Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plainte comportait deux parties - elle a allégué que les représentants de l’agent négociateur du plaignant avaient omis de déposer un grief en son nom - elle a allégué également que les représentants de l’employeur avaient exercé une discrimination contre le plaignant parce que ce dernier avait déposé un grief - la Commission a retiré le gestionnaire du plaignant de la liste des défendeurs, par suite de l’acceptation par le plaignant de l’engagement de l’employeur de faire comparaître le gestionnaire comme témoin à l’audience - le plaignant a réglé plus tard la partie de sa plainte contre les représentants de l’agent négociateur - comme l’employeur n’avait plus l’intention de faire comparaître le gestionnaire comme témoin à l’audience, la Commission l’a rétabli comme défendeur - l’employeur et le gestionnaire ont contesté la compétence de la Commission d’instruire la plainte et de rétablir le gestionnaire comme défendeur - la Commission a conclu que la croyance des représentants de l’employeur qu’un grief avait été déposé lui permettait d’entendre l’allégation de discrimination contre le plaignant - la Commission a également conclu que, parce que la discrimination était de nature continue, la plainte était valable à l’égard des événements survenus dans les 90 jours précédant son dépôt - la Commission a également conclu que, en vertu de la LRTFP, elle avait le pouvoir de rétablir le gestionnaire comme défendeur - enfin, la Commission a conclu que l’employeur et le gestionnaire avaient satisfait à l’obligation de réfuter l’allégation de discrimination. Objections rejetées. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2011-07-20
  • Dossier:  561-02-385
  • Référence:  2011 CRTFP 93

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

MARTIN KENNETH ROSENTHAL

plaignant

et

DALE BOULIANNE ET LE CONSEIL DU TÉRSOR

défendeurs

Répertorié
Rosenthal c. Boulianne et Conseil du Trésor

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Joseph W. Potter, commissaire

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour les défendeurs:
Jeff Laviolette, Secrétariat du Conseil du Trésor

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
le 2 mai 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 11 mars 2009, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a reçu une plainte déposée en vertu de l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) par Martin Kenneth Rosenthal (le « plaignant »). La plainte nommait à titre de défendeurs l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), le Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada (SEIC), Colleen Fagon, la présidente de la section locale du SEIC, et Dale Boulianne, un gestionnaire travaillant au ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences. Dans sa plainte, le plaignant a allégué une violation de l'alinéa 190(1)g) de la LRTFP, soit une pratique déloyale de travail au sens de l'article 185. L'alinéa 190(1)g) se lit comme suit :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

L'article 185se lit comme suit :

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

2 La plainte est constituée de deux volets distincts. Le premier volet porte sur le défaut allégué de l'AFPC, du SEIC et de Mme Fagon de traiter ou de présenter un grief préparé par le plaignant, lequel figure dans une lettre écrite par le plaignant et jointe à la plainte. La lettre mentionne notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Veuillez verser cette page au dossier de ma plainte. Elle explique les raisons pour lesquelles j'estime que ma plainte est renvoyée comme il se doit à la CRTFP en vertu de l'alinéa 190(1)g) […]

[…]

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

Je crois que la nature de ma plainte est visée à l'article 187, dans la mesure où j'allègue que les défendeurs ont agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi concernant le traitement ou la soumission de mon grief en temps opportun.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

Dans cette partie de la plainte, le plaignant a demandé la mesure corrective qui suit : [traduction] « […] je souhaiterais que le grief passe à l'étape suivante. Colleen Fagon m'a dit qu'elle avait soumis mon grief. Je suis stupéfait de voir qu'elle ne l'a jamais fait […] » La plainte était accompagnée d'une copie d'un grief daté du 10 septembre 2007, signé par le plaignant. Dans son grief, le plaignant soutenait avoir été licencié de son poste d'évaluateur des demandes en raison de son mauvais état de santé, et il demandait deux semaines de rémunération tenant lieu d'avis de cessation d'emploi. Le plaignant a allégué que le grief n'a jamais été présenté à la direction en son nom.

3 Le deuxième volet de la plainte renvoie aux actions de M. Boulianne et de l'employeur (les « défendeurs »). La plainte se lit notamment comme suit :

[Traduction]

[…]

J'ai été embauché à titre d'évaluateur des demandes (CR-04, salaire de 40 101 $) à Service Canada, 3085, promenade Glen Erin, Mississauga, le 14 mai 2007. J'ai assisté aux deux premières semaines de formation en classe et j'ai obtenu un bon résultat au premier examen. Malheureusement, je suis tombé malade durant la formation et j'ai dû m'absenter (note du médecin fournie). Je suis revenu après une absence d'environ deux semaines, et l'on m'a offert un nouveau contrat (emploi pour une période déterminée) en tant que commis à la préparation des demandes (CR-03, salaire de 36 194 $). Quand j'ai demandé pourquoi je subissais une baisse de salaire, on m'a répondu que Service Canada ne pouvait assumer le coût associé au fait de former une seule personne à la fois, mais on m'a promis que j'aurais la possibilité de suivre la formation d'évaluateur des demandes dès que celle-ci serait offerte de nouveau. À ce jour, on n'a pas communiqué avec moi pour que je suive cette formation, bien que j'aie en ma possession une lettre de Dale Boulianne indiquant que je suis inclus dans le bassin de candidats qualifiés jusqu'en mai 2009.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

La lettre signée par le plaignant et jointe à sa plainte cite le sous-alinéa « 186(1)a)(iii) » de la LRTFP comme suit :

186. (1) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :
a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :
(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2.

[Les passages en évidence le sont dans l'original]

4 Le 21 avril 2009, les défendeurs ont répondu en indiquant notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

L'employeur est d'avis qu'aucune violation de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) n'a été commise et que la plainte est sans fondement. La plainte allègue une violation du sous-alinéa 186(1)a)(iii) de la LRTFP. Le plaignant devra toutefois préciser qu’il parlait en fait du sous-alinéa 186(2)a)(iii), qui se lit comme suit :

186 (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2,

L'employeur n'ayant jamais reçu de grief, on ne peut donc conclure qu'il y a eu violation de la Loi. Nous estimons donc que cette plainte devrait être rejetée sans audience.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

Le 14 mai 2009, le plaignant a confirmé qu'il faisait en fait référence au sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la LRTFP ainsi qu'à l'article 187. En outre, le plaignant a fourni de l'information qui, selon lui, venait étayer son affirmation selon laquelle il avait effectivement soumis un grief qui n'a jamais été traité. Il a également écrit ce qui suit : [traduction] « […] Je soutiens qu'on ne m'a pas offert subséquemment le poste d'évaluateur des demandes durant la période de deux ans qui s'est écoulée, au motif que j'avais déposé un grief contre l'employeur […] »

5 Les dates d'audition de la plainte ont ensuite été fixées aux 28, 29 et 30 juin 2010.

6 Le 23 avril 2010, les défendeurs ont écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

L'employeur fait respectueusement valoir que le plaignant allègue une pratique déloyale de travail de la part de son agent négociateur parce que celui-ci aurait omis de déposer son grief auprès de l'employeur. Par conséquent, nous soutenons en toute déférence que M. Dale Boulianne, gestionnaire à Service Canada, doit être retiré de la liste des défendeurs visés par la plainte.

[…]

Le 28 avril 2010, le plaignant a fourni une réponse se lisant notamment comme suit :

[Traduction]

[…]

Je ne suis pas d'accord avec le retrait de M. Dale Boulianne, gestionnaire de Service Canada, de la liste des défendeurs visés par ma plainte […]

[…]

Selon moi, M. Boulianne était au courant de mes tentatives soutenues de savoir où en était mon grief, comme le prouve son courriel. De plus, j'ai parlé directement avec lui de ce grief à au moins une occasion.

Je suis convaincu que M. Boulianne (l'employeur) est l'un des principaux défendeurs dans le cadre de cette plainte. J'aimerais avoir l'occasion de l'interroger au sujet du rôle qu'il a joué dans ces événements […]

[…]

Le 5 mai 2010, la Commission a écrit aux parties pour leur proposer ce qui suit : [traduction] « Si M. Boulianne participait à l'audience en tant que témoin, il pourrait alors être retiré de la liste des défendeurs […] » Le 13 mai 2010, l'employeur a répondu que M. Boulianne serait présent à l'audience en tant que témoin et a demandé qu'il soit retiré de la liste des défendeurs. Le 18 mai 2010, le plaignant a répondu ce qui suit : [traduction] « Étant donné que [l'employeur] demandera à M. Boulianne d'être présent à l'audience en tant que témoin, je souscris à cette proposition. J'espère que M. Boulianne coopérera pleinement et en toute liberté lorsqu'il sera interrogé. » Le 25 mai 2010, la Commission a écrit aux parties pour leur communiquer l'information suivante : [traduction] « Étant que les parties ont accepté que M. Boulianne participe à l'audience en tant que témoin, la Commission l'a retiré de la liste des défendeurs dans la présente affaire. »

7 Le 14 juin 2010, l'AFPC a informé la Commission qu'un règlement avait été conclu concernant la plainte. Le 16 juin 2010, le plaignant a écrit ce qui suit à la Commission :

[Traduction]

[…]

Je souhaite confirmer que je prévois en arriver à un règlement avec l'AFPC, le SEIC et, par conséquent, Mme Fagon. M. Dale Boulianne et mon ancien employeur, Service Canada, ne sont pas visés par ce règlement. Il demeure des questions en suspens avec l'employeur qui doivent être résolues.

Pour ce motif, je tiens à ce que l'audience ait lieu et à ce que M. Boulianne y soit présent […]

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

L'audience qui devait avoir lieu les 28, 29 et 30 juin 2010 a été reportée.

8 Le 18 août 2010, le greffe de la Commission a écrit au plaignant et à l'employeur pour leur faire part notamment de ce qui suit : [traduction] « À la suite du report de l'audience de juin 2010 concernant l'affaire susmentionnée, le commissaire saisi de la plainte m'a demandé de mettre à nouveau l'affaire au rôle afin que soit entendue la plainte visant l'employeur. » Des dates d'audience ont été proposées. Le 9 septembre 2010, l'employeur a écrit un message qui se lisait en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

Dans une lettre de la Commission datée du 25 mai 2010, les parties ont été informées que la Commission avait retiré M. Boulianne de la liste des défendeurs visés par l'affaire susmentionnée, ce qui a fait en sorte de retirer également l'employeur en tant que partie à la plainte. On a également indiqué aux parties, en juin, que le plaignant et les autres défendeurs avaient conclu un règlement.

Par conséquent, l'employeur fait respectueusement valoir que l'affaire a été réglée ou, à tout le moins, que l'employeur ainsi que M. Boulianne ne font plus partie des défendeurs.

[…]

Le plaignant a répondu le 10 septembre 2010, comme suit :

[Traduction]

[…]

Je crois comprendre que M. Boulianne a accepté de témoigner au nom de l'employeur. L'employeur est expressément exclu du règlement que j'ai conclu avec l'AFPC et le SEIC, car des questions en suspens le concernant n'ont pas encore été résolues. Je précise que je n'ai jamais avisé la Commission que j'avais conclu un règlement avec les « autres défendeurs » […]

[…]

La Commission a fixé les dates d'audition de l'affaire aux 2, 3 et 4 mai 2011.

9 Le 12 octobre 2010, l'employeur a écrit à la Commission un message se lisant notamment comme suit :

[Traduction]

[…]

Il est difficile de déterminer avec certitude, à partir de la correspondance versée au dossier, si M. Boulianne fait toujours partie de la liste des défendeurs ou s'il est maintenant un témoin du plaignant. Si la Commission confirme qu'il fait toujours partie des défendeurs visés par la plainte, l'employeur veillera à s'assurer de sa disponibilité […]

[…]

Dans sa réponse, la Commission a confirmé que M. Boulianne figurait toujours au nombre des défendeurs et que l'affaire suivrait son cours.

10 La présente décision fait suite à l'audience tenue en mai 2011.

II. Objections préliminaires au sujet de la compétence et du respect du délai

11 Au début de l'audience, les défendeurs ont soulevé trois objections préliminaires. La première objection était la suivante :

[Traduction]

A) M. Rosenthal a déposé en vertu de l'article 190 une plainte alléguant une violation du sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la LRTFP, qui se lit comme suit :

186 (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

[…]

iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2,

[…]

Selon les défendeurs, le fait que le plaignant ait déposé une plainte contre l'AFPC, le SEIC et Mme Fagon parce que ceux-ci n'ont pas présenté son grief vient appuyer le fait qu'il n'y a jamais eu de grief. S'il n'y a pas eu de grief, alors il n'y a pas de plainte contre les défendeurs. Pour cette raison, l'affaire a été présentée à la Commission d’une manière inappropriée.

12 La deuxième objection est la suivante :

[Traduction]

B) La deuxième question porte sur le respect du délai. Le paragraphe 190(2) stipule qu’une plainte doit être présentée dans les 90 jours suivant la date à laquelle le plaignant a eu connaissance des actions ayant donné lieu à la plainte.

Les défendeurs ont insisté sur le fait que le plaignant allègue avoir rédigé son grief en septembre 2007, alors qu'il a présenté sa plainte en mars 2009, soit bien après l'expiration du délai prescrit. Le plaignant a fait valoir qu'il a déposé sa plainte dès qu'il a constaté que le grief n'avait pas été soumis en temps opportun.

13 La troisième objection est la suivante :

C) La Commission est functus officio, et l'on demande que cette question soit traitée dans le corps de la décision.

Selon les défendeurs, le fait que la Commission retire M. Boulianne de la liste des défendeurs a entraîné l'annulation de la plainte contre celui-ci. Les défendeurs se sont appuyés sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, qui indique notamment ce qui suit :

[…]

En règle générale, lorsqu'un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis, parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s'il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l'arrêt Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., précité.

[…]

14 Dans sa réponse, le plaignant a indiqué qu'il ne souscrivait pas à la position des défendeurs. Il a mentionné que, selon lui, M. Boulianne était au courant qu'un grief avait été déposé. L'affirmation du plaignant est renforcée par un échange de courriel qu'il a eu avec M. Boulianne. Le 19 mai 2008, le plaignant a envoyé à M. Boulianne un courriel qui se lisait notamment comme suit (pièce E-2) : [traduction] « […] J'ai déposé un grief le 10 septembre 2007. Je l'ai déposé pour demander deux semaines de rémunération tenant lieu d'avis lorsque mon emploi a été changé en mai dernier. Sauriez-vous quel est l'état de la situation concernant mon grief? […] » M. Boulianne a répondu le 19 mai 2008, comme suit : [traduction] « Bonjour Martin, félicitation pour votre nouveau poste. Ce n'est pas moi qui ai répondu à votre grief au premier palier de la procédure de règlement. Cette procédure peut être assez longue. Donc, pour répondre à votre question, je ne sais pas quel est l'état de la situation concernant votre grief et je n'ai aucune information à jour à ce sujet […] » Le plaignant a indiqué qu'il estimait que M. Boulianne savait qu'un grief avait été déposé. Il a réglé le volet de sa plainte visant l'AFPC, le SEIC et Mme Fagon, parce que ceux-ci avaient admis avoir agi de façon fautive. Dans sa plainte originale, le plaignant nommait M. Boulianne en tant que défendeur, et les questions connexes n'avaient pas été réglées avec les défendeurs.

15 J'ai pris ma décision en délibéré sur toutes les questions préliminaires et entendu les parties sur le fond de l'affaire.

III. Résumé de la preuve

16 M. Boulianne a déclaré dans son témoignage que depuis sept ans et demi, il était directeur des services au bureau de Mississauga pour le traitement des prestations d'assurance-emploi. En 2007, il a été chargé de l'embauche d'un certain nombre d'évaluateurs des demandes, un poste classifié au groupe et au niveau CR-04. Le plaignant possédait les qualifications nécessaires pour suivre la formation d'évaluateur.

17 M. Boulianne a expliqué que, pour devenir évaluateurs des demandes, les candidats doivent achever avec succès une formation de trois semaines. À un certain moment durant la formation, le plaignant est tombé malade et n'a pu achever celle-ci. Lorsqu'il est revenu au travail après s'être rétabli de sa maladie, on lui a offert un poste de groupe et de niveau CR-03 lié à la préparation des demandes, qu'il a accepté.

18 On a montré à M. Boulianne une copie du grief rempli par le plaignant et daté du 10 septembre 2007 (pièce E-1), et on lui a demandé s'il avait déjà vu ce grief avant que le plaignant dépose sa plainte en 2009. M. Boulianne a répondu qu'il ne l'avait jamais vu. De plus, M. Boulianne n'aurait pas été la personne chargée de répondre au grief au premier palier de la procédure, si le plaignant avait déposé un grief. Cette personne aurait été Nigel Bond.

19 En ce qui concerne les allégations de discrimination découlant du fait de ne pas avoir offert au plaignant un autre poste de groupe et de niveau CR-04, M. Boulianne a indiqué dans son témoignage qu'aucune autre embauche à un poste de niveau CR-04 n'avait été effectuée depuis que le plaignant avait quitté ce poste. Qui plus est, le nom du plaignant n'avait jamais été mentionné à M. Boulianne à partir de la liste de candidats qualifiés des Ressources humaines pour l'un ou l'autre des postes qu'il essayait de pourvoir.

20 M. Boulianne a reconnu qu'il avait engagé des évaluateurs de demandes depuis le départ du plaignant, mais que les postes en question étaient de groupe et de niveau PM-01 parce que les titulaires possédaient des compétences différentes de celles des CR-04.

21 Dans son témoignage, le plaignant a mentionné qu'il avait été engagé comme évaluateur des demandes, au groupe et au niveau CR-04, et qu'il avait amorcé sa formation le 14 mai 2007. Il a achevé la première partie de la formation, mais il est alors tombé malade et a dû s'absenter deux semaines. Il a fourni une note du médecin concernant son absence et, à son retour, on lui a offert un poste d'un niveau inférieur, ce dont il a discuté avec sa représentante syndicale, Mme Fagon. Celle-ci a dit qu'elle en parlerait avec M. Boulianne. Comme, selon toute apparence, cette discussion n'a jamais eu lieu, le plaignant a préparé son grief et l'a daté du 10 septembre 2007 (pièce E-1).

22 Le plaignant a également mentionné qu'après son absence pour des raisons de santé, Kathleen Kahn, une gestionnaire intérimaire, lui a dit qu'il serait inscrit à la prochaine séance de formation des évaluateurs de demandes. Il estimait que l'employeur avait l'obligation de prendre des mesures d'adaptation à son égard parce qu'il avait été malade, mais il a admis ne pas avoir soulevé cette question. Il a affirmé qu'on ne lui a pas offert de participer à une nouvelle séance de formation et que M. Boulianne était au courant de l'existence du grief, étant donné la réponse par courriel que celui-ci a fournie (pièce E-2).

IV. Résumé de l'argumentation

A. Pour le plaignant

23 Le plaignant a allégué que l'employeur avait agi de mauvaise foi et que, à tout le moins, il devrait recevoir deux semaines de rémunération tenant lieu d'avis de cessation d'emploi relativement à son poste de groupe et de niveau CR-04.

B. Pour les défendeurs

24 La question soulevée dans la plainte est une allégation selon laquelle les défendeurs ont violé le sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la LRTFP. Dans sa plainte, le plaignant fournit lui-même la preuve qu'aucun grief n'a été déposé. Or, en l'absence d'un grief, on ne peut conclure que les défendeurs ont contrevenu au sous-alinéa susmentionné.

25 M. Boulianne n'a engagé aucun CR-04 depuis le départ du plaignant, et aucune pratique déloyale de travail n'a donc été commise.

V. Motifs

26 Avant de statuer sur le fond de l'affaire, je devrais d'abord me pencher sur les objections préliminaires soulevées par les défendeurs.

27 Le plaignant a allégué une violation de l'article 190 de la LRTFP et, au bout du compte, du sous-alinéa 186(2)a)(iii). Ce sous-alinéa interdit notamment à l'employeur ou à quiconque agissant pour son compte de refuser d'employer une personne ou de faire preuve de discrimination à son endroit parce qu'elle a déposé une plainte ou un grief. Les défendeurs estiment qu'ils n'ont pu prendre l'une ou l'autre des mesures interdites à l'égard du plaignant au motif que celui-ci aurait déposé un grief, puisque aucun grief n'a été présenté. Le courriel de M. Boulianne (pièce E-2) était une réponse directe à la demande de renseignements du plaignant au sujet de l'état de la situation concernant son grief. La preuve m'amène à penser que, peu importe que le grief ait été réellement déposé ou non, les défendeurs croyaient qu'un grief avait été présenté. Dans ce cas, je ne crois pas qu'on puisse rejeter la plainte en raison de l'absence de grief étant donné que l'employeur, ou une personne agissant pour son compte, pensait qu'un grief avait bel et bien été présenté.

28 Les défendeurs ont également soulevé une objection concernant la recevabilité de la plainte au motif qu'elle a été déposée après l'expiration du délai prescrit de 90 jours. La preuve indique que le plaignant a préparé son grief le 10 septembre 2007, mais il semble que celui-ci a pu ne pas être traité. Le plaignant a écrit un courriel à M. Boulianne le 19 mai 2008 pour connaître l'état de la situation concernant son grief. Il a reçu une réponse le jour même. La question consistant à savoir si le grief a bel et bien été présenté est, selon moi, non pertinente, puisque les défendeurs savaient, à partir de ce moment à tout le moins, que le plaignant avait l'intention de déposer un grief. La plainte a été présentée le 11 mars 2009. Le paragraphe 190(2) de la LRTFP prévoit qu’une plainte doit être déposée dans les 90 jours suivant la date à laquelle le plaignant a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des circonstances ayant donné lieu à la plainte. Dans l'affaire dont je suis saisi, l'allégation de discrimination est de nature continue. Le plaignant aurait pu présenter une nouvelle plainte tous les jours auxquels on ne lui a pas offert de suivre une formation. Comme le délai de 90 jours est obligatoire, le plaignant ne peut inclure que les événements qui se sont produits dans les 90 jours précédant le dépôt de sa plainte. Par conséquent, la plainte serait recevable au titre de la discrimination alléguée qui est survenue à compter du 11 décembre 2008 et par la suite.

29 Les défendeurs ont également soulevé une objection selon laquelle la Commission est devenue functus officio une fois qu'a été envoyée aux parties la lettre datée du 25 mai 2010 indiquant que M. Boulianne avait été retiré de la liste des défendeurs. Les défendeurs ont cité Chandler à l'appui de leur objection. Bien que la lettre du 25 mai 2010 ait effectivement fait en sorte de retirer M. Boulianne de la liste des défendeurs, je ne crois pas que le Commission soit functus officio dans le présent cas.

30 En premier lieu, les parties ont compris dès le départ qu'une portion de la plainte renvoyait aux actions des deux défendeurs. Le fait de retirer M. Boulianne de la liste des défendeurs n'a eu aucune incidence sur le statut de l'employeur dans le cadre de la présente procédure.

31 En deuxième lieu, en ce qui a trait à la décision de réinsérer M. Boulianne dans la liste des défendeurs, la Commission est maître de ses propres procédures, et le paragraphe 43(1) de la LRTFP lui accorde le pouvoir de réexaminer, d'annuler ou de modifier n'importe laquelle de ses ordonnances ou de ses décisions. Cette disposition se lit comme suit :

43. (1) La Commission peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances ou réentendre toute demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

La loi autorise donc la Commission à revoir ses ordonnances ou ses décisions, ce qui est conforme à Chandler.

32 À mon avis, la décision d'annuler le retrait de M. Boulianne de la liste des défendeurs a été justifiée par le changement important qui est survenu concernant les circonstances. Le plaignant a accepté que l'on retire M. Boulianne de la liste des défendeurs parce que l'employeur allait faire en sorte que M. Boulianne participe à l'audience en tant que témoin. La décision de retirer M. Boulianne de la liste des défendeurs a été prise en fonction de cette entente. Une fois que le plaignant a réglé la partie de sa plainte visant l'AFPC, le SEIC et Mme Fagon, il est devenu évident que l'employeur n'avait plus l'intention de faire témoigner M. Boulianne à l'audience, même si le règlement ne s'appliquait pas au volet de la plainte visant les défendeurs. À partir de ce moment, l'entente sur laquelle le plaignant et la Commission s'étaient fondés pour accepter le retrait de M. Boulianne de la liste des défendeurs n'existait plus.

33 Je me pencherai maintenant sur le fond de la plainte. Dans sa plainte, le plaignant allègue qu'on ne l'a jamais rappelé pour qu'il suive une formation d'évaluateur des demandes, ce qui, selon lui, constitue une violation du sous-alinéa 186(2)a)(iii) de la LRTFP. Toute plainte alléguant une violation du paragraphe 186(2), comme c'est le cas dans le volet de la plainte visant les défendeurs, est sujette à l'inversion du fardeau de la preuve prévue au paragraphe 191(3), qui se lit comme suit :

191. (3) La présentation par écrit, au titre du paragraphe 190(1), de toute plainte faisant état d’une contravention, par l’employeur ou la personne agissant pour son compte, du paragraphe 186(2), constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

Aux termes du paragraphe 191(3) de la LRTFP, la plainte constitue en soi une preuve que les défendeurs ont agi de façon discriminatoire à l'égard du plaignant en ne respectant pas leur promesse de lui permettre de suivre une formation pour un poste d'évaluateur des demandes de groupe et de niveau CR-04 dès que l'occasion se présenterait, au motif qu'ils croyaient qu'il avait déposé un grief.

34 Les défendeurs se sont-ils acquittés du fardeau de la preuve inversée en montrant qu'ils n'avaient pas contrevenu à la LRTFP? Pour les raisons qui suivent, j'estime qu'ils s'en sont acquittés.

35 L'on ne conteste pas le fait que le plaignant s'était qualifié pour faire partie d'un bassin de candidats en vue d'obtenir un poste de groupe et de niveau CR-04. Le plaignant n'a pas été en mesure d'achever le programme de formation de trois semaines parce qu'il est tombé malade, alors que cette formation constituait une exigence obligatoire pour l'obtention d'un poste d'évaluateur des demandes de groupe et de niveau CR-04. Il n'a malheureusement pas pu satisfaire à cette exigence à ce moment. Lorsqu'il est revenu au travail, l'employeur lui a offert un poste de groupe et de niveau CR-03. Il s'est alors entretenu avec sa représentante syndicale. On ne sait pas quel avis elle lui a fourni. Ce qu'on sait toutefois, c'est que les défendeurs n'ont pas refusé de lui offrir un poste de groupe et de niveau CR-04. Au contraire, dans son témoignage qui n'a pas été contredit, M. Boulianne a mentionné qu'il n'avait effectué aucune embauche pour pourvoir un poste de CR-04 depuis le moment où le plaignant avait dû abandonner la formation d'évaluateur des demandes. Selon moi, le témoignage non contesté de M. Boulianne est crédible.

36 Compte tenu de la preuve produite, j'en arrive à la conclusion que les défendeurs n'ont pas agi d'une manière qui aurait pu constituer une pratique déloyale de travail. À mon avis, la preuve a montré que les défendeurs ont agi de façon adéquate. Par conséquent, j'estime que les défendeurs se sont acquittés du fardeau de la preuve en réfutant la plainte.

37 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

38 Les objections préliminaires concernant la compétence et le respect du délai sont rejetées.

39 La plainte est rejetée.

Le 20 juillet 2011.

Traduction de la CRTFP

Joseph W. Potter,
commissaire

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