Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Par suite de sa participation à un processus de nomination interne annoncé, la plaignante a été nommée à un poste aux groupe et niveau PM-05. L’intimé a par la suite révoqué la nomination après réception d’une lettre anonyme selon laquelle le processus aurait été entaché d’irrégularités – entre autres, la plaignante n’aurait pas été qualifiée pour le poste; elle aurait été nommée simplement parce qu’elle était la fille de la gestionnaire qui avait amorcé le processus de nomination et qui avait participé à l’évaluation des candidats. La plaignante a porté plainte en vertu de l’article 74 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), au motif que la révocation n’était pas raisonnable. La gestionnaire avait préparé l’énoncé des critères de mérite pour le processus en question, en collaboration avec un conseiller en ressources humaines. Elle avait préparé également les questions de l’entrevue et le guide de cotation. La gestionnaire a mené la présélection des dossiers de candidature reçus et convoqué en entrevue les candidats qui répondaient aux critères de présélection. Toutefois, elle n’a pas pris part à l’entrevue de la plaignante en raison de son lien de parenté avec elle. Sa participation se limitait à l’évaluation des entrevues et des exercices écrits des candidats auxquels elle avait fait passer des entretiens. Une fois l’évaluation de tous les candidats terminée, il a été déterminé que seule la plaignante possédait les qualifications essentielles, à ce stade du processus. La dernière étape de l’évaluation consistait dans la vérification des références, laquelle visait à évaluer les qualifications essentielles restantes. La gestionnaire a effectué la vérification des références et déterminé que la plaignante possédait les qualifications recherchées. La gestionnaire a signé une déclaration concernant sa participation dans le processus de sélection et ladite déclaration précisait qu’elle n’avait pas de lien de parenté avec aucun des candidats. Elle a déclaré qu’elle avait signé cette déclaration par erreur tout en ajoutant que son lien de parenté avec la plaignante était notoire au ministère et qu’elle avait présenté la plaignante comme sa fille à plusieurs des personnes ayant pris part à son évaluation et aux processus d’enquête liés à la plainte. Sur réception de la lettre anonyme, l’intimé a amorcé une enquête. La plaignante a rencontré les enquêteurs et demandé une copie de la lettre anonyme. Les enquêteurs ont refusé de la lui communiquer tout en lui conseillant de soumettre une demande d’accès à l’information pour l’obtenir. Ils lui ont demandé si elle était la fille de la gestionnaire; ils ne lui ont posé aucune autre question précise. Le rapport d’enquête a examiné l’évaluation de l’expérience de la plaignante sur la seule base des éléments d’information figurant sur le dossier de candidature pour ensuite déterminer que la plaignante ne possédait pas les qualifications essentielles liées à l’expérience. Le rapport a fait état d’une apparence de favoritisme ou de népotisme dans le processus de nomination. Il comportait des renvois à des annexes contenant les éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête, mais la plaignante n’a pas eu l’occasion de voir ces éléments ni de répondre au contenu du rapport avant que les conclusions ne soient définitives et sa nomination révoquée. La lettre anonyme et d’autres éléments de preuve ont été divulgués à l’audience et la plaignante a déclaré que certaines des affirmations étaient incorrectes, particulièrement en ce qui concerne son expérience. Son témoignage n’a pas été contesté. Décision Le Tribunal a estimé que la révocation de la nomination de la plaignante n’était pas raisonnable. L’intimé est tenu de prendre en compte les éléments d’information fournis par les personnes touchées par une décision de révoquer une nomination. L’intimé n’a pas donné à la plaignante une occasion réelle d’être entendue par rapport à la lettre anonyme et de répondre aux accusations portées à l’encontre de sa nomination. Si l’enquête avait été menée de façon appropriée et en tenant compte de l’équité procédurale, le résultat aurait pu être différent. Les vices de procédure ont entaché le rapport d’enquête à un point tel qu’on ne saurait s’y fier pour une décision aussi importante que la révocation d’une nomination. Dans la mesure où la plaignante n’a pas eu d’occasion réelle d’être entendue, le processus d’enquête ne peut être considéré comme raisonnable. En outre, la décision de révoquer la nomination de la plaignante reposait sur des éléments d’information insuffisants. Les enquêteurs ont choisi de façon arbitraire d’interroger seulement les employés actuels de l’intimé; ils ont ainsi omis de prendre contact avec deux des membres du comité d’évaluation, y compris la gestionnaire. D’autre part, l’intimé s’est fié à l’opinion des enquêteurs sur l’expérience de la plaignante sans tenir compte d’autres éléments d’information à sa portée, ce qui l’a mené à la conclusion non fondée que la plaignante ne répondait pas aux critères essentiels. La décision de l’intimé de révoquer la nomination (à partir de cette conclusion sans fondement) était donc indéfendable. Quoique l’existence d’une relation familiale étroite entre un candidat et un gestionnaire d’embauche ou un membre de comité d’évaluation soit loin d’être une situation idéale et qu’elle puisse susciter des préoccupations, cela ne veut pas nécessairement dire que la nomination du candidat n’est pas fondée sur le mérite. L’existence d’une telle relation ne mène pas automatiquement à une présomption de favoritisme pas plus qu’elle n’est un motif systématique de révocation. Plainte accueillie. Mesures correctives En vertu de l’article 76 de la LEFP, le Tribunal a ordonné l’annulation de la révocation de la nomination de la plaignante ainsi que la réintégration de cette dernière au poste, dans les trente jours suivant la décision, avec effet rétroactif à la date de la révocation.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2010‑0219
Rendue à:
Ottawa, le 21 juillet 2011

KRISTA MCMILLAN
Plaignante
ET
LE SOUS-­MINISTRE D’AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte de révocation déraisonnable en vertu de l’article 74 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est accueillie
Décision rendue par:
Joanne B. Archibald, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
McMillan c. le sous‑ministre d’Affaires indiennes et du Nord Canada
Référence neutre:
2011 TDFP 0020

Motifs de la décision


Introduction


1 La plaignante, Krista McMillan, a été nommée au poste d’agente principale de programme en éducation (le poste d’APPE) au groupe et au niveau PM-05 à Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC). Après avoir reçu une lettre anonyme au sujet du processus de nomination, AINC a mené une enquête par suite de laquelle le sous-ministre d’AINC (l’intimé) a informé la plaignante que sa nomination était révoquée pour cause d’erreurs et omissions dans le processus de nomination. L’intimé a pris cette mesure en vertu de l’article 15(3) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), lequel est libellé comme suit :

15. (3) Dans les cas où la Commission autorise un administrateur général à exercer le pouvoir de faire des nominations dans le cadre d’un processus de nomination interne, l’autorisation doit comprendre le pouvoir de révoquer ces nominations — et de prendre des mesures correctives à leur égard — dans les cas où, après avoir mené une enquête, il est convaincu qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée.

2 Quand une nomination est révoquée en vertu de l’article 15(3), la LEFP prévoit qu’une plainte peut être présentée au Tribunal. En effet, l’article 74 stipule que :

74. La personne dont la nomination est révoquée par la Commission en vertu du paragraphe 67(1) ou par l’administrateur général en vertu des paragraphes 15(3) ou 67(2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle la révocation n’était pas raisonnable.

3 Après la révocation de sa nomination, la plaignante a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’article 74.

Contexte


4 AINC a mené un processus de nomination interne annoncé visant la dotation du poste d’APPE. Vingt et un employés, dont la plaignante, ont répondu à l’annonce de possibilité d’emploi. Les candidats ont été présélectionnés au regard de qualifications liées aux études et à l’expérience. Quinze candidats répondaient aux critères de présélection et ont été invités à passer une entrevue et un examen écrit. Il a été établi qu’une seule candidate, la plaignante, possédait les qualifications évaluées à cette étape. Ses références ont ensuite été vérifiées, et elle a été jugée qualifiée. Une notification de nomination ou de proposition de nomination annonçant que la candidature de la plaignante était proposée en vue d’une nomination a été publiée le 14 octobre 2009. Le 15 octobre 2009, la plaignante s’est vu offrir une nomination au poste, qu’elle a acceptée le 22 octobre 2009. Aucune plainte n’a été présentée au Tribunal concernant la nomination de la plaignante.

5 Une lettre anonyme datée du 16 septembre 2009 a été envoyée à Michael Wernick, sous-ministre, AINC, concernant la nomination de la plaignante. Cette lettre indiquait que la directrice de l’éducation, Katherine Knott, était responsable de la nomination de la plaignante, qui est sa fille. Selon la lettre, la nomination n’était pas fondée sur le mérite, la plaignante n’avait pas été entièrement évaluée et n’était de toute façon pas qualifiée.

6 Pour donner suite à cette lettre, l’intimé a lancé une enquête menée par deux enquêteurs. En janvier 2010, les enquêteurs ont présenté leur rapport, dans lequel ils exprimaient leurs préoccupations. Ils ont relevé certaines lacunes en ce qui a trait à la nomination de la plaignante, dont les suivantes :

  1. Le lien de parenté entre Mme Knott et la plaignante; le fait que Mme Knott a omis de le signaler sur le formulaire Déclaration signée par les personnes présentes; le conflit d’intérêts, réel ou perçu, causé par le lien de parenté;
  2. La conclusion des enquêteurs selon laquelle la plaignante n’a pas démontré qu’elle possédait les qualifications essentielles liées à l’expérience.

[traduction]

7 Les enquêteurs recommandaient notamment la révocation de la nomination de la plaignante et la réintégration de celle-ci à son ancien poste d’agente subalterne de programme en éducation (ASPE). Le 25 février 2010, l’intimé a accepté la recommandation des enquêteurs. Par l’entremise de lettres datées du 1er et du 26 mars 2010, l’intimé a avisé la plaignante de la révocation de sa nomination au poste d’APPE et de sa réintégration au poste d’ASPE. Plus particulièrement, dans la lettre du 1er mars 2010, l’intimé a informé la plaignante de ce qui suit :

L’enquête a permis de conclure qu’un certain nombre d’erreurs et d’omissions avaient été commises et avaient eu une incidence sur la nomination. Par ailleurs, certaines décisions et pratiques montrent qu’il y a eu favoritisme. Ainsi, la nomination ne répondait pas aux exigences de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et de l’Instrument de délégation et de responsabilisation en matière de nomination.

[...]

À la lumière de ces constatations et en vertu du paragraphe 15(3) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, j’ai décidé de révoquer votre nomination [...].

[traduction]

Questions en litige


8 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’enquête menée par l’intimé respectait-elle l’équité procédurale?
  2. Le résultat de l’enquête était-il raisonnable?
  3. La révocation de la nomination de la plaignante était-elle raisonnable?

Éléments de preuve pertinents


Le processus d’évaluation

Preuve présentée par la plaignante

9 La plaignante a déclaré qu’elle avait commencé à travailler au sein d’AINC il y a 11 ans à un poste de commis de niveau CR-03. À ce titre, elle collaborait avec des écoles fédérales et exerçait les fonctions d’adjointe administrative. Pendant un an, elle a travaillé comme adjointe administrative pour le directeur de l’éducation. Il y a environ cinq ans, elle a été nommée au poste d’ASPE au bureau de Brantford. Dans le cadre de ses fonctions, elle appuyait l’exécution des programmes, avait un contact direct avec des membres des Premières Nations, contribuait à l’organisation de réunions nationales, fournissait des renseignements à l’administration centrale d’AINC et travaillait directement avec les APPE.

10 La plaignante a déclaré qu’elle avait entendu dans une conversation qu’un processus de nomination allait être lancé pour doter le poste d’APPE. Par la suite, elle a reçu un courriel annonçant la tenue du processus. Elle a décidé de poser sa candidature pour acquérir de l’expérience en participant à un processus d’évaluation et, si elle était nommée, pour avoir l’occasion de travailler de plus près avec des membres des Premières Nations.

11 L’énoncé des critères de mérite (ECM) pour le poste d’APPE contenait des qualifications relatives aux études et à l’expérience, lesquelles ont servi à la présélection des candidats. Ces qualifications sont les suivantes :

  • Diplôme d’études secondaires ET agencement acceptable d’études, de formation et d’expérience permettant d’exercer, au niveau approprié, les fonctions attribuées à l’agent(e) principal(e) de programme en éducation.
  • Expérience de la mise en œuvre de programmes d’éducation ou de l’administration scolaire.
  • Expérience de l’exécution de programmes fédéraux en collaboration avec les Premières [N]ations.

12 Dans son témoignage, la plaignante a affirmé qu’elle estimait répondre aux critères de présélection. Elle est titulaire d’un diplôme d’études secondaires et, au moment de la tenue du processus de nomination, elle avait quatre ans d’expérience à titre d’ASPE. De plus, en administrant les programmes exécutés par le bureau de Brantford d’AINC, elle avait acquis de l’expérience en matière d’élaboration et de révision de propositions et de rapports, de collaboration étroite avec les Premières Nations, d’affectation de fonds aux Premières Nations et de traitement de documents afin de veiller à ce que les paiements soient effectués en temps opportun.

13 Le 9 février 2009, la plaignante a posé sa candidature. Le 23 mars 2009, elle a été informée qu’il avait été déterminé qu’elle répondait aux critères de présélection. Son entrevue devait avoir lieu le 15 avril 2009.

14 La plaignante a déclaré qu’après avoir reçu la notification, elle s’était préparée pour son entrevue. Elle a étudié en se servant de l’ECM, du site Web d’AINC et de documents auxquels elle avait accès au travail. Elle a également discuté avec des APPE au sujet de leur travail.

15 L’entrevue de la plaignante a été menée par un comité d’évaluation constitué de Kris Hill, employée du ministère, et d’Abram Benedict, représentant des Premières Nations. La plaignante a déclaré qu’à son entrevue, M. Benedict et Mme Hill lui avaient posé une question d’introduction pour la mettre à l’aise. Ils lui ont ensuite posé une série de questions et remis un exercice écrit qui consistait à répondre à une lettre.

16 Au cours de l’entrevue, les membres du comité d’évaluation ont demandé à la plaignante de nommer des personnes qui pourraient fournir des références à son sujet; elle a fourni deux noms.

17 Comme il a été indiqué plus haut, la plaignante a par la suite été avisée que sa candidature était prise en considération en vue d’une nomination et, le 22 octobre 2009, elle a accepté une nomination au poste d’APPE à Brantford, en Ontario.

Preuve présentée par Katherine Knott

18 Mme Knott est la mère de la plaignante. Elle a déclaré qu’elle avait travaillé pour AINC pendant 32 ans et qu’elle était partie à la retraite le 15 septembre 2009. Au cours de ses 15 dernières années d’emploi, elle a occupé le poste de directrice de l’éducation. Elle a décrit l’unité au sein de laquelle travaillent l’ASPE et l’APPE, et a précisé qu’il n’y avait aucun niveau intermédiaire entre les deux postes. Le poste d’APPE constitue l’échelon qui suit directement celui d’ASPE.

19 Mme Knott a déclaré que le 9 octobre 2008, elle avait signé une demande d’intervention en ressources humaines (DIRH) en vue de la dotation anticipée du poste d’APPE pour les bureaux de Brantford et de Thunder Bay. Elle préparait régulièrement des DIRH pour des postes d’enseignant, d’assistant scolaire, de conseiller en programmes et de surintendant. Mme Knott a expliqué que la première étape du lancement d’un processus de nomination consistait à préparer et soumettre la DIRH, puis d’obtenir l’approbation de l’équipe de la haute direction, et enfin de recevoir l’approbation du Comité de gestion des ressources humaines pour procéder à une nomination.

20 Une fois la DIRH approuvée par l’équipe de la haute direction, Mme Knott a préparé l’ECM. Elle a déclaré qu’elle avait d’abord travaillé à l’élaboration de l’ECM avec un conseiller en ressources humaines d’AINC qui a ensuite été remplacé par Elda Ratford, conseillère principale en ressources humaines (qui est maintenant retraitée). Après avoir terminé l’ECM, Mme Knott a préparé les questions d’entrevue et le guide de cotation. Elle ne se souvenait pas du moment exact où elle avait préparé les questions, mais elle se rappelait que c’était au cours de la période de décembre 2008 à février 2009. Mme Knott a déclaré qu’elle n’avait pas élaboré les questions de vérification des références ni l’échelle de cotation, et que les deux documents lui avaient été envoyés par les Ressources humaines.

21 Mme Knott a indiqué que la date de clôture du processus était au départ le 2 février 2009, mais qu’elle avait été reportée au 9 février 2009. Elle ne se souvenait pas de la raison de ce changement, mais a précisé que celui-ci avait dû être effectué en consultation avec les Ressources humaines, probablement parce que trop peu de demandes avaient été reçues. Le report de la date permettait à plus de gens de poser leur candidature.

22 Mme Knott a affirmé qu’elle avait effectué la présélection des 21 demandes reçues. La présélection visait à déterminer si les postulants possédaient les qualifications relatives aux études et à l’expérience précisées dans l’ECM. Mme Knott a souligné que dans sa demande, la plaignante avait indiqué qu’elle était titulaire d’un diplôme d’études secondaires et qu’elle occupait le poste d’ASPE depuis octobre 2007. En outre, elle indiquait qu’elle avait aidé les APPE à exécuter trois programmes. Mme Knott s’est également fondée sur sa connaissance personnelle des fonctions exercées par les ASPE, qu’elle connaissait bien, étant donné qu’à titre de directrice de l’éducation, elle était assistée directement par ceux-ci. Les fonctions des ASPE consistaient notamment à répondre aux questions sur les programmes, à analyser des données, à fournir des renseignements sur les paiements aux membres des Premières Nations et à informer les APPE au sujet d’incidents particuliers. Mme Knott savait que la plaignante avait de l’expérience à titre d’ASPE et fournissait un soutien aux APPE dans l’exécution d’un certain nombre de programmes fédéraux administrés par sa direction. Mme Knott a jugé que la plaignante répondait aux critères relatifs aux études et à l’expérience sur la base du dossier de candidature de celle-ci, de sa connaissance personnelle des fonctions du poste d’ASPE ainsi que du travail de la plaignante à titre d’ASPE.

23 Il a été déterminé que 15 candidats répondaient aux critères de présélection, et ceux-ci ont été convoqués en entrevue.

24 Mme Knott a déclaré qu’elle n’avait pas pris part à l’entrevue de la plaignante en raison de leur lien de parenté. Elle a été remplacée par Mme Hill, qui était alors APPE, mais qui avait été jugée qualifiée pour le poste de gestionnaire régionale de l’éducation au bureau de Brantford et qui devait y être nommée sous peu. Mme Knott a affirmé qu’elle avait estimé qu’il convenait qu’elle se retire de l’entrevue, mais pas de l’ensemble du processus d’évaluation. Elle a pris cette décision, car elle se souvenait d’un processus de nomination où elle était candidate et où son frère faisait partie du comité d’évaluation; celui-ci avait alors choisi de ne pas prendre part à son entrevue.

25 Mme Knott a affirmé qu’elle n’avait évalué que les entrevues et les examens écrits des candidats qu’elle avait reçus en entrevue. Elle n’a pas participé à l’évaluation de l’entrevue et de l’examen écrit de la plaignante; M. Benedict et Mme Hill s’en sont chargés. Une fois l’évaluation des entrevues et des examens écrits terminée, il a été déterminé que seule la plaignante possédait les qualifications essentielles à cette étape.

26 Mme Knott a expliqué que la dernière étape de l’évaluation de la plaignante consistait à vérifier les références; celles-ci servaient à évaluer les qualifications essentielles qu’étaient l’entregent, le jugement, le tact et la faculté d’adaptation. Mme Knott a effectué la vérification des références en communiquant avec un répondant, et a déterminé que la plaignante possédait ces qualifications. Mme Knott a ajouté qu’au cours du mois d’octobre 2009, après son départ à la retraite, elle était retournée au bureau afin de participer à une discussion informelle avec au moins quatre candidats dont la candidature n’avait pas été retenue.

27 Mme Knott a reconnu que Mme Ratford, après avoir examiné le dossier du processus de nomination, lui avait conseillé d’obtenir deux références et des exemples des qualités visées par la vérification des références. Or, Mme Knott était d’avis que ce n’était pas nécessaire. Un nombre considérable de courriels échangés par Mme Knott et Mme Ratford a été présenté en preuve. Mme Knott a examiné la série de courriels et a affirmé que ceux-ci ne constituaient pas un compte rendu complet de leurs discussions et ne témoignaient pas de toutes les mesures prises relativement aux préoccupations de Mme Ratford.

28 Mme Knott a reconnu qu’il s’agissait de sa signature sur le formulaire Déclaration signée par les personnes présentes, lequel a servi à identifier les personnes responsables du processus de présélection. L’énoncé suivant figurait dans le document :

J’ai pris connaissance de la liste des candidats et, pour autant que je sache, je ne suis apparenté(e) à aucun d’entre eux; de plus, les rapports que j’aurais pu avoir avec eux ne sont pas de nature à influencer ma décision.

[traduction]

29 Mme Knott a indiqué que quand elle avait signé ce document, le 14 mars 2009, elle avait compris qu’elle attestait ainsi qu’elle s’acquitterait de sa responsabilité d’effectuer la présélection des candidats. En relisant le document, elle a reconnu qu’elle n’aurait pas dû le signer, car elle avait bel et bien un lien de parenté avec la plaignante. Elle a aussi reconnu qu’elle avait commis la même erreur quand elle a signé une deuxième fois le formulaire Déclaration signée par les personnes présentes pour la participation au comité. Elle a toutefois indiqué que son lien avec la plaignante était bien connu à AINC et qu’au fil des ans, elle avait personnellement présenté sa fille à plusieurs personnes qui allaient plus tard prendre part à l’évaluation et au processus d’enquête visés par la plainte. Elle a déclaré que Tom Pettie, directeur des ressources humaines pour la région de l’Ontario, Mme Ratford, Stephen White, directeur général régional associé par intérim (Sud) et Leigh Jessen, directrice générale régionale associée pour l’Ontario, étaient tous au courant de leur lien de parenté.

Preuve présentée par Tom Pettie

30 M. Pettie, directeur des ressources humaines à AINC pour la région de l’Ontario, a déclaré qu’il était au courant du fait que Mme Knott s’était retirée de l’entrevue de la plaignante et qu’elle l’avait personnellement avisé qu’elle avait pris cette décision parce que la candidate était sa fille. Il a affirmé que cette mesure lui « semblait appropriée » [traduction]. Il ne se rappelait pas si elle avait parlé d’autres mesures qu’elle allait prendre pour garantir l’intégrité du processus. Il a discuté une autre fois avec Mme Knott au sujet de retards qui auraient pu influer sur l’achèvement du processus, mais n’a pas joué d’autre rôle dans l’affaire et n’a pris connaissance de la lettre anonyme qu’un mois après sa réception, alors que la plaignante avait déjà été nommée au poste d’APPE.

Le processus d’enquête

31 Comme il a été indiqué plus haut, le 16 septembre 2009, une lettre anonyme a été envoyée à M. Wernick. Cette lettre est ainsi rédigée :

Je vous écris parce que je commence à être vraiment frustré par les pratiques de dotation au bureau de Brantford d’AINC. Récemment, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase est que la directrice de l’éducation (Katherine Knott) a promu sa fille à un poste PM-05. Sa fille n’est même pas qualifiée pour un poste PM-02, mais Mme Knott l’a quand même nommée, et maintenant, elle lui fait sauter trois autres niveaux. Quel culot! Sa fille occupait un poste CR-02 il y a quelques années. Et les Ressources humaines ne font rien, alors qu’elles devraient mettre fin à ce népotisme! J’ai entendu dire que c’est la directrice elle-même qui avait préparé les questions d’entrevue, et que sa fille n’avait même pas été complètement évaluée. Elle a reçu une offre d’emploi à un niveau supérieur, non pas grâce à son mérite personnel, mais à cause de son lien de parenté avec la directrice! Il s’agit d’un abus de pouvoir, et il est évident que les Ressources humaines sont de mèche : ne doivent-elles pas examiner les mesures de dotation afin de s’assurer qu’elles respectent les valeurs de dotation? Pourquoi y a-t-il des valeurs de dotation si personne ne s’en soucie?

[traduction]

32 La plaignante a déclaré que le 1er décembre 2009, Mme Hill l’avait avisée qu’une lettre de plainte avait été reçue au sujet de sa nomination au poste d’APPE. La plaignante a immédiatement écrit à M. White pour l’informer qu’elle avait été avisée verbalement qu’une lettre de plainte avait été envoyée au sous-ministre concernant sa nomination, laquelle faisait alors l’objet d’une enquête.

33 Le 4 décembre 2009, la plaignante a reçu une réponse écrite de Sylvie Deschamps, directrice générale associée, Direction générale des Services de ressources humaines et du milieu du travail, qui confirmait qu’une enquête avait été lancée concernant le processus de nomination. Mme Deschamps a ajouté :

Dans le cadre de cette enquête, nous rencontrerons des employés actuels d’AINC ayant joué un rôle dans le processus de nomination afin d’obtenir davantage de renseignements. Étant donné que le résultat de cette enquête pourrait avoir une incidence sur votre nomination, nous vous donnons l’occasion de vous exprimer. Des représentants du ministère seront au bureau d’AINC de Toronto, soit le lundi 14 décembre ou le mardi 15 décembre pour mener des entrevues. Veuillez indiquer à Martin Dinan, conseiller en affectation des ressources, d’ici le mardi 8 décembre en fin de journée, si vous souhaitez rencontrer les représentants du ministère à l’une ou l’autre de ces dates. [...] Veuillez noter que vous pouvez être accompagnée ou représentée par la personne de votre choix.

[traduction]

34 La plaignante a déclaré qu’elle a ensuite pris rendez-vous avec les enquêteurs. Avant la rencontre, elle a téléphoné à M. Dinan pour lui demander une copie de la lettre anonyme, mais il a refusé de lui en fournir une. Elle a reconnu qu’il lui avait quand même fourni quelques renseignements sur l’enquête, précisant notamment qu’elle concernait sa mère.

35 La plaignante a affirmé qu’elle avait assisté à l’entretien en compagnie de John C. Peters, avocat. L’entretien a été mené par les enquêteurs, M. Dinan et Genevieve Trothier. La plaignante a déclaré qu’au cours de l’entretien, elle avait à nouveau demandé une copie de la lettre anonyme. M. Dinan avait indiqué qu’il examinerait la question et lui avait suggéré de présenter une demande d’accès à l’information (AIPRP) afin d’obtenir la copie.

36 La plaignante a déclaré que les enquêteurs n’avaient pas de questions particulières à lui poser, mais que M. Dinan lui avait demandé si elle avait quelque chose à dire. Elle a répondu qu’elle avait étudié et travaillé fort et qu’elle méritait le poste. M. Dinan lui a également demandé si Mme Knott était sa mère, ce qu’elle a confirmé. La plaignante a affirmé que l’entretien n’avait pas duré plus de dix minutes et que M. Dinan lui avait indiqué que l’enquête se terminerait en janvier 2010.

37 La plaignante a déclaré qu’en décembre 2009, elle avait présenté une demande d’AIPRP afin d’obtenir une copie de la lettre anonyme. Or, au début de janvier 2010, avant qu’elle ait obtenu une réponse, AINC lui a fourni ce qu’elle demandait. Elle n’a pas communiqué avec les enquêteurs à ce moment-là et n’a reçu aucune autre invitation d’AINC ou des enquêteurs afin de discuter de la lettre anonyme après que celle-ci lui a été fournie.

38 Les éléments de preuve dont est saisi le Tribunal montrent certaines mesures qui ont été prises par AINC pour préparer la réponse de M. White à la lettre que la plaignante lui avait envoyée le 1er décembre 2009. Le 4 janvier 2010, M. Pettie a demandé à M. Dinan de formuler des commentaires sur une ébauche de réponse. L’ébauche en question n’a pas été présentée à l’audience. Toutefois, la réponse de M. Dinan à M. Pettie montre qu’il avait été question de certains changements à y apporter. M. Dinan a écrit :

Ma seule suggestion serait d’enlever une partie de la dernière phrase (« et que vous aurez l’occasion d’exprimer vos préoccupations »). En rencontrant [la plaignante] le 15 décembre, nous avons satisfait à l’exigence de la Politique sur les mesures correctives et les révocations (« Avant qu’on prenne une mesure corrective ou la décision de révoquer une nomination, l’occasion de s’exprimer sera offerte aux personnes dont la nomination ou la nomination proposée est touchée par la décision. »).

Nous offrirons très probablement à Krista l’occasion d’exprimer ses préoccupations une fois qu’une décision aura été prise. Toutefois, je ne le mentionnerais pas dans la lettre.

[traduction]

39 Le 6 janvier 2010, à la suite de son entretien avec les enquêteurs, la plaignante a reçu la réponse de M. White à sa lettre du 1er décembre 2009. Dans l’avant-dernier paragraphe de la lettre, M. White reconnaissait qu’il n’était pas facile de faire l’objet d’une enquête et a assuré à la plaignante que celle-ci serait menée de manière impartiale. La lettre ne mentionne pas que la plaignante aurait l’occasion de s’exprimer, de répondre au rapport d’enquête ou de fournir d’autres observations.

40 La plaignante a déclaré que le 8 mars 2010, elle avait reçu une lettre de M. Wernick à laquelle était jointe une copie du rapport. Cette lettre indiquait que « l’enquête avait permis de conclure qu’un certain nombre d’erreurs et d’omissions avaient été commises et avaient eu une incidence sur la nomination » [traduction]. Elle indiquait également que « certaines décisions et pratiques montrent qu’il y a eu favoritisme » [traduction]. Par la même occasion, M. Wernick a annoncé à la plaignante qu’il révoquait sa nomination au poste d’APPE le 1er mars 2010 et qu’il la réintégrait à son ancien poste d’ASPE. Étant donné que la lettre de révocation comportait des erreurs, celle-ci a été corrigée et envoyée de nouveau le 26 mars 2010.

41 Le rapport décrivait l’examen effectué par les enquêteurs concernant la façon dont l’expérience de la plaignante avait été évaluée. Après avoir énuméré les qualifications relatives à l’expérience et la description que la plaignante a faite de sa propre expérience dans son dossier de candidature, les enquêteurs ont conclu ce qui suit :

L’expérience décrite par Mme McMillan est en grande partie d’ordre administratif. Ce paragraphe ne contient aucun renseignement démontrant clairement que la candidate possède les qualifications essentielles relatives à l’expérience.

[traduction]

42 Les enquêteurs ont souligné que c’était Mme Knott, à titre de membre du comité d’évaluation, qui avait effectué la présélection, et ils ont affirmé que le rapport du comité de présélection ne justifiait pas la décision de retenir la candidature de la plaignante à la présélection. Les enquêteurs ont conclu que les critères relatifs à l’expérience n’avaient pas été évalués, que la candidature de la plaignante aurait dû être rejetée à la présélection et que la nomination de celle-ci n’était pas fondée sur le mérite.

43 Les enquêteurs ont souligné le lien de parenté entre la plaignante et Mme Knott et ont reconnu que les autres membres du comité d’évaluation et une conseillère en ressources humaines en avaient connaissance. Le rapport précise que Mme Knott n’a pas pris part à l’entrevue de la plaignante et que le formulaire Déclarations signées par les personnes présentes n’avait pas été rempli de manière à témoigner de leur lien de parenté. Les enquêteurs ont remarqué que pour une raison inconnue, la date de clôture du processus de nomination avait été reportée au 9 février 2009, date à laquelle la plaignante a présenté sa candidature. Ils ont conclu qu’il y avait apparence de favoritisme ou de népotisme dans le processus de nomination et ont relevé des lacunes sans lien direct avec le processus en l’espèce et qui concernent la documentation et l’organisation du dossier de dotation en ressources humaines.

44 Le rapport comportait des renvois à des annexes contenant les éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête. Cependant, les annexes n’y avaient pas été jointes. Dans sa lettre, M. Wernick enjoignait à la plaignante de communiquer avec M. Dinan pour poser des questions ou obtenir des éclaircissements.

45 Les courriels échangés par la plaignante et M. Dinan les 9 et 10 mars 2010 indiquent que quand la plaignante a communiqué avec ce dernier, il lui a suggéré de se référer au processus de plainte du Tribunal.

46 Le 10 mars 2010, la plaignante a demandé par courriel à M. Dinan de lui fournir les annexes du rapport. M. Dinan lui a répondu le 11 mars 2010 que « compte tenu de la gravité du dossier » [traduction], elle devrait présenter une demande d’AIPRP afin de les obtenir. Rien ne montre que la plaignante a eu l’occasion de voir les renseignements sur lesquels l’intimé s’est fondé ou de répondre au contenu du rapport ou aux constatations en découlant avant qu’elles ne soient définitives et que sa nomination ne soit révoquée.

47 La plaignante a présenté une demande d’AIPRP le 11 mars 2010. Le 28 février 2011, elle a reçu les annexes sur un CD envoyé à son domicile par la poste régulière. Elle en avait déduit que le fait d’obtenir ces renseignements, plus de 11 mois après les avoir demandés, ne constituait pas une réponse à sa demande d’AIPRP, mais découlait plutôt du processus de divulgation formel associé à la tenue d’une audience devant le Tribunal.

Réponse de la plaignante aux détails de la lettre anonyme

48 Devant le Tribunal, la plaignante a abordé plusieurs questions soulevées dans la lettre anonyme. Elle a déclaré que quand la lettre lui a été fournie après l’entrevue avec les enquêteurs, ceux-ci ne lui ont jamais donné l’occasion d’en discuter avec eux.

49 La plaignante a déclaré qu’elle n’avait jamais occupé de poste CR-02 comme l’affirmait l’auteur de la lettre anonyme. Elle a souligné qu’elle était qualifiée pour le poste PM-02 et que ce n’était pas Mme Knott qui l’y avait nommée. Elle a nié qu’elle avait été promue au poste PM-02 par sa mère, Mme Knott. Par ailleurs, elle a affirmé qu’elle avait été nommée au poste d’APPE sur la base du mérite et non parce qu’elle avait un lien de parenté avec Mme Knott.

50 La plaignante a émis des réserves quant au temps qu’AINC a mis pour donner suite à la lettre anonyme, faisant valoir que presque un mois s’était écoulé entre le moment où AINC a reçu la lettre anonyme et celui où elle a accepté la nomination au poste d’APPE, le tout sans qu’aucune mesure ne soit prise. Elle a également souligné que son changement d’échelon salarial pour le poste d’APPE avait été bloqué à partir du moment de sa nomination en octobre 2009 jusqu’en mars 2010.

51 La plaignante a déclaré qu’elle estimait que tous les employés du bureau de Brantford savaient qu’elle était la fille de Mme Knott, tout comme certains employés d’autres bureaux d’AINC. C’était notamment le cas de M. White, qui a envoyé la lettre d’offre pour le poste d’APPE, de M. Pettie et de Mme Ratford. Par ailleurs, le rapport d’enquête se fondait sur des registres ministériels montrant que la plaignante et Mme Knott avaient le même numéro de téléphone, et il était sous-entendu qu’elles vivaient ensemble. Or, la plaignante a affirmé que les registres n’étaient pas à jour : elle vit avec son conjoint et ses enfants et n’habite plus avec sa mère depuis plusieurs années.

52 Le témoignage de la plaignante n’a pas été contesté.

Argumentation de la Commission de la fonction publique

53 La Commission de la fonction publique (CFP) n’était pas représentée à l’audience, mais a présenté des observations écrites. En l’espèce, les Lignes directrices de la Commission de la fonction publique en matière de mesures correctives et de révocations (les Lignes directrices en matière de révocations) s’avèrent pertinentes. En effet, l’article 16 de la LEFP oblige expressément les administrateurs généraux à se conformer aux lignes directrices de la CFP. La CFP a énoncé dans les Lignes directrices en matière de révocations la nécessité de donner aux personnes visées une occasion réelle de présenter des faits pertinents et de faire examiner leur position de façon exhaustive et juste. Elle souligne que « [p]our les administrateurs généraux et les administratrices générales, les étapes les plus importantes consisteront : à prendre en compte les renseignements fournis par les personnes touchées par la mesure, à exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable, et à communiquer la décision et ses motifs à toutes les personnes concernées ».

Analyse


54 Pour les motifs qui vont suivre, le Tribunal estime que la révocation de la nomination de la plaignante au poste d’agente principale de programme en éducation (PM-05) n’était pas raisonnable.

Question 1 :  L’enquête menée par l’intimé respectait-elle l’équité procédurale?

55 Comme l’a fait remarquer la CFP dans ses observations, les Lignes directrices en matière de révocations exigent que les administrateurs généraux prennent en compte les renseignements fournis par les personnes touchées par la décision de révoquer une nomination. Cette exigence est conforme à l’obligation d’équité procédurale qui est reconnue dans la jurisprudence. Ainsi, dans la décision Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 22, la Cour suprême a expliqué que les droits procéduraux requis par l’obligation d’équité comprennent « la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur ».

56 Les éléments de preuve dont est saisi le Tribunal ne sont pas contredits : la plaignante n’a pas été informée du contenu de la lettre anonyme et n’a obtenu une copie de celle-ci qu’un certain temps après avoir rencontré les enquêteurs. Personne ne lui a demandé de répondre directement à son contenu après que le rapport a été diffusé, et elle n’a pas pu prendre connaissance des éléments de preuve sur lesquels l’intimé s’est fondé et n’a pas eu l’occasion d’y répondre. Le Tribunal souligne que selon la preuve, la plaignante s’est fait dire d’utiliser le processus officiel d’accès à l’information pour obtenir la lettre anonyme et les annexes du rapport.

57 L’intimé a eu plusieurs occasions évidentes de s’acquitter de son obligation de fournir à la plaignante une possibilité réelle de répondre à la lettre anonyme. Il aurait pu, par exemple, répondre rapidement à sa missive du 1er décembre 2009 en lui remettant la lettre anonyme et en lui demandant une réponse. Il aurait pu lui remettre la lettre en vue de son entretien avec les enquêteurs, le 15 décembre 2009. Il aurait aussi pu l’inviter à répondre aux éléments de preuve avant de rendre sa décision finale. L’échange de courriels du 4 janvier 2010 montrait, au mieux, que l’intimé était peu empressé de s’acquitter de son obligation à l’égard de la plaignante. Il est tout simplement inexact de laisser entendre que le 15 décembre 2009, l’intimé a fourni à la plaignante une occasion réelle de s’exprimer. Sans connaître le contenu de la lettre anonyme et la nature des accusations concernant sa nomination, la plaignante n’était pas en mesure de répondre à ce qui lui était reproché. Par ailleurs, il est incompréhensible qu’en dépit de la gravité de l’affaire, l’intimé ait décidé de ne pas divulguer certains renseignements à la plaignante et de lui demander de présenter une demande d’accès à l’information afin d’obtenir des renseignements de première importance.

58 Les Lignes directrices en matière de révocations stipulent expressément que « [l]es administrateurs généraux et les administratrices générales doivent respecter : […] l’équité procédurale dans le processus suivi pour appliquer les mesures correctives et la révocation, tout particulièrement le droit à une audience et le droit à une enquête juste ». Comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué au paragraphe 90 de la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 :

[Ces arrêts fondateurs] ont fait de l’équité procédurale un principe fondamental du droit administratif canadien dont l’objectif primordial se conçoit aisément : dans l’exercice de ses pouvoirs publics, le décideur administratif doit agir avec équité lorsqu’il rend une décision touchant les droits d’un administré. Autrement dit [traduction], « [l]e respect de l’équité dans la procédure est essentiel à la notion d’exercice “équitable” du pouvoir » (Brown et Evans, p. 7-3).

59 Le fait que l’intimé a finalement fourni les renseignements manquants à la plaignante n’a diminué en rien l’importance de son manquement à l’équité procédurale ni atténué son incidence sur le droit de la plaignante de se faire entendre. Quand il a enfin remis une copie de la lettre anonyme à la plaignante, l’intimé ne lui a même pas offert la possibilité d’y répondre. Ainsi, comme il est expliqué ci-dessous, l’enquête était incomplète et superficielle. Si elle avait été menée de façon appropriée et en tenant compte de l’équité procédurale, et si l’intimé avait offert à la plaignante l’occasion de répondre en bonne et due forme à la lettre anonyme et de présenter son point de vue, le résultat de l’enquête aurait pu être différent. Les vices de procédure ont compromis la fiabilité du rapport d’enquête pour une décision aussi importante que celle de révoquer une nomination.

Question 2 :  Le résultat du processus d’enquête était-il raisonnable?

60 Le Tribunal estime qu’étant donné que la plaignante n’a pas eu d’occasion réelle de s’exprimer, le processus d’enquête ne peut être considéré comme raisonnable. En raison de deux erreurs importantes dans la conception et la réalisation de l’enquête, la décision de révoquer la nomination de la plaignante était fondée sur des renseignements inadéquats.

61 La première erreur réside dans le fait que, comme l’a indiqué Mme Deschamps dans sa lettre du 4 décembre 2009, les enquêteurs avaient choisi de ne rencontrer que des employés actuels. Devant le Tribunal, l’intimé n’a donné aucune explication quant à cette restriction. Le Tribunal juge que par suite de cette décision arbitraire les enquêteurs n’ont pas eu accès à certains renseignements pertinents. Mme Knott, qui était partie à la retraite, a donc été exclue de l’enquête sans raison valable, alors qu’elle possédait une connaissance personnelle considérable du processus de nomination et de la sélection de la plaignante. Par conséquent, le Tribunal conclut que le processus d’enquête était incomplet. En effet, d’autres personnes qui se trouvaient exclues, notamment M. Benedict, auraient pu apporter une contribution utile à l’enquête et donc au bien-fondé de la décision de révoquer la nomination.

62 L’autre erreur tient au fait que l’intimé s’est fondé sur l’opinion des enquêteurs au sujet de l’expérience de la plaignante, lesquels ont conclu que celle-ci ne possédait pas les qualifications essentielles relatives à l’expérience. Nul ne conteste que les enquêteurs n’ont jamais communiqué avec Mme Knott, qui a effectué la présélection des candidats, il n’a pas été démontré en preuve que quiconque a envisagé de la joindre. La pertinence du témoignage que Mme Knott a présenté au Tribunal est incontestable. Les connaissances de Mme Knott ainsi que son opinion au sujet de l’expérience de la plaignante n’ont pas été remises en question. Comme le Tribunal l’a indiqué au paragraphe 53 de la décision Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024, la connaissance personnelle d’un membre du comité de sélection constitue une méthode d’évaluation dont il est question à l’article 36 de la LEFP. En interrogeant Mme Knott, les enquêteurs auraient pu se rendre compte qu’elle avait une connaissance personnelle des fonctions exercées par un ASPE et par la plaignante en particulier. En omettant d’obtenir son témoignage au cours de l’enquête, les enquêteurs ont négligé des renseignements importants et rendu une décision sans tenir compte de l’ensemble de l’information utilisée aux fins de la présélection. Par conséquent, leur conclusion était intenable. Et étant donné que l’intimé s’est appuyé sur cette conclusion erronée, sa décision de révoquer la nomination de la plaignante était également indéfendable.

63 En ce qui concerne le caractère adéquat de l’enquête, le Tribunal évoque une situation semblable faisant l’objet de la décision Tinney c. Procureur général du Canada, 2010 CF 605, dans laquelle la Cour examinait la question de la sélection des témoins à interroger au cours d’une enquête et a établi ce qui suit au paragraphe 28 :

La jurisprudence est claire : l’enquêteur qui examine une plainte en matière de droits de la personne n’a pas l’obligation d’interroger tous les témoins potentiels proposés ou identifiés par les parties : Miller c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), (1996), 112 A.F.C. no 735. Toutefois, il ressort clairement de la jurisprudence qu’une entrevue s’avère nécessaire lorsqu’une personne raisonnable s’attendrait à ce que des éléments de preuve utiles pour l’enquêteur puissent être obtenus à l’occasion de cette entrevue (Egan c. Canada (Procureur général), 2008 CF 649) ou encore, lorsque lorsqu’un témoin possède des renseignements qui pourraient traiter d’un fait important et lorsqu’aucune autre personne qui pourrait résoudre un aspect important et controversé n’est interrogée (Busch c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1211).

64 Il ne fait aucun doute qu’une personne raisonnable se serait attendue à ce que les enquêteurs interrogent Mme Knott, puisque c’est elle qui a établi l’ECM et qui a effectué la présélection. Étant donné que le témoignage de Mme Knott n’a pas été pris en compte, la conclusion des enquêteurs concernant la présélection s’appuyait sur une conception incomplète de cet aspect du processus de nomination, fondée uniquement sur leur opinion concernant le dossier de candidature de la plaignante.

Question 3 :  La révocation de la nomination de la plaignante était-elle raisonnable?

65 Dans la décision Goldsmith c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2010 TDFP 0020, au paragraphe 47, le Tribunal a examiné son propre rôle et l’importance d’un rapport d’enquête au moment d’instruire une plainte présentée en vertu de l’article 74 de la LEFP, et a établi ce qui suit :

Lorsqu’il décide de révoquer une nomination, l’administrateur général se fonde sur les renseignements qu’il a recueillis pendant l’enquête. Or, le rapport ne fait pas foi de son contenu. Lorsqu’il se prononce sur la question de savoir si la décision de révocation était raisonnable ou non, le Tribunal doit pouvoir examiner ces faits, voire, dans certaines situations, permettre aux parties de contester l’exactitude ou l’authenticité de ces faits. Cette contestation peut englober la présentation d’éléments de preuve qui n’avaient pas été mis à la disposition de l’administrateur général. De plus, dans certains cas, le Tribunal peut examiner la façon dont l’administrateur général a mené l’enquête, puisque cela peut l’aider à établir l’exactitude des faits sur lesquels s’est fondé l’administrateur général. Par exemple, si le Tribunal détermine que l’enquête était incomplète, il pourra être amené à douter de l’exactitude des faits présentés dans le rapport d’enquête.

(italique ajouté)

66 Comme le Tribunal l’a fait valoir plus haut, le rapport d’enquête sur lequel l’intimé s’est fondé indiquait qu’un certain nombre d’erreurs avaient été commises dans le processus de nomination. Deux de ces erreurs avaient trait à la nomination de la plaignante. La première portait sur la relation familiale étroite entre la plaignante et Mme Knott, laquelle, selon les enquêteurs, suggérait un conflit d’intérêts réel ou perçu. La seconde concernait la conclusion des enquêteurs selon laquelle la plaignante ne possédait pas les qualifications liées à l’expérience.

67 Le rôle que doit jouer le Tribunal au moment de statuer sur une plainte présentée en vertu de l’article 74 de la LEFP consiste à examiner les éléments de preuve dont il est saisi et à déterminer si, dans les circonstances, la révocation n’était pas raisonnable. Comme le Tribunal l’a indiqué plus haut, les éléments de preuve ont fait ressortir des lacunes considérables dans le processus d’enquête. Des témoins de première importance n’ont pas été interrogés, et la plaignante n’a pas eu de possibilité équitable de connaître les accusations formulées au sujet de sa nomination ou d’y répondre.

68 Le Tribunal reconnaît qu’une situation où il existe une relation familiale étroite entre un candidat et un gestionnaire d’embauche ou un membre du comité d’évaluation est loin d’être idéale, et peut en effet susciter des préoccupations. Toutefois, le Tribunal ne souscrit pas à l’idée selon laquelle l’existence d’une telle relation signifie nécessairement que la nomination du candidat ne sera pas fondée sur le mérite. Le simple fait qu’une telle relation existe ne doit pas automatiquement mener à une supposition de favoritisme et ne constitue pas systématiquement un motif pour la révocation d’une nomination. Dans le document Série d’orientation – Sélection, évaluation et nomination, la CFP explique que les gestionnaires peuvent aider à préserver l’impartialité des décisions en matière de nomination en s’assurant que les relations entre les candidats et les membres du comité d’évaluation n’influencent pas le processus d’évaluation ou ne semblent pas l’influencer. Or, il ne s’agit certainement pas d’une obligation : il n’est pas interdit à un membre du comité de participer à l’évaluation d’un membre de sa famille. Dans les rares cas où cela se produit, il faut gérer la situation avec soin afin de s’assurer que le mérite est respecté, tout en gardant à l’esprit que le fait de traiter un employé de manière défavorable en raison de sa situation familiale pourrait constituer une pratique discriminatoire en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6.

69 Le Tribunal juge qu’aucun élément de preuve ne contredit la position de la plaignante et de Mme Knott selon laquelle leur lien de parenté était connu de beaucoup de personnes, y compris de personnes en autorité. Il est étonnant que nul ne soit intervenu plus tôt afin d’éviter toute apparence de conflit d’intérêts, mais le Tribunal remarque que Mme Knott elle-même a pris l’initiative de se retirer de l’entrevue. Rien ne suggère que le lien de parenté a eu une incidence sur le processus de nomination ou sur toute décision prise dans le cadre de celui-ci. Le fait que le formulaire Déclaration signée par les personnes présentes n’avait pas été rempli correctement constitue une erreur attribuable uniquement à Mme Knott, et non à la plaignante, et il n’a pas été démontré que cette erreur a influé sur le respect du mérite. Par ailleurs, quant à savoir si la plaignante possédait les qualifications essentielles en matière d’expérience, son dossier de candidature de même que le témoignage non contredit de Mme Knott concernant le travail que la plaignante effectuait à titre d’ASPE démontrent que la décision de présélection était bel et bien fondée.

70 Le Tribunal juge que la décision de substituer l’évaluation de l’expérience de la plaignante effectuée par les enquêteurs à celle qui avait été effectuée par Mme Knott n’était pas fondée. Les enquêteurs ont limité leur examen post facto de l’expérience de la plaignante au dossier de candidature; ils n’étaient probablement pas au courant des données informatives dont disposait Mme Knott au niveau personnel, étant donné qu’ils ne l’ont pas interrogée.

71 Après avoir soupesé tous les éléments de preuve présentés, le Tribunal conclut que la plaignante a démontré que la décision de révoquer sa nomination n’était pas raisonnable. L’intimé ne s’est pas acquitté de son obligation d’équité procédurale envers la plaignante, obligation énoncée dans les Lignes directrices en matière de révocations. Au paragraphe 17 de la décision Nagulesan c. Canada, 2004 CF 1382, la Cour a conclu ce qui suit : « On ne peut ignorer un manquement à l’équité procédurale que s’il n’y a aucun doute que cela n’a eu aucun effet important sur la décision ». Le Tribunal estime que la nature du manquement a véritablement eu une incidence néfaste sur la possibilité accordée à la plaignante de se défendre contre les accusations portées à son endroit. Par ailleurs, le manquement à l’équité procédurale a nui à la capacité de l’intimé de prendre une décision raisonnable et éclairée concernant la nomination de la plaignante, et en fin de compte concernant la révocation de celle-ci.

Décision


72 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est accueillie. La révocation de la nomination de la plaignante au poste d’agente principale de programme en éducation (PM-05) n’était pas raisonnable.

Ordonnance


73 En vertu de l’article 76 de la LEFP, le Tribunal ordonne que la révocation de la nomination de la plaignante soit annulée et que, dans les trente (30) jours suivant cette décision, la plaignante soit réintégrée au poste d’agente principale de programme en éducation (PM-05), rétroactivement à la date de la révocation de la nomination, comme si la révocation n’avait pas eu lieu.


Joanne B. Archibald
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2010‑0219
Intitulé de la cause :
Krista McMillan et le sous‑ministre d’Affaires indiennes et du Nord Canada
Audience :
Le 5 et 6 avril 2011
Hamilton, Ontario
Date des motifs :
Le 21 juillet 2011

COMPARUTIONS

Pour la plaignant :
John C. Peters
Pour l'intimé :
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
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