Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Selon le plaignant, il y aurait, en matière d’emploi, des pratiques de discrimination raciale dans les bureaux de la région de l’Ontario de l’intimé, y compris en ce qui le concerne personnellement dans ce processus de nomination. Il a ajouté que l’intimé n’a pas respecté les politiques du Conseil du Trésor et du Service correctionnel du Canada (SCC) concernant l’équité en matière d’emploi ni la législation s’y rapportant; que dans ce processus l’intimé n’a pas appliqué les critères de mérite de façon appropriée; que deux des membres du comité d’évaluation ont fait preuve de parti pris contre lui en raison de ses activités syndicales antérieures. L’intimé a nié toutes les allégations tout en faisant remarquer que l’appartenance à un groupe visé par l’équité en emploi constituait un besoin organisationnel dans ce processus. Décision Le Tribunal a estimé que dans l’ensemble, même s’ils étaient avérés, les événements et actions relatés par le plaignant et les témoins cités par ce dernier ne permettraient pas d’établir de preuve prima facie de discrimination. Le plaignant n’a pas réussi à prouver l’existence de pratiques discriminatoires par rapport aux promotions au moment du processus de nomination. En outre, le Tribunal a jugé que les éléments de preuve produits n’étaient pas suffisants pour établir que la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale du plaignant étaient un facteur déterminant dans la décision de ne pas nommer ce dernier à l’un des postes à doter dans ce processus de nomination. L’intimé a fourni une explication raisonnable et non discriminatoire quant à sa décision de ne pas nommer le plaignant. Le Tribunal a fait remarquer que s’il peut instruire des questions portant sur l’équité en emploi, il ne lui appartient de faire observer la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Le Tribunal a jugé que le plaignant n’avait pas réussi à prouver que l’intimé n’avait pas respecté les politiques du Conseil du Trésor et du SCC sur l’équité en matière d’emploi et la législation sur l’équité en matière d’emploi. Le Tribunal a conclu, d’autre part, que les critères de mérite avaient été appliqués de façon appropriée dans ce processus. Le Tribunal a examiné les réponses du plaignant et les explications fournies par l’intimé; il a conclu qu’il n’y avait pas d’abus de pouvoir dans la façon dont l’intimé a évalué les réponses du plaignant. Enfin, le Tribunal a jugé qu’un observateur relativement bien informé, appelé à examiner l’ensemble du processus et en particulier le rôle des membres du comité d’évaluation, estimerait que la preuve corrobore l’évaluation faite par le comité de la candidature du plaignant. Le Tribunal a donc conclu que le plaignant n’avait pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu parti pris de la part de deux des membres du comité d’évaluation ni qu’il existait une crainte raisonnable de partialité. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2009-0123, 0145 et 0156
Rendue à:
Ottawa, le 16 mai 2011

JEFFREY BROWN
Plaignant
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par:
John Mooney, vice-président
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Brown c. le commissaire du Service correctionnel du Canada
Référence neutre:
2011 TDFP 0015

Motifs de décision


Introduction


1 Le plaignant, Jeffrey Brown, a participé à un processus de nomination interne annoncé visant la dotation de plusieurs postes de gestionnaire correctionnel de groupe et de niveau CX-04 au Service correctionnel du Canada (SCC) (le processus de nomination en cause). Il a présenté trois plaintes au motif que l’intimé aurait abusé de son pouvoir dans le processus de nomination susmentionné. Il soutient qu’il y avait, en matière d’emploi, des pratiques de discrimination raciale dans les bureaux de la région de l’Ontario du SCC, notamment dans les nominations intérimaires et les nominations à durée indéterminée aux postes CX-04 de candidats issus des minorités visibles. Il ajoute qu’il a personnellement fait l’objet de discrimination dans ce processus de nomination. Le plaignant affirme également que l’intimé, le commissaire du SCC, n’a pas respecté les politiques du Conseil du Trésor et du SCC sur l’équité en matière d’emploi ni la législation sur l’équité en matière d’emploi, qu’il n’a pas appliqué les critères de mérite de façon appropriée dans le cadre de ce processus et que deux des membres du comité d’évaluation ont fait preuve de parti pris contre lui en raison de ses activités syndicales antérieures.

2 L’intimé nie avoir abusé de son pouvoir dans le processus de nomination visé. Il maintient en outre qu’il n’y a eu aucune discrimination contre le plaignant ni quiconque au SCC, qu’il a respecté les politiques du Conseil du Trésor et du SCC sur l’équité en matière d’emploi, et qu’il n’a pas contrevenu à la législation sur l’équité en emploi. L’intimé affirme que l’appartenance à un groupe désigné de l’équité en emploi constituait un besoin organisationnel dans le processus de nomination susmentionné. Il affirme également qu’il a appliqué les critères de mérite de façon appropriée. Enfin, l’intimé nie que les membres du comité d’évaluation ont fait preuve de parti pris contre le plaignant en raison de ses activités syndicales antérieures.

3 La Commission de la fonction publique (CFP) était présente lors des deux premiers jours de l’audience, qui a duré sept jours. Avant la reprise de l’audience, la CFP a fourni des observations écrites fondées sur les éléments de preuve qui avaient été produits jusque-là. La CFP s’est toutefois gardée de se prononcer sur la question de déterminer s’il y avait eu discrimination ou non en l’espèce. Selon elle, si les éléments de preuve permettent d’établir qu’il y a eu discrimination, cette discrimination  constituerait un abus de pouvoir.

Contexte


4 Le 9 novembre 2007, l’intimé a affiché une annonce de possibilité d’emploi sur Publiservice pour doter de façon intérimaire ou pour une période indéterminée plusieurs postes de gestionnaire correctionnel (groupe et niveau CX-04) dans la région de l’Ontario (processus de nomination 07-PEN-IA-ONT-236).

5 Plus de 100 personnes ont postulé en réponse à cette annonce. Les candidats ont fait l’objet d’une présélection en fonction des études et de l’expérience. Les candidats retenus à la présélection devaient ensuite passer un examen comprenant des questions à choix multiples qui visait à évaluer les connaissances et se soumettre à l’exercice « in-basket » pour la gestion intermédiaire 820 de la CFP et à une entrevue qui évaluait les capacités. Le plaignant a été retenu à la présélection et il a passé avec succès l’examen de connaissances ainsi que l’exercice « in-basket » pour la gestion intermédiaire 820 de la CFP. Toutefois, il a échoué à l’entrevue car il n’a pas obtenu la note de passage pour deux qualifications essentielles, soit la réflexion stratégique et les valeurs et l’éthique. En tout, 11 personnes ont été jugées entièrement qualifiées.

6 Trois notifications de nomination ou de proposition de nomination ont été diffusées respectivement le 18 février 2009 (dossier 2009-0123), le 27 février 2009 (dossier 2009-0145) et le 4 mars 2009 (dossier 2009-0156).

7 Le 24 février et le 11 mars 2009, le plaignant a présenté trois plaintes d’abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). Cette disposition stipule que la personne qui est dans la zone de recours peut présenter une plainte au Tribunal selon laquelle elle n’a pas été nommée ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir de la part de la CFP ou de l’administrateur général dans le processus de nomination. Aux fins de l’audience, les trois plaintes ont été jointes conformément à l’article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6 (le Règlement du TDFP).

8 Le plaignant a envoyé un avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) pour l’aviser qu’il avait l’intention de soulever une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne L.R.C., 1985, ch. H-6(LCDP). La CCDP a informé le Tribunal qu’elle n’avait pas l’intention de présenter d’observations en l’espèce.

Questions en litige


9 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant dans le processus de nomination visé?
  2. L’intimé a-t-il enfreint les politiques du Conseil du Trésor et du SCC sur l’équité en matière d’emploi ainsi que la législation sur l’équité en matière d’emploi dans le processus de nomination visé?
  3. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’application du mérite?
  4. Les membres du comité d’évaluation ont-ils fait preuve de parti pris contre le plaignant en raison de ses activités syndicales antérieures?

Analyse


Question I :  L’intimé a-t-il fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant dans le processus de nomination visé?

10 Aux termes de l’article 80 de la LEFP, pour déterminer si la plainte est fondée en vertu de l’article 77, le Tribunal peut interpréter et appliquer la LCDP.

11 L’article 7 de la LCDP stipule que le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi par des moyens directs ou indirects constitue un acte discriminatoire s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. L’article 3 de la LCDP énumère les motifs de distinction illicite, lesquels comprennent la race, la couleur et l’origine ethnique.

12 Le plaignant se décrit comme un Afro-canadien d’origine autochtone. Il affirme que des pratiques de discrimination raciale ont cours dans les bureaux du SCC de la région de l’Ontario en ce qui a trait à l’emploi, y compris aux nominations intérimaires ou aux nominations à durée indéterminée à des postes de gestionnaire correctionnel CX-04. Le plaignant a tenté de prouver cette allégation en présentant les éléments de preuve suivants : son témoignage ainsi que le témoignage d’employés du SCC, actuels et anciens; une vérification de la dotation menée en 2006; des preuves statistiques sur la représentation des membres des minorités visibles au SCC; une consultation pancanadienne menée en 2010 par l’administrateur général au sujet des préoccupations des employés issus des groupes minoritaires visibles par rapport à leur cheminement professionnel; des obstacles sur le plan des compétences linguistiques. Le plaignant avance que ces éléments de preuve, considérés dans leur ensemble, prouvent que les pratiques de dotation de la région de l’Ontario du SCC sont discriminatoires envers les membres des minorités visibles et qu’il a lui-même fait l’objet de discrimination dans le processus de nomination susmentionné, sur la base de motifs de distinction illicite énoncés dans la LCDP, soit la race, la couleur et l’origine nationale ou ethnique.

Le plaignant a-t-il réussi à établir une preuve prima facie de discrimination?

13 Tel qu’il est établi dans la jurisprudence du Tribunal, il revient au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination (voir, par exemple, la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008,para. 49).

14 Dans un contexte de droits de la personne, il incombe au plaignant d’établir une preuve prima facie de discrimination. Dans la décision Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 (également connue sous le nom de décision O’Malley), la Cour suprême du Canada a énoncé le critère permettant d’établir une preuve prima facie de discrimination :

28 […] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. […]

15 Pour établir une preuve prima facie, le plaignant n’a qu’à montrer que la discrimination était l’un des facteurs – pas le principal ni même l’unique facteur – dans la décision de l’intimé d’éliminer sa candidature du processus de nomination. (Voir la décision Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), para. 7).

16 Le Tribunal doit déterminer si l’allégation de discrimination formulée par le plaignant, dans la mesure où elle s’avère fondée, justifie une conclusion en faveur de ce dernier, en l’absence de réponse de l’intimé. Ainsi, à cette étape de l’analyse, le Tribunal ne peut prendre en considération la réponse de l’intimé avant d’avoir déterminé si une preuve prima facie de discrimination a été établie. (Voir la décision Lincoln c. Bay Ferries Ltd., [2004] C.A.F. 204, A.C.F. no 941 (QL), para. 22 (C.A.F.)).

17 La discrimination peut être prouvée au moyen de preuves directes ou circonstancielles ou d’une combinaison des deux. En l’espèce, toutes les preuves liées à la discrimination sont circonstancielles. Le critère à appliquer pour examiner une preuve circonstancielle a été énoncé par Beatrice Vizkelety dans l’ouvrage Proving Discrimination in Canada (Toronto : Carswell, 1987), à la page 142, dont voici un extrait :

Le critère approprié à appliquer lorsqu’il s’agit de preuves circonstancielles, lequel doit respecter la norme de la prépondérance de la preuve, peut donc être expliqué de la façon suivante : il est possible de conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l’appui rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse. [traduction]

18 Toutefois, même si le Tribunal jugeait qu’il y avait suffisamment de preuves circonstancielles pour établir l’existence de pratiques discriminatoires quant à la promotion de membres des minorités visibles aux postes de niveau CX-04, le plaignant doit tout de même démontrer qu’il existe un lien entre cette preuve et la preuve, directe et circonstancielle, de discrimination individuelle à son égard afin qu’une preuve prima facie de discrimination puisse être établie en l’espèce. (Voir les décisions suivantes : Swan c. Forces armées canadiennes, (1994) 25 C.H.R.R. 312, para. 30 (T.C.D.P.), Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9, para. 133, Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), 2001 CanLII 8492 (T.C.D.P.), para. 211).

19 Si le plaignant réussit à établir une preuve prima facie de discrimination, le fardeau de la preuve revient alors à l’intimé, qui doit fournir une explication raisonnable, non discriminatoire, de sa décision de ne pas nommer le plaignant au poste CX-04 à l’issue du processus de nomination visé.

Preuve présentée par le plaignant

20 Le plaignant a obtenu un baccalauréat ès arts ainsi qu’un certificat en criminologie et en justice pénale de l’Université de Windsor. Il a en outre reçu plusieurs distinctions, notamment un certificat de réussite pour sa participation à la résolution de questions liées à l’éthique.

21 Le plaignant possède plus de 14 ans d’expérience à titre d’agent correctionnel et d’agent de libération conditionnelle. Il a commencé à travailler pour le SCC en 1994, à titre d’agent correctionnel à un poste de niveau CX-01. En 2008, il a été retenu à l’issue d’un processus de nomination visant la dotation d’un poste d’agent de libération conditionnelle (WP-04) au Bureau de libération conditionnelle de Windsor. Il a accepté le poste et, en avril 2010, il a été muté à un poste d’agent de libération conditionnelle (WP-04) au Centre Portsmouth de Kingston, soit le centre correctionnel communautaire où il travaille encore.

22 Le plaignant a contesté le bien-fondé de plusieurs nominations (nominations intérimaires et nominations à durée indéterminée) qui ne font pas l’objet des plaintes en l’espèce. En 1997, il a postulé à un processus de nomination annoncé visant la dotation d’un poste d’agent de gestion des cas. Il a réussi la première partie du processus, mais pas la seconde. Il avance que, s’il avait été nommé à un poste intérimaire pendant l’intervalle entre les deux parties du processus, comme il l’avait demandé, à l’instar d’autres employés non issus de minorités visibles, il aurait peut-être réussi la deuxième partie de l’examen.

23 Le même scénario s’est répété en 1999 : le plaignant a participé à un processus de nomination annoncé relativement à un poste d’agent de libération conditionnelle (WP-04); il a réussi la première partie du processus, mais a échoué à la deuxième partie. Le plaignant avait sollicité un poste intérimaire pendant l’intervalle entre les deux parties du processus, mais sans succès.

24 Le plaignant a été jugé qualifié à l’issue d’un processus de nomination annoncé tenu en 2003 pour un poste d’agent de libération conditionnelle (WP-04). Son nom a été placé en onzième place sur la liste d’admissibilité, qui était valide pendant deux ans. En vertu de l’ancienne LEFP, le nom des candidats retenus était placé par ordre de mérite sur une « liste d’admissibilité », et les personnes étaient nommées dans cet ordre, au fur et à mesure que des postes devenaient vacants. Dans ce cas, toutefois, seules les deux premières personnes de la liste ont été nommées.

25 Le plaignant a affirmé que d’autres personnes non issues de minorités visibles ont obtenu des nominations intérimaires, et ce, même pendant la période où son nom figurait sur la liste d’admissibilité susmentionnée.

26 Le plaignant soutient qu’il aurait dû être nommé au terme de tous ces processus de nomination. En particulier, il avance qu’il n’a pas été nommé à ces postes en raison de sa race, de sa couleur ou de son origine ethnique, et que le Tribunal peut formuler une constatation de discrimination à l’égard de ces nominations antérieures. Il soutient également que ces pratiques discriminatoires lui ont nui dans le processus de nomination visé puisque, n’eût été des actes discriminatoires à son endroit, il aurait obtenu plus de possibilités d’intérim et de nominations à durée indéterminée et il aurait donc été mieux préparé pour le processus de nomination visé.

27 L’intimé soutient que le Tribunal n’a pas compétence en ce qui a trait aux nominations ne faisant pas l’objet des plaintes en l’espèce et que les délais de recours sont expirés depuis des années. L’intimé estime que procéder à l’audition de la preuve et des arguments relativement à ces processus de nomination antérieurs équivaudrait à statuer de nouveau sur les plaintes concernant ces processus.

28 Le Tribunal juge qu’il est habilité à examiner des incidents et des événements qui ont eu lieu dans le cadre de processus de nomination antérieurs, dans la mesure où ces incidents peuvent s’inscrire dans le contexte d’une plainte et apporter un éclairage sur le processus de nomination actuel. Le Tribunal peut, par exemple, prendre en considération une remarque raciste formulée dans un processus de nomination précédent et déterminer si cette remarque s’inscrit dans des tendances discriminatoires. Toutefois, si aux termes des articles 77 et 81 de la LEFP le Tribunal peut examiner des éléments de preuve présentés par le plaignant au sujet de son expérience dans des processus de nomination antérieurs afin de décider si la plainte d’abus de pouvoir est fondée, sa compétence porte sur le seul processus de nomination faisant l’objet de la plainte et non pas sur des nominations effectuées à l’issue de processus antérieurs.

29 À l’article 20 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique de 2000 (DORS/2000-80), pris sous le régime de l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C 1985, ch. P-33 (l’ancienne LEFP), le délai pour contester les nominations était fixé à 14 jours, tandis qu’à l’article 10 du Règlement du TDFP, pris en vertu de la LEFP actuelle, ce délai a été porté à 15 jours. Permettre la contestation de nominations longtemps après l’expiration des délais nuirait grandement à la stabilité des régimes de recours et de nomination. Les délais et les autres exigences associés au recours deviendraient futiles. D’autre part, ce serait se montrer très injuste autant envers les personnes nommées à l’issue de ces processus antérieurs qu’à l’égard de l’intimé que de les obliger à se défendre plusieurs années après les faits (la plupart des nominations remontent à des années, voire à plus de 10 ans dans un cas), dans un contexte où la plupart des éléments de preuve sont trop vieux, la mémoire peu fiable, la plupart des documents difficiles à trouver et les personnes difficiles à joindre.

30 Si le plaignant estimait qu’il aurait dû être nommé à l’issue des processus de nomination antérieurs, il aurait dû exercer ses droits de recours dans les délais prescrits, s’il se trouvait dans la zone de sélection. Le Tribunal fait remarquer que le plaignant s’est effectivement prévalu des mécanismes de recours pour le processus de nomination visant la dotation d’un poste d’agent de libération conditionnelle (WP-04) en 2003, mais pas devant la bonne instance. En effet, le plaignant a présenté un grief à cet égard à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), qui a rejeté le grief au motif qu’elle n’avait pas compétence en ce qui a trait aux questions de nomination (Brown c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 127). Le plaignant a ensuite déposé une demande de contrôle judicaire à l’encontre de cette décision, demande qui est présentement devant la Cour fédérale. S’agissant de ce même processus de nomination, l’intimé fait remarquer qu’il n’a pas nommé uniquement des personnes issues des groupes minoritaires visibles pendant que le nom du plaignant figurait sur la liste d’admissibilité; il a offert une nomination intérimaire à Carl Jack, membre d’un groupe minoritaire visible, à l’issue de ce même processus.

31 Le plaignant soutient qu’un agent a occupé un poste intérimaire pendant 10 ans. Selon le plaignant, l’intimé a offert à cette personne une série de nominations intérimaires d’une durée de moins de quatre mois afin que celles-ci soient soustraites à toute possibilité de recours. Le plaignant maintient également qu’il s’agit là d’une pratique courante. Il n’a toutefois pas fourni d’autres détails ni de preuves documentaires à l’appui de cette allégation. Le plaignant n’a pas non plus appelé l’agent en question à témoigner. Le Tribunal juge qu’il n’y a pas suffisamment de preuves à l’appui de cette allégation. Il fait également observer que, si le plaignant estimait que l’intimé usait des procédés irréguliers pour soustraire les nominations intérimaires aux mécanismes de recours, il aurait dû interjeter appel en vertu de l’article 21 de l’ancienne LEFP ou présenter une plainte en vertu de l’article 77 de la LEFP actuelle à l’encontre de ces nominations intérimaires. Le plaignant aurait alors pu avancer que l’intimé mettait fin de façon artificielle aux périodes de nomination pour les soustraire aux mécanismes de recours et contourner l’ancienne et l’actuelle LEFP. Le Comité d’appel ou le Tribunal aurait alors déterminé si l’appel devait être accueilli ou si la plainte était fondée.

32 Le plaignant avance également que, bien qu’ayant constamment indiqué dans son plan de perfectionnement professionnel qu’il aimerait occuper des postes intérimaires d’agent correctionnel (CX) et d’agent de libération conditionnelle (WP) – les employés du SCC passent souvent d’un groupe à l’autre –, il ne s’est vu offrir que deux nominations intérimaires en 15 ans : l’une à un poste d’agent correctionnel (CX-02) en 1997-1998, et l’autre à un poste d’agent de libération conditionnelle (WP-04) en 2004, cette dernière nomination n’ayant duré que 12 jours. Selon le plaignant, ces faits montrent qu’il y avait des pratiques discriminatoires dans les processus de nomination menés au SCC.

33 Le Tribunal juge qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer cette allégation. Le plaignant a été nommé deux fois à des postes intérimaires, et il s’est vu offrir une troisième nomination intérimaire à Gravenhurst, au nord de Kingston, mais il l’a refusée car il estimait qu’il lui faudrait alors vendre sa maison.

34 Il existe également des éléments de preuve attestant que des membres de groupes minoritaires visibles ont obtenu des possibilités de nomination intérimaire à des postes des groupes CX et WP. Trois des témoins cités à comparaître par le plaignant, qui étaient issus de groupes minoritaires visibles, ont affirmé en contre-interrogatoire qu’ils avaient obtenu des nominations intérimaires :

  • M. Jack a obtenu une nomination intérimaire à un poste d’agent correctionnel (CX-02) en 1994, une nomination intérimaire à un poste d’agent de libération conditionnelle (WP-03) en février 1997 et une autre, à un poste qu’il n’a pas précisé, en mars 2005.
  • DeVoe Dyettea obtenu une nomination intérimaire à un poste CX en 1997, un intérim de gestionnaire correctionnel d’une durée de cinq mois, avec interruptions, en 2008‑2009, un intérim de gestionnaire correctionnel (CX‑04) d’une durée de huit mois, avec interruptions, en 2009‑2010 et, enfin, une nomination intérimaire à un poste de gestionnaire correctionnel (CX‑04) de janvier à avril 2010.
  • Donovan Blair a obtenu une nomination intérimaire à un poste du Bureau de libération conditionnelle de Hamilton à trois reprises et a occupé un poste intérimaire au Bureau de libération conditionnelle de Toronto en 1995-1996, puis au Bureau de libération conditionnelle de Peel en 1999-2000. L’intimé lui a également offert un poste intérimaire il y a deux mois, mais il a refusé l’offre parce qu’il étudie à temps plein.

35 Le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve qui lui permette de déterminer si le nombre des nominations intérimaires obtenues par le plaignant et ses témoins se situe dans la moyenne ou non. Le plaignant n’a présenté aucune statistique indiquant que des personnes ne faisant pas partie de groupes minoritaires visibles ont obtenu davantage de nominations intérimaires que les membres des groupes minoritaires visibles dans la région de l’Ontario. Les seuls éléments de preuve produits par le plaignant sont de nature anecdotique, et le Tribunal ne peut donc en tirer aucune conclusion.

36 Le plaignant a déclaré que Ron Fairley, sous-directeur, a fait preuve de discrimination envers lui en 2002 lorsqu’il a refusé de donner suite à la recommandation du gestionnaire et du superviseur de l’unité du plaignant selon laquelle ce dernier devrait être choisi pour participer à un plan de planification de la relève visant à promouvoir l’avancement accéléré des candidats à des postes de gestion. Le plaignant a précisé que ce programme accéléré visait expressément les employés issus des groupes minoritaires visibles. M. Jack a affirmé que ce programme accéléré n’est jamais entré en vigueur. M. Fairley n’a pas été cité à comparaître, et le plaignant n’a présenté aucune autre preuve concernant ce programme. Le Tribunal ne peut donc rien déduire d’un refus opposé au plaignant il y a longtemps et qui n’a au demeurant aucun lien avec le processus de nomination en l’espèce.

37 Le plaignant a fait allusion à deux plaintes de harcèlement qu’il a déposées contre M. Fairley. L’une de ces plaintes a fait l’objet d’une enquête par le conseiller régional en matière de harcèlement du SCC, et l’autre plainte a été traitée par la CCDP. Le plaignant n’a pas expliqué si ces plaintes étaient liées à un motif de distinction illicite en vertu de la LCDP. Le Tribunal fait remarquer que les deux enquêtes ont mené à la conclusion que M. Fairley n’avait pas harcelé le plaignant. Le Tribunal juge que le plaignant n’a pas présenté de preuves suffisantes à l’appui de son allégation au sujet de M. Fairley.

38 Les employés qui souhaitaient occuper le poste de gestionnaire correctionnel (CX-04) à titre intérimaire devaient d’abord passer un examen de compétences. Le plaignant s’est soumis à cet examen en 2006, mais il a échoué. Il a déclaré qu’il s’agissait simplement d’un examen de connaissances, et qu’il a été très surpris de son échec, d’autant plus qu’il l’avait trouvé facile. Le plaignant a affirmé que l’examen était injuste, mais il n’a pas établi de lien entre l’examen et les pratiques discriminatoires.

Preuve présentée par d’autres agents correctionnels au sujet des processus de nomination

39 Le plaignant a appelé à comparaître cinq collègues, actuels et anciens, tous membres de groupes minoritaires visibles. Ces témoins – MM. Jack, Dyette et Blair, Garth Bowen et Kenny Roberts – ont témoigné au sujet de leur expérience de travail au SCC. Aucun d’entre eux n’a participé au processus de nomination en l’espèce.

40 La plupart des témoins ont affirmé que des motifs de distinction illicite avaient influé sur des nominations antérieures, y compris sur des nominations intérimaires, et qu’ils ne s’étaient pas vu offrir la possibilité d’occuper les postes vacants qui auraient pu être dotés de façon intérimaire.

41 L’intimé s’est opposé à l’admission de la preuve de faits similaires au motif que celle-ci n’était pas pertinente en l’espèce. Le Tribunal a pour sa part déterminé que la preuve était admissible. Le Tribunal a donc admis en preuve les témoignages des agents correctionnels au sujet de processus de nomination antérieurs, ainsi que de mesures disciplinaires et d’autres incidents, et les a considérés comme des preuves de faits similaires. (Voir, par exemple, la décision Swan.) À la lumière de cette preuve, et pour les motifs énoncés ci-dessous, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à démontrer un lien suffisant entre la preuve de faits similaires et la plainte dont il est saisi. Par conséquent, le Tribunal accorde peu de poids à cette preuve circonstancielle.

42 M. Jack, qui a commencé à travailler pour le SCC en 1994 à titre d’agent correctionnel, a contesté plusieurs processus de nomination auxquels il a participé, sans succès, au cours des quinze dernières années. Par exemple, en 2002, il a postulé à un poste d’agent de libération conditionnelle, mais sa demande a été rejetée car elle avait été présentée avec un retard de deux mois. Rien ne permet de conclure que le fait que M. Jack fasse partie d’un groupe minoritaire visible ait eu quoi que ce soit à voir avec le refus d’accepter sa candidature. M. Jack a déposé une plainte de discrimination raciale à la CCDP à l’encontre de cette décision. Le 27 juin 2005, la CCDP, à la suite d’une enquête, a refusé d’en saisir le Tribunal canadien des droits de la personne au motif que la plainte était fondée sur des faits survenus plus d’un an avant son dépôt et que les actes de l’intimé ne semblaient pas être motivés par la discrimination.

Preuve présentée par d’autres agents correctionnels au sujet de mesures disciplinaires et d’autres incidents

43 Les témoins appelés à comparaître par le plaignant ont également fait allusion à plusieurs mesures disciplinaires qui, selon le plaignant, permettent d’établir l’existence d’une tendance de pratiques discriminatoires. Le Tribunal n’est pas enclin à accorder quelque poids que ce soit aux preuves de faits similaires concernant des mesures disciplinaires ou d’autres incidents, puisque celles-ci proviennent de témoins qui ont soit formulé des allégations générales, soit présenté des allégations précises portant sur des personnes. Le plaignant n’a pas réussi à établir qu’il y avait un lien entre ces personnes et la plainte dont le Tribunal est saisi. Celui-ci ne peut donc accorder aucune valeur à cette preuve circonstancielle.

44 M. Bowen a été embauché par le SCC à titre d’agent correctionnel au printemps 1991. Il a perdu son emploi il y a plus de quinze ans parce qu’il s’était comporté de façon déplacée en embrassant une collègue. Le plaignant soutient qu’il s’agit là d’un incident qui témoigne de la discrimination exercée à l’encontre des minorités visibles étant donné que des employés non issus de groupes minoritaires visibles ont commis des actes plus graves sans pour autant perdre leur emploi. Le Tribunal fait remarquer que M. Bowen a présenté un grief à l’encontre de sa cessation d’emploi, lequel a été rejeté à l’étape ministérielle. Il a ensuite porté son grief devant l’instance connue alors sous le nom de Commission des relations de travail dans la fonction publique, mais il en est finalement venu à une entente avec la SCC.

45 M. Roberts a commencé à travailler pour le SCC en 1987, à un poste d’agent correctionnel. Son emploi a pris fin en 2006 en raison d’un incident survenu en septembre 2005 au pénitencier de Kingston, incident auquel était mêlé un détenu ayant la réputation d’être violent. L’emploi de M. Roberts a pris fin parce qu’il a été déterminé qu’il avait eu recours à une force excessive contre le détenu. M. Roberts a déclaré que sa cessation d’emploi était plutôt motivée par la discrimination raciale et que cette punition était trop sévère par rapport aux actes répréhensibles commis par d’autres agents non issus de groupes minoritaires visibles. M. Roberts a formulé un grief à l’encontre de sa cessation d’emploi et a ensuite soumis ce grief à la CRTFP, qui l’a rejeté. M. Roberts a choisi de ne pas soulever la question de la discrimination auprès de la CRTFP.

46 M. Blair a commencé à travailler pour le SCC en 1991. L’intimé lui a imposé une sanction disciplinaire en 1997 parce qu’il avait passé une nuit supplémentaire à l’hôtel à l’occasion d’une conférence à laquelle il avait assisté pour le travail. M. Blair a affirmé que cette mesure disciplinaire était motivée par la discrimination raciale. Il a formulé un grief à l’encontre de cette mesure disciplinaire à l’étape ministérielle, mais il est finalement parvenu à une entente à cet égard avec l’intimé.

47 M. Jack a affirmé que l’intimé l’avait réprimandé verbalement en raison de la façon dont il s’était adressé à un agent de race blanche pour lui dire de cesser de cacher les clés du pénitencier. M. Jack n’a pas précisé la date à laquelle cet incident a eu lieu.

48 Le Tribunal estime que le plaignant n’a pas réussi à établir l’existence de pratiques discriminatoires par la présentation de ces preuves liées à des mesures disciplinaires, et ce, pour les raisons suivantes : la plupart des incidents ont eu lieu bien avant le processus de nomination visé par les plaintes, ils ont déjà fait l’objet de procédures de grief (dans deux cas, le grief a été réglé par une entente) et aucun de ces incidents n’est lié au processus de nomination en l’espèce.

49 M. Bowen a fait référence à un incident survenu au début des années 1990. Le sous-directeur de ce qui semble être l’établissement de Collins Bay aurait formulé des « remarques à caractère raciste » [traduction] à l’endroit de détenus pendant une visite de l’établissement. M. Bowen n’a toutefois pas précisé exactement les propos qui ont été tenus. Le Tribunal souligne qu’il s’agit là de double ouï-dire : M. Bowen n’était pas présent pendant cette visite, et il a entendu cette remarque d’un agent qui l’avait également entendue de quelqu’un d’autre; en outre, la preuve concernant l’endroit précis où la visite a eu lieu n’est pas claire non plus.

50 M. Jack a relaté un incident où un agent de race blanche l’a traité de « traître » [traduction] en 1994. De plus, au cours de cette même année, M. Jack a surpris une conversation entre plusieurs agents, qu’il n’a toutefois pas reconnus, qui faisaient des remarques désobligeantes sur les Noirs.

51 M. Jack a fait allusion à un autre incident, survenu le 20 mai 2004 à l’établissement de Pittsburg. La Commission nationale des libérations conditionnelles avait organisé un séminaire à l’intention des détenus. Étant donné que plusieurs détenus posaient des questions en même temps au conférencier, ce dernier a décidé de choisir un détenu pour poser les questions. Le conférencier a choisi la question au hasard en récitant une comptine qui contenait des remarques racistes inappropriées. Le conférencier, qui a présenté ses excuses le jour même pour son manque de jugement, ne travaillait pas pour l’intimé, mais bien pour la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui constitue une organisation tout à fait distincte. Cet incident ne peut donc pas être reproché à l’intimé.

52 M. Dyette a également affirmé dans son témoignage qu’il y avait de la discrimination à l’encontre des minorités visibles dans les bureaux du SCC de la région de l’Ontario. M. Dyette a été embauché en 1991 à titre d’agent correctionnel (CX-01) au SCC, puis il a été nommé à un poste de niveau CX-02 en 1997. M. Dyette a affirmé que celui qui occupait à l’époque le poste de directeur général du Centre régional de traitement lui avait dit en 2006 qu’il essayait de mettre fin à son emploi en raison d’un courriel qu’il avait envoyé à un autre employé. Dans ce courriel, M. Dyette insinuait que le gestionnaire de l’unité du Centre régional de traitement du pénitencier de Kingston avait mis fin à sa nomination intérimaire de façon inappropriée en 1996. Dans un courriel en date du 14 décembre 2006 adressé à M. Dyette, le directeur général a nié avoir proféré une telle menace. M. Dyette travaille toujours pour le SCC. De plus, tel qu’il a été mentionné plus haut, M. Dyette a obtenu une nomination intérimaire au poste de gestionnaire correctionnel pour une durée de cinq mois, avec interruptions, en 2008-2009, et une autre à un poste de niveau CX-04 pendant huit mois, avec interruptions, à partir de 2009.

53 M. Dyette a déclaré d’autre part qu’il avait été mêlé à une affaire disciplinaire où le même gestionnaire avait mené l’enquête, avait présidé l’audience relative à l’enquête et avait pris la décision au sujet des mesures disciplinaires. M. Dyette n’a pas fourni au Tribunal suffisamment de détails concernant cet incident pour lui permettre de tirer quelque conclusion que ce soit à cet égard. De plus, M. Dyette n’a pas établi la raison pour laquelle il serait inapproprié que le même gestionnaire mène l’enquête et prenne la décision concernant les mesures disciplinaires.

Vérification de la dotation réalisée en 2006

54 Le plaignant a fait référence à une vérification de la dotation réalisée par le SCC en 2006, selon laquelle il y avait plusieurs irrégularités sur le plan de la dotation dans la région de l’Ontario. Pour cette raison, le pouvoir de dotation que la CFP avait délégué à cette région lui a été retiré. Le Tribunal souligne que le rapport de vérification fait état d’irrégularités portant sur une documentation insuffisante par rapport aux mesures de dotation, mais qu’il n’établit aucun lien entre les irrégularités de dotation et les pratiques discriminatoires reprochées à l’intimé. Par conséquent, le Tribunal ne peut accorder de poids à cette preuve circonstancielle.

Statistiques sur la représentation des minorités visibles

55 Le plaignant soutient que la sous-représentation des minorités visibles au sein du groupe CX, particulièrement dans le groupe de la direction, constitue une preuve de discrimination systémique. Le plaignant a fait référence à plusieurs rapports indiquant que les membres des groupes minoritaires visibles sont sous-représentés dans l’ensemble de la fonction publique. Il a notamment fait référence au Seizième rapport annuel au Premier ministre sur la fonction publique du Canada, publié le 31 mars 2009 par Kevin G. Lynch, greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet. Ce rapport indique que le pourcentage de membres de minorités visibles dans la fonction publique en 2008 était de 10,3 %, tandis que leur taux de disponibilité dans la population active (DPA) correspondait à 12,6 %. Le plaignant a également cité un document intitulé Aperçu du Programme d’équité en matière d’emploi du Service correctionnel du Canada, publié en août 2008. Dans le tableau 5 de la page 13 de ce document, il est indiqué qu’il y a un employé issu d’un groupe minoritaire visible et occupant un poste de niveau EX moins 1 dans la région de l’Ontario du SCC et cinq employés membres de minorités visibles dans des postes de niveau EX moins 2 dans tout le SCC. Le plaignant a également fait référence à un rapport préparé en avril 2008 par la Direction des stratégies en gestion des ressources humaines, intitulé Analyse du groupe professionnel CX au SCC : 1999-2008. Ce rapport indique que 5,6 % des employés du groupe CX sont issus de groupes minoritaires visibles. Malheureusement, le rapport ne précise pas la DPA pour ce groupe.

56 Selon la preuve produite, il semblerait donc que les minorités visibles soient sous-représentées dans la fonction publique dans son ensemble et qu’il y ait peu de membres des groupes minoritaires visibles dans le groupe de la direction de la région de l’Ontario du SCC. Le plaignant n’a toutefois pas présenté de preuve au sujet de la représentation des minorités visibles dans le groupe CX ou dans des postes de niveau CX-04 dans la région de l’Ontario au moment où le processus de nomination a été mené, preuve qui aurait été utile en l’espèce. Le Tribunal ne peut donc pas tirer de conclusion significative au sujet de la représentation des minorités visibles à des postes de ce groupe et de ce niveau précis. Par conséquent, une certaine valeur a été accordée à la preuve circonstancielle présentée sous forme de statistiques, mais cette preuve est insuffisante pour permettre au Tribunal de conclure que des pratiques discriminatoires ont été appliquées à l’encontre des membres des groupes minoritaires visibles ayant postulé au processus de nomination en l’espèce. (Voir la décision Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), [2001] D.C.D.P. no 20, para. 229 (QL)).

57 Par ailleurs, même s’il y avait eu une preuve statistique de la sous-représentation des minorités visibles au niveau CX-04, il ne serait pas nécessairement possible d’en conclure que cette sous-représentation découle de la discrimination systémique, comme l’a expliqué le membre Hadjis aux paragraphes 236 et 237 de la décision Chopra (QL) :

[…] Toutefois, en l’absence d’un examen plus détaillé des politiques en place et des exercices de dotation en personnel, on ne peut être certain que la discrimination systémique soit la cause de la sous-utilisation. Une analyse plus approfondie pourrait, par exemple, démontrer qu’il n’y a pas suffisamment de membres de ce groupe qui se portent candidats en vue de promotions. On pourrait alors se demander pourquoi il en est ainsi, et des recherches plus poussées pourraient démontrer qu’un certain traitement discriminatoire n’est pas étranger à cette situation. Cependant, je crois que le simple fait de se fier au taux d’utilisation sans faire une plus ample analyse n’aide pas vraiment à établir une preuve circonstancielle de discrimination.

Eu égard à tous les motifs précités, j’ai conclu que le témoignage de Mme Weiner au sujet de la preuve statistique de discrimination n’est guère utile en l’espèce et ne constitue certes pas en soi une preuve circonstancielle suffisante à première vue de « discrimination personnelle », conformément aux allégations formulées dans la plainte du Dr Chopra.

Consultations menées en 2010

58 Le 16 mars 2010, Don Head, l’actuel commissaire du SCC, a annoncé par courriel aux employés qui s’étaient identifiés comme membres de groupes minoritaires visibles qu’il allait faire la tournée des régions du pays pour discuter de leurs préoccupations et recueillir leurs points de vue sur ce qu’ils percevaient comme des obstacles à leur avancement professionnel. Le plaignant soutient qu’il s’agit là d’un signe que M. Head reconnaissait l’existence d’une discrimination systémique à l’encontre des minorités visibles.

59 Le Tribunal accorde peu de poids à cette preuve. En effet, aucune preuve n’a été produite au sujet des circonstances ayant mené à ces consultations. Celles-ci ont eu lieu trois ans après le processus de nomination en cause, et aucun élément de preuve n’établit de lien entre ces consultations et l’allégation de l’existence de discrimination au moment où l’intimé a procédé aux nominations découlant du processus de nomination visé. Le Tribunal ne peut donc pas tirer les conclusions souhaitées par le plaignant à la lumière de cette preuve, celle-ci ne rendant pas la conclusion de discrimination plus probable que d’autres conclusions ou hypothèses possibles. En effet, il serait également possible de conclure que les initiatives de M. Head sont une indication que l’intimé se souciait du bien-être des minorités visibles et qu’il souhaitait les consulter pour connaître les problèmes auxquels ils devaient faire face.

Maîtrise de la langue française

60 Le plaignant soutient que l’exigence de compétence en français pour les nominations constitue un obstacle pour les minorités visibles, particulièrement dans un contexte où aucun membre des minorités visibles n’a jamais eu l’occasion de suivre de formation linguistique. Selon lui, de nombreux membres des minorités visibles ne maîtrisent pas le français étant donné qu’ils ne viennent pas de pays francophones.

61 Le Tribunal fait remarquer que le plaignant n’a fourni aucun élément de preuve à cet égard, de sorte que rien ne permet de conclure que la maîtrise du français est un obstacle pour les membres des minorités visibles qui posent leur candidature pour un poste d’agent correctionnel. Même si un tel élément de preuve avait été présenté, la compétence linguistique ne peut tout de même pas être considérée comme un obstacle dans le processus de nomination visé puisque la compétence dans les langues officielles demandée dans l’annonce de possibilité d’emploi indiquait : « exigences linguistiques diverses », soit « anglais essentiel » et « bilingue impératif ». De plus, l’énoncé des critères de mérite précisait que la capacité de s’exprimer dans d’autres langues que le français et l’anglais était une qualification constituant un atout. Le Tribunal juge donc qu’il n’existe aucune preuve attestant que la candidature du plaignant a été éliminée du processus de nomination au motif que celui-ci ne maîtrisait pas le français.

62 En conclusion, le Tribunal estime que dans l’ensemble, même avérés, les événements et actions relatés par le plaignant et les témoins cités par ce dernier ne permettent pas d’établir de preuve prima facie de discrimination. Le plaignant soutient qu’il y a des pratiques de discrimination raciale dans la région de l’Ontario du SCC en ce qui a trait aux nominations intérimaires et aux nominations à durée indéterminée de candidats membres des minorités visibles pour des postes CX-4. Or, il n’a pas réussi à prouver l’existence de ces pratiques discriminatoires en ce qui a trait aux promotions au moment où le processus de nomination a été mené. Par ailleurs, même s’il avait réussi à démontrer l’existence de tendances de pratiques discriminatoires, il aurait tout de même fallu qu’il établisse le lien nécessaire entre cette preuve de discrimination et la preuve de discrimination individuelle à son encontre fondée sur la race ou encore l’origine nationale ou ethnique. À la lumière des éléments de preuve produits, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à établir le lien nécessaire. (Voir la décision Chopra, au para. 211 (QL)). Le Tribunal tient donc pour avéré, à la lumière de la preuve produite par le plaignant, que celui-ci a obtenu deux nominations intérimaires et qu’il s’en est vu offrir une troisième, qu’il a refusée, avant la tenue du processus de nomination en cause. Aspect plus important encore, en 2006, le plaignant s’est soumis à l’examen de compétences pour l’intérim au poste CX-04, mais il a échoué.

63 La preuve susmentionnée n’est pas suffisante pour établir que la race, la couleur ou encore l’origine ethnique ou nationale du plaignant ont influé sur la décision de ne pas nommer ce dernier à un poste CX-04 à l’issue du processus de nomination visé.

Explication raisonnable, sans caractère discriminatoire

64 Bien que la conclusion ci-dessus soit suffisante pour statuer sur l’allégation de discrimination, le Tribunal estime que l’intimé a également fourni une explication raisonnable, dénuée de considérations discriminatoires, quant à sa décision de ne pas nommer le plaignant à l’issue du processus de nomination en cause. En effet, il a été déterminé que le plaignant ne possédait pas deux des qualifications essentielles et, de ce fait, il ne pouvait pas être nommé au poste. À la section Analyse et sous la rubrique Question III de la présente décision, le Tribunal donne une analyse détaillée de l’évaluation du plaignant et aborde les questions précises que le plaignant a soulevées au sujet de l’application des critères de mérite.

Question II :  L’intimé a-t-il enfreint les politiques du Conseil du Trésor et du SCC sur l’équité en matière d’emploi ainsi que la législation sur l’équité en matière d’emploi dans le processus de nomination visé?

65 Le plaignant soutient que l’intimé ne s’est pas conformé aux politiques du Conseil du Trésor et du SCC sur l’équité en matière d’emploi ni à la législation sur l’équité en matière d’emploi. Selon le plaignant, en vertu de celles-ci, l’intimé était tenu de le nommer au poste visé par ce processus de nomination, de même qu’aux postes qu’il avait postulés par le passé et à tout autre poste de gestionnaire correctionnel ou d’agent correctionnel vacant, que ce soit pour une période indéterminée ou à titre intérimaire.

66 Toutefois, le plaignant n’a précisé aucune disposition de ces politiques ni aucune disposition précise de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44(LEE) établissant une telle exigence.

67 L’intimé fait valoir qu’il a respecté toutes les politiques sur l’équité en matière d’emploi et qu’il n’appartient pas au Tribunal de faire appliquer les politiques ni la législation sur l’équité en matière d’emploi.

68 Il est tout de même utile d’examiner l’objet de la LEE et son application pour mieux comprendre le lien entre celle-ci et le processus de nomination en cause. L’objet de la LEE, énoncé à l’article 2, est de corriger les désavantages subis, dans le domaine de l’emploi, par les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes issues des minorités visibles (les groupes désignés). La LEE,à l’article 5,établit d’ailleurs plusieurs obligations que l’employeur doit respecter pour atteindre ces buts, notamment l’obligation de déterminer et de supprimer les obstacles à la carrière des membres des groupes désignés et d’instaurer des règles et des usages positifs pour que le nombre de membres des groupes désignés dans chaque catégorie professionnelle de son effectif reflète leur représentation au sein de la population apte au travail au pays. Aux termes de l’article 22 de la LEE, la CCDP est responsable de la mise en application de la LEE, ce qu’elle fait au moyen de contrôle d’application. Selon l’article 25(2), en cas de non-observation de la LEE, la CCDP peut ordonner à l’employeur de prendre des mesures correctives. Ce dernier, en vertu de l’article 28(1), peut présenter une demande de révision à un tribunal de l’équité en matière d’emploi constitué par le président de la CCDP.

69 La LEE et la LEFP sont coordonnées de manière à assurer que les nominations respectent l’équité en matière d’emploi et le mérite. Aux termes de l’article 30(2)b)(iii) de la LEFP, l’administrateur général peut inclure des besoins organisationnels dans les critères de mérite. Personne ne conteste le fait que l’équité en matière d’emploi peut faire partie des besoins organisationnels et que, dans le processus de nomination visé, le besoin organisationnel suivant était mentionné : « membre d’un groupe d’équité en matière d’emploi ». La LEFP contribue à l’atteinte des objectifs d’équité en matière d’emploi en permettant à l’administrateur général, aux termes de l’article 34, de restreindre la zone de sélection à des groupes désignés ou encore de l’élargir pour permettre l’inclusion de ces groupes. La LEE favorise le respect du mérite dans les nominations, étant donné que, aux termes de l’article 6c), l’employeur n’est pas tenu d’embaucher une personne qui ne satisfait pas aux critères de mérite au sens de la LEFP, dans un contexte où le mérite s’applique.

70 Il n’appartient pas au Tribunal de faire appliquer la LEE. Comme il a été indiqué ci-dessus, le législateur a investi la CCDP de ce rôle, selon l’article 22 de la LEE. La Cour d’appel fédérale a d’ailleurs confirmé ce qui suit au paragraphe 27 de la décision Lincoln c. Bay Ferries  :

Il semble donc que la Loi sur l’équité en matière d’emploi soit une loi autonome qui impose aux employeurs qu’elle vise les obligations précises qu’elle prévoit, obligations qui doivent être respectées conformément à la loi et qui ne sont pas reliées à une plainte en vertu de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

71Il ne faudrait toutefois pas en conclure que les questions d’équité en matière d’emploi ne sont pas pertinentes dans le contexte des plaintes présentées en vertu de l’article 77 de la LEFP. L’article 77(1)a) confère au Tribunal le pouvoir de déterminer si l’administrateur général a abusé de son pouvoir dans l’exercice de ses attributions en vertu de l’article 30(2). Tel qu’il a été indiqué ci-dessus, l’article 30(2)b)(iii) permet également à l’administrateur général d’établir des besoins organisationnels, lesquels peuvent comprendre l’équité en matière d’emploi à titre de critères de mérite. Le cas échéant, le Tribunal peut examiner la preuve indiquant si l’administrateur a tenu compte ou non des besoins organisationnels définis au moment de la sélection d’un candidat pour le poste. (Voir, par exemple, la décision Gannon c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0014, para. 70).

72 Comme il a été précisé à la Question I, le plaignant soutient que les membres de groupes minoritaires visibles sont sous-représentés dans la région de l’Ontario du SCC. Or, aucune des parties n’a appelé de témoins experts à comparaître pour commenter les données statistiques présentées. Bob Fisher a été appelé à comparaître par l’intimé à cet égard. M. Fisher travaille actuellement à titre d’analyste régional (PE-04) pour la région de l’Ontario et du Nunavut. Il s’occupe notamment du portefeuille de l’équité en matière d’emploi et surveille la représentation des minorités visibles dans la région de l’Ontario. Il a fourni des explications concernant un rapport statistique publié par le SCC et basé sur des données fournies par Statistique Canada, rapport qui indique qu’en date du 31 mars 2007 (c’est-à-dire quelques mois avant la tenue du processus de nomination en cause), les membres de minorités visibles étaient surreprésentés au sein du groupe CX dans la région de l’Ontario du SCC, étant donné qu’ils représentaient 4,7 % des employés, mais que leur DPA se situait à 1,6 %. Un autre rapport statistique indique qu’en 2007, les membres de minorités visibles constituaient 5,7 % des employés du groupe CX et que leur DPA était de 1,7 %. Les minorités visibles étaient toutefois sous-représentées en 2007 dans les postes de niveau CX-04, qui correspond au groupe de la direction, étant donné qu’il y avait sept employés à ce niveau dans le groupe CX, mais qu’aucun d’entre eux n’était issu des minorités visibles.

73 La preuve semblerait donc indiquer qu’il n’y avait pas, en 2007, de sous-représentation des minorités visibles dans le groupe CX dans son ensemble, soit dans le groupe professionnel visé par les plaintes en l’espèce. Quant au groupe CX-04 en tant que tel, le Tribunal ne peut tirer aucune conclusion significative à cet égard puisque le groupe est trop restreint. Le fait d’embaucher un seul membre de minorité visible, par exemple, aurait entraîné une surreprésentation des minorités visibles puisque leur DPA était de 1,6 %. Le même raisonnement s’applique à la preuve de l’intimé selon laquelle le sous-commissaire principal du SCC, le deuxième poste en importance au sein de l’organisation, est occupé par un membre d’une minorité visible. Étant donné qu’il n’y a qu’une seule personne qui travaille à ce niveau, le groupe est trop restreint pour qu’il soit possible de tirer quelque conclusion statistique pertinente que ce soit. Par conséquent, bien qu’un certain poids ait été accordé à la preuve statistique circonstancielle présentée, le Tribunal conclut que si le groupe examiné est trop restreint, il est impossible de déduire qu’il existe des pratiques discriminatoires à l’encontre des membres des groupes minoritaires visibles ayant postulé au processus de nomination visé.

74 De plus, le Tribunal estime que la question de la représentation n’est pas déterminante en l’espèce étant donné que le plaignant avance que l’intimé aurait dû prendre l’équité en matière d’emploi en considération dans le processus de nomination, et que c’est exactement ce qui s’est produit, puisque l’intimé a établi l’équité en matière d’emploi comme critère de mérite.

75 Le plaignant soutient que l’intimé était tenu, en vertu de la LEE, de le nommer à l’issue du processus de nomination, étant donné que l’équité en matière d’emploi figurait parmi les besoins organisationnels et qu’il appartient lui-même à un groupe minoritaire visible. Or, l’alinéa 6c) de la LEE indique expressément que l’intimé n’est pas tenu de nommer une personne qui ne satisfait pas aux critères de mérite. En l’espèce, le plaignant n’a pas été retenu car il a été déterminé qu’il ne possédait pas deux des qualifications essentielles. L’intimé n’aurait donc pas pu le nommer dans ce contexte sans enfreindre le mérite.

76 Le plaignant soutient également qu’il aurait dû être nommé par le passé, soit pour une période indéterminée, soit à titre intérimaire, à tout poste de gestionnaire correctionnel ou d’agent correctionnel vacant. Toutefois, comme le stipule l’article 77 de la LEFP, le Tribunal peut examiner une plainte une fois qu’une nomination ou une proposition de nomination a été faite au terme d’un processus de nomination interne, mais il n’a pas compétence pour examiner une plainte concernant la façon dont un administrateur général choisit de pourvoir ou non à un poste vacant.

77 Le plaignant avance en outre que l’intimé aurait pu davantage tirer parti des mesures spéciales liées à l’équité en matière d’emploi dans le processus de nomination visé et dans des processus antérieurs; par exemple, il aurait pu limiter la zone de sélection aux membres des minorités visibles, comme le prévoit l’article 34 de la LEFP. Le Tribunal n’a pas compétence en ce qui a trait à l’établissement de la zone de sélection, que ce soit dans le processus faisant l’objet des plaintes ou dans tout autre processus de nomination.

78 En conclusion, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à prouver que, dans le processus de nomination visé, l’intimé n’a pas respecté les politiques du Conseil du Trésor et du SCC sur l’équité en matière d’emploi, ni la législation sur l’équité en matière d’emploi.

Question III :  L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’application du mérite?

79 Le plaignant soutient que les critères de mérite n’ont pas été appliqués de façon appropriée dans le processus de nomination visé.

80 Le plaignant a échoué à l’entrevue menée dans le cadre de processus de nomination. L’entrevue avec le plaignant a été menée par Robert MacLean, président du comité d’évaluation, et deux autres membres, soit Gerry Henderson, sous-directeur de l’établissement de Pittsburgh au moment du processus de nomination, et Margaret Rose, gestionnaire correctionnelle de niveau CX-04.

81 Les candidats devaient obtenir une note minimale de 60 % pour chaque qualification essentielle évaluée pendant l’entrevue afin d’être jugés qualifiés. Le plaignant n’a pas obtenu la note de passage pour les deux qualifications essentielles suivantes : réflexion stratégique et valeurs et éthique.

82 La question 2 visait à évaluer la réflexion stratégique, tandis que la question 7 portait sur les valeurs et l’éthique. Ces deux qualifications essentielles n’étaient évaluées par aucune autre question. Même si les questions 2 et 7 permettaient également d’évaluer une autre qualification, le comité d’évaluation a seulement noté la réponse du plaignant par rapport à la réflexion stratégique et aux valeurs et à l’éthique. M. MacLean a expliqué dans son témoignage qu’il était inutile d’attribuer une note pour la réponse au regard des autres qualifications étant donné que le plaignant ne pouvait pas être nommé au poste puisqu’il avait été déterminé qu’il ne possédait pas deux des qualifications essentielles.

83 Le Tribunal a conclu dans de nombreuses décisions portant sur l’évaluation des candidats dans un processus de nomination que son rôle consiste à établir l’existence d’un abus de pouvoir, non pas à procéder à une nouvelle évaluation des candidats (voir, par exemple, la décision Broughton c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007 TDFP 0020).

84 Le plaignant soutient que l’entrevue était très subjective et qu’elle n’était pas bien structurée. L’intimé conteste cette affirmation et précise que la structure de l’entrevue a été élaborée à l’administration centrale, étant donné qu’il s’agissait d’un processus de nomination d’envergure nationale.

85 Le plaignant n’a produit aucune preuve attestant que l’entrevue était subjective et qu’elle n’était pas suffisamment structurée. Au contraire, un examen de l’entrevue administrée par le comité d’évaluation permet de constater que chaque question était clairement associée à la qualification évaluée, qu’il y avait des définitions de chaque qualification et des indicateurs relatifs aux réponses attendues et qu’il existait une échelle de cotation comportant des définitions pour chaque cote.

86 Le plaignant soutient en outre que les réponses qu’il a données aux questions d’entrevue étaient correctes. Or, il n’a pas fourni suffisamment de preuves à cet égard. Il se fonde principalement sur le fait que les membres du comité d’évaluation ont pris beaucoup de notes sur les réponses qu’il donnait.

87 Le Tribunal a examiné les réponses du plaignant et a pris en considération les explications fournies par l’intimé; il juge qu’il n’y a pas eu abus de pouvoir dans la façon dont l’intimé a évalué les réponses du plaignant.

88 Les membres du comité d’évaluation ont, pendant l’entrevue, consigné les réponses du plaignant de même que leur évaluation des réponses. M. MacLean a présenté un témoignage au sujet de ses propres notes et de celles des autres membres du comité d’évaluation.

89 La question 2, qui visait à évaluer la réflexion stratégique, comportait deux sous-questions. Pour la première sous-question, les candidats devaient expliquer différentes méthodes et approches qu’ils utiliseraient pour mobiliser leur équipe et l’amener à travailler en collaboration dans des situations difficiles. Pour la deuxième sous-question, les candidats devaient expliquer les stratégies qu’ils adopteraient pour assurer la planification et l’organisation rigoureuses des activités de l’effectif, conformément aux plans opérationnels. La réponse attendue faisait notamment état de la coordination de renseignements provenant de sources multiples et de la prise en considération de l’aspect humain des enjeux. Pour cette question, le plaignant a obtenu la note de 2 sur 5.

90 M. MacLean a indiqué dans ses notes que la réponse du plaignant ne menait pas à une solution ou à un plan stratégique et durable. M. MacLean a également précisé que la réponse du plaignant ne mentionnait pas la participation de ses collègues ni de l’équipe de la direction. M. Henderson a lui aussi écrit que la réponse du plaignant n’indiquait pas la participation de ses pairs, des gestionnaires ni des Ressources humaines, et il a ajouté que le plaignant n’avait pas suffisamment expliqué ses idées. Dans ses notes, Mme Rose a écrit que le plaignant n’avait pas précisé ses idées et qu’il n’avait mentionné nulle part dans sa réponse qu’il consulterait ses partenaires.

91 La question 7, qui visait à évaluer les valeurs et l’éthique, faisait référence à un incident où deux agents correctionnels étaient trouvés coupables de voies de fait sur deux délinquants. Le candidat devait alors expliquer la stratégie qu’il adopterait pour élaborer un plan institutionnel visant à sensibiliser l’effectif aux valeurs et à l’éthique et à le mobiliser afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Les réponses attendues comprenaient notamment les valeurs et l’éthique et la nécessité d’établir une collaboration et de favoriser le travail d’équipe. Le plaignant a obtenu un point pour sa réponse à cette question.

92 M. MacLean a expliqué la raison pour laquelle le plaignant avait obtenu un point seulement. Il a indiqué dans ses notes d’entrevue que le plaignant n’avait pas présenté de plan, que certaines des stratégies qu’il avait proposées n’étaient liées à aucun résultat et qu’il n’avait pas mentionné la nécessité de collaborer ni le plan institutionnel. M. Henderson a écrit que le plaignant n’avait fait mention d’aucun plan permettant de régler les problèmes et que ses idées n’avaient pas de lien entre elles. Enfin, Mme Rose a écrit que le plaignant ne s’était pas concentré sur la planification et qu’il n’avait fait aucune mention des valeurs et de l’éthique.

93 Le plaignant soutient également qu’il n’y a aucune garantie que les notes prises par les membres du comité d’évaluation soient le reflet exact des réponses qu’il a données à l’entrevue étant donné qu’il n’y avait aucun enregistrement audio de l’entrevue. Le Tribunal ne souscrit pas à cette affirmation. L’article 36 de la LEFP mentionne expressément que les entrevues sont une méthode d’évaluation appropriée pour procéder à des nominations. Cette disposition, pas plus qu’aucune autre disposition de la LEFP, n’indique pas que le comité d’évaluation est tenu de faire un enregistrement audio de l’entrevue; aucun règlement applicable ne le mentionne non plus. Le comité d’évaluation a fait preuve de prudence lorsqu’il a choisi de consigner les résultats de l’entrevue. Le fait que trois personnes aient pris des notes pendant l’entrevue contribue également à assurer l’exactitude des renseignements fournis. Bien que les notes d’entrevue ne soient généralement pas un relevé textuel des propos de la personne évaluée, il est hautement improbable, sans preuve du contraire, que les trois membres du comité d’évaluation aient omis de consigner des éléments importants des réponses du plaignant. Ce dernier n’a d’ailleurs mentionné aucun élément précis qui aurait pu échapper au comité d’évaluation.

94 Le plaignant conteste également la façon dont les membres du comité d’évaluation ont attribué les notes à ses réponses aux questions d’entrevue. Il soutient qu’au lieu de chercher à atteindre un consensus, le comité d’évaluation aurait dû additionner les notes proposées par chaque membre, puis les diviser par trois. Le Tribunal n’accepte pas cet argument : l’atteinte d’un consensus concernant la note à attribuer est une manière logique de procéder, et cet aspect relève du pouvoir discrétionnaire conféré aux comités d’évaluation aux fins de l’évaluation des candidats.

95 Le Tribunal a examiné les réponses du plaignant de même que les explications fournies par l’intimé, et il juge qu’il n’y a eu aucun abus de pouvoir dans la façon dont l’intimé a évalué les réponses. L’intimé a fourni une explication raisonnable concernant les notes attribuées au plaignant pour les questions 2 et 7.

96 Le plaignant avance également que le comité d’évaluation aurait dû l’évaluer au regard des qualifications constituant un atout. En effet, les critères de mérite comprenaient plusieurs qualifications constituant un atout, et le plaignant a indiqué qu’il en possédait deux. L’intimé a expliqué qu’il n’avait pas évalué le plaignant par rapport aux qualifications constituant un atout étant donné qu’il n’avait aucune raison de le faire, puisque le plaignant ne possédait pas deux des qualifications essentielles. La CFP, dans ses observations écrites, avance aussi qu’il n’y avait rien de fautif dans le fait de ne pas évaluer le plaignant au regard des qualifications constituant un atout. Selon la CFP, il s’agissait là d’une façon de faire acceptable, puisque les critères de mérite peuvent être appliqués dans n’importe quel ordre. De toute façon, seules les personnes qui possèdent toutes les qualifications essentielles pour le travail à accomplir peuvent être prises en considération en vue d’une nomination. Le Tribunal convient qu’il aurait été vain d’évaluer le plaignant au regard des qualifications constituant un atout puisque ce dernier n’aurait pas pu être nommé au poste quoi qu’il en soit.

97 Le plaignant affirme que le comité d’évaluation n’a pas appliqué les critères liés à l’équité en matière d’emploi dans l’évaluation de sa candidature. L’intimé a expliqué qu’il n’avait pas pris en considération les critères liés à l’équité en matière d’emploi dans l’évaluation du plaignant puisque ce dernier ne possédait pas deux des qualifications essentielles. La CFP souscrit pour sa part à la position de l’intimé. Le Tribunal estime que l’intimé n’était pas tenu de prendre en considération les critères liés à l’équité en matière d’emploi dans son évaluation du plaignant puisque ce dernier ne pouvait pas être nommé au poste, ne possédant pas deux des qualifications essentielles.

98 Pour les motifs énoncés ci-dessus, le Tribunal conclut que les critères de mérite ont été appliqués de façon appropriée dans le processus de nomination visé.

Question IV :  Les membres du comité d’évaluation ont-ils fait preuve de parti pris contre le plaignant en raison de ses activités syndicales antérieures?

99 Le plaignant soutient que MM. MacLean et Henderson ont un parti pris contre lui en raison de ses activités syndicales antérieures. En effet, le plaignant participait activement aux activités syndicales et il a déjà été président de la section locale UCCO-SACC-CSN pour les agents correctionnels de l’établissement de Pittsburgh.

100 Le plaignant a expliqué que pendant une grève survenue en 1999, M. MacLean est venu s’asseoir avec lui à la cafétéria et ils ont eu une discussion orageuse. Le plaignant n’a pas précisé le sujet sur lequel portait cet échange ni les propos tenus par M. MacLean pendant cette conversation. Il n’a pas indiqué que M. MacLean avait tenu des propos inappropriés à ce moment-là.

101 M. MacLean a affirmé qu’il avait été délégué syndical et délégué syndical en chef à l’établissement de Joyceville. Il a également été président de sa section locale pendant deux ou trois ans. Il a même envisagé de devenir un employé du syndicat. M. MacLean a expliqué qu’il avait conservé des relations harmonieuses avec le syndicat lorsqu’il est devenu gestionnaire, et ce fait n’a pas été contesté. M. MacLean ne se souvient pas d’être allé s’asseoir à la table du plaignant pendant la grève de 1999, mais il a affirmé que c’était possible puisque la cafétéria était à l’usage autant du personnel que des gestionnaires. M. MacLean a affirmé qu’il ne se rappelait aucun incident pendant la grève.

102 Les seuls éléments de preuve produits par le plaignant à l’appui de son allégation concernant M. Henderson portaient sur les affrontements occasionnels qu’ils auraient eus dans des discussions liées à des questions patronales-syndicales pour la section locale. Le plaignant a ajouté qu’ils entretenaient une relation respectueuse.

103 Au paragraphe 125 de la décision Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029, le Tribunal fait référence à la décision Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, [1976] A.C.S. No 118 (QL), dans laquelle a été établi le critère de la crainte raisonnable de partialité, à la page 394 (R.C.S.) :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] [c]e critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?"

104 Dans une décision plus récente, soit la décision Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; [1992] A.C.S. No 21 (QL), la Cour suprême a expliqué ce critère de la façon suivante, au paragraphe 22 (QL) : « [C]e critère consiste à se demander si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur ». Les critères objectifs énoncés par la Cour suprême dans les décisions Committee for Justice et Newfoundland Telephone Co. s’appliquent également aux membres des comités d’évaluation. (Voir, par exemple, la décision Gignac c. le sous‑ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010, para. 64-71).

105 La preuve présentée en l’espèce est insuffisante pour établir une crainte raisonnable de partialité de la part de n’importe lequel des membres du comité d’évaluation. Les confrontations entre le syndicat et la partie patronale ne sont pas rares pendant des grèves ou dans des contextes de consultations patronales-syndicales en général, puisque chaque représentant a la responsabilité de défendre vigoureusement les intérêts de l’organisation qu’il représente. De plus, la discussion entre le plaignant et M. MacLean, même si elle s’était avérée houleuse, remonte à près de huit ans avant la tenue du processus de nomination en cause. Le Tribunal n’a été mis au fait d’aucune situation récente entre M. MacLean et le plaignant qui pourrait établir un lien entre l’incident de 1999 et le processus de nomination en cause. L’incident survenu en 1999 est insuffisant à lui seul pour amener le Tribunal à conclure que M. MacLean a fait preuve de parti pris dans ce processus de nomination (voir également Praught et Pellicore c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2009 TDFP 0001, para. 66). De plus, le plaignant a lui-même admis que sa relation avec M. Henderson était empreinte de respect. Le fait que les deux hommes aient eu des affrontements sur des questions patronales-syndicales est en soi insuffisant pour que le Tribunal conclue qu’il y a eu parti pris de la part de M. Henderson dans le processus de nomination visé.

106 Le Tribunal juge qu’un observateur relativement bien renseigné qui examinerait l’ensemble du processus et, en particulier, le rôle des membres du comité d’évaluation conclurait que la preuve appuie l’évaluation du plaignant menée par le comité et ne pourrait raisonnablement pas percevoir de parti pris de la part des deux membres du comité d’évaluation dont il a été question ci-dessus. Le Tribunal juge donc que le plaignant n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a une crainte raisonnable de partialité ou qu’il y a eu un parti pris avéré de la part de deux des membres du comité d’évaluation.

Décision


107 Pour tous les motifs susmentionnés, les plaintes sont rejetées.


John Mooney
Vice-président

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2009-0123, 0145 et 0156
Intitulé de la cause :
Jeffrey Brown et le commissaire du Service correctionnel du Canada
Audience :
Les 13 et 14 avril 2010 et du 23 au 27 août 2010
Kingston (Ontario)
Date des motifs :
Le 16 mai 2011

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Ken Boone
Pour l'intimé :
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.