Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plainte porte sur un processus de nomination annoncé, visant la dotation de postes d’agent de prestations aux groupe et niveau PM-02. Suite à la correction de l’examen écrit des trois plaignants (A, B et C), le comité d’évaluation a conclu que ces derniers n’avaient pas obtenu la note de passage pour diverses qualifications essentielles. Selon les plaignants, l’intimé aurait abusé de son pouvoir dans l’évaluation de leurs réponses à l’examen écrit et dans l’attribution des points accordés à leurs réponses. En outre, d’après la partie plaignante C, il n’existerait pas de réponse attendue pour les deux questions auxquelles elle a échoué à l’examen écrit. Décision Le Tribunal a estimé que les plaignants A et B n’avaient pas démontré que c’était un abus de pouvoir de la part du comité de conclure qu’ils ne possédaient pas l’une des capacités essentielles (application des règles et modalités). Le Tribunal a fait remarquer que vu la nature quasi mathématique des questions d’examen évaluant cette capacité, les réponses correctes attendues – figurant dans le corrigé utilisé par le comité – étaient claires, explicites et spécifiques. Par conséquent, les notes accordées à ces deux plaignants ne semblaient pas déraisonnables dans les circonstances. En outre, les plaignants A et B n’ont pas produit de preuve suffisante pour conclure à l’abus de pouvoir dans la correction de leur examen. Le plaignant A n’a fourni aucun détail sur ses réponses aux questions d’examen, et ce n’est pas le rôle du Tribunal de réévaluer les notes attribuées à un plaignant pour une réponse donnée simplement à cause d’un désaccord de celui-ci par rapport à la décision du comité. Pour ce qui concerne le plaignant B, il n’a pas contesté la mauvaise note accordée à sa réponse à l’une des questions. Il a plutôt proposé que le comité établisse la moyenne de ses notes en y intégrant les résultats obtenus pour une autre question, ce qui lui aurait permis d’atteindre la note de passage. Le Tribunal a jugé que le simple fait que sa note finale aurait pu avoir été calculée d’une façon différente n’était pas une indication que l’approche utilisée par le comité constituait un abus de pouvoir. Le Tribunal a conclu d’autre part que le comité n’avait pas abusé de son pouvoir par sa décision de ne pas continuer la correction des réponses des plaignants A et B lorsqu’il était évident que ces derniers ne possédaient pas l’une des qualifications essentielles évaluées par l’examen. En ce qui a trait à la plainte déposée par le plaignant C, le Tribunal a conclu à l’abus de pouvoir de la part du comité dans l’évaluation d’une autre capacité essentielle (raisonnement). Selon le Tribunal, les observations du comité ne coïncidaient pas avec les quatre facteurs pertinents servant à l’évaluation de cette capacité. Par ailleurs, l’intimé n’a pas précisé comment le comité établissait une réponse acceptable et n’a donné aucune explication pour justifier la conclusion de celui-ci. Contrairement aux questions ayant causé l’échec des plaignants A et B, il n’y avait pas de réponses évidentes ou quasi mathématiques aux questions ratées par le plaignant C. Il s’agissait plutôt pour les candidats de répondre aux questions en expliquant le raisonnement utilisé pour parvenir à leur décision, une analyse subjective par nature. Étant donné la multiplicité des approches acceptables et que le comité voulait donner aux candidats le champ libre pour présenter leur information, le comité n’avait pas préparé de réponse attendue. Le Tribunal a toutefois jugé qu’il était essentiel que les observations du comité aient un lien direct et concret avec les facteurs jugés pertinents pour l’évaluation des réponses des candidats. En l’absence de tels points de repère dans son analyse des réponses soumises par le plaignant C, le comité n’a pu justifier ses conclusions par rapport à la capacité « raisonnement » selon lesquelles « quelques enjeux sont escamotés » ou que « trop d’enjeux sont escamotés ». Les conclusions du comité n’étaient donc pas raisonnables. Il a fait preuve d’abus de pouvoir et commis une erreur grave du fait de ne pas lier ses observations aux quatre facteurs considérés pertinents pour l’évaluation des réponses des candidats. Plaintes des plaignants A et B rejetées. Plainte du plaignant C accueillie. Le Tribunal a ordonné la réévaluation des réponses du plaignant C sur la base des facteurs pertinents établis pour la capacité « raisonnement ». Si la partie plaignante est jugée qualifiée à cet égard, l’évaluation de sa candidature continuera.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers:
2009-0257, 0258 et 0259
Rendue à:
Ottawa, le 31 mars 2011

KENZA ELAZZOUZI, MOHAMED LABIDI ET MALIKA LAHLALI
Plaignants
ET
LE SOUS-MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
Deux plaintes sont rejetées
Une plainte est accueillie
Décision rendue par:
Maurice Gohier, membre
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Elazzouzi c. le sous-ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada
Référence neutre:
2011 TDFP 0011

Motifs de la décision


Introduction


1 En janvier 2009, le sous-ministre des Ressources humaines et développement des compétences Canada (RHDCC) a tenu un processus de nomination interne annoncé pour doter des postes d’agent ou agente de prestations – Service Canada, aux groupe et niveau PM-02, à Québec. Les nominations envisagées pouvaient être de nature indéterminée, déterminée ou intérimaire.

2 Kenza Elazzouzi, Mohamed Labidi et Malika Lahlali (les plaignants) ont tous posé leurs candidatures pour ce processus.  Suite à la correction d’un examen écrit, le comité d’évaluation (le comité) a conclu que ces trois candidats n’avaient pas obtenu la note de passage pour diverses qualifications essentielles du poste.

3 Après la publication de l’avis d’Information concernant une nomination intérimaire à l’égard de Louise Lotser, le 7 avril 2009, les trois plaignants ont déposé leur plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal). Ils allèguent que l’intimé a abusé de son pouvoir lors de l’évaluation de leurs réponses à l’examen écrit et dans l’attribution des points accordés à leurs réponses. Mme Lahlali allègue aussi l’absence d’une réponse attendue pour les questions 3 et 4 de l’examen écrit.

4 Tel qu’il sera expliqué dans cette décision, le Tribunal est d’avis que les plaignants Elazzouzi et Labidi n’ont pas démontré que le comité a abusé de son pouvoir lorsqu’il a conclu que ces derniers ne satisfaisaient pas à la capacité « application des règles et modalités ». Cependant, quant à la plaignante Lahlali, le Tribunal est d’avis que le comité a abusé de son pouvoir quand il n’a pas tenu compte de facteurs pertinents lors de son évaluation de la capacité « raisonnement ».

Contexte


5 Le comité était composé de Sonia Godin (présidente) et de Jean-Luc Plante (membre).

6 Le 23 février 2009, les trois plaignants ont subi un examen écrit pour évaluer diverses qualifications. Le comité avait utilisé les définitions et facteurs du Dictionnaire national des compétences (le DNC) pour décrire les qualifications essentielles du poste. Le DNC est un document publié par RHDCC dans lequel on retrouve une liste de compétences, leurs définitions, ainsi que les facteurs utilisés pour les évaluer.

7 Le comité a conclu que Mme Elazzouzi et M. Labidi n’avaient pas réussi à la capacité « application des règles et modalités », capacité qui avait été évaluée par moyen d’un tableau d’information et d’une mise en situation. En ce qui concerne Mme Lahlali, le comité a conclu qu’elle n’avait pas réussi la capacité « raisonnement » qui, à son tour, avait été évaluée par deux mises en situation.

Questions en litige


8 Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en décidant que Mme Elazzouzi et M. Labidi ne satisfaisaient pas à la capacité « application des règles et modalités »?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en décidant que Mme Lahlali ne satisfaisait pas à la capacité « raisonnement »?

Analyse


9 L’article 36 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP)donne à l’administrateur général un pouvoir discrétionnaire quant au choix et à l’utilisation des outils qu’il estime indiqués pour évaluer si les candidats possèdent les qualifications établies en vertu de l’art. 30(2) de la LEFP. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu et il doit être exercé sans abus de pouvoir. Ainsi s’il est démontré que la méthode utilisée pour l’évaluation de ces qualifications n’a aucun lien avec les qualifications ou ne permet pas de les évaluer, que la méthode est déraisonnable ou discriminatoire ou que le résultat est inéquitable, le Tribunal pourrait conclure qu’il y a eu abus de pouvoir. L’outil d’évaluation doit permettre une évaluation adéquate de la qualité recherchée; si l’outil est vicié, on ne peut alors se fier à ses résultats. (Voir Jogarajah c. Administrateur en chef de la santé publique de l’Agence de la santé publique du Canada, 2008 TDFP 0015 au para. 34).

10 Le rôle du Tribunal consiste à examiner le processus de nomination utilisé afin de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir. Ainsi, son rôle n’est pas de réévaluer les notes attribuées par le comité à un plaignant pour ses réponses ou de réviser ces dernières, mais d’examiner le test ou l’entrevue, incluant son administration pour déterminer s’il y a eu un abus de pouvoir. (Voir Costello c. le sous-ministre de Pêches et Océans Canada, 2009 TDFP 0032 au para. 69 et Oddie c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 0030 au para. 66).

Question I :  L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en décidant que Mme Elazzouzi et M. Labidi ne satisfaisaient pas à la capacité « application des règles et modalités »?

11 Mme Elazzouzi et M. Labidi ont tous deux échoué à l’évaluation de la capacité « application des règles et modalités », capacité qui, selon le DNC, veut dire comprendre un ensemble de règles, de lignes directrices et de modalités administratives et les appliquer de façon logique à des situations concrètes afin de formuler des recommandations ou de prendre des décisions conséquentes.

12 À l’examen écrit, cette capacité a été évaluée de deux façons : l’extrait de données contenues dans un tableau d’information et une mise en situation.

13 Pour le tableau d’information, l’intimé a utilisé un tableau contenant des données d’un service de transport en commun fictif. On retrouve sur ce tableau les « Catégories d’utilisateur » ainsi qu’une « Grille des tarifs ». Pour compléter l’exercice, le candidat devait répondre à dix questions en donnant le montant précis du tarif applicable ou, si toute l’information lui permettant de répondre n’était pas disponible, en précisant les données manquantes.

14 Pour la mise en situation, on demandait aux candidats d’adopter le rôle d’un détaillant qui doit répondre à une demande tardive de remboursement de la part d’un client dû à une tempête de neige. Les candidats devaient interpréter et appliquer une politique fictive et, le cas échéant, calculer le montant qui serait remboursé.

15 L’échelle de cotation utilisée pour la correction de cette capacité était composée de lettres allant de A (excellent) à E (échec). Un échec indique que le candidat ne démontre pas une maîtrise suffisante de la compétence et d’un nombre minimal de comportements identifiés. La majorité des attentes ne sont pas satisfaites comme la majorité des enjeux qui sont manquants.

La situation de Mme Elazzouzi

16 Depuis 2003, à part quelques affectations à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et à Parcs Canada, Mme Elazzouzi travaille dans divers domaines associés aux programmes de sécurité du revenu à RHDCC.

17 Pour la première portion de l’évaluation, le tableau d’information (question 1), le comité d’évaluation a accordé à Mme Elazzouzi une note de D (60-64) selon l’échelle de cotation puisque seulement cinq de ses dix réponses étaient correctes, deux étant incomplètes et trois étant erronées.

18 Pour la deuxième portion de l’évaluation, la mise en situation (question 2), Mme Elazzouzi a obtenu une note de E (Échec) selon l’échelle de cotation. Son calcul était erroné et sa réponse ne faisait pas mention de quelques facteurs considérés critiques à la résolution du cas, tels que la vérification de la marchandise ainsi que l’effet d’une journée de tempête sur les délais.

19 Pour la capacité « application des règles et modalités », dans son document intitulé Évaluation globale, le comité a accordé la note globale E (Échec) à Mme Elazzouzi. Le comité n’a pas continué la correction de l’examen de cette dernière une fois qu’il fût déterminé qu’elle avait échoué une des qualifications essentielles du poste.

20 Lors de son témoignage, Mme Elazzouzi s’est dit grandement déçue du résultat de cet examen. Même si elle ne l’avait pas expliqué par écrit lors de l’examen, elle estime que le client dans la mise en situation (question 2) était dans les délais à cause de la tempête de neige. Elle se plaint de ce qu’elle perçoit comme un manque de transparence dans le processus puisqu’on ne l’avait pas avisé de la note requise pour réussir l’examen et qu’on n’avait pas précisé la distribution de notes entre la première et deuxième question. De même, elle a dit avoir reçu peu d’information de la part de l’intimé lors la discussion informelle et n’avoir reçu une copie de son examen qu’à la rencontre de communication de renseignements. Finalement, elle ne comprend pas comment l’intimé a pu en arriver à une décision finale qu’elle ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles du poste sans avoir corrigé tout son examen.

La situation de M. Labidi

21 M. Labidi occupe divers emplois de nature déterminée avec Service Canada depuis 2002. Ce processus de nomination l’intéressait pour des raisons de développement de carrière puisqu’il avait déjà eu quelques affectations au niveau PM‑02.

22 Dans son document intitulé Évaluation globale,  le comité a accordé une note globale de E (Échec) à M. Labidi pour la capacité « application des règles et modalités ».

23 Pour la première portion de l’évaluation, le tableau d’information (question 1), M. Labidi s’est vu accorder la note E (Échec) car seulement cinq de ses dix réponses étaient correctes, une étant incomplète et quatre étant erronées. Pour la portion de l’évaluation reliée à la mise en situation (question 2), M. Labidi a obtenu la note E (Échec) car son calcul était erroné et sa réponse ne mentionnait pas quelques facteurs considérés critiques à la résolution du cas, tels que la vérification de la marchandise ainsi qu’une consultation auprès du gérant.

24 Lors de son témoignage, sans ajouter plus de détail, M. Labidi a dit que M. Plante, un des membres du comité d’évaluation, avait reconnu, lors de leur discussion informelle, que certaines de ses réponses étaient bonnes, et que cela changerait sa note de 5 à 8 sur 10 pour le tableau d’information (question 1). M. Plante a ajouté que cela n’aurait pas changé le résultat final puisque M. Labidi avait quand même échoué la mise en situation prévue à la question 2. Comme Mme Elazzouzi, il se plaint que l’intimé n’a jamais précisé quelle était la note requise pour réussir cette capacité, et n’a jamais expliqué la distribution de notes entre la première et deuxième question. M. Labidi ne conteste pas les résultats qui lui ont été accordés pour la question 2, mais il suggère que le comité aurait dû faire le calcul de la moyenne entre les questions 1 et 2, ce qui lui aurait peut-être permis d’atteindre la note de passage (60 %). Finalement, lui aussi a reçu une copie de son examen écrit seulement lors de la communication de renseignements.

La réponse de l’intimé

25 Mme Godin, présidente du comité d’évaluation, a expliqué que le processus a attiré 67 candidatures et qu’après la pré-sélection, 33 personnes ont été invitées à passer l’examen. Tous ces candidats ont reçu une lettre indiquant la date, le lieu et la durée de l’examen, ainsi qu’une description des compétences qui y seraient évaluées. Suite à l’entrevue et la prise de référence, 12 candidats se sont qualifiés.

26 L’intimé a expliqué qu’il aurait voulu faire témoigner M. Plante mais qu’une situation personnelle l’empêchait de venir à l’audience.

27 Mme Godin a décrit comment le comité a corrigé les examens écrits. M. Plante et elle ont examiné une question à la fois et se sont entendus sur le pointage qui serait accordé à la réponse de chaque candidat. Par exemple, ils ont d’abord examiné les réponses de tous les candidats à la première question afin d’assurer une approche commune par rapport à cette question; ils sont ensuite passés à la prochaine question et ainsi de suite. Dès qu’un candidat ne réussissait pas une des qualifications essentielles requises, on arrêtait la correction de son examen. Une réponse attendue avait été préparée pour les deux premières questions puisqu’il s’agissait de réponses très précises provenant du tableau d’information ou du calcul que devait faire le candidat. Le comité a inscrit le résumé de ses conclusions dans un document intitulé Évaluation globale.

28 Selon Mme Godin, M. Plante s’est occupé de toutes les discussions informelles. Elle a affirmé que lorsque M. Plante lui a fait rapport de sa rencontre, il n’a pas mentionné vouloir modifier les résultats de M. Labidi.

Conclusion concernant Mme Elazzouzi et M. Labidi

29 Pour ce qui est de l’allégation que les candidats ne connaissaient pas la note requise pour réussir la capacité « application des règles et modalités », le Tribunal note que la première page de l’examen contenait une liste des qualifications que l’examen évaluerait, ainsi que l’énoncé suivant : « Toutes ces compétences sont évaluées sur 100 points et la note de passage est de 60 % pour chacune. » Tous les plaignants ont signé et daté le bas de cette page de leur examen.

30 Pour la première portion de l’évaluation de la capacité « application des règles et modalités » (question 1), les candidats devaient se référer aux données contenues dans le tableau d’information afin de répondre aux dix sous-questions qui leur étaient posées. Étant donné la nature quasi-mathématique du sujet, les réponses « correctes » étaient évidentes et explicites. Il s’agissait de préciser le tarif applicable dans les circonstances particulières des différentes sous-questions ou, le cas échéant, d’identifier les données manquantes pour pouvoir y répondre.

31 Quant à la mise en situation utilisée pour la question 2, les éléments critiques qui devaient être considérés par les candidats sont clairs : la vérification de la marchandise, la consultation auprès du gérant, et l’effet de la tempête sur le délai. Le calcul mathématique est aussi très précis. Le Tribunal conclut que les notes accordées à Mme Elazouzzi et M. Labidi reflètent de près le contenu du corrigé utilisé par le comité pour les questions posées lors de la deuxième méthode d’évaluation. Les notes accordées aux deux plaignants quant à cette question n’apparaissent donc pas déraisonnables dans les circonstances.

32 La question de savoir à qui incombe le fardeau de preuve fut examiné par le Tribunal lors de sa décision dans l’affaire Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, aux para. 49 et 50.  Les plaignants doivent être en mesure de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils n’ont pas été nommés en raison d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé.

33 Dans le cas présent, pour les raisons suivantes, le Tribunal estime être en présence d’une insuffisance de preuve de la part des plaignants pour conclure que l’intimé aurait abusé de son pouvoir lors de la correction de leur examen.

34 Lors de l’audience, Mme Elazzouzi n’a fourni aucun détail concernant soit l’une ou l’autre de ses réponses aux questions 1 et 2. Le rôle du Tribunal n’est pas de réévaluer les notes attribuées à un plaignant pour une réponse donnée simplement parce qu’un plaignant n’est pas d’accord avec la décision du comité (voir Portree c. l’administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 0014, aux paras. 51 et 52). Il s’ensuit que le Tribunal n’a aucune preuve à voulant que le comité aurait abusé de son pouvoir lors de la correction de l’examen de Mme Elazzouzi.

35 Quant à M. Labidi, d’une part il maintient que M. Plante lui aurait dit, lors de la discussion informelle, être prêt à reconnaître que certaines de ses réponses étaient bonnes et modifier les notes accordées pour la question 1. Cependant, il appert aussi que M. Plante lui aurait dit que cela ne changerait pas ses résultats finaux puisqu’il avait quand même échoué la question 2. D’autre part, Mme Godin dit que M. Plante ne lui a jamais fait de déclaration semblable lors de leur rencontre qui eut lieu plus tard après la discussion informelle. Mise à part les déclarations succinctes de ces deux témoins, ni un ni l’autre n’a pu fournir de plus amples détails permettant d’éclaircir la situation et, pour des raisons personnelles, M. Plante n’a pu témoigner afin de clarifier la situation. Aussi, le Tribunal note que M. Labidi ne conteste pas les résultats qui lui avaient été accordés pour la seconde partie de l’évaluation (la question 2) pour laquelle il avait reçu la note de E (Échec). M. Labidi suggère plutôt que le comité ajuste ses résultats pour la question 1 et qu’il calcule la moyenne entre les questions 1 et 2, ce qui lui aurait peut‑être permis d’atteindre la note de passage de 60 %. Le fait que les résultats auraient pu avoir été calculés d’une façon différente ne démontre pas que l’approche utilisée par le comité d’évaluation constitue un abus de pouvoir. Le Tribunal estime que M. Labidi n’a pas démontré que le comité a abusé de son pouvoir quant à la correction de son examen.

36 Quant à l’allégation concernant la rencontre pour la discussion informelle, les deux plaignants ont revu le contenu de leur examen lors de cette rencontre, mais ils reprochent à l’intimé de leur avoir remis une copie de leur examen en mains propres que plus tard, lors de la communication des renseignements. Selon les lignes directrices de la Commission de la fonction publique sur les Discussion informelles émises en vertu de l’art. 29(3) de la LEFP et auxquelles l’intimé est tenu de se conformer selon l’art. 16, les personnes dont la candidature n'est pas retenue doivent avoir accès à suffisamment d'information les concernant lors de la discussion informelle pour pouvoir comprendre la décision et en discuter. Selon leur témoignage, les plaignants ont revu le contenu de leur examen avec M. Plante et ils ont discuté des raisons pour lesquelles le comité a conclu qu’ils ne satisfaisaient pas au critère « application des règles et modalités ». Le Tribunal conclut qu’il n’a pas été démontré que les lignes directrices sur les Discussions informelles n’ont pas été respectées puisque les plaignants ont reçu suffisamment d’information les concernant pour leur permettre de comprendre la décision et d’en discuter avec M. Plante.

37 Finalement, il peut être souhaitable de compléter la correction d’un tel examen pour les fins de rétroaction et d’apprentissage, ou si par la suite il est déterminé qu’il y a eu erreur. Toutefois, la LEFP ne crée pas de telle obligation. Elle requiert à l’art. 30(2)a), pour qu’une nomination soit fondée sur le mérite, que la personne nommée réponde à toutes les qualifications essentielles. Ainsi, un comité n’a pas à continuer la correction d’un examen lorsqu’il est évident qu’un candidat ne satisfait pas à une des qualifications essentielles évaluées par ce même examen.

38 Par conséquent, pour les raisons précitées, le Tribunal est d’avis que les plaignants Elazzouzi et Labidi n’ont pas démontré que le comité a abusé de son pouvoir lorsqu’il a conclu que ces derniers ne satisfaisaient pas à la capacité « application des règles et modalités ».

Question II :  L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en décidant que Mme Lahlali ne satisfaisait pas à la capacité « raisonnement »?

39 Mme Lahlali a commencé sa carrière à la fonction publique fédérale en 2003. Après quelques affectations à différents endroits, elle est de retour à RHDCC depuis 2008. Elle a échoué à l’évaluation de la capacité « raisonnement ».

40 À l’examen écrit, deux mises en situation ont évalué la capacité « raisonnement ». La même échelle de cotation décrite précédemment (de A (Excellent) à E (Échec)) a été utilisée pour la correction de ces mises en situation.

41 Dans la première mise en situation évaluant la capacité « raisonnement », les candidats étaient placés devant une augmentation de loyer qui ne pouvait être contestée. On demandait alors aux candidats : (question 3) « Deux (2) solutions s’offrent à vous, soit déménager ou accepter cette augmentation. Quelles (sic) sont les facteurs qui guideront votre raisonnement pour arriver à opter pour la solution idéale? ». Selon l’échelle de cotation, le comité a accordé une note de D+ (65-69) à Mme Lahlali pour cette première mise en situation.

42 Lors de la deuxième mise en situation, les candidats devaient expliquer comment ils choisiraient une destination à l’extérieur du pays pour aller en vacances dans les prochains mois après avoir été avisés par un agent de voyage de plusieurs différentes alternatives. On demandait aux candidats : (question 4) « Comme vous le constater (sic), un éventail de solutions s’offre (sic) à vous. Quels facteurs prenez-vous en considération pour choisir les vacances idéales pour votre couple? ». Mme Lahlali a répondu avec le texte suivant :

En rencontrant l’agent de voyage, on lui posera des questions sur :

- les points forts et les points faibles de chaque proposition;

- les tarifs selon les saisons étant donné qu’on n’a pas encore fixé de date (haute et basse saison);

- on recueillera plus d’informations possibles pour chaque destination, les prix, les commentaires d’autres voyageurs,…;

- je prendrai ses coordonnées, si jamais on a besoin d’autres détails et informations;

- En retour chez nous, on vérifiera les choix offerts :

- est-ce qu’on est prêts à rester dans la même ville?  croisière ou voyage touristique de groupe?  long séjour dans une destination soleil en condo avec cuisinette ou séjour à la plage tout-inclus?,…;

- Si on opte pour une telle destination, est-ce qu’on pourra avoir des vacances à la période de la basse saison pour pouvoir économiser un peu?

- on consultera les sites internet de ces destination (sic), s’il y a lieu;

-on consultera des blogs et des forums de discussions, des amis qui ont déjà (illisible) ces destinations pour avoir leurs commentaires;

- vérifier s’il n’y a pas de vaccins ou des dispositions à prendre pour une de ces destinations (visas, médicaments, sécurité,…)

En ayant des réponses à toutes ces questions, nous serons en mesure de prendre une bonne décision pour passer des vacances idéales.

43 L’approche proposée par Mme Lahlali pour la question 4 lui a valu la note E (Échec).

44 En somme, pour la capacité « raisonnement », dans son document intitulé Évaluation globale, le comité a accordé une note globale E (Échec) à Mme Lahlali.

Conclusion concernant Mme Lahlali

45 Il existe une énorme différence entre la situation des deux autres plaignants et celle de Mme Lahlali. Étant donné la nature quasi-mathématique de la situation utilisée pour l’évaluation de la capacité « application des règles et modalités », les « bonnes » réponses étaient évidentes et précises. Cependant, il ne va pas de même pour les deux mises en situation utilisées pour l’évaluation de la capacité « raisonnement ».

46 Les questions 3 et 4 posées aux candidats sont simples mais il n’y a pas de réponses évidentes ou quasi-mathématiques à ces deux questions. Il s’agit plutôt de répondre en expliquant le raisonnement utilisé pour en arriver à sa décision; autrement dit, une analyse qui par sa nature revête un caractère subjectif. Le DNC définit la capacité « raisonnement » et décrit les quatre facteurs considérés pertinents pour l’évaluation des réponses des candidats comme suit :

Capacité d’analyser des problèmes et des questions prestement et habilement, d’organiser l’information, de repérer les éléments clés, de déterminer les causes sous-jacentes et de dégager des solutions pratiques.

  • Assimile rapidement l’information nouvelle et l’applique.
  • Planifie et organise efficacement son propre travail.
  • Reconnaît les questions et les faits pertinents.
  • Trouve des solutions valables et pratiques.

47 Les observations du comité et les notes accordées pour les réponses de Mme Lahlali aux questions 3 et 4 étaient :

Question 3 (D+)

Évalue sa situation actuelle en détail, emplacement versus travail, école, etc.  Évalue l’augmentation actuelle et les aug. futures possible.  Estime a le temps l’énergie + les coût (sic) sans détailler ces derniers. Quelques enjeux sont escamotés.

Question 4 (É)

Ne fait pas l’évaluation de son couple et de ses besoins.  Répète les facteurs qui sont dans la question.  A fait une analyse de coût. Vérifie si vaccin, médicaments (…) dépendant des destinations. Trop d’enjeux sont escamotés.

48À la question 3, le comité dit que « quelques enjeux sont escamotés ». L’utilisation du pluriel porte à croire qu’au moins deux des quatre facteurs précités n’auraient pas été atteints. Pour la question 4, le comité conclut que « trop d’enjeux sont escamotés ». Puisque la logique dicte que « trop » doit être plus que « quelques », on doit alors conclure qu’au moins trois, sinon quatre, des facteurs identifiés n’ont pas été atteints.

49 Cependant, il appert que les observations du comité ne coïncident pas avec les facteurs pertinents identifiés pour l’évaluation de cette capacité. Aussi, le Tribunal note que le témoignage de Mme Godin n’a pas permis de réconcilier cette lacune. À l’audition, Mme Godin a lu le texte de la conclusion du comité mais elle n’a pas expliqué comment le comité identifiait une réponse acceptable et aucune explication n’a été présentée pour justifier la conclusion du comité. Plutôt, Mme Godin a expliqué que le comité n’avait pas développé de réponse attendue car il voulait donner aux candidats le champ libre pour présenter leur information puisqu’il se pourrait que différentes approches soient acceptables. Quoiqu’il soit entièrement loisible au comité de procéder ainsi, dans ces circonstances il est primordial que les observations du comité aient un lien direct et concret avec les facteurs jugés pertinents pour l’évaluation des réponses des candidats. La preuve démontre que cela n’a pas été le cas ici.

50 Il s’ensuit qu’en l’absence de points de repère semblables dans son analyse des réponses soumises par Mme Lahlali, le comité n’a pu justifier ses conclusions à l’égard de la capacité « raisonnement », aux questions 3 et 4, que : « quelques enjeux sont escamotés » ou que « trop d’enjeux sont escamotés ». Les conclusions du comité n’étaient donc pas raisonnables. Tel qu’expliqué dans Tibbs, au para. 73 :

L’abus de pouvoir constitue plus que simplement des erreurs ou omissions. Cependant, le fait que le délégué se fonde sur des éléments insuffisants, ou qu’il ait pris des mesures déraisonnables ou discriminatoires par exemple peut constituer des erreurs graves ou des omissions importantes qui équivalent à un abus de pouvoir, même si involontaire.

51 Pour ces raisons, le Tribunal conclut que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir et a commis une erreur grave en omettant de lier ses observations aux quatre facteurs considérés pertinents pour l’évaluation des réponses des candidats.

Décision


52 En ce qui a trait aux plaintes présentées par Mme Elazzouzi et M. Labidi, le Tribunal est d’avis que les plaignants n’ont pas démontré que le comité d’évaluation avait abusé de son pouvoir lorsqu’il a conclu que ces derniers ne satisfaisaient pas à la capacité « application des règles et modalités ». Ces deux plaintes sont donc rejetées (les dossiers 2009-0257 et 2009-0258).

53 Quant à la plainte présentée par Mme Lahlali, le Tribunal conclut que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir en ne tenant pas compte de facteurs pertinents lors de son évaluation des réponses aux questions 3 et 4 à l’égard de la capacité « raisonnement ». Ses conclusions n’étaient donc pas raisonnables. Par conséquent, cette plainte est accueillie (le dossier 2009-0259).

Mesures correctives


54 Les dispositions pertinentes concernant les mesures correctives se retrouvent aux art. 80, 81 et 82 de la LEFP et se lisent comme suit :

80. Lorsqu’il décide si la plainte est fondée, le Tribunal peut interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de celle-ci sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes.

81. (1) S’il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées.

(2) Les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne peuvent faire partie des mesures correctives qu’il estime indiquées.

82. Le Tribunal ne peut ordonner à la Commission de faire une nomination ou d’entreprendre un nouveau processus de nomination.

55 Après avoir considéré les représentations des parties en matière de mesures correctives, le Tribunal estime que l’abus de pouvoir peut être corrigé en procédant à une nouvelle évaluation des réponses de Mme Lahlali aux questions 3 et 4 sur la base des facteurs pertinents tels qu’établis pour la capacité « raisonnement » et, si elle satisfait à cette qualification, en poursuivant l’évaluation de sa candidature.

Ordonnance


56Dans les 30 jours suivant la date de cette décision, l’intimé devra procéder aux mesures correctives suivantes :

  1. refaire la correction des réponses fournies par Mme Lahlali aux questions 3 et 4 utilisées pour l’évaluation de la capacité « raisonnement » sur la base des facteurs pertinents tels qu’établis;
  2. si elle obtient la note de passage requise pour cette capacité, poursuivre l’évaluation de sa candidature.

Maurice Gohier
Membre

Parties aux dossiers


Dossiers du Tribunal :
2009-0257, 2009-0258 et 2009-0259
Intitulé de la cause :
Kenza Elazzouzi et le Sous-ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada
Audience :
Les 13 et 14 mai 2010
Montréal, Québec
Date des motifs :
Le 31 mars 2011

COMPARUTIONS

Pour les plaignants :
Sylvain Archambault
Pour l'intimé :
Sean F. Kelly
Pour la Commission
de la fonction publique :
Marc Séguin
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