Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Quatre plaignants ont formulé des allégations d’abus de pouvoir à l’encontre de l’intimé par rapport à l’application du mérite et au choix des processus de nomination. Suite à une réorganisation, l’intimé avait créé de nouveaux postes qu’il a dotés par des processus de nomination non annoncés et des mutations. Les nominations non annoncées portaient sur de nouveaux postes dont le niveau de classification était supérieur à celui des postes occupés antérieurement par les personnes nommées. Dans le cas des plaignants, cependant, les nominations ont été faites par mutation puisque leurs nouveaux postes étaient classifiés au même niveau qu’avant la réorganisation. Les plaignants ont soutenu que leurs postes auraient dû être également classifiés à un niveau plus élevé, que le processus de classification n’avait pas été mené de manière adéquate, et que l’intimé n’avait pas respecté le mérite puisqu’il n’avait pas évalué leurs qualifications. Les plaignants ont fait valoir, d’autre part, que le choix de processus n’était pas conforme aux lignes directrices de la Commission de la fonction publique (CFP), que certaines personnes nommées n’avaient pas été évaluées adéquatement et qu’il y a eu du favoritisme personnel envers une des personnes nommées et apparence de conflit d’intérêts de la part du superviseur de cette personne. Décision Le Tribunal a fait remarquer qu’il n’était pas compétent pour se prononcer sur la question de savoir à quel niveau un poste doit être classifié et comment doit se dérouler le processus de classification. Les personnes nommées aux postes en question remplissaient déjà les tâches de ces postes avant leur nomination et ce, depuis des années dans certains cas. L’intimé avait choisi ce processus pour éviter que les employés touchés ne se retrouvent sans emploi. Si l’intimé avait choisi de doter ces postes par des processus de nomination annoncés, il se peut que d’autres personnes aient été choisies. Pour ces raisons, le Tribunal a estimé que la décision de l’intimé était juste et empreinte de bon sens. Par rapport à l’allégation des plaignants selon laquelle le mérite n’aurait pas été respecté parce que leurs qualifications n’avaient pas été évaluées, le Tribunal a tenu à préciser que l’administrateur général n’évalue que les qualifications de la personne qu’il entend nommer lors d’un processus non annoncé. Il ne procède pas à une comparaison des qualifications des candidats puisqu’il n’y a qu’un candidat pour chaque poste. Le Tribunal a ajouté que ni la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), ni les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP ne garantissent à un employé le droit d’accès à toutes les possibilités d’emploi. Le Tribunal a également conclu que l’intimé a été transparent dans les processus de nomination en l’espèce. Quant à la question de l’évaluation des personnes nommées, l’intimé les a évaluées à partir des critères de mérite et a conclu qu’elles satisfaisaient à ces exigences. L’opinion générale d’une des personnes nommées sur les compétences d’autres personnes nommées, sans référence aux critères de mérite, ne peut pas constituer une preuve adéquate desdites compétences. En outre, les membres du comité d’évaluation n’ont pas à faire le même travail que la personne évaluée pour être en mesure de l’évaluer. Pour ces raisons, le Tribunal a rejeté l’allégation selon laquelle les personnes nommées auraient été mal évaluées. En ce qui a trait à l’allégation de favoritisme personnel, le Tribunal a jugé qu’une preuve par ouï-dire émanant des collègues d’une des plaignants et concernant une relation personnelle entre une personne nommée et un superviseur ne peut pas avoir plus de force probante que le témoignage sous serment de la personne nommée qui a déclaré que la relation en question était une relation professionnelle. Le Tribunal a donc rejeté l’allégation de favoritisme personnel et d’apparence de conflit d’intérêts. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2009-0230, 0231, 0239-0244,
0248, 0249, 0271, 0272-0276,
0290, 0291, 0340-0343,
0410-0417
Rendu à:
Ottawa, le 19 juillet 2011

SYLVIE VAUDRIN, ANN PHILLIPS, RICHARD PLAISANCE ET SERGE ELIE
Plaignants
ET
LE SOUS-MINISTRE DE RESSOURCES HUMAINES ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d’abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par:
John Mooney, vice-président
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Vaudrin c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada
Référence neutre:
2011 TDFP 0019

Motifs de décision


Introduction


1 Sylvie Vaudrin, Ann Phillips, Richard Plaisance et Serge Elie (les plaignants) allèguent que le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC ou l'intimé) a abusé de son pouvoir dans l'application du mérite et le choix du processus de nomination dans huit processus de nomination non annoncés menés pour doter des postes dans le groupe Systèmes d'ordinateurs (CS) aux niveaux 02 et 03.

2 Plus spécifiquement, les plaignants allèguent que l'intimé a abusé de son pouvoir en choisissant de doter les postes par des processus non annoncés. Ils soutiennent également que l'intimé n'a pas respecté le mérite puisqu'il n'a pas évalué leurs qualifications. Ils font aussi valoir que le choix de processus non annoncés ne respecte pas les lignes directrices de la Commission de la fonction publique (CFP), que certaines personnes nommées n'ont pas été évaluées adéquatement et qu'il y a eu favoritisme personnel envers une des personnes nommées et apparence de conflit d'intérêts de la part du superviseur de cette personne.

3 L'intimé nie avoir abusé de son pouvoir. Il a doté les postes suite à une réorganisation qui a donné lieu à la création de nouveaux postes. Il a nommé ces huit personnes à ces postes par un processus non annoncé parce qu'ils accomplissaient déjà les tâches de ces postes. Il n'a pas évalué les qualifications des plaignants puisqu'il s'agissait de processus non annoncés. L'intimé maintient avoir respecté les lignes directrices de la CFP dans son choix de processus. Selon lui, toutes les personnes nommées ont été bien évaluées. L'intimé nie avoir démontré du favoritisme envers qui que ce soit ou s'être placé dans une situation d'apparence de conflit d'intérêts.

4 La CFP n'a pas assisté à l'audience mais a présenté des arguments écrits avant l'audience. Les arguments de la CFP sont d'un ordre plus général. Elle ne prend pas position pour ce qui est des faits de ces plaintes. Elle explique plutôt son interprétation du concept d'abus de pouvoir et ses politiques en matière de dotation. Pour ce qui est du choix du processus de nomination, la CFP indique que les lignes directrices de la CFP Choix du processus de nomination exigent que le choix du processus respecte les valeurs de dotation énoncées dans ses Lignes directrices de la Commission de la fonction publique en matière de nomination et soit conforme au plan de ressources humaines de l'organisme.

Contexte


5 La direction générale de l'innovation, de l'information et de la technologie (DGIIT) fournit des services d'information et de technologie à RHDCC.

6 L'intimé a créé 38 nouveaux postes suite à une réorganisation des structures de la DGIIT et du travail de ses employés et a doté ces postes par des processus de nomination non annoncés. Huit nominations font l'objet de ces plaintes.

7 L'intimé a offert des nominations et des mutations aux personnes qui accomplissaient déjà les tâches des postes à doter. Il a fait des nominations non annoncées lorsque le nouveau poste était à un niveau de classification supérieur au poste que la personne nommée occupait avant sa nomination, et des mutations lorsque les nouveaux postes étaient classifiés au même niveau.

8 Entre mars et juin 2009, l'intimé a nommé les huit personnes suivantes par des processus de nomination non annoncés. Les personnes suivantes ont été nommées à des postes d'analyste de l'infrastructure des télécommunications aux groupe et niveau CS-02 :

  • Marc Ducharme (processus de nomination 2009-CDS-INA-NHQ-IITB-11757);
  • Lynda Kolli (processus de nomination 2009-CDS-INA-NHQ-IITB-11758);
  • Dale Henning (processus de nomination 2009-CDS-INA-NHQ-IITB-19931);
  • William Goring (processus de nomination 2009-CDS-INA-NHQ-IITB-11929);
  • Jacques Beaudry (processus de nomination 2009-CDS-INA-NHQ-IITB-13370);
  • Nancy Chouinard (processus de nomination 2009-CDS-INA-NHQ-IITB-11756)

Les personnes suivantes ont été nommées à des postes de chef d'équipe, Service d'infrastructure vocale aux groupe et niveau CS-03 :

  • Claire Laflamme (processus de nomination 2009-CDS-INA-NHQ-IITB-12339)
  • Heather McClelland (qui se nommait Heather O'Brien à l'époque - processus de nomination 2009-CDS-INA-NHQ-IITB-11646).

9 Entre le 15 avril et le 16 mai 2009, les plaignants ont présenté 30 plaintes d'abus de pouvoir (chaque plaignant ayant déposé plusieurs plaintes) concernant ces nominations au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu des articles 77(1)a) et b) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

10 Les plaignants occupaient des postes aux groupe et niveaux AS-02 et AS-03. Puisque leur travail avait aussi changé, on a créé pour eux de nouveaux postes. Leurs postes ont été classifiés aux mêmes groupe et niveau qu'avant la vérification. L'intimé leur a donc offert des mutations à ces nouveaux postes.

11 Les 30 plaintes ont été jointes pour les fins de ces procédures, conformément à l'article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique DORS/2006-6.

Questions en litige


12 Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir en dotant les postes par des processus non annoncés?
  2. L'intimé a-t-il bien évalué les personnes nommées?
  3. L'intimé a-t-il fait preuve de favoritisme personnel ou d'apparence de conflit d'intérêts?

Sommaire de la preuve pertinente


La vérification des descriptions de travail et la création de nouveaux postes

13 Johanne Roberge est la directrice du Développement des talents à la DGIIT. Elle a expliqué dans son témoignage qu'en 2003, suite à une consolidation des services ministériels et à une redistribution des tâches, des employés provenant d'autres directions générales, incluant les plaignants, se sont joints à la DGIIT. Suite à cette réorganisation, plusieurs employés, dont ceux du Groupe Services administratifs (AS) estimaient que leur description de travail ne reflétait pas les tâches qu'ils accomplissaient. Leur travail avait beaucoup changé depuis sa création et la dernière mise à jour de la description de travail. Les rapports hiérarchiques avaient également évolué avec le temps. En 2006, l'intimé a donc procédé à une vérification des descriptions de travail de 38 employés. Mme Roberge était chargé de ce projet.

14 Joseph Horan, un expert indépendant en classification, a procédé à cette vérification. Il a mené les entrevues à travers le Canada, sauf le Québec parce qu'il est unilingue anglais. Chantal Wolfe a mené les entrevues au Québec parce qu'elle parle français. Ces deux personnes ont constaté lors de cette vérification que dans la majorité des cas, la description de travail des employés ne reflétait plus leur travail actuel. L'intimé a donc rédigé de nouvelles descriptions de travail. Celles-ci ont été remises à un comité de classification indépendant. Dans la plupart des cas, le comité a recommandé la création de nouveaux postes.

15 Mme Roberge a déclaré que l'intimé avait tenu les employés et les syndicats informés tout au long des processus de vérification et de classification. Par exemple, l'intimé a rencontré les employés et les syndicats le 11 décembre 2007 comme l'indique le diaporama de cette session d'information. L'intimé a également tenu une session d'information le mois précédent. Une autre session d'information pour les employés s'est tenue le 17 novembre 2008 afin de leur donner un suivi. Le diaporama de cette présentation indique que l'intimé annonçait déjà aux employés qu'il envisageait de doter les nouveaux postes par des processus non annoncés. L'intimé a tenu une autre session d'information en décembre de la même année.

16 Les plaignants ont appelé Jacques Lambert à témoigner à propos de la réorganisation. Il a travaillé dans la fonction publique pendant 41 ans, jusqu'à sa retraite en janvier 2009. M. Lambert est un représentant syndical. Depuis 1974, il a occupé plusieurs postes dans son syndicat, dont celui de vice-président national.

17 M. Lambert a participé à la réorganisation des structures de RHDCC de 2005 à 2008. Il a expliqué que l'intimé avait formé une table patronale-syndicale dont le mandat était de moderniser les structures de RHDCC pour qu'elle devienne une organisation de calibre mondial. La réorganisation pour les CS s'est faite de façon très professionnelle et l'intimé informait les employés touchés tout au long du processus. Mais cela n'a pas été le cas pour les postes du groupe AS, groupe dont fait partie les plaignants. De plus, l'intimé ne les a pas consultés et ne répondait pas à leurs demandes d'information.

18 Gilles Coursol est également un représentant syndical. Il a occupé divers postes syndicaux au cours de sa carrière, dont celui de président de la section locale de son syndicat, poste qu'il occupe toujours. Il travaille dans la fonction publique depuis 1975. M. Coursol a aussi participé à la table patronale-syndicale chargée de la réorganisation. Il a aussi fait état du manque de communication de la part de l'intimé lors du processus de classification. Les plaignants ont dû présenter des griefs pour obtenir les renseignements demandés.

19 M. Plaisance, M. Elie, Mme Vaudrin et Mme Phillips ont tous fait état dans leur témoignage du manque de communication durant le processus de classification des postes et de leur déception de voir leur poste demeurer dans le même groupe et au même niveau de classification.

Le travail et les qualifications des plaignants

20 Tous les plaignants ont témoigné pour décrire leur travail et leurs qualifications.

21 M. Plaisance travaille à la fonction publique depuis 1973. Il a joint RHDCC en 2000 et a occupé un poste AS-03 dans ce ministère jusqu'à sa retraite. Dans ce poste, il effectuait des analyses de besoin, menait des recherches de coûts, faisait la facturation, surveillait la mise en œuvre de systèmes téléphoniques, s'occupait des déménagements des systèmes téléphoniques, procédait au déploiement des effectifs et du personnel de soutien, et était impliqué dans les décisions concernant le choix de technologie pour les projets.

22 M. Plaisance a expliqué qu'au Québec, les cinq ou six employés qui travaillaient dans la téléphonie, incluant les plaignants, desservaient plus de 75 bureaux et 4000 employés. Ils accomplissaient un plus grand éventail de tâches que les employés dans les autres parties du Canada. Ailleurs au pays, les employés passaient des commandes à Bell Canada pour le système Centrex, un système de téléphonie. Les employés du Québec accomplissaient aussi ces tâches, mais ils étaient les seuls à gérer et à faire le maintien de systèmes de téléphonie. Ils géraient de façon quotidienne plus de 75 systèmes. Cela impliquait de faire la programmation, modifier les commandes téléphoniques aux utilisateurs et analyser l'efficacité et les coûts de ces systèmes. Les coûts d'opérations au Québec étaient les plus bas au pays.

23 Mme Phillips a témoigné. Elle possède 14 ans d'expérience en télécommunications, expérience qu'elle a acquise principalement dans le secteur privé où elle a travaillé dans la vente et l'entretien de systèmes de télécommunications, dont PBX, Norstar et Centrex, cette dernière étant la technologie qu'utilise l'intimé. Elle a suivi une formation avec Nortel. Elle travaille pour Service Canada depuis 2007 à titre de spécialiste en technologie des communications aux groupe et niveau AS-03. En juillet 2010, elle a accepté un détachement dans un autre ministère. Elle a déclaré que lorsqu'elle était dans son poste d'attache, elle fournissait des services aux employés du reste du Canada, surtout ceux de l'Ouest et des Maritimes.

24 M. Elie a également témoigné. Il a complété deux ans de scolarité après le secondaire et a suivi plusieurs cours d'informatique pour se tenir à jour. M. Elie travaille pour la fonction publique depuis 30 ans. Il a surtout travaillé dans la téléphonie. Il a participé aux grands projets de transformation de son ministère, telle la mise en œuvre de vidéoconférences. Selon lui, le travail est plus complexe au Québec puisque depuis une centralisation des services dans la province en 2006, les employés de cette province ont dû apprendre plusieurs systèmes de téléphonie, dont Centrex, BCN et Norstar. Les autres régions n'ont pas eu besoin d'apprendre ces systèmes. Les employés du Québec pouvaient initier un projet et le mener jusqu'à sa mise en œuvre, alors que les employés des autres régions ne pouvaient généralement pas le faire. M. Elie a rendu des services aux employés des autres régions du pays à plusieurs reprises. Malgré ses compétences et sa formation, son poste a été classifié aux groupe et niveau AS-03.

25 Mme Vaudrin travaille à la fonction publique depuis 30 ans. Elle a occupé plusieurs postes dans différentes directions de RHDCC. D'avril 2007 à 2009 et de janvier 2010 à ce jour, elle a occupé le poste de spécialiste en technologie des communications aux groupe et niveau AS-03. Elle connait les systèmes des télécommunications par câblage, la technologie de voix sur IP, le système BCN, le système Méridien, la programmation du système PBX, les composantes de ces systèmes et leur architecture. Elle peut faire le câblage, outiller les appareils, décider quelle programmation il faut installer sur l'appareil et même poser les prises. Elle peut faire la programmation et écrire les codes pour le système PBX, le système le plus complexe sur le marché. Seuls les experts de Bell Canada et les employés du Québec ont cette expertise. Dans les autres régions, les employés utilisent Centrex, mais c'est Bell Canada qui gère ce système de téléphonie. Les collègues des autres régions ne font que passer des commandes à cette compagnie.

26 Mme Vaudrin soutient qu'elle possède les compétences pour un poste CS-02 puisque sa superviseure avait recommandé dans son rapport de rendement en 2010 qu'elle obtienne une nomination intérimaire aux groupe et niveau CS-02 d'un an en 2010. La demande a été refusée. Mme Vaudrin a aussi posé sa candidature dans un processus de nomination annoncé pour un poste du groupe et niveau CS-02. Elle a réussi l'étape de la présélection. Le processus n'est pas terminé. Elle possède donc l'expérience requise pour les postes qui font l'objet de ces plaintes.

Le choix du processus et l'évaluation des candidats

27 Nicole Gratton est la directrice des Systèmes nationaux de voix et de données de la DGIIT. Elle a expliqué qu'elle avait décidé de procéder par voie de nominations non annoncées pour doter ces postes afin d'éviter que les employés qui accomplissaient les tâches des nouveaux postes ne se retrouvent sans emploi. En effet, les huit personnes nommées aux postes accomplissaient déjà les tâches de ces postes avant leur nomination et, dans certains cas, depuis quelques années. C'est pourquoi ces nominations ont pris effet de façon rétroactive. Comme l'indique la justification écrite pour le choix d'un processus non annoncé, ce choix permettait aux employés qui occupaient ces postes de continuer de les occuper. Si l'intimé avait choisi de doter ces postes par un processus de nomination annoncé, il se peut que des candidats d'autres directions de RHDCC aient été choisis et les personnes qui accomplissaient les tâches de ces postes auraient pu se retrouver sans emploi.

28 Mme Gratton a déclaré que l'intimé avait adopté des lignes directrices au sujet du choix de processus pour doter des postes. Les Lignes directrices sur les critères applicables aux processus de nomination non annoncés (les lignes directrices de l'intimé) sont affichées sur son site Intranet. L'article 6.3 de ces lignes directrices prévoit que le gestionnaire doit remettre une justification écrite du choix d'un processus non annoncé avec la demande de dotation et que cette justification doit démontrer que ce choix de processus respecte les critères établis et les valeurs de dotation. Mme Gratton a confirmé que cette exigence avait été respectée et l'intimé a déposé en preuve la justification écrite pour chaque nomination. C'est elle qui les a signées.

29 Mme Gratton a rédigé l'énoncé de critères de mérite en consultation avec Shaun Gagné, le gérant de la Gestion nationale des télécommunications. Cet énoncé de critères de mérite a été revu par le service des Ressources humaines. C'est avec ces critères de mérite que l'intimé a évalué les candidats.

30 L'intimé a appelé Mme McClelland à témoigner. Elle travaille dans la fonction publique depuis 1998. Depuis juillet 2009, elle gère les Services nationaux des télécommunications, un poste aux groupe et niveau CS-04. Avant cela, elle était chef d'équipe CS-03. Mme McClelland a fait les évaluations de M. Beaudry, M. Ducharme et Mme Kolli. Pour effectuer cette évaluation, elle s'est servie de leur curriculum vitae (CV) et de sa connaissance de leur rendement au travail. Elle connaissait leur travail puisqu'elle était leur superviseure. Les employés n'ont pas participé à leur évaluation. En réponse à une question du représentant des plaignants, Mme McClelland a déclaré qu'il y avait des similitudes entre l'évaluation de M. Ducharme et celle de M. Beaudry parce que tous deux faisaient le même travail. M. Ducharme ayant remplacé M. Beaudry lorsque ce dernier a pris sa retraite.

31 Les plaignants ont fait témoigner Mme Chouinard. Elle est l'une des personnes nommées. Elle travaille en télécommunications depuis 18 ans. Elle est à l'emploi de RHDCC depuis 2000 comme analyste des infrastructures des systèmes de communication. Son poste est le niveau le plus élevé du point de vue technique pour la région de Québec, et depuis 2006 pour tout le Canada. Elle est la seule au pays qui possède les certifications Nortel Network, certifications requises pour accomplir son travail.

32 Son poste, qui était classifié AS-04, a été classifié CS-02. Elle s'attendait à ce que son poste soit classifié à un niveau plus élevé. Lorsqu'elle a appris la nouvelle, elle était totalement déçue vu son expérience et sa formation. Elle était frustrée et amère.

33 Selon Mme Chouinard, deux des personnes nommées, MM. Goring et Henning, n'avaient pas les compétences techniques requises pour faire leur travail. Elle a ajouté qu'ils sont plutôt habitués à remplir des formulaires et à passer des demandes au fournisseur local. Elle a pu constater que M. Goring ne possédait pas les compétences voulues lorsque l'intimé lui a demandé de le superviser lors de l'installation d'un système de téléphonie à Kamloops. Pour ce qui est de M. Henning, elle a constaté qu'il ne possédait pas les compétences requises lorsqu'elle est allée à Nanaimo à la demande de son superviseur afin de superviser la mise en œuvre d'un système de téléphonie. M. Henning n'était pas capable de rendre le système fonctionnel. Elle a dû passer sept jours à Nanaimo pour mettre le système en marche.

34 Mme Chouinard a été évaluée par Stéphane Ménard, Chef, Télécommunications stratégiques, Planification d'affaires. M. Ménard lui avait expédié un document qu'elle devait remplir pour justifier sa nomination au poste. Mme Chouinard a refusé de le faire. Elle ne voyait pas pourquoi elle devait se justifier pour un poste qu'elle occupait de façon compétente depuis plusieurs années. Au lieu de remplir le document, elle a expédié à M. Ménard une énumération de ses compétences et de ses tâches. Elle y a joint son CV. M. Ménard a rempli le document requis pour elle à partir de ces documents. Mme Chouinard a examiné le document rempli par M. Ménard et l'a signé pour confirmer que le document était adéquat.

35 En réponse à une question que lui a posée le représentant des plaignants, Mme Chouinard a déclaré que M. Ménard « n'était pas en position de l'évaluer », parce qu'il ne connaissait pas le travail qu'elle faisait. Cette évaluation des compétences de M. Ménard est basée sur les sept mois qu'elle a eu à travailler avec lui. Elle a expliqué que lorsque la superviseure de M. Ménard est partie, M. Ménard l'a remplacée à titre intérimaire. M. Ménard et Mme Chouinard se sont partagé les tâches de cette superviseure. M. Ménard s'occupait de la gestion des employés et Mme Chouinard de la gestion du travail. M. Ménard prenait ses renseignements techniques de Mme Chouinard. M. Ménard prenait les décisions finales en consensus avec Mme Chouinard, mais c'est elle qui avait le dernier mot pour ce qui est des questions techniques.

36 Mme Gratton était aussi membre du comité d'évaluation. Selon Mme Chouinard, Mme Gratton n'avait pas non plus une connaissance suffisante pour l'évaluer parce qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait quotidiennement.

37 Mme Gratton est aussi venue témoigner. Elle a expliqué que l'intimé avait affiché sur Publiservice la Notification de candidature retenue et la Notification de nomination ou de proposition de nomination pour toutes les nominations qui ont fait suite à l'examen des descriptions de travail, dont les nominations qui font l'objet de ces plaintes.

Favoritisme personnel et apparence de conflit d'intérêts

38 Mme Vaudrin a déclaré dans son témoignage que le superviseur d'une des personnes nommées, qui a fait l'évaluation de cette dernière dans ce processus de nomination, a fait preuve de favoritisme personnel à l'endroit de cette personne. Mme Vaudrin a ajouté que lors d'une conférence de travail à Halifax en 2008, deux de ses collègues lui ont dit qu'une des candidates nommées entretenait avec son superviseur une « relation personnelle », une « relation d'intérêt », qu'ils étaient « un couple ». Ces deux collègues lui ont dit que tout le monde au niveau national était au courant de cette relation, y compris Mme Gratton. Mme Vaudrin a ajouté que tout le monde à Halifax faisaient des commentaires à ce sujet. Ils disaient que la personne nommée était toujours présente lorsque son superviseur participait à une réunion même si elle ne devait pas y participer, qu'elle était absente lorsqu'il était absent, qu'elle suivait son superviseur presque tout le temps et qu'ils prenaient des repas ensembles.

39 L'intimé a demandé au Tribunal de noter qu'il n'a pu appeler le superviseur en question à témoigner puisque ce n'est que lors de cette audience qu'il a appris que les plaignants allaient soulever cette allégation.

40 Le Tribunal ne nommera pas ce superviseur parce que le témoignage de Mme Vaudrin pourrait lui nuire et il n'a pu se défendre à l'encontre de cette allégation puisqu'il n'a pas été appelé à témoigner et ne savait pas que les plaignants présenteraient cette allégation, les plaignants l'ayant soulevée pour la première fois lors cette audience. De plus, ce témoignage est d'une nature délicate et il n'est pas nécessaire de nommer cette personne pour examiner cette allégation. Le Tribunal ne nommera pas non plus la personne nommée parce que le témoignage de Mme Vaudrin pourrait aussi lui nuire et le Tribunal a décidé, comme on le verra plus loin, que cette allégation n'est pas fondée. Le Tribunal désignera cette personne par « la personne nommée ».

41 Le représentant de l'intimé a soulevé une objection à l'encontre de ce témoignage puisque les plaignants n'avaient pas indiqué avant l'audience qu'ils entendaient faire une allégation de favoritisme personnel, et que conséquemment, il ne pouvait présenter une défense à son endroit. Le représentant des plaignants a déclaré qu'il avait appris ce nouveau fait à peu près un mois avant l'audience. Le Tribunal a décidé d'admettre cette nouvelle allégation puisqu'elle est sérieuse et il est important que les parties puissent faire valoir tous les éléments de preuve qui peuvent appuyer leurs allégations. Cependant, pour permettre à l'intimé de présenter une défense pleine et entière à l'encontre de cette nouvelle allégation, le Tribunal lui a offert d'ajourner l'audience de ces plaintes, s'il le désirait, afin qu'il puisse préparer sa preuve et ses arguments face à ce nouveau développement. Le représentant de l'intimé a décliné cette offre, préférant continuer l'audience sans ajournement.

42 Le représentant de l'intimé a également soulevé une objection à ce témoignage au motif qu'il constituait du ouï-dire. Le Tribunal a décidé que ce témoignage était admissible parce que la preuve par ouï-dire est généralement admissible lors d'un processus quasi judicaire, tel ce processus de plainte, même si généralement elle pourrait avoir moins de force probante qu'une preuve faite par le témoignage de la personne qui a fait les déclarations.

43 L'intimé a invité la personne nommée qui fait l'objet de cette allégation de favoritisme à témoigner à ce sujet. Elle a déclaré que sa relation avec son superviseur lors du processus de nomination était une relation professionnelle. Elle a ajouté que cette relation n'a pas changé depuis. C'est lors de cette audience qu'elle a appris pour la première fois qu'une telle rumeur à son égard circulait.

44 Mme Gratton a également déclaré qu'elle n'a jamais pensé que la personne nommée et son superviseur avaient une relation personnelle. Ce n'est que lors de ces plaintes qu'elle a appris cette rumeur.

45 Durant le contre-interrogatoire de la personne nommée, le représentant des plaignants lui a fait remarquer qu'une première version de la Notification de candidature retenue pour sa nomination au poste CS-03 indiquait que son superviseur était la personne à qui il fallait s'adresser pour obtenir des renseignements au sujet de cette nomination. Cette première notification a été remplacée par une deuxième qui indiquait que Mme Gratton était la personne à qui on devait s'adresser. La personne nommée a répondu que ce sont les Ressources humaines qui rédigent les avis pour les nominations. Ils avaient fait une erreur dans la première notification. La notification aurait dû indiquer que Mme Gratton était la personne ressource, comme cela avait été le cas pour les autres nominations. Les Ressources humaines ont donc émis une deuxième notification avec le nom de Mme Gratton pour corriger l'erreur.

46 Dans son témoignage, Mme Gratton a déclaré qu'elle était la personne ressource indiquée dans la Notification de candidature retenue pour toutes les personnes nommées. Elle ne savait pas pourquoi une première version de cet avis pour la personne nommée affichait le nom du superviseur de cette personne au lieu du sien.

Analyse


47 Les plaignants ont déposé des plaintes d'abus de pouvoir en vertu de l'article 77(1)a) et b) de la LEFP. L'expression « abus de pouvoir » n'est pas définie dans la LEFP; toutefois, l'article 2(4) stipule qu'elle inclut « la mauvaise foi et le favoritisme personnel ». Dans la décision Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008 (Tibbs), le Tribunal a jugé qu'il ressort clairement dans la LEFP que l'abus de pouvoir comprend plus que de simples erreurs ou omissions.

48 Le Tribunal a précisé dans plusieurs décisions qu'il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu abus de pouvoir dans un processus de nomination (voir, par exemple, Tibbs au para. 49).

49 Avant d'aborder les questions en litige, le Tribunal voudrait souligner que la majorité de la preuve présentée par les plaignants n'avait pas trait au processus de nomination, mais bien au processus de classification de leurs postes. Selon eux, le processus de classification n'a pas été mené adéquatement et les postes qu'ils occupaient auraient dû être classifiés à un niveau plus élevé. Ils déplorent également le manque de transparence du processus et le fait que ce ne sont pas les mêmes personnes qui ont mené cet exercice au Québec que dans le reste du pays. Selon les plaignants, l'intimé aurait dû choisir une personne bilingue pour mener cet exercice partout au pays. Le Tribunal ne peut se prononcer sur ces sujets puisque la LEFP ne lui donne pas compétence sur la question de savoir à quel niveau un poste doit être classifié et comment doit se dérouler le processus de classification. L'article 88(2) de la LEFP précise que le mandat du Tribunal se limite à instruire les plaintes concernant une mise en disponibilité (art. 65), une révocation d'une nomination (art. 74), une nomination ou une proposition de nomination (art. 77) et l'application des mesures correctives (art. 83).

Question I:  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir en dotant les postes par des processus non annoncés?

50 Les plaignants allèguentque l'intimé a abusé de son pouvoir en choisissant de doter les postes par des processus non annoncés.

51 Le Tribunal n'accepte pas les prétentions des plaignants. L'article 33 de la LEFP prévoit expressément que le gestionnaire délégataire peut choisir un processus annoncé ou un processus non annoncé pour faire une nomination. Le Tribunal a déjà établi que le simple fait de recourir à un processus non annoncé ne constitue pas en soi un abus de pouvoir (voir, par exemple, Jarvo c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 0006 et Rozka c. le sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 0046). Pour qu'une plainte soit accueillie, les plaignants doivent démontrer, comme l'indique l'article 77(1)b) de la LEFP, que le choix d'un processus non annoncé constitue un abus de pouvoir. En l'espèce, les plaignants n'ont pas fait cette preuve. L'intimé avait une raison valable de choisir des processus non annoncés. Les huit personnes qui ont été nommées aux postes dont il est question dans ces plaintes accomplissaient les tâches de ces postes avant leur nomination, et dans certains cas depuis quelques années. On a dû créer de nouveaux postes parce que leur description de travail ne reflétait plus les tâches qu'ils accomplissaient puisque celles-ci avaient tellement changé au cours des ans à cause de restructurations. Comme l'a expliqué Mme Gratton, l'intimé a choisi ce processus pour éviter que ces employés ne se retrouvent sans emploi. En effet, si l'intimé avait choisi de doter ces postes par des processus de nomination annoncés, il se peut que d'autres personnes aient été choisies et les personnes qui accomplissaient déjà les tâches des postes à doter risquaient de perdre leur emploi.

52 Les plaignants soutiennent également que l'intimé a abusé de son pouvoir et n'a pas respecté le mérite parce qu'il ne les a pas évalués pour les postes à doter. Ils font valoir qu'ils sont tous qualifiés pour ces postes, sinon plus qualifiés que les personnes nommées puisqu'ils accomplissent un plus grand éventail de tâches que ces personnes. Le Tribunal ne peut accepter cet argument. Lors d'un processus non annoncé, l'administrateur général n'évalue que les qualifications de la personne qu'il entend nommer. Il ne procède pas à une comparaison des qualifications des candidats puisqu'il n'y a qu'un candidat pour chaque poste. C'est la nature même de ce type de processus et cela est expressément prévu par l'article 30(4) de la LEFP qui précise que la CFP n'est pas tenue de prendre en compte plus d'une personne pour procéder à une nomination fondée sur le mérite.

53 Les plaignants allèguent qu'en choisissant un processus de nomination non annoncé, l'intimé ne respectait pas les valeurs d'accessibilité, de justice et de transparence énoncées dans les Lignes directrices de la Commission de la fonction publique en matière de nomination. Selon ces lignes directrices, le choix d'un processus non annoncé doit être conforme à ces valeurs. Les plaignants soulignent que les articles 16 et 29(3) de la LEFP précisent que l'administrateur général est tenu de se conformer à ces lignes directrices lorsqu'il nomme une personne à un poste.

54 Pour ce qui est de l'accessibilité, le Tribunal ne peut partager l'avis des plaignants. L'« accessibilité » ne veut pas dire que tous les employés peuvent participer à tous les processus de nomination. Cela irait à l'encontre de l'économie de la LEFP qui prévoit plusieurs circonstances dans lesquelles des personnes ne peuvent postuler pour un emploi. Par exemple, lors d'un processus de nomination annoncé interne, les personnes qui ne font pas déjà partie de la fonction publique ne peuvent postuler pour le poste. L'article 34(1) nous donne un autre exemple de limite à l'accessibilité d'un poste. Cette disposition permet de limiter l'accès aux processus de nomination selon des critères géographiques, organisationnels ou professionnels. Ce ne sont que deux exemples de limites à l'accès prévues par la LEFP. L'article 33 de la LEFP stipule expressément que le gestionnaire délégataire peut choisir entre un processus annoncé et un processus non annoncé pour effectuer une nomination. Il va de soi que lorsque le gestionnaire délégataire choisit de doter un poste par un processus non annoncé, les autres employés ne peuvent postuler pour le poste. C'est la nature même de ce type de processus de nomination. Il faut donc donner au terme « accessibilité » une acception plus nuancée, comme l'indique le Tribunal dans la décision Jarvo, une décision émise après l'audience de ces plaintes, mais qui reprend les mêmes idées :

29 En ce qui a trait à l'accessibilité, le préambule de la LEFP fait état d'une fonction publique dont les membres sont issus de toutes les régions du pays. Toutefois, la LEFP n'exige pas que l'accessibilité soit respectée pour toutes les nominations à la fonction publique. L'article 29 autorise les processus de nomination internes, qui sont limités aux personnes déjà employées à la fonction publique. L'article 34 autorise des processus de nomination à accès encore plus restreint, notamment en fonction du lieu de résidence ou de travail d'une personne.

30 Les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP soulignent que les citoyens de partout au pays devraient avoir une possibilité raisonnable de postuler et de voir leur candidature prise en considération pour un poste à la fonction publique. Toutefois, il est évident que, dans le cas d'un processus non annoncé choisi conformément à l'art. 33  de la LEFP, la personne nommée est la seule à avoir accès au poste.

[…]

32 Ni la LEFP, ni les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP ne garantissent à un employé le droit d'accès à toutes les possibilités d'emploi. La CFP encourage d'ailleurs expressément les gestionnaires à utiliser leur jugement et leur marge de manœuvre pour ce qui est de l'accessibilité et des décisions de nomination.

55 Le Tribunal estime également que la décision de l'intimé était juste dans ces circonstances. Dans la décision Jarvo, le Tribunal renvoie aux Lignes directrices en matière de nomination de la CFP qui définissent ce terme :

28 Aux termes des Lignes directrices en matière de nomination, une décision de nomination équitable est prise de façon objective et est exempte d'influence politique et de favoritisme personnel. Toujours selon les lignes directrices, les pratiques doivent témoigner d'un juste traitement des personnes. Cette définition signifie que, dans le contexte de la dotation à la fonction publique, la valeur d'équité ne peut être évaluée du point de vue restrictif d'une seule personne. Pour prendre des décisions de nomination objectives, les gestionnaires délégataires doivent tenir compte de plusieurs perspectives et chercher à concilier des intérêts souvent incompatibles lorsqu'il s'agit d'étudier les différentes possibilités qui s'offrent à eux pour doter un poste. En d'autres termes, les gestionnaires doivent évaluer l'équité selon différentes perspectives, tout en sachant qu'il est peu probable que leur décision paraisse équitable aux yeux de tous.

56 En l'espèce, les plaignants n'ont pas démontré que le choix d'un processus non annoncé était empreint de favoritisme personnel. Tel qu'expliqué ci-dessus, l'intimé a nommé à ces postes les personnes qui accomplissaient déjà les tâches de ces postes, et dans certains cas depuis plusieurs années, afin d'éviter qu'ils ne se retrouvent sans emploi. La décision de l'intimé était juste et empreinte de bon sens.

57 Pour ce qui est de la transparence, presque tous les plaignants ont fait état de la difficulté d'obtenir des documents. Le Tribunal note d'abord que les demandes d'information auxquelles ont fait référence les plaignants se rapportent surtout au processus de classification, et non au processus de nomination. Cela n'est pas pertinent puisque le Tribunal n'a pas compétence sur le processus de classification, tel qu'expliqué ci-dessus.

58 Pour ce qui est du processus de nomination, les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP précisent qu'un processus est transparent lorsque les renseignements concernant les stratégies, les décisions, les lignes directrices et les pratiques sont communiqués ouvertement et en temps opportun. Le Tribunal estime que l'intimé a été transparent. Les lignes directrices de l'intimé sur le choix du processus de nomination étaient affichées sur son site Intranet. L'intimé avait informé les plaignants dès 2008 qu'il envisageait de doter les nouveaux postes par un processus non annoncé, comme l'indique le diaporama de la session d'information pour les employés du 17 novembre 2008. Pour chaque nomination, l'intimé a déposé en preuve une justification écrite qui démontre comment le choix du processus non annoncé respecte les critères établis et les valeurs de dotation. Pour tous les postes dotés, l'intimé a affiché sur Publiservice la Notification de candidature retenue qui informe tous les employés dans la zone de sélection qu'ils peuvent rencontrer une personne ressource pour discuter de la nomination. Il a également affiché sur Publiservice la Notification de nomination ou de proposition de nomination qui informe les employés dans la zone de sélection de leur droit de porter plainte.

59 Les plaignants soutiennent que ce nombre de processus de nomination non annoncés est excessif. L'intimé a fait 30 nominations non annoncés. Les plaignants soutiennent que cela va à l'encontre des recommandations de la CFP qui stipule dans son document Série d'orientation – Choix du processus de nomination (le guide de la CFP) qu'elle « s'attend à que [sic] « les processus annoncés deviennent la norme ».

60 Le Tribunal note d'abord que ce document n'est pas une directive au sens des articles 16 et 29(3) de la LEFP. Comme l'explique la CFP dans ses arguments écrits, il s'agit d'un guide qui ne lie pas les administrateurs généraux.

61 Le Tribunal note également que l'article 33 de la LEFP accorde expressément au gestionnaire délégataire le choix entre un processus annoncé et un processus non annoncé et cette disposition ne prévoit aucune préférence pour l'un ou l'autre des processus. Quoi qu'il en soit, rien ne démontre que l'utilisation de processus non annoncés était « la norme ». Les plaignants n'ont pas présenté de preuve qu'il s'agit là d'une situation généralisée. L'intimé se trouvait dans une situation bien particulière. Il a constaté que les descriptions de travail de 30 de ses employés ne reflétaient plus leurs tâches et il devait régulariser la situation. Doter les postes par des processus annoncés aurait pu leur faire perdre leur emploi tel qu'expliqué ci-dessus.

62 Le Tribunal rejette donc l'allégation que l'intimé a abusé de son pouvoir en choisissant de doter les postes par des processus non annoncés.

Question II :  L'intimé a-t-il bien évalué les personnes nommées?

63 Les plaignants allèguent que les personnes nommées ont été mal évaluées.

64 Pour ce qui est de MM. Goring et Henning, les plaignants appuient leur allégation sur le fait que Mme Chouinard, une collègue, a observé leur travail et était d'avis qu'ils ne possédaient les connaissances requises. M. Goring devait installer un système de téléphonie et M. Henning devait en mettre un en marche et, selon le témoignage de Mme Chouinard, les deux ont failli à la tâche.

65 Le Tribunal note d'abord qu'il a jugé dans plusieurs décisions que son rôle n'est pas de réévaluer les candidats, mais plutôt de déterminer s'il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination (voir par exemple Broughton c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007 TDFP 0020).

66 Le Tribunal ne peut accepter l'allégation des plaignants. La LEFP dresse un schème bien précis pour décider de la compétence d'un candidat à un poste. L'article 30 de la LEFP prévoit que l'administrateur général peut nommer une personne à un poste si elle satisfait aux critères de mérite. En l'espèce, l'intimé a évalué les personnes nommées à partir des critères de mérite et a conclu qu'elles satisfaisaient à ces exigences. Les plaignants n'ont pas indiqué quels critères de mérite auxquels MM. Goring et Henning ne répondaient pas ou comment leur évaluation avait été fautive ou inadéquate. L'opinion très générale et subjective de Mme Chouinard, une des personnes nommées, des compétences de MM. Goring et Henning, sans référence aux critères de mérite, ne constitue pas une preuve adéquate de leur compétence.

67 La situation de Mme Chouinard est quelque peu inusitée. Les plaignants n'ont pas allégué spécifiquement qu'elle avait été mal évaluée, mais le représentant des plaignants lui a demandé si elle avait été bien évaluée et elle a répondu que non. Elle a en quelque sorte plaidé contre son propre intérêt. Elle a été évaluée par M. Ménard, son superviseur, et Mme Gratton. Son opinion est basée sur le fait qu'elle a travaillé sept mois avec M. Ménard et a observé qu'il ne possédait pas les connaissances techniques voulues pour l'évaluer. Selon elle, Mme Gratton ne possédait pas ces connaissances non plus.

68 Le Tribunal estime que les plaignants n'ont pas démontré que la nomination de Mme Chouinard constituait un abus de pouvoir. L'opinion de Mme Chouinard n'est basée que sur son évaluation subjective de la capacité de M. Ménard et de Mme Gratton de l'évaluer. Cette preuve est insuffisante. Les membres du comité d'évaluation n'ont pas à faire le même travail que la personne évaluée. Les plaignants n'ont pas précisé quelles connaissances techniques ces membres devraient posséder ou comment le supposé manque de connaissances techniques de M. Ménard et de Mme Gratton a influé sur l'évaluation de Mme Chouinard.

69 Les plaignants ont aussi soutenu que l'évaluation des candidats avait été fautive parce que les candidats s'étaient évalués eux-mêmes. Ils n'ont cependant pas présenté de preuve pour étayer leur prétention. Le Tribunal estime que la preuve indique le contraire. Mme McClelland a indiqué que les candidats n'avaient pas participé à leur évaluation. Le Tribunal note également qu'il n'y a rien de mal à ce qu'un candidat participe à son évaluation en remettant au gestionnaire son CV ou en remplissant un questionnaire comme l'a fait Mme Chouinard, pourvu que ce soit le comité d'évaluation qui décide si un candidat satisfait aux critères de mérite. Il n'y a pas de preuve dans ces plaintes qu'une instance autre que le comité d'évaluation ait décidé de l'évaluation des candidats.

70 Les plaignants ont aussi signalé qu'il y avait des similitudes entre l'évaluation de M. Ducharme et celle de M. Beaudry. Le Tribunal estime que cela n'établit pas que leur évaluation était fautive. Le Tribunal accepte l'explication fournie par Mme McClelland selon laquelle cette ressemblance est due au fait qu'ils faisaient le même travail, M. Ducharme ayant remplacé M. Beaudry lorsque ce dernier a pris sa retraite.

71 Le Tribunal rejette donc l'allégation selon laquelle les personnes nommées auraient été mal évaluées.

Question III:  L'intimé a-t-il fait preuve de favoritisme personnel et d'apparence de conflit d'intérêts?

72 Les plaignants soutiennent qu'il y a eu favoritisme personnel et apparence de conflit d'intérêts concernant une des personnes nommées. Cette personne a été évaluée par son superviseur et, selon les plaignants, les deux entretenaient une relation personnelle.

73 Le Tribunal estime que la preuve de favoritisme personnel envers cette personne ou d'apparence de conflit d'intérêts de la part de son superviseur est insuffisante. Même si c'était vrai qu'ils se côtoyaient beaucoup et qu'ils prenaient souvent des repas ensemble (il n'y a cependant pas de preuve concluante à cet effet, outre le ouï-dire de Mme Vaudrin), cela n'indiquerait pas nécessairement qu'ils entretenaient une relation personnelle. Évidement, être « un couple » constitue une relation hautement personnelle, mais ce fait, Mme Vaudrin le tient de collègues qui lui ont dit cela mais cette preuve par ouï-dire ne peut avoir plus de force probante que le témoignage sous serment de la personne nommée qui a déclaré que sa relation avec son superviseur était une relation professionnelle.

74 Le Tribunal ne peut rien inférer du fait que la première Notification de candidature retenue ait affiché le nom du superviseur de cette personne comme la personne avec qui communiquer pour plus de renseignements. Les Ressources humaines ont par la suite changé le nom de la personne à qui il fallait s'adresser pour plus d'informations pour celui de Mme Gratton. Le témoignage non contredit de la personne visée par cette allégation est que ce sont les Ressources humaines qui rédigeaient ces notifications. Il n'y a aucune preuve qu'elle ou son superviseur aient été impliqués dans le libellé de cette partie de la notification.

75 Le Tribunal rejette donc l'allégation de favoritisme personnel et d'apparence de conflit d'intérêts des plaignants.

Décision


76 Pour tous les motifs susmentionnés, les plaintes sont rejetées.


John Mooney
Vice-président

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2009-0230
Intitulé de la cause :
Sylvie Vaudrin c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada
Audience :
Du 12 au 14 octobre 2010
Date des motifs :
Le 19 juillet 2011

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
André Julien
Pour l'intimé :
Michel Girard
Pour la Commission
de la fonction publique :
Lili Ste-Marie
(représentations écrites
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