout au long de la période pour laquelle il a été sanctionné, surtout à l’été et à l’automne 2002. Même si le BIFP a rendu sa décision le 21 mai 2003, une demande de contrôle judiciaire a suivi, ce qui a de nouveau nécessité la collaboration du Dr Lambert. Pour faire progresser la plainte devant le BIFP, il a dû assister à des réunions, aider à rédiger des lettres et fournir des documents à l’appui de la plainte. Ces activités et processus absorbaient beaucoup de temps en plus d’être distrayants.

274 La conduite du Dr Lambert ne reflétait pas le désir de sciemment tromper l’employeur ni de lui refuser ses services. Par exemple, de novembre 2003 à janvier 2004, il a pris l’initiative de continuer de travailler au dossier du Regumate, et ce, même après que l’employeur le lui ait retiré. L’employeur a accepté et utilisé ce travail. Lorsqu’on lui a donné une courte échéance pour préparer une note d’information concernant l’Avatec au CEDS, le Dr Lambert s’est exécuté dans le délai imparti. Il ne s’est pas montré évasif ni malhonnête lorsqu’on lui a posé des questions sur ses dossiers. Il a ouvertement admis à Mme Kirkpatrick le 27 janvier 2004 qu’il aurait dû soumettre le dossier des mois auparavant.

275 Le Dr Lambert est un évaluateur d’expérience et compétent qui a rempli ses fonctions pour l’employeur avec loyauté et savoir-faire pendant des années.

276 Lorsque Mme Kirkpatrick a décidé de lui imposer une suspension de 10 jours, elle n’a consulté ni M. V. Sharma ni M. R. Sharma, même s’ils étaient les superviseurs du Dr Lambert pour la plus grande partie de la période en cause.

277 Lorsqu’il a imposé la mesure disciplinaire, l’employeur n’a pas considéré comme il se doit les facteurs atténuants. Mme Kirkpatrick a considéré l’expérience et le rendement positif antérieur du Dr Lambert comme des facteurs aggravants au lieu d’atténuants, et elle n’a pas tenu compte du fait qu’il était prêt à admettre ses torts. Il a ouvertement reconnu qu’il aurait dû soumettre l’évaluation de l’Avatec longtemps avant. Cela aurait dû susciter une réflexion chez Mme Kirkpatrick et rendre crédible à ses yeux l’explication fournie par le Dr Lambert quant aux retards relativement aux autres présentations.

278 Au cours de la période visée par la mesure disciplinaire, l’employeur a commencé à s’inquiéter du recours aux congés de maladie du Dr Lambert. Cependant, au lieu d’envisager que ça pouvait ralentir le rythme de travail du Dr Lambert ou de s’enquérir de la santé du celui-ci, l’employeur a adopté une approche stricte. Mme Kirkpatrick n’a pas discuté d’arrangements avec le Dr Lambert. Elle ne lui a jamais suggéré de recourir au programme d’aide aux employés. Au contraire, elle a tenu pour suspects les congés de maladie du Dr Lambert et a intimé celui-ci de lui fournir un certificat médical pour chaque jour de congé. Le Dr Lambert, qui a pris près de 60 jours de congé de maladie au cours de la période visée, a considéré cette approche comme un autre acte de harcèlement et un abus de pouvoir. L’employeur n’a pas donné suite à cette allégation. En fin de compte, Mme Kirkpatrick a approuvé tous les congés de maladie. Les absences du Dr Lambert n’ont entraîné aucune mesure disciplinaire, et Mme Kirkpatrick n’a pas tenu compte de son recours aux congés de maladie dans la décision de lui imposer une suspension de dix jours.

279 Dans certains cas, lorsqu’un employeur pointilleux refuse carrément de recourir à des mécanismes reconnus en matière de ressources humaines, il n’incombe pas nécessairement à l’employé, pour faire annuler une mesure disciplinaire, de montrer qu’il existe une autre raison à sa conduite. Dans Manitoba v. Manitoba Government and General Employees’ Union (2002), 114 L.A.C. (4e) 371, aux paragraphes 29, 32 et 33, l’arbitre de différends a jugé qu’un fléchissement soudain du rendement d’un employé de longue date ne constituait pas de l’insubordination. Il a souligné que même si l’employé avait fourni des explications plausibles de ses retards, celles-ci n’avaient pas été soumises à l’employeur lorsqu’il a imposé la mesure disciplinaire; l’arbitre de différends s’est donc penché sur l’omission par l’employeur d’appliquer les mécanismes courants en matière de ressources humaines.

280 Le Dr Lambert a soulevé, dans ses éléments de preuve, qu’en l’absence d’un suivi à très court terme de la part d’un requérant, il est raisonnable de conclure à l’abandon de son CEE. En 2002, lorsqu’on a commencé à surveiller la productivité du Dr Lambert, tous les CEE étaient en retard. Rien n’indiquait que l’un ou l’autre des requérants avait effectué quelque suivi que ce soit au sujet de sa présentation, et l’employeur n’a jamais soulevé expressément la question des CEE. Par ailleurs, certains CEE étaient sujets à la controverse, ce qui ralentissait davantage leur avancement.

281 Pour décider de la sanction appropriée, Mme Kirkpatrick a tenu compte de la mesure disciplinaire qui avait été imposée au Dr Lambert pour s’être exprimé sur la place publique; c’était inapproprié de la part de Mme Kirkpatrick. La pertinence de cet élément aurait dû être jugée en fonction du comportement qu’il avait visé à corriger. Le Dr Lambert a déposé un grief parce qu’il estimait avoir été assujetti à des mesures disciplinaires pour avoir sciemment refusé de travailler. Même si la sanction antérieure avait été imposée pour inconduite, elle résultait du fait que le Dr Lambert avait prononcé et entériné des propos supposément trompeurs auprès des médias; elle n’avait rien à voir avec le rendement ou la production du Dr Lambert ni avec son omission de répondre aux demandes de l’employeur, pas plus qu’elle n’était propre à l’insubordination. Tout ce qui se rapporte à la conduite d’un employé peut être qualifié de comportemental, qu’il soit question d’assiduité ou de vol au travail (Doucette, aux paragraphes 58 et 99).

282 Rien ne démontre que le Dr Lambert a prononcé en public d’autres propos que l’employeur aurait jugés inappropriés. Aux fins des mesures disciplinaires progressives, il faut conclure que la sanction a eu l’effet voulu sur le comportement du Dr Lambert. Par conséquent, la sanction antérieure ne peut être invoquée dans le présent grief (Doucette, paragraphe 99).

3. Réponse de l’employeur

283 Rien ne prouve que des facteurs externes hors du contrôle du Dr Lambert aient contribué aux retards dans l’exécution de ses tâches. Bien que les opinions scientifiques puissent diverger sur la manière dont les présentations auraient dû être traitées, rien ne dénotait une rupture dans la relation de travail ou la communication.

284 Le Dr Lambert a souvent déclaré que l’employeur avait la responsabilité exclusive de demander et d’exiger à répétition que l’employé termine son travail. Il n’a assumé aucune responsabilité personnelle envers l’exécution du travail pour lequel il était rémunéré. Lorsque l’employeur lui a adressé une telle demande en juin 2003, le Dr Lambert l’a taxé de harcèlement. Autrement dit, le point de vue de l’employeur n’avait aucune importance. Le Dr Lambert ne soumettait pas son travail, puis accusait l’employeur d’agir de façon inappropriée.

285 Le fait qu’il n’y ait pas eu de demande de suivi d’août à novembre 2003 ne dégageait pas le Dr Lambert de sa responsabilité de terminer le travail qui lui avait été attribué, et ce, dans les délais fixés.

286 Le Dr Lambert n’a d’aucune façon laissé entendre à l’employeur qu’il ne pouvait pas terminer le travail à l’intérieur des échéances proposées. Il n’a pas non plus signalé à l’employeur qu’il lui fallait quelque arrangement particulier que ce soit. En aucun temps, il n’a indiqué que les tensions qui sévissaient dans le milieu de travail l'empêchaient de mener ses tâches à bien. D’ailleurs, son déplacement dans un nouveau bureau aurait dû calmer l’essentiel des tensions quotidiennes. De plus, même si le Dr Lambert a affirmé qu’il existait des « tensions » dans le milieu de travail, il n’a fourni aucune preuve qui expliquait en quoi les tensions l’empêchaient de terminer et de soumettre ses dossiers. Il a en outre fourni au cours d’audience de nombreux motifs qui n’avaient pas été communiqués à l’employeur lorsque celui-ci lui a demandé de faire le point.

287 Le Dr Lambert a invoqué Myler pour étayer la proposition selon laquelle la transgression technique d’un ordre clairement énoncé ne constitue pas nécessairement de l’insubordination s’il n’en a découlé aucun préjudice ou si elle a été tolérée. Les faits en cause dans ce précédent sont distincts : le fonctionnaire s’estimant lésé a fini par effectuer son travail et n’en avait repoussé l’exécution que le temps de confirmer que la tâche en cause relevait de ses fonctions. Pour ce qui est du Dr Lambert, il n’a pas répondu aux demandes répétées de ses superviseurs, qui désiraient obtenir un suivi ou voir ses tâches achevées. Même après avoir terminé son travail, il ne l’a pas soumis tant qu’on ne lui pas enjoint de le faire sur-le-champ. Il serait faux d’affirmer que le cas du Dr Lambert n’a causé aucun préjudice. Il y a préjudice quand un employeur doit faire de multiples demandes pour se voir remettre le travail et qu’il ne le reçoit que lorsque ses demandes deviennent des exigences.

288 En ce qui concerne la tolérance, la décision rendue dans Community Living Espanola v. Canadian Union of Public Employees, Local 2462 (2006), 84 C.L.A.S. 216, traite comme suit, aux paragraphes 32 à 36, bon nombre de précédents invoqués par le Dr Lambert :

[Traduction]

À mon avis, invalider une mesure disciplinaire pour délai sans d’abord entendre une affaire sur le fond doit être exceptionnel.[…]

[…]

[…] l’arbitre [devrait] […] invalider la mesure disciplinaire sans entendre l’affaire sur le fond uniquement lorsque le syndicat peut établir que le délai de l’employeur a causé un préjudice à l’employé s’estimant lésé. En effet, dans presque toutes les affaires où l’arbitre a invalidé la mesure disciplinaire pour motif de délai, la décision reposait fondamentalement sur le préjudice à l’employé s’estimant lésé et non sur un principe général interdisant le délai. Le préjudice peut revêtir diverses formes, comme la tolérance envers une situation, l’incapacité de se souvenir d’une tâche routinière d’il y a quelques semaines ou quelques mois ou la perte d’un témoin important, mais il demeure le facteur commun à la plupart des affaires. […]

[…]

289 Il n’est pas question de tolérance dans cette affaire. Le Dr Lambert connaissait bien les attentes de l’employeur : il devait accomplir son travail. Il a choisi de ne pas se conformer aux échéances, même lorsqu’il les fixait lui-même.

290 Il n’est pas interdit à l’employeur de tenir compte des antécédents disciplinaires d’un employé, même si les nouvelles actions fautives sont de nature distincte : Northwest Territories Power Corp. v. Union of Northern Workers (2004), 132 L.A.C. (4e) 275; Weyerhaeuser Co. (Drayton Valley Operations) v. United Steelworks Local 1-207 (2007), 159 L.A.C. (4e) 56; Alcan Smelters Inc. and Chemicals Inc. v. Canadian Auto Workers, Local 2301 (1998), 77 L.A.C. (4e) 303.

291 Subsidiairement, étant donné les circonstances, la suspension est raisonnable, même si l’on ne tient pas compte des antécédents du Dr Lambert. Quoi qu’il en soit, les actions de ce dernier ayant mené à ses suspensions de cinq et de dix jours, bien qu’elles ne soient pas de même nature, constituent un modèle de conduite.

C. Motifs

292 Le Dr Lambert s’est vu imposer des mesures disciplinaires pour les trois fautes disciplinaires suivantes (selon la lettre disciplinaire, pièce E-283, onglet A-2) :

1) avoir sciemment induit l’employeur en erreur sur l’état d’avancement des dossiers attribués (ce qui constitue essentiellement un cas de malhonnêteté);
2) avoir retenu ses services en omettant de terminer le travail comme promis;
3) avoir fait preuve d’insubordination, comme en témoigne le fait d’avoir passé outre aux demandes d’information sur l’avancement des dossiers et de ne pas avoir remis ces dossiers sur demande.

293 Les arguments des parties portaient essentiellement sur l’insubordination. Je conviens que l’inconduite alléguée du Dr Lambert décrit fort bien l’insubordination.

294 Le Dr Lambert a déposé un grief au sujet de son évaluation du rendement négative. Je n’ai pas à me pencher sur ce dossier. Les éléments de preuve relatifs au PDR, y compris l’évaluation, ne sont pertinents que dans la mesure où ils montrent que l’employeur a initialement cherché à régler les problèmes de rendement professionnel au moyen d’un processus non disciplinaire. Il est par ailleurs évident que le Dr Lambert était au fait des inquiétudes légitimes de ses superviseurs au sujet de son rendement insuffisant.

295 Le Dr Lambert a soutenu avoir eu l’impression que l’employeur l’avait dans sa [traduction] « ligne de mire » et que le choix du moment où il a été décidé de s’intéresser à son rendement était suspect, arrivant dans la foulée de la controverse au sujet de la tylosine. Compte tenu de son rôle phare auprès des médias, le Dr Lambert était situé aux premiers rangs dans l’esprit de l’employeur, ce qui n’a pas empêché ce dernier de surveiller son travail et d’insister sur son rendement. Aucun élément de preuve n’a été soumis pour montrer qu’il s’agissait d’un faux-semblant de l’employeur ou d’un exercice monté de toutes pièces. Au contraire, la preuve révèle que l’employeur avait des doutes légitimes au sujet du rendement du Dr Lambert. Par conséquent, je n’ai pas à tenir compte du moment où l’on a commencé à s’intéresser à sa situation.

296 Afin de conclure à l’insubordination, les trois éléments suivants doivent être présents : 1) preuve d’une directive ou d’un ordre précis émanant d’une personne en position d’autorité, 2) preuve du non-respect de l’ordre ou de la directive et 3) absence d’explication raisonnable pour l’omission de respecter l’ordre ou la directive.

297 Il n’y a pas de doute que les superviseures du Dr Lambert lui ont attribué des dossiers précis sur lesquels travailler au cours de la période en question. Il est aussi évident que l’employeur a cherché à faire le point sur leur état d’avancement à intervalles réguliers (je reviendrai plus tard sur les arguments relatifs à la tolérance). Les éléments de preuve sont limpides : soit le Dr Lambert a fait fi des demandes de suivi, soit il s’est engagé à remettre les dossiers terminés pour finalement ne pas respecter cet engagement. La preuve démontre également qu’il n’a pas rendu les dossiers rapidement lorsqu’on le lui a demandé. Cette preuve démontre que les superviseurs du Dr Lambert lui ont donné des directives ou des ordres clairs, auxquels il a systématiquement refusé de se conformer.

298 L’évaluation du prémélange d’Avatec, terminée le 26 mars 2002, mais soumise seulement le 6 novembre 2003, en est un exemple frappant. Le 18 juin 2002, le Dr Lambert a déclaré qu’il avait terminé et qu’il rendrait le dossier le 20 juin 2002. Il n’a fourni aucune explication pour justifier pourquoi il avait attendu environ 16 mois pour le faire.

299 L’omission de terminer une tâche assignée, habituellement un problème de rendement, devient un problème d’inconduite lorsque l’employé n’a pas l’intention de terminer le travail ou s’il n’y a pas d’explication raisonnable de ne pas le faire.

300  Il peut exister des motifs légitimes de ne pas respecter un ordre ou une directive d’un superviseur. Je me pencherai maintenant aux explications du Dr Lambert concernant son omission de terminer les tâches qui lui ont été attribuées. Tout d’abord, il soutient que cette conduite n’était pas intentionnelle; autrement dit, que cette conduite ne méritait pas l’intervention disciplinaire de l’employeur. Le Dr Lambert a admis avoir les connaissances et l’expérience requises pour mener à terme ces tâches. Ses évaluations du rendement antérieures ont également montré qu’il pouvait remplir les fonctions d’évaluateur. Les nombreux congés de maladie qu’il a pris ont pu nuire à sa productivité, mais ne justifient pas qu’il ait omis de répondre aux demandes de suivi lorsqu’il était au bureau ni qu’il n'ait pas terminé la plupart du travail qui lui avait été assigné.

301 Tel qu’il a été suggéré par le Dr Lambert aussi bien en contre-interrogatoire que dans ses arguments, les retards pourraient être dus à des problèmes de santé ou au stress, ou encore à sa difficulté à gérer les priorités. Toutefois, il n’a pas soulevé ces points auprès de l’employeur, et aucune information probante n’a été soumise à l’audience voulant que ces facteurs aient nui à sa capacité de terminer les tâches qui lui étaient assignées.

302 Des preuves démontrent que le Dr Lambert s’occupait de ses griefs et de l’enquête du BIFP pendant ses heures normales de travail, ce qui ne constitue pas un motif de mesure disciplinaire. Aucune preuve n’a été présentée voulant que le temps consacré à ces activités ait eu des répercussions négatives sur la charge de travail. Il va sans dire que ces activités étaient à la fois source de distraction et de stress, mais les problèmes avec un employeur ne peuvent servir à excuser un rendement minimal ou nul.

303 L’abandon éventuel des CEE par les enquêteurs n’est pas pertinent. Il n’en demeure pas moins que le travail a été attribué et n’a pas été terminé en un temps raisonnable. Aucun élément de preuve n’a été soumis pour justifier l’absence de suivi des présentations par les chercheurs, mais il paraît évident que l’un des principaux critères d’un CEE consiste à obtenir promptement une approbation afin qu’une étude puisse être menée au moment opportun.

304 Le Dr Lambert a soutenu que l’employeur avait l’obligation de lui trouver une formation appropriée. Dans l’évaluation du rendement, l’employeur a évoqué une formation sur la gestion des priorités et la gestion du temps. Le Dr Lambert n’a répertorié aucune formation qui l’aurait aidé avec sa charge de travail. Il n’a pas non plus recensé de problèmes pour lesquels il aurait eu intérêt à suivre de la formation.

305 Le Dr Lambert a déclaré que son comportement était toléré par l’employeur car ce dernier a attendu longtemps avant d’aborder la question avec lui. Les superviseurs ont quand même demandé au Dr Lambert de leur fournir un suivi périodique. On lui a clairement indiqué qu’on s’attendait à ce qu’il termine les tâches qui lui avaient été attribuées. Un employeur est en droit de s’attendre à ce que le travail attribué soit effectué, et ce, sans devoir faire un suivi hebdomadaire ou mensuel. Le Dr Lambert a été engagé en tant que professionnel, et l’employeur aurait dû être en mesure de le traiter comme un professionnel, et ce, sans être accusé de fermer les yeux sur le fait qu’il ne réussissait pas à terminer son travail.

306 Par conséquent, je conclus que l’employeur a démontré que le Dr Lambert avait fait preuve d’insubordination en omettant de répondre aux demandes de suivi, de rendre les dossiers sur demande et de terminer les tâches qu’on lui avait confiées.

307 Le Dr Lambert a fait valoir que l’employeur n’avait considéré comme facteur atténuant le fait qu’il avait admis, en janvier 2004, qu’il aurait dû soumettre le dossier [traduction] « des mois plus tôt ». À mon avis, c’était trop peu, trop tard et, honnêtement, c’est énoncer une évidence. Cela n’atténue d’aucune façon le fait d’avoir constamment omis de répondre aux demandes des superviseurs et de terminer les tâches qui avaient été assignées.

308 Le Dr Lambert a soutenu que la suspension de dix jours ne constituait pas une mesure disciplinaire progressive appropriée. Il a reçu une suspension de cinq jours le 12 mars 2004 pour s’être adressé aux médias et une suspension de dix jours un peu plus deux mois plus tard. J’aborderai la question du délai dans l’imposition de la mesure disciplinaire de cinq jours dans mes motifs pour les griefs associés aux propos aux médias. Cela dit, la suspension de cinq jours découlait d’activités survenues entre juillet 2002 et novembre 2003. Le Dr Lambert savait que son comportement au cours de cette période faisait l’objet d’une enquête et que l’employeur considérait ces activités comme une inconduite.

309 La situation diffère de celle en cause dans Doucette, où l’effet positif de la mesure corrective était observable (soit une meilleure assiduité). Dans le cas présent, même si le Dr Lambert ne s’était pas exprimé devant les médias depuis novembre 2003, il a continué de faire preuve d’insubordination. Lorsqu’il est question de mesures disciplinaires progressives, il importe d’examiner la nature du comportement à rectifier. Dans les deux cas d’inconduite, le Dr Lambert a omis de se conformer aux directives de l’employeur et visait sciemment à défier son autorité. Par conséquent, la mesure disciplinaire progressive retenue était appropriée.

310 Toutefois, si cette conclusion devait s’avérer erronée, j’aurais tout de même trouvé la suspension de dix jours appropriée compte tenu des longs délais avant de rendre les travaux, de l’omission d’avoir fourni des travaux déjà terminés et des efforts soutenus qu’a dû déployer l’employeur pour obtenir ces travaux.

V. Mesures disciplinaires pour s’être adressé aux médias

A. Mesures disciplinaires imposées

311 Les fonctionnaires se sont vu imposer des mesures disciplinaires pour s’être exprimés devant les médias à diverses reprises entre le 3 juillet 2002 et le 12 novembre 2003. Le Dr Chopra, la Dre Haydon et le Dr Lambert ont été suspendus durant 20 jours, 10 jours et cinq jours, respectivement. Je résumerai les activités médiatiques chronologiquement, car il est arrivé qu’une entrevue vise plus d’un fonctionnaire à la fois.

312 L’employeur a imposé des mesures disciplinaires à l’égard du Dr Chopra le 9 décembre 2003, à l’égard de la Dre Haydon, le 17 février 2004, et à l’égard du Dr Lambert, le 12 mars 2004.

313 Dans les lettres disciplinaires, l’employeur a expliqué avoir reporté l’imposition des mesures disciplinaires en raison de [traduction] « [l’]examen approfondi et exhaustif » nécessaire, et parce qu’il avait été convenu par [traduction] « décision mutuelle, d’attendre les conclusions » de l’enquête au sujet des allégations de conduite répréhensible que les fonctionnaires avaient portées devant le BIFP le 31 mai 2002. Selon les fonctionnaires, il n’y a pas eu d’entente mutuelle. Le BIFP a publié son rapport le 21 mars 2003.

B. Mesures disciplinaires antérieures

314 Le Dr Chopra et la Dre Haydon s’étaient déjà fait imposer des mesures disciplinaires pour leurs propos aux médias. Tous deux ont été sanctionnés en 1998 pour avoir évoqué dans les médias leurs inquiétudes au sujet du processus d’approbation des médicaments. Ces sanctions ont été révoquées par la Cour fédérale (Haydon no 1). La Dre Haydon a été suspendue pour une période de 10 jours pour avoir parlé aux médias de l’interdiction d’importer le bœuf du Brésil. La suspension a été réduite à cinq jours en arbitrage. Le Dr Chopra a été suspendu cinq jours pour ses propos aux médias au sujet de l’accumulation des vaccins contre la maladie du charbon. Les décisions relatives à ces affaires précisent les détails des mesures disciplinaires imposées, je n’en fournis ici qu’un bref résumé afin que l’on puisse comprendre le contexte dans lequel s’est déroulée la suite des événements.

315 En 1998, le Dr Chopra et la Dre Haydon ont été interviewés à la télévision. Tous deux se sont dits inquiets du processus d’évaluation des médicaments et de ses répercussions éventuelles sur la santé de la population canadienne. En particulier, le Dr Chopra a parlé de leurs préoccupations au chapitre de la santé et de la sécurité par rapport à l’approbation d’hormones de croissance et d’antibiotiques, indiquant qu’ils subissaient des pressions pour approuver des médicaments à l’innocuité douteuse; voir Haydon no 1, à la page 12. Dans cette décision, la Cour fédérale a exposé quelques-uns des moyens que les fonctionnaires avaient pris en vue de soulever cette question à l’interne. La Cour a également fait état des conclusions du rapport produit par un comité parlementaire concernant la STbr, une hormone de croissance, devant lequel le Dr Chopra et la Dre Haydon avaient témoigné. Voici ce qu’a écrit la Cour (page 115) :

[…]

De plus, les préoccupations au sujet du processus d'approbation des médicaments ont été soulignées par le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts (le Comité), qui avait reçu un mandat du Sénat du Canada à la suite de la controverse portant sur le produit vétérinaire STbr (une hormone de croissance). Dans son rapport provisoire, le Comité fait plusieurs recommandations, notamment que le gouvernement évalue le processus d'approbation des médicaments, pour s'assurer qu'il protège pleinement la santé et la sécurité des humains et des animaux. En fait, le Comité a fait état de préoccupations précises quant au processus d'approbation. Le Comité indiqué notamment qu'il faut permettre aux évaluateurs en matière de médicaments de Santé Canada de faire leur travail sans avoir l'impression que l'industrie ou la direction de Santé Canada les force à approuver des médicaments d'une innocuité douteuse.

[…]

316 La Cour fédérale a conclu que les propos que la Dre Haydon et le Dr Chopra ont tenus aux médias constituaient une exception à l’obligation de loyauté d’un employé envers son employeur, car ils ont divulgué « […] une préoccupation légitime d'intérêt public au sujet de l’efficacité de la procédure d’approbation des médicaments […] » (page 115). Elle a également déterminé qu’il était déraisonnable d’empêcher Dr Chopra et la Dre Haydon de s’adresser aux médias lorsqu’il existait des inquiétudes légitimes en matière de santé et de sécurité par rapport aux politiques de l’employeur. Elle a aussi déterminé que les scientifiques avaient eu raison de se tourner vers les médias et n’auraient pas dû être réprimandés (page 120).

317 En février 2001, dans une entrevue accordée au Globe and Mail, la Dre Haydon a commenté l’interdiction récente d’importer du bœuf du Brésil. Elle a affirmé que cette mesure découlait d’un différend commercial avec le Brésil et non d’une préoccupation légitime pour la santé. Elle s’est vu imposer une suspension de dix jours. Elle a contesté cette décision. En arbitrage, cette sanction a été ramenée à cinq jours (Haydon c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2002 CRTFP 10). Dans sa décision rendue le 25 janvier 2002, l’arbitre de grief a conclu que ses commentaires ne visaient pas la santé ou la sécurité publique. Cette décision a été maintenue lors du contrôle judiciaire (Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 749 (« Haydon no 2 ») et 2005 CAF 249; la demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême a été rejetée).

318 Le 25 mars 2002, le Dr Chopra a été suspendu pendant cinq jours pour ses propos aux médias relativement à l’accumulation des stocks d’antibiotiques et de vaccins contre la variole à la suite des événements notoires du 11 septembre 2001. La décision de l’arbitre de grief de rejeter le grief (2003 CRTFP 115) a été maintenue lors du contrôle judiciaire (Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 958 et 2006 FCA 295); la demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême a été rejetée).

C. Prendre la parole devant les médias

1.CTV National News (Dr Chopra, Dre Haydon et Dr Lambert, le 3 juillet 2002)

319 Le 3 juillet 2002, un reportage sur le processus d’approbation des médicaments vétérinaires à Santé Canada a été diffusé à CTV National News (pièce E-15, onglet C-1). La journaliste, Jennifer Tryon, a affirmé en introduction que quatre scientifiques se sentaient obligés d’approuver certains médicaments dont ils doutaient de l’innocuité. En entrevue, le Dr Chopra a affirmé : [traduction] « Nous sommes l’objet de moyens de pression pour approuver des médicaments à l’innocuité douteuse afin de favoriser les sociétés pharmaceutiques ». Pour sa part, la Dre Haydon a déclaré : [traduction] « Le public ignore ce qui se passe à Santé Canada, et c’est pourquoi je suis ici, pour dénoncer ces faits ». Le Dr Lambert, quant à lui, a affirmé : [traduction] « Notre poste est en jeu, mais je crois que ce qui importe, c’est la sécurité publique. »

320 La journaliste a aussi mentionné la mesure disciplinaire imposée au Dr Basudde, qui a lui aussi été cité.

321 M. Alexander, qui a également été interviewé, a déclaré : [traduction] « Le personnel de Santé Canada n’est soumis à aucune pression de la part des fabricants. » Un représentant de l’association des fabricants de médicaments sans ordonnance a reconnu que du lobbying avait été effectué et qu’il serait [traduction] « quelque peu déçu » si ces démarches n’avaient pas engendré de pressions internes pour accélérer le processus d’approbation.

322 La journaliste a conclu en précisant que les scientifiques [traduction] « dissidents » ne seraient satisfaits que lorsque le Sénat mènerait une enquête en bonne et due forme sur le processus d’approbation des médicaments.

2. Canada AM (Dr Chopra et Dr Lambert, le 4 juillet 2002)

323 Le 4 juillet 2002, le Dr Chopra et le Dr Lambert ont été interviewés lors de l’émission Canada AM. On a d’abord interrogé le Dr Chopra au sujet de l’incident ayant mené les quatre chercheurs à s’exprimer sur la place publique, ce à quoi il a répondu :

[Traduction]

[Il s’agit du] tout dernier exemple, et le pire, d’un phénomène qui persiste depuis 1996 et même avant. On a exercé des moyens de pression à tous les niveaux pour faire approuver rapidement des médicaments, dont certains que nous jugeons d’innocuité douteuse, et nous nous en sommes plaints. Nous avons écrit à nos patrons à Santé Canada. Nous avons écrit à chaque ministre depuis. Nous nous sommes adressés à divers tribunaux, et personne au pays ne veut s’occuper du problème. On ne veut s’occuper que des questions d’ordre personnel. Nous en sommes maintenant au point où, si une personne demande simplement de discuter de la question, le ministère commence officiellement à la sanctionner.

324 On a questionné le Dr Chopra au sujet de la sanction. Celui-ci a répondu : « On peut être suspendu, on peut être rétrogradé », ajoutant qu’il était aussi possible de recevoir une lettre de réprimande précisant [traduction] « que si vous n’êtes pas d’accord avec nous, ce que nous jugeons être un manque de respect, vous vous exposez au licenciement ».

325 On a invité le Dr Lambert à parler des produits d’implants avec de la tylosine. Celui-ci a expliqué qu’il n’avait pas pu approuver la présentation, car le fabricant n’avait pas soumis de lettre relativement à l’innocuité pour l’humain. Il a déclaré que parce qu’il avait soulevé la question, on l’avait retiré de son poste de chef d’équipe par intérim et [traduction] « puni ».

326 Lorsqu’il a été questionné à propos des produits d’implants avec de la tylosine, le Dr Chopra a répondu que [traduction] « ces deux médicaments sont interdits en Europe ». Il a aussi affirmé que le premier ministre était la seule personne à pouvoir [traduction] « régler le problème ».

327 On a demandé au Dr Lambert s’il croyait perdre son emploi parce qu’il s’était adressé aux médias. Il a répondu : [traduction] « Nous l’ignorons, mais je crois que ce qui importe, c’est de soulever la question sur la place publique, puisqu’il s’agit d’une question de sécurité publique que nous ne devons pas laisser passer sous silence. »

3. Lettre ouverte aux organismes vétérinaires (le 17 juillet 2002)

328 Les fonctionnaires ont envoyé à l’Association canadienne des médecins vétérinaires, à toutes les associations provinciales de médecins vétérinaires et aux ordres et organismes de réglementation provinciaux de la profession vétérinaire une lettre ouverte (pièce E-198, onglet 3) dans laquelle ils ont affirmé [traduction] « […] voulo[ir] tenter d’empêcher [leurs] superviseurs de les contraindre d’approuver une série de médicaments vétérinaires ou d’en préserver le statut sans que leur innocuité pour l’humain ait été prouvée conformément à la Loi sur les aliments et drogues et aux règlements pris en vertu de celle-ci ». Ils y mentionnaient également que ces questions posaient des risques pour la salubrité des aliments et la santé et qu’il s’agissait de [traduction] « graves sources de préoccupations » pour eux comme pour la population.

4. Lettre des fonctionnaires au sous-ministre (le 19 août 2002)

329 Le 19 août 2002, les fonctionnaires et le Dr Basudde ont écrit au sous-ministre une lettre concernant des [traduction] « plaintes pour conduite répréhensible » à laquelle étaient joints des documents (pièce E-198, onglet 2) et dont la ministre, le greffier du Conseil privé, Edward Keyserlingk (à la tête du BIFP) et le président de l’IPFPC ont reçu copie. Les fonctionnaires ont écrit :

[Traduction]

[…] [la correspondance ci-jointe] montre que les gestionnaires de Santé Canada qui répondent à ces plaintes sont parfois les personnes mêmes qui sont accusées de commettre une série d’actes répréhensibles au sein du ministère. Ils semblent être d’avis que comme le Bureau de l’intégrité de la fonction publique (BIFP) enquête sur ces questions, ils ne sont pas tenus de prendre les mesures nécessaires qui sont de leur ressort. Nous insistons : les problèmes en cause relèvent légalement de la direction de Santé Canada, qui est sous votre autorité, et non celle du BIFP. Nous considérons que cette situation nuit à l’intérêt public. Confier le règlement de ces problèmes au BIFP ne peut qu’être considéré comme une abdication par la direction des responsabilités que lui prescrivent les lois canadiennes. Nous vous prions de nous répondre sur-le-champ, aussi difficile que cela puisse être.

[…]

330 Les pièces jointes comprenaient notamment des transcriptions des bulletins d’information de CTV News et de la documentation concernant l’enquête de l’employeur.

6. CBC National News et Country Canada (Dr Chopra et Dr Lambert,
les 17 et 21 octobre 2002)

331 Le Dr Chopra et le Dr Lambert ont été interviewés pour un reportage diffusé lors de l’émission Country Canada. Des extraits de ces entrevues ont été diffusés à CBC National News comme « annonce-amorce » pour l’épisode à venir de Country Canada. Le reportage portait sur l’approbation d’un composant avec de la tylosine.

332 Le Dr Chopra a convenu avec le journaliste qu’il avait été traité de fauteur de trouble, mais que beaucoup de personnes au Canada le considéraient comme un héros. Il a affirmé que le médicament n’aurait pas dû être approuvé parce que l’entreprise n’avait fourni aucune donnée. Il a expliqué au journaliste que la présentation avait été portée à son attention en raison de son expertise particulière dans le domaine de la résistance aux antimicrobiens et que [traduction] « personne au ministère n’avait mis en doute [s]on savoir scientifique ».

333 Le Dr Chopra a précisé que les pressions pour approuver des médicaments n’émanaient pas directement des établissements pharmaceutiques, mais qu’elles découlaient plutôt du lobbying exercé auprès du premier ministre, de la ministre et du BCP. Il a déclaré que la pression se répercutaient ensuite à son niveau.

334 Le Dr Chopra a parlé au journaliste des moyens de pression subis pour approuver le Baytril, et a renvoyé au rapport Baytril – obstacles. Il a dit : [traduction] « Si on me dit d’approuver ce médicament parce qu’il est déjà approuvé aux États-Unis, je n’ai pas à scruter les données, ça s’arrête là, parce que si je le fais, je devrai mentir. »

335 En entrevue, le Dr Chopra s’est lui-même qualifié de [traduction] « dénonciateur invétéré » et a déclaré : [traduction] « Ne me demandez pas de contourner la loi. Je ne peux pas contourner la loi. »

336 Le Dr Lambert a aussi été interviewé. Il a affirmé au journaliste qu’il n’existait aucune donnée sur l’innocuité pour l’humain à l’appui de la présentation.

337 Lorsque le journaliste l’a suggéré, le Dr Chopra a nié avoir une divergence d’opinions scientifiques avec Mme Kirkpatrick. Selon lui, il ne peut pas y avoir de divergence d’opinions s’il n’y a pas de données.

338 Le journaliste a parlé de l’examen du 6 mai 2002 (pièce G-42) que Mme Mehrotra et M. Shabnam avaient effectué (ces derniers étant, selon le Dr Chopra, employés depuis relativement peu de temps à Santé Canada), indiquant que ces personnes avaient approuvé la présentation malgré leur commentaire selon lequel [traduction] « aucun résidu antimicrobien n’ayant été soumis, aucune conclusion n’a pu être tirée ». Le Dr Chopra a répondu que, selon la loi, s’il n’y avait pas de données, personne ne pouvait approuver le médicament. Selon le Dr Chopra, ses collègues et lui avaient signalé à Mme Kirkpatrick qu’il s’agissait d’un acte fautif et qu’il n’était pas en son pouvoir d’approuver la présentation.

339 Le Dr Lambert a déclaré au journaliste que l’approbation de la présentation [traduction] « défiait l’entendement » et était inacceptable.

340 Le Dr Chopra a ensuite abordé la question de la gestion du risque :

[Traduction]

Ça s’appelle la gestion du risque. Autrement dit, laissez-nous prendre des risques pour que nous fassions des profits, puis nous attendrons 20 ou 30 ans. Si des cancers surviennent, si des troubles de la reproduction se manifestent, si des gens […] trop de gens meurent en raison de la résistance aux antimicrobiens, nous y réfléchirons, puis nous gérerons cela.

341 Le journaliste a ensuite résumé les circonstances dans lesquelles on avait mis fin à l’affection intérimaire du Dr Lambert, précisant que celui-ci avait été rétrogradé et remplacé par l’une des personnes qui avaient approuvé les produits d’implant. Le Dr Lambert a indiqué que la raison invoquée pour mettre fin à sa nomination intérimaire était son manque de jugement : [traduction] « Je manque peut-être de jugement par rapport à ma carrière, mais je n’en manque pas au sujet de la santé, de la science. »

342 Le journaliste a cité une note de service qu’a adressée Mme Kirkpatrick aux Drs Chopra, Basudde et Lambert le 16 mai 2002 (pièce E-33) et qu’il a qualifiée de confidentielle. Le Dr Chopra lui a expliqué que soit Mme Kirkpatrick avait raison soit il avait raison, et qu’il reviendrait à la ministre ou au sous-ministre de trancher.

343 Le Dr Chopra a fait part au journaliste de son point de vue au sujet de Mme Kirkpatrick : [traduction] « Elle a réussi à se faire nommer directrice générale. Elle détient un doctorat en chimie physique. Elle n’est pas vétérinaire, elle n’est pas microbiologiste, elle n’est pas biologiste. Rien de tout cela. »

344 Le journaliste a cité des propos du Dr Chopra, selon lesquels de plus en plus de médicaments le mettaient mal à l’aise. Celui-ci a précisé : [traduction] « Rien ne vous arrivera demain, ni peut-être dans un an. Mais à long terme, vous serez peut-être atteint de cancer, des troubles de reproduction se manifesteront chez […] vos enfants et vos petits-enfants. »

345 Un article paru dans Le Devoir, le 22 octobre 2002, donnait un compte rendu approfondi de l’entrevue, citant certains des propos prononcés à Country Canada. La journaliste du quotidien a par ailleurs interviewé le Dr Lambert (pièce E-18, onglet D-4) :

« Il y a quelques années, la décision de ne pas permettre d’autres utilisations non thérapeutiques — comme promoteur de croissance — de cet antibiotique avait pourtant été prise compte tenu [sic] que cet antimicrobien crée de la résistance envers un autre antibiotique, l’érythromicine, employé couramment pour traiter les infections chez les enfants », souligne Gérard Lambert.

[…]

« Si nous approuvons le produit proposé par la compagnie, nous ne serons embêtés par personne, confie M. Lambert. J’ai par contre demandé une rencontre pour réévaluer le dossier puisqu'on ne semblait pas vouloir demander de nouvelles données. Mais mon geste n’a pas été apprécié par les gestionnaires. On m’a reproché de ne pas avoir l'esprit d’équipe et de manquer de jugement professionnel. J’ai finalement perdu mon poste de chef d’équipe parce que je n’appuyais pas la décision des autres. »

6. Lettre au premier ministre (le 4 novembre 2002)

346 Le 4 novembre 2002, les fonctionnaires et le Dr Basudde ont écrit au premier ministre pour lui exprimer leurs inquiétudes au sujet du processus d’approbation des médicaments (pièce E-19, onglet D-2). Ils ont fait parvenir une copie de leur lettre aux personnes et aux organismes suivants : le ministre de la Santé, le sous-ministre de la Santé, le greffier du Conseil privé, le BIFP, le président de l’IPFPC, le Conseil des Canadiens, le Syndicat national des cultivateurs, la Coalition canadienne de la santé, le Sierra Club du Canada et le Sierra Legal Defence Fund.

347 Ils y évoquaient les obligations prévues par la LAD et ses règlements, signalant que [traduction] « […] nul fonctionnaire, peu importe son rang, n’est autorisé à faire quelque compromis que ce soit », poursuivant :

[Traduction]

Or, depuis quelques années, chacun d’entre nous ainsi que d’autres personnes, avons été victimes de harcèlement et de coercition constants dans le but de nous obliger à contourner la loi et approuver des médicaments vétérinaires ou en préserver le statut malgré leurs antécédents douteux au chapitre de l’innocuité.[…]

Sachez qu’avant de vous écrire aujourd’hui, nous avons dûment exprimé, et à diverses reprises, nos inquiétudes relativement à ces problèmes à tous les paliers d’autorité gouvernementale de votre ressort, y compris toute une série de ministres et de sous-ministres de la Santé et de greffiers du Conseil privé, y compris, dernièrement, l’agent de l’intégrité de la fonction publique. Malheureusement, loin de voir la situation rectifiée par qui que ce soit, nous sommes taxés de « fauteurs de trouble » et même punis.

[…]

Par conséquent, la situation à laquelle nous et, par notre entremise, tout le peuple canadien, nous heurtons [,] Monsieur le Premier ministre, est devenue vraiment désespérée et pressante. Votre bureau est l’unique autorité à laquelle nous n'avions pas encore demandé d’intervenir dans ce dossier.

Nous sommes convaincus que vous y accorderez toute la considération nécessaire et que vous nous répondrez dès que possible.

348 Les fonctionnaires ont joint de la documentation à la lettre (pièce E-198, onglets 2 à 4). Le greffier du Conseil privé leur a répondu le 16 décembre 2002, précisant qu’il ne convenait pas qu’il commente les points évoqués dans la lettre, car ils faisaient l’objet d’une enquête du BIFP (pièce E-198, onglet 1).

7. Conférence de presse et couverture médiatique (le 18 novembre 2002)

349 Le 15 novembre 2002, Mme Kirkpatrick a envoyé un courriel aux fonctionnaires et au Dr Basudde pour les aviser qu’elle avait eu vent qu’ils devaient s’exprimer à l’occasion d’une conférence de presse prévue le lundi suivant (pièce E-19, onglet D-1). Voici ce qu’elle écrivait dans son message, envoyé à 18 h 30 :

 [Traduction]

[…]

Par nos discussions passées et par les tribunaux, vous savez qu’il faut établir un juste équilibre entre, d’une part, l’intérêt public de préserver une fonction publique impartiale et efficace, et, d’autre part, la liberté d’expression des employés. Je tiens à vous rappeler votre responsabilité en tant que fonctionnaires et employés de ce ministère. Je saisis par ailleurs l’occasion pour vous rappeler :

1)       les mécanismes qui existent pour prendre connaissance et débattre d’analyses dans le cadre du processus décisionnel portant sur des questions d’ordre scientifique et réglementaire, notamment les mécanismes internes de la DMV. À ce sujet, comme vous le savez, la DMV est dotée d’une politique d’examen par les pairs qui met de l’avant ce processus;

2)       les mécanismes en place pour signaler des problèmes personnels et s’assurer qu’ils soient abordés par les gestionnaires de la DMV et, plus officiellement, au moyen des processus appropriés de la fonction publique.

Je suis convaincue que vous garderez ce qui précède à l’esprit et remplirez vos fonctions en conséquence.

350 À la conférence de presse, Nadège Adam, représentante du Conseil des Canadiens, a présenté les fonctionnaires et le Dr Basudde (pièce E-19, onglet D-4). Elle a précisé que cette conférence avait pour but [traduction] « de dénoncer les pratiques de Santé Canada qui ont mis la santé des Canadiens en danger et d’exiger que le gouvernement intervienne ». Le Dr Chopra a parlé de la lettre que les fonctionnaires avaient envoyée au premier ministre. Il a répété que l’approbation des médicaments devait reposer sur des données et non sur des témoignages. Il a également affirmé qu’il ne parlait pas d’un seul médicament, mais du [traduction] « système dans son ensemble », et que : [traduction] « Nous devons faire notre travail, qui consiste à nous assurer que les données exigées aux termes de la Loi sur les aliments et drogues du Canada, prise en vertu du Code criminel, sont fournies. Il serait mal de falsifier des documents et de soutenir autre chose, et cela contreviendrait au Code criminel. »

351 La Dre Haydon s’est aussi exprimée à la conférence de presse : [traduction] « Nous avons tous été blessés et nous avons tous été victimes de harcèlement et de coercition. »

352 Le Dr Chopra a rapporté que l’avis de conformité sur les produits d’implant avec de la tylosine était sur le point d’être délivré, que les quatre scientifiques estimaient qu’il ne devrait pas l’être et que cette combinaison était interdite en Europe. Il a aussi fait allusion à la note de service de Mme Kirkpatrick, soutenant qu'elle avait dit que puisque le médicament était approuvé aux États-Unis, il n’était pas nécessaire de tenir une réunion pour discuter des inquiétudes des quatre scientifiques. Il a en outre mis en question l’augmentation du nombre d’évaluateurs chez l’employeur, demandant : [traduction] « Dans quel intérêt? Il n’y a rien de nouveau au chapitre des découvertes […] [des] nouveaux médicaments. »

353 Le Dr Chopra a résumé le courriel que Mme Kirkpatrick avait transmis aux quatre scientifiques le vendredi soir précédent, précisant qu’à son avis, il s’agissait [traduction] « [d’]intimidation » et [traduction] « [d’une] menace manifeste ». Selon lui, le courriel signifiait ce qui suit : [traduction] « Bien que la Cour fédérale ait jugé qu’il est de notre devoir envers la population, en tant que fonctionnaires, de le faire, on nous dit maintenant que nous devons uniquement recourir aux tribunaux ou aux mécanismes internes. »Il a affirmé qu’ils avaient épuisé tous les mécanismes internes et que les différents tribunaux avaient jugé qu’il n’était pas de leur ressort de s’occuper de la sécurité humaine.

354 À une question d’un journaliste au sujet des médicaments précis qui étaient en doute, le Dr Chopra a fourni la réponse suivante :

[Traduction]

[…] de toute évidence, il n’est question d’aucun produit précis. Nous avons dit dès le début, et nous continuons de le dire aujourd’hui, que les deux catégories de médicaments en cause sont toutes des hormones de croissance pour la viande, le lait, tout. Elles ne servent à aucun traitement thérapeutique, à ne traiter aucune maladie animale. Elles ne servent qu’à accroître la production. Il faut les interdire car elles sont cancérogènes, plusieurs sont cancérogènes, et le cancer ne se manifeste pas en un jour ni en une situation. Ils [les États-Unis] sont prêts à prendre un risque. Un cas sur un million, ça va pour faire des profits, mais il n’est pas question d’un cas sur un million, il n’est pas question d’un seul médicament, mais de plusieurs […] C’est peut-être 15 cas sur un million, c’est peut-être 20 cas sur un million, et alors […] lorsqu’on utilise ces médicaments la vie durant de ces animaux, jusqu’à la consommation, imaginez ce que nous sommes en train de faire. Le cancer, ça commence par une seule cellule. Nous ne pouvons pas déterminer quel résidu déclenchera un cancer dans une seule cellule.

355 Le Dr Chopra a ensuite parlé d’antibiotiques et de résistance aux antimicrobiens. Il a également commenté les normes de salubrité des aliments au Canada :

[Traduction]

[…] quiconque nous dit que le Canada a les normes de salubrité alimentaire […] les plus élevées est tout simplement dans l’erreur, car le seul moyen de comparer cela est de comparer le Canada à d’autres pays industrialisés. Voyez ce que font les autres pays industrialisés : en Europe, ils ont interdit ça. Si nous nous comparons aux pays les plus pauvres, on ne peut pas montrer […] qu’ils mangent des aliments malsains ou plus malsains que ceux que les Canadiens mangent.

356 La Dre Haydon a déclaré que [traduction] « c’est honteux que les deniers publics servent en fait à nuire à la population » et que les quatre scientifiques demandaient une enquête sur le processus d’approbation des médicaments.

357 La version en ligne du Globe and Mail du 18 novembre 2002 (pièce E-19, onglet D-5) citait des propos, tenus par le Dr Chopra au cours de l’entrevue qu’il avait donnée à Country Canada, au sujet de la gestion du risque.

358 Une mise à jour subséquente de l’article du Globe and Mail (pièce E-19, onglet D-6), citait également des propos de la Dre Haydon voulant que le processus d’approbation des médicaments soit en plein [traduction] « chaos ».

8. Entrevue à CFAX-AM (Dr Chopra, le 21 novembre 2002)

359 Le 21 novembre 2002, le Dr Chopra a été interviewé par téléphone à CFAX-AM, de Victoria, en Colombie-Britannique (pièce E-15, onglet F-1). À cette occasion, il a déclaré : [traduction] « Au fil des ans, peu à peu, ça s’est intensifié au point où on ne peut tout simplement plus tolérer cela. Ça nuit à la population. » Il a continué en disant ceci :

[Traduction]

[…] certains de ces médicaments, comme les hormones, causent le cancer. Nous savons qu’ils causent le cancer. […] Le monde entier convient qu’ils causent le cancer. Mais on continue de faire semblant qu’ils ne causent pas le cancer. Comment prouver que ça cause effectivement le cancer chez l’humain lorsqu’il faut attendre 20 ou 30 ans? Pourtant, il a été démontré que certaines de ces hormones pouvaient susciter le cancer, puis favoriser sa croissance. Malgré tout, ils persistent, même s’ils n’ont jamais eu de données pour prouver que ce n’était pas le cas. Et l’Europe, en conséquence, a interdit l’utilisation de toutes les hormones dans la production alimentaire.

Le deuxième problème est celui des antibiotiques. Et beaucoup de ces antibiotiques […] peuvent aussi entraîner une résistance aux antimicrobiens […] les gens peuvent devenir malades ou même mourir, et il n’y a rien pour les soigner.

360 L’intervieweur a ensuite demandé au Dr Chopra (à propos de Mme Kirkpatrick) : [traduction] « Qui est-elle et est-elle une scientifique? », ce à quoi il a répondu qu’elle [traduction] « pouvait affirmer être une scientifique », mais qu’elle n’était pas vétérinaire et qu’elle n’avait aucune expérience dans le domaine des médicaments. Il a ensuite dit :

[Traduction]

[…] c’est le genre de chose qui se passe à Santé Canada. On fait venir des gestionnaires génériques en affirmant qu’ils savent comment gérer le travail scientifique; contentez-vous de signer en bas et tout ira bien. Et si vous signez, on vous donnera une promotion; si vous ne signez pas, on vous rétrogradera, on vous humiliera, on vous congédiera, on vous suspendra, tout ce qui se passe actuellement. […]

361 En entrevue, le Dr Chopra a décrit son rôle dans le différend sur l’approbation des produits d’implants avec de la tylosine, mettant en cause les Drs Lambert et Basudde. Il a évoqué un courriel dans lequel il avait écrit que [traduction] « […] ces deux médicaments sont interdits en Europe ». Il a ensuite relaté une rencontre de Mme Kirkpatrick avec les Drs Basudde et Lambert (à laquelle il n’avait toutefois pas assisté). Il a déclaré que Mme Kirkpatrick avait décrit le langage corporel du Dr Basudde comme étant menaçant et avait appelé la sécurité. Il a aussi affirmé qu’elle avait déclaré au Dr Basudde qu’il avait besoin de soins psychiatriques et qu’elle pouvait lui recommander quelqu’un ou qu’il pouvait aller consulter un psychiatre de son choix.

362 Le Dr Chopra a affirmé que les entreprises exerçaient des pressions et qu’on demandait aux évaluateurs de médicaments de [traduction] « faire semblant de ne rien voir ». Il a ajouté qu’en raison des relations commerciales avec les États-Unis, de la pression était exercée pour approuver les médicaments provenant de ce pays. Il a par ailleurs fait allusion aux accusations portées récemment au criminel contre deux agents de l’employeur dans la foulée du scandale du sang contaminé.

363 L’intervieweur est ensuite passé à la question de l’ESB, qu’il a qualifiée [traduction] « [d’]opération de camouflage », ce à quoi le Dr Chopra a répliqué : [traduction] « Et voilà. »

364 L’intervieweur a laissé entendre qu’en tant que scientifique, le Dr Chopra pouvait soit [traduction] « […] [se] mettre au pas et faire de la politique […] soit [se] faire sanctionner ou congédier. C’est bien ça? », ce à quoi le Dr Chopra a répondu : [traduction] « Exactement. »

365 L’intervieweur lui a ensuite demandé si l’employeur ou [traduction] « toute autre personne dont [Dr Chopra] aur[ait] connaissance » était rémunéré par les établissements pharmaceutiques pour approuver des médicaments. Le Dr Chopra a répondu ce qui suit :

[Traduction]

[…] bien sûr que je n’ai aucune connaissance directe de ce genre de chose. Vous comprenez, lorsqu’il est question de corruption, on pense automatiquement à l’argent et aux pots-de-vin.

[…]

Mais de nos jours, la corruption, ce n’est pas ça. Comme nous le savons, l’industrie « point-com » a chuté, et nous avons ici la « bio point-com ». C’est à peu près la même chose.

366 L’intervieweur a demandé au Dr Chopra s’il croyait qu’il y avait beaucoup de corruption à Santé Canada. Voici sa réponse :

[Traduction]

Eh bien, en ce sens où des personnes qui ne le méritent pas, qui n’ont pas les connaissances voulues, obtiennent les postes et les conservent des années durant, et où on continue d’amener de plus en plus de gens, alors ça […] vous savez, le mot « corruption » est [un mot] technique […] car c’est un terme juridique dans ce sens-là.

[…]

[…] J’ignore s’il y a ou non de l’argent en jeu, mais les entreprises gagnent certainement de l’argent avec des produits sans utilité.

367 L’intervieweur a ensuite demandé si ce qui se passait était mal. Le Dr Chopra lui a répondu : [traduction] « Tout à fait. Ce que nous disons à la population, c’est qu’il s’agit d’actes répréhensibles. »

9. Séance d'information sur l'irradiation alimentaire (Dr Chopra, le 24 janvier 2003)

368 L’employeur et d’autres ministères ont tenu une séance d’information à l’Université d’Ottawa sur l’irradiation alimentaire. Le Dr Chopra y a assisté à titre de citoyen averti. Le 23 janvier 2003, Mme Kirkpatrick a appris qu’il serait présent et lui a envoyé un courriel (pièce E-15, onglet G-2). Elle voulait lui poser des questions quant aux circonstances de sa participation [traduction] « […] puisqu[’il] n’assum[ait] aucune responsabilité liée à la réglementation et au contrôle de l’irradiation alimentaire au sein du ministère ». Elle a aussi écrit que s’il prenait la parole à cette activité, il devrait dire de façon explicite qu’il s’exprimait à titre de particulier. Le message se terminait comme suit :

[Traduction]

Malgré ce qui précède, et comme la question vise un domaine qui relève de la responsabilité du ministère, j’aimerais vous rappeler la nécessite de voir à l’exactitude de toute remarque de votre part et je vous incite à cette fin à vous adresser à Karen McIntyre […] à la Direction des aliments. Je tiens également à saisir cette occasion pour vous rappeler vos responsabilités en tant que fonctionnaire et employé de ce ministère. Si vous avez des préoccupations au sujet des mesures ou des positions adoptées par le ministère sur cette question, vous devez les soulever à l’interne avant de le faire sur la place publique. Je serai heureuse de vous aider à cette fin.

369 À la séance d’information, le Dr Chopra a déclaré ce qui suit (pièce E-15, onglet G-3) :

[Traduction]

Je m’appelle Shiv Chopra. Je travaille à Santé Canada. Je suis vétérinaire. J’ai un doctorat en microbiologie et je suis boursier de l’OMS. J’ai demandé à m’exprimer aujourd’hui en envoyant une télécopie, comme l’indiquait l’annonce dans l’Ottawa Citizen, mais, pour quelque raison que ce soit, hier, j’ai reçu un courriel de ma directrice générale, qui m’avertissait, indirectement, que je ne devrais pas être ici […] et j’ai clairement indiqué que je suis ici pour parler […] à titre de particulier et ce qu’on me dit, c’est que je ne suis pas un particulier parce que je travaille à Santé Canada, alors je devrais soulever toute question qui me préoccupe […] au sein du ministère avant de le faire sur la place publique. Je trouve que c’est ridicule parce que peu importe où je me trouve, je suis un particulier. Donc, je vais m’exprimer, et on m’a dit expressément de dire ceci, soit que je m’exprime à titre de particulier et non parce que je travaille à Santé Canada, mais, par conséquent, je refuse de me taire. […]

370 Le Dr Chopra a ensuite formulé des commentaires à propos de l’irradiation des aliments. Il a demandé pourquoi ce procédé était employé. Il a affirmé que la présence de bactéries dans les aliments était un indice de contamination, que la source de cette contamination devait être identifiée et qu’il ne fallait pas se contenter de détruire les bactéries à l’issue du processus. Il a conclu en disant : [traduction] « Parce qu’en ce faisant, on camoufle des actes répréhensibles. »

371 Le 12 février 2003, Mme Kirkpatrick a envoyé un courriel au Dr Chopra au sujet de la séance sur l’irradiation des aliments (pièce E-15, onglet G-2) en y joignant la transcription de ces remarques. Elle y a ajouté une partie de son courriel précédent au sujet de la séance. Elle lui a expliqué qu’elle ne lui avait pas dit qu’il ne devait pas aller à la séance ni qu’il n’était pas un particulier. Elle lui a indiqué qu’elle évaluait la situation et lui donnerait la chance de formuler ses commentaires au plus tard le 19 février 2003. Il lui a répondu le lendemain en demandant de recevoir la transcription intégrale de la séance (et non seulement de ses propos) de même qu’une copie des échanges successifs survenus avec les organisateurs de l’événement. Il a terminé en précisant que toute autre demande devait être adressée à son avocat, Me Yazbeck.

10. Reportage sur la surveillance de l’ESB à CBC Radio One (Dre Haydon,
le 21 mai 2003)

372 La Dre Haydon a été interviewée à la CBC au sujet d’un cas de vache contaminée à l’ESB survenu récemment en Alberta. Dans ses propos cités, elle indiquait que les mesures préventives adoptées par le gouvernement ne suffisaient pas, car la maladie pouvait rester latente pendant aussi longtemps que 10 ans. Le reportage a renvoyé à l’avertissement de la Dre Haydon selon lequel il aurait fallu en faire davantage en 2001. Cette dernière a déclaré : [traduction] « Je suis désolée de vous dire que je vous l’avais bien dit. Et je crois que ce n’est que le début. »

11. Reportages sur l'ESB de CTV News et du Globe and Mail (Dr Chopra et Dre Haydon, le 5 juin 2003)

373 Le 5 juin 2003, la Dre Haydon et le Dr Chopra ont accordé une entrevue à CTV (pièce E-19, onglet E-2). Le reporter a mentionné que les quatre scientifiques (les fonctionnaires et le Dr Basudde) n’avaient [traduction] « pas été étonnés » du cas d’ESB. Le Dr Chopra a déclaré : [traduction] « C’était une question de temps. » À la question de savoir depuis combien de temps elle prévenait l’employeur que les aliments pour animaux propageaient l’ESB, la Dre Haydon a répondu le faire depuis février 2001. Le Dr Chopra a dit : [traduction] « Pourquoi prenons-nous ce risque? C’est si simple : on n’utilise pas ces aliments, et la maladie s’arrête. Elle ne se dissémine plus. C’est aussi simple que ça. Pourquoi ne voulaient-ils pas comprendre? »

374 En entrevue, la ministre a affirmé que c’est par le biais de leur lettre sur l’ESB que les fonctionnaires s’étaient pour la première fois adressés à elle à ce sujet. Le reporter a signalé que, en même temps, le Dr Chopra avait été suspendu trois jours après avoir envoyé la lettre. Le Dr Chopra a déclaré : [traduction] « Je n’ai aucune preuve que […] c’est dû à cela. Mais ça fait réfléchir. »

375 Un article publié dans le Globe and Mail (pièce E-19, onglet E-3) a révélé que le Dr Chopra avait écopé d’une suspension de deux semaines et d’une amende correspondant à trois mois de salaire [traduction] « […] peu après avoir insisté auprès du ministère d’interdire les aliments pour animaux qui pourraient causer la maladie de la vache folle ». Selon les rapportés du Dr Chopra, il aurait eu des doutes au sujet du moment où ont été imposées les mesures disciplinaires. L’article indiquait par ailleurs que la Dre Haydon aurait déclaré être troublée par la suspension de son collègue, car les scientifiques s’étaient conformés à la demande de l’employeur de ne pas rendre ce dossier public. Elle a également déclaré : [traduction] « Maintenant, voyez ce qui arrive lorsque nous envoyons une lettre polie à l’interne. »

12. Reportage sur l’ESB à Canada Now sur la chaîne CTV (Dr Chopra et Dre Haydon le 6 juin 2003)

376 Le 6 juin 2003, le Dr Chopra et la Dre Haydon ont été interviewés à l’émission Canada Now, à CTV, au sujet de l’ESB et de la lettre qu’ils avaient écrite à la ministre le 27 mai 2003. Après avoir résumé la lettre et expliqué les mesures successives que la Dre Haydon avaient prises pour soulever le problème, on a demandé au Dr Chopra si son raisonnement était purement anecdotique. Il a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Non. Ce sont des balivernes. Combien de temps faut-il pour vérifier que ce genre de pratiques causera effectivement la maladie de la vache folle? Cette vache avait huit ans. Combien de vaches faudra-t-il pour prouver que ça cause la maladie de la vache folle? Combien de vaches faudra-t-il faire manger aux gens pour qu’on puisse affirmer que c’est mortel? Ça peut prendre bien des années – 50 ans. Des millions de personnes, des millions de vaches. Ce n’est pas possible. La preuve est déjà là. De dire que ce n’était qu’une seule vache et qu’il nous faut des preuves, eh bien […] cette preuve, nous l’avons déjà.

377 On a demandé à la Dre Haydon s’il était juste d’interpréter son point de vue comme une interrogation sur la pertinence de prendre le risque de ne pas carrément interdire ces produits. Celle-ci a répondu par l’affirmative et a déclaré : [traduction] « Pour le bien de la sécurité publique, je crois tout simplement que nous ne devrions pas prendre ce risque. Nous avons déjà vu beaucoup de personnes mourir en Europe. »

13. Émission de Dave Rutherford (Dr Chopra et Dre Haydon, le 6 juin 2003)

378 Le 6 juin 2003, Dave Rutherford a mené une entrevue téléphonique avec le Dr Chopra et la Dre Haydon pour une émission radiodiffusée en direct (pièce E-19, onglet E-5). Le Dr Chopra a parlé de la nécessité d’imposer [traduction] « une interdiction complète, sur-le-champ » et déclaré que le Canada continuait de recourir à [traduction] « cette pratique catastrophique ». L’intervieweur a interrogé la Dre Haydon sur l’interdiction décrétée en 1997 relativement aux aliments pour ruminants; elle a fourni la réponse suivante :

[Traduction]

Je ne considère pas ça comme une véritable interdiction. Selon moi, c’est un tigre de papier. Personne ne faisait de vérifications. Comment un agriculteur peut-il savoir si les aliments qui sont passés par la fabrique d’aliments n’ont pas été contaminés par la nourriture pour poulets traitée juste avant? […] Personne ne vérifie cela. Et je ne considère pas ça comme une véritable interdiction. Une véritable interdiction doit bannir complètement toute matière dérivée de tous les types d’aliments pour animaux.

379 On a demandé au Dr Chopra et à la Dre Haydon s’ils avaient des preuves de contamination croisée ou s’ils en soupçonnaient l’existence. Le Dr Chopra a affirmé que l’interdiction de 1997 n’était pas une interdiction, mais un simple avis aux agriculteurs, ajoutant : [traduction] « Donc, ce n’est pas une interdiction. Si c’était une interdiction, nos […] inspecteurs [de l’ACIA] se rendraient sur les lieux pour les en retirer et traduiraient devant les tribunaux ceux qui font ces choses. Ce n’est donc pas une interdiction. » Il a soutenu qu’il s’agissait d’une simple mise en garde sur l’étiquette. Il a aussi indiqué que des travaux de recherche démontraient que l’ESB était présente dans plusieurs espèces animales et pourrait se transmettre de l’une à l’autre par l’alimentation, les injections et [traduction] « divers autres moyens ».

380 À propos de la lettre à la ministre du 27 mai 2003, le Dr Chopra a déclaré : [traduction] « Cela a servi d’excuse supplémentaire pour m’imposer un suspension de trois mois […] sans rémunération. »

381 Le Dr Chopra a aussi déclaré que les quatre scientifiques avaient reçu ce jour-là une lettre antidatée du SMA selon laquelle l’employeur tiendrait des discussions sur la question à une date ultérieure. Par la suite, il a déclaré : [traduction] « On est en pleine urgence nationale. Et qui se protège ici? ». Il a expliqué que la lettre était datée du 4 juin 2003, mais qu’elle n’avait été remise aux quatre scientifiques seulement après qu’ils se soient adressés aux médias. La Dre Haydon a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Vous savez, recevoir une lettre antidatée deux jours après que nous ayons parlé aux médias, c’est tout simplement inouï. Ils auraient dû nous inviter à en discuter il y a deux ans, lorsque j’ai abordé le sujet pour la première fois. Et ils ont des transcriptions. Ils ont des enregistrements de mes conversations où je soulevais toutes ces questions et toutes mes inquiétudes à l’époque. Qui dormait au gaz?

382 L’intervieweur a demandé s’il était vrai que l’ESB ne se transmettrait pas à d’autres espèces. Le Dr Chopra et la Dre Haydon ont dit que cette déclaration était fausse. La Dre Haydon a rapporté que des chercheurs britanniques avaient démontré en laboratoire que des porcs pouvaient contracter l’ESB, précisant :

[Traduction]

Fait intéressant à ce sujet, les porcs ne manifestent pas les mêmes symptômes cliniques que les vaches. Maintenant, si on incube cette maladie et qu’on la propage et l’amplifie dans la nourriture pour animaux, puis qu’ensuite cette nourriture revient aux ruminants, nous serons vraiment dans le pétrin.

383 Le Dr Chopra a expliqué à l’intervieweur comment se propageait l’ESB. Il a signalé que la Grande-Bretagne avait continué jusqu’en 2000 d’exporter vers le Canada des matières issues de ruminants. L’intervieweur a demandé à la Dre Haydon si l’ESB pouvait se transmettre à d’autres espèces. Celle-ci a convenu [traduction] « [qu’]on peut dire cela » et qu’il y avait [traduction] « énormément » d’inconnues à propos de cette maladie. Elle a soutenu que ses collègues et elles s’inquiétaient pour la sécurité humaine.

384 L’intervieweur a demandé au Dr Chopra et à la Dre Haydon s’ils s’attendaient à ce que leurs propos aient d’autres répercussions. Le premier a indiqué qu'il avait déjà été suspendu durant trois semaines et qu’on lui avait [traduction] « ordonné de s’isoler ». La Dre Haydon a répondu qu’on l’avait [traduction] « menacée de [la] déplacer et de [l’]isoler ailleurs [elle] aussi ».

14. Émission de Stirling Faux, à CHED-AM (Dr Chopra, le 4 octobre 2003)

385 Le 4 octobre 2004, le Dr Chopra a été interviewé par téléphone pour une émission radiodiffusée (pièce E-15, onglet I-1). On l’a interrogé sur le processus d’approbation des médicaments, et il a expliqué qu’on lui avait dit d’approuver des médicaments parce qu’ils avaient été approuvés aux États-Unis. Il a aussi affirmé qu’il était nécessaire d’adopter une loi sur la dénonciation, car il n’avait aucune protection. Il a dit que la pression émanait du BCP et qu’elle ne venait pas directement des entreprises.

386 Le Dr Chopra a rapporté que les fonctionnaires avaient été séparés et placés dans des immeubles différents et qu’ils n’avaient pas le droit d’accéder aux bureaux de la DMV. Il a déclaré : [traduction] « Nous ne pouvons rencontrer personne d’autre, car ils ont dit, vous parlez aux médias, alors ce n’est pas bon pour nos postes, alors vous êtes exilés. Restez seuls dans votre coin et on s’occupera de vous éventuellement. »

387 On a questionné le Dr Chopra au sujet d’une éventuelle loi sur la dénonciation. Celui-ci a dit : [traduction] « Les personnes qui font ça devraient se faire poursuivre personnellement. C’est la seule manière de mettre un frein à ces types de corruption. »

D. Faits et constatations de l’employeur

1. Reportages de CTV News

388 Le 22 juillet 2002, une réunion d’investigation a eu lieu avec Mme Dobbin a eu lieu (pièce E-15, onglets C-3 et C-4). Le 2 août suivant, celle-ci a écrit à chacun des fonctionnaires (pièce E-15, onglet C-6), soulignant qu’une demande de divulgation interne avait été effectuée auprès du BIFP et qu’aucune décision ne serait prise au sujet des propos aux médias tant que l’employeur n’aurait pas analysé les conclusions du BIFP. Elle a mentionné : [traduction] « […] nous considérons qu’il s’agit d’une question grave et avons entrepris un examen approfondi et complet à ce sujet ». Elle leur a indiqué que l’examen de leurs propos se poursuivrait.

389 Le 8 août 2002, les fonctionnaires et le Dr Basudde ont adressé une lettre à Mme Dobbin (pièce E-15, onglet C-7), soulignant que l’enquête serait reportée jusqu’à l’aboutissement de la plainte soumise au BIFP et ajoutant : [traduction] « Quoi qu’il en soit, nous considérons que ces mesures ne sont qu’un autre exemple du harcèlement constant que nous fait subir la haute direction. »

2. Commentaires aux médias à propos de l’ESB

390  Aux moyens de questions envoyées par courriel, Mme Kirkpatrick a effectué une enquête des faits au sujet des propos concernant l’ESB qui avaient été abordés dans les médias (30 juillet 2003, pièce E-19, onglet E-8). Elle a demandé quel était le fondement des propos des fonctionnaires. Elle s’est aussi informée des efforts déployés pour soulever les questions à l’interne [traduction] « […] compte tenu des mécanismes qui existent pour favoriser le débat et adresser les préoccupations ».

391 Le Dr Chopra et la Dre Haydon ont tous deux soumis leurs réponses par écrit ainsi que des documents (pièce E-15, onglet H-7, et pièce E-19, onglet E-9). Dans leur réponse respective, les deux fonctionnaires ont affirmé que ce sont les journalistes qui les avaient contactés. Ils ont déclaré que l’information recherchée était propre aux fonctionnaires et qu’elle n’aurait pas pu être fournie par un porte-parole de l’employeur.

E. Lettres de suspension

1. Points en commun

392 Les trois fonctionnaires ont reçu des lettres disciplinaires semblables. Dans la présente section, je résumerai les éléments communs à ces lettres de même que ceux qui sont propres à chaque fonctionnaire.

393 Dans ses lettres, l’employeur a souligné que les fonctionnaires comptaient parmi ses scientifiques et que la nature du poste d’évaluateur de médicaments à la DMV [traduction] « […] vise des questions d’importance pour la santé publique ». Le texte (pièce E-19, onglet A-1) se poursuivait comme suit :

[Traduction]

[…] Le poste que vous occupez est l’élément qui a rendu vos remarques particulièrement dignes d’intérêt pour les médias, qui vous ont systématiquement attribué vos propos de par vos fonctions à Santé Canada. Malgré que vous n’ayez aucun rôle officiel relativement aux dossiers en cause, vous avez continué de formuler des commentaires publics qui ont donné l’impression que vous étiez parfaitement informés et que vous vous exprimiez à titre d’autorité sur ces sujets.

[…]

394 L’employeur a aussi souligné qu’au cours des démarches de recherche des faits, les fonctionnaires ont affirmé s’être sentis contraints de s’exprimer compte tenu de leur exaspération par rapport aux processus internes. L’employeur a déclaré que les fonctionnaires : [traduction] « […] ont omis d’épuiser ces recours internes, n’ont pas attendu l’aboutissement des recours entamés et […] refusés d’accepter les conclusions (dégagées à l’issue d’une démarche scientifique en bonne et due forme) qui ne coïncidaient pas avec les [leurs]. » Les lettres mentionnaient également que les fonctionnaires avaient [traduction] « miné la confiance du public » envers l’employeur par [traduction] « […] des allégations non fondées et des énoncés erronés, et en diffusant de l’information trompeuse ».

395 L’employeur a par ailleurs déclaré dans ces lettres que les déclarations publiques en cause n’avaient aucun fondement et reflétaient : [traduction] « […] un manque de respect envers [leurs] collègues et [leurs] pairs ainsi que les personnes chargées d’évaluer et de gérer les dossiers en cause en plus de nuire à la population, qu[‘ils] affirm[aient] vouloir protéger. »

396 L’employeur a aussi conclu que les fonctionnaires n’avaient fourni aucun renseignement selon lequel leurs propos étaient appropriés pour des employés du gouvernement, ajoutant :[traduction] « […] vos actions ont témoigné d’un manque de jugement et d’objectivité et vous empêchent de remplir de façon impartiale et efficace les fonctions d’évaluateur de médicaments au sein de la fonction publique et elles ont une incidence négative sur la perception qu’en a la population. »

2. Suspension de 20 jours du Dr Chopra

397 Lorsque l’employeur a réprimandé le Dr Chopra, il s’est basé sur les propos que celui-ci avait tenus au cours de la période allant du 3 juillet 2002 au 4 octobre 2003. La lettre citait en particulier les énoncés suivants comme sources de préoccupation :

[Traduction]

a)       que vous et d’autres personnes subissiez des pressions dans le but de vous faire approuver des médicaments à l’innocuité douteuse, pressions émanant des établissements pharmaceutiques ou du Bureau du Conseil privé, et que si vous ne faites pas « semblant de ne rien voir », ou quelque chose du genre, vous êtes réprimandés;

b)       qu’il y a actes répréhensibles et camouflage;

c)       que des personnes subissent des préjudices.

De plus, vous avez tenu des propos erronés en public, par exemple, en affirmant que la tylosine est interdite en Europe, qu’il n’existe aucune donnée sur les produits à base de tylosine et que vous avez été réprimandé pour avoir exprimé votre opinion au sujet de l’ESB.

[…] Sans égard au fait que vous n’avez pas pris part à l’examen des produits à base de tylosine évoqués dans les médias, ni dans l’évaluation scientifique des présentations sur l’irradiation des aliments, et que vous n’étiez pas membre de l’équipe s’étant occupée du cas d’ESB. Vous avez persisté à formuler publiquement des commentaires qui ont donné l’impression que vous maîtrisiez pleinement ces dossiers et que vous vous prononciez avec autorité à leur sujet.

398 Dans la lettre de suspension du Dr Chopra, l’employeur a précisé que son absence du lieu de travail du 3 février au 30 mai 2003 [traduction] « constitu[ait] un autre facteur d’importance ». Pour imposer la sanction, l’employeur a aussi tenu compte du dossier disciplinaire du Dr Chopra et [traduction] « de la nature répétitive » de son comportement. Il l’a par ailleurs prévenu que toute autre inconduite [traduction] « mènera au licenciement ».

3. Suspension de cinq jours du Dr Lambert

399 En ce qui concerne la suspension de M. Lambert, l’employeur s’est basé sur les propos que celui-ci a tenus au cours de la période allant du 3 juillet au 18 novembre 2002. La lettre citait en particulier les énoncés suivants comme sources de préoccupation :

[Traduction]

a)       vous avez soutenu l’allégation non fondée selon laquelle vous et d’autres personnes « subissiez des pressions pour vous obliger à approuver des médicaments à l’innocuité douteuse afin de favoriser les sociétés pharmaceutiques »;

b)       vous avez allégué sans fondement que vous, comme d’autres personnes, aviez « été victimes de harcèlement et de coercition constants pour vous obliger à contourner la loi et approuver certains médicaments vétérinaires ou en préserver le statut malgré leurs antécédents douteux au chapitre de l’innocuité ».

De plus, vous avez tenu et appuyé des propos erronés en public, notamment que la tylosine est interdite en Europe et qu’il n’existe aucune donnée sur les produits à base de tylosine.

400 L’employeur a indiqué dans sa lettre avoir tenu compte, pour imposer la sanction, du dossier disciplinaire du Dr Lambert et de la nature répétitive de son comportement. Il l’a par ailleurs prévenu que toute autre inconduite [traduction] « […] mènera à d’autres mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement ».

4. Suspension de 10 jours de la Dre Haydon

401 En ce qui concerne la suspension de la Dre Haydon, l’employeur s’est fondé sur les propos qu’elle avait tenus entre le 3 juillet 2002 et le 6 juin 2003. La lettre citait en particulier les énoncés suivants comme sources de préoccupations :

[Traduction]

a)       vous avez soutenu l’allégation non fondée selon laquelle vous et d’autres personnes « subissiez des pressions pour vous obliger à approuver des médicaments à l’innocuité douteuse afin de favoriser les sociétés pharmaceutiques »;

b)       vous avez soutenu des allégations sans fondement selon lesquelles vous, comme d’autres personnes, aviez « été victimes de harcèlement et de coercition constants pour vous obliger à contourner la loi et approuver certains médicaments vétérinaires ou en préserver le statut malgré leurs antécédents douteux au chapitre de l’innocuité »;

c)       vous avez expressément déclaré, relativement au processus d’approbation de médicaments, que « c’est honteux que les deniers publics servent en fait à nuire à la population » et que « cette situation est en plein chaos ».

De plus, vous avez appuyé des propos erronés tenus en public, par exemple, que la tylosine est interdite en Europe, qu’il n’existe aucune donnée sur les produits à la tylosine et qu’un de vos collègues a été réprimandé pour avoir exprimé son opinion à propos de l’ESB.

402 L’employeur a indiqué dans sa lettre avoir tenu compte, pour imposer la sanction, à la fois du dossier disciplinaire de la Dre Haydon et du récidivisme dont témoignait son comportement. Il l’a par ailleurs prévenue que toute autre inconduite [traduction] « […] mènera à d’autres mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement ».

F. Arguments

1. Pour l’employeur

403 L’avocat de l’employeur a résumé la jurisprudence pertinente et appliqué aux faits soumis à l’audience les principes juridiques qui y sont énoncés.

404 Dans Fraser c. CRTFP, [1985] 2 R.C.S. 455, la Cour suprême a souligné que la liberté d’expression n’est pas une valeur absolue, mais plutôt une valeur devant être évaluée en fonction d’autres valeurs divergentes, comme l’obligation de loyauté, pour garantir une fonction publique impartiale et efficace (paragraphe 21).

405 Dans ce cas, la Cour suprême a établi qu’en général les fonctionnaires devaient être loyaux envers leur employeur (paragraphe 41). Toutefois, la liste non exhaustive qui suit énumère des situations où un fonctionnaire peut exprimer publiquement son opposition aux politiques d’un gouvernement (paragraphe 41) :

  • le gouvernement commet des actes illégaux;

  • les politiques mettent en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d’autres personnes;

  • les critiques du fonctionnaire n’ont aucun effet sur son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude.

406 La Cour suprême a statué qu’en ce qui concerne l’empêchement d’accomplir le travail précis, la règle générale veut qu’une preuve directe soit exigée. Or, cette règle n’est pas absolue. Lorsque la nature du poste est importante et délicate et que le fond, la forme et le contexte de la critique formulée sont extrêmes, on peut conclure sans preuve directe à l’empêchement.

407 La règle générale veut qu’un employé épuise tous les recours internes avant de commenter publiquement un dossier (Forgie c. Conseil du Trésor (Commission d’appel de l’immigration), dossier de la CRTFP 166-0215843 (19861119)). L’employé doit assumer le lourd fardeau de démontrer qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour soulever la question à l’interne. Il ne lui suffit pas d’affirmer avoir douté que les voies internes mèneraient au dénouement espéré. De plus, si l’employeur a entrepris d’examiner les questions soulevées, il ne convient pas qu’un employé s’exprime sur la place publique pendant que cette démarche est en cours.

408 Dans Grahn c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. no 36 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale (CAF) a établi qu’il faut étayer ses allégations pour invoquer la protection des exceptions à l’obligation de loyauté. Dans Haydon no 2, la Cour fédérale a soutenu qu’avant d’aller sur la place publique, un employé doit faire l’effort de réunir tous les faits et de donner à l’employeur la possibilité d’expliquer ou de corriger le problème. La première étape pour l’employé consiste à confirmer la véracité des faits. L’employé déroge à son obligation de loyauté lorsqu’il sait que les allégations proférées publiquement sont fausses ou qu’il ne se soucie pas d’en assurer la véracité. L’employé doit prouver que les propos qu’il a tenus publiquement étaient véridiques et raisonnablement défendables.

409 Dans Haydon no 2, la Cour fédérale a soutenu que l’arbitre de grief devait « qualifier la nature » des déclarations rapportées (paragraphe 58) : « Essayait-elle d’avertir le public d’un danger possible ou critiquait-elle simplement les actions du gouvernement […]? Dénonçait-elle un acte illégal? Exprimait-elle une opinion à titre de simple citoyenne? Parlait-elle à titre de scientifique? ».

410 Dans ce cas, l’arbitre de grief a conclu que la Dre Haydon n’avait pas alerté le public d’un danger potentiel. La Cour fédérale a également maintenu la conclusion de l’arbitre de grief selon laquelle, en raison du poste qu’elle occupait, la Dre Haydon ne pouvait être considérée à titre de simple citoyenne qui formulait une opinion. Le public tient pour acquis que des personnes comme la Dre Haydon, le Dr Chopra et le Dr Lambert sont des experts, et que l’information qu’ils transmettent sera exacte et non trompeuse. Lorsque cette information est trompeuse, elle peut causer la panique. Dans Haydon no 2, la Cour fédérale a statué que la Dre Haydon devait prouver ses allégations. Elle a aussi déclaré que ses propos ne sont pas pertinents s’ils ont été cités hors contexte par le journaliste.

411 Dans Haydon no 2, la Cour fédérale a commenté le fait que l’arbitre de grief avait omis de mentionner les répercussions des propos de la Dre Haydon sur l’accomplissement de ses tâches. Selon la Cour, ceci n’avait rien d’étonnant, puisque la Dre Haydon n’avait pas été congédiée, mais seulement suspendue. La Cour a aussi noté que les propos de la Dre Haydon avaient eu une incidence d’une part sur la perception qu’on avait de sa capacité de remplir ses fonctions efficacement et d’autre part sur la façon dont la population percevait les activités et l’intégrité de l’ACIA et de Santé Canada.

412 Dans Haydon no 2, la CAF a mis l’accent sur le fait que la Dre Haydon n'était pas membre de l’équipe scientifique chargée des questions d’ESB. Elle a aussi noté que le différend commercial en cause était alors bien connu et faisait l’objet de nombreux reportages. La Cour a par ailleurs déterminé qu’on peut conclure à l’empêchement sans qu’une preuve directe ait été soumise.

413 Dans sa décision relative à la mesure disciplinaire imposée au Dr Chopra pour ses propos sur la maladie du charbon (2003 CRTFP 115), l’arbitre de grief a souligné l’importance de vérifier les faits, un thème dont il est question dans ces griefs. Mme Kirkpatrick a avisé le Dr Chopra à deux reprises que s’il s’adressait aux médias, il devait d’abord s’assurer que ces faits étaient exacts. Toujours dans la décision relative à la maladie du charbon, l’arbitre de grief a renvoyé à des commentaires de nature hypothétique qui ne reposaient pas sur une connaissance réelle de la situation. On a souvent pu observer la même chose au cours de la présente audience. Le Dr Chopra a répété à maintes reprises que ses déclarations relevaient de sa propre interprétation ou reflétaient ce qui, selon lui, aurait pu se produire, mais il n’a soumis aucun fait à l’appui de ces déclarations.

414 La jurisprudence stipule qu’un employé ne peut présenter qu’un seul côté de la médaille. Ainsi, il ne peut affirmer que la tylosine a été interdite, car c’est une déclaration inexacte : certains des usages de ce produit ont été interdits, d’autres pas. Comme il a été dit dans la décision relative à la maladie du charbon, les commentaires en cause « […] ont une allure théâtrale, en plus d’être dérogatoires et de ne reposer sur aucune preuve » (paragraphe 97).

415 Dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision relative à la maladie du charbon, la Cour fédérale a abordé la question qu’elle avait créé dans Haydon no 1 une exception de plus à l’obligation de loyauté : « question[s] [qui] suscite[nt] un intérêt public légitime », formulation que les fonctionnaires ont employée au cours de la présente audience. La Cour fédérale a conclu que ces termes ne se voulaient qu’une description globale sous-tendant les exceptions déjà fixées dans Fraser (voir aussi Read c. Canada (Procureur général) (C.A.F.), 2006 CAF 283).

416 Dans la décision relative à la maladie du charbon, il a été conclu que le témoignage de la superviseure du Dr Chopra selon lequel les propos de ce dernier avaient accru les tensions dans leur relation professionnelle, conjugué à son attaque contre les motifs de l’État, suffisait à maintenir la conclusion d’empêchement.

417 Dans Read, la CAF a souligné que la défense de dénonciation doit être utilisée de manière responsable et qu’elle n’autorise pas un employé mécontent à violer son obligation de loyauté en common law ou son serment du secret » (paragraphe 52). Toute la jurisprudence soutient que pour se prévaloir de l’exception à l’obligation de loyauté, il doit exister un problème grave, étayé par des preuves.

418 Dans Read, la CAF a également mentionné (paragraphe 119) que les exceptions définies dans Fraser ne visaient pas à inciter les fonctionnaires à débattre de dossiers comme s’ils étaient des membres ordinaires du public ni à leur permettre de le faire, mais plutôt à leur donner le moyen d’exposer, dans des situations exceptionnelles, des actes répréhensibles du gouvernement.

419 L’avocat de l’employeur a aussi invoqué Labadie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 85, où la politique de l’employeur en matière de divulgation était en cause, comme dans les griefs qui nous intéressent. Il a souligné la ressemblance entre les propos de M. Labadie et ceux des fonctionnaires.

420 La jurisprudence démontre que les fonctionnaires auraient dû mener les démarches auprès du BIFP à terme avant de s’adresser au public.

2. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

421 L’avocat des fonctionnaires a soumis des articles et des citations d’ouvrages au sujet de la dénonciation et des caractéristiques des dénonciateurs. Après les avoir passés en revue, j’estime qu’ils ne sont pas pertinents aux griefs ici en cause. Les articles sont essentiellement une preuve sous forme d’opinion. Quoi qu’il en soit, les renseignements qu’ils contiennent ne sont pas pertinents pour juger de l’admissibilité des présents griefs.

422 L’avocat des fonctionnaires a également invoqué des affaires de dénonciation qui s’étaient déroulées aux États-Unis. Compte tenu de l’essor de la jurisprudence canadienne sur les questions dont je dois juger, il n’est pas nécessaire que je consulte la jurisprudence américaine; je n’ai donc pas résumé l’argumentation des parties à ce sujet.

423 L’expression est une liberté fondamentale au titre de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Dans une société pluraliste et démocratique, la diversité des idées et des opinions est prisée pour sa valeur intrinsèque tant pour la communauté que pour les particuliers. La liberté d’expression garantit « que chacun p[eut] manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances, en fait, « […] toutes les expressions du cœur ou de l’esprit […] », aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient-elles » (Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, et S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., 2002 CSC 8). Imposer une mesure disciplinaire à un fonctionnaire fédéral qui a usé de sa liberté d’expression revient à imposer des restrictions par rapport à une liberté fondamentale qui sont incompatibles avec le droit prévu par la Charte. L’employeur doit présenter une preuve claire et convaincante à l’appui de la violation de la Constitution et démontrer qu’il y a entrave minimale à l’exercice de ce droit. Quand une restriction est imposée à la liberté d’expression (par exemple la nécessité de prouver la véracité d’une déclaration publique ou d’épuiser les recours internes) doit être justifiée conformément aux normes strictes définies à l’article 1 de la Charte (Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, paragraphe 92).

424 Cette approche est conforme à l’intérêt public fondamental en ce qui concerne tant la divulgation d’information sur les rouages de l’État que le débat sur les questions d’intérêt public. La divulgation d’information est généralement reconnue comme l’un des éléments qui est au cœur d’une société libre et démocratique. La Cour suprême a soutenu que le public avait un intérêt essentiel à savoir comment se déroulent les enquêtes policières, même lorsque les opérations d’une force policière pourraient s’en ressentir (R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, paragraphes 50 à 52). Il en va de même pour les questions de santé publique, y compris de salubrité des aliments, comme il a été confirmé dernièrement dans Toronto Sun Wah Trading Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1091 (paragraphe 23). Les restrictions imposées aux fonctionnaires ne les affectent pas seulement, eux, personnellement, mais aussi l’ensemble de la société et de la démocratie canadienne. Dans Ministry of Attorney General, Corrections Branch v. British Columbia Government Employees Union (1981), 3 L.A.C. (3e) 140, aux paragraphes 162 et 163, l’arbitre de différends a statué que l’obligation de fidélité des employés ne les contraint pas au silence lorsqu’ils constatent des actes répréhensibles :

 [Traduction]

[…]

[…] Ni les intérêts à long terme du public ni ceux de l’employeur ne sont servis lorsque ces employés, craignant un licenciement, sont victimes d’une intimidation telle qu’ils ne portent pas les actes répréhensibles constatés à leur lieu de travail à l’attention des personnes qui peuvent les redresser.[…]

[…]

425 Tel qu’il a été mentionné dans Fraser, les employés de la fonction publique ne peuvent être des « membres silencieux de la société » compte tenu de l’importance que revêt une « […] discussion libre et franche des questions d'intérêt public » au sein des sociétés démocratiques (paragraphes 30 à 34 et 41 à 50). La Cour suprême a conclu que même si l’obligation de loyauté des fonctionnaires pouvait entraver leur liberté d’expression dans certaines situations, ceux-ci pouvaient exprimer leur opinion ouvertement et en public, y compris leur opposition aux politiques gouvernementales, dans d’autres situations. Ainsi, il n’y a plus d’obligation de loyauté lorsque l’État commet des actes illicites, que ses politiques nuisent à la vie, à la santé ou à la sécurité de l’employé ou d’autres personnes, ou que la critique n’a aucune répercussion sur la capacité de l’employé de bien accomplir son travail ni sur la perception du public à l’égard de cette capacité. La Cour suprême a aussi stipulé qu’il pourrait exister d’autres exceptions à l’obligation de loyauté.

426 Fraser constitue la première décision d’envergure traitant de la liberté d’expression des fonctionnaires, mais on ne peut l’appliquer de manière systématique, sans tenir compte des faits propres aux fonctionnaires dans la présente affaire. La décision n’a pas été tranchée en vertu de la Charte. Bien que les exceptions à l’obligation de loyauté aient été jugées conformes à la Charte (Haydon no 1), toute autre facette du jugement ne peut être appliquée que si elle résiste à un examen approfondi fondé sur la Charte. Ce même principe s’applique aux décisions qui ne sont pas fondées sur la Charte, comme Grahn. Les intérêts soupesés dans la Fraser (paragraphes 31 à 36) et dans d’autres affaires semblables ne sont plus pertinents. Au titre de la Charte, il existe un droit prima facie de s’exprimer publiquement, lequel ne peut être limité que dans les situations les plus exceptionnelles.

427 Dans Fraser, le fonctionnaire avait reçu des avertissements clairs et progressifs, ce qui n’est pas ici le cas. Dans Fraser, il était strictement question de l’efficacité à titre de fonctionnaire, car il s’agissait d’une affaire de licenciement. Dans ce cas-ci, les fonctionnaires ont continué de remplir leurs fonctions et d’exécuter les mêmes tâches. Aucun élément de preuve ne dénotait une diminution de leur rendement professionnel ou de leur efficacité. Dans Fraser, les propos publics n’étaient pas de nature professionnelle. Voilà pourquoi il n’existait pratiquement aucune preuve selon laquelle la capacité de M. Fraser d’accomplir son travail avait été compromise ou que le public doutait de sa capacité. Dans ce cas, il était approprié pour l’arbitre de grief de ne pas tenir compte de la règle générale exigeant des preuves directes d’empêchement et de s’appuyer plutôt sur la notion d’inférence. Dans l’affaire présente, cependant, il ne fait aucun doute que les propos des fonctionnaires étaient directement liés à leurs fonctions, et il revenait à l’employeur de prouver directement l’empêchement.

428 M. Fraser a attaqué de manière soutenue et très visible des politiques gouvernementales de premier plan. Ces attaques étaient extrêmes. Les propos de M. Fraser différaient nettement des propos des fonctionnaires dans le cas présent. Compte tenu de la nature des attaques de M. Fraser, ses commentaires n’étaient pas clairement d’intérêt public, ce qui n’est manifestement pas le ici, où l’intérêt public en matière de santé et de sécurité va de soi.

429 Dans l’ensemble, Fraser n’évoque pas le besoin de recourir aux processus d’examen internes ni de prouver la véracité des propos. Le fait que la Cour suprême ne se soit pas prononcée contre M. Fraser sur ces points névralgiques dénote qu’en tout état de cause, ceux-ci ne peuvent être tenus pour des exigences absolues.

430 Dans Haydon no 1, la Cour fédérale a tenu compte des répercussions de l’obligation de loyauté sur les droits que confère la Charte à un employé et déterminé que l’obligation était conforme à l’article 1 de la Charte. Elle a par ailleurs énoncé le principe général suivant au sujet de la nature de la liberté d’expression pour un fonctionnaire (paragraphe 120) : « Lorsqu’une affaire constitue une question légitime d’intérêt public et exige un débat public, l’obligation de loyauté n’est pas si absolue qu’elle viendrait interdire toute divulgation publique par un fonctionnaire. »

431 Il est clair, dans Fraser, qu’il sera toujours justifié pour un employé de s’exprimer en public si cette action n’a aucune répercussion sur son aptitude à remplir ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Autrement dit, en l’absence d’un empêchement de cet ordre, il n’est même pas nécessaire à l’employé de prouver qu’il s’agissait d’un sujet d’intérêt ou de préoccupation publics.

432 En général, il faut soumettre des preuves directes d’empêchement, surtout lorsque l’action de l’employeur entraînerait autrement une violation des droits de l’employé au titre de la Charte (un facteur qui n’était pas en cause dans Fraser). Il en va ainsi car un élément de preuve des plus clairs est nécessaire afin d’appuyer une atteinte constitutionnelle au sens de l’article 1 de la Charte, selon lequel tout droit est garanti sauf si « […] la justification [de la violation peut] se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique ». « Se démontrer » signifie que la meilleure preuve possible doit être soumise. On ne peut recourir à la déduction que dans les affaires les plus évidentes.

433 Même si des éléments de preuve révèlent un empêchement à l’accomplissement des tâches, d’autres motifs peuvent être invoqués pour justifier la critique publique, comme la nécessité de soulever des questions d’intérêt public, par exemple des actes illégaux de l’État ou des risques pour la santé et la sécurité publiques. Par conséquent, c’est une erreur de droit de se concentrer uniquement sur les effets des propos publics sur l’exécution des tâches.

434 Tous les propos tenus publiquement par les fonctionnaires visaient la santé et la sécurité du public. Ils portaient soit sur des inquiétudes précises au sujet de l’innocuité de certains médicaments, soit sur des préoccupations générales relativement à l’évaluation et à l’approbation des médicaments. Comme il ne fait aucun doute que les inquiétudes des fonctionnaires visaient la santé et la sécurité, elles relèvent directement de l’une des exceptions expressément énoncées dans Fraser. La salubrité des aliments est une question d’intérêt public majeure, comme en témoigne un examen des commentaires des médias (voir par exemple la pièce G-124) et de la jurisprudence. Haydon no 1 est déterminante pour les griefs dont il est ici question. L’employeur qualifie cette décision de jalon pour d’autres jugements, sans traiter de ses constats clés. La décision a été soutenue par la Cour fédérale, de même que par la CAF dans d’autres cas. Les motifs invoqués dans Haydon no 1 sont de première importance, car ils ont établi la norme par rapport à laquelle les fonctionnaires définissent leurs droits et obligations et parce qu’ils affirment que les propos tels que ceux ici en cause ne peuvent donner lieu à des mesures disciplinaires. Si les propos des fonctionnaires s’estimant lésés dans Haydon no 1 étaient justifiés, alors les propos en cause dans la présente affaire sont eux aussi justifiés, car ils portaient sur les mêmes sujets tout en étant plus modérés.

435 Contrairement à ce qu’a soutenu l’employeur, il n’existe aucune obligation absolue de soulever des questions à l’interne avant de porter les choses sur la place publique. La loi est claire : lorsqu’un employé a épuisé tous les recours internes, il est justifié de s’exprimer publiquement à ce sujet. Or, il n’en découle pas que l’omission d’employer les recours internes invalide automatiquement les motifs évoqués pour justifier des déclarations publiques. Recourir aux mécanismes internes n’est pas un prérequis, seulement un moyen de défense lorsque des propos publics entraînent des mesures disciplinaires. Quoi qu’il en soit, la preuve est claire : les fonctionnaires ont fait de nombreux efforts pour soulever leurs préoccupations à l’interne par divers moyens avant d’aller sur la place publique.

436 Dans Haydon no 1, la Cour fédérale a confirmé que la critique publique était justifiée lorsqu’une tentative raisonnable de résoudre la question « n’[aurait] eu aucun résultat ». Il est évident que la Cour a envisagé des situations où des arbitres de grief pourraient devoir évaluer si un mécanisme interne aurait pu donner des résultats positifs, même s’il n’a pas été employé. L’analyse du rendement passé est un des moyens de jauger du succès éventuel d’un mécanisme. L’employeur a un lourd bilan d’avoir simplement omis de prendre au sérieux les inquiétudes des fonctionnaires, même lorsque celles-ci ont été soulevées plusieurs fois.

437 Exiger de façon absolue le recours aux mécanismes internes ne peut être justifié que si l’exigence découle d’une analyse appropriée de la Charte, laquelle doit à son tour reposer sur des éléments de preuve à l’appui d’une telle restriction. Dans certains cas, la nature des propos eux-mêmes peut être telle qu’il ne serait guère logique d'avoir recours aux mécanismes internes, par exemple, lorsque les propos ne visent pas l’employeur de l’employé. Lorsque les propos ne sont pas directement dommageables pour l’employeur ou constituent un exercice légitime d’expression en public, il n’est pas nécessaire de recourir à un mécanisme d’examen interne. Exiger des employés qu’ils épuisent les mécanismes d’examen internes entraîne un risque réel et majeur que, dans certains cas, ces personnes craignent des représailles ou soient intimidées au point de ne jamais tenir leurs propos sur la place publique. Cette crainte est ici une réalité. Le BIFP a déterminé que le Dr Lambert avait été victime de représailles pour avoir soulevé ses inquiétudes à l’interne, mais Mme Kirkpatrick a répété à diverses reprises en audience qu’elle jugeait que la décision du BIFP n’était pas légitime.

438 Dans tous les cas, l’arbitre de grief doit tenir compte de la nature des propos publics en cause et des résultats qu’aurait pu produire un mécanisme d’examen interne. Contrairement à Forgie, où le fonctionnaire s’estimant lésé doutait simplement de l’efficacité des voies internes, dans l’affaire présente, les éléments de preuve révèlent que les mécanismes proposés par l’employeur et utilisés par les fonctionnaires n’étaient d’aucune efficacité. Même si les fonctionnaires ont fourni à l’employeur des preuves à l’appui de leurs inquiétudes, personne ne leur a répondu pour leur expliquer en quoi leurs inquiétudes étaient erronées ou pourquoi les décideurs de l’employeur avaient tiré une conclusion opposée. Le recours interne n’était qu’un processus à sens unique, sans dialogue ni rétroaction significative.

439 L’employeur s’est fondé sur le principe que les fonctionnaires devaient prouver la véracité de leurs propos pour éviter les mesures disciplinaires. Ce principe repose sur celui énoncé dans Grahn, qui n’est pas conforme à la Charte et que des décisions subséquentes ont renversée. La garantie de liberté d’expression veille à ce qu’un débat puisse être suscité lorsque des points de vue divergent, ce qui, finalement, donne lieu à des décisions mieux éclairées. Elle n’étouffe pas les opinions parce qu’elles pourraient être erronées. Le fait de demander d’un employé des preuves formelles de la véracité de ses allégations au lieu d’éléments de preuves à l’appui ou de motifs avec raison défendables, est trop exigeant. Il est généralement reconnu qu’une mesure disciplinaire peut être maintenue lorsqu’un employé agit frauduleusement ou de mauvaise foi. Dans le cas qui nous intéresse, rien ne permet conclure à la mauvaise foi. L’intention des fonctionnaires a toujours été d’engager un débat sur des questions importantes de santé publique et de salubrité des aliments.

440 Dans bien des cas, un employé s’exprime publiquement afin de déclencher un processus qui permettra de dégager la vérité. Dans de telles circonstances, même si l’employé a tort, il existe un intérêt public manifeste à veiller à la tenue d’un débat public en bonne et due forme sur un sujet d’importance publique. Exiger des employés qu’ils prouvent systématiquement la véracité de leurs inquiétudes aurait un effet dissuasif majeur quant à la participation au débat public sur des questions d’importance capitale. Exiger que soit prouvée la vérité en toutes circonstances ne serait pas conforme à la Charte. Souvent, il est impossible de prouver la vérité. Dans les griefs ici en cause, la nature même du débat soulevait des questions d’opinion scientifique ou médicale. Le débat est inévitable, et les éléments de preuve étayant les divers points de vue en cause ne sont pas concluants. Exiger une preuve de la vérité ferait en sorte que les employés ne pourraient s’exprimer que sur les sujets les plus clairs et les moins litigieux.

441 Dans Haydon no 1, aucune preuve absolue n’a été exigée. Dans Haydon no2, la Cour fédérale a souligné que l’exactitude ou la véracité des énoncés n’était que l’un des facteurs à considérer. La Cour a soutenu que les propos devraient généralement être « avec raison défendables » (paragraphe 48). Dans Read, la CAF n’a pas exigé de preuve absolue de vérité, mais plutôt que les inquiétudes exprimées reposent « sur une base raisonnable » (paragraphe 69). Dans le cas présent, les fonctionnaires ont établi un fondement rationnel et scientifique relativement à leurs inquiétudes. Souvent, le débat entre les fonctionnaires et leur employeur se limitait à un débat d’opinions. L’employeur s’est souvent appuyé sur des éléments de preuve recueillis après l’imposition de mesures disciplinaires pour laisser entendre que l’opinion des fonctionnaires n’avait aucun fondement scientifique, et dans bien des cas, ces derniers n’ont eu accès à ces éléments qu’à l’audience. L’employeur ne peut soutenir avoir été préoccupé par les faits (tel qu’il a été déclaré par les fonctionnaires ) alors qu’il n’en a pas tenu compte au moment opportun.

442 La position de l’employeur ne tient pas compte de l’intérêt public. L’employeur a souvent soutenu que le public était induit en erreur, sans fournir de preuve à cet effet. Le public est tout à fait capable de prendre connaissance de ce débat important, de le comprendre et d’y participer. Si la position de l’employeur devait être admise, il n’y aurait pratiquement pas de débat au sujet de ces questions importantes. Il s’agit d’un résultat inacceptable au sein d’une démocratie régie par la Charte.

443 Sauf dans quelques cas exceptionnels et bien définis, qui ne s’appliquent pas ici, il faut prouver qu’il y a empêchement direct à l’accomplissement des tâches. L’employeur ne peut pas recourir à l’inférence. Ceci est particulièrement vrai dans le cas qui nous intéresse, puisque la Charte garantit le droit des fonctionnaires de s’exprimer en public. Il ne peut être admis de déroger à un droit reconnu par la Charte que dans des cas très restreints et clairement documentés. Par conséquent, seules les preuves les plus évidentes et les plus fortes sont requises, c’est-à-dire, invariablement, des preuves directes (Gendron c. Conseil du Trésor (ministère du Patrimoine canadien), 2006 CRTFP 27). Toute déduction doit reposer sur une justification. L’employeur n’a fourni aucun motif justifiant que la déduction suffise à elle seule. Il aurait été facile de produire une preuve directe. De plus, la preuve est faite que les actions de l’employeur n’étaient pas conformes à un cas d’incidence néfaste sur les tâches, car rien n’a été fait pour aider les fonctionnaires ou pour réattribuer leur travail. Même s’il existait un élément de preuve laissant déduire à l’empêchement, cette conclusion ne permettrait pas de déterminer si les propos étaient appropriés, car ils pourraient tout de même relever de l’une ou l’autre des exceptions énoncées dans Fraser. Contrairement aux circonstances énoncées dans Fraser, les propos des fonctionnaires visaient un débat portant sur des questions d’intérêt public légitime et soulevaient des inquiétudes par rapport à des risques sérieux pour la santé et la sécurité publiques.

444 L’employeur a souligné le fait que les fonctionnaires avaient justifié leurs propos en invoquant un [traduction] « intérêt public légitime ». Les fonctionnaires reconnaissent que la CAF a clairement rejeté une interprétation de Haydon no 1 selon laquelle celle-ci définissait une nouvelle catégorie d’intérêt public légitime. Ils ont toujours soutenu que leurs propos visaient la santé et la sécurité publiques et, par conséquent, ils relevaient manifestement de l’une des exceptions reconnues à l’obligation de loyauté.

445 Le temps qu’a pris l’employeur pour imposer des mesures disciplinaires indique qu’il tolérait les actions des fonctionnaires. Il n’y avait aucune entente mutuelle consistant à attendre les conclusions de l’enquête du BIFP.

3. Réponse de l’employeur

446 Contrairement à ce que soutiennent les fonctionnaires, la liberté d’expression d’un employé est circonscrite et non illimitée. Peu importe que la question soit d’intérêt public légitime, car il ne s’agit pas là d’une des exceptions à l’obligation de loyauté. Il n’incombe pas à l’employeur de prouver l’innocuité des médicaments. Il revient aux fonctionnaires de démontrer que leurs propos correspondent à l’une des exceptions énoncées dans Fraser.

447 Il ne suffit pas aux fonctionnaires de justifier leurs propos aux médias par leur insatisfaction face aux recours ou au processus d'enquête à leur disposition. Ils étaient tenus de mener le processus interne (ici, l’enquête du BIFP) à son aboutissement. Ils auraient pu demander à Mme Kirkpatrick de soumettre le dossier au CEDS, ce que l’employeur n’était pas obligé de suggérer.

448 Aucun élément de preuve n'a été soumis en audience pour démontrer que la tylosine ou les hormones bovines sont dangereuses. Il ne suffit pas de croire à la légitimité de ces allégations pour satisfaire aux critères d’admissibilité relatifs à une exception à l’obligation de loyauté : celles-ci doivent être étayées par des faits. Il ne suffit pas d’être de bonne foi pour justifier le fait de s’adresser aux médias. Qu’une question relève du domaine public n’autorise pas un employé à tenir des propos sur la place publique à son sujet.

449 Critiquer la qualification de Mme Kirkpatrick ne constitue pas une exception à l’obligation de loyauté.

450 L’employeur n’a rien toléré. On a prévenu les fonctionnaires à maintes reprises à propos des conséquences de s’adresser aux médias. Un arbitre de grief doit analyser le temps qu’a mis l’employeur à imposer la mesure disciplinaire ainsi que les raisons et les répercussions de cette décision dans le contexte des faits et des circonstances en cause. Il faut juger les raisons de ce délai qu’invoque l’employeur à l’aune du préjudice qu’en ont souffert les fonctionnaires. Il n’y a pas eu préjudice dans ce cas-ci.

4. Arguments relatifs à Tobin (CF et CAF)

451 À l’issue des arguments verbaux, les parties ont préparé des arguments écrits relativement à deux précédents invoqués par l’employeur : Canada (Procureur général) c. Tobin, 2008 CF 740, et Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 254.

452 L’employeur m’a renvoyé à Labadie, où l’arbitre de grief a invoqué la décision de la Cour fédérale dans Tobin comme cas d’espèce relativement à l'obligation de prouver l’atteinte à la réputation d’une organisation (paragraphes 219 et 220). Dans cette affaire, l’arbitre de grief a déduit que la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé avait nui à la réputation de l’employeur. Dans les deux décisions liées à Tobin, la Cour fédérale et la CAF ont invoqué les critères énoncés dans Fraser.

453 L’employeur a soutenu que la CAF considérait que, dans certaines situations, des actes précis pouvaient discréditer une institution fédérale. Pour juger de cette conduite, il faut du bon sens et un jugement équilibré plutôt que des données empiriques.

454 Les fonctionnaires ont allégué que les décisions liées à Tobin n’étaient pas pertinentes aux griefs qui m’ont été présentés. Les fonctionnaires se sont appuyés sur Fraser quand ils ont invoqués les arguments concernant la question de la preuve d’incidence néfaste. Tobin ne changent rien aux principes fondamentaux énoncés dans Fraser. Tobin ne modifie pas la norme qui s’applique dans cette affaire, soit que l’employeur doit proposer une justification solide pour recourir à des preuves indirectes d’empêchement. Selon la CAF, la question en litige en ce qui concerne Tobin relevait du fait que l’arbitre de grief avait établi une norme trop sévère. Ce n’est pas le cas ici, car les motifs invoqués pour les licenciements se démontrent au moyen de preuves directes. La Cour a par ailleurs reconnu l’atteinte à la réputation à titre de preuve directe dans certaines situations (paragraphe 60).

455 Les fonctionnaires ont soutenu que Labadie ne s’appliquait qu’aux faits alors en cause. De plus, cette décision n’ajoute rien à la jurisprudence, d’autant plus qu’elle a été rendue publique avant la décision de la CAF relativement à Tobin. Par ailleurs, il appert que la nécessité de produire des preuves directes n’a même pas été soulevée dans Labadie, l’arbitre de grief a simplement fait une inférence sans en justifier la nécessité.

456 Les fonctionnaires ont aussi soutenu que Tobin et Labadie traitaient d’atteintes à la réputation de l’employeur. À l’opposé, dans les griefs ici en cause, la position de l’employeur repose moins sur les répercussions sur sa réputation que sur l’effet sur la capacité des employés de remplir leurs fonctions. Par conséquent, Tobin et Labadie sont distincts, car ils traitent de circonstances où il était fondamentalement plus difficile de défendre le point de vue de l’employeur. Dans la présente affaire, la règle générale selon laquelle il faut présenter des preuves directes continue manifestement de s’appliquer, et l’employeur n’a pas fourni de raison légitime d’y déroger.

G. Motifs

1. Considérations préliminaires

a. Tolérance

457 Les fonctionnaires ont allégué qu’étant donné le délai précédant l’imposition des mesures disciplinaires, l’employeur tolérait leur comportement. Il était clair pour les fonctionnaires que l’employeur s’inquiétait de leurs propos aux médias. Des enquêtes ont été menées pour recueillir des faits. Même si les fonctionnaires n’ont pas convenu d’attendre les conclusions de l’enquête du BIFP, il s’agissait pour l’employeur d’une raison légitime de repousser la question des sanctions; voir Stewart v. Public Service Staff Relations Board,[1978] 1 F.C. 133 (C.A.).

b. Législation relative à la dénonciation publique

458 Deux grandes valeurs doivent être prises en considérations lors de l’analyse des paramètres régissant les propos tenus publiquement par des employés de la fonction publique. La liberté d’expression est une valeur fondamentale qui a été reconnue par la Charte. Les employés, en tant qu’individus, ont le droit de s’en prévaloir. L’autre valeur en cause est l’obligation de loyauté que doit tout employé à son employeur. Pour les employés de la fonction publique, ce devoir est de première importance, car il favorise l’intérêt public en garantissant une fonction publique impartiale et efficace (Fraser, paragraphe 42).

459 Il a été jugé que l’obligation de loyauté du personnel de la fonction publique constitue une limite raisonnable à la liberté d’expression au titre de la Charte (Haydon no 1 et Read, paragraphe 109).

460 Fraser a défini les exceptions à l’obligation de loyauté d’un employé de la fonction publique (et du moment où il lui est permis de tenir des propos publics), lesquelles doivent être retenues 1) en présence d’actes illicites, 2) lorsque des politiques nuisent à la vie, à la santé ou à la sécurité du public ou 3) quand il n’y a aucune répercussion sur la capacité de l’employé de bien accomplir son travail. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive. La CAF a statué que le fait pour une question d’être d’intérêt public ne suscite pas automatiquement une exception. Dans Read, la CAF a clairement rejeté une telle exception (paragraphe 120) lorsqu’elle a soutenu que Fraser n’avait pas créé d’exception qui permettait aux employés de la fonction publique « […] d’exprimer tous leurs doutes ou désaccords à propos de politiques gouvernementales et d’activités ministérielles ». Elle a également déclaré ce qui suit (paragraphe 119) :

[…] une telle exception à l’obligation de loyauté […] n’est pas justifiée. Il importe de se rappeler que l’objet des exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser, précité, n’est pas d’encourager ou d’autoriser les fonctionnaires à débattre de questions comme s’ils étaient des membres ordinaires du public, libres de responsabilités envers leur employeur. D’après moi, l’objet des exceptions est plutôt de permettre aux fonctionnaires de dévoiler, dans des circonstances exceptionnelles, des actes répréhensibles du gouvernement. Il me semble que les exceptions sont assez larges pour permettre aux fonctionnaires de s’exprimer dans les cas où la divulgation doit avoir préséance sur l’obligation de loyauté.

461 Le poste d’un employé ainsi que sa visibilité est un facteur pertinent pour établir le juste équilibre entre la liberté d’expression et l’obligation de loyauté. Dans la présente affaire, les fonctionnaires occupaient des postes névralgiques qui avaient quelque visibilité, et le public serait porté à accorder une certaine crédibilité à leurs propos (Haydon no 2, paragraphe 61).

462 Peu importe ce que les fonctionnaires désiraient exprimer aux médias : comme il l’a été écrit dans Haydon no 2, ce sont leurs commentaires tels qu’ils ont été diffusés qui sont pertinents (paragraphe 62).

463 Certains des points soulevés par les fonctionnaires concernaient la santé et la sécurité de la population. Plus précisément, les inquiétudes relatives aux pressions visant l’approbation de médicaments, à l’ESB et à la résistance aux antimicrobiens concernent en effet la santé et la sécurité publiques. Or, toutes les questions de santé et de sécurité publiques ne justifient pas une dénonciation par des employés du gouvernement sur la place publique. Il est implicite dans les exceptions à l’obligation de loyauté que l’inquiétude en cause ne doit pas déjà être présente dans la sphère publique ni traitée par quiconque à titre de problème pressant de santé ou de sécurité publiques. Comme il est indiqué au paragraphe 58 de Haydon no 2, il faut se demander si l’employé alerte la population à un danger potentiel ou ne fait que critiquer les actions du gouvernement. Les éléments évoqués par les fonctionnaires relevaient déjà de la sphère publique et faisaient déjà l’objet d’un débat public. De plus, le gouvernement prenait des dispositions concrètes à l’égard de l’ESB et de la résistance aux antimicrobiens. À diverses occasions, la Dre Haydon et le Dr Chopra avaient déjà parlé des pressions visant l’approbation de médicaments. Ces propos avaient d’ailleurs fait l’objet d’un litige antérieur, qui a mené à la décision de Haydon no 1. Un comité sénatorial avait lui aussi traité de ces allégations. Un débat public sévissait en outre au sujet de l’ESB, et le gouvernement prenait des mesures pour atténuer les risques dans ce dossier. La résistance aux antimicrobiens suscitait elle aussi un débat public et avait été soumise à une enquête approfondie du comité consultatif McEwan, qui a formulé des recommandations qu’examinaient l’employeur et d’autres ministères. La population avait entendu parler du danger éventuel que posaient l’ESB et la résistance aux antimicrobiens; les propos des fonctionnaires n’étaient que des critiques relativement aux approches ou aux mesures gouvernementales en rapport avec ces questions.

464 On attend d’un employé qu’il soulève d’abord à l’interne ses inquiétudes au sujet d’actions de son employeur. Tel qu’il est indiqué dans Haydon no 2 (paragraphe 47), l’employé loyal donne à son employeur une possibilité raisonnable de rectifier le problème. Haydon no 1 a évoqué à deux reprises l’obligation d’employer les recours internes en premier. La Cour fédérale a stipulé au paragraphe 112 que la critique publique était justifiée lorsqu’une tentative raisonnable de résoudre le tout à l’interne n’avait eu aucun résultat et, au paragraphe 120, qu’en général, elle était justifiée lorsque les tentatives raisonnables de le faire n’avaient eu aucun résultat. Les fonctionnaires ont cherché à soutenir, sur une base rétrospective, que leurs inquiétudes n’ayant pas été apaisées à leur satisfaction, ils étaient libres de critiquer l’employeur sans devoir attendre l’aboutissement des diverses démarches (p. ex. l’enquête du BIFP). C’est au moment où est commis l’acte fautif allégué qu’il faut évaluer l’éventualité d’une résolution interne positive. Dans le cas présent, les fonctionnaires savaient que le BIFP enquêtait sur leurs assertions de pressions indues. Bien que l’obligation de recourir aux mécanismes internes ne soit pas absolue, la disponibilité de ceux-ci doit être prise en considération. Les fonctionnaires n’ont pas attendu de nouvelles du BIFP en ce qui concerne l’ampleur de son enquête ni d’avoir une idée de l’évolution de cette dernière.

465 Il faut généralement établir une preuve directe de l’empêchement à remplir les fonctions associées à un poste, mais il ne s’agit pas d’une exigence absolue (Fraser). Si le poste est de nature à la fois névralgique et sensible et que le fond et la forme des propos publics sont excessifs, on peut conclure à l’empêchement (paragraphes 47 et 48 de Fraser). Dans Fraser, la critique à l’égard de l’employeur, de plus en plus dérogatoire, s’est poursuivie sur une longue période. M. Fraser avait commencé à porter atteinte à la réputation de certaines personnes et à l’intégrité du gouvernement. La Cour suprême a qualifié ses critiques de « cinglantes et [d] injurieuses »; ce même constat s’applique aux griefs ici en cause : les propos des fonctionnaires se sont faits de plus en plus injurieux, surtout ceux du Dr Chopra et de la Dre Haydon.

466 Il existe cependant des preuves directes d’empêchement. Dans Chopra (2006 CAF 295, paragraphe 12), la CAF a statué que les éléments de preuve de Mme Kirkpatrick, selon lesquels les propos tenus publiquement par le Dr Chopra avaient accru les tensions dans leur relation professionnelle, conjugués au fait pour celui-ci d’avoir mené un procès d’intention à l’égard du gouvernement, suffisaient pour maintenir le constat d’empêchement. Au paragraphe 68 de Read c. Canada (Procureur général), 2005 CF 798, la Cour fédérale a souligné que lorsqu’un membre important d’une unité de travail conteste l’autorité du chef de celle-ci, il nuit au fonctionnement de l’unité, ce qui signifie qu’il y a présomption d’inconduite. Dans Chopra (2005 CF 958), la Cour fédérale a posé en principe que les preuves selon lesquelles la conduite d’un employé a donné lieu à des relations conflictuelles avec le superviseur de celui-ci constituaient un facteur pertinent. Il existe une multitude de preuves à l’appui de la relation tendue qu’entretenait chaque fonctionnaire avec Mme Kirkpatrick. De plus, le fait pour les collègues des fonctionnaires d’avoir déposé une plainte de harcèlement contre eux en raison de leurs propos tenus en public témoigne des relations difficiles qui sévissaient au travail.

467 Les fonctionnaires ont maintenu que comme leurs propos tenus en public n’avaient pas mené à la perte de leur emploi, l’employeur ne pouvait alléguer qu’il y avait eu empêchement à l’accomplissement de leurs tâches, une interprétation des faits que les arbitres de grief et les tribunaux n’ont pas admise. L’empêchement d’accomplir les tâches associées à une fonction est réversible. Les employés en situation d’empêchement peuvent être réhabilités. Dans le cas présent, l’employeur a déterminé que l’empêchement n’était pas permanent et a imposé des mesures disciplinaires au lieu de procéder à des licenciements.

468 J’analyserai maintenant les propos de chaque fonctionnaire.

2. Décisions visant les griefs relatifs à la dénonciation

a. Dr Lambert

469 Le Dr Lambert a commenté le processus d’approbation des médicaments lors du bulletin de nouvelles du 3 juillet 2002 (pièce E-15, onglet C-1), signalant que la sécurité publique était importante et que l’emploi des fonctionnaires était en péril. Dans une entrevue diffusée le 4 juillet 2003, il a affirmé qu’il n’avait pas pu approuver la tylosine en raison du manque de données sur l’innocuité du produit pour l’humain et qu’on lui avait retiré son poste par intérim pour le punir du fait qu’il avait soulevé la question. Il a répété ces propos au cours d’entrevues données à la CBC et au journal Le Devoir respectivement les 21 et 22 octobre 2002.

470 Le Dr Lambert pouvait avoir raison d’évoquer dans les médias l’approbation imminente de la tylosine en raison des inquiétudes qu’elle suscite sur le plan de l’innocuité pour l’humain. Toutefois, sa déclaration selon laquelle aucune donnée n’avait été fournie quant à cette innocuité était trompeuse, car des données avaient bel et bien été soumises, même s’il ne les avait pas jugées satisfaisantes. Ses allégations concernant la fin de son affectation par intérim étaient prématurées puisqu’il avait déjà enclenché auprès du BIFP des démarches internes comprenant une analyse des faits (lesquelles ont fini par confirmer qu’il avait été victime de représailles pour avoir évoqué la question de l’innocuité pour l’humain). Même s’il n’est pas toujours nécessaire de recourir aux processus internes avant de se tourner vers les médias, l’existence d’un tel processus est un facteur dont il faut tenir compte dans le cadre d’un grief comme celui-ci. Bien que les doutes du Dr Lambert quant aux raisons pour lesquelles on avait mis fin à son intérim se soient avérés fondés, le fait qu’il ait traité de la question publiquement avant qu’elle n’ait été analysée en profondeur (et peut-être résolue) joue en faveur de l’imposition d’une mesure disciplinaire.

471 Le Dr Lambert a assisté à la conférence de presse du 18 novembre 2002. Il ne s’y est pas exprimé, mais les organisateurs l’ont présenté. On peut conclure que sa présence témoignait de son appui à la conférence, qui visait, selon ses organisateurs, à [traduction] « dénoncer les pratiques de Santé Canada qui ont mis la santé des Canadiens en danger ». L’appui qu’il a manifesté à cet énoncé et aux allégations connexes justifie également l’imposition de mesures disciplinaires. Le thème de la conférence de presse était que la santé des Canadiens courait un risque immédiat. La présence de quatre scientifiques de Santé Canada, dont le Dr Lambert, conférait de la crédibilité aux groupes d’intérêt public, dont les inquiétudes, bien que légitimes, ne correspondaient pas à une urgence publique.

472 Le Dr Lambert s’est vu imposer une suspension de cinq jours, ce qui paraît raisonnable pour une première intervention disciplinaire. Celui-ci aurait dû attendre l’aboutissement du processus interne du BIFP avant de commenter les raisons pour lesquelles on avait mis fin à sa nomination intérimaire. Il a par ailleurs corroboré des accusations incendiaires au sujet du danger que courait le public, que n’étayait aucun élément probant. La mesure disciplinaire était en outre convenable compte tenu des sanctions qui ont été imposées aux autres fonctionnaires, car le Dr Lambert s’est moins exprimé qu’eux sur la place publique.

b. Dre Haydon

473 En entrevue le 3 juillet 2002, la Dre Haydon a dit s’exprimer parce que le public [traduction] « ignore ce qui se passe à Santé Canada ». À la conférence de presse du 18 novembre 2002, elle a affirmé que [traduction] « c'est honteux que les deniers publics servent en fait à nuire à la population » et que le système d’approbation des médicaments était [traduction] « en plein chaos ». Les groupes d’intérêt public qui parrainaient la conférence ont exploité sa présence et celle des autres fonctionnaires pour conférer de la crédibilité à leurs inquiétudes au sujet du système d’approbation des médicaments. Il ne convient pas que les employés du gouvernement se laissent instrumentaliser ainsi. De plus, aucun élément de preuve n’étayait l’allégation de la Dre Haydon selon laquelle le système d’approbation des médicaments était [traduction] « en plein chaos », un énoncé inutilement incendiaire.

474 Dans son entrevue du 5 juin 2003, la Dre Haydon s’est dite troublée par la suspension imposée au Dr Chopra, précisant, au sujet de l’ESB : [traduction] « Maintenant, voyez ce qui arrive lorsque nous envoyons une lettre polie à l'interne ». Aucun élément de preuve n’a appuyé la thèse voulant que le Dr Chopra ait été suspendu pour avoir corédigé cette lettre. Plutôt, il l’a été pour avoir refusé d’accepter la résiliation de son entente de télétravail. Une telle opinion, lorsqu’elle est exprimée publiquement, doit s’appuyer sur des preuves.

475 Dans son entrevue du 6 juin 2003, la Dre Haydon a soutenu qu’on les avait [traduction] « menacé[s] », les autres fonctionnaires et elle, [traduction] « de [les] déplacer et de [les] isoler » parce qu’ils avaient soulevé la question de l’ESB. Or, les preuves démontrent que ce sont la plainte de harcèlement qu’ont déposée les fonctionnaires et celles qu’ont soumises leurs collègues à leur égard qui sont à l’origine de leur réinstallation dans d’autres bureaux.

476 En entrevue, le 21 mai 2003, la Dre Haydon a affirmé avoir prévenu l’employeur du risque relatif à l’ESB. Dans son entrevue du 6 juin suivant, elle a lancé que le Canada ne devrait pas prendre de risque en ce qui concerne les ruminants et que [traduction] « beaucoup de personnes [étaient] mo[rtes] en Europe », ce qui laisse entendre qu'à défaut de prendre acte des avertissements des fonctionnaires, beaucoup de gens décéderaient au Canada. Elle a aussi déclaré que le gouvernement [traduction] « dor[mait] au gaz » et n’agissait pas dans le dossier de l’ESB. Elle a expliqué que cette dernière pouvait se transmettre d’une espèce à l’autre. Pourtant, l’ESB ne relevait pas de ses responsabilités d’évaluatrice de médicaments. La Dre Haydon s’insérait dans le débat public sur cette question, et son statut de vétérinaire travaillant pour le gouvernement fédéral donnait du poids à ses propos. Toutefois, son travail ne lui avait conféré aucun savoir précis sur les effets de l’ESB ni sur les mesures adoptées par l’ACIA. En fait, le gouvernement mettait en œuvre diverses mesures, mais elles ne correspondaient pas à celles qu’elle et le Dr Chopra et auraient choisies et n’étaient pas appliquées aussi vite qu’ils l’auraient voulu. Rien ne soutient la déclaration catégorique de la Dre Haydon selon laquelle l’ESB peut se propager d’une espèce à l’autre.

477 En entrevue le 6 juin 2003, la Dre Haydon a par ailleurs accusé sans preuve l’employeur d’avoir antidaté une lettre à propos de l’ESB (pièce E-19, onglet E-5). Il s’agit d’une allégation que ne soutient aucun élément de preuve et qui ne visait aucunement la santé ou la sécurité publique.

478 La Dre Haydon s’est vu imposer une suspension de 10 jours. Compte tenu de mes constatations au sujet de ses propos tenus en public, j’estime que c’est justifié. Cette sanction faisait suite à une suspension de cinq jours, également imposée pour des propos aux médias. Ce simple fait me suffit pour juger appropriée une suspension de 10 jours pour un comportement de même nature.

c. Dr Chopra

479 Dans des entrevues diffusées les 3 et 4 juillet 2002, le Dr Chopra a expliqué que des pressions étaient exercées pour que des médicaments [traduction] « à l’innocuité douteuse » soient approuvés et, faisant allusion au problème du Dr Lambert avec la tylosine, que demander de discuter du processus d’approbation [traduction] « entraîn[ait] des sanctions ». Il a laissé entendre que de soulever des questions de cet ordre pouvait donner lieu à une rétrogradation, à une suspension ou à un licenciement. Le BIFP menait une enquête sur les circonstances qui avaient mené à la décision de retirer le Dr Lambert du poste de chef d’équipe par intérim. Le Dr Chopra n’aurait pas dû discuter de ce dossier, qui n’en était qu’à ses premières étapes. Rien ne soutient son allégation selon laquelle soulever des questions pouvait entraîner une rétrogradation, une suspension ou un licenciement.

480 Dans son entrevue d’octobre 2002 à la CBC, le Dr Chopra a affirmé que les pressions pour approuver des médicaments découlaient indirectement du lobbying qu’exerçaient les fabricants de médicaments auprès du premier ministre, d’autres ministres et du BCP. Il a aussi soutenu qu’on lui enjoignait d’approuver des médicaments parce qu’ils avaient déjà été approuvés aux États-Unis et qu’on lui avait dit qu’il n’avait pas besoin de consulter les données. Il n’a produit aucune preuve à l’appui de ces allégations. On lui a plutôt demandé de tenir compte de l’approbation qu’ont obtenue les produits aux États-Unis et de tirer ses propres conclusions. Je ne trouve aucune preuve selon laquelle on aurait dit au Dr Chopra de ne pas analyser les données.

481 Dans ses entrevues des 3 et 4 juillet 2002, le Dr Chopra s’est montré catégorique sur l’interdiction de la tylosine en Europe. Les éléments de preuve ont montré que bien que les usages non thérapeutiques de ce produit y aient été interdits, la tylosine y demeurait permise à des fins thérapeutiques. À la conférence de presse de novembre 2002, le Dr Chopra s’est montré plus précis en déclarant que c’est la combinaison de médicaments contenue dans l’implant à la tylosine qui avait été interdite en Europe.

482 Dans son entrevue d’octobre 2002, le Dr Chopra a indiqué que le fabricant n’avait fourni aucune donnée sur la tylosine; pourtant celui-ci l’avait fait, mais ces données n’étaient pas appropriées selon le Dr Chopra et les autres fonctionnaires.

483 Au cours de la conférence de presse de novembre 2002, le Dr Chopra a soutenu que l’approbation de la tylosine contrevenait au Code criminel, L.R.C., 1985, ch. C-46, et que le Canada n’était pas doté de normes élevées en matière de salubrité des aliments, le comparant à des pays du Tiers Monde. En affirmant que l’approbation de la tylosine contrevenait au Code criminel, le Dr Chopra sous-entendait que le gouvernement avait eu une conduite criminelle, ce qui n’était appuyé par aucune preuve. Au mieux, il aurait pu soutenir que les actions de son employeur dérogeaient à la LAD et aux règlements pris en application de celle-ci. De même, il n’a aucunement prouvé son allégation selon laquelle les normes de salubrité des aliments du Canada se comparaient à celles en vigueur dans le Tiers Monde. Cette remarque sans fondement est désobligeante envers le système canadien de salubrité des aliments.

484 Dans son entrevue diffusée le 21 novembre 2002, le Dr Chopra a comparé les pressions exercées en vue de l’approbation des médicaments aux accusations au pénal déposées à l’issue du scandale du sang contaminé. Encore une fois, rien ne démontre une conduite criminelle de la part du gouvernement; ce propos était aussi trompeur qu’incendiaire.

485 Dans son entrevue du 21 novembre 2002, le Dr Chopra a convenu avec l’intervieweur qu’il existait un exercice de camouflage dans le dossier de l’ESB. Il s’agit d’une allégation grave qui n’est soutient par aucune preuve.

486 Dans la même entrevue, on lui a demandé si les fabricants payaient certaines personnes pour qu’elles approuvent des médicaments. Il s’agirait de pots-de-vin, une grave accusation de malfaisance du gouvernement. Le Dr Chopra ne s’est pas montré catégorique. Il a d’abord indiqué ne pas avoir directement eu connaissance de tels cas et que lorsqu’il est question de corruption, la plupart des gens pensent aux pots-de-vin, mais que [traduction] « de nos jours, la corruption, ce n’est pas ça », qualifiant le mot « corruption » de [traduction] « technique ». Il a sous-entendu que des employés de Santé Canada avaient obtenu leur poste grâce à la corruption. Il a dit ne pas savoir si des sommes étaient en cause. Le manque de précision qui marquait les propos du Dr Chopra pouvait laisser l’auditeur moyen se demander si des enveloppes brunes étaient en jeu. De plus, celui-ci a soutenu que c’était en raison de la corruption que des personnes non qualifiées avaient obtenu un poste d’évaluateur de médicaments. Il n’avait aucune preuve à l’appui de son allégation selon laquelle ses collègues n'étaient pas qualifiés, et rien ne lui permettait de conclure que leur nomination résultait de la corruption, quelle qu’en soit la définition.

487 À la séance d’information sur l’irradiation des aliments, le 24 janvier 2003, le Dr Chopra a laissé entendre que cette technique servait à camoufler des actes répréhensibles. La notion de « camouflage » est lourde de sens et il n’était pas approprié d’y recourir, car rien n’appuie l’allégation.

488 À l’entrevue d’octobre 2002 à la CBC, le Dr Chopra a lancé que Mme Kirkpatrick [traduction] « a réussi à se faire nommer » à son poste et qu’elle [traduction] « n’[était] pas vétérinaire ». Il a aussi déclaré, à la conférence de presse de novembre 2002, que Mme Kirkpatrick avait menacé les fonctionnaires dans le courriel qu’elle leur avait envoyé avant l’activité. Il a par ailleurs mis en doute la qualification de celle-ci. Il a décrit une réunion entre Mme Kirkpatrick et le Dr Basudde à laquelle il n’avait pas assisté. Dans toutes ces situations, il a eu des propos négatifs sur la place publique au sujet de sa superviseure. Aucun de ces commentaires ne visait la sécurité publique; ceux-ci témoignaient donc d’une insubordination manifeste. Rien ne justifiait qu’il tienne ces propos en public.

489 En entrevue le 5 juin 2003 (pièce E-19, onglets E-2 et E-3), le Dr Chopra a indiqué avoir des doutes sur le moment où on l’avait suspendu pour 10 jours (pour insubordination, à la suite de la résiliation de son entente de télétravail). Selon lui, il n’existait aucune preuve voulant que cette mesure disciplinaire découle des questions qu’il a soulevées dans le dossier de l’ESB, ce qui ne l’empêchait pas de s’interroger. En entrevue le lendemain, il a déclaré que son intervention dans le dossier de l’ESB avait servi d’excuse pour le suspendre. Il n’a pas fourni de contexte lorsqu’il a parlé de sa suspension. Rien ne démontre qu’on a suspendu Dr Chopra pour s’être exprimé dans ce dossier. Toujours dans l’entrevue du 6 juin 2003, il a affirmé qu’on lui avait ordonné de s’isoler pour cette même raison. Comme je l’ai déjà précisé, les fonctionnaires ont été installés dans d’autres locaux du complexe de l’employeur en raison des plaintes de harcèlement déposées par eux et contre eux et non parce qu’ils avaient soulevé des préoccupations au sujet de l’ESB.

490 Dans la même entrevue (pièce E-19, onglet E-5), le Dr Chopra a déclaré que selon des travaux de recherche, l’ESB était présente dans plusieurs espèces animales et pouvait se transmettre de l’une à l’autre par l’alimentation, les injections et [traduction] « divers autres moyens ». Au mieux, les éléments de preuve sur la transmission de l’ESB n’étaient pas décisifs. Cet énoncé était trompeur.

491 Au cours de l’entrevue du 6 juin 2003, le Dr Chopra a accusé Mme Gorman d’avoir antidaté une lettre et [traduction] « camouflé » des faits. Rien ne démontre que la lettre avait été antidatée, et même si c’est le cas, ce ne serait pas une preuve de camouflage.

492 Dans son entrevue du 4 octobre 2003 (pièce E-15, onglet I-1), le Dr Chopra a affirmé que les pressions visant l’approbation des médicaments émanaient du BCP. Aucun élément de preuve n’indique que le BCP faisait subir des pressions aux évaluateurs de médicaments ou à leurs superviseurs à cet effet. Le Dr Chopra a aussi déclaré que les autres fonctionnaires et lui avaient été déplacés vers un autre immeuble et qu’ils n’avaient plus le droit d’accéder aux bureaux de la DMV. Aucune preuve n’a été soumise selon laquelle les fonctionnaires n’avaient plus le droit d’accéder aux bureaux de la DMV. Il a par ailleurs soutenu que les fonctionnaires ne pouvaient plus rencontrer qui que ce soit. Aucune preuve n’a été produite selon laquelle on les avait empêchés de rencontrer leurs collègues de la DMV. En entrevue, on lui a également demandé son avis à propos d’une loi sur la dénonciation. Il a répondu qu’on devrait poursuivre personnellement les coupables, seule manière de [traduction] « mettre un frein à ces types de corruption ». Son opinion sur la question ne nous préoccupe pas; ce qui importe, c’est qu’il ait laissé entendre à diverses reprises que le gouvernement fédéral était aux prises avec la corruption, une allégation qui n’était appuyée par aucune preuve.

493 Le Dr Chopra s’est vu imposer une suspension de 20 jours pour ses commentaires tenus en public. Compte tenu de mes constatations à leur sujet et de la situation, j’estime qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire convenable. Le Dr Chopra a tenu des propos qui ne visaient pas la sécurité publique, qui étaient fort critiques de sa superviseure, qui évoquaient la corruption aux plus hauts échelons du gouvernement sans aucune corroboration et qui induisaient le public en erreur relativement à la nature du risque auquel celui-ci était exposé. À la lumière de la suspension de 10 jours antérieure, je conclus qu’une suspension de 20 jours constitue une mesure disciplinaire appropriée.

VI. Griefs pour licenciement

A. Questions d’ordre général

1. Crédibilité de Mme Kirkpatrick

494 Dans leurs arguments relatifs aux griefs pour licenciement, les fonctionnaires ont soulevé la question de la crédibilité de Mme Kirkpatrick. Selon eux, il fallait accueillir son témoignage avec beaucoup de circonspection en raison des trois facteurs suivants : la preuve a démontré que celle-ci manifestait une forte hostilité envers les fonctionnaires et refusait de reconnaître leurs inquiétudes, qu’elle avait refusé de conserver des documents névralgiques concernant les griefs pour licenciement, et ce, malgré la recommandation de l’avocat des fonctionnaires. Enfin, la preuve a démontré qu’elle était, depuis son départ à la retraite en 2005, témoin rémunéré et experte-conseil pour l’employeur. Les fonctionnaires ont laissé entendre qu’elle était payée dans le but de s’assurer que la procédure actuelle aboutisse aux résultats voulus.

495 L’employeur a contesté les trois allégations.

496 Il n’y a aucun doute qu’il y avait de l’animosité entre les fonctionnaires et Mme Kirkpatrick et que cette animosité était réciproque. Lors de situations impliquant un différend en milieu de travail, surtout lorsque des mesures disciplinaires sont en cause, la présence d’animosité entre les gestionnaires et les employés affectés est normale. Cependant, ce n’est pas un facteur fiable d’établissement de la crédibilité. Afin de bien évaluer la crédibilité, il faut effectuer une analyse sérieuse des preuves déposées par les témoins et non de propos généralisés sur l’animosité. Rien ne démontre que Mme Kirkpatrick a sciemment détruit des documents, et je ne peux tirer aucune conclusion sur sa crédibilité en invoquant son omission de conserver certaines ébauches. L’allégation selon laquelle Mme Kirkpatrick aurait un intérêt financier dans l’issue des griefs ne repose sur aucun élément de preuve. Les contrats de Mme Kirkpatrick ont été déposés en preuve à l’audience. Selon les contrats de Mme Kirkpatrick et les témoignages oraux, rien n’indique qu’elle était rémunérée de façon ponctuelle ni qu’on lui avait promis une prime si le processus d’arbitrage était résolu en faveur de l’employeur. La fonction publique n’est pas la servitude publique. À titre d’employée retraitée, Mme Kirkpatrick n’a pas à offrir ses services gratuitement. Le paiement de services rendus n’est pas un élément pertinent à la détermination de sa crédibilité.

2. Choix du moment des trois licenciements

497 Les fonctionnaires ont présenté des arguments concernant le choix du moment des trois licenciements. Le fait que les trois fonctionnaires aient perdu leur emploi le même jour ne dénote aucune mauvaise intention. S’il considère qu’il y a de l’inconduite dans le milieu de travail, l’employeur a le droit de s’y attaquer. Il s’est occupé d’un problème qu’il jugeait être commun aux trois fonctionnaires, soit le retard dans l’accomplissement des tâches; pour ce faire, il a suivi de près le rendement de chaque fonctionnaire dans les projets assignés. Il avait vraisemblablement un motif pour procéder au licenciement des trois fonctionnaires le même jour, mais un motif stratégique ou tactique n’entache nullement les décisions prises séparément de licencier les fonctionnaires.

B. Éléments de preuve

1. Licenciement du Dr Chopra

498 Le Dr Chopra a été licencié le 14 juillet 2004. Sa lettre de licenciement, portant la signature de Mme Kirkpatrick, se lit comme suit :

[Traduction]

Au début d’avril, on vous a attribué un projet qui, de votre avis même, cadrait parfaitement avec vos fonctions et vos capacités professionnelles d'évaluateur principal de médicaments vétérinaires. Il a été convenu que vous termineriez ce travail en 90 jours. Étant donné les préoccupations existantes au sujet de votre rendement, il a été jugé approprié d'assurer un suivi de l'évolution de ce dossier à intervalles réguliers.

J’ai terminé le 5 mai 2004 l’examen périodique pour les 30 premiers jours, qui m’a permis d’établir qu’aucun travail réel n‘avait été accompli durant cette période, et aucune justification raisonnable n’a été fournie pour expliquer cette absence totale d’avancement. À deux occasions, on vous a fourni des directives supplémentaires précises relativement aux exigences du projet, mais vos réponses n’ont pas indiqué que vous accomplissiez un travail valable, comme il vous l’avait été demandé. En fonction de ce qui précède, j’ai conclu que vous aviez choisi de délibérément refuser de respecter mes directives et que votre conduite à cet égard constitue de l’insubordination.

Vu vos antécédents disciplinaires et votre refus constant d’assumer la responsabilité des tâches qui vous étaient attribuées, j’ai jugé que le lien de confiance essentiel à toute relation employeur-employé productive avait été irrémédiablement rompu sans qu’il n’y ait d’attente raisonnable de rectification de votre comportement, et que notre relation employeur-employé n'est plus viable.

En foi de quoi, je mets fin à votre emploi pour motif déterminé conformément à l'autorité que me confère l’administrateur général et à l’alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Aux fins de cette décision, j’ai pris en considération des facteurs atténuants, notamment vos longues années de service.

499 Mme Mehrotra et M. V. Sharma ont préparé la dernière évaluation du Dr Chopra (point abordé dans le cadre du grief pour suspension de 10 jours du Dr Chopra), signée le 21 février 2003 (pièce E-3, onglet C-3), qui comportait les remarques suivantes :

[Traduction]

Lorsqu’on lui demande d’assumer une fonction ou d’accomplir une tâche, le Dr Chopra, qui occupe le poste d’évaluateur principal de médicaments vétérinaires à la Division de l’innocuité pour les humains, affirme presque systématiquement qu’il est incapable d’effectuer ces tâches à moins de rencontrer tout d’abord la directrice générale afin de discuter de la nature et de la validité de la demande ou de la tâche en cause, ou il affirme qu’il est impossible d’accomplir cette tâche. Comme il ne fournit aucun motif valable pour tenir une telle réunion et compte tenu de son poste d’évaluateur principal de médicaments vétérinaires, il n’est pas déraisonnable pour la direction de considérer qu’il s’agit pour le moins d’une approche dilatoire ou que cela démontre un manque d’intérêt pour l’accomplissement de la tâche attribuée, ou les deux.

[…]

L’attitude du Dr Chopra à l’égard de ses tâches est inacceptable. Son approche envers le travail et sa faible productivité sapent les mesures instaurées par la direction pour favoriser l’amélioration continue dans l’établissement d’objectifs de travail, la réalisation des tâches et le maintien d’un milieu de travail sain, soit des éléments essentiels au bon fonctionnement de l’organisme et au bien-être du personnel.

500 En mars 2003, Mme Kirkpatrick est devenue la superviseure du Dr Chopra. En novembre suivant, ce dernier a terminé l’évaluation d’une présentation. Aucune autre tâche ne lui a été assignée avant avril 2004. Il s’est absenté du bureau pendant un certain temps en décembre 2003, puis de nouveau en janvier et en février 2004. En mars, il s’est absenté durant un peu plus d’une semaine. Des éléments de preuve ont été soumis pour expliquer pourquoi le Dr Chopra n’avait pas demandé d’autre travail et pourquoi aucun travail ne lui avait été assigné. Je n’ai pas résumé cette preuve parce qu’elle ne s’applique pas à notre cas. Le fait que le Dr Chopra n’ait pas demandé d’autre travail ne fait pas partie des motifs invoqués à l’appui de son licenciement.

501 Alors qu’elle préparait une affectation pour Dr Chopra, Mme Kirkpatrick a consulté des conseillers en ressources humaines. Elle a également compté sur M. Adewoye pour préparer une affectation. Celui-ci compte parmi les 16 personnes qui ont porté une plainte de harcèlement contre les fonctionnaires. Il n’a pas été appelé à témoigner.

502 Le 5 avril 2004, Mme Kirkpatrick a rencontré le Dr Chopra pour discuter de questions concernant ses absences et le processus d’évaluation du rendement, et pour lui confier une nouvelle affectation. La réunion a duré environ 30 minutes. Le Dr Chopra a témoigné que très peu de temps a été consacré à discuter de l’affectation. Il a déclaré qu’il n’avait pas posé de questions à propos de l’affectation, car il était inquiet de sa mauvaise relation avec Mme Kirkpatrick et de ses critiques constantes à l’égard de son travail.

503 Des preuves divergentes ont été produites quant à savoir si le Dr Chopra avait reçu une copie de l’affectation lors de la rencontre. Quoi qu’il en soit, il avait ce document en sa possession le 7 avril 2004 (pièce E-3, onglet B-2). Selon le témoignage de Mme Kirkpatrick, la tâche visait à aider la DMV à réagir aux recommandations du rapport McEwan, rendu public en juin 2002. Lors de son témoignage, Mme Kirkpatrick a identifié les recommandations spécifiques du rapport McEwan, qui sont à la base de l’affectation.

504 L’affectation comportait deux volets (pièce E-3, onglet B-2). Le premier consistait à proposer une [traduction] « […] classification des médicaments antimicrobiens en fonction du risque d’exposition humaine à des bactéries résistantes ou des gènes de résistance associés à des médicaments antimicrobiens donnés ». Le Dr Chopra devait aussi [traduction] « […] mettre au point une justification scientifique ainsi qu’une évaluation de la validité de la preuve scientifique dans le but de justifier le choix du système de classification proposé ». Le document exposant l’affectation comportait de la documentation pertinente. On a aussi avisé le Dr Chopra qu’il pouvait consulter d’autres documents internationaux.

505 Le deuxième volet de la tâche assignée consistait à élaborer un « système d’évaluation fondée sur des preuves » pour évaluer le poids à accorder aux preuves scientifiques relatives à la résistance aux antimicrobiens. Le document exposant l’affectation mentionnait à titre de modèle pertinent l’approche adoptée en Australie.

506 Le délai fixé pour terminer cette affectation était de trois mois.

507 Le Dr Chopra avait pris part aux travaux du comité consultatif McEwan. Il avait beaucoup de connaissances sur les médicaments antimicrobiens et il se considérait comme un expert de la résistance aux antimicrobiens.

508 Le 4 mai 2004, Mme Kirkpatrick a rencontré le Dr Chopra durant une trentaine de minutes pour constater l’avancement des travaux qui lui avait été assignés. Dans les notes qu’elle a prises avant et pendant la réunion (pièce E-3, onglet B-3), elle a écrit ne pas s’attendre à ce qu’il conçoive un système de classification, mais plutôt qu’il en définisse les fondements. À la réunion, le Dr Chopra lui a affirmé qu’il travaillait à recueillir l’information nécessaire. Il n’a pu lui expliquer son approche. Il a également soutenu qu’elle ne lui avait pas donné beaucoup de précisions et que les lignes directrices n'étaient d’aucune utilité. Il a témoigné que lorsqu’il parlait de lignes directrices, il ne faisait pas référence à la tâche en question. Selon lui, on lui avait demandé d’élaborer un système de classification, pas des lignes directrices.

509 Au cours de la réunion, Mme Kirkpatrick a interrogé le Dr Chopra au sujet des obstacles ou des difficultés possibles à la réalisation de l’affectation. Il lui a répondu qu’il voulait la liste de toutes les présentations approuvées de médicaments antimicrobiens. Elle a témoigné lui avoir répliqué que cette liste n’était pas pertinente à l’affectation en cours. Par ailleurs, lors de son témoignage, elle a déclaré que cette liste était disponible sur Internet.

510 Mme Kirkpatrick a demandé au Dr Chopra de lui fournir un compte-rendu de l’avancement du dossier avant la fin de la semaine.

511 Dans un courriel qu’elle a envoyé le jour même de la réunion (pièce E-3, onglet B-5), Mme Kirkpatrick a résumé ainsi ses attentes :

[Traduction]

[…] pour ce premier compte rendu, j’ai demandé que vous me traciez les grandes lignes de votre approche en vue d’atteindre les objectifs énoncés pour cette tâche. Comme vous l’avez signalé au cours de la réunion, il existe une vaste documentation sur la résistance aux antimicrobiens, alors il importera que vous disposiez d’un plan réfléchi pour repérer/cibler les travaux de recherche prédominants. Comme le tiers du temps qui devait être consacré à cette tâche est déjà écoulé, il importera aussi de cerner les obstacles que vous aurez rencontrés ou que vous anticipez rencontrés afin de prendre dès que possible les mesures nécessaires. […]

512 Le Dr Chopra lui a répondu le lendemain en lui soumettant son compte rendu. Dans son courriel d’accompagnement (pièce E-3, onglet B-5), il a écrit :

[Traduction]

[…] il s’agit d’un vaste projet d’envergure internationale aux multiples facettes. Pour ce qui est d’obtenir de l’aide, même si je suis le principal responsable de ce dossier, je vous serais très reconnaissant de prendre les dispositions voulues pour que je puisse discuter au cours du projet avec autant d’évaluateurs scientifiques que possible, surtout ceux de la DIH.

513 Le compte rendu (pièce E-3, onglet B-4) faisait un peu plus de trois pages et reproduisait le texte de l’affectation. Dans une section intitulée [traduction] « Information disponible et réflexions », il a écrit qu’il avait demandé la liste des classes de médicaments antimicrobiens pour animaux ayant été approuvés, que ce soit récemment ou depuis plus longtemps. Il a ensuite consigné une série de médicaments antimicrobiens et d’anticoccidiens. Dans une section intitulée [traduction] « Problèmes », il a souligné la [traduction] « résistance multiple aux médicaments » et [traduction] « [l’]absence de découverte d’antibiotiques depuis plusieurs années et pas de découverte en vue ».

514 Mme Kirkpatrick lui a répondu le jour même (pièce E-3, onglet B-5) :

[Traduction]

[…] Votre document ne présente pas votre approche. La section « Information disponible et réflexions » ne me permet pas de mieux comprendre votre plan afin de repérer/cibler les travaux de recherche prédominants et ne m’éclaire pas sur la pertinence de ces éléments pour la tâche en cours. Si vous me fournissiez des détails sur vos constatations à ce jour, je comprendrais peut-être mieux.

Afin de répondre à votre demande, il me faut de plus amples précisions. Veuillez donc me fournir une réponse complète, comme je vous l’ai demandé, d’ici la fin de la semaine.

515 Le Dr Chopra lui a répondu le 7 mai 2004 (pièce E-3, onglet B-5) :

[Traduction]

Mon approche consiste à obtenir l’information générale nécessaire, ce à quoi je m’affaire, dans des sources aussi bien publiées qu’inédites, et de consulter, si on m’y autorise, d’autres évaluateurs scientifiques de la DMV afin de prendre connaissance de leur opinion sur la question. En ce qui a trait à votre question sur la pertinence de cette approche, je ne comprends pas trop ce que vous attendez de moi. En l’absence de cette information et de discussion, je ne vois pas comment mener un projet d’une telle ampleur et une évaluation des risques pour la santé humaine en vue de produire l’évaluation factuelle voulue.

Lorsque vous m’avez expliqué ma tâche, vous m'avez demandé de proposer un système de classification fondé sur des preuves détaillé […] pouvant servir de support à l’exposition humaine aux bactéries résistantes ou aux gènes de résistance associés à des médicaments antimicrobiens précis découlant de l'utilisation vétérinaire de ces médicaments, ce qui, à mon humble avis, n'est pas possible sur le plan scientifique. De plus, ce ne semble pas être la méthode employée récemment par la DMV pour approuver une présentation de drogue nouvelle, en suspens depuis longtemps, sur l’enrofloxacine, le Baytril et un autre produit semblable, l’Advocin, qu’il faudra également approuver si l’on tient à rester équitable dans ce dossier. On n’a pas non plus utilisé cette méthode aux fins de réduction de la période de retrait pour les diverses applications de la chlortétracycline chez le porc, d’une durée de 7 jours, ce qui prévaut actuellement, à l’élimination complète de la période de retrait.

De plus, il me semble que votre directive de revoir les lignes directrices actuelles du système d’évaluation fondé sur des preuves de Santé Canada et […] [de] préparer une version préliminaire d’un système d’évaluation permettant d’évaluer les preuves scientifiques relatives à la résistance aux antimicrobiens ne concorde pas avec les avis scientifiques sur la question dont témoigne la documentation publiée dans le monde entier. En ce qui concerne votre directive d’élaborer un système d’évaluation fondé sur des preuves, j’ai étudié attentivement les modèles de classification canadien et australien. Je conviens que ceux-ci présentent beaucoup de similitudes et que le système de cotation canadien serait le plus simple à utiliser. Cependant, je les trouve tous les deux peu pratiques du point de vue de la nécessité d’éviter et de prévenir la résistance aux antimicrobiens à la suite de l’utilisation réelle de toute classe donnée de médicaments antimicrobiens. Selon la documentation publiée, l’utilisation de médicaments antimicrobiens de quelque sorte et l’émergence subséquente de la résistance aux antimicrobiens, qui a des effets sérieux sur la santé humaine, vont de pair avec la fréquence naturelle des mutations microbiennes. De plus, la résistance aux antimicrobiens ne découle pas nécessairement de l’utilisation d’une seule catégorie de médicaments antimicrobiens : elle touche tout un éventail de ces produits, ce qui explique la salmonelle multi-résistante et les autres pathogènes humains d’origine animale qui sévissent depuis quelques années, avec des effets désastreux pour la santé humaine, y compris la mort. De même, on signale couramment l’observation d’entérocoques multi-résistants d’origine animale que ne peut traiter presque aucun antibiotique.

Comme je l’ai déjà mentionné à diverses reprises, pour endiguer la résistance actuelle et future aux antimicrobiens d’origine animale, il faut s’inspirer des études scientifiques basées sur des preuves et réputées à l’échelle mondiale qui ont été menées au Danemark et qui ont démontré que le seul moyen d’atteindre ces objectifs consiste à réduire radicalement, voire à éliminer, le recours aux médicaments antimicrobiens à toute fin non thérapeutique, préventive ou anabolisante.

Enfin, des rapports publiés et la toute dernière liste de présentations de drogue nouvelle confirment qu’aucun médicament antimicrobien à usage humain ou animal n’a été inventé depuis au moins 15 ans, ou est en voie d’être inventé. Par conséquent, la fréquence croissante de résistance multiple aux médicaments et l’absence de traitement dûment nécessaire pour traiter les infections chez l’humain présentent des difficultés et donc un risque extrême du point de vue de la santé publique.

Mes notes et mes réflexions initiales au sujet de toutes ces questions se fondent sur des rapports fondés sur des preuves et revus par des pairs qui ont été publiés. Cependant, je ne demande pas à ce que prime mon opinion au sujet de ces rapports. C’est expressément pourquoi je vous ai demandé de prendre des dispositions pour que je puisse discuter avec autant d’évaluateurs scientifiques que possible, surtout ceux de la DIH.

En ce qui a trait à votre demande de plus amples précisions sur mes constatations à ce jour et sur leurs implications en matière de santé humaine, je soumets une liste de publications parmi les plus pertinentes que j’ai consultées jusqu’à maintenant pour m’acquitter de ma tâche. Si vous le désirez, je peux aussi vous faire parvenir une copie de ces publications afin que vous puissiez les consulter. De plus, je suis bien sûr à votre disposition pour discuter de tout point que vous désireriez soulever.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

516 Le Dr Chopra a témoigné que son opinion selon laquelle cette affectation n’était pas réalisable sur le plan scientifique était fondée sur son expérience et ses connaissances. Selon lui, il est scientifiquement impossible de créer un système de classification fondé sur des preuves exhaustif permettant de coter l’exposition humaine aux bactéries résistantes.

517 Mme Kirkpatrick a témoigné que même si elle ne voyait pas la pertinence pour le Dr Chopra de parler de son affectation à des collègues, elle ne l’a pas empêché de le faire.

518 Avant le 10 mai 2004, le Dr Chopra a communiqué avec la personne responsable de la liste de présentations à la DMV afin d’obtenir une liste des médicaments antimicrobiens approuvés (pièce E-3, onglet B-6). Mme Kirkpatrick a eu vent de cette démarche et, le 14 mai 2004, elle a envoyé un courriel au Dr Chopra (pièce E-4, onglet B-6) pour l’aviser que les employés de cette section étaient occupés avec d’autres priorités et qu’elle leur avait donné comme instruction de ne pas lui fournir cette information. Elle a écrit en être arrivée à cette conclusion après avoir pris leur discussion précédente en considération. Elle lui a demandé de lui adresser dorénavant toute demande de cet ordre afin qu’elle l’examine dans le contexte de l’affectation en cause et des répercussions éventuelles sur le travail d’autrui.

519 Le 17 mai 2004, Mme Kirkpatrick a répondu au courriel du 7 mai précédent du Dr Chopra (pièce E-3, onglet B-5) :

[Traduction]

Votre réponse […] ne respecte toujours pas mes directives de me fournir une mise à jour du travail complété jusqu’à maintenant et de me résumer votre approche scientifique pour mener ce projet à terme d’ici la première semaine de juillet 2004.Comme vous le savez bien, la collecte d’opinions et d’information contextuelle ne constitue pas de la science ni une approche scientifique. Il en va de même pour votre avis sur la pertinence du projet qui vous a été confié. Je suis convaincue qu’après presque six semaines, vous fondez cet avis sur un cadre de recherche et d’analyse auquel s’appliquera la documentation et duquel découleront vos conclusions. Veuillez me fournir une copie détaillée de votre approche pour terminer le projet conformément aux directives.

520 Le Dr Chopra lui a répondu le lendemain (pièce E-3, onglet B-5) :

[Traduction]

Je croyais suivre à la lettre depuis le début vos directives relatives à la tâche sur la résistance aux antimicrobiens. Cependant, votre énoncé selon lequel [simplement] recueillir des opinions et de l’information contextuelle, ne constituent pas de la science ni une approche scientifique pour ce projet m’étonne, surtout parce que vous ne me permettez pas d’obtenir certains renseignements et données cruciaux issus des dossiers du département ni de consulter sur le plan scientifique d’autres chercheurs qualifiés de la DMV, comme je l’estime nécessaire.

[…]

En ce qui concerne la comparaison des systèmes d’évaluation de Santé Canada et de l’Australie, j’ai signalé n’avoir dégagé aucune différence marquée entre les deux méthodes pour ce qui est de repousser ou de prévenir les répercussions sur la santé humaine de la résistance aux antimicrobiens découlant de l’utilisation chez les animaux, notamment en milieu agricole, de toute catégorie de médicaments antimicrobiens. J’ai aussi indiqué que les deux systèmes recommandent de ne pas utiliser certaines catégories de médicaments, comme l’enrofloxacine, chez les animaux destinés à l’alimentation, ce qui n'est pas conforme à l’approbation récente au Canada du Baytril pour traiter la grippe bovine.

En ce qui concerne l’ébauche d’un nouveau système d’évaluation afin de faire une meilleure utilisation clinique des médicaments antimicrobiens en médecine humaine et vétérinaire, j’ai trouvé que le système proposé par le groupe consultatif d’experts sur la résistance aux antimicrobiens de l’Australie (EAGAR) convenait parfaitement sans qu’il soit nécessaire de le modifier de quelque façon.

En ce qui a trait aux produits mixtes, j’ai déterminé que l’exemple de la combinaison amoxicilline-clavulanate n'est pas pertinent. L’acide clavulanique n’est pas un antibiotique. Cette combinaison vise essentiellement à accroître la biodisponibilité de l’amoxicilline chez les patients qui ont besoin de cet antibiotique, qu’ils soient des animaux ou des humains. À mon avis, un exemple pertinent et plus inquiétant serait celui des produits mixtes préemballés, comme la combinaison pénicilline-streptomycine, qu’on a déjà vendue pour le traitement d’infections vétérinaires. Grâce à l’information que j’ai recueillie, j’ai déterminé que bien qu’on ait ordonné le retrait de ce produit du marché canadien il y a des années, un problème persiste, celui de médicaments antimicrobiens qui ont été approuvés individuellement et sont utilisés de manière soit conjointe, soit séquentielle, à diverses fins préventives ou anabolisantes chez de nombreuses espèces d’animaux destinés à l’alimentation. Voilà, à mon sens, le problème le plus grave relativement aux répercussions sur la santé humaine de la résistance d’origine animale aux antimicrobiens. Ces répercussions s’expliquent par la multitude d’observations signalées de résistance multiple aux médicaments d’origine animale chez des pathogènes humains, comme Salmonella typhimurium, E. coli et la campylobactérie, sans effet néfaste sur la santé d’animaux traités ou ayant été en contact avec ces bactéries.

Voilà mes constatations à ce jour dans ce dossier. Si vous n’approuvez pas mon approche ou que vous voulez de plus amples précisions ou des modifications relativement à tout élément de mes comptes rendus, outre la date à laquelle je dois terminer ce travail, veuillez me l’indiquer.

Je devrais vous soumettre mon rapport à la date prévue, le 6 juillet 2004, sinon avant. J’espère que cela vous satisfait.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

521 Mme Kirkpatrick a témoigné avoir déduit du courriel du Dr Chopra qu’il n’avait pas fait de progrès relativement à son affectation et qu’il perdait son temps sur des questions sans lien avec celle-ci. Selon elle, la tâche consistait à élaborer un système d’évaluation des preuves et non à déterminer si un système de classification permettrait de prévenir la résistance aux antimicrobiens.

522 Dans son témoignage, le Dr Chopra a indiqué que si Mme Kirkpatrick ne comprenait pas le fondement de ses conclusions tel qu’il l’avait exposé dans ses courriels, elle aurait pu interroger un membre de son personnel. Il a déclaré que, en tant que directrice générale, elle était supposée savoir de quoi il était question.

523 Le Dr Chopra a témoigné qu’en ne le laissant pas examiner les dossiers de la DMV et parler à d’autres chercheurs de la DMV, Mme Kirkpatrick a refusé de le laisser accomplir l’affectation assignée. Il a déclaré qu’il désirait examiner ces dossiers afin de démontrer qu’il y avait eu des occurrences de cas de résistance aux antimicrobiens, qu’il y avait une relation de cause à effet pour chaque antibiotique et que les doses et la durée d’administration avaient augmenté. Il a déclaré que, selon lui, puisque Mme Kirkpatrick lui avait demandé d’adopter une approche fondée sur des preuves, il devait recueillir des données probantes. Il voulait trouver dans les dossiers quels étaient les antibiotiques qui avaient été approuvés et les présentations en suspens. Il cherchait également à découvrir ce que pensaient les entreprises et ce qu’elles avaient fait relativement aux médicaments antimicrobiens.

524 Mme Kirkpatrick n’a plus communiqué avec le Dr Chopra au sujet de l’affectation. Ce dernier est parti en congé de maladie le 21 mai 2004 et n’est pas revenu au travail. Il a été licencié le 14 juillet 2004.

525 Mme Kirkpatrick a témoigné avoir considéré les longues années de service du Dr Chopra comme un facteur aggravant, car quelqu’un avec autant d’ancienneté avait l’expérience et les compétences requises pour mener la tâche à bien.

526 À l’audience, le Dr Chopra a soumis de nombreux articles (pièces G-364 à G-376) sur la résistance aux antimicrobiens. Il ne les avait pas fournis à Mme Kirkpatrick lorsqu’il travaillait au dossier. En contre-interrogatoire, il n’a pas su dire s’il avait alors consulté ces articles. Selon son témoignage, il n’avait pas consulté les références consignées dans le rapport McEwan.

527 Relativement à la nature de son affectation, le Dr Chopra a témoigné que la difficulté résidait non pas dans la classification, mais dans l’utilisation à en faire après qu’elle eut été choisie. À son avis, la classification ne réglerait pas le problème, qui était lié à approbation et à l’emploi de médicaments antimicrobiens. Selon lui, le fait d’étudier un système de classification n’accomplirait pas ce qui est nécessaire pour la santé publique. Il a qualifié la tâche d’impossible.

528 Le Dr Chopra a témoigné ne pas avoir dit à Mme Kirkpatrick qu’il ne mènerait pas à bien son affectation. Il a déclaré qu’il ne savait pas quoi faire avec son affectation. Puisqu’il lui avait dit que les deux systèmes de classification sur lesquels elle avait attiré son attention étaient acceptables, il estimait que [traduction] « le projet s’arrêtait là », car il était inutile de pousser l’affectation plus loin. Il a déclaré qu’il lui était impossible de [traduction] « concocter » un nouveau système de classification parallèle et qu’il a laissé tomber. Il a aussi déclaré qu’à son avis il avait complété le projet.

529 Le Dr Chopra a déclaré qu’on lui avait demandé en 2002 de rédiger des lignes directrices. À l’époque, il avait expliqué à son superviseur que personne ne pouvait s’acquitter de la tâche d’établir des lignes directrices sur l’approbation des médicaments antimicrobiens. Il a aussi témoigné que, lorsque Mme Kirkpatrick lui a attribué l’affectation en avril 2004, il s’était demandé ce qu’elle attendait de lui, notamment si elle comptait sur lui pour formuler des recommandations allant à l’encontre de ses recommandations antérieures.

2. Licenciement de la Dre Haydon

530 La Dre Haydon a été licenciée le 14 juillet 2004 pour les motifs suivants (pièce E-350, onglet A-1) :

[Traduction]

Au début de décembre 2003, votre supérieur immédiat et vous avez discuté de votre évaluation du rendement; pour une deuxième année de suite, il a été jugé que votre rendement était nettement inférieur aux normes acceptables pour une évaluatrice principale de médicaments vétérinaires. À l’époque, vous avez affirmé que vous termineriez l’évaluation des présentations en votre possession en moins de deux mois, ce que vous n’avez pas fait. Au début de mai 2004, on vous a adressé un avertissement écrit précisant qu'on attendait une amélioration marquée de votre rendement général.

Votre réaction a été fort troublante. En aucun cas, malgré vos affirmations contraires, pouvez-vous soutenir ne pas avoir été au courant des problèmes portés à votre attention au cours du processus d’évaluation de votre rendement. Pourtant, vous avez une fois de plus choisi de n’assumer aucune responsabilité pour votre rendement insatisfaisant.

Le dernier suivi prévu de la tâche qui vous a été attribuée révèle peu d’efforts et de volonté de votre part à apporter les améliorations requises à votre rendement. Plus précisément, je souligne votre engagement à enfin terminer, au plus tard le 4 juin 2004, l’évaluation des présentations de médicament qui étaient en votre possession depuis plus de deux ans. Au lieu de vous conformer aux directives convenues, vous avez soumis une ébauche incomplète en expliquant qu’il y aurait d’autres retards, et ce, même si aucune autre tâche ne vous avait été confiée. Le rapport final que vous avez soumis manque de cohérence, est incomplet et ne permet pas de prendre de décision sur l’issue des présentations. J’en conclus que le temps excessif que vous avez consacré à produire ce rapport non concluant dénote chez vous une tentative délibérée et systématique d’éviter et d’esquiver le travail qui vous a été attribué en fonction d’instructions qui vous ont été fournies, et que votre conduite constitue de l’insubordination.

Étant donné vos antécédents disciplinaires et votre refus constant d’assumer la responsabilité des tâches qui vous sont attribuées, j’ai jugé que le lien de confiance essentiel à toute relation employeur-employé productive avait été irrémédiablement rompu, qu’il n’y a pas d’attente raisonnable que votre comportement change, et que notre relation employeur-employée actuelle n’est plus viable.

En foi de quoi, je mets fin à votre emploi pour motif déterminé conformément à l’autorité que me confère l’administrateur général et à l’alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Aux fins de cette décision, j’ai pris en considération des facteurs atténuants, notamment vos états de service.

[…]

531 Dans l’évaluation du rendement de la Dre Haydon pour la période allant de juin à septembre 2001, qu’elle a signée le 4 février 2002 (pièce E-350, onglet B-3), M. Alexander avait noté ce qui suit :

[Traduction]

La Dre Haydon cherche avant tout à mener ses évaluations avec rigueur.

[…]

L’évaluation de l’injection de synergistine a été retardée cet automne parce qu’il fallait examiner les données sur l’innocuité pour les animaux, qui avaient été soumises, mais dont aucun examen n’existait au dossier. La Dre Haydon a aussi indiqué avoir dû consacrer du temps aux appels en cours durant cette période, notamment pour s’y préparer, ce qui a contribué aux interruptions.

J’ai discuté avec elle de la nécessité de me tenir au courant de toute autre demande ou activité qui lui était attribuée dans le cadre de ses fonctions afin que je puisse bien évaluer sa charge de travail.

[…]

532 La tâche en cause dans ce grief visait « Pirsue », une marque de commerce de l’antibiotique générique pyrlimisine. Le Pirsue sous forme de gel aqueux a été l’objet d’un avis de conformité en 1996. On l’employait pour traiter les vaches laitières atteintes de mammites bovines. En août 2000, le fabricant a soumis une PDN pour ce même produit, mais en solution stérile. La dose d’antibiotique était la même dans les deux cas, mais la nouvelle formule, contrairement à la précédente, ne contenait pas d’alcool benzylique ni de carboxyméthylcellulose sodique. En ce qui concerne le volet efficacité de la PDN, le fabricant s’est appuyé sur un rapport produit sur la bioéquivalence de la nouvelle formule avec le gel aqueux déjà approuvé.

533 Le fabriquant a également soumis deux SPDN en février 2001. Le premier SPDN concernait un nouvel usage du Pirsue en gel aqueux afin de traiter les mammites bovines cliniques et subcliniques causées par certaines bactéries. Le second SPDN concernait un nouvel usage du Pirsue en solution stérile, qui n’est toujours pas approuvé, à des fins de traitement clinique et subclinique de mammites bovines causées par des bactéries autres que celles énoncées dans la PDN originale.

534 La Dre Haydon a été chargée d’examiner le dossier du Pirsue à la fin de janvier 2002 (pièce E-350, onglet B-2). En mars suivant, les trois demandes lui avaient été confiées.

535 Tous les évaluateurs et tous les superviseurs de la Division de l’évaluation clinique étaient tenus de préparer un plan de travail pour chaque trimestre. Mme Haydon a fourni son plan de travail pour la période d’octobre à décembre 2002 à M. Alexander le 4 décembre 2002 (pièce E-350, onglet B-7). En octobre, elle ne s’est occupée que du Pirsue. En novembre, on lui a confié le dossier d’un CEE. La Dre Haydon a écrit dans son plan de travail qu’elle avait [traduction] « presque terminé » la PDN sur le Pirsue et qu’elle rassemblait et étudiait des documents pertinents à ce sujet.

536 Le 11 décembre 2002, la Dre Haydon a signalé à M. Alexander que l’évaluation de la PDN avait révélé que les données sur l’efficacité n’étaient pas satisfaisantes et qu’il y avait des préoccupations relativement à la résistance aux antimicrobiens (pièce E-350, onglet B-9).

537 La Dre Haydon n’a pas fait référence à des tâches liées au Pirsue dans son plan de travail pour la période de janvier à mars 2003 (pièce E-350, onglet B-7).

538 Dans l’ébauche d’évaluation du rendement qu’il a préparée pour la période du 1er janvier au 30 septembre 2002, M. Alexander a formulé les commentaires suivants (pièce E-350, onglet B-11) :

[Traduction]

[…]

La Dre Haydon est évaluatrice scientifique principale pour la Division de l’évaluation clinique de la DMV. La présente évaluation du rendement vise une période de neuf mois au cours desquels elle a terminé l’évaluation d’une présentation, qui lui avait été confiée deux ans auparavant, ainsi que l’évaluation de quatre CEE; elle a formulé des commentaires et des conseils sur divers dossiers; elle a procédé à la distribution de médicaments d’urgence pendant une semaine; elle a organisé plusieurs réunions et assisté à plusieurs réunions. Une autre présentation (Pirsue) est en cours d’examen depuis avril 2002; bien que la Dre Haydon ait eu besoin d’une période d’adaptation à ce type de présentation, il s’agit d’un long délai. Dans l’ensemble, la Dre Haydon a un rendement faible.

Éléments à améliorer

Pour l’année à venir, je fixerai des objectifs de concert avec la Dre Haydon afin qu’elle accélère l’évaluation des présentations. Par exemple, le temps consacré à l’achèvement de l’évaluation des présentations pourrait être diminué en se concentrant sur les aspects scientifiques ou techniques des données tout en consacrant moins de temps aux détails inutiles ou superflus. Il a aussi été question cette année de la nécessité de ne pas outrepasser le mandat de la Division, qui vise l’innocuité et l’efficacité pour les animaux. Nous pouvons toujours signaler à l’équipe de la Division de l’innocuité pour les humains des problèmes de salubrité des aliments qui peuvent avoir une certaine importance, mais il incombe à la division responsable de formuler ses recommandations.

[…]

Objectifs fixés pour la période d’octobre 2002 à septembre 2003

Au cours des prochains mois, la Dre Haydon devra :

a) remplir de façon entièrement satisfaisante les tâches associées à son poste d’évaluatrice principale de médicaments vétérinaires, atteindre les résultats visés et respecter l’échéancier fixé;

b) améliorer de façon constante et manifeste ses méthodes de travail, l’approche qu’elle adopte par rapport à ses tâches, son travail d’équipe et sa collaboration avec ses collègues;

c) contribuer à la concrétisation des objectifs et des engagements de l’organisme.

539 Le 5 février 2003, Me Yasbeck a écrit au sous-ministre de la Santé (avec copie, entre autres, à Mme Gorman) pour lui faire part de ses préoccupations au sujet des évaluations du rendement des trois fonctionnaires et de leurs allégations de harcèlement (pièce G-2, onglet C). Dans sa lettre, il demandait l’annulation des évaluations du rendement.

540 Le 13 février 2003, la Dre Haydon a envoyé un courriel à M. Alexander au sujet de leur discussion sur son rendement et de son ébauche d’évaluation (pièce E-350, onglet B-10). Elle lui indiquait que ses commentaires constituaient du harcèlement et des représailles et lui enjoignait de consulter les deux lettres du 5 février précédent de son avocat. Elle a ajouté que toute autre communication devrait se faire par l’entremise de son avocat.

541 Le 21 février 2003, M. Alexander a adressé un courriel à Mme Haydon pour l’aviser qu’il signerait son évaluation du rendement et pour lui signaler qu’elle n’avait pas répondu à ses demandes de rétroaction (pièce E-350, onglet B-10). Il lui a par ailleurs rappelé qu’elle était tenue de mener à bien les tâches qu’on lui avait confiées.

542 Le 27 février 2003, Me Yazbeck a écrit à Mme Gorman, s’inquiétant de la signature des évaluations et demandant l’interruption du processus d’évaluation du rendement (pièce G-2, onglet G).

543 La Dre Haydon a déposé un grief relativement à son évaluation du rendement. En vue de l’audience, M. Alexander a préparé des notes documentaires à l’intention de Mme Gorman (pièce E-350, onglet B-8) :

[Traduction]

[…]

Selon mes conclusions, le rendement de la Dre Haydon est faible par rapport à celui d’autres évaluateurs principaux. Je n’ai pas laissé entendre que le travail qu’elle avait accompli n’était pas satisfaisant, mais qu’elle avait plus de difficulté que d’autres employés à se fixer des objectifs et à accomplir des tâches. Les évaluateurs principaux de la Division de l’évaluation clinique sont des employés de niveau VM-04 qui comptent au moins 10 années d’expérience dans l’évaluation de présentations de drogue nouvelle. La Division compte actuellement cinq évaluateurs principaux et trois évaluateurs de moindre expérience.

L’unique rapport relatif à une présentation que j’ai reçu était très long et comptait 37 pages d’information historique sur l’autorisation antérieure du médicament ainsi qu’un long commentaire sur l’évaluation de l’innocuité pour l’humain. Je lui ai conseillé en mai 2002 de limiter ses rapports au mandat de la Division (innocuité et efficacité pour les animaux) et de ne pas s’occuper de l’évaluation de l’innocuité pour l’humain…

Aux fins de l’évaluation, j’ai comparé ses réalisations à celles d’autres évaluateurs. Les autres évaluateurs, principaux ou non, sont en mesure de fixer des échéances et de terminer leurs évaluations dans les délais établis (comme je l’ai indiqué précédemment) sans qu’il soit nécessaire de les encadrer ni de les pousser dans le dos.

[…]

Je suis déterminé à aider la Dre Haydon à améliorer son rendement, mais je dois d’abord être sûr qu'elle est résolue à atteindre cet objectif.

544 Lors de la rédaction de la version préliminaire de l’évaluation du rendement de la Dre Haydon, M. Alexander a consulté Mme Kirkpatrick ainsi que des conseillers en ressources humaines.

545 Le 31 mars 2003, la Dre Haydon a terminé et signé son évaluation de la PDN sur la Pirsue (pièce E-353), qu’elle a soumise le 8 mai suivant. Le 9 mai 2003, elle a aussi fourni une LDC préliminaire (pièce E-350, onglet B-12). Il ne lui restait alors comme tâche que les deux SPDN concernant le Pirsue.

546 L’évaluation de la PDN préparée par la Dre Haydon a été envoyée à un autre évaluateur, M. Malik, pour qu’il en fasse une deuxième évaluation. La seconde évaluation a été terminée le 11 juillet 2003, et une LDC modifiée a été envoyée au fabricant le 26 août suivant. La DMV a reçu la réponse de ce dernier le 17 octobre 2003. Le fabricant a soumis un rapport sur l’innocuité et des données à l’appui d’un rapport sur l’innocuité qu’il avait déjà envoyé. En ce qui concerne l’efficacité, il a réitéré sa position antérieure au sujet de la bioéquivalence.

547 Le 14 novembre 2003, M. Alexander a demandé à la Dre Haydon et à M. Malik de le rencontrer au sujet des nouvelles données soumises par le fabricant. La Dre Haydon a obtenu le jour même une copie de la réponse de ce dernier. M. Alexander s’est réuni avec les deux évaluateurs le 18 novembre 2003. À cette occasion, la Dre Haydon a été chargée de l’évaluation de la réponse à la LDC. M. Alexander a interrogé la Dre Haydon au sujet de l’approbation du Pirsue aux États-Unis et lui a demandé d’analyser le résumé de l’approbation des États-Unis. La Dre Haydon a témoigné ne pas se souvenir qu’il lui ait demandé de procéder à cette évaluation.

548 Dans un courriel envoyé le 19 novembre 2003 (pièce E-350, onglet B-15) dans lequel l’échange est résumé, la Dre Haydon a commenté dans le détail certains éléments de la LDC et formulé les remarques suivantes :

[Traduction]

[…]

3. Des commentaires ont été formulés concernant des rapports du Canada sur les effets indésirables de médicaments soumis à la DMV au sujet du Pirsue vendu sous forme de gel aqueux.

La DMV n’a pas reçu de données issues d’études d’innocuité menées avec le produit en cause, le Pirsue en solution stérile.

B) Pharmacodynamique

Le fabricant propose d’ajouter des énoncés de précaution ou de contre-indication sans avoir d’abord soumis les données scientifiques demandées. Insatisfaisant

C) Efficacité

1. Le fabricant semble poursuivre ses études de bioéquivalence même si l’étude a été rejetée parce qu’elle ne portait pas sur le produit en cause.

Le fabriquant a mentionné une version préliminaire [d’une étude de] […] démonstration d’efficacité.

2. Le fabricant a répondu qu’« aucune autre donnée sur l’efficacité clinique n’est disponible pour le produit en cause ».

Contrairement à ce qu’elle avait demandé, la DMV n’a pas reçu de données sur l’efficacité issues d’études menées sur l’efficacité du produit en cause.

3. En réponse aux questions portant sur l’approbation par d’autres pays, les commentaires étaient les suivants :

Selon les documents publiés dans le cadre de l’assemblée annuelle du National Mastitis Council (1995), des chercheurs de la Louisiana State University et d’Upjohn (W. E. Owens et al.) ont souligné le manque d’efficacité du Pirsue en gel aqueux et décrit les résultats de leurs essais concernant des indications ne figurant pas sur l’étiquette.

En Europe, le chlorhydrate de pirlimycine n’est approuvé que pour le traitement de mammites subcliniques à la suite de huit infusions intramammaires consécutives (efficacité d’environ 30 p. 100) et une période de retrait de 13 jours. (REMARQUE : Inacceptable selon les dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et des règlements pris en application de celle-ci.) Cette approbation reposait sur une autre étude menée dans plusieurs pays d’Europe, qui n’a pas été soumise au Canada.

Selon mon analyse initiale de la nouvelle réponse du fabricant, je ne peux recommander l’approbation du Pirsue en solution stérile.

549 Dans la réponse qu’il lui a envoyée par courriel, M. Alexander a répondu qu’il avait la même compréhension de ce qui avait été discuté.

550 M. Alexander a témoigné que l’examen des données additionnelles n’aurait pas dû prendre autant de temps.

551 Le 4 décembre 2003, M. Alexander a rencontré la Dre Haydon au sujet de son évaluation du rendement. À cette occasion, la Dre Haydon s’est dit inquiète de devoir examiner le SPDN visant le Pirsue en solution stérile avant que n’ait été approuvée la PDN du même produit.

552 Après cette rencontre, la Dre Haydon a envoyé au courriel à M. Alexander (pièce E-350, onglet B-9) pour indiquer qu’elle attendrait sa décision à savoir si elle devait aller de l’avant et examiner le SPDN du Pirsue en solution stérile.

553 Le 17 février 2004, M. Alexander a demandé par écrit à la Dre Haydon (pièce E-350, onglet B-18) de lui remettre un compte rendu des évaluations du Pirsue et de lui indiquer quand elle prévoyait avoir terminé ces tâches. Dans sa réponse du 18 février suivant, la Dre Haydon lui a répondu qu’elle avait été malade à la fin de décembre et pendant presque tout le mois de janvier et qu’elle purgerait sa suspension de dix jours du 19 février au 3 mars 2004. Dans ces circonstances, elle estimait ne pas être en mesure de produire un compte rendu ni d’évaluer quand elle s’acquitterait des évaluations. Elle a toutefois précisé qu’elle avait fait une ébauche d’une note d’information sur l’état d’avancement du SPDN du Pirsue en solution stérile, qu’elle achèverait à son retour au travail. M. Alexander lui a répondu qu’ils pourraient traiter à son retour de la présentation et qu’il organiserait une réunion au début de mars au sujet des délais concernant la fin des évaluations des présentations. Aucune réunion n’a eu lieu en mars.

554 Le 23 mars 2004, la Dre Haydon a envoyé une note à M. Malik pour lui exprimer ses préoccupations au sujet de l’évaluation du SPDN en solution stérile (pièce E-350, onglet B-19). Outre ses remarques concernant l’étude de bioéquivalence, elle écrivait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Une évaluation subséquente de la PDN pour le PIRSUE EN SOLUTION STÉRILE révèle que le fabricant n’a soumis aucune donnée de bioéquivalence. Il existe également des différences marquées dans la formulation des deux produits, soit le PIRSUE EN SOLUTION STÉRILE, qui est l’objet de la PDN, et le PIRSUE EN GEL AQUEUX, déjà approuvé. Aucune donnée satisfaisante n’a appuyé les allégations d’innocuité et d’efficacité de la PDN pour le PIRSUE EN SOLUTION STÉRILE; par conséquent, on ne peut recommander la délivrance d’un avis de conformité pour ce médicament en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et des règlements pris en application de celle-ci. Dans ces circonstances, il ne convient pas, et il irait à l’encontre de la Loi sur les aliments et drogues et des règlements pris en application de celle-ci, que j’évalue la SPDN du PIRSUE EN SOLUTION STÉRILE alors que la PDN originale n’a pas su satisfaire aux critères de délivrance d’un avis de conformité.

555 M. Alexander a témoigné que la DMV avait approuvé l’évaluation en parallèle des deux présentations parce qu’elles étaient liées et qu’elles s’appuyaient sur les mêmes données. L’approbation de ces deux examens reposait sur un principe voulant que le SPDN ne soit approuvé que si la PDN originale l’avait d’abord été.

556 Le 6 mai 2004, M. Alexander a rencontré la Dre Haydon et lui a remis une lettre à titre de suivi de leurs échanges de décembre 2003 sur l’évaluation du rendement (pièce E-350, onglet B-21) :

[Traduction]

La présente lettre fait suite à notre échange de décembre 2003 au sujet de votre évaluation du rendement. Comme je vous l’ai alors indiqué, vous n’avez pas amélioré votre rendement par rapport à la période d’évaluation précédente ni réussi à atteindre la norme minimale fixée pour les évaluateurs de médicaments. Votre charge de travail a été allégée afin de vous permettre de terminer rapidement des présentations données, qui demeurent toutefois en suspens. Même si on ne vous a attribué aucune nouvelle tâche pour vous permettre de vous concentrer sur les présentations en cours, des périodes non comptabilisées ou improductives persistent dans votre emploi du temps. Dans l’ensemble, votre productivité est maigre, voire nulle. De plus, vous semblez réticente à restreindre l’accomplissement de vos tâches au mandat de la Division à l’innocuité et l’efficacité pour les animaux, et persistez à traiter de questions relevant d’évaluations de l’innocuité pour l’humain.

Je vous ai déjà mentionné ces problèmes, tant en personne que dans des documents officiels d’évaluation du rendement, mais votre rendement continue néanmoins de se détériorer. Je tiens par ailleurs à préciser qu’au cours de votre PDR précédent, nous avons tenté de vous définir un plan de travail plus formel et mieux structuré pour nous aider à planifier vos tâches afin que vous amélioriez votre productivité. Malheureusement, ces efforts se sont soldés par un échec, et votre rendement demeure insatisfaisant, ce qui ne peut plus durer. Je suis maintenant d’avis qu’il faut recourir à une approche plus ciblée pour régler vos problèmes à ce chapitre.

Dès aujourd’hui, je raccourcirai la durée de vos plans de travail et de vos cycles d’évaluation, les portant à un mois environ. Je verrai à définir des plans de travail précis et détaillés, que vous devrez exécuter au cours de chaque période, évaluation mensuelle à l’appui. Ce sera une occasion de s’attaquer aux problèmes qui vous empêchent d’atteindre le niveau de productivité attendu d’une évaluatrice principale de médicaments. Veillez à porter à mon attention sur-le-champ tout problème qui vous empêche d’accomplir le travail qui vous est attribué.

La DMV a un rôle majeur à jouer dans la concrétisation du mandat de Santé Canada. Même si les niveaux de dotation ont beaucoup augmenté depuis quelques années, nous continuons d’exiger un plein rendement de nos employés. Comme je l’ai déjà dit, vous ne pouvez maintenir votre rendement actuel : vous devez le hausser à celui des autres employés.

Malheureusement, je dois préciser qu’à défaut d’atteindre un rendement satisfaisant aux normes fixées pour une évaluatrice principale de médicaments, vous pourriez être rétrogradée ou même licenciée.

557 Mme Kirkpatrick a pris part à la rédaction de la lettre (pièce G-313). Selon son témoignage, elle endossait les observations et les conclusions.

558 M. Alexander a aussi signé, le même jour, l’évaluation du rendement de la Dre Haydon pour la période d’octobre 2002 au 30 septembre 2003 (pièce E-350, onglet B-16) :

[Traduction]

[…]

Au cours de notre échange du 11 décembre 2003, j’ai demandé à la Dre Haydon de voir à ce que toute tâche qu’elle avait terminée soit consignée dans la liste de ses réalisations afin que je puisse juger de son travail en toute équité. On ne lui a attribué aucune autre tâche après janvier 2003 afin de lui permettre de terminer rapidement l’évaluation des présentations.

Étant donné ses réalisations, je n’ai pas pu justifier son emploi du temps pendant la période visée par l’évaluation; j’en déduis que le rendement de la Dre Haydon demeure faible.

[…]

Il faudra fixer des attentes précises en ce qui concerne le rendement et convenir d’un échéancier de réalisation des projets. Lorsqu’une échéance ne sera pas respectée, la Dre Haydon devra m’en prévenir, justification à l’appui.

[…]

Au cours des 6 prochains mois, la Dre Haydon devra :

– terminer de façon pleinement satisfaisante toutes les tâches qui lui ont été attribuées, définir avec son superviseur l’échéancier d’exécution de ces tâches et respecter ce dernier;

– améliorer manifestement l’exécution de son travail et son approche par rapport à ses fonctions.

[…]

559 Le 12 mai 2004, la Dre Haydon a envoyé un courriel à M. Alexander (pièce E-350, onglet B-22) en réponse à leur rencontre du 6 mai et à la lettre :

[Traduction]

[…] [veuillez] me fournir des preuves concernant les accusations que vous avez proférées à mon endroit le 6 mai 2004.

Veuillez m’indiquer quels sont les retards dans mon rendement qui me sont directement attribuables.

Je vous saurais gré de me préciser les dates, les heures et les minutes dont il est question lorsque vous écrivez que « des périodes non comptabilisées ou improductives persistent » dans mon emploi du temps.

Montrez-moi quels éléments des évaluations que j’ai menées ne sont pas pertinents au mandat associé à la description de mes tâches.

Veuillez mentionner tout incident, courriel, réunion, directive, correction ou autres communications survenus au cours de la période visée par l’évaluation du rendement.

À défaut de recevoir cette information, je considérerai que vos accusations sont sans fondement et constituent un cas grave de harcèlement à mon égard.

560 M. Alexander lui a répondu le 1er juin 2004 (pièce E-350, onglet B-22) :

[Traduction]

[…] J’ai bien documenté mes préoccupations au sujet de votre rendement et de votre production inacceptables en plus d’en avoir discuté avec vous. À mon avis, il ne serait pas productif de ressasser mes propos. Comme l’indique ma lettre, vous devriez plutôt vous affairer à améliorer radicalement votre rendement sur-le-champ.

J’espère constater ces améliorations à notre prochaine rencontre, où vous devrez me faire un compte rendu exhaustif de vos tâches. Je fixe cette réunion de PDR au 7 juin 2004, à 14 h, dans mon bureau.

561 M. Alexander a témoigné ne pas avoir répondu aux questions de la Dre Haydon, car elle lui demandait de défendre son opinion alors qu’il lui avait déjà expliqué ses préoccupations au sujet de son rendement.

562 Selon le témoignage de la Dre Haydon, elle a eu le 7 juin 2004 une courte réunion avec M. Alexander. M. Alexander n’en avait aucun souvenir.

563 Le 8 juin 2004, la Dre Haydon a signé son évaluation de la LDC pour la PDN sur le Pirsue et elle l’a fait suivre à M. Alexander le lendemain (pièce E-351, onglet 4-A). M. Alexander a fourni une copie du document à Mme Kirkpatrick. Tous deux l’ont individuellement passé en revue avant de se réunir pendant une heure environ à la fin de juin pour en discuter. M. Alexander a de plus préparé des notes (datées du 23 juin 2004) sur l’évaluation à l’intention de Mme Kirkpatrick, qui a témoigné les avoir lues (pièce E-363).

564 M. Alexander a notamment écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Dans l’ensemble, le rapport est long, complexe et souvent difficile à réviser en fonction des données à examiner. Les conclusions sont longues au sujet de l’innocuité pour l’espèce visée et comportent des remarques additionnelles sur les données. Les conclusions devraient être brèves et concises. Il me faudrait beaucoup de temps pour véritablement réviser le rapport, et je devrais valider les conclusions par une analyse des données d’origine. J’estime que je devrais y consacrer d’une à deux semaines de travail à plein temps, sinon plus. Il me faudra confier cette tâche à un autre évaluateur afin d’obtenir son opinion. Je ne serais peut-être pas en désaccord avec les conclusions de la Dre Haydon, mais je ne serais pas à l’aise de les endosser sans un deuxième examen en profondeur.

Il me semble qu’une évaluatrice de son expérience devrait être en mesure de produire un rapport et une évaluation des données plus succinctes.

Même si je lui ai mentionné à plusieurs reprises que les États-Unis ont mené cette présentation à bon terme, elle n’a pas tenu compte de cette approbation par les États-Unis.

[…]

565 Le 18 juin 2004, la Dre Haydon a soumis son évaluation du SPDN du Pirsue en gel aqueux. Dans ses notes à l’intention de Mme Kirkpatrick, M. Alexander a écrit (pièce E-363) :

[Traduction]

[…]

Elle […] ne s’est que très peu intéressée aux données fournies à l’appui des nouvelles indications.

Une fois de plus, il faudrait un deuxième examen approfondi pour en arriver à une conclusion sur la présentation, que je devrai soumettre à un deuxième examinateur.

[…]

566 Mme Kirkpatrick a témoigné avoir passé en revue l’évaluation menée par la Dre Haydon. Elle a conclu que celle-ci était incohérente et qu’elle soulevait plus de questions que de réponses. À son avis, l’évaluation ne permettait de tirer aucune conclusion au sujet de la présentation. Elle a également jugé qu’un deuxième examinateur ne pourrait pas mener une deuxième évaluation en fonction du contenu de la première. Elle a déclaré qu’un deuxième examinateur devrait pouvoir effectuer sa propre évaluation en fonction du contenu de la première évaluation et qu’il ne devrait pas être obligé de revoir la présentation et les données d’origine.

567 Mme Kirkpatrick a témoigné qu’après avoir consulté l’évaluation et parlé avec M. Alexander, elle a commencé à considérer les actions de la Dre Haydon comme un problème de comportement plutôt qu’un problème de rendement. Pour en arriver à cette conclusion, elle a tenu compte des notes de M. Alexander et de leurs conversations.

568 Il est devenu évident en audience que la lettre de licenciement (pièce E-350, onglet A-2) contenait des incohérences. Au troisième paragraphe, Mme Kirkpatrick a écrit : [traduction] « Au lieu de vous conformer aux directives convenues, vous avez soumis une ébauche incomplète en expliquant qu’il y aurait d'autres retards […] ». Mme Kirkpatrick a témoigné que la phrase ne faisait pas allusion à l’évaluation du 9 juin 2004 (qui avait été terminé), mais au courriel du 18 février 2004 (pièce E-350, onglet B-18), dont on a vu le résumé précédemment dans le sommaire de la preuve de la présente décision. Selon elle, cette phrase aurait dû paraître plus tôt dans le paragraphe.

569 En audience, l’employeur a signalé 30 problèmes avec l’évaluation de la Dre Haydon et il a fourni des explications détaillées sur chacun d’entre eux. Les éléments de preuve visant les 30 problèmes ont été soumis à l’appui de l’allégation, proférée par l’employeur dans la lettre de licenciement, selon laquelle l’évaluation était incohérente et incomplète et, par le fait même, inadéquate. J’ai résumé la preuve quant à certains de ces problèmes, ce qui suffit à illustrer les préoccupations de l’employeur.

570 Aux fins de l’évaluation, la Dre Haydon a consacré, de l’avis de Mme Kirkpatrick, un temps excessif à l’analyse de l’examen des résidus de la DIH, ce qui débordait des limites de ses tâches.

571 Dans son évaluation, la Dre Haydon a affirmé qu’un traitement au Pirsue entraînait une production laitière de mauvaise qualité et que [traduction] l’« augmentation significative » du nombre de cellules somatiques était l’équivalent de [traduction] « pus stérile » dans le lait (pièce E-351, onglet 4-B). Mme Kirkpatrick a témoigné que l’évaluation ne fournissait aucune analyse ni justification à l’appui des conclusions sur la qualité du lait.

572 La Dre Haydon a soutenu que le Pirsue causait des irritations graves aux glandes mammaires. Selon le témoignage de Mme Kirkpatrick, la Dre Haydon n’a pas résumé dans son évaluation l’explication du fabricant pour les effets observés du médicament. Mme Kirkpatrick a expliqué que l’évaluateur doit traiter des explications fournies par le fabricant et justifier l’approbation ou le rejet de son argument, ce que n’a pas fait la Dre Haydon dans son évaluation.

573 La Dre Haydon a exposé dans le détail les résultats relatifs aux vaches disqualifiées de l’étude (environ 22 pages sur les 68 de l’évaluation). Mme Kirkpatrick a témoigné qu’il peut exister des motifs valables d’examiner les données visant des animaux disqualifiés. Toutefois, dans le cas présent, la Dre Haydon n’a fourni aucune justification pour expliquer son choix de prendre ses vaches en considération ni sur ce qui a été découvert.

574 Selon Mme Kirkpatrick, la Dre Haydon a rejeté l’étude de bioéquivalence sans l’avoir passée en revue sur le plan scientifique. La Dre Haydon a rejeté cette étude sur la base que le Pirsue en solution stérile constituait une formule distincte, mais elle n’a fourni aucune analyse de l’étude. Elle n’a pas abordé le fait que ce produit avait été approuvé aux États-Unis selon cette même étude de bioéquivalence. Mme Kirkpatrick a témoigné qu’une simple conclusion ne suffisait pas et que la Dre Haydon aurait dû la justifier.

575 La Dre Haydon n’a pas évalué l’approbation du Pirsue par les États-Unis ni l’approbation par ce pays de l’étude de bioéquivalence, comme le lui avait demandé M. Alexander à leur rencontre du 18 novembre 2003, résumée précédemment.

576 L’employeur a signalé 12 exemples de répétitions littérales dans l’évaluation. Il les a exposés dans le détail dans ses arguments écrits. Selon le témoignage de Mme Kirkpatrick, ces répétitions ont rendu le texte difficile à suivre et incohérent.

577 Mme Kirkpatrick a témoigné ne pas avoir discuté des problèmes avec la Dre Haydon, car elle estimait n’avoir rien à gagner de cette démarche. Elle a conclu que la Dre Haydon n’avait aucune intention de terminer le travail qui lui avait été attribué et que sa conduite constituait de l’insubordination et non un cas de mauvais rendement.

578 La Dre Haydon a déclaré avoir la compétence requise pour remplir ses fonctions d’évaluatrice. Elle a toujours eu l’impression d’accomplir son travail avec professionnalisme et au mieux de ses capacités. L’évaluation qu’elle a soumise le 9 juin 2004 ne se voulait pas une version finale, car d’autres données étaient requises. Elle a témoigné que ses actions ne visaient pas sciemment à éviter le travail. Elle cherchait à produire le meilleur rapport possible.

579 Du 15 décembre 2003 au 2 janvier 2004, la Dre Haydon était en congé annuel autorisé. Pendant presque tout le mois de janvier 2004, elle était en congé de maladie autorisé. Du 19 février au 3 mars 2004, elle a purgé sa suspension de 10 jours (mentionnée précédemment dans la décision). Elle s’est en outre absentée cinq jours environ entre cette dernière date et le 21 juin 2004, lorsqu’elle est partie en congé de maladie jusqu’à son licenciement.

3. Licenciement du Dr Lambert

580 Le Dr Lambert a été licencié le 14 juillet 2004. Sa lettre de licenciement était en français (pièce E-341, onglet A-1). Les parties n’en ont mentionné que la version anglaise en preuve et dans leurs arguments. La lettre a d’abord été rédigée en anglais, puis traduite. Voici ce qu’y a écrit Mme Kirkpatrick.

[…]

Au début du mois de mai, vous avez été chargé d’évaluer des données précises dans une présentation de médicament vétérinaire. Vous avez convenu que vous aviez la capacité professionnelle en tant qu’évaluateur principal de médicaments vétérinaires d’accomplir cette tâche et que celle-ci serait terminée dans un délai de trois mois. Vous aviez été prévenu alors, conformément aux discussions fréquentes concernant votre rendement, que vous deviez améliorer votre rendement de façon importante. Étant donné les préoccupations soulevées à propos de votre rendement au cours des deux dernières années, j’ai jugé bon de vous demander des rapports d’étape de vos progrès à intervalles réguliers. Vous avez accepté de vous conformer à cette demande,

Vous m’aviez assuré, juste avant la date du premier rapport d’étape, que vous alliez soumettre une mise à jour. Vous n’avez pas remis ce rapport d’étape à la date prévue. Lorsque vous avez soumis cette mise à jour, j’ai constaté qu’en fait, vous n’aviez fait aucun travail ni aucun progrès. À mon avis, cette habitude de procrastination et de mauvais usage du temps de travail est devenue une norme pour vous et, d’après votre rendement jusqu’à présent, je puis dire que vous n’avez pas fait les efforts nécessaires pour corriger la situation et que vous n’avez aucune intention de le faire.

Après avoir soigneusement étudié la situation, j’ai conclu que votre refus de respecter les instructions que je vous ai données et votre refus de vous y conformer sont de l’insubordination.

Étant donné vos antécédents disciplinaires et votre attitude à constamment refuser d’accepter la responsabilité de votre travail, j’ai décidé que les liens de confiance qui sont essentiels à des rapports productifs entre employeur et employé ont été rompus irrémédiablement, qu’il est raisonnable de penser que votre comportement ne changera pas et qu’en conséquence, les rapports actuels d’employeur-employé ne sont plus viables.

J’ai donc décidé, pour les raisons ci-dessus, de mettre fin à votre emploi, conformément au pouvoir qui m’est délégué par l’administrateur général et conformément à l’alinéa 11(2)(f) de la Loi sur la gestion des finances publiques. J’ai tenu compte, dans ma décision, de facteurs atténuants, notamment de vos longues années de services.

Votre congédiement prend immédiatement effet.

Vous avez le droit de présenter un grief contre cette décision dans les 25 jours qui suivent la réception de la présente lettre.

[…]

581 Le Dr Lambert a témoigné qu’on ne lui avait pas attribué de travail de février 2004 jusqu’à la tâche qui a mené à son licenciement. Mme Kirkpatrick était alors sa superviseure immédiate.

582 Selon le témoignage de Mme Kirkpatrick, elle a demandé à M. Vilim, avec l’aide de M. R. Sharma, de trouver pour le Dr Lambert une tâche qui comporterait un examen de toxicologie, domaine qui relève des compétences de ce dernier. Elle voulait qu’il ait une tâche qu’elle pourrait éventuellement utiliser afin d’établir des attentes raisonnables une fois que ce travail serait terminé. À la suite du cas d’insubordination du Dr Lambert (pour lequel il a été suspendu durant 10 jours), elle voulait [traduction] « le remettre sur la bonne voie » dans l’accomplissement de son travail. Elle a aussi déclaré qu’en lui attribuant une seule tâche, elle voulait permettre au Dr Lambert de s’y concentrer, puisque celui-ci lui avait déjà dit que ses priorités divergentes nuisaient à sa concentration. Le 20 avril 2004, M. R. Sharma a répondu à la demande par courriel (pièce E-341, onglet B-1) en sélectionnant une évaluation de PDN pour le Draxxin en solution injectable (le « Draxxin »). Il a écrit à Mme Kirkpatrick que cette tâche pouvait se faire en trois mois. La présentation sur le Draxxin comportait neuf volumes de données.

583 Mme Kirkpatrick a rencontré le Dr Lambert le 4 mai 2004. Elle lui a attribué la première évaluation des données sur la toxicité associées à la présentation sur le Draxxin. Elle avait rédigé des notes d’avance en plus d’en prendre d’autres au cours de la réunion (pièce E-341, onglet B-2). Elle a expliqué au Dr Lambert qu’il devait terminer cette tâche en trois mois, fixant la date de remise à la première semaine d’août. Elle lui a aussi dit qu’il devrait lui rendre compte mensuellement de l’avancement de l’évaluation et l’aviser de tout problème, [traduction] « peu importe le moment ». Elle lui a dit qu’elle attendait le premier compte rendu durant la première semaine de juin. Le Dr Lambert a déclaré qu'elle ne lui avait donné aucune précision sur ce qu'il devait inclure dans ses comptes rendus et qu’elle n’a évoqué aucune conséquence disciplinaire s’il devait ne pas soumettre les comptes rendus ou terminer la tâche.

584 Après la réunion (le même jour), Mme Kirkpatrick a adressé un courriel au Dr Lambert (pièce E-341, onglet B-6) :

[Traduction]

Le présent message vise à confirmer notre échange de cet après-midi. Je vous ai confié la tâche d’évaluer les données sur la toxicité associées à cette présentation. Ces données sont regroupées en neuf volumes (que vous pouvez obtenir auprès de Judy Robinson). Vous devez analyser les points 3.2 à 3.7 inclusivement tel qu’il est indiqué dans la table des matières de la présentation (dont je vous ai remis une copie à la réunion). Vous devez avoir fini l’évaluation dans trois mois à compter d’aujourd’hui, soit le 4 août 2004. Je vous ai également demandé de me rendre compte chaque mois de l’avancement du dossier et de m’aviser en tout temps des difficultés qui se posent dans l’accomplissement de ce travail.

585 Le Dr Lambert a récupéré le dossier du Draxxin le 6 mai 2004 (pièce G-290). Le 10 mai suivant, il s’est absenté avec permission pendant 4,5 heures (pièce E-341, onglet B-10).

586 Le 13 mai 2004, le Dr Lambert a envoyé deux courriels à Mme Kirkpatrick, dont le premier (pièce G-285) par erreur; il lui a demandé de l’ignorer (pièce E-341, onglet B-7). En raison d’une certaine confusion au sujet du moment de l’envoi du courriel, l’adjointe de Mme Kirkpatrick a supprimé le premier sans fournir à celle-ci une copie de sa version révisée. Elle a avisée Mme Kirkpatrick que le Dr Lambert lui avait adressé un courriel, mais lui avait ensuite demandé de l’ignorer. Dans son message, le Dr Lambert demandait à Mme Kirkpatrick de lui expliquer pourquoi elle avait exclu de son évaluation certaine des études versées au dossier; il voulait connaître son motif. Il a également ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le dossier contient un rapport sur la résistance aux antimicrobiens. […] Cette PDN n’est pas conforme aux exigences relatives à l’innocuité pour l’humain fixées par la Loi sur les aliments et drogues et les règlements pris en application de celle-ci; d’autres données sont requises. A-t-on fait suivre la recommandation au fabricant du médicament? Il n’existe aucune lettre à cet effet au dossier.

[…] il n’y a aucun rapport sur le métabolisme pour l’espèce ciblée ni pour diverses espèces d’animaux de laboratoire. Cette analyse est essentielle à l’évaluation des données sur la toxicité. Si cette partie de l’examen n’est pas complète, je ne pourrai pas terminer mon analyse intégrale sur la toxicité.

[…] il n’y a pas de rapport d’évaluation de la Division de l’évaluation chimique et de la fabrication. Il s’agit d'un document important pour bien caractériser le ou les ingrédients actifs. Le produit a un problème de stabilité, car il se forme un dérivé métabolique.

[…]

587 Le Dr Lambert a aussi souligné le manque d’information pharmacologique dans les sections du dossier qui lui avaient été remises pour l’évaluation. En contre-interrogatoire, il a convenu qu’aucun des points qu’il avait soulevés ne l’empêchait d’entreprendre l’évaluation. Il a également témoigné que ces problèmes étaient pertinents à la réalisation de la tâche.

588 La suspension disciplinaire de 10 jours du Dr Lambert (traitée précédemment dans la présente décision) lui a été imposée le 14 mai 2004; il l’a purgée du 17 au 28 mai inclusivement.

589 Mme Kirkpatrick a rencontré le Dr Lambert le 11 juin 2004 au sujet de son évaluation du rendement pour la période allant du 1er octobre 2002 au 30 septembre 2003. Mme Kirkpatrick a pris des notes à ce sujet (pièce E-341, onglet B-8). Elle a également discuté avec lui d’une recommandation du BIFP voulant qu’on lui offre [traduction] « des possibilités d’enrichissement sur le plan professionnel ». Elle lui a fourni le jour même une lettre d’évaluation du rendement. Le Dr Lambert lui a dit : [traduction] « Concrètement, ma carrière est terminée » (selon les notes de Mme Kirkpatrick).

590 Mme Kirkpatrick a rappelé au Dr Lambert qu’il devait lui remettre son premier compte rendu mensuel le 16 juin 2004. Il a alors mentionné son courriel du 13 mai. Mme Kirkpatrick lui a rapporté que, conformément aux directives qu’il lui avait données, son adjointe avait supprimé ce message. Il a convenu que le courriel prêtait à confusion et dit qu’il le renverrait. Il a témoigné avoir apporté la version papier du courriel à la rencontre et en avoir donné une copie à Mme Kirkpatrick, qui ne se rappelait pas l’avoir reçu. Selon le témoignage de cette dernière, ils n’ont pas discuté des problèmes évoqués dans le courriel, mais elle lui a affirmé qu’elle lirait ce dernier. Dans une note rédigée le 18 juin 2004 ou vers cette date, elle a écrit ne pas avoir reçu le courriel. Le Dr Lambert le lui a fait suivre le 24 juin 2004 (pièce G-285).

591 Le Dr Lambert a affirmé qu’il avait tenté de remettre à Mme Kirkpatrick une version préliminaire du rapport sur le Draxxin au cours de la réunion, mais qu’elle a refusé de l’accepter, car il restait du temps pour terminer la tâche.

592 À la réunion, Mme Kirkpatrick a remis au Dr Lambert la lettre suivante, portant sur son rendement professionnel (pièce E-341, onglet B-9) :

[Traduction]

La présente fait suite à nos échanges du 21 janvier et du 18 février 2004 au sujet de votre évaluation du rendement.

Comme je vous l’ai alors indiqué, vous n’avez pas amélioré votre rendement par rapport à la période d’évaluation précédente ni réussi à atteindre la norme minimale acceptable fixée pour les évaluateurs de médicaments. Il s’agit du deuxième Processus de discussion sur le rendement (PDR) au cours duquel votre rendement a été jugé inacceptable.

On a diminué votre charge de travail pour vous permettre de vous concentrer sur le traitement de présentations en suspens depuis votre PDR précédent. Malgré cela, vous n’avez remis ces dossiers en retard qu’au début de cette année, sans compter que ce travail était de mauvaise qualité. Parce que vous ne vous êtes pas affairé au travail qui vous avait été attribué et n’avez pas employé votre temps de manière productive, votre production a été inacceptable pour un professionnel de votre niveau, ce qui dénote un manque de considération pour les besoins de nos clients.

Je vous ai déjà mentionné ces problèmes, tant en personne que dans des documents officiels d’évaluation du rendement, mais votre rendement ne s’est pas amélioré. Comme je vous l’ai dit à notre rencontre du 4 mai 2004, je suis d’avis qu’il faut recourir à une approche plus ciblée pour régler vos problèmes à ce chapitre.

Comme je vous l’ai confirmé dans mon courriel du 4 mai 2004, j’ai raccourci la durée de vos cycles de planification et d’évaluation, les portant à un mois environ. Je désire que nous définissions des plans de travail plus précis et plus détaillés, que vous devrez exécuter au cours de chaque période; vos progrès seront évalués mensuellement. Ce sera alors l’occasion de s’attaquer aux problèmes qui vous empêchent d’atteindre le niveau de rendement requis d’un évaluateur principal de médicaments vétérinaires. Veuillez porter à mon attention sur-le-champ tout problème qui vous empêche d’accomplir conformément aux délais le travail qui vous est attribué.

La DMV a un rôle majeur à jouer dans la concrétisation du mandat de Santé Canada. Même si les niveaux de dotation ont beaucoup augmenté depuis quelques années, nous continuons d’exiger un plein rendement de tous nos employés. Comme je l’ai déjà dit, vous ne pouvez maintenir votre rendement actuel : vous devez le porter à celui des autres employés.

Malheureusement, je dois préciser qu’à défaut d'atteindre un rendement satisfaisant aux normes fixées pour un évaluateur principal de médicaments vétérinaires, vous pourriez être rétrogradé ou même licencié.

Tel que je vous l’ai déjà mentionné : j’espère sincèrement qu’il y aura une amélioration de la situation. Je tiens à vous assurer que je suis à votre disposition pour vous offrir le soutien voulu pour vous permettre d’atteindre le niveau de rendement attendu. J’espère constater une amélioration immédiate et durable de votre rendement.

593 Le Dr Lambert a déclaré que Mme Kirkpatrick avait résumé la lettre au cours de la réunion, mais qu’elle ne lui avait pas laissé la possibilité d’y réagir.

594 Le Dr Lambert a témoigné avoir compris que le compte rendu mensuel à soumettre à Mme Kirkpatrick devait être une vue d’ensemble des données soumises. Il n’a pas cherché à obtenir de précisions de la part de Mme Kirkpatrick à savoir ce qu’elle en attendait.

595 Le Dr Lambert a affirmé en audience avoir continué de travailler au dossier du Draxxin. Il a terminé une deuxième version préliminaire de son rapport le 18 juin 2004 en fin de journée (un vendredi). Il a soutenu avoir voulu intégrer à chaque page un filigrane d’ébauche, mais avoir eu de la difficulté à le faire. Il a dit avoir terminé ce travail tard en fin de journée et ne pas avoir été en mesure de le donner à Mme Kirkpatrick. Il voulait le remettre à Mme Kirkpatrick en main propre.

596 Le lundi 21 juin 2004, le Dr Lambert a avisé par téléphone l’adjointe de Mme Kirkpatrick qu’il serait en congé de maladie, et ce, pour le reste de la semaine et peut-être même plus longtemps. Il lui a aussi dit qu’il lui enverrait par courriel le rapport qui était dû le vendredi précédent. L’adjointe a communiqué cette information à Mme Kirkpatrick (pièce E-283, onglet C-4). Le Dr Lambert a témoigné que le congé de maladie était dû au stress.

597 Selon le témoignage du Dr Lambert, celui-ci a eu des difficultés à ouvrir la version préliminaire du rapport sur son ordinateur à la maison. En contre-interrogatoire, il a affirmé avoir été au bureau pendant une heure environ l’après-midi du 23 juin 2004. Il a déclaré avoir copié son ébauche de rapport sur le Draxxin sur une disquette. On lui a demandé en contre-interrogatoire pourquoi il n’avait pas fait suivre une copie du fichier par courriel pendant qu’il était au bureau. Il a convenu qu’il aurait pu le faire, mais qu’il était [traduction] « stressé ».

598 Le 24 juin 2004, le Dr Lambert a envoyé par courriel une copie de la version préliminaire à Mme Kirkpatrick (pièce E-341, onglet B-14). Dans son message, il expliquait ne pas avoir été en mesure de l’envoyer depuis chez lui le lundi précédent (21 juin). Il a ajouté qu’une copie papier du document se trouvait dans son bureau. Il a également fait suivre son courriel du 13 mai 2004 (pièce E-341, onglet B-13).

599 Mme Kirkpatrick a demandé à M. R. Sharma d’étudier le courriel du 13 mai 2004 du Dr Lambert. M. R. Sharma et Bhim Bhatia lui ont fourni leurs commentaires le 24 juin 2004 (pièce E-341, onglet B-15) afin qu’elle puisse répondre au Dr Lambert.Ils y indiquaient que certains renseignements qui n’avaient pas été fournis au Dr Lambert [traduction] « […] n[‘étaient] peut-être pas pertinents pour entreprendre l’analyse des données sur la toxicité », alors que d’autres n’étaient pas nécessaires à cette fin. M. R. Sharma a aussi déterminé que certains éléments des volumes qui n’avaient pas été fournis au Dr Lambert étaient [traduction] « en effet pertinents » et qu’il pouvait les consulter.Il a conclu que le fait pour la DIH d’étudier la résistance du produit aux antimicrobiens [traduction] « ne devrait pas empêcher » le Dr Lambert d’entreprendre l’évaluation.Il jugeait approprié que le Dr Lambert consulte le rapport disponible sur la comparaison du métabolisme à [traduction] « [l’]étape finale » de son évaluation.Il a également établi que celui-ci pourrait étudier les données pharmacocinétiques et pharmacodynamiques [traduction] « s[il] juge[ait] que cela [l’]aiderait à terminer » l’évaluation.Mme Kirkpatrick a témoigné ne pas avoir empêché le Dr Lambert de consulter les autres documents inclus dans le dossier. Son intention était d’attirer l’attention du Dr Lambert sur les documents pertinents associés à la présentation.

600 Selon son témoignage, Mme Kirkpatrick n’a pas considéré le courriel du 13 mai 2004 du Dr Lambert comme un compte rendu de l’avancement de la tâche, mais plutôt comme une discussion sur le sujet. À son avis, il ne témoignait d’aucun progrès dans le dossier. Elle a déclaré ne pas avoir répondu à ce message, car le Dr Lambert était en congé de maladie.

601 Mme Kirkpatrick a témoigné qu’après avoir lu la version préliminaire du rapport, elle avait conclu que le Dr Lambert avait résumé l’information transmise par le fabricant mais qu’il n’avait pas formulé de commentaires concernant les études soumises par le fabricant. Elle a demandé à M. R. Sharma de revoir le document pour déterminer si son analyse était juste. M. Bhatia a aidé M. R. Sharma dans cette tâche. M. R. Sharma a soumis son rapport à Mme Kirkpatrick le 26 juin 2004 (pièce E-341, onglet B-16). Dans l’ébauche de sa note, il a tracé les grandes lignes des parties de la version préliminaire du rapport qui reprenaient littéralement la présentation du fabricant. Le Dr Lambert n'a pas reçu de copie des commentaires de R. Sharma.

602 Mme Kirkpatrick a témoigné qu'en fonction de son analyse de la version préliminaire du rapport et des commentaires de M. R. Sharma, elle avait déterminé que le Dr Lambert n’avait accompli aucun travail et que son évaluation n’avait pas progressé. Elle s’attendait à avoir une idée précise du progrès effectué lors de la lecture des comptes rendus du Dr Lambert. Elle a déclaré que le Dr Lambert n’avait pas montré avoir fait quelque analyse que ce soit des données ni tiré quelque conclusion sur la présentation. Elle s’attendait à ce qu’il puisse à cette étape poser de grands constats. Selon elle, cela montrait que le Dr Lambert continuait de refuser ses services et faisait preuve d’insubordination.

603 Mme Kirkpatrick a déclaré n’avoir pas communiqué avec le Dr Lambert pour discuter de ses préoccupations parce qu’ils en discutaient déjà depuis deux ans et qu’une mesure disciplinaire avait déjà été imposée pour cette même conduite. Le Dr Lambert n’avait évoqué aucun problème particulier avec le travail. Mme Kirkpatrick a témoigné avoir alors eu l’impression que l’employeur avait fait tout ce qu’il pouvait faire.

604 Le Dr Lambert est resté en congé de maladie jusqu’à son licenciement. Mme Kirkpatrick a témoigné avoir déterminé que ce congé n’était pas lié au fait de ne pouvoir terminer l’évaluation. Elle a déclaré ne pas avoir attendu la fin du congé de maladie pour mettre fin à la relation d’emploi, car [traduction] « cela ne changerait rien » et parce que rien ne servait de remettre à plus tard ce licenciement.

605 En contre-interrogatoire, le Dr Lambert a convenu que la tâche était claire, nette et précise, et qu’il était en mesure de la mener à bon terme.

606 Mme Kirkpatrick a soumis en preuve les facteurs suivants qu’elle considérait comme des arguments en faveur du licenciement du Dr Lambert : il était qualifié pour effectuer le travail et comprenait ce qu’on attendait de lui, on l’avait prévenu des conséquences qu’aurait le fait de ne pas accomplir le travail qui lui était assigné, il avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire antérieure et elle avait jugé que toute sanction autre que le licenciement n’aurait aucun effet.

607 Mme Kirkpatrick a reconnu avoir été au fait des Lignes directrices concernant la discipline du Conseil du Trésor (pièce G-288).

C. Arguments

1. Grief pour licenciement du Dr Chopra

a. Pour l'employeur

608 Dans un grief pour congédiement typique, il faut répondre à trois questions distinctes (Wm. Scott & Company Ltd v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P.162, [1977] 1 Can. LRBR 1) :

  1. L’employeur avait-il un motif légitime et raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire à son employé?

  2. Dans l’affirmative, la décision de l’employeur de licencier l’employé constituait-elle une réaction excessive aux circonstances de l’affaire?

  3. Enfin, si l’arbitre de différends devait juger le licenciement excessif, par quelle autre mesure juste et équitable faudrait-il remplacer cette réprimande?

609 L’employeur avait un motif légitime et raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire à l’égard du Dr Chopra.

610 Voici les éléments nécessaires pour établir qu’il y a eu insubordination (Canadian Labour Arbitration, paragraphe 7:3612) :

  • un ordre a bel et bien été donné;

  • l’ordre a été clairement communiqué à l’employé par une personne en position d’autorité;

  • l'employé a refusé de prendre acte de cet ordre ou a carrément refusé de l’exécuter.

611 Toutefois, même en l’absence d’un ordre précis, il est possible de conclure à l'insubordination d’un employé si l’on peut établir que l’employé devait savoir ce qu’il était tenu d’accomplir tout en refusant d’obéir. De plus, il n’est pas nécessaire pour l’employeur de prouver que l’employé voulait défier l’ordre, qu’il était dans un état d’esprit répréhensible, ni que l’employeur avait subi une perte financière (Canadian Labour Arbitration, paragraphe 7:3612).

612 Le Dr Chopra savait que Mme Kirkpatrick s’attendait à recevoir un compte rendu mensuel de l’avancement de la tâche, attentes qu’elle lui avait confirmées par écrit après leur rencontre du 4 mai 2004. Elle l’avait prévenu qu’elle désirait obtenir une vue d’ensemble de l’approche qu’il entendait adopter et qu’il importait qu’il dispose d’un plan réfléchi pour repérer et cibler les travaux de recherche prédominants. Même s’ils ont échangé d’autres courriels, le fait que le Dr Chopra ne se soit pas conformé aux demandes de Mme Kirkpatrick a mené à son licenciement.

613 Aux paragraphes 9 et 12 de Trilea-Scarborough Shopping Centre Holdings Ltd., l’arbitre a jugé que même si aucun ordre direct n’avait été donné, il était évident que le plaignant était bien au fait de ce qu’on attendait de lui. Il a jugé que le plaignant ne désirait pas faire le travail qu’on lui avait attribué et que la seule chose qui l’empêchait d’effectuer les tâches qui lui avaient été assignées était son opposition volontaire. L’insubordination du Dr Chopra est du même ordre.

614 Il ressort de ses courriels à Mme Kirkpatrick que le Dr Chopra, même si on lui avait confié la tâche, n’était pas prêt à la mener à bon terme. Plutôt, il s’est érigé des obstacles imaginaires, comme rencontrer d’autres évaluateurs scientifiques. Il voulait faire les choses à sa façon et d’aucune autre, et a refusé de suivre les directives de Mme Kirkpatrick en ne lui fournissant pas les renseignements qu’elle demandait. Le Dr Chopra n’a pas effectué le travail demandé. Par conséquent, il a fait preuve d’insubordination.

615 Dans Vancouver General Hospital v. Hospital Employees’ Union (2002), 107 L.A.C. (4e) 392, l’arbitre a été d’avis que la conduite des plaignants, qui faisaient fi des directives de l’employeur, dénotait un manque de considération volontaire des normes et des pratiques professionnelles, la rendant délibérée et répétitive. Il a conclu qu’en ignorant ces normes, le plaignant avait un modèle de conduite prémédité. Dans cette affaire, le plaignant avait de longs états de service; toutefois, le modèle comportemental inhérent à son échec de répondre aux initiatives correctives annihilait ce long état de service.

616 Les conclusions, les répétitions et les critiques éhontées du Dr Chopra par rapport à la tâche ne correspondaient pas aux exigences énoncées par Mme Kirkpatrick, soit d’assurer un suivi, de soumettre une vue d’ensemble de l’approche qui serait adoptée pour atteindre les objectifs prévus et de fournir un plan réfléchi afin de repérer et de cibler les travaux de recherche dominants.

617 Comme dans British Columbia Hydro and Power Authority v. International Brotherhood of Electrical Workers, Local 258 (2002), 113 L.A.C. (4e) 337, le Dr Chopra a trouvé divers moyens de réagir aux directives de Mme Kirkpatrick sans toutefois accomplir le travail demandé. Par ses actions, le Dr Chopra a fait preuve d’insubordination en ne respectant pas les directives de son employeur.

618 Dans British Columbia Hydro and Power Authority, l’arbitre a souligné que même si un incident d’insubordination n’eut peut-être pas entraîné, à lui seul, des mesures disciplinaires majeures, un portrait d’ensemble se dégageait, soit celui d’un employé arrogant et condescendant qui, de manière constante et délibérée, refusait de reconnaître le droit de l’employeur d’opérer son lieu de travail. Une insubordination de cette nature est une forme très grave d’inconduite qui s’attaque aux fondements mêmes de la relation employeur-employé. Dans sa décision, l’arbitre a aussi noté que l’absence de remords du fonctionnaire s’estimant lésé ou de reconnaissance de son insubordination rendrait [traduction] « inutile » sa réintégration, puisqu’il persistait à faire preuve de [traduction] « […] manque de considération et de respect envers les membres de la direction […] ». Cette situation se rapproche de celle ici en cause. Le Dr Chopra a eu une attitude qui défiait l’autorité de l’employeur d’attribuer des tâches et de s’attendre à les voir accomplies. Il ne lui revient pas de remettre en question l’utilité d’une tâche ni les directives de l’employeur dans l’exécution de ses fonctions. Le Dr Chopra n’a pas fait ce qu’on lui a demandé de faire; pourtant, il a continué de soutenir, même à l’audience, qu’il avait mené sa tâche à bon terme même si ce n’était pas le cas.

619 Le Dr Chopra a défié et continue de défier son employeur. Il refuse de reconnaître ses torts. C’est la faute de tout le monde, sauf la sienne. L’employeur allègue, comme l’a établi l’arbitre dans British Columbia Hydro and Power Authority, qu’il serait inutile de réintégrer le Dr Chopra étant donné qu’il ne manifeste aucun regret, aucun remords et aucune impression de devoir s’excuser. Absolument rien ne permet de conclure que, s’il était réintégré dans ses fonctions, le Dr Chopra adopterait un autre comportement. Le licenciement n’était pas une mesure excessive.

620 L’employeur a présenté une prétention subsidiaire selon laquelle si je devais conclure que le licenciement constituait une mesure excessive, un redressement approprié serait d’accorder une indemnité au lieu de la réintégration. Comme j’ai établi que le licenciement n’était pas excessif, je n’ai pas résumé les arguments à cet égard.

b. Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

621 Les préoccupations qu’a exprimées le Dr Chopra dans le cadre de projets antérieurs sur la résistance aux antimicrobiens étaient conformes et pertinents à la tâche en cause dans son licenciement. Il a expressément voulu discuter avec des collègues des enjeux scientifiques soulevés par cette tâche justement pour obtenir leur point de vue et d’autres renseignements utiles. Le refus délibéré de Mme Kirkpatrick de lui donner accès à ses collègues a non seulement entravé sa capacité de mener la tâche à bien, mais il reflétait l’approche qu’adoptait de longue date l’employeur pour composer avec le Dr Chopra et ses collègues, c’est-à-dire les isoler, eux et leurs opinions.

622 Mme Kirkpatrick a tenu pour acquis que le Dr Chopra pouvait définir la nature et la portée de la tâche par osmose même si, dans bien des cas, celui-ci n’avait pas pris part aux échanges pertinents sur les problèmes de résistance aux antimicrobiens. Il convient de signaler que, dans son argumentation sur les griefs relatifs à la dénonciation, l’employeur a soutenu que le rapport McEwan était un exemple limpide de la manière dont il avait géré les problèmes de résistance aux antimicrobiens. Or, aux fins du présent grief, l’employeur a essentiellement fait fi de l’expertise du Dr Chopra dans ce domaine. Bien que l’employeur soit prêt à considérer le rapport McEwan comme une analyse approfondie de ce problème, il critique le fait que le Dr Chopra invoque ce document pour démontrer que l’employeur n’avait pas fait tout ce qui était en son pouvoir par rapport aux problèmes liés à la résistance aux antimicrobiens. Comme le démontre sa preuve, il s’agissait là d’une des raisons qui expliquent l’inquiétude du Dr Chopra par rapport à la tâche qui lui était confiée.

623 Les absences du travail du Dr Chopra de décembre 2003 jusqu’à son licenciement, le 14 juillet 2004, témoignent du grand stress et des difficultés importantes qui imprégnaient le lieu de travail et qui l’ont beaucoup affecté, de même que ses collègues. Selon toute norme objective, le stress et les difficultés liés au travail ont un impact sur l’exécution par les fonctionnaires de leurs tâches, mais l’employeur ne s’y est pas du tout intéressé.

624 La tâche confiée au Dr Chopra n’était pas claire et précise. La bonne approche relativement à la résistance aux antimicrobiens a fait et continue de faire l’objet de discussions et de débats scientifiques importants, tant chez l’employeur que dans la communauté dans son ensemble. Les tentatives de l’employeur de laisser entendre que le Dr Chopra suivait simplement des principes ou des processus bien établis à l’égard de la résistance aux antimicrobiens, sont au mieux déplacées et au pire trompeuses. La seule façon de rendre légitime la position de l’employeur consiste à présumer que le Dr Chopra et ses collègues avaient tout simplement tort au sujet de la résistance aux antimicrobiens.

625 Il importe de comparer avec soin la documentation réelle (tant la tâche elle-même que les notes de Mme Kirkpatrick) avec les éléments de preuves qu’a produits Mme Kirkpatrick à l’audience. La preuve produite à l’audience était nettement plus étoffée que l’information qui a été fournie au Dr Chopra.

626 Mme Kirkpatrick a confirmé que l’échéance de trois mois fixée pour accomplir la tâche ne tenait pas compte d’autres éléments du milieu de travail, comme les conflits, les différends, les enquêtes ou d’autres facteurs. Il est important de souligner qu’elle a confirmé ne pas avoir pris ces éléments en considération dans sa décision de licencier le Dr Chopra, car elle avait déjà conclu le 18 mai 2004 que rien ne changerait.

627 Il importe aussi de souligner que M. Adewoye (qui a préparé la tâche) comptait parmi les 16 employés qui ont déposé une plainte de harcèlement à l’encontre des fonctionnaires.

628 Mme Kirkpatrick a témoigné avoir consulté des conseillers en ressources humaines et en relations de travail ainsi qu’un avocat pour savoir bien gérer la tâche avant même de la confier au Dr Chopra. Il est très rare qu’un gestionnaire cherche à obtenir de tels conseils avant de simplement attribuer du travail à un employé, sauf s’il envisage d’imposer des mesures disciplinaires ou qu’il soit prédisposé à le faire. De toute évidence, la preuve montre que l’employeur prévoyait imposer une mesure disciplinaire au Dr Chopra bien avant de lui confier la tâche.

629 La tâche du Dr Chopra était de toute évidence fort complexe et difficile à comprendre, même pour un spécialiste de la résistance aux antimicrobiens. L’ampleur des détails voulus dont a témoigné Mme Kirkpatrick en audience n’a jamais été communiquée au Dr Chopra pendant qu’il travaillait pour l’employeur. En ce qui concerne le deuxième volet du projet, Mme Kirkpatrick a expliqué que la tâche du Dr Chopra consistait à cerner d’autres facteurs pouvant favoriser la résistance aux antimicrobiens ainsi qu’à repérer et mettre en application de l’information pour établir une catégorisation des risques associés à des classes précises d’antimicrobiens. Le Dr Chopra a affirmé qu’il comprenait mal comment il pouvait remplir cette tâche compte tenu des contraintes que lui avait imposées Mme Kirkpatrick, car il ne voyait pas comment on pouvait pondérer des données probantes sans d’abord les avoir passées en revue. Notons que même dans ses arguments, l’employeur est incapable de citer des preuves énonçant clairement les attentes de Mme Kirkpatrick. Plutôt, il fait référence à l’« essence » de la tâche, fait des déductions sur la signification « réelle » d’éléments précis de celle-ci et tente d’énoncer ce que Mme Kirkpatrick « demandait » ou « cherchait » par rapport à certaines parties de la tâche. Ces tournures démontrent hors de tout doute que la tâche n’avait jamais bien été expliquée au Dr Chopra.

630 Le Dr Chopra a témoigné ne pas avoir compris en quoi consistait la classification parallèle de Mme Kirkpatrick, ne pas connaître les [traduction] « lignes directrices du système d’évaluation fondé sur preuves » de l’employeur. De plus, il a déclaré avoir pensé que les questions soulevées dans la tâche avaient déjà été abordées par le comité consultatif McEwan. Il a aussi indiqué qu’il n’avait pas compris ce qu’avait voulu dire Mme Kirkpatrick par « fondé sur des preuves » dans le contexte de la tâche, car les évaluateurs de médicaments ne prennent pas part à des travaux de recherche fondamentale. Il est devenu évident que Mme Kirkpatrick ne voulait pas qu’il ait recours ni à la documentation scientifique ni aux dossiers de l’employeur. À la réunion du 5 avril 2004, le Dr Chopra ne comprenait pas la nature de la tâche. Cependant, il a témoigné ne pas avoir posé de questions à cette occasion car il était inquiet de sa mauvaise relation avec Mme Kirkpatrick et des critiques constantes de celle-ci relativement à son travail.

631 Le Dr Chopra a aussi très clairement énoncé son opinion selon laquelle il n’y avait rien de nouveau sur le marché en ce qui concerne les antimicrobiens, outre les fluoroquinolones, et que des lignes directrices ne seraient d’aucune utilité. Même si l’employeur a soutenu que le Dr Chopra avait eu à cet égard une attitude inappropriée qui est devenue de l’insubordination, les faits sont que l’opinion de celui-ci était bien connue longtemps avant qu’on ne lui confie la tâche et que Mme Kirkpatrick n’aurait pas dû s’en étonner. Au lieu de conclure à l’insubordination du Dr Chopra, il aurait été plus raisonnable d’établir un dialogue avec lui pour le convaincre du contraire et lui exposer le point de vue de l’employeur.

632 Mme Kirkpatrick n’était tout simplement pas prête à concéder que le manque d’accès aux dossiers sur les avis de conformité constituait un obstacle pour le Dr Chopra ni que l’information aurait pu être pertinente à la tâche. Elle a plutôt soutenu que cette tâche consistait à élaborer un système de catégorisation et non à analyser ce qui avait déjà été approuvé. Or, elle n’a jamais daigné demander au Dr Chopra pourquoi il estimait l’information demandée pertinente. Le Dr Chopra a déclaré qu’il voulait passer en revue les dossiers des présentations de médicaments antimicrobiens parce que les expériences relatives aux approbations passées auraient pu l’aider à comprendre et à évaluer le risque en matière de résistance aux antimicrobiens. La logique qui sous-tend l’intérêt du Dr Chopra pour le dosage et la durée des traitements aux antibiotiques est évidente : l’augmentation du dosage ou le prolongement de la durée de traitement laisse entendre que les médicaments antimicrobiens ne sont plus aussi efficaces lorsque pris à la même dose qu’antérieurement. Par conséquent, les données relatives au dosage et à la durée de traitement sont en soi hautement pertinentes à la résistance aux antimicrobiens. Bien que Mme Kirkpatrick ait reconnu avoir eu l’impression générale que c’est ce que visait la préoccupation du Dr Chopra, elle n’a jamais envisagé la possibilité qu’il s’agissait là de la raison pour laquelle il désirait passer en revue les dossiers des présentations de la DMV.

633 Les faits suivants étaient établis dès mai 2004, un mois à peine après qu’on ait confié la tâche au Dr Chopra.

  • Le Dr Chopra voyait mal ce qu’on attendait de lui.

  • Même si Mme Kirkpatrick connaissait les incertitudes du Dr Chopra au sujet de la tâche, elle n’a pris aucune mesure pour préciser ses attentes ou vérifier que la tâche avait été bien expliquée au Dr Chopra.

  • Le Dr Chopra avait identifié plusieurs obstacles qui nuisaient à sa démarche, et Mme Kirkpatrick s’est tout simplement désintéressée de ses problèmes.

  • Mme Kirkpatrick mettait déjà en doute les motifs du Dr Chopra relativement à la tâche.

  • Les éléments de preuve produits par Mme Kirkpatrick différaient fondamentalement de ce qui s’était réellement produit à l’époque.

  • Mme Kirkpatrick a concédé que peu de choses avaient été faites jusqu’alors pour assurer un suivi du rendement du Dr Chopra mais qu’à sa connaissance, cela n’avait causé aucune difficulté.

  • Les cas individuels des trois fonctionnaires ont été gérés de manière coordonnée : on leur a soumis une tâche, puis on les a surveillés de près.

634 Les événements qui ont suivi montrent que l’employeur n’a tout simplement fait aucun effort pour régler les problèmes et donner au Dr Chopra la possibilité de terminer sa tâche.

635 Après la réunion du 4 mai 2004, Mme Kirkpatrick ne s’est jamais adressée au Dr Chopra pour confirmer qu’il avait bien compris ou pour discuter de ce qu’il avait compris à la suite de la réunion. Elle n’a pas non plus discuté avec lui de la tâche en général. De plus, elle n’a en aucun temps évoqué la possibilité que l’approche adoptée par le Dr Chopra puisse donner lieu à des mesures disciplinaires. Au contraire, l’échange par courriel révèle qu’elle était fermement convaincue que le Dr Chopra agissait de mauvaise foi par rapport à son travail et que rien qu’il puisse dire ne pouvait la convaincre qu’il n’agissait pas de manière inappropriée. Aucun gestionnaire ne devrait avoir une telle présomption et simplement qualifier le comportement d’un employé d’insubordination.

636 Mme Kirkpatrick a témoigné qu’à la suite de la réunion du 5 avril, elle n’avait eu aucune raison de douter que le Dr Chopra mènerait sa tâche à bon terme. Elle a déclaré qu’elle avait commencé à avoir des doutes à ce sujet au début de mai et que par le 18 mai, il n’y a rien que le Dr Chopra aurait pu dire pour la convaincre qu’il réussirait à mener sa tâche à bon terme. Il en découle que le seul motif justifiant les doutes de Mme Kirkpatrick réside dans ses échanges par courriel d’alors avec le Dr Chopra. Cependant, ces communications montrent clairement que même si ce dernier faisait réellement progresser son dossier, Mme Kirkpatrick ne s’est jamais donné la peine de le vérifier. Plutôt, Mme Kirkpatrick a déclaré qu’elle avait conclu qu’il était impossible que le Dr Chopra travaille à cette tâche parce que ses courriels étaient de nature trop générale. Cette preuve est au mieux inutile, car il était impossible d’établir si le Dr Chopra accomplissait réellement ses tâches sans le lui demander.

637 Les inquiétudes exprimées par le Dr Chopra le 7 mai 2004 au sujet de la tâche ne différaient pas des nombreux autres débats que ses collègues et lui avaient eus au fil des ans entre eux et avec d’autres employés de l’employeur. Les commentaires du Dr Chopra faisaient partie d’une réaction normale et naturelle pour un scientifique chargé d’un projet d’une telle complexité; par conséquent, les commentaires du Dr Chopra ne méritaient pas qu’on lui impose des mesures disciplinaires, mais devaient plutôt mener à un dialogue permettant d’exposer des points de vue et des idées. Or, Mme Kirkpatrick n’était pas intéressée à discuter avec lui, préférant considérer ses commentaires comme de l’insubordination.

638 Mme Kirkpatrick n’a soulevé ses préoccupations au sujet du Dr Chopra qu’à l’audience actuelle. Ce fait indéniable ne peut mener qu’à deux conclusions : les préoccupations évoquées en audience et amplifiées dans les arguments de l’employeur n’existaient pas en 2004; même si l’employeur avait ses préoccupations à l’époque, il a omis de bien s’en occuper. S’il s’agissait d’inquiétudes légitimes, Mme Kirkpatrick aurait dû aborder la question avec le Dr Chopra et lui donner la possibilité de réagir ou de rectifier son comportement. Dans l’un ou l’autre cas, rien ne justifie l’imposition de mesures disciplinaires.

639 Une bonne pratique fondamentale en ressources humaines exige qu’un gestionnaire ou un superviseur traite directement avec un employé des questions ou des préoccupations qu’il peut avoir au sujet d’une tâche. Le Dr Chopra a exprimé ses inquiétudes à Mme Kirkpatrick, mais l’employeur n’a pas jugé bon d’assurer le suivi ou a refusé de le faire. Aucun dialogue n’a eu lieu.

640 Lors du congédiement du Dr Chopra, l’employeur n’a pas respecté les étapes énoncées dans les Lignes directrices concernant la discipline du Conseil du Trésor (pièce G-288). Plus précisément, la décision de Mme Kirkpatrick d’imposer une mesure disciplinaire était fondée sur une enquête peu équitable et subjective du comportement du Dr Chopra.

641 Dans une affaire d’insubordination, l’employeur doit absolument prouver les trois points suivants :

  • un ordre clair a été intimé à l’employé, et celui-ci l’a compris;

  • l’ordre a été donné, ou clairement transmis, par une personne en position d’autorité;

  • l'employé a soit refusé de prendre acte de cet ordre, soit carrément refusé de l'exécuter.

642 Par ailleurs, dans Canadian Labour Arbitration (au paragraphe 7:3612), divers facteurs ont été identifiés pour atténuer la gravité d’une mesure disciplinaire pour insubordination, notamment l’absence d’intention de s’opposer à l’employeur, l’absence d’un état d’esprit répréhensible ainsi que l’absence de perte financière pour l’employeur.

643 On peut conclure à l’insubordination d’un employé s’il est évident que celui-ci savait ce qu’il était tenu de faire, mais qu’il a refusé d’obéir. Cependant, la loi est claire : l’insubordination n’est possible que si l’on a nettement communiqué à l’employé les directives de l’employeur, sans quoi la mesure disciplinaire est sans motif valable et doit être révoquée. Une conclusion d’insubordination a de graves conséquences et le seuil déterminant ce que constitue un ordre clair et bien compris de l’employé est donc très élevé. Comme l’a observé l’arbitre dans Nanaimo Collating Inc. (au paragraphe 36), hors d’un milieu de travail de type militaire, une directive ne peut donner lieu à l’insubordination que si elle est précise et expresse.

644 Tout ordre clair qui a été compris du fonctionnaire comporte des éléments objectifs et subjectifs. Les faits doivent montrer que l’ordre était objectivement clair et compréhensible, et il faut procéder à une analyse subjective de la compréhension réelle de l’ordre par le fonctionnaire. Le Dr Chopra prétend que, dans le cas présent, aucun élément de la première exigence pour conclure à l’insubordination n’était présent. Les directives qu’on lui a communiquées au sujet de la tâche étaient loin d’être claires. De plus, son témoignage et les preuves documentaires datant de mai 2004 prouvent nettement qu’il n’a pas compris ce que Mme Kirkpatrick attendait de lui.

645 Dans des affaires liées à l’insubordination, on a déterminé que la répétition d’un ordre et la communication des conséquences d’un refus constituaient de bonnes pratiques de la part d’un employeur avant d’imposer des mesures disciplinaires. Cette pratique convient particulièrement aux milieux de travail où sont survenues des tensions, des plaintes de harcèlement ou des allégations de discrimination. Dans Grover, on a conclu à l’insubordination du fonctionnaire s’estimant lésé car il avait refusé d’exécuter l’ordre de lancer un processus de sélection. Cependant, il a été noté qu’avant de le sanctionner, son employeur lui avait répété l’ordre à deux reprises par écrit et l’avait fait suivre d’un avertissement clair, sans compter que ce dernier indiquait expressément que tout autre refus serait considéré comme de l’insubordination. La mesure disciplinaire a été maintenue, car le fonctionnaire s’estimant lésé a persisté à refuser de tenir le concours, même après avoir reçu l’avertissement final.

646 Outre les exigences que les ordres soient clairs et compris par le fonctionnaire, la loi précise qu’une simple transgression technique d’un ordre expressément clair ne constitue pas nécessairement de l’insubordination s’il n’en a découlé aucun préjudice ou si l’on peut soutenir que le comportement en cause était toléré. Dans Myler, l’arbitre a souligné que l’insubordination est avant tout une question d’attitude de défi à l’égard de l’autorité.

647 L’employeur n’a pas satisfait au critère permettant de conclure à l’insubordination. Tout d’abord, Mme Kirkpatrick n’a pas clairement communiqué au Dr Chopra ses attentes relatives à la tâche. Ensuite, même après que celui-ci lui ait expressément demandé des précisions, elle n’a pas clarifié ses directives et n’a pas discuté de la question avec lui. Enfin, absolument rien ne prouve que le Dr Chopra ait délibérément refusé d’accomplir la tâche. Au contraire, il est évident, au vu de la preuve, que le Dr Chopra était prêt à faire de son mieux pour mettre son vaste savoir et sa grande expérience au service des problèmes de résistance aux antimicrobiens, se conformer aux instructions de Mme Kirkpatrick et aider l’employeur à mettre en œuvre les recommandations du rapport McEwan.

648 La preuve du Dr Chopra indiquait que, sur ce plan, la tâche qui lui avait été confiée était finalement inutile, car les conclusions du rapport McEwan et le consensus international avaient déjà clairement démontré qu’il revenait à l’employeur de décider des mesures à prendre relativement à l’utilisation d’antibiotiques chez les animaux destinés à l’alimentation. Cependant, la preuve soumise par le Dr Chopra révélait qu’il était tout de même prêt à accomplir cette tâche malgré son opinion personnelle sur l’importance de celle-ci dans le contexte d’un apport global à la question de la résistance aux antimicrobiens. Mme Kirkpatrick a témoigné à de nombreuses reprises ne pas avoir été ouverte aux suggestions du Dr Chopra sur la façon de traiter la tâche, peu importe la justification qu’il invoquait. Par conséquent, le Dr Chopra a avisé Mme Kirkpatrick qu’il ne croyait pas qu’il serait possible d’accomplir la tâche dans ces conditions.

649 La preuve soumise par Mme Kirkpatrick et les arguments exposés au nom de l’employeur ont clairement montré que l’employeur avait tenté de monter de toutes pièces un dossier d’insubordination au moyen d’allégations et d’affirmations associées à des motifs autres que ceux invoqués dans la lettre de licenciement. Plus précisément, l’employeur a produit une preuve étoffée au sujet du rendement professionnel du Dr Chopra et de son recours à des congés de maladie. D’ailleurs, l’essentiel de la preuve de l’employeur dans le dossier du licenciement du Dr Chopra visait la qualité du travail de ce dernier relativement à la tâche qui lui avait été confiée. Or, ni les problèmes d’absentéisme, ni les problèmes de rendement n’ont été invoqués pour motiver ce licenciement. Dans une telle situation, il faut s’intéresser de près au critère précis permettant de conclure à l’insubordination et au type de preuves pouvant étayer une telle allégation.

650 La situation évoquée dans Trilea-Scarborough Shopping Centre Holdings Ltd. est complètement différente de celle-ci. Soulignons par ailleurs que s’il a été jugé dans cette décision qu’il y avait bel et bien lieu d’imposer une mesure disciplinaire, il y a également été soutenu que les circonstances ne justifiaient pas un congédiement, même si le fonctionnaire s’estimant lésé avait expressément refusé d'accomplir le travail qui lui avait été attribué et que son superviseur lui en avait clairement transmis l’ordre. La preuve démontre hors de tout doute que le Dr Chopra, contrairement à ce fonctionnaire, s’intéressait vivement à son travail, surtout en ce qui a trait à la résistance aux antimicrobiens, mais ne comprenait tout simplement pas ce que Mme Kirkpatrick attendait de lui dans le cadre de cette tâche. À la différence des faits dans Trilea-Scarborough Shopping Centre Holdings Ltd., le Dr Chopra s’est vu confier une tâche complexe et à multiples facettes, et les éléments de preuve démontrent clairement qu'il n’avait ni compris la tâche ni partagé l’interprétation des attentes connexes de Mme Kirkpatrick. La preuve démontre également qu’il a mis en application ses connaissances et son expertise relativement à la résistance aux antimicrobiens de manière à comprendre la tâche et à définir une approche adaptée à sa réalisation.

651 Vancouver General Hospital diffère grandement de ce cas-ci sur divers points névralgiques. Les faits de Vancouver General Hospital illustrent d’ailleurs à la perfection les nombreux écarts de l’employeur qui ont mené au licenciement du Dr Chopra. Contrairement aux faits de l’affaire présente, l’employeur dans Vancouver General Hospital a licencié son employé en invoquant son [traduction] « […] mauvais rendement et [son] inconduite associés [à ses] régimes de travail […] », et non l’insubordination. Avant de procéder à son licenciement, l’employeur a documenté et cherché à régler tout un éventail de problèmes, notamment un comportement fâcheux, l’omission d’accomplir des tâches courantes, la prolongation des pauses, le manque d’assiduité et les absences imprévues ainsi que le fait de s’être fait passer pour un superviseur. L’employeur a pris de nombreuses mesures de bonne foi afin de l’aider à améliorer son rendement et son comportement, comme lui rédiger une lettre énonçant les attentes au chapitre du rendement et du comportement; lui donner des directives, de l’encadrement et des activités de recyclage par rapport à divers procédés; le suspendre à deux reprises pour des problèmes de rendement et de comportement; retenir les services d’une personne pour l’aider à devenir plus assidu et plus fiable; mener une série d’enquêtes sur les incidents déterminants. Tout comme dans Grover, l’importance de prendre de telles mesures successives avant de recourir aux sanctions est évidente, ce que n’a pas fait l’employeur dans le cas du Dr Chopra.

652 Enfin, l’arbitre dans Vancouver General Hospital a souligné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait manifesté un [traduction] « profond manque de volonté de reconnaître ses fautes ». L’employeur ici en cause sous-entend qu’il en va de même pour le Dr Chopra. Pourtant, la présente affaire implique un travail autrement plus complexe et nuancé que celui qui avait été assigné au fonctionnaire s’estimant lésé dans Vancouver General Hospital. La science est un domaine dont la méthode fondamentale repose sur un débat constant et vigoureux. Conséquemment, le Dr Chopra a cherché à discuter du problème de résistance aux antimicrobiens avec d’autres évaluateurs et a témoigné à de multiples reprises être ouvert à modifier son opinion à l’issue d’un débat scientifique, mais Mme Kirkpatrick l’a empêché de recourir à ce type de discussion. De plus, le témoignage de cette dernière a clairement montré qu’elle n’était pas ouverte aux échanges avec le Dr Chopra et que même si un tel débat avait eu lieu, elle n’aurait pas accepté son point de vue. De toute évidence, selon Mme Kirkpatrick, c’est elle qui avait raison et le Dr Chopra avait tort.

653 Les faits en cause se distinguent manifestement de Crossley Carpet Mills Ltd. v. C.A.W.—Canada, Local 4612, [2003] N.S.L.A.A. no 22 (QL), British Columbia Hydro and Power Authority et Grover, où les employés réprimandés ont passé outre, à de multiples reprises et ouvertement, à des directives claires et à des avertissements de mesures disciplinaires. De plus, soulignons que le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé dans BC Hydro marquait le point culminant d’une série de mesures disciplinaires imposées pour insubordination. Rappelons que dans le cas qui nous intéresse, Mme Kirkpatrick n’a jamais imposé de telles mesures relativement à un travail antérieur du Dr Chopra ni évoqué l’insubordination, à quelque moment que ce soit, dans le contexte de la tâche en cause.

654 L’employeur invoque Crossley Carpet Mills Ltd. à l’appui de son opinion voulant que le Dr Chopra ait eu une conduite assez grave pour lui mériter un licenciement. Le fonctionnaire s’estimant lésé dans Crossley Carpet Mills Ltd. avait de longs antécédents de [traduction] « dédain vitriolique » et d’insubordination [traduction] « flagrante », dont non moins de 12 incidents distincts ayant fait l’objet d’avertissements écrits et de suspensions disciplinaires, étapes qui, de l’avis de l’arbitre, constituaient [traduction] « maints avertissements répétés quant aux conséquences précises de [la] conduite [du fonctionnaire] ». Ces faits se rapprochent difficilement de la conduite en cause dans la présente affaire. Une telle comparaison témoigne plutôt de la tendance de l’employeur à saisir toute occasion de dépeindre le Dr Chopra sous le pire jour.

655 L’employeur renvoie également à Shuniah Forest Products Ltd. v. Industrial Wood and Allied Workers of Canada, Local 2693, [2000] O.L.A.A. no 811 (QL), qui vise une suspension de deux semaines, à l’appui de sa position selon laquelle le licenciement dans la présente affaire était justifié. Dans Shuniah Forest Products Ltd., il a été déterminé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait délibérément refusé de satisfaire aux attentes connues de son superviseur; il s’agissait clairement d’un cas d’insubordination. À l’opposé, la preuve en cause dans la présente affaire démontre nettement qu'aucun des éléments requis pour conclure qu’on ordre a été émis clairement n’était présent.

656 Le principe des mesures disciplinaires progressives viennent du devoir de l’employeur de faire connaître à ses employés la gravité de son interprétation de certains comportements. Elles reposent sur l’idée voulant que, en plus de la dissuasion, le but premier des mesures disciplinaires en milieu de travail vise la correction et la réhabilitation. Par conséquent, l’employeur a le devoir positif d’offrir à ses employés de la formation et des services de consultation relativement aux éléments de leur travail où ils ont un rendement insuffisant. Lorsqu’il a congédié le Dr Chopra, l’employeur n’a absolument pas appliqué les principes associés aux mesures disciplinaires progressives. Il ne lui a laissé aucune possibilité de rectifier son comportement ni ne lui a donné d’avertissement relativement aux conséquences graves qu’il allait imposer. On n’a jamais fait part au Dr Chopra des lacunes qui seraient à la source des allégations d’insubordination de l’employeur, et on lui a encore moins offert de formation ou de services de consultation pour améliorer son rendement.

657 Comme il a été mentionné au paragraphe 92 de Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 109, il incombe aux décideurs de s’efforcer de dégager les faits et d’en prendre connaissance avant de rendre une décision. Le Dr Chopra a fait valoir qu’en omettant de partager avec lui ses préoccupations et en n’assurant aucun suivi que ce soit, Mme Kirkpatrick n’a pas réussi à déterminer les faits requis avant de décider de lui imposer une mesure disciplinaire. Si Mme Kirkpatrick était d’avis que le défaut présumé du Dr Chopra de fournir un compte rendu adéquat au plus tard le 4 mai constituait de l’insubordination, il lui revenait de porter cette question à son attention et de lui imposer toute mesure disciplinaire qu’elle aurait jugée nécessaire en temps opportun. Plutôt, elle n’a eu aucun contact avec lui entre son courriel du 17 mai 2004 et la lettre de licenciement du 14 juillet suivant, soit près de deux mois plus tard et alors que le Dr Chopra était en congé de maladie autorisé. Dans ces circonstances, il est évident que ce dernier n’était pas au courant des préoccupations de Mme Kirkpatrick et qu’il n’a pas eu la possibilité de rectifier son comportement avant d’être licencié.

658 Une divergence d’opinion légitime ou la simple frustration à l’égard d’un employé ne sont pas des motifs pour conclure à l’insubordination, surtout lorsque l’employeur n’a pas satisfait à ses obligations consistant à prendre des mesures correctives et à imposer des mesures disciplinaires progressives. Ce cas est semblable à Nanaimo Collating Inc., dans lequel l’employeur, excédé par le fonctionnaire s’estimant lésé, l’a réprimandé sans prendre d’abord les mesures requises pour régler l’objet de son insatisfaction. Dans la même veine, le Dr Chopra affirme que son licenciement pour motifs disciplinaires ne peut être maintenu dans de telles circonstances.

659 Il n’a pas été ici prouvé que les éléments qui justifient un incident déterminant ou culminant et qui auraient justifié le licenciement étaient réunis. Les critères associés à un incident déterminant sont énoncés aux paragraphes 93 et 94 de Doucette.

660 Outre le fait que l’incident déterminant allégué n’était pas digne de mesures disciplinaires, l’employeur a eu tort d’invoquer des sanctions antérieures. Les antécédents disciplinaires du Dr Chopra qui visaient son entente de télétravail et ses actes de dénonciation n’ont aucun lien manifeste avec les allégations voulant qu’il n’ait pas répondu aux attentes de Mme Kirkpatrick relativement à la tâche assignée. Même si les sanctions antérieures découlaient d’inconduites, elles n’avaient rien à voir avec le rendement ou la productivité du Dr Chopra ni avec le caractère soi-disant fallacieux de ses communications avec l’employeur au sujet de l’avancement de son travail. Par conséquent, nous soutenons que les circonstances entourant la tâche ne correspondent pas aux critères d’un incident déterminant justifiant un licenciement.

661 Même si la lettre de licenciement mentionnait expressément le pouvoir conféré par la loi relativement à un licenciement pour manquement à la discipline ou inconduite, les éléments de preuves produits par Mme Kirkpatrick et les arguments de l’employeur indiquent qu’il s’agit davantage d’un licenciement non disciplinaire découlant d’un rendement insatisfaisant. Non seulement l’employeur ne répond pas au critère permettant de conclure à l’insubordination, mais en plus, l’essentiel de sa preuve et de ses arguments vise le rendement du Dr Chopra, un motif de licenciement qui relève clairement de l’alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (la « LGFP »). L’employeur ne peut invoquer des allégations de rendement professionnel insatisfaisant à l’appui d’un licenciement pour manquement disciplinaire ou inconduite aux termes de l’alinéa 11(2)f) de la LGFP.

662 Le Dr Chopra a fait une présentation subsidiaire sur la question du rendement professionnel insatisfaisant. Premièrement, il est évident que Mme Kirkpatrick n’a pas envisagé ni suivi les étapes successives appropriées en cas de problèmes de rendement professionnel insatisfaisant. Elle n’a même pas rempli de PDR ni mis en œuvre de plan de travail pour le Dr Chopra avant qu’on ne lui confie la tâche. De tels manquements ne peuvent qu’aboutir à un manque d’impartialité envers ce dernier. Comme il a été évoqué dans Dhaliwal, le fait de ne pas recourir aux lignes directrices énoncées dans la politique du Conseil du Trésor a comme résultat une décision prise de mauvaise foi. Dans O’Leary c. Conseil du Trésor (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CRTFP 10, le fait pour l’employeur de n’avoir pas proposé de formation adéquate a réuni les conditions propices au mauvais rendement du fonctionnaire. Dans cette affaire, l’arbitre de grief a établi qu’au lieu de bénéficier du soutien voulu, le fonctionnaire s’estimant lésé avait été assujetti à une supervision étroite destinée à documenter ses échecs au lieu de l’aider à les surmonter. Aux paragraphes 29, 32 et 33 de Manitoba, l’arbitre de grief a été d’avis qu’un fléchissement soudain du rendement d’un employé de longue date ne constituait pas de l’insubordination et s’est inquiété de l’omission par l’employeur de recourir aux mécanismes courants en matière de ressources humaines afin de venir en aide à un employé ayant des difficultés. Mme Kirkpatrick a vertement critiqué le Dr Chopra et a conclu qu’il n’accomplissait aucun travail, mais elle n’a rien fait pour l’aider à atteindre ses objectifs. Dans ces circonstances, l’employeur a de toute évidence manqué à ses obligations de régler les problèmes allégués de rendement du Dr Chopra. Compte tenu des manquements de l’employeur, au chapitre plus particulièrement de ses obligations en matière de gestion du rendement, il ne lui revient tout simplement pas d’invoquer en arbitrage le supposé rendement professionnel insatisfaisant du Dr Chopra à l’appui de ses allégations d’insubordination.

c. Réponse de l’employeur

663 Le problème fondamental en ce qui concerne le comportement du Dr Chopra par rapport à sa tâche, comme l’a clairement démontré sa preuve à l’égard de divers autres points, était qu’il avait tenté de détourner le but visé par la tâche pour en faire ce qu’il voulait. On lui a confié une tâche très précise. On ne lui a pas demandé de se pencher sur la résistance aux antimicrobiens, sur l’émergence de celle-ci ou sur les nombreuses choses qu’il voulait faire. On lui a expressément enjoint d’analyser et de créer un système de classification ou de catégorisation et de pondération pour plusieurs types de données probantes. Toutefois, il désirait se plonger dans les détails de la résistance aux antimicrobiens, ce qui n’était pas l’objet de la tâche qui lui avait été confiée.

664 Même si la preuve était importante et très détaillée et soumise dans un format exigeant de nombreuses explications, l’employeur est tenu de veiller à ce que l’arbitre de grief comprenne ce qui lui est présenté, y compris les méandres d'un débat scientifique complexe.

665 Il est évident que Mme Kirkpatrick et M. Adewoye n’auraient pas eu les mêmes échanges étoffés que ceux qui ont eu lieu en audience et que ces échanges n’auraient pas eus lieu avec le Dr Chopra. Ils ont un riche bagage scientifique et abordent quotidiennement des problèmes de nature scientifique dans un milieu scientifique.

666 Le fait que M. Adewoye compte parmi les personnes qui ont déposé une plainte de harcèlement contre les fonctionnaires n’est pas pertinent. Rien ne dénote quelque intention douteuse que ce soit dans la création de la tâche ou dans les actions de M. Adewoye.

667 Si le Dr Chopra n’a pas compris les instructions, comme elles ont été transmises par Mme Kirkpatrick lors de leur réunion et ensuite précisées au moyen de la documentation qu’elle lui a fournie, pourquoi n’a-t-il pas cherché à obtenir de plus amples informations? Ce n’est que lorsque Mme Kirkpatrick lui a proposé de tenir une réunion le 4 mai 2004 pour discuter de la tâche qu’ils ont communiqué. Mme Kirkpatrick ne pouvait que présumer que le Dr Chopra avait bien compris et qu’il n’avait aucun problème avec la tâche. S’il n’avait pas bien compris les tenants et les aboutissants de cette tâche, il lui incombait de s’informer. Il est intéressant de souligner que le Dr Chopra, un homme qui n’a jamais hésité à exprimer sa pensée, invoque un tel argument.

668 L’argument selon lequel Mme Kirkpatrick n’a pas voulu laisser le Dr Chopra consulter ses collègues est erroné. Compte tenu des travaux exhaustifs qu’avait déjà réalisés le comité consultatif McEwan au sujet de la résistance aux antimicrobiens, elle ne voyait pas la pertinence de ces échanges alors que rien n’avait encore été accompli. De plus, elle a témoigné qu'elle n’avait pas à organiser de réunion pour le Dr Chopra, qu’il était libre de discuter comme il le jugeait bon avec ses collègues.

669 Les arguments du Dr Chopra démontrent clairement que celui-ci continue de vouloir débattre de la pertinence de la tâche au lieu de l’accomplir. L’employeur était d’avis que le Dr Chopra avait ses propres objectifs, qu’il cherchait à mouler la tâche à ces objectifs et à effectuer la tâche de son choix plutôt que celle qui lui avait été attribuée. Ses éléments de preuve et ses arguments appuie ce point de vue.

670 Les décisions invoquées par le Dr Chopra sur la question de l’insubordination peuvent être écartées, car il s’agissait d’établir si les employeurs avaient effectivement donné des ordres directs et si ces ordres avaient été clairement communiqués. Les directives de Mme Kirkpatrick et ses explications subséquentes au Dr Chopra au sujet de ses attentes étaient limpides. Il n’existait aucune confusion sur ce qui était attendu de lui.

671 Le Dr Chopra a soutenu qu’il y a des éléments tant objectifs que subjectifs pour déterminer si l’employeur a donné un ordre clair. Il a notamment fait valoir que le critère suppose une analyse subjective à savoir s’il avait réellement compris la tâche. La jurisprudence qu’il a invoquée ne mentionne aucun élément subjectif pour ce critère. Néanmoins, la demande de Mme Kirkpatrick ainsi que la confirmation de sa demande à plusieurs reprises font en sorte qu’il n’y avait pas de doute que l’employeur avait exprimé clairement ses attentes.

672 Contrairement aux arguments du Dr Chopra, la preuve relative à ses réactions par rapport à la tâche ne visait pas la qualité de son travail, mais bien le fait qu’il n’avait pas accompli de travail.

673 En ce qui concerne le fait qu’il n’a pas été averti, le Dr Chopra soutient que de répéter un ordre et de mentionner les conséquences d’un refus ont été reconnus en tant que pratiques positives de l’employeur dans des affaires d’insubordination. Le fait de ne pas avoir averti un employé est fatal dans les affaires où il est question, notamment, de problèmes de rendement ou d’absentéisme involontaire. Or, l’employeur a perçu la désobéissance du Dr Chopra à ses directives non pas comme un problème de rendement professionnel, mais bien comme un manquement disciplinaire. Dans les circonstances, il n’y avait pas lieu de prévenir le Dr Chopra qu’il pourrait faire l’objet de mesures disciplinaires. Il savait ce qu’on attendait de lui et il a choisi de ne pas obtempérer. Quoi qu’il en soit, des suspensions de 10 et de 20 jours lui avaient déjà été imposées. La suspension de 20 jours indiquait clairement que toute autre inconduite mènerait au licenciement. Le Dr Chopra savait que son emploi était en jeu et que s’il ne respectait pas les directives de son employeur, son licenciement s’ensuivrait.

674 Les faits en cause dans Myler peuvent être écartés. Dans cette affaire, le fonctionnaire s’estimant lésé a fini par effectuer son travail et n’en avait repoussé l’exécution que le temps d’obtenir des précisions à savoir si la tâche en cause relevait de ses fonctions. Contrairement à Myler, il serait faux d’affirmer que le cas présent n’a causé aucun préjudice : un employeur subit un préjudice lorsqu’un employé ne travaille pas.

675 L’employeur n’est pas tenu d’offrir de la formation et des services de consultation lorsque les lacunes à combler visent l’insubordination plutôt que le rendement.

676 Le Dr Chopra a soutenu qu’avant de le congédier, Mme Kirkpatrick avait refusé de lui donner la possibilité de se défendre contre l’allégation voulant qu’il n’ait accompli aucun travail. Si la procédure a été prise en défaut pour manque d’équité, tel qu’il est prétendu par le Dr Chopra, la présente audience y a remédié [Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.F.) (QL)].

677 La doctrine de l’incident déterminant permet à un employeur d’invoquer les mauvais antécédents professionnels d’un employé pour justifier le recours à des mesures plus importantes que celles qui seraient autrement imposées. Il ne lui est pas interdit de tenir compte des antécédents disciplinaires d’un employé, même si les actions fautives subséquentes sont de nature distincte : Northwest Territories Power Corp., paragraphe 25; Weyerhaeuser Co. (Drayton Valley Operations), paragraphe 11; Alcan Smelters Inc. and Chemicals Inc., paragraphes 45 à 47.

678 Le Dr Chopra n’a jamais donné l’impression à l’employeur qu’il n’avait pas les compétences requises pour remplir ses fonctions. Contrairement à ce qu’il affirme, ses actions par rapport à la tâche n’ont pas été traitées comme des problèmes de rendement, mais bien comme des actes répréhensibles d’insubordination. Dhaliwal portait sur la question de l’autorité pour un renvoi en cours de stage. L’obligation d’agir de bonne foi a été invoquée dans ce contexte. Dhaliwal et la présente affaire sont complètement distincts.

679 Il faut aussi écarter Manitoba, où l’arbitre a jugé que l’absence de rendement du fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas de nature intentionnelle ou issue de la négligence. De plus, le fonctionnaire n’a jamais vu ses explications contredites, car l’avocat de l’employeur ne l’a jamais contre-interrogé. Le Dr Chopra a manifestement été l’objet d’un contre-interrogatoire de l’employeur et a affirmé avoir terminé la tâche. Il n’a pas accompli la tâche; en fait, il n’a rien fourni. Dans cette mesure, il a fait preuve d’insubordination.

2. Grief pour licenciement de la Dre Haydon

a. Pour l’employeur

680 L’employeur a présenté des arguments concernant le droit en matière d’insubordination semblables aux arguments qu’il avait soulevés relativement au grief pour licenciement de Dr Chopra; je ne les ai pas répétés.

681 En juin 2004, la Dre Haydon a soumis une évaluation qui était trop incohérente, incomplète et inadéquate pour permettre la prise d’une décision sur l’issue de la PDN. De plus, la Dre Haydon a consacré, dans un premier temps, 14 mois à cette évaluation, et poursuivie cette même évaluation pendant sept autres mois après que le fabricant eut fourni des données additionnelles; elle a aussi fait fi des directives explicites de M. Alexander. Enfin, le produit final était si mal rédigé qu’il n’était d’aucune utilité et devait être refait. Pour ces raisons, Mme Kirkpatrick a jugé que la Dre Haydon évitait délibérément d’accomplir son travail, au point où sa conduite constituait de l’insubordination.

682 L’insubordination de la Dre Haydon se rapproche de celle décrite dans Trilea-Scarborough Centre Holdings, où l’arbitre a conclu que l’employé s’estimant lésé savait indubitablement ce qu’on attendait de lui et que l’opposition volontaire de ce dernier était la seule chose l’ayant empêché d’effectuer le travail attribué. Ainsi, la Dre Haydon a passé outre aux directives de M. Alexander relativement à l’évaluation de l’étude de bioéquivalence sur le Pirsue en solution stérile (à l'origine), puis à nouveau lorsqu’on lui a fourni les données additionnelles, en octobre 2003. Elle a ignoré les directives de M. Alexander, qui lui avait enjoint de tenir compte du résumé de l’approbation du produit aux États-Unis. Elle était au fait de ces directives. L’employeur a soutenu qu’il n’y avait qu’une seule conclusion possible : l’inexécution de ces directives, de la part de la Dre Haydon, ne pouvait s’expliquer que par son opposition volontaire. Comme dans Vancouver General Hospital, le modèle de rendement professionnel de la Dre Haydon reflétait l’idée que celle-ci se faisait de la tâche à accomplir plutôt que des directives de son superviseur. En plus de ne pas avoir fait son travail lors de son évaluation de la PDN, la Dre Haydon a mis un temps excessif à produire un document qui n’était essentiellement d’aucune utilité pour l’employeur.

683 Comme il a été dit dans Vancouver General Hospital, les facteurs atténuants ne servent pas à disculper la conduite d’un fonctionnaire s’estimant lésé. Même s’ils peuvent à l’occasion garantir que cet employé ne commettra pas d’autre acte fautif, il arrive également que le comportement de l’employé vienne annuler le facteur atténuant des longues années de service. La Dre Haydon travaillait depuis plus de 20 ans pour l’employeur. Elle avait toutes les compétences voulues pour procéder à l’évaluation de la PDN sur le Pirsue, mais elle a systématiquement manqué de répondre aux exigences de l’employeur, qu’elle connaissait très bien. Les faits en cause dans cette espèce ne permettent d’aboutir qu’à une seule conclusion : la relation employeur-employée était irrémédiablement rompue. Il est évident que la Dre Haydon a persisté dans son insubordination, un comportement qu’elle a défendu en audience, et qu’elle a remis en question l’autorité de l‘employeur.

684 Le licenciement de la Dre Haydon n’était pas une mesure excessive. Cette dernière était très au fait des préoccupations et des attentes de l’employeur par rapport à son travail. Selon l’employeur, le licenciement ne constituait pas une sanction trop sévère et il devrait être maintenu.

b. Pour la fonctionnaire s'estimant lésée

685 La Dre Haydon a soumis des arguments semblables à propos du traitement commun des trois fonctionnaires. J’en ai déjà fait la synthèse dans le résumé des arguments concernant le grief pour licenciement du Dr Chopra.

686 Les questions touchant la résolution de conflits d’opinions scientifiques et l’importance à accorder aux conclusions d’organismes réglementaires étrangers ont été soulevées à diverses reprises alors que Mme Kirkpatrick était directrice générale. Dans le contexte du présent grief, la question consistant à déterminer ce qu’est une substance bioéquivalente ainsi que la question de l’importance à accorder à un rapport de la Food and Drug Administration des États-Unis ont été soulevées entre les gestionnaires de l’employeur et les scientifiques. Rien ne démontre que la direction de l’employeur ait adopté des structures qui permettraient de résoudre les divergences d’opinions scientifiques et de poursuivre le travail des employés. De même, rien ne démontre l’existence de politiques relatives à l’application d’opinions réglementaires étrangères pour guider les scientifiques et les fabricants qui soumettent des études aux fins d’évaluation.

687 Durant presque l’entièreté des mois de janvier et février, ainsi qu’au début du mois de mars 2004, la Dre Haydon était absente du travail pour des raisons de santé ou parce qu’elle avait été suspendue pour ses propos tenus en public. Au début de juin 2004, elle a terminé et soumis toutes les évaluations de présentations de drogue qui lui avaient été attribuées et qui étaient toujours en suspens. On l’a congédiée le 14 juillet 2004, pendant qu’elle était en congé de maladie, sans qu’on ne lui communique les motifs de cette décision de l’employeur.

688 Sa lettre de licenciement invoquait l’insubordination comme unique motif de cette cessation d’emploi. Le contenu de la lettre était vague et mentionnait des documents et des événements qui ne correspondaient pas aux souvenirs de la Dre Haydon. En témoignage, Mme Kirkpatrick a fourni des explications divergentes au sujet des documents et des événements abordés dans la lettre.

689 L’employeur a produit une vaste preuve concernant les rapports produits par la Dre Haydon. Bon nombre d’éléments de preuve portaient sur des conclusions qui avaient été dégagées des années après son licenciement. Il est inacceptable que tous ces problèmes liés au travail de la Dre Haydon n’aient été exposés essentiellement qu’au cours des présentes audiences. Les principes fondamentaux en relations de travail et en ressources humaines stipulent que toute lacune dans le travail d’un employé doit être portée à son attention en temps opportun afin qu’il ait la possibilité de se défendre ou de corriger son rendement. L’employeur n'était tout simplement pas intéressé de communiquer avec la Dre Haydon. La seule conclusion possible est qu’il voulait la licencier même en l’absence de motifs légitimes lui permettant de le faire.

690 L’employeur n’a déposé aucun élément de preuve selon lequel la Dre Haydon aurait délibérément omis ou refusé de respecter les directives. Il a fondé ce constat sur des présomptions et des stéréotypes. Toute personne raisonnable aurait confronté ces présomptions et ces stéréotypes aux faits, ne serait-ce qu’en s’adressant directement à la Dre Haydon afin de prendre connaissance de sa version des faits.

691 Presque sans exception, les éléments de preuve de l’employeur étaient le genre de preuve qu’un employeur produirait pour justifier un congédiement pour rendement professionnel insatisfaisant. L’employeur a maintenu que la preuve relative au rendement de la Dre Haydon était pertinente à son allégation voulant qu’elle ait fait preuve d’insubordination avant d’être licenciée. Or, il n’a jamais invoqué d’autre motif que l’insubordination pour motiver ce licenciement. Les preuves qu’il a soumises n’ont jamais suffi à éliminer le doute justifiable que soulève un employeur qui soutient imposer des mécanismes de surveillance étroits et ponctuels à l’égard de trois différents employés pour ensuite interrompre ces trois démarches à des étapes distinctes et licencier les trois employés le même jour.

692 Mme Kirkpatrick a témoigné en être arrivée à sa conclusion au sujet de la Dre Haydon indépendamment de M. Alexander. L’employeur n’a pas démontré la pertinence du témoignage de ce dernier.

693 M. Alexander était surtout chargé d’assurer un suivi du rendement de la Dre Haydon ainsi que de l’encadrer et de la conseiller. Cependant, il ne s’est acquitté de cette tâche qu’à peu d’occasions. De plus, sa correspondance lors de la période en cause montre qu’il était souvent d’accord avec la Dre Haydon lorsqu’elle demandait davantage de temps ou lorsqu’elle justifiait sa démarche. Malgré tout, celle-ci a été vertement critiquée pour avoir agi de cette façon. Les actions de M. Alexander indiquent clairement que la Dre Haydon a toujours travaillé de manière acceptable. Bien que Mme Kirkpatrick ait été en désaccord, il ne lui revenait pas d’imposer une mesure disciplinaire en l’absence de problème.

694 La Dre Haydon a subi une contre-interrogation exhaustive sur des questions de rendement qui ne justifiaient aucunement son licenciement. Il fallait aborder ces questions au moment où l’on en a pris connaissance, plutôt que de les résoudre en contre-interrogatoire. La Dre Haydon a exposé des motifs légitimes et raisonnables d’avoir structuré son rapport et utilisé les données comme elle l’a fait. Même s’il est évident que l’employeur n’était d’accord ni avec son opinion ni avec son approche, rien de tout cela ne mérite une mesure disciplinaire. Quoi qu’il en soit, étant donné que la Dre Haydon a officiellement été réprimandée pour insubordination, ces questions n’appuient aucunement la position de l’employeur. Si la preuve a démontré un désaccord relativement aux procédés scientifiques de la Dre Haydon, elle n’a pas établi l’insubordination ni tout autre comportement justifiant un licenciement.

695 Aucune explication raisonnable à savoir pourquoi M. Alexander n’avait pas répondu aux questions très précises que lui a posées la Dre Haydon le 12 mai 2004 au sujet de son rendement (pièce E-350, onglet B-15). De toute évidence, un gestionnaire responsable aurait pris connaissance de ces questions et y aurait bien répondu afin de favoriser un dialogue qui aurait pu aider la Dre Haydon à régler ses problèmes de rendement allégués. Cet échec de l’employeur ne fait qu’intensifier le doute sur la légitimité de ses intentions.

696 Il est incorrect et inacceptable de soutenir que la Dre Haydon a choisi de se dégager de toute responsabilité à l’égard de son rendement insatisfaisant. Tel qu’il a été mentionné, malgré les circonstances très difficiles, elle a bel et bien terminé ses tâches. Il semble que pour l’employeur, un désaccord relativement à une évaluation du rendement est synonyme de déni de responsabilité pour un faible rendement. Il peut arriver que ce soit le cas. Toutefois, ce ne peut être le cas si l’employeur ne manifeste pas un intérêt sincère et immédiat de discuter du rendement avec l’employé.

697 Tant en interrogatoire qu’en contre-interrogatoire, Mme Kirkpatrick a déclaré que la version préliminaire incomplète évoquée dans la lettre de licenciement était en fait la note relative au SPDN sur le Pirsue en solution stérile que M. Alexander et la Dre Haydon avaient convenu d’intégrer au plan de travail de cette dernière. Le témoignage de Mme Kirkpatrick était très confus; l’explication la plus vraisemblable en ce qui concerne le témoignage confus de Mme Kirkpatrick est qu’elle l’aurait adapté à la preuve documentaire. Elle semble maintenir que lorsqu’elle faisait allusion à une version préliminaire incomplète, elle voulait dire que la Dre Haydon était tenue de produire un rapport complet au sujet des présentations pour le Pirsue et que comme la note de la Dre Haydon portait uniquement sur sa préoccupation selon laquelle la LAD ne lui permettait pas de s’occuper du SPDN avant que ne soit réglée la question de la PDN, il s’agissait d’un document incomplet. Mme Kirkpatrick semble également soutenir que le fait que la note de la Dre Haydon ait été approuvée par son superviseur dans le cadre de son plan de travail, n’empêchait pas Mme Kirkpatrick de l’utiliser comme référence pour imposer une mesure disciplinaire, mais aussi pour licencier la fonctionnaire. Il serait plus plausible d’interpréter la lettre comme étant composée de phrases présentées dans l’ordre voulu par Mme Kirkpatrick. La formulation va de pair avec l’intention de licencier la Dre Haydon avant qu’elle soit capable de terminer son travail sur les présentations visant le Pirsue. L’interprétation la plus évidente de : « Le plus récent suivi prévu concernant la tâche qui vous a été attribuée […] », est qu’il est question de la rencontre entre M. Alexander et la Dre Haydon du 7 juin 2004. Autrement dit, il semble que ce soit le fragment d’une lettre dont l’ébauche a été écrite alors qu’on anticipait l’incapacité de la Dre Haydon de terminer l’évaluation des présentations sur le Pirsue, et que du contenu a été ajouté à la lettre après que la Dre Haydon ait soumis son travail terminé.

698 La Dre Haydon a signalé à de nombreuses reprises que la loi ne lui permettait pas de s’occuper d’un SPDN avant que la PDN connexe en cours ait été terminée. Autrement dit, ses actes à l’époque découlaient directement de son impression qu’on lui demandait de commettre un acte illégal. Il ne fait aucun doute qu’un SPDN doit, par définition, faire suite à l’évaluation d’une PDN. Si d’autres raisons justifiaient que la Dre Haydon puisse poursuivre son évaluation, ses superviseurs auraient dû en discuter avec elle. Plutôt, comme c’est souvent le cas chez l’employeur, on a soit ignoré les inquiétudes de la Dre Haydon, qui estimait qu’on lui demandait de commettre un acte illégal, soit simplement répondu qu’elle devait procéder conformément aux directives. Absolument rien ne démontre que les superviseurs de la Dre Haydon avaient pris en considération le fait qu’elle croyait qu’on lui demandait de commettre un acte illégal quand on lui a demandé de terminer sa tâche. Il va sans dire que ce facteur devrait être déterminant pour établir s’il y a eu insubordination ou non de la part de Dre Haydon. De plus, l’employeur n’a pas le droit de critiquer la Dre Haydon sur ce point alors qu’il n’a pas daigné discuter de ses préoccupations avec elle au moment opportun.

699 Ce problème reflète également une formule systématiquement appliquée aux trois fonctionnaires. Les préoccupations concernant la légalité, les données insuffisantes ou l’accès aux preuves étaient rencontrées dans le silence ou rejetées. Ces préoccupations étaient habituellement suivies d’une critique directe et, finalement, d’une mesure disciplinaire. De quelque point de vue que l’on se place, c’est répréhensible.

700 Les éléments de preuve de Mme Kirkpatrick pour justifier sa décision de licencier la Dre Haydon étaient pour le moins confus et semblaient avoir été manipulés de manière à combler les lacunes de la preuve documentaire sur laquelle elle tentait de s’appuyer. Il faudrait revoir le contre-interrogatoire de Mme Kirkpatrick à ce sujet de près et dans son intégralité. Quand bien même accepterait-on qu’elle ait soudainement changé d’avis sur la nature des problèmes de la relation employeur-employée entre la Dre Haydon et l’employeur, une telle volte-face suivie de l’omission de prendre en considération les autres renseignements qui entrent en jeu ne constitue pas une pratique responsable en matière de ressources humaines. Le fait est que même si la [traduction] « conversion » de Mme Kirkpatrick était légitime, la réaction appropriée n’était pas de supposer le pire de la part de la Dre Haydon. Plutôt, il aurait fallu s’informer des raisons pour lesquelles un tel changement était survenu. De plus, il aurait à tout le moins fallu reporter toute décision relative au licenciement jusqu’à ce que la Dre Haydon ait remis les rapports qu’elle a éventuellement terminés.

701 Or, Mme Kirkpatrick a témoigné qu’après avoir pris sa décision, il ne lui était plus nécessaire de consulter ni les notes que lui avait écrites M. Alexander le 23 juin, ni les deux autres rapports produits par la Dre Haydon en juin 2004. Il est tout-à-fait déraisonnable de la part de Mme Kirkpatrick d’en être arrivée à une décision sans tenir compte des notes du superviseur direct de la Dre Haydon ni des deux autres rapports de cette dernière. De toute évidence, ces documents étaient fort pertinents et auraient pu donner des informations sur la nature du travail de la Dre Haydon et permettre de déterminer si elle entendait réellement l’accomplir. Mme Kirkpatrick a adopté le même comportement envers la Dre Haydon qu’envers le Dr Chopra et le Dr Lambert : elle a présumé de leur insubordination, probablement en fonction de ses opinions préconçues à leur sujet, et n’a pas fait ce qu’il était normal de faire et ce qu’exige la loi, soit enquêter sur de graves allégations.

702 Les arguments présentés par la Dre Haydon relativement à la jurisprudence en matière d’insubordination sont semblables à ceux évoqués dans l’analyse du grief du Dr Chopra; je ne les ai pas répétés.

703 Dans son témoignage, Mme Kirkpatrick a confirmé s’être fondée sur seulement deux incidents disciplinaires pour déterminer quelle serait la sanction appropriée pour la Dre Haydon. La Dre Haydon a soutenu que l’incident déterminant allégué ne méritait pas de mesure disciplinaire. De plus, il était inapproprié pour Mme Kirkpatrick d’invoquer des sanctions antérieures. Les faits sur lesquels reposent les deux suspensions de la Dre Haydon n’avaient rien à voir avec l’insubordination. Le fait de s’appuyer sur ces suspensions contrevenait au troisième élément du critère associé à un incident déterminant. Une mesure disciplinaire doit être proportionnelle au comportement qu’elle vise à corriger. La Dre Haydon a été réprimandée pour sa [traduction] « […] tentative délibérée et systématique […] d’éviter le travail qui [lui] a été attribué […] ». Même si les mesures disciplinaires antérieures avaient été qualifiées d’inconduites, elles ont été imposées parce que la Dre Haydon avait prononcé et entériné des propos supposément trompeurs auprès des médias. La première mesure disciplinaire, au sujet du bœuf du Brésil, a été imposée rapidement et pour un unique incident. Or, la seconde mesure disciplinaire, pour avoir parlé aux médias, a été imposée pour un ensemble d’incidents survenus au cours d’une période de 11 mois, et elle a été imposée neuf mois après le dernier incident en cause. Ni l’une ni l’autre ne concernaient le rendement de la Dre Haydon, sa productivité ou son incapacité de répondre aux demandes de l’employeur, et ni l’une ni l’autre n’a été qualifiée d’insubordination.

704 De plus, la lettre du 20 février 2002 indiquait que la mesure disciplinaire demeurerait consignée au dossier de la Dre Haydon durant deux ans. Or, Mme Kirkpatrick l’a invoquée à la fois pour imposer une mesure disciplinaire en février 2004 relativement à la dénonciation et pour décider de licencier la Dre Haydon en juillet 2004.Tel qu’il est mentionné dans Doucette : « C’est sérieusement saper la raison d’être des mesures disciplinaires progressives que d’imposer d’un seul coup des sanctions disciplinaires pour une série d’infractions commises sur une longue période. »Dans ce cas, le fait pour l’employeur d’avoir imposé une mesure disciplinaire aggravée par un délai de cinq mois et le regroupement des infractions a atténué l’effet de celle-ci sur le plan de l’analyse de l’incident déterminant.De plus, rien ne prouve que la Dre Haydon ait tenu en public, après cette sanction, d’autres propos que l’employeur a jugés inappropriés. Donc, aux fins des mesures disciplinaires progressives, il faut conclure que la sanction a eu l’effet répressif voulu sur le comportement de la Dre Haydon. Par conséquent, les infractions antérieures n’auraient pas dû influer sur la mesure disciplinaire imposée pour insubordination. De plus, le délai qui s’est écoulé lorsqu’une mesure disciplinaire a été imposée à la Dre Haydon pour dénonciation public a eu pour effet de réduire ses chances de démontrer si la mesure disciplinaire avait été corrective. Ainsi, la sanction antérieure n’aurait pas dû être utilisée pour justifier le licenciement de la Dre Haydon.

705 En dernier ressort, lorsqu’on prend en considération la pertinence des mesures disciplinaires antérieures, surtout dans le contexte des principes qui sous-tendent la discipline corrective et la conduite de l’employeur, il devient évident qu’aucun incident déterminant ne justifie ce licenciement. L’employeur n’a invoqué que deux infractions disciplinaires antérieures, toutes deux visiblement non pertinentes et dont l’une était périmée et n’aurait plus dû figurer au dossier de la Dre Haydon. Les motifs ici en cause sont nettement moindres que le dossier étoffé qui n’a pas permis de justifier le licenciement dans Doucette, où il était question de trois suspensions, dont une de 20 jours.

706 Dans les cas d’insubordination, les faits doivent démontrer que l’ordre était objectivement clair et compréhensible. Il faut également procéder à une analyse subjective de la compréhension réelle de la tâche par le fonctionnaire s’estimant lésé. En l’espèce, aucun élément relatif à la première exigence pour conclure à l’insubordination n’est présent. Les directives qu’a reçues la Dre Haydon au sujet de l’échéancier et des méthodes à utiliser pour procéder aux évaluations de la présentation pour le Pirsue n’étaient pas claires. Pourtant, au bout du compte, celle-ci s'y est conformée tout comme l’aurait fait toute personne raisonnable, c’est-à-dire en remplissant et en soumettant des rapports d’évaluation des présentations.

707 L’employeur n’a pas réussi à satisfaire au critère de l’insubordination. D’abord, Mme Kirkpatrick n’a jamais communiqué à la Dre Haydon ses attentes relatives au fond et à la forme du rapport sur le Pirsue. Ensuite, la Dre Haydon n’a jamais eu la possibilité de répondre ou de réagir à ses attentes. Enfin, absolument rien ne démontre que la Dre Haydon a délibérément omis de répondre aux attentes de Mme Kirkpatrick (puisqu’elles ne lui ont jamais été communiquées avant les présentes audiences). Au contraire, elle a terminé et soumis son travail, ce qui démontre qu’elle a respecté au meilleur de ses connaissances les directives de son supérieur immédiat, selon son interprétation de celles-ci, et fait progresser les travaux importants de l’employeur.

708 Il est tout de même ironique de constater que lorsque l’employeur a commencé à demander que les tâches soient terminées rapidement et à fixer des échéanciers stricts pour les évaluations, la Dre Haydon s’est acquittée des tâches inscrites à son plan de travail, toutefois, l’employeur n’a pas réussi à respecter ses propres échéanciers relativement aux évaluations. L’employeur a ensuite licenciée la Dre Haydon en invoquant les tâches qu’elle avait menées à bon terme.

709 Les éléments de preuve de Mme Kirkpatrick et les arguments de l’employeur montrent bien que ce dernier tentait de monter de toutes pièces un dossier d’insubordination au moyen d’allégations et d’assertions qu’on associerait davantage à d’autres motifs, dont aucun n’a été invoqué dans la lettre de licenciement. Ainsi, l’employeur a produit une preuve étoffée au sujet des méthodes scientifiques et de composition de la Dre Haydon ainsi que de ce qu’il a tenté rétroactivement de présenter comme des lacunes relatives à son rendement professionnel. Or, dans la mesure où l’on pouvait déchiffrer le contenu de la lettre de licenciement de la Dre Haydon, aucun de ces problèmes n’a été invoqué comme motif de mesure disciplinaire. Dans une telle situation, il faut s’intéresser de près au critère précis permettant de conclure à l’insubordination et au type de preuves pouvant étayer une telle allégation. La tâche de la Dre Haydon lui a été expliquée au moyen du processus d’évaluation du rendement ainsi que d’échanges verbaux et écrits avec son supérieur immédiat. Mme Kirkpatrick ne faisait pas partie de ce processus, sauf lorsqu’elle a déclaré que la Dre Haydon avait eu une conduite lui valant d’être licenciée, sans avoir d’abord cherché à obtenir plus de précisions auprès de la Dre Haydon ni, essentiellement, auprès du superviseur de cette dernière.

710 Contrairement à la situation en cause dans Trilea-Scarborough Shopping Centre Holdings, la Dre Haydon est manifestement passionnée et dévouée à son travail. Elle apporte au travail le savoir d’une vie en ce qui concerne le bétail et sa santé. Cependant, elle ne comprenait tout simplement pas ce que Mme Kirkpatrick voulait qu’elle accomplisse, car on ne lui a communiqué les normes et les attentes de cette dernière que lorsque l’employeur a commencé à présenter ses arguments en réponse au grief qu’elle avait déposé.

711 Vancouver General Hospital se distingue de ce cas-ci sur divers points névralgiques. Les faits alors en cause illustrent très bien les nombreux manquements de l’employeur qui ont mené au licenciement de la Dre Haydon. Dans le cas précité, avant de licencier son employé, l'employeur a pris de nombreuses mesures de bonne foi afin d’améliorer le rendement et le comportement de celui-ci; ce qui n’a pas été fait pour la Dre Haydon. Même si elle surveillait cette dernière de près, par l’intermédiaire de M. Alexander, Mme Kirkpatrick ne lui a fourni aucun encadrement, ne lui a proposé aucune aide, n’a pas respecté le processus d’évaluation du rendement de l’employeur, a refusé de prendre acte de ses inquiétudes relativement à la qualité des données présentées et aux dispositions légales régissant leur analyse, et n’a pas parlé avec celle-ci des problèmes précis qui l’auraient poussée à la licencier. S’il existait bel et bien des problèmes dans l’approche scientifique de la Dre Haydon ou la manière dont elle structurait ses rapports, on ne lui en a jamais fait part au moment de l’évaluation initiale du Pirsue (et ce, malgré les inquiétudes de M. Alexander par rapport aux antécédents dans les évaluations des présentations des drogues). Au moment du licenciement de la Dre Haydon, l’employeur ne disposait d’aucun mécanisme de recours aux FMM pour régler les conflits d’opinions scientifiques ou pour fournir à ses employés de l’encadrement sur la manière dont ils devaient mener leurs enquêtes scientifiques.

712 L’employeur a laissé sous-entendre que la Dre Haydon avait refusé de reconnaître ses torts. Or, les éléments de preuve de Mme Kirkpatrick ciblaient essentiellement ses problèmes avec la Dre Haydon, qui tentait de défendre ses droits aux termes de la convention collective et des lois canadiennes. Soulignons une fois de plus que l’infraction pour laquelle Mme Kirkpatrick a réprimandé la Dre Haydon n’a été communiquée à cette dernière que lorsque l’employeur a commencé à répondre à ses griefs en audience.

713 Les faits en cause dans le cas présent se distinguent manifestement des cas d’insubordination dit [traduction] « flagrant », comme Crossley Carpet Mills Ltd., British Columbia Hydro and Power Authority ou Grover, dans lesquels les employés réprimandés ont souvent et ouvertement fait fi à la fois des directives claires et des avertissements de mesures disciplinaires.

714 La lettre de licenciement de la Dre Haydon cite l’alinéa 11(2)f) de la LGFP comme source d’autorité. En combinant la preuve soumise par Mme Kirkpatrick et M. Alexander aux arguments de l’employeur, on peut déduire que les actions de l’employeur relèvent davantage d’un licenciement non disciplinaire découlant d'un rendement insatisfaisant. Non seulement l’employeur ne répond pas au critère pour conclure à l’insubordination, mais en plus, l’essentiel de sa preuve et de ses arguments visait le rendement de la Dre Haydon, un motif de licenciement qui relève clairement de l’alinéa 11(2)g) et non de l’alinéa 11(2)f). La Dre Haydon n’était pas d’avis que son évaluation du rendement était insatisfaisante au point de lui valoir un licenciement. Cette question est au cœur des arguments de l’employeur. Cependant, la Dre Haydon a fait valoir son point de vue selon lequel l’employeur ne peut invoquer des allégations de rendement professionnel insatisfaisant à l’appui d'un licenciement pour manquement disciplinaire ou inconduite aux termes de l’alinéa 11(2)f).

715 La Dre Haydon a présenté d’autres arguments au sujet du rendement professionnel insatisfaisant. Comme ils sont identiques à ceux invoqués dans le grief de Dr Chopra, je ne les ai pas répétés.

716 Même si les faits différaient, la manière dont Mme Kirkpatrick a géré le rapport de la Dre Haydon sur la PDN pour le Pirsue a eu les mêmes effets. Elle a conclu que la Dre Haydon avait délibérément évité de produire un travail utile, mais elle n’a rien fait pour la Dr Haydon à rencontrer ses attentes, au point de ne pas même lui révéler quelles étaient ces attentes. Dans ces circonstances, l’employeur a de toute évidence manqué à ses obligations de régler les problèmes allégués de rendement de la Dre Haydon. Surtout à la lumière des lacunes de l’employeur à l’égard de ses obligations relatives au rendement, il ne revient tout simplement pas à celui-ci d’invoquer maintenant le supposé rendement professionnel insatisfaisant de la Dre Haydon à l’appui de ses allégations d’insubordination.

717 Dans ses preuves, la Dre Haydon a présenté des explications raisonnables et légitimes pour toutes ses actions. Que l’employeur ne soit pas d’accord avec son raisonnement ne justifie pas la conclusion d’insubordination. Les arguments de l’employeur démontrent un fait indiscutable : il n’a pas exprimé la plupart de ses critiques aux moments opportuns. Cette situation est notamment due au fait que, comme l’a ouvertement reconnu M. Alexander, nombre de ces critiques n’ont été dégagées qu’après le licenciement de la Dre Haydon (probablement à l’appui de la position de l’employeur en arbitrage). De plus, la preuve a démontré que les commentaires qu’ont émis à l’époque M. Alexander et Mme Kirkpatrick étaient, par définition, fort limités. Ce constat est surtout vrai pour Mme Kirkpatrick, qui n’était même pas intéressée de voir deux des rapports de la Dre Haydon. Autrement dit, l’employeur tente de justifier le licenciement de cette dernière par de nombreuses critiques, dont la majorité ne lui a même pas été transmise directement. Maintenir le licenciement dans ces circonstances serait non seulement contraire au droit du travail et aux pratiques en matière de ressources humaines, mais aussi essentiellement incohérent par rapport aux notions fondamentales d’équité et de bon sens. De toute évidence, en énonçant 30 « problèmes » distincts, l’employeur cherchait à motiver un licenciement sans fondement.

718 Comme la Dre Haydon n’a été avisée qu’au printemps 2004 qu’elle pourrait faire l’objet de mesures disciplinaires pour son rendement insuffisant et d’autres problèmes connexes, on ne peut invoquer en arbitrage aucun événement précédant cette période à l’appui de ces sanctions. Au contraire, le fait pour l’employeur de n’avoir eu d’autre choix que de puiser ainsi dans le passé indique qu’il disposait de peu d’éléments pour étayer sa position. Cette période revêt une importance particulière, car la Dre Haydon a terminé une évaluation sur le Pirsue en mars 2003 (pièce E-353). À l’époque, on ne lui a fait part d’aucun problème sur la forme de son rapport, son analyse ou sa démarche scientifique. En fait, non seulement on n’a constaté aucun problème par rapport à cette évaluation, on a aussi envoyé une LDC s’en inspirant et puisant dans l’essentiel de ses recommandations. En effet, la preuve directe et non-contredite de la Dre Haydon démontrait que M. Malik ne lui avait fait part d’aucun problème avec son rapport du 31 mars 2003, lui qui a travaillé à ce dossier après qu’elle en eut conclu l’évaluation. Le fait qu’aucun problème n’ait été soulevé en mars 2003 jette un grand doute sur les supposées critiques de l’employeur relativement au document de 2004. L’intention manifeste de l’employeur de mettre fin à l’emploi de la Dre Haydon et de ses collègues est la seule chose à avoir changé au printemps 2004.

719 L’employeur est tout à fait prêt à interpréter la preuve de la Dre Haydon en faveur de son opinion au sujet des motivations de celle-ci. Ainsi, il a soutenu qu’elle avait laissé entendre qu’un fabricant induisait la DMV en erreur. Cette allégation pose problème pour diverses raisons. Dans un premier temps, il aurait fallu en discuter en temps opportun. Ensuite, elle n’a rien à voir avec l’insubordination. Enfin, et surtout, même si la Dre Haydon avait réellement laissé entendre que le fabricant induisait la DMV en erreur, cela n’aurait dû entraîner aucune mesure disciplinaire ni aucun commentaire dur ou critique. Il semble que l’employeur ait tenu pour acquis que le fabricant ne pouvait absolument pas avoir induit la DMV en erreur. De toute évidence, une telle éventualité aurait de vastes ramifications sur les plans de la santé et de la sûreté. Cet unique paragraphe démontre que l’employeur a des opinions inflexibles et n’est pas prêt à prendre en considération les problèmes que soulèvent ses propres scientifiques. Au contraire, il s’en prend à eux et les accuse d’agir de manière inappropriée. L’employeur n’a pas non plus donné suite, à l’époque, à l’allégation selon laquelle la Dre Haydon aurait fait de fausses déclarations. Il s’agit d’une preuve prima facie que les fausses déclarations alléguées ne constituaient pas un problème, d’autant plus que le rapport de mars 2003 de la Dre Haydon comportait de nombreuses allusions du même ordre.

720 L’employeur aurait repéré des passages répétitifs qui auraient rendu l’évaluation réalisée par la Dre Haydon confuse, difficile à suivre et incohérente. Encore une fois, aucune preuve n’a établi de lien entre cette critique et l’insubordination. Au contraire, la situation montre, qu’au mieux, les problèmes de l’employeur avec le travail de la Dre Haydon visaient le rendement. À l’évidence, ces problèmes auraient dû être abordés par des canaux autres que disciplinaires.

721 L’employeur a affirmé que les actions de la Dre Haydon étaient une tentative délibérée d’éviter de travailler. Il s’est contredit dans une certaine mesure. Même si les superviseurs de la Dre Haydon ont d’abord conclu que ses problèmes étaient liés à son rendement, ils ont finalement rejeté leur propre analyse et décidé que la Dre Haydon n’avait pas de problème de rendement mais plutôt qu’elle agissait de manière délibérée. La seule justification présentée à l’appui de ce changement radical en ce qui concerne leur approche est l’affirmation de Mme Kirkpatrick voulant que ce soit le cas. Cet élément de preuve ne peut être accueilli pour la simple et bonne raison qu’il repose uniquement sur la perception et les suppositions de celle-ci. Si l’employeur s’était vraiment inquiété d’une insubordination de la part de la Dre Haydon, il aurait dû prendre des mesures afin connaître l’opinion de celle-ci et de vérifier ou de mettre à l’épreuve sa propre hypothèse. Le fait pour Mme Kirkpatrick de ne pas l’avoir fait porte un coup fatal à la position de l’employeur. De plus, les mesures successives prises contrevenaient directement aux Lignes directrices concernant la discipline du Conseil du Trésor, qui imposent une approche équitable et objective et prévoient qu’on donne à l’employé la possibilité de réagir aux allégations. Le fait que Mme Kirkpatrick ait omis de suivre les étapes prévues indique bien sûr qu’elle n’était pas en mesure d’analyser les motifs de la Dre Haydon; de surcroît, les actions de l’employeur, qui étaient contraires aux lignes directrices du Conseil du Trésor, ont miné sa légitimité.

c. Réponse de l’employeur

722 Même si la Dre Haydon est une vétérinaire d’expérience qui s’intéresse en particulier aux gros animaux, aucun des éléments de preuve qui ont été produits ne permettrait de la qualifier de spécialiste de l’ESB ou des mammites bovines. Au contraire, comme l’a démontré la preuve, elle n’a aucune formation dans le domaine et elle n’a jamais mené de travaux particuliers sur l’ESB. Par ailleurs, si elle avait une expertise particulière en ce qui concerne les mammites bovines, elle n’aurait pas eu besoin d’autant de temps pour se familiariser avec cette maladie avant d’entreprendre son évaluation du Pirsue en solution stérile. Il est particulièrement révélateur qu’elle ait dû consacrer tout ce temps à se familiariser avec cette question puisque le Pirsue était, de son propre aveu, le premier produit pour mammites bovines sur lequel qu’elle évaluait. Une analyse des antécédents de la Dre Haydon démontre qu’elle a exercé la profession de vétérinaire dans les secteurs privé et public, mais seulement jusqu’en 1983, ce qui signifie que près de 20 ans se sont écoulés depuis sa dernière expérience pratique avec les mammites bovines et leur traitement.

723 L’employeur a mis en place diverses structures afin de résoudre les divergences d’opinions scientifiques et de permettre la poursuite de ses travaux, incluant la création de la CEDS, les trois équipes au sein de la DIH, le comité des intervenants et la politique relative à la réalisation d’une deuxième évaluation.

724 La multitude d’éléments de preuve relativement aux rapports qu’a produits la Dre Haydon, surtout l’évaluation du Pirsue en solution stérile (LDC) du 8 juin 2004, n’étonne pas étant donné que l’omission de procéder à une évaluation scientifique constitue le motif invoqué pour son licenciement. L’employeur devait démontrer que la Dre Haydon n’avait effectué aucun travail et que son évaluation était incohérente, inexacte et incomplète, l’empêchant ainsi de prendre une décision. Tout cela est exposé dans la lettre de licenciement. Bien que tous les témoignages aient été étoffés, y compris en données scientifiques, on n’a confié à la Dre Haydon aucune étude scientifique postérieure à l’évaluation qu’elle a menée. Si des documents scientifiques d’ordre général et des documents d’information ont été produits ultérieurement, ceux-ci visaient à inculquer des principes de base à l’arbitre de grief afin qu’il puisse comprendre par la suite les questions précises d’ordre scientifique en cause.

725 Le motif invoqué pour congédier la Dre Haydon n’était pas une divergence d’opinions scientifiques, mais bien l’insubordination résultant de la production d’une évaluation incohérente, inexacte, incomplète et trompeuse. Il était nécessaire d’analyser l’évaluation dans les moindres détails, car l’employeur soutenait que celle-ci prouvait que la Dre Haydon n’avait accompli aucun travail.

726 M. Alexander a répondu aux questions très précises de la Dre Haydon en lui disant que ces mêmes questions avaient déjà été répondues. La Dre Haydon doit avoir des motifs plus sérieux que de ne simplement pas aimer les réponses qu’on lui a données pour soutenir une allégation selon laquelle on ne lui aurait pas fourni l’information voulue. M. Alexander lui a fait clairement comprendre dans le cadre de leurs échanges sur l’évaluation du rendement de février 2003 quels étaient les erreurs et les problèmes associés à son travail et ce qu’elle devait faire pour rectifier la situation. Il en a discuté de nouveau au cours de la réunion sur l’évaluation du rendement de décembre 2003. Au lieu de traiter de ces problèmes à ce moment, la Dre Haydon a choisi d’accuser M. Alexander de harcèlement. Il n’est pas raisonnable d’affirmer que Mme Kirkpatrick a ignoré les préoccupations de la Dre Haydon au sujet du harcèlement. Essentiellement, la Dre Haydon a accusé M. Alexander de l’avoir harcelée lorsqu’il lui a fourni une évaluation du rendement avec laquelle elle n’était pas d’accord. Il n’existe absolument aucune preuve de harcèlement de la part de M. Alexander. En effet, lors de son allégation, la Dre Haydon n’a pas fourni le moindre détail. À ce jour, aucun élément de preuve ne permet de soupçonner que les actes de M. Alexander dans la réalisation de l’évaluation du rendement constituaient du harcèlement.

727 La Dre Haydon n’est pas une avocate et n’a aucune formation juridique. On lui a expressément enjoint de procéder à une évaluation. Rien dans la LAD ni dans les règlements pris en application de celle-ci ne qualifie d’illégale la réalisation de l’évaluation d’un SPDN avant que la PDN connexe n’ait été l’objet d’un avis de conformité. M. Alexander et Mme Kirkpatrick ont expliqué qu’une discussion avait débouché sur une décision voulant que l’évaluation du SPDN concernant le Pirsue en solution stérile se fasse en parallèle avec celui de la PDN connexe puisqu’il s’agissait du même produit. Aucun élément de preuve n’a été soumis en audience sur l’illégalité alléguée par la Dre Haydon. Cette dernière savait bien, dès décembre 2002, que les deux évaluations seraient réalisées en parallèle.

728 La Dre Haydon n’a pas été licenciée parce qu’elle n’avait pas soumis de rapport. Le motif du licenciement est que la production du rapport ne constituait pas du travail, ce qui ressort clairement de l’analyse qui en a été faite avant les audiences. L’employeur a produit une preuve étoffée au sujet des méthodes scientifiques et de rédaction de la Dre Haydon. Il ne cherchait pas à faire ressortir rétroactivement les lacunes du rendement professionnel de cette dernière, mais bien à montrer que l’évaluation de la PDN (LDC) de juin 2004 pour le Pirsue en solution stérile correspondait à une absence totale de travail.Comme l’a dit Mme Kirkpatrick, tant lors de son témoignage que dans la lettre de licenciement, le travail était incomplet, inexact, incohérent et trompeur.

729 L’employeur a fait valoir les mêmes points de droit en matière d’insubordination que pour le grief de licenciement de Dr Chopra; je ne les ai pas répétés.

730 Les faits dans Myler peuvent être écartés, car le fonctionnaire s'estimant lésé a fini par effectuer son travail et n’en avait repoussé l’exécution que le temps de confirmer que la tâche en cause relevait de ses fonctions.À l’opposé, dans le cas de la Dre Haydon, l’employeur a conclu non seulement qu’elle n’avait pas tenu compte des directives explicites de son superviseur, mais aussi que le produit fini était si peu décisif qu’il a été considéré comme une tentative systématique de la part de la Dre Haydon d’éviter le travail qui lui avait été attribué. Contrairement à Myler, il serait faux d’affirmer que le cas présent n’a causé aucun préjudice.

731 La Dre Haydon a soutenu que Mme Kirkpatrick avait refusé de lui permettre de se défendre à l’égard des motifs invoqués pour la licencier. Si, comme le prétend la Dre Haydon, la procédure n’était pas équitable, la présente audience y a remédié (Tipple).

732 Relativement à l’incident déterminant et aux mesures disciplinaires progressives, l’employeur a fait valoir les mêmes arguments que pour le grief du Dr Chopra; je ne les ai donc pas répétés.

733 La Dre Haydon a fait l’objet d’une suspension de 10 jours, et on l’a prévenue que toute inconduite subséquente mènerait à d’autres mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.

734 La Dre Haydon n’a jamais donné l’impression à l’employeur qu’elle n’avait pas les compétences requises pour remplir ses fonctions. Son approche relativement aux présentations concernant le Pirsue n’a pas été traitée comme un problème de rendement, mais bien comme un acte répréhensible d’insubordination. Elle savait qu’elle devait analyser des données et justifier ses conclusions. Plutôt, elle a remis une évaluation trompeuse, incohérente et incomplète qui ne permettait pas de prendre de décision sur l’issue des présentations. Par conséquent, les actions de la Dre Haydon relativement aux évaluations sur le Pirsue constituaient de l’insubordination.

3. Grief pour licenciement du Dr Lambert

a. Pour l'employeur

735 Les arguments de l’employeur relativement à la jurisprudence en matière d’insubordination reprennent ceux qu’il a invoqués pour les griefs du Dr Chopra et de la Dre Haydon; je ne les ai donc pas répétés.

736 L’employeur a fait valoir qu’il avait un motif légitime et raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire au Dr Lambert.

737 Mme Kirkpatrick a rencontré le Dr Lambert le 4 mai 2004 expressément pour lui confier l’évaluation du Draxxin. Elle lui a expliqué qu’il devait procéder à l’évaluation en trois mois et qu’on ne lui donnerait pas d’autre travail. Comme le Dr Lambert avait déjà omis de remettre des travaux et de respecter des échéances, elle lui a expliqué qu’il devrait lui rendre compte mensuellement de l’avancement du dossier. Elle lui a même envoyé un courriel lui répétant ces mêmes instructions. Le Dr Lambert a compris que son emploi était en jeu et que s’il ne respectait pas les directives de son employeur, un licenciement pourrait s’ensuivre. Non seulement le Dr Lambert n’a pas rencontré l’échéancier prévu du 16 juin 2004 relativement à la remise de son premier compte rendu mensuel, mais il n’as pas réussi non plus à démontrer que son travail avait progressé, tel qu’il avait été prévu. Il a fait preuve d’insubordination.

738 Le Dr Lambert s’était déjà vu imposer des mesures disciplinaires pour ne pas avoir terminé des tâches et avait été prévenu que toute inconduite subséquente mènerait à d’autres mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. Même s’il savait très bien que son emploi était en jeu, il n’a pas remis son compte rendu relativement au Draxxin à la date fixée, soit le 16 juin 2004. Lorsqu’il a finalement soumis la version préliminaire de son rapport, il s’agissait essentiellement d’un calque de l’information fournie par le fabricant. Il s’est contenté de regarder rapidement la présentation du fabricant et en a remis un copié-collé à Mme Kirkpatrick. Le Dr Lambert a déclaré que ce qu’il a soumis prouvait qu’il avait effectué du travail en ce qui concerne le dossier du Draxxin. Toutefois, en ce qui a trait au travail remis, Mme Kirkpatrick n’y a vu qu’un travail de copiage et de collage qui a exigé au plus quelques heures de travail et qui ne laissait pas entrevoir que des progrès avait pu être effectués dans l’évaluation des questions en cause. Pour Mme Kirkpatrick, les actes du Dr Lambert étaient une répétition de son insubordination antérieure, pour laquelle on lui avait déjà imposé des mesures disciplinaires.

739 Mme Kirkpatrick avait clairement dit au Dr Lambert, lors de la réunion du 4 mai 2004 et dans le courriel qu’elle lui a envoyé subséquemment, qu’elle exigeait de lui des comptes rendus de l’avancement de ses travaux. Bien que le Dr Lambert ait pu considérer son document du 24 juin 2004 comme adéquat, ce dernier ne l’était pas. S’il était confus au sujet des attentes de sa supérieure, il lui revenait d’obtenir des précisions, ce qu’il n’a pas fait. Il savait très bien ce qu’on attendait de lui. Il n’a pas satisfait aux exigences de l’employeur, et ses actes constituaient de l’insubordination. Comme dans Vancouver General Hospital, il a sciemment fait fi des attentes à son égard, au point où ses actions ne peuvent être perçues autrement que comme [traduction] « […] délibérées, reflétant une décision volontaire de remplir ses fonctions d’une manière qu’il a choisi de juger adéquate » (paragraphe 40).

740 Le licenciement du Dr Lambert ne constituait pas une mesure excessive. Comme il a été dit dans Vancouver General Hospital, les facteurs atténuants ne servent pas à disculper la conduite d’un fonctionnaire s’estimant lésé. Même s’ils peuvent à l’occasion garantir qu’un employé ne commettra pas d’autre inconduite, il arrive également que l’historique de la conduite de l’employé vienne [traduction] « annuler » son ancienneté. Le Dr Lambert travaillait pour l’employeur depuis plus de 30 ans. Il avait toutes les compétences voulues pour procéder à l’évaluation des documents sur le Draxxin, mais il a systématiquement manqué à effectuer son travail selon les attentes de l’employeur, qu’il connaissait très bien. On ne peut que conclure, en fonction des faits en cause dans cette affaire, que la relation employeur-employé était irrémédiablement rompue.

741 En contre-interrogatoire, le Dr Lambert a affirmé que, selon lui, Mme Kirkpatrick voulait des comptes rendus mensuels afin d’exercer un contrôle sur lui. C’était son avis lorsqu’elle lui a exprimé sa demande de lui remettre des comptes rendus mensuels, et celui qu’il a maintenu dans son témoignage. Même si l’on passe outre aux faits qu’il n’a jamais répondu aux demandes d’information de sa superviseure, qu’il a omis de soumettre son travail même lorsqu’il l’avait terminé et qu’il venait d’être suspendu pendant 10 jours pour insubordination en raison de son comportement, le Dr Lambert persistait à dire que la demande de comptes rendus mensuels était une question de contrôle relativement à son travail et à son comportement de la part de son employeur. Le Dr Lambert n’a pas assumé la responsabilité de ses gestes au cours de ses deux dernières années de travail pour l’employeur. De toute évidence, son état d’esprit n’a pas changé depuis.

742 Mme Kirkpatrick a clairement indiqué, tant à la réunion du 4 mai 2004 que dans son courriel subséquent, envoyé le jour même, que le Dr Lambert devait lui signaler toute difficulté dans la réalisation de l’évaluation. La question de savoir si le Dr Lambert savait comment préparer les comptes rendus mensuels demandés n’est pas ressortie clairement de son témoignage. Toutefois, en contre-interrogatoire, celui-ci a admis que même s’il n’était pas certain, il ne lui a jamais demandé ce qu’elle entendait par « compte rendu mensuel ». Quoi qu’il en soit, il a déclaré en contre-interrogatoire que Mme Kirkpatrick voulait un compte rendu de l’avancement du projet. Il savait très bien ce qu’on attendait de lui. Comme dans Shuniah Forest Products Ltd., par ses actes, Le Dr Lambert a fait preuve d’insubordination. Il savait ce qu’on attendait de lui et ne l’a tout simplement pas fait.

743 Le fait que le Dr Lambert ait tenté de remettre une copie de la version préliminaire de son rapport à Mme Kirkpatrick à leur réunion du 11 juin 2004 n’est pas pertinent. Cette rencontre visait l’évaluation du PDR du Dr Lambert. Bien que Mme Kirkpatrick lui ait dit de lui envoyer son compte rendu la semaine suivante, à la date prévue, rien n’empêchait le Dr Lambert de lui faire suivre le document après la réunion du 11 juin 2004. La question de savoir s’il croyait devoir le remettre le 16 ou le 18 juin 2004 est sans importance. En effet, le 18 juin, il avait signé une copie de la version préliminaire du rapport sur le Draxxin, qu’il a laissée sur son bureau au travail au lieu de l’apporter à Mme Kirkpatrick. Il ne le lui a pas envoyé une copie par courriel non plus. En contre-interrogatoire, le Dr Lambert a reconnu qu’il aurait pu opter pour l’une de ces deux options. La seule conclusion possible est qu’il a choisi de ne pas le faire. Il a fait preuve d’insubordination. Il savait ce qu’on attendait de lui. Il savait que son emploi était en jeu. Dans cette situation, le licenciement n’était pas excessif.

744 Aucune explication ni excuse ne justifient les actes du Dr Lambert, ce qui constitue une autre preuve d’insubordination. Celui-ci a simplement rejeté toute responsabilité pour ses actions et présenté une excuse après l’autre pour ne pas s’être conformé aux directives de sa superviseure. L’employeur estime avoir eu des motifs légitimes et raisonnables de lui imposer une mesure disciplinaire et que le licenciement n’était pas excessif.

b. Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

745 Le Dr Lambert a soumis des arguments semblables sur le traitement commun des trois fonctionnaires à ceux évoqués dans le grief pour licenciement du Dr Chopra; je ne les ai donc pas répétés.

746 Le Dr Lambert a été licencié après plus de 30 années de service à titre d’évaluateur de médicaments pour avoir soumis un compte rendu mensuel préliminaire auquel manquait de l’information précise qu’on ne lui avait jamais demandé de fournir. Même si le Dr Lambert avait déjà remis trois rapports sur son travail, l’employeur a jugé qu’il n’avait rien fait. La superviseure du Dr Lambert a pris sa décision essentiellement en analysant son comportement sous l’angle d’une interprétation négative influencée par son comportement antérieur. Elle n’a pas cherché à appliquer les principes courants en matière de ressources humaines ni à l’aider de quelque façon que ce soit, refusant d’envisager la possibilité que la mesure disciplinaire corrective qu'elle lui avait imposée à peine trois semaines auparavant avait eu les résultats attendus.

747 Le Dr Lambert n’a pas fait preuve d’insubordination. On l’a congédié au cours de l’exécution d’une tâche qui devait durer trois mois. Il a fourni un compte rendu mensuel qui satisfaisait aux exigences qui lui avaient été communiquées au nom de son employeur. La directive n’indiquait pas clairement que davantage de détails étaient requis. La situation ne correspond pas au seuil élevé de précision exigé pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire pour insubordination.

748 De plus, l’incident relatif au compte rendu mensuel n’était pas assez grave pour justifier un licenciement, et les faits ne satisfont pas au critère associé à un incident déterminant. L’employeur a invoqué deux mesures disciplinaires antérieures, dont une n’avait aucun lien avec l’insubordination.

749 À la réunion du 4 mai 2004, il n’a jamais été question que la tâche serve d’occasion d’apprentissage ou de moyen d’améliorer le rendement du Dr Lambert. Aucun avertissement n’a été donné, et il n’a jamais été question de mesures disciplinaires éventuelles en cas d’incapacité à satisfaire aux attentes associées à la tâche.

750 Les arguments de l’employeur relativement à la jurisprudence en matière d’insubordination répètent ceux qui ont été invoqués relativement au grief pour licenciement du Dr Chopra; je ne les ai donc pas répétés.

751 Même si Vancouver General Hospital traite de rendement et non d’insubordination, ni la conduite de l’employeur ni celle du Dr Lambert ne se rapprochaient de celle des parties en cause dans cette affaire. Le Dr Lambert s’est informé à de nombreuses reprises de la possibilité d’obtenir de la formation et de l’aide. L’employeur n’a pas donné suite à ces démarches. À l’opposé, l’employeur en cause dans Vancouver General Hospital a offert de l’encadrement et du recyclage au fonctionnaire s’estimant lésé et n’a réprimandé ce dernier que lorsque ces actions se sont avérées infructueuses. Contrairement à Vancouver General Hospital, dans le présent grief, on n’accuse pas le Dr Lambert d’avoir été impoli ou d’avoir commis une faute de conduite à caractère frauduleux.

752 Les faits en cause dans Bérard peuvent facilement être écartés.Pour ce qui est du premier des deux griefs dans cette affaire, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas remis, à trois reprises successives, une évaluation du rendement à temps.L’employeur a agi en amont en préparant un « échéancier précis traitant de toutes les procédures entourant l’évaluation du rendement ».Il a ensuite négocié un prolongement de ce calendrier en avisant toutefois Mme Bérard que l’échéance fixée était absolue : « Si vous ne respectez pas cette échéance, vous serez passible de mesures disciplinaires appropriées au non-respect de mes instructions. »Le deuxième grief dans Bérard portait également sur un modèle de comportement bien ancré.L’employée s’estimant lésée a omis d’aviser un commissionnaire qu’elle avait laissé un trousseau de clés dans la voiture verrouillée de l’employeur, hors du lieu de travail, ce qui a occasionné d’importants ennuis et des frais substantiels à l’employeur. Cette situation n’a rien à voir avec l’insubordination alléguée du Dr Lambert, soit d’avoir refusé ses services habituels. Mme Bérard a aggravé son erreur en choisissant de ne pas remédier à la situation qu’elle avait causée et qui s’était produite dans un contexte où on l’avait réprimandée à plusieurs reprises pour des comportements semblables. L'employée avait par ailleurs fait l’objet de plaintes distinctes, certaines impliquant de la violence verbale. De surcroît, l’employeur n’a pas licencié cette dernière, malgré ses nombreux antécédents d’inconduite, et ne lui a imposé qu’une suspension d’une journée, presque immédiatement après que l’inconduite a eu lieu.

753 L’employeur a soutenu que Bérard est pertinent en ce qui concerne la conduite du Dr Lambert lorsqu’il n’a pas envoyé par courriel son deuxième rapport préliminaire à Mme Kirkpatrick avant le 24 juin 2004. Or, on ne lui a pas imposé de mesure disciplinaire pour avoir remis son rapport en retard : son insubordination proviendrait du fait qu’il n’avait pas effectué de travail. De plus, aucun représentant de l’employeur ne lui avait donné d’avertissement explicite comme celui ayant été servi à Mme Bérard, et le retard allégué du Dr Lambert, survenu alors que celui-ci était en congé de maladie autorisé, n’a causé aucun préjudice réel ou éventuel.

754 L’employeur a aussi invoqué Shuniah Forest Products Ltd., qui visait une suspension de deux semaines, à l’appui de sa position selon laquelle le licenciement dans la présente affaire était justifié. Les circonstances en l’espèce ne ressemblent en rien aux tentatives du Dr Lambert de soumettre ses comptes rendus mensuels. Dans Shuniah Forest Products Ltd., il a été déterminé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait délibérément refusé de satisfaire aux attentes connues de son superviseur;il s’agissait clairement d’un cas d’insubordination. À l’opposé, la preuve en cause dans la présente affaire illustre clairement l’absence d’éléments requis pour établir qu’un ordre clair, compris par le Dr Lambert, avait été transmis.

755 Tel qu’il est mentionné dans Canadian Labour Arbitration, la correction et la réhabilitation sont les objets premiers des mesures disciplinaires progressives (paragraphe 7:4422). Les auteurs précisent également que la conduite de l’employeur entre aussi en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer s’il convient d’imposer une mesure disciplinaire, soulignant que l’employeur doit assumer une certaine responsabilité à l’égard d’une situation donnée s’il ne s’est pas montré attentif ou qu’il a encouragé le déroulement des événements (paragraphe 7:4410).

756 Dans la présente affaire, l’employeur a soutenu que le Dr Lambert avait refusé d’exécuter l’ordre d’accomplir un travail précis au cours du premier mois d’une tâche étalée sur trois mois. Le Dr Lambert a été licencié avant la date limite fixée pour terminer l’évaluation sur le Draxxin. Il n’a pas été licencié parce qu’il n’avait pas réussi à terminer sa tâche. On a qualifié le comportement du Dr Lambert d’insubordination uniquement en raison du contenu de son premier compte rendu mensuel. Ce motif suffit à lui seul pour écarter le licenciement du Dr Lambert. Autrement dit, il est irrationnel et illogique de licencier un employé en invoquant le contenu de son premier compte rendu mensuel lorsqu’on ne lui a donné aucune chance de terminer sa tâche. Ceci est particulièrement vrai quand, comme dans la présente affaire, les directives données à l’origine n’étaient pas claires et que l’employé s’inquiétait légitimement de la portée de la tâche, dont il s’est par ailleurs acquitté. De plus, comme il a été mentionné précédemment, au début de l’évaluation du Draxxin, le Dr Lambert a fait des tentatives légitimes et sérieuses de discuter avec Mme Kirkpatrick à propos de ses préoccupations quant à la nature de la tâche, et elle a refusé d’en discuter. Il est inacceptable que l’employeur invoque ces circonstances factuelles alors que Mme Kirkpatrick n’a pris aucune mesure légitime pour régler les problèmes.

757 L’insubordination implique le refus d’un employé d’exécuter un ordre clairement communiqué qu’il a bien compris. Dans la présente affaire, on a demandé au Dr Lambert de procéder à l’évaluation du Draxxin en trois mois et de fournir des comptes rendus mensuels. Celui-ci a soutenu avoir respecté cet ordre dans la mesure du possible. D’ailleurs, il est impossible, logiquement, de licencier un employé parce qu’il n’a pas respecté un ordre alors qu’on ne lui permet pas de le faire. Comme il a été précisé, il restait beaucoup de temps pour terminer l’évaluation.

758 La tâche en question, telle qu’elle a été expliquée au Dr Lambert, comportait deux volets : 1) analyser les données sur la toxicité et 2) fournir des comptes rendus mensuels de l’avancement de la tâche. Le contenu des comptes rendus mensuels n’a pas été précisé au-delà des notions d’« état » et d’« avancement ». Mme Kirkpatrick n’a fourni aucune directive précise en ce qui concerne les comptes rendus. Elle n’a pas exposé les divers éléments que comportait la tâche et n’a pas demandé que des volumes précis soient analysés au cours du premier mois. Elle n’a pas non plus demandé à voir le travail en cours du Dr Lambert, comme des notes, des commentaires ou des ébauches préliminaires. Cependant, lors de son témoignage, elle a expliqué très précisément ce qu’elle attendait du contenu des comptes rendus mensuels. Pourtant, elle n’a pas fourni ces explications dans son courriel ni à la réunion du 4 mai 2004. Selon elle, le premier compte rendu devait contenir des [traduction] « résultats d’analyse » et des [traduction] « commentaires préliminaires » au sujet des études sur la toxicité.

759 Même si, de par ses 30 années d’expérience en tant qu’évaluateur de médicaments, le Dr Lambert avait l’expérience de la réalisation d’analyses de la toxicité, on ne lui avait jamais demandé auparavant de produire un « compte rendu mensuel ». On ne peut présumer que l’idée précise que se faisait Mme Kirkpatrick des concepts de « résultats d’analyse » et de « commentaires préliminaires » serait clairement communiquée au Dr Lambert au moyen d’expressions générales comme [traduction] « compte rendu mensuel », « état » ou « avancement », surtout compte tenu qu’elle n’avait fourni aucun détail précis au Dr Lambert, au cours de leurs premières réunions, relativement à ce qu’elle attendait exactement de lui.

760 Dans ses communications, Mme Kirkpatrick n’a jamais indiqué que l’évaluation du contenu du premier compte rendu mensuel pourrait entraîner des mesures disciplinaires ni que le compte rendu serait l’unique indicateur du travail accompli par le Dr Lambert. De plus, le 11 juin 2004, elle a refusé d’accepter un compte rendu mensuel. Elle n’a fourni aucun motif valable d’avoir agi ainsi. Si elle s’était montrée raisonnable par rapport à la tâche, elle aurait pu discuter avec le Dr Lambert du compte rendu mensuel, ce qui leur aurait peut-être permis de répondre à leurs interrogations respectives.

761 Les directives que Mme Kirkpatrick a transmises au Dr Lambert le 4 mai 2004 n’étaient pas assez claires pour que celles-ci soient respectées. Elle n’a pas pris de mesures aussi simples que de définir précisément ce qu’elle s’attendait à retrouver dans le premier compte rendu mensuel. Elle n’a jamais avisé le Dr Lambert que pour conserver son emploi, il devait y inclure des « résultats d’analyse » ou des « commentaires préliminaires ». Plutôt, ses communications avec lui au sujet du compte rendu sont restées vagues. Même s’il s’agissait clairement d’ordres, elle les a qualifiés, par écrit, de [traduction] « demandes », et elle en a fait mention dans une lettre de réprimande pour motif de rendement qui laissait entendre qu’un suivi serait assuré à l’issue du premier [traduction] « cycle ». Les éléments qui composaient l’ordre ayant été réellement transmis au Dr Lambert et compris par celui-ci étaient qu’il devait rendre compte après un mois à Mme Kirkpatrick relativement à son progrès en ce qui concerne son travail sur le Draxxin. Le Dr Lambert s’est manifestement acquitté de cette tâche.

762 Dans son témoignage, Mme Kirkpatrick a reconnu que le Dr Lambert avait accompli du travail et qu’il avait fait avancer le dossier au cours de la période pertinente. Elle a aussi reconnu que le courriel du 13 mai 2004 et les rapports préliminaires prouvaient également qu’il avait travaillé. Ces constats sont hautement significatifs, voire déterminants, relativement à l’allégation d’insubordination. De toute évidence, le Dr Lambert travaillait et ignorait que Mme Kirkpatrick n’était pas d’accord avec ce qu’il accomplissait.

763 Vu les modalités de la tâche, il était nécessaire pour le Dr Lambert de se poser les questions qui l’ont mené à rédiger son courriel du 13 mai 2004. L’employeur n’a pas nié qu’il s’agissait d’une façon appropriée de s’attaquer au projet. En contre-interrogatoire, Mme Kirkpatrick a convenu que ce courriel prouvait qu’une semaine après qu’elle lui eut attribué la tâche, il l’avait déjà entreprise.

764 Comme il a été souligné, Mme Kirkpatrick a essentiellement fondé sa décision de licencier le Dr Lambert sur sa conclusion voulant qu’il n’ait accompli aucun travail. Or, elle a reconnu qu’elle n’avait en fait aucune idée si le Dr Lambert avait effectivement accompli le travail pour lequel il a été licencié pour non-exécution.

765 Mme Kirkpatrick était au fait des Lignes directrices concernant la discipline du Conseil du Trésor, en vigueur au moment du licenciement du Dr Lambert (pièce G-288). Ce document prévoit l’obligation expresse pour tout gestionnaire envisageant d’imposer une mesure disciplinaire de « mener une enquête juste et objective » qui prend en compte ou fournit « la réponse du fonctionnaire aux allégations » et dans le cadre de laquelle « […] le fonctionnaire a le droit de se voir exposer l’inconduite présumée qu’on lui reproche et de pouvoir répondre aux allégations ». Dans le cas de la mesure disciplinaire imposée au Dr Lambert, aucune de ces mesures n’a été prise. Mme Kirkpatrick a uniquement fondé sa décision sur des documents et n’a jamais confronté le Dr Lambert au sujet de ses allégations voulant qu’il n’ait fait aucun [traduction] « véritable travail ». Si elle s’était conformée aux Lignes directrices, elle aurait pu confirmer que le Dr Lambert accomplissait le genre de travail auquel elle s’attendait, et ce, dans la mesure voulue. Elle a plutôt préféré aller de l’avant en fonction de sa seule présomption.

766 Le Dr Lambert n’a pas fait preuve d’insubordination. Dans la mesure où l’ordre lui a été clairement communiqué ou aurait pu être raisonnablement déduit, il s’y est conformé. Le fait qu’il ait rédigé trois comptes rendus au cours du premier mois de sa tâche est fondamentalement incompatible avec une attitude de défi ou de mépris envers ses supérieurs. Les faits témoignent plutôt d’un employé occupé à une tâche d’envergure et ayant au plus omis d’inclure des détails précis d’un élément de cette tâche qu’on ne lui avait jamais communiqué. Il ne s’agit pas là d’insubordination.

767 Bien que le Dr Lambert ait effectivement travaillé à l’évaluation du Draxxin et qu’il se soit conformé aux directives de l’employeur, il ne faut pas oublier que d’autres événements et problèmes sérieux sont survenus en mai et en juin 2004, lesquels ont eu une incidence sur son rendement. Divers problèmes au travail ont eu une influence directe sur la vie professionnelle du Dr Lambert, ce qu’aucun élément de preuve n’a contredit. Il est tout aussi admis que l’employeur en général et Mme Kirkpatrick en particulier n’ont pas tenu compte des répercussions de ces événements. Premièrement, le Dr Lambert craignait manifestement de perdre son emploi depuis que l’employeur l’avait retiré de son poste de chef d’équipe par intérim en guise de représailles pour ses propos au sujet de l’approbation de la tylosine, en mai 2002. Il avait l’impression que l’employeur l’avait dans sa mire et que quoi qu’il fasse, ce dernier serait insatisfait. Comme il a été mentionné précédemment, il ne s’agissait pas de spéculation : le BIFP avait conclu que le Dr Lambert faisait l’objet de représailles, une décision que l’employeur a refusé de reconnaître. Ces événements et d’autres ont envenimé le milieu de travail du Dr Lambert. La conduite et le rendement de ce dernier en mai et en juin 2004 ne peuvent être considérés indépendamment de ces événements. Le Dr Lambert était constamment aux prises avec du harcèlement ou des mesures disciplinaires. Il est particulièrement éloquent que, au cœur de cette période, après qu’il eut été jugé que le Dr Lambert n’avait pas harcelé ses collègues, le sous-ministre adjoint ait personnellement admonesté ce dernier pour avoir envenimé le milieu de travail. Cet événement va dans le sens de l’impression du Dr Lambert selon laquelle l’employeur l’avait dans sa mire, que sa carrière était déjà finie et qu’il aurait été contre-productif de terminer la tâche. Cette situation ne justifie pas le fait pour l’employeur d’avoir adopté une interprétation stricte du contenu des comptes rendus mensuels. Dans les milieux de travail aux prises avec des difficultés, lorsqu’un employeur juge qu’un employé pose problème, l’insubordination a été maintenue dans les cas où l’employeur avait appliqué avec diligence les principes associés aux mesures disciplinaires progressives. Entre autres mesures, il faut répéter les ordres, avertir de manière explicite que la conduite est perçue comme un signe d’insubordination et mener des enquêtes au cours desquelles l’employé problématique a l’occasion de répondre aux allégations précises d’insubordination.

768 Dans les Lignes directrices concernant la discipline du Conseil du Trésor, les mesures disciplinaires progressives sont décrites comme « correctives ». Mme Kirkpatrick a reconnu que la sanction imposée auparavant au Dr Lambert se voulait corrective et la tâche relative au Draxxin, réhabilitante.

769 Ce témoignage laisse clairement entendre que la surveillance du travail du Dr Lambert au sujet du Draxxin, y compris les comptes rendus mensuels, faisait partie d’un effort de gestion du rendement. Dans ce cas, l’employeur a tout à fait manqué à son devoir d’aider le Dr Lambert à améliorer son rendement. Malgré les demandes du Dr Lambert, la recommandation de son supérieur précédent et les directives du BIFP de lui offrir des possibilités d’améliorer son rendement, on ne lui a offert ni services de consultation ni formation.

770 La conduite de Mme Kirkpatrick va à l’encontre de ses propos tenus selon lesquels elle cherchait à remettre le Dr Lambert [traduction] « sur la bonne voie », c’est-à-dire l’aider à améliorer son rendement. Sa conduite reflète plutôt son opinion voulant que le Dr Lambert ait fait preuve d’insubordination et que cette insubordination durerait. Elle a adopté une attitude non interventionniste face au travail du Dr Lambert et lui a fait pleinement assumer le fardeau de se conformer à ses directives. Elle a jugé que le suivi et la consultation étaient des mesures inappropriées, ce qui va complètement à l’encontre des principes des mesures disciplinaires progressives qu’ont appliqués les employeurs dans Doucette et Grover. Dans Paquette, même si quatre suspensions allant de un à 20 jours avaient été imposées à l’employé, lorsqu’est survenu un incident où il a été jugé que ce dernier avait fait preuve d’insolence et de mépris, l’employeur a mené une enquête qui a permis au fonctionnaire s’estimant lésé de répondre aux allégations. L’approche adoptée par Mme Kirkpatrick ne laissait aucune place à l’amélioration après la suspension de 10 jours.Immédiatement après imposé les mesures disciplinaires, pendant les [traduction] « deux ans » qu’elle ne cessait d’évoquer, et malgré son affirmation qu’elle voulait que le Dr Lambert revienne sur la bonne voie, elle s’est montrée pessimiste à son égard et a refusé d’envisager la possibilité d’une amélioration. Bien que le Dr Lambert n’ait reçu aucun avertissement que des mesures disciplinaires pourraient être éventuellement appliquées en raison de son rendement au cours des deux années alléguées d’inconduite constante et répétée, on lui a toutefois remis deux avertissements écrits, l’un juste avant son licenciement et l’autre après que Mme Kirkpatrick se soit fait une mauvaise opinion de lui (lettre de suspension de 10 jours, datée du 14 mai 2004, et lettre du 11 juin 2004).

771 La conduite de Mme Kirkpatrick ainsi que son témoignage révèlent qu’au moment d’attribuer l’évaluation du Draxxin, elle avait déjà jugé que le Dr Lambert refusait de travailler. Comme il a été soutenu dans Nanaimo Collating Inc., on ne peut maintenir un licenciement lorsque l’employeur fait fi des principes associés aux mesures disciplinaires progressives parce qu’il s’est déjà fait une idée biaisée du rendement d’un employé.

772 Pour invoquer des antécédents afin de motiver une mesure disciplinaire, il faut qu’un incident déterminant justifie la révision de la mesure disciplinaire antérieure (Canadian Labour Arbitration, paragraphe 7:4312). Dans son témoignage, Mme Kirkpatrick a confirmé s’être fondée sur seulement deux incidents disciplinaires pour déterminer quelle serait la sanction appropriée pour le Dr Lambert. Non seulement l’incident déterminant allégué ne justifiait pas de mesures disciplinaires, il était aussi inapproprié pour l’employeur d’invoquer des sanctions antérieures.Les faits qui sous-tendent la suspension de cinq jours n’ont rien à voir avec l’insubordination. Le fait de s’appuyer sur cette suspension contrevient au critère associé à un incident déterminant. La pertinence de la mesure disciplinaire imposée aurait dû être jugée en fonction du comportement qu’elle visait à corriger. Dans la présente affaire, on a réprimandé le Dr Lambert parce qu’il aurait sciemment refusé de travailler. Les mesures disciplinaires antérieures étaient le résultat d’une inconduite et elles ont été imposées parce que le Dr Lambert avait prononcé et endossé des propos supposément trompeurs auprès des médias. Or, ces propos n’avaient rien à voir avec son rendement ou sa production, ou avec le fait qu’il ne répondait pas aux demandes de l’employeur. De plus, cela n’avait pas été considéré comme de l’insubordination. Tel qu’il a été mentionné dans Doucette : « C'est sérieusement saper la raison d’être de la discipline progressive que d’imposer d’un seul coup des mesures disciplinaires pour une série d’infractions commises sur une longue période » (paragraphe 100).Dans cette affaire, l’employeur s’est appuyé sur une mesure disciplinaire aggravée par un délai de cinq mois et sur le regroupement des infractions, ce qui a atténué l’effet de celle-ci sur le plan de l’analyse de l’incident déterminant.Dans la présente affaire, l’imposition des suspensions de cinq et de dix jours a été longuement retardée.Dans les deux cas, on aurait pu imposer les sanctions dès juillet 2002, mais on ne l’a fait qu’en mars et en mai 2004. Le délai à imposer une mesure disciplinaire relative à la dénonciation est particulièrement révélateur puisque si on avait appliqué celle-ci dès le premier incident (3 juillet 2002), elle serait venue à échéance après deux ans, aux termes de la clause d’extinction de la convention collective pertinente. De plus, rien ne démontre que le Dr Lambert a prononcé en public d’autres propos que l’employeur aurait jugés inappropriés; donc, aux fins des mesures disciplinaires progressives, il faut conclure que la mesure disciplinaire a eu l’effet répressif voulu sur le comportement du Dr Lambert. Par conséquent, l’infraction antérieure n’aurait pas dû avoir un impact sur la mesure disciplinaire imposée pour insubordination.

773 Par ailleurs, le Dr Lambert n’a eu pratiquement aucune occasion de manifester une amélioration au cours des trois semaines qui ont suivi l’imposition de la suspension de 10 jours. On l’a congédié bien avant l’échéance fixée pour la tâche et sans analyser le travail qu’il avait réellement accompli. Ainsi, on n’aurait pas dû s’appuyer sur la mesure disciplinaire antérieure pour justifier le licenciement du Dr Lambert.

774 Finalement, compte tenu de la pertinence des mesures disciplinaires antérieures, surtout dans le contexte des principes qui sous-tendent la discipline corrective et de la conduite de l’employeur, il devient évident qu’aucun incident déterminant n’a eu lieu pour justifier ce licenciement. L’employeur a invoqué deux infractions disciplinaires antérieures, dont l’une n’était clairement pas pertinente. Les motifs ici en cause sont nettement moindres que le dossier étoffé qui n’a pas permis de justifier le licenciement dans Doucette, où il était question de trois suspensions, dont une de 20 jours.

c. Réponse de l’employeur

775 Le Dr Lambert n’a reçu aucun travail entre février et mai 2004. De par son comportement au cours des derniers 20 à 23 mois, le Dr Lambert a démontré qu’il était incapable de terminer le travail attribué dans les délais prescrits. Le Dr Lambert n’a prévenu aucun membre de la direction qu’il n’avait pas de travail.

776 Étant donné les antécédents et l’expérience du Dr Lambert, il est normal de s’attendre à ce qu’il comprenne qu’un compte rendu vise à tenir une autre personne au courant de l’avancement du travail. « Compte rendu » est un terme simple et facile à comprendre.

777 Les points soulevés dans le courriel du 13 mai 2004 ne sont pas pertinents. Le Dr Lambert a formulé divers commentaires et assertions au sujet de son incapacité à commencer ou à mener l’évaluation du Draxxin en raison de problèmes liés à certains volumes. Ses commentaires et ses allégations étaient inexacts et incorrects. Mme Kirkpatrick n’a jamais empêché le Dr Lambert d’accéder aux volumes et au matériel connexe à l’évaluation du Draxxin. Le Dr Lambert a par ailleurs confirmé avoir eu accès à tous les volumes et même de les avoir empruntés contre signature, ce qui excédait la portée des directives de Mme Kirkpatrick relativement au travail qui lui avait été attribué. De toute évidence, malgré son courriel du 13 mai 2004 et en l’absence d’une réponse de Mme Kirkpatrick à ce sujet, le Dr Lambert a accédé au matériel tiré des volumes associés à la présentation pour le Draxxin.

778 Le Dr Lambert n’a fait l’objet d’aucune sanction pour son rendement insatisfaisant dans la lettre du 11 juin 2004, qui faisait suite au PDR et confirmait les étapes requises pour améliorer son rendement. Il ne s’agissait pas d’une mesure disciplinaire.

779 Il importe peu de savoir si quelqu’un s’est informé auprès du Dr Lambert de l’avancement de son travail. Le Dr Lambert a beaucoup d’expérience et il aurait dû connaître les dangers de ne pas soumettre sa tâche au moment prévu et de ne pas justifier un tel retard. Qu’il ait été ou non d’accord avec la suspension de 10 jours, il était bien au fait de la position de l’employeur selon laquelle il avait fait preuve d’insubordination en ne remettant pas ses travaux et en ne répondant pas aux questions connexes. Le Dr Lambert a été suspendu pendant 10 jours alors qu’il était au milieu d’une affectation, il devait savoir que s’il n’effectuait pas son travail dans les délais prescrits qu’il encourrait une mesure disciplinaire, voire le licenciement. Mme Kirkpatrick lui a clairement indiqué qu’il lui revenait de s’adresser à elle en cas de problème.

780 Les précédents cités par l’avocat des fonctionnaires relativement à l’insubordination peuvent être écartés, car il s’agissait de déterminer si les employeurs en cause avaient donné des ordres directs et si ceux-ci avaient été clairement communiqués. Lors de la réunion du 4 mai 2004 et dans le courriel qu’elle lui a envoyé subséquemment, Mme Kirkpatrick a clairement dit au Dr Lambert qu’elle exigeait de lui un compte rendu de l’avancement de ses travaux. Si le Dr Lambert comprenait mal ce qu’on attendait de lui, il lui incombait de demander des précisions. En contre-interrogatoire, il a reconnu qu’il n’avait jamais demandé à Mme Kirkpatrick de lui fournir des précisions et qu’il savait qu’elle voulait savoir où en était rendu le projet sur le Draxxin. Par conséquent, l’employeur soutient que la jurisprudence qu’invoque le Dr Lambert sur la question de l’ordre clair pour fournir la preuve de l’insubordination n’est pas pertinente. En l’occurrence, les attentes à l’égard du Dr Lambert étaient très claires.

781 Dans Lyons c. Conseil du Trésor (Revenu Canada [Impôt]), dossier de la CRTFP 166-02-22400 (19931112)], même si la suspension est passée de trois à un jour, l’arbitre de grief a tout de même jugé que les actes du fonctionnaire s’estimant lésé dans le deuxième incident justifiaient une mesure disciplinaire. Bien que l’on n’ait pas prévenu le fonctionnaire qu’il serait réprimandé s’il ne répondait pas à la demande de l’employeur, la mesure disciplinaire a été maintenue.

782 Le Dr Lambert a soutenu que la répétition d’un ordre et le fait souligner les conséquences liées à un refus ont été reconnus en tant que pratiques positives dans les cas liés à l’insubordination. Cette analyse s’applique uniquement aux cas où il est question de problèmes de rendement ou d’absentéisme involontaire. Or, l’employeur a considéré le défaut du Dr Lambert de se plier aux directives non pas comme un problème de rendement, mais comme un manquement disciplinaire. Dans ces circonstances, il n’était pas nécessaire d’avertir le Dr Lambert que des mesures disciplinaires seraient peut-être imposées. Il savait ce qu’on attendait de lui et a simplement choisi de ne pas obtempérer. Quoiqu’il en soit, le Dr Lambert avait alors déjà fait l’objet d’une suspension de 10 jours pour insubordination. Il savait que son emploi était en jeu et que s’il ne respectait pas les directives de son employeur, un licenciement pourrait s’ensuivre. Par ses actes, il a fait preuve d’insubordination.

783 Soulignons également que dans Lyons, une des raisons pour lesquelles l’arbitre de grief a réduit la sanction était que le fonctionnaire s’estimant lésé dans cette affaire avait soumis des preuves médicales selon lesquelles il était soigné pour le stress et des tensions d’ordre professionnel et que lorsque les incidents en question sont survenus, on lui avait diagnostiqué un trouble médical. Dans le cas du Dr Lambert, aucune preuve de cet ordre n’a été produite. Par conséquent, l’employeur soutient qu’il était justifié de licencier le Dr Lambert et que, une fois les facteurs atténuants examinés, cette sanction ne devrait pas être réduite.

784 Dans National Harbours Board et Vancouver, le défaut de l’employé d’aviser son employeur des raisons de ne pas travailler un deuxième quart est pertinent. L’arbitre a jugé que l’employé aurait dû s’affirmer davantage et expliquer ses actes. De même, le comportement du Dr Lambert ne témoigne pas du degré de responsabilité auquel l’employeur est en droit de s’attendre; la mesure disciplinaire était donc indiquée.

785 Les faits en cause dans Myler peuvent être écartés. Dans cette affaire, le fonctionnaire s’estimant lésé a fini par effectuer son travail et n’en avait repoussé l’exécution que le temps de confirmer que la tâche en cause relevait de ses fonctions.

786 Nanaimo Collating Inc., peut être écartée en raison des faits qui sont en cause. L’arbitre a soutenu que la réaction de l’employeur dans cette affaire était excessive puisque les mesures disciplinaires avaient été imposées à la suite d’un ordre qui n’était pas clair et qu’il persistait un doute à savoir s’il avait été transmis par une personne en position d'autorité.

787 Le Dr Lambert a soutenu qu’avant de le licencier, Mme Kirkpatrick ne lui avait pas donné la possibilité de se défendre contre l’allégation voulant qu’il n’ait accompli aucun travail. Dans sa réponse, l’employeur a invoqué Tipple, dans lequel la Cour d’appel fédérale a posé en principe que lorsqu’il y a une injustice procédurale d’équité, une audience subséquente, comme celle-ci, permet d’y remédier.

788 Les arguments qu’a présentés l’employeur relativement à l’incident déterminant dans le cas du Dr Lambert répètent ceux qu’il a invoqués pour le grief pour licenciement de Dr Chopra;je ne les ai donc pas répétés.

D. Motifs

1. Grief pour licenciement du Dr Chopra

789 Les critères permettant de conclure à l’insubordination sont limpides : est-ce qu’un ordre clair a été émis par une personne en position d’autorité et est-ce que cet ordre a été désobéi? Pour les motifs énoncés dans la présente décision, je conclus que le Dr Chopra a fait preuve d’insubordination lorsqu’il a refusé d'accomplir le travail attribué et, par conséquent, qu’il n’a pas démontré de progrès.

790 Mme Kirkpatrick, la supérieure immédiate du Dr Chopra, était manifestement une personne en position d’autorité.

791 Le Dr Chopra a soutenu qu’il y avait quelque chose de vil relativement au fait que Mme Kirkpatrick ait consulté des conseillers professionnels avant de lui attribuer un travail précis. Lorsqu’un gestionnaire a des inquiétudes légitimes par rapport à la conduite d’un employé, il n’y a rien de vil à ce qu’il consulte des conseillers professionnels.

792 Le Dr Chopra a fait valoir que la clarté de l’ordre est une notion subjective. Autrement dit, il a déclaré qu'il fallait tenir compte de la manière dont un employé interprète un ordre pour conclure ou non à l’insubordination. Il n’a nullement étayé cette hypothèse. La clarté d’un ordre réside dans une analyse objective de sa teneur et du contexte dans lequel il a été donné. Toute confusion d’un employé peut être un facteur pertinent par rapport au contexte dans lequel l’ordre est donné. Or, le Dr Chopra n’a pas dit à Mme Kirkpatrick qu’il n’avait pas compris la tâche : il était simplement en désaccord avec son fondement.

793 Le Dr Chopra a témoigné ne pas avoir fait part de sa confusion au sujet de la tâche au cours de la réunion du 4 mai 2004 car il était inquiet de sa relation avec Mme Kirkpatrick. Ce n’est pas plausible. Il n’avait jamais eu de scrupules auparavant à soulever des questions auprès d’elle ou d’autres personnes. Il n’a manifesté aucune réticence à faire connaître son point de vue dans ses courriels ultérieurs à Mme Kirkpatrick.

794 Le Dr Chopra a maintenu qu’on ne lui avait pas clairement communiqué la nature de la tâche, qui était complexe et difficile à interpréter. Une personne de son expérience et de son expertise aurait dû n’avoir aucune difficulté à l’interpréter. Sa correspondance avec Mme Kirkpatrick au sujet des systèmes de classification et de la résistance aux antimicrobiens démontre qu’il comprenait bien ce qu’on lui demandait.

795  Dans une des premières décisions en matière d’insubordination, l’arbitre avait souligné qu’un lieu de travail [traduction] « n’est pas un club de discussion » (Ford Motor Co. (1944), 3 L.A. 779, dans Mitchnick et Etherington, Labour Arbitration in Canada, page 13-2). Le Dr Chopra tenait à débattre des mérites de sa tâche avec Mme Kirkpatrick au lieu d’accomplir le travail demandé. Le débat s’est poursuivi en audience. Dans ses arguments, il a fait valoir qu’il revenait à l’employeur de le convaincre du mérite de la tâche, ce qui renversait complètement la relation employeur-employé. Dans une relation d’emploi, l’employé est tenu de respecter les directives légitimes. Un lieu de travail n’est pas une démocratie où les superviseurs doivent convaincre leur personnel des mérites de suivre un ordre donné.

796 Lors de la réunion du 4 mai 2004, le Dr Chopra a reçu la directive précise de ne pas aller de l’avant avec son projet d’examiner tous les dossiers de présentation visant des médicaments antimicrobiens. Il a désobéi à cette directive et a demandé une liste des présentations à la section responsable de la DMV.

797 Le témoignage du Dr Chopra relativement à l’avancement de son travail était confus. À un moment, il a déclaré qu’il avait terminé le projet et à un autre, qu’il avait laissé tomber car il lui était impossible de le réaliser. J’estime cette dernière option la plus plausible. Il a décidé que la tâche ne méritait pas qu’il s’y intéresse. Dans ses courriels à Mme Kirkpatrick, il a affirmé que la tâche n'était pas réalisable sur le plan scientifique. Il l’a informée qu’elle pouvait choisir parmi les systèmes de classification, qui étaient aussi valides l’un que l’autre. Il n’a pas justifié cette conclusion.

798 Le compte-rendu préparé par le Dr Chopra ne témoignait d’aucun progrès. Il répétait l’objet du travail attribué, puis énumérait des points en style télégraphique sans explication de leur importance ou de leur pertinence à l’endroit du travail attribué. En laissant entendre que Mme Kirkpatrick aurait dû savoir à quoi il renvoyait ou demander à son personnel de l’aider à comprendre, le Dr Chopra dénaturait complètement la relation employeur-employé. Il semblait suggérer qu’il ne faisait pas partie du personnel de la DMV. Un superviseur ne devrait pas avoir à s’adresser à d’autres employés pour obtenir des explications au sujet d’un compte rendu. À titre de superviseure, Mme Kirkpatrick a demandé un compte rendu et était en droit d’en recevoir un.

799 Je comprends que le Dr Chopra était d’avis que la tâche n’était pas appropriée et qu’il y perdait son temps. Je comprends également qu’il voulait en modifier la portée pour en faire une enquête en bonne et due forme relativement à la résistance aux antimicrobiens, comportant une analyse approfondie des dossiers de la DMV et des échanges avec les scientifiques. Cependant, sa superviseure lui a confié une tâche beaucoup plus circonscrite. Un employé ne peut modifier une tâche à son gré et sans l’autorisation de son superviseur. Je ne suis pas qualifié pour me prononcer sur le point de vue du Dr Chopra au sujet des mérites de l’approche énoncée pour la tâche, mais là n’est pas la question. Le Dr Chopra était tenu d’effectuer une tâche et de la terminer. Pour ce faire, il était libre de donner son opinion scientifique sur les faiblesses de l’approche proposée. Il ne lui revenait toutefois pas de simplement ignorer les tâches qu’on lui avait attribuées.

800 Le Dr Chopra a soutenu ne pas avoir eu la possibilité de répondre aux préoccupations de Mme Kirkpatrick, qu’elle lui avait exprimées dans ses courriels. Il aurait pu clarifier son approche dans ses réponses par courriel.

801 Le Dr Chopra a allégué que Mme Kirkpatrick ne l’avait pas prévenu des conséquences qu’entraînerait l’omission d’exécuter la tâche. Il comptait déjà quelques mesures disciplinaires à son dossier et il avait été clairement averti dans ces lettres de suspension des conséquences de toute inconduite ultérieure. De plus, il est généralement reconnu que les employés doivent suivre les instructions qui leur sont données. Par conséquent, il est sous-entendu que quiconque omet de respecter des directives ou un ordre est passible de mesures disciplinaires.

802 Le Dr Chopra a laissé entendre que le préjudice éventuel causé à l’employeur constitue un facteur à prendre en considération pour conclure ou non à l’insubordination. Bien que certains ordres relèvent de cette exception, ce n’est pas le cas ici. La tâche correspondait au domaine de responsabilité du Dr Chopra, et l’employeur est en droit de recevoir les services de ses employés. Ces derniers ne sont pas libres de faire la fine bouche relativement au travail à accomplir, même lorsqu’ils estiment qu’une tâche est futile.

803 En audience, le Dr Chopra a clairement manifesté ses intentions au sujet de la tâche. Il a en effet affirmé que la classification ne constituait pas la bonne approche et que Mme Kirkpatrick tentait de lui [traduction] « en imputer la faute ». Il a aussi témoigné que la classification n’avait absolument aucune pertinence. J’estime qu’en fonction de ses courriels à Mme Kirkpatrick et de son témoignage en audience, le Dr Chopra a activement évité le travail qu’on lui avait attribué et qu’il a fait preuve d’insubordination.

804 Le Dr Chopra a été licencié pendant qu’il était en congé de maladie autorisé. Cependant, son inconduite a eu lieu avant le début de ce congé. Par conséquent, l’employeur était libre de le licencier pendant ce congé de maladie.

805 Le Dr Chopra comptait trois suspensions (respectivement de 5, de 10 et de 20 jours) à son dossier au moment où il a fait preuve d’insubordination. La suspension de 5 jours a été maintenue en arbitrage. J’ai rejeté les griefs relatifs aux deux autres suspensions. La suspension de 10 jours visait un acte d’insubordination et celle de 20 jours découlait des propos aux médias. Je n’accepte pas l’argument du Dr Chopra voulant que les mesures disciplinaires progressives ne s’appliquent pas. La suspension de 20 jours était connexe à la conduite en cause dans la présente affaire. Elle illustre encore plus clairement le manque de respect du Dr Chopra à l’égard de son employeur.

806 Le seul facteur atténuant en cause est celui de l’ancienneté du Dr Chopra. Or, il ne suffit pas à atténuer ses actes. Le Dr Chopra a démontré qu’il était incapable de se faire superviser.

807 Par conséquent, le grief est rejeté.

2. Grief pour licenciement de la Dre Haydon

808 La Dre Haydon a été licenciée pour insubordination. Ce que l’employeur a perçu à l’origine comme étant un problème de rendement en est devenu un d’inconduite lorsqu’il a conclu que l’absence de rendement de la Dre Haydon et la qualité insatisfaisante de son travail à titre d’évaluatrice chevronnée constituaient des actes volontaires d’insubordination.

809 La Dre Haydon a déposé un grief au sujet de son évaluation du rendement négative. Je n’ai pas à me pencher sur ce dossier. Les éléments de preuve relatifs à l’évaluation du rendement ne sont pertinents que dans la mesure où ils démontrent que l’employeur a initialement cherché à régler les problèmes de rendement professionnel au moyen d’un processus non disciplinaire. Ils démontrent également que la Dre Haydon était au fait des préoccupations légitimes de M. Alexander, son superviseur, relativement à son rendement insuffisant.

810 Le témoignage de Mme Kirkpatrick a suscité une certaine confusion au sujet du document dont il était fait mention dans la lettre de licenciement. Même si la version préliminaire de cette lettre manquait vraisemblablement de finition, on y dégage assez bien les motifs de l’employeur pour mettre fin à l’emploi de la Dre Haydon.

811 Essentiellement, l’employeur a conclu que le temps qu’a consacré la Dre Haydon à préparer un rapport inadéquat, incohérent et non décisif constituait une tentative délibérée et systématique [traduction] « d’éviter et d’ignorer le travail qui [lui avait] été attribué ».

812 Pour conclure à l’insubordination, les trois éléments suivants doivent être présents : 1) preuve d’une directive ou d’un ordre précis émanant d’une personne en position d’autorité, 2) preuve du non-respect de l’ordre ou de la directive 3) absence d’explication raisonnable pour l’omission de respecter l’ordre ou la directive.

813 On a chargé la Dre Haydon de procéder à l’évaluation des présentations sur le Pirsue. À titre d’évaluatrice principale de médicaments vétérinaires, la Dre Haydon connaissait ses devoirs et ses responsabilités dans le cadre d’une évaluation. De plus, les éléments de preuve démontrent que son superviseur lui avait enjoint de tenir compte de l’approbation du même médicament aux États-Unis. Les directives formulées à la Dre Haydon étaient claires.

814 M. Alexander a d’abord considéré l’incapacité de la Dre Haydon de bien remplir ses fonctions d’évaluatrice principale de médicaments vétérinaires comme un problème de rendement. Il lui en a parlé au cours de leurs discussions sur le rendement et dans ses évaluations du rendement. Or, la Dre Haydon a choisi de considérer ces critiques comme du harcèlement. Elle n’était pas prête à se soucier des préoccupations légitimes de son supérieur au sujet de son rendement professionnel global. À l’origine, l’employeur a fait des efforts pour porter ces lacunes à l’attention de la Dre Haydon, définir ses attentes et présenter les conséquences d’une incapacité à satisfaire aux attentes fixées à l’égard d’une évaluatrice principale de médicaments vétérinaires. La Dre Haydon n’a pas reconnu, ni alors ni à l’audience, de faute ou de lacune dans son travail.

815 Les 30 problèmes liés à l’évaluation des documents que l’employeur a soulevés lors de l’audience n’ont pas été soulevés auprès de la Dre Haydon avant son licenciement. Cependant, elle était ou aurait dû être au fait de plusieurs d’entre eux. Ces problèmes témoignaient dans la présentation et l’analyse d’un laisser-aller inacceptable pour une évaluatrice de l’expérience de la Dre Haydon, que celle-ci n’a pu justifier. La Dre Haydon n’a reconnu aucune lacune dans son travail et a déclaré avoir fait au mieux de ses capacités au moment opportun.

816 Comme l’arbitre dans Vancouver General Hospital, je conclus que la Dre Haydon a consciemment passé outre aux normes applicables et aux attentes à l’égard d’une évaluatrice principale, ce qui rend son comportement délibéré. Elle a fait le [traduction] « […] choix conscient d’exécuter [ses] fonctions d’une manière qu’[elle] a choisi de juger adéquate » (paragraphe 40).

817 La Dre Haydon n’a fourni aucun motif raisonnable de ne pas avoir obéi aux directives de son superviseur ni satisfait aux normes attendues d’une évaluatrice principale. Comme je l’ai déjà dit, elle a refusé de reconnaître quelque lacune que ce soit dans son travail et a déclaré avoir fait au mieux de ses capacités au moment opportun.

818 Dans Manitoba, l’arbitre a conclu avec raison qu’il ne convenait pas de procéder à une intervention disciplinaire lorsqu’un employé de longue date ne parvenait soudainement plus à tenir le rythme relativement à sa charge de travail. Sous divers aspects, cette affaire est diamétralement opposée à celle ici en cause. L’arbitre dans ce précédent a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé s’efforçait de tenir le rythme et qu’il pouvait expliquer son problème lié au respect des échéances. La Dre Haydon n’a pas fourni de preuve plausible pour expliquer son rendement insuffisant en tant qu’évaluatrice principale. En fait, elle a nié que son rendement était insatisfaisant. Dans Manitoba, l’arbitre était par ailleurs convaincu qu’il n’y avait rien d’intentionnel ni de négligent dans le comportement de l’employé. J’ai au contraire jugé que la conduite de la Dre Haydon dénotait un choix conscient de faire fi de ses obligations à titre d’évaluatrice principale de médicaments vétérinaires. De plus, dans Manitoba, l’employeur n’a fourni aucun encadrement ni aucune directive additionnels à l’employé. Dans la présente affaire, M. Alexander a tenté d’exprimer ses inquiétudes à la Dre Haydon et de lui offrir de l’aide pour qu’elle améliore son rendement.

819 La Dre Haydon a invoqué la tolérance à l’appui de ses arguments en faveur du maintien du grief. J’estime que l’employeur n’a rien toléré. Ce dernier a tenté, sans succès, d’exprimer à la Dre Haydon ses préoccupations par rapport à son rendement. À mon avis, les tentatives initiales de l’employeur de régler les problèmes de rendement au moyen du processus d’évaluation et de donner la possibilité à la Dre Haydon d’améliorer son rendement ne peuvent être considérées comme de la tolérance.

820 Comme la Dre Haydon comptait déjà une mesure disciplinaire à son dossier, son licenciement ne constituait pas une mesure disciplinaire excessive. Je ne peux accepter son argument selon lequel son inconduite n'était pas semblable à son inconduite antérieure. Tous les actes d’inconduite dénotent une attitude sous-jacente de défi envers l’employeur. Ces actes ont témoigné de l’incapacité fondamentale de la Dre Haydon d’accepter la supervision et les directives de son employeur.

821 Les mesures disciplinaires progressives ne sont pas une série d’échelons fixes. L’employeur a démontré que la Dre Haydon était incapable de travailler sous supervision et que la relation employeur-employée était irrécupérable. De plus, l’absence de remords et le refus de reconnaître ses torts appuient la conclusion voulant qu’il soit impossible de rétablir la relation employeur-employée. La Dre Haydon a eu jusqu’au bout une attitude d’opposition tranquille. Comme il est mentionné dans British Columbia Hydro and Power Autority, l’absence de regrets ou de remords rend la réintégration [traduction] « inutile » (paragraphe 71).

822 Par conséquent, le grief est rejeté.

3. Grief pour licenciement du Dr Lambert

823 Le Dr Lambert doit son licenciement à son incapacité de fournir un compte rendu de l’avancement d’une tâche et de démontrer qu’il l’a fait progresser. L’employeur a considéré ces échecs comme de l’insubordination. Le Dr Lambert éprouvait manifestement de grandes difficultés avec la tâche et avec la conciliation de ses priorités d’ordre professionnel. Cependant, pour les motifs énoncés en l’espèce, je suis d’avis que l’employeur a tiré ses conclusions trop vite et n’a pas jugé de manière équitable l’avancement de la tâche. Par conséquent, j’estime que l’employeur n’avait pas de motif valable de licencier le Dr Lambert.

824 Une allégation d’insubordination n’est fondée que lorsqu’on désobéit à un ordre clairement compris émanant d’une personne en position d’autorité. Mme Kirkpatrick avait manifestement l’autorité voulue pour donner un ordre au Dr Lambert. Dans la lettre de licenciement (pièce E-341, onglet A-1), l’employeur s’appuie sur l’incapacité de ce dernier de fournir un compte rendu de son travail au plus tard le 16 juin 2004, ainsi que sur le jugement de Mme Kirkpatrick qui, après avoir examiné la version préliminaire du rapport, a conclu qu’il n’avait « fait aucun travail ni réalisé aucun progrès ». La lettre de licenciement renvoie également aux déclarations issues de discussions sur les évaluations du rendement du Dr Lambert et aux déclarations parus dans une lettre remise le 11 juin 2004 au sujet de son rendement professionnel (pièce E-341, onglet B-9). Dans cette dernière, Mme Kirkpatrick évoquait la possibilité d’une rétrogradation, [traduction] « voire d’un licenciement ». La LRTFP ne permet pas à l’employeur de rétrograder un employé pour des motifs disciplinaires. Il est par ailleurs évident dans cette lettre que l’employeur adoptait une approche non disciplinaire par rapport à ses préoccupations relatives au rendement du Dr Lambert. Par conséquent, il est étonnant que moins d’un mois plus tard, il ait soudainement fait volte-face et recouru à une approche disciplinaire. Toutefois, l’importance de la lettre réside dans le message limpide qu’elle véhicule au sujet des attentes en matière de rendement. Il s’agit d’un élément pertinent, car les attentes découlent de l’ordre de Mme Kirkpatrick.

825 La lettre du 11 juin 2004 sur l’évaluation du rendement renvoie à la mise en place de [traduction] « plans de travail précis et détaillés » et une évaluation mensuelle. Mme Kirkpatrick a aussi écrit que le Dr Lambert devait porter à son attention tout ce qui l’empêchait de se conformer à son plan de travail. Elle a conclu en écrivant qu’elle était prête à offrir le soutien nécessaire pour lui permettre d’avoir le rendement attendu. Cette lettre énonce de façon limpide les attentes de Mme Kirkpatrick. Cependant, celle-ci n’a pas respecté les engagements qu’elle y a pris. Toute véritable évaluation de l’avancement du travail devrait comprendre des échanges avec l’employé en cause. Mme Kirkpatrick n’a jamais discuté avec le Dr Lambert de ses progrès en juin 2004. Elle a par ailleurs refusé de le faire à la réunion du 11 juin 2004, où elle lui a dit qu’il ne devait remettre son compte rendu que la semaine suivante. En outre, elle n’a pas répondu à son courriel du 13 mai 2004, dans lequel il évoquait des éléments qui, à son avis, l’empêchaient de respecter son plan de travail. Bien que Mme Kirkpatrick ait assuré au Dr Lambert être à sa disposition pour lui fournir l’aide voulue, elle n’a pas fait d’efforts, après le 11 juin 2004, pour aborder avec lui la question de ses progrès.

826 L’ordre de produire un compte rendu mensuel était clair. Or, ce que le Dr Lambert devait inclure dans le document ne l’était pas. Celui-ci n’avait jamais eu à soumettre un compte rendu par le passé; il ne s’agissait pas d’une pratique courante à la DMV. Mme Kirkpatrick a longuement témoigné à propos de ce qu’elle s’attendait à lire dans un tel document. Elle n’a pas communiqué ces attentes au Dr Lambert au moment opportun. Ce dernier s’est plié à la partie de l’ordre consistant à mentionner les éléments qui, selon lui, nuisaient à l’avancement du projet. Même s’il y a eu un imbroglio justifié au sujet du courriel lorsqu’il l’a envoyé, cet imbroglio avait déjà été dissipé au moment de la réunion du 11 juin 2004. Il existe une certaine confusion quant au moment où Mme Kirkpatrick a pris connaissance du courriel bien qu’il soit évident qu’au 24 juin 2004, elle avait demandé à M. R. Sharma de préparer une réponse aux préoccupations qui y étaient exprimées. Mme Kirkpatrick a témoigné à propos de sa réaction aux points qu’avait soulevés le Dr Lambert, mais n’y a pas donné suite au moment opportun.

827 Le Dr Lambert n’a pas respecté l’ordre de fournir un compte rendu mensuel au plus tard le 16 juin 2004. Il a témoigné avoir terminé la version préliminaire du rapport le vendredi 18 juin 2004, mais avoir eu de la difficulté à y intégrer un filigrane. Il est ensuite parti en congé de maladie le 21 juin suivant. Il est rentré au bureau le 23 juin pour obtenir une copie électronique de la version préliminaire de la tâche, qu’il a soumise par courriel le 24 juin 2004. Le Dr Lambert n’a pas donné de motif adéquat pour n’avoir pas soumis le compte rendu mensuel avant le 24 juin 2004, mais l’employeur ne lui a jamais demandé de justifier ce retard. Comme le Dr Lambert était en congé de maladie autorisé, j’estime que le retard n’était pas important.

828 Je conviens que Mme Kirkpatrick avait raison de s’inquiéter de l’avancement de la tâche lorsqu’elle n’a pas reçu de compte rendu le 16 juin 2004 et, surtout, lorsqu’elle a reçu la version préliminaire du rapport le 24 juin 2004. Cependant, elle lui avait donné trois mois pour mener la tâche à bon terme et a tiré sa conclusion sur les progrès réalisés alors qu’à peine la moitié de ce délai s’était écoulée. Il s’agissait d’une conclusion prématurée, d’autant plus que Mme Kirkpatrick n’avait pas clairement énoncé ses attentes au Dr Lambert au sujet des progrès attendus au cours du premier mois de la tâche.

829 Par ailleurs, le Dr Lambert était en congé de maladie autorisé lors de son licenciement. L’employeur a approuvé ce congé et n’a jamais demandé de précisions sur la maladie en cause. Mme Kirkpatrick a conclu que cette maladie n’empêchait pas le Dr Lambert de satisfaire aux exigences de la tâche. Pourtant, elle n’a jamais demandé d’autres renseignements sur la santé du Dr Lambert de manière à bien répondre à cette question.

830 Les autres fonctionnaires étaient aussi en congé de maladie au moment de leur licenciement.Toutefois, le Dr Chopra avait clairement exprimé son intention de ne pas terminer la tâche qui lui avait été confiée, et la Dre Haydon s’était elle aussi montrée réticente à terminer la sienne.La date fixée au Dr Lambert pour terminer son travail n’était pas encore échue.Celui-ci n'avait pas communiqué à l’employeur ni ne lui avait montré par ses actions qu’il n’entendait pas terminer son travail.L’employeur aurait dû s’informer des répercussions de sa maladie sur sa capacité de réaliser la tâche avant de décider s’il faisait ou non preuve d’insubordination.

831 Avant son témoignage, Mme Kirkpatrick n’avait fourni aucune rétroaction au Dr Lambert relativement à son insatisfaction par rapport à l’avancement du dossier. En particulier, elle ne lui a pas transmis l’ébauche de note de M. R. Sharma au sujet de la version préliminaire du rapport. On ne peut remédier au fait que l’employeur n’ait pas communiqué ses préoccupations au sujet de l’avancement du travail du Dr Lambert en évoquant cette question pour la première fois en arbitrage, comme le suggère l’employeur (en s’appuyant sur Tipple). Le principe énoncé dans Tipple vise des vices de procédure dans la conduite d’une enquête sur une inconduite alléguée. Il serait injuste d’appliquer le même raisonnement afin de réparer les omissions de l’employeur dans les étapes ayant mené à l’imposition de la mesure disciplinaire.

a. Redressement

832 Dans ses arguments relatifs au licenciement du Dr Chopra, l’employeur a soutenu qu’une compensation au lieu d’une réintégration constituait la réparation appropriée si le grief devait être accueilli. Il n’a pas présenté les mêmes arguments pour le présent grief. Cependant, je traiterai de ce redressement. L’employeur a soutenu que la décision de la Cour d’appel fédérale dans Gannon c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 417, n’était pas déterminante quant au pouvoir d’un arbitre de grief d’imposer une compensation au lieu d’une réintégration. Je ne suis pas de cet avis. L’ordonnance de la Cour est claire : en vertu de la LRTFP, un arbitre de grief n’a pas le pouvoir d’octroyer une compensation au lieu d’une réintégration. Par conséquent, j’ordonne que le Dr Lambert soit réintégré dans ses fonctions auprès de l’employeur.

833 Le Dr Lambert a demandé réparation pour le revenu et les avantages sociaux qu’il a perdus, sous réserve de l’accord des parties. Je laisserai à ces dernières le soin de négocier le revenu et les avantages sociaux qu’il a perdus en fonction de tout revenu qu’il aura tiré entre-temps. Je continuerai d’exercer ma compétence durant 90 jours à compter de date de la présente ordonnance relativement à la question du préjudice causé par la perte de revenu et d’avantages sociaux.

834 Le Dr Lambert a demandé qu’on lui adjuge des intérêts sur les sommes qui lui sont dues. Nantel c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 351, traite de la capacité d’un arbitre de grief d’ordonner le paiement d’intérêts en vertu de la LRTFP. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’à la lumière de la compétence expressément conférée par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique d’adjuger des intérêts, il ressort sans équivoque que les arbitres de grief n’ont pas l’autorité de le faire en vertu de la LRTFP (paragraphes 6 à 8).

VII. Ordonnances

835 Dossier de la CRTFP 166-02-33999 : le grief est rejeté.

836 Dossier de la CRTFP 166-02-35125 : le grief est rejeté.

837 Dossiers de la CRTFP 166-02-34767, 34768 et 35108 : les griefs sont rejetés.

838 Dossier de la CRTFP 166-02-34331 : le grief est rejeté.

839 Dossier de la CRTFP 166-02-34330 : le grief est rejeté.

840 Dossier de la CRTFP 166-02-34329 : le grief est accueilli.

841 Je continuerai d’exercer ma compétence durant 90 jours pour toute question visant l’exécution de l’ordonnance relative au grief pour licenciement du Dr Lambert (dossier de la CRTFP 166-02-34329).

Le 4 août 2011.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
arbitre de grief

ANNEXE 1

Dates des audiences

2005

Le 21 novembre
Du 13 au 16 décembre

2006

Les 7 et 8 février
Du 10 au 12 et du 24 au 27 avril
Du 16 au 18 mai
Du 30 mai au 2 juin
Du 14 au 16 et du 27 au 30 juin
Du 29 au 31 août
Du 11 au 13 octobre
Du 7 au 9 et du 21 au 23 novembre
Du 5 au 7 décembre

2007

Du 9 au 11 et du 23 au 25 janvier
Du 26 au 28 mars
Du 8 au 10 et les 15, 16 et 18 mai
Du 12 au 15, les 19, 20 et 22, et du 26 au 28 juin
Les 18, 19 et 21 septembre
Du 10 au 12 et le 26 octobre

2008

Du 22 au 25 janvier
Le 31 mars
Les 4, 8, 9 et 11 avril
Les 6, 7 et 9, du 13 au 15, et les 26, 27 et 30 mai
Du 3 au 5 et du 23 au 25 juin
Les 9, 10, 12, 23, 24 et 26 septembre
Les 7, 9, 20, 21 et 24 octobre
Les 3, 4 et 6 novembre
Les 8, 9, 11 et 12 décembre

2009

Du 20 au 23 et du 26 au 30 janvier
Du 9 au 12 mars
Du 6 au 9 avril
Les 13, 14, 20 et 25 mai
Du 7 au 10 et du 13 au 16 juillet
Du 1er au 3, du 8 au 11 et le 15 septembre


ANNEXE 2

Dates de dépôt des arguments écrits

Arguments de l’employeur

Les 6 et 7 avril 2009
Le 23 octobre 2009

Arguments des fonctionnaires s’estimant lésés

Le 8 avril 2009
Le 16 décembre 2009

Réplique de l’employeur

Le 9 avril 2009
Le 22 janvier 2010

Observations des fonctionnaires s’estimant lésés sur le droit à la contre-réplique

Le 10 mars 2010

Observations de l’employeur sur le droit à la contre-réplique

Le 12 avril 2010

Observations en réfutation des fonctionnaires s’estimant lésés sur le droit à la contre-réplique

Le 20 avril 2010


ANNEXE 3

Liste d’acronymes

ACIA Agence canadienne d’inspection des aliments
ACMV Association canadienne des médecins vétérinaires
AIFP Agent de l’intégrité de la fonction publique
BCP Bureau du Conseil privé
BIFP Bureau de l’intégrité de la fonction publique
BMV Bureau des médicaments vétérinaires
CCMGP Comité consultatif mixte de gestion du programme
CEDS Comité d’évaluation des dossiers scientifiques
CEE Certificat d’études expérimentales
CISP Commissaire à l’intégrité du secteur public
DIH Division de l’innocuité pour les humains
DMU Distribution de médicaments d’urgence
DMV Direction des médicaments vétérinaires
ESB Encéphalopathie spongiforme bovine
FVO Farine de viande et d’os
ICSA Institut canadien de la santé animale
IPFPC Institut professionnel de la fonction publique du Canada
JETACAR Joint Expert Technical Advisory Committee on Antimicrobial Resistance
LAD Loi sur les aliments et drogues
LAMR Limite administrative maximale de résidus
LDC Lettre de données complémentaires
MRS Matière à risque spécifiée
OMS Organisation mondiale de la Santé
PDN Présentation de drogue nouvelle
PDR Processus de discussion sur le rendement
PICRA Programme intégré de surveillance de la résistance aux antimicrobiens
PME Présentation de médicament expérimental
SC Santé Canada
SMA Sous-ministre adjoint
SPDN Supplément à une présentation de drogue nouvelle


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