Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant alléguait que l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’agent négociateur), son président et le Conseil du Trésor n’avaient pas négocié de bonne foi lorsque l’agent négociateur a accepté la proposition de l’employeur visant à mettre fin au paiement de l’indemnité de départ - l’employeur a soulevé une objection préliminaire en faisant valoir que la Commission n’avait pas compétence pour instruire la plainte - la plainte était fondée sur des allégations de violation des alinéas 190(1)b) et d) de la LRTFP, qui portent exclusivement sur les obligations entre l’employeur et l’agent négociateur, et qui ne confèrent pas au plaignant un droit personnel de recours - l’agent négociateur a déclaré qu’il avait respecté toutes ses obligations - la Commission a conclu que le processus de la négociation collective se déroule entre deuxparties, soit l’employeur et l’agent négociateur - l’agent négociateur a le droit exclusif de représenter tous les fonctionnaires de l’unité de négociation - la Commission n’avait pas compétence pour instruire la plainte. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-06-23
  • Dossier:  561-02-491
  • Référence:  2011 CRTFP 83

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

IMAD JOSEPH NAJEM

plaignant

et

JOHN GORDON

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

ET

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

défendeurs

Répertorié
Najem c. Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour les défendeurs:
Andrew Raven, Alliance de la Fonction publique du Canada et Maureen Harris, Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 3 novembre et le 31 décembre 2010 et le 20 janvier et le 9 février 2011.
(Traduction de la CRTFP)

Plainte devant la Commission

1 Imad Joseph Najem (le « plaignant »), est agent de libération conditionnelle pour Service correctionnel du Canada. Le 3 novembre 2010, il a déposé une plainte en vertu des alinéas 190(1)b), d) et g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « LRTFP »), alléguant que l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« AFPC » ou l’« agent négociateur »), son président, John Gordon, et le Conseil du Trésor (l’« employeur ») n’avaient pas négocié de bonne foi durant la dernière ronde de négociations. Le plaignant allègue expressément que, durant les négociations collectives, l’agent négociateur a accepté, sous la contrainte, la proposition de l’employeur d’abolir les indemnités de départ. Le plaignant reproche à l’agent négociateur de ne pas avoir tenu compte des intérêts particuliers du groupe Programmes de bien-être social (WP) en ce qui concerne la classification, l’organisation des diverses tables de négociation, la négociation proprement dite et le processus de ratification.

2 Le 31 décembre 2010, l’employeur a contesté la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») pour entendre la présente plainte, au motif que la partie de la plainte qui fait référence aux alinéas 190(1)b) et d) de la LRTFP est fondée sur des dispositions législatives qui se rapportent exclusivement aux obligations entre l’employeur et l’agent négociateur et qui ne prévoient pas de droit de recours pour le plaignant. Pour ce qui est de la partie de la plainte alléguant une violation de l’alinéa 190(1)g), l’employeur a observé qu’il n’était pas visé par cette allégation. Il a demandé que la plainte contre lui soit rejetée sans audience. Le 20 janvier 2011, l’agent négociateur a demandé que la plainte soit rejetée en faisant valoir que l’AFPC avait respecté toutes les obligations qui lui sont imposées par l’article 106 et le paragraphe 110(3) de la LRTFP, soit de négocier de bonne foi et de conclure une convention collective le plus rapidement possible. La convention collective a été négociée dans l’intérêt de tous les fonctionnaires et était en tout point conforme aux statuts de l’agent négociateur.

3 Le plaignant a tout d’abord présenté une plainte en vertu des alinéas 190(1)b), d) et g) de la LRTFP. Cependant, en décembre 2010, à la suite d’une demande de la Commission visant à obtenir des précisions relativement à la nature de la plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g), le plaignant a envoyé un courriel à la Commission indiquant qu’il avait [traduction] « coché deux cases; votre demande de renseignements relativement à cette case ne semble pas se rapporter à ma plainte, je vous prierais donc de ne pas en tenir compte. » C’est en se fondant sur cette déclaration que l’AFPC a fait valoir dans ses arguments de janvier 2011 que le plaignant avait coché cette case par erreur. Dans sa réponse aux arguments de l’AFPC, le plaignant n’a fait aucun effort pour réfuter la conclusion du syndicat quant à ses intentions. Il s’ensuit que la présente décision fait exclusivement référence aux alinéas 190(1)b) et d) de la LRTFP.

4 Le 9 février 2011, le plaignant a répondu que les membres du syndicat payaient des cotisations syndicales et que, par conséquent, l’AFPC devait travailler dans le meilleur intérêt de ses membres et ne pas céder aux pressions exercées par l’employeur à la table de négociation. Il a déclaré que d’autres syndicats et [traduction] « même des éléments de l’AFPC » avaient résisté à la proposition de l’employeur de mettre fin à l’accumulation de l’indemnité de départ et il a réprimandé l’AFPC de ne pas avoir pris la même position.

5 Avant de déposer sa plainte, le plaignant avait écrit à l’AFPC pour exprimer ses réserves au sujet de l’entente provisoire. Dans sa réponse au plaignant, datée du 29 octobre 2010, M. Gordon expliquait le contexte dans lequel le processus de négociation avait été entamé en 2010. Au début d’août 2010, le Conseil du Trésor avait pressenti l’AFPC pour retourner à la table de négociation plus tôt que prévu afin de faciliter la planification du budget durant une période de gels budgétaires. Le Conseil du Trésor avait clairement indiqué à l’AFPC que, faute de pouvoir établir leurs coûts avec certitude, surtout en matière de rémunération, les ministères trouveraient d’autres moyens de réaliser des économies, probablement en effectuant des gels de salaires et d’importantes réductions de postes. En raison de ces facteurs et du climat économique difficile qui régnait, les dirigeants élus de l’AFPC ont décidé qu’il était préférable d’entamer rapidement les discussions qui leur permettraient de négocier des augmentations salariales et de discuter de certaines questions depuis longtemps prioritaires pour ses membres.

6 À la table de négociation, le Conseil du Trésor a indiqué qu’une des priorités du ministre des Finances et du gouvernement en place à ce moment-là était de mettre un terme à l’accumulation future de l’indemnité de départ pour les fonctionnaires qui démissionnent ou qui prennent leur retraite. L’AFPC s’attendait à ce que la mesure soit imposée dans le budget de 2011, sans que ses membres en retirent un avantage, si des négociations n’étaient pas entamées immédiatement pour en discuter. En échange de son accord en ce qui a trait à l’élimination de l’indemnité de départ, l’AFPC a obtenu ce qu’il demandait sur d’autres points importants, dont un forfait salarial prévoyant des augmentations de 5,3 % sur une période de trois ans, une augmentation du nombre de personnes admissibles à l’indemnité de départ et le choix de diverses formules d’encaissement de l’indemnité de départ. L’AFPC a également obtenu des concessions telles que de meilleures conditions de travail pour les fonctionnaires nommés pour une période déterminée, le renouvellement et l’élargissement du Programme d’apprentissage mixte et une bonification de l’indemnité de départ payable en cas de licenciement, selon l’ancienneté. Trois des cinq équipes de négociation ont conclu des ententes provisoires qu’ils ont soumises à leurs membres pour ratification. Le plaignant fait partie du groupe PA, l’un des groupes qui ont conclu une entente.

7 Le plaignant s’oppose à la position adoptée par l’agent négociateur à la table de négociation parce qu’il estime que l’élimination de l’indemnité de départ est une mesure qui manque de vision et qui avantage les fonctionnaires qui changent souvent d’emploi ou qui démissionnent, au détriment des fonctionnaires nommés pour une période indéterminée. Il est d’avis que les augmentations salariales ne compensent pas la perte à long terme de l’indemnité de départ. Le plaignant estime que l’AFPC n’a pas défendu les droits de ses membres et qu’il a cédé aux pressions du Conseil du Trésor en acceptant ses conditions.

Motifs

8 L’efficacité du processus de négociation collective repose sur l’existence d’associations d’employés et sur la négociation de conditions d’emploi pour le mieux-être de tous. Le fonctionnaire qui tente de négocier individuellement ses propres conditions d’emploi est nettement désavantagé. À une époque où les fonctionnaires et les fonctions professionnelles sont interchangeables, chaque fonctionnaire est généralement placé dans des situations où il doit accepter les conditions d’emploi qui lui sont offertes ou trouver un autre poste. En s’associant, les employés ont l’occasion de contrôler le marché de travail de l’employeur par le recours possible à des sanctions économiques afin d’obtenir des conditions d’emploi plus avantageuses. Autrement dit, le processus de négociation est le moyen par lequel des forces économiques concurrentes communiquent et en arrivent à une entente. J’ajouterais que le droit de négocier n’est pas le droit de conclure un marché particulier, mais plutôt le droit de tenter de conclure un marché.

9 L’accréditation est le concept par lequel les travailleurs particuliers présentent un front économique uni à l’employeur. Une fois accrédité en vertu de la LRTFP, le syndicat possède le droit exclusif de négocier pour le compte de tous les fonctionnaires. L’obligation de négocier collectivement imposée par la loi est fondée sur le droit exclusif de l’agent négociateur de représenter les intérêts de tous les fonctionnaires de l’unité de négociation. Dans le cas présent, le processus de négociation collective qui fait suite à l’accréditation se déroule entre deux parties : l’employeur qui négocie pour son compte et l’agent négociateur accrédité qui négocie au nom des membres de l’unité de négociation. Les droits acquis à l’agent négociateur de conclure une convention collective sont absolus. L’agent négociateur a droit de regard sur les revendications qui sont présentées à l’employeur au nom des fonctionnaires de l’unité de négociation; il est le porte-parole à la table de négociation et c’est lui qui décide si les propositions de l’employeur seront acceptées et de quelle manière les modalités de l’entente de règlement seront ratifiées.

10 C’est pourquoi la composition du comité de négociation est déterminée par le syndicat; le comité de négociation peut accepter des conditions qui ne faisaient pas partie des revendications initiales et engager les membres de l’unité de négociation qu’il représente.

11 La conséquence directe du droit qui est accordé aux fonctionnaires de s’associer et de négocier collectivement pour obtenir de meilleures conditions d’emploi est qu’ils ne peuvent pas négocier individuellement après l’accréditation. Cette restriction s’explique par le fait qu’un regroupement de fonctionnaires bénéficie d’un plus grand avantage en ne permettant pas aux fonctionnaires particuliers d’éroder la solidarité de l’action collective.

12 Dans l’administration publique fédérale, la LRTFP régit le régime général de la négociation collective et reconnaît à la Commission le pouvoir de faire appliquer la loi. En exerçant son pouvoir, la Commission doit nécessairement respecter les limites de la LRTFP lorsqu’elle doit trancher des plaintes.

13 L’article 67 de la LRTFP dispose que l’accréditation de l’agent négociateur lui confère le droit exclusif de négocier collectivement au nom des membres de l’unité de négociation, comme suit :

67. L’accréditation de toute organisation syndicale à titre d’agent négociateur emporte :

a) droit exclusif de négocier collectivement au nom des fonctionnaires de l’unité de négociation qu’elle représente;

[…]

[Les passages soulignés ne le sont pas dans l’original]

14 L’article 106 de la LRTFP prévoit que, une fois l’avis de négociation donné, les parties doivent, sans retard et en tout état de cause, faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective :

106. Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties,

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

15 L’article 111 de la LRTFP accorde au Conseil du Trésor le pouvoir de conclure une convention collective avec l’agent négociateur dans les termes suivants :

111. Conformément au règlement intérieur établi aux termes de l’article 5 de la Loi sur la gestion des finances publiques, le Conseil du Trésor peut conclure une convention collective avec l’agent négociateur d’une unité de négociation composée de fonctionnaires ne travaillant pas pour un organisme distinct.

16 De plus, la LRTFP prévoit, à l’article 114, que la convention collective lie l’employeur, l’agent négociateur et les fonctionnaires de l’unité de négociation :

114. Pour l’application de la présente partie et sous réserve des autres dispositions de celle-ci, la convention collective lie l’employeur, l’agent négociateur et les fonctionnaires de l’unité de négociation à compter de la date de son entrée en vigueur. Elle lie aussi, à compter de cette date, tout administrateur général responsable d’un secteur de l’administration publique fédérale dont font partie des fonctionnaires de l’unité de négociation, dans la mesure où elle porte sur des questions prévues à l’article 12 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

17 Les alinéas 190(1)b) et d) décrivent la procédure à suivre pour déposer une plainte si l’employeur ou l’agent négociateur n’a pas négocié de bonne foi :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

b) l’employeur ou l’agent négociateur a contrevenu à l’article 106 (obligation de négocier de bonne foi);

[…]

d) l’employeur, l’agent négociateur ou l’administrateur général a contrevenu au paragraphe 110(3) (obligation de négocier de bonne foi);

La différence entre les alinéas b) et d) est que l’alinéa d) renvoie à des situations où les parties ont entamé des négociations à deux niveaux aux termes de l’article 110 de la LRTFP.

18 Les dispositions de la LRTFP sont fondées sur les obligations exclusives et mutuelles de l’agent négociateur et de l’employeur d’entamer des négociations collectives en vue de conclure une convention collective. Cela signifie que tout recours relatif à l’obligation de négocier de bonne foi en vertu des alinéas 190(1)b) et d) ne peut être exercé que par ces parties et que les fonctionnaires représentés par l’agent négociateur ne peuvent pas se prévaloir de droits individuels pour se plaindre du processus de négociation collective. Bref, les alinéas 190(1)b) et d) ne permettent pas au plaignant de présenter une plainte à la Commission, à titre de membre particulier de l’unité de négociation, pour contester le processus de négociation collective — dans le présent cas, l’offre faite par l’employeur à l’AFPC de tenir un processus accéléré de négociation collective —, ou les résultats de la négociation qui ont mené à la conclusion d’une convention collective.

19 Il s’ensuit que la Commission n’a pas compétence pour instruire la plainte.

20 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

21 La plainte est rejetée.

Le 23 juin 2011.

Traduction de la CRTFP

Michele A. Pineau,
vice-présidente

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