Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a soutenu que lorsqu’il s’était préparé pour le processus de nomination, il avait été mal conseillé par son directeur d’établissement et mal orienté par l’information disponible sur les sites Web. Cela l’avait incité à étudier les compétences clés en leadership. Il a ajouté que l’intimé avait utilisé le mérite relatif dans ce processus et avait modifié sa note pour le leadership après avoir comparé ses réponses à celles des autres candidats. Il a soutenu d’autre part que l’intimé avait manqué de transparence lors de la discussion informelle. L’intimé a nié tout abus de pouvoir. Il a expliqué que le comité national avait décidé comment les qualités personnelles seraient évaluées. Il avait préféré ne pas utiliser les compétences clés en leadership mais plutôt de mettre l’accent sur le leadership, les valeurs et l’éthique et le comportement axé sur les résultats. Décision Le Tribunal a conclu que dans le cadre de sa préparation au processus, il revenait au plaignant d’examiner l’énoncé des critères de mérite pour déterminer les qualifications à évaluer. L’énoncé des critères de mérite ne faisait pas référence aux compétences clés. L’intimé n’avait pas à tenir compte du fait que le plaignant s’était préparé pour l’entrevue en fonction de qualifications différentes. En ce qui a trait à la correction des résultats d’entrevue du plaignant, sa note finale lui a été accordée par consensus des membres du comité d’évaluation. La loi n’exige plus l’évaluation du mérite relatif des candidats ni leur classement, quoique rien n’empêche les gestionnaires d’utiliser cette méthode. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier :
2010-0356
Décision
rendue à :

Ottawa, le 1er décembre 2011

DANIEL LAPIERRE
Plaignant
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d'abus de pouvoir aux termes de l'article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
Lyette Babin-MacKay, membre
Langue de la décision :
Français
Répertoriée :
Lapierre c. le commissaire du Service correctionnel du Canada
Référence neutre :
2011 TDFP 0037

Motifs de décision


Introduction


1 Le plaignant, Daniel Lapierre, était candidat dans un processus de nomination interne annoncé visant à doter des postes de Directeur/Directrice adjoint(e) - Intervention (DAI) et de Directeur/Directrice adjoint(e) - Opérations (DAO), aux groupe et niveau AS-07, au Service correctionnel du Canada (SCC) dans la région du Québec. Sa candidature a été rejetée à la suite de l'entrevue parce qu'il n'a pas satisfait à une des qualifications essentielles.

2 Le plaignant allègue qu'il a échoué l'entrevue parce qu'il a été mal orienté et que cela l'a incité à étudier les compétences clés en leadership (les CC) pour se préparer pour le processus. Il allègue que cela s'apparente à de la mauvaise foi. Le plaignant soutient aussi que l'intimé a manqué de transparence lors de la discussion informelle et de la communication de renseignements, en ne lui fournissant pas les renseignements qu'il demandait.

3 L'intimé, le commissaire du SCC, nie tout abus de pouvoir ou manque de transparence.

Contexte


4Lorsque le plaignant a posé sa candidature, il occupait, de façon intérimaire, le poste de DAI de l'Établissement Leclerc, à Laval (QC).

5 Il a réussi l'examen écrit, qui évaluait les connaissances, et a été invité à une entrevue qui évaluait les capacités et les qualités personnelles suivantes :

  • Capacité de gérer les ressources humaines ;
  • Capacité d'analyser, de dégager les solutions et de prendre les mesures appropriées ;
  • Capacité de négocier ;
  • Leadership ; et
  • Orientation axée sur les résultats.

6 L'entrevue portait sur les deux postes (DAI et DAO) et comportait quatre questions, toutes des mises en situation. Deux questions étaient communes aux deux postes, deux ne concernaient que le poste de DAI et deux autres, le poste de DAO seulement.

7 Le plaignant n'a pas réussi l'entrevue car il n'a pas obtenu les notes de passage pour la qualité personnelle du leadership pour les postes de DAI et de DAO.

8 Le 15 juin 2010, l'intimé a publié une Notification de nomination ou de proposition de nomination pour la nomination de Caroline Bouchard à un poste de DAI à Drummond (QC), pour une période indéterminée.

9 Le 21 juin 2010, le plaignant a déposé une plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'art. 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, S.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

Question en litige


10 Le Tribunal doit décider si l'intimé a fait preuve de mauvaise foi dans l'évaluation du plaignant pour la qualification essentielle du leadership.

Analyse


11 La LEFP ne définit pas l'expression « abus de pouvoir », mais l'art. 2(4) précise qu'elle inclut la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

12 Comme le Tribunal l'a affirmé dans nombre de décisions, il incombe à un plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le processus de nomination est entaché d'abus de pouvoir (Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008 aux para. 49 et 55).

13 Le plaignant soutient que lorsqu'il s'est préparé pour ce processus, il a été mal conseillé par son directeur d'établissement et mal orienté par l'information disponible aux sites web du SCC, du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) et de la Commission de la fonction publique (CFP). Il est d'avis que toute personne raisonnable aurait conclu qu'il fallait étudier les CC pour ce processus. Il maintient que c'est pourquoi il n'a pas réussi l'évaluation du leadership. Il réfère le Tribunal à Poirier c. le sous-ministre des Anciens Combattants, 2011 TDFP 0003, et prétend avoir subi ici le même préjudice.

14 Le plaignant allègue également qu'à l'encontre de la LEFP, l'intimé a utilisé le mérite relatif dans ce processus de nomination et a modifié sa note pour le leadership après avoir comparé ses réponses à celles des autres candidats. Après la première correction, sa note était 12/20 et suffisante pour qu'il se qualifie. Après la deuxième correction, sa note a été descendue à 7/20 et après la troisième correction, sa note finale était 10/20.

15 Le plaignant explique que dans sa préparation pour ce processus de nomination, il a consulté son directeur d'établissement, Robert Poirier, pour lui demander conseil quant aux éléments à étudier. Celui-ci lui a conseillé d'étudier les CC. Le plaignant ajoute que ses propres recherches lui ont aussi indiqué que le SCC, le SCT et la CFP mettent maintenant l'emphase sur les comportements efficaces, pour tous les niveaux de direction. À l'appui, il a déposé des documents de ces organismes qui discutent des CC, et quelques énoncés des critères de mérite (ECM) de postes du SCC où les CC ont été identifiés comme des qualifications essentielles. Les CC sont fondées sur les compétences suivantes : valeurs et éthique, réflexion stratégique, engagement et excellence en gestion.

16 Lors de son témoignage, M. Poirier a expliqué qu'il était directeur de l'Établissement Leclerc lorsque ce processus de nomination a été tenu. Il n'était pas impliqué dans le processus. Il a confirmé avoir recommandé au plaignant d'étudier les CC en leadership. M. Poirier a affirmé qu'à l'encontre de l'orientation actuelle de la fonction publique, l'ECM de ce processus ne faisait pas référence aux CC. Cela l'a préoccupé et il en a fait part au Comité régional de gestion et à Denis Lévesque, un des membres du comité d'évaluation. On lui a dit qu'on examinerait ce qu'il soulevait et qu'on ferait peut-être des modifications à l'ECM, si cela était jugé nécessaire. M. Poirier n'a pas indiqué si on lui était revenu sur cette question. En contre-interrogatoire, il a reconnu qu'au SCC, l'utilisation des CC est obligatoire pour les évaluations annuelles du rendement mais ne l'est pas pour les processus de nomination.

17 Le comité d'évaluation était composé de Sylvie Brunet-Lusignan, administratrice régionale, réinsertion sociale et programmes, et de M. Lévesque, enquêteur national au SCC.

18 M. Lévesque a confirmé que M. Poirier, lors d'une réunion, avait soulevé ses préoccupations en ce qui concerne le contenu de l'ECM. M. Lévesque a dit qu'il a expliqué à M. Poirier que les personnes responsables de l'élaboration des outils d'évaluation en avaient décidé ainsi et qu'il a dû accepter ce choix.

19 M. Lévesque a expliqué que les outils d'évaluation et l'ECM des postes de DAI et de DAO ont été élaborés par un comité national sur lequel il a siégé, pour des processus similaires tenus dans les différentes régions du pays. Ce comité a décidé comment les qualités personnelles seraient évaluées. On a préféré ne pas utiliser les CC en leadership et de plutôt mettre l'emphase sur le leadership, les valeurs et l'éthique, et le comportement axé sur les résultats. Les qualités personnelles initiative et valeurs et éthique ont été évaluées par des vérifications de référence. Le leadership a été évalué à travers les réponses à une mise en situation qui évaluait aussi la capacité d'analyser et de développer des solutions. M. Lévesque a dit qu'en comité, il a manifesté son désaccord avec l'approche choisie pour l'évaluation du leadership et a demandé si ce critère pouvait plutôt être évalué en examinant l'ensemble des réponses des candidats. La gestion en a décidé autrement car les processus d'évaluation avaient déjà commencé ailleurs au pays et les outils ne pouvaient être modifiés en cours de route.

20 Mme Brunet-Lusignan a décrit le déroulement de l'entrevue. Les candidats recevaient les questions, toutes des mises en situation, et disposaient d'un temps donné pour préparer leurs réponses. Les critères que chaque question évaluait étaient indiqués sur le questionnaire. M. Lévesque et elle ont bien noté les réponses de chaque candidat.

21 Pour l'évaluation des réponses, un barème de correction indiquait les éléments de réponse recherchés pour chaque question et une grille de cotation guidait le choix de la note appropriée. Individuellement, M. Lévesque et elle ont fait une première correction. Ensemble, ils en ont fait une deuxième, pondérée vis-à-vis l'ensemble des candidats pour s'assurer qu'ils avaient appliqué les critères de cotation de façon uniforme d'un candidat à l'autre. Ils ont effectué une troisième correction pour certains candidats. Dans le cas du plaignant, ils l'ont fait parce que sa note était en deçà, mais près, de la note de passage pour la qualité personnelle du leadership. À la suite de cette troisième correction, le comité lui a accordé trois points de plus pour le leadership du poste de DAI, mais cela ne lui a quand même pas permis d'atteindre la note de passage. Sa note pour le leadership du poste de DAO n'a pas changé. Le leadership est la seule qualification que le plaignant n'a pas réussie. Mme Brunet-Lusignan a indiqué que ces trois corrections expliquent les changements de notes qui apparaissent sur les documents qui concernent le plaignant.

22 Mme Brunet-Lusignan et M. Lévesque ont relaté qu'à la discussion informelle, ils ont expliqué ses résultats au plaignant. Celui-ci avait basé sa préparation sur les CC et comprenait mal que le comité ne les ait pas utilisées. Selon M. Lévesque, le comité a bien senti le malaise du plaignant et, « par acquis de conscience », a réexaminé ses réponses après la discussion informelle. Le comité en est arrivé aux mêmes résultats; il manquait des éléments fondamentaux dans sa réponse à la question concernant le leadership pour le poste de DAI et il était clair qu'il manquait beaucoup d'éléments à celle pour le poste de DAO.

23 L'article 30(2) de la LEFP précise que c'est à l'administrateur général d'établir les qualifications essentielles pour le travail à accomplir. Par la suite, c'est à chaque candidat que revient la responsabilité d'examiner l'ECM, de déterminer quels critères de mérite seront évalués et de se préparer en conséquence.

24 Il est important ici de distinguer le cas du plaignant de celui décrit dans la décision Poirier, que le plaignant fait valoir dans ses arguments. Dans Poirier, le libellé de l'Annonce de possibilité d'emploi (l'annonce) manquait de clarté. Le plaignant en avait conclu qu'il devait décrire l'ensemble de ses qualifications relatives à l'expérience dans un ou deux paragraphes, alors que l'intimé voulait plutôt qu'un candidat rédige un ou deux paragraphes pour chacune des qualifications. À la discussion informelle, l'intimé avait refusé de revoir sa décision malgré l'explication du plaignant. Le Tribunal avait conclu que le manque de clarté des instructions dans l'annonce avait contribué directement à l'élimination de la candidature du plaignant. Le comité d'évaluation avait entravé son pouvoir discrétionnaire en refusant de reconnaître que les instructions présentaient des failles. Il avait éliminé la candidature de ce plaignant sur la base de renseignements inadéquats quant à ses qualifications relatives à l'expérience, ce qui constituait un abus de pouvoir.

25 Le cas de M. Lapierre est différent de celui de Poirier puisqu'en l'espèce, l'EMC était clair. Il n'incluait pas les CC et le leadership y était une des qualités personnelles. Le plaignant affirme que s'il avait su que les CC ne seraient pas évaluées, il aurait pu démontrer qu'il satisfaisait à la qualité personnelle du leadership. Toutefois, dans le cadre de sa préparation, c'est au plaignant qu'il revenait d'examiner l'ECM pour identifier les qualifications qui seraient évaluées. L'ECM ne faisait pas référence aux CC et ce fait était évident à sa lecture. L'intimé n'avait pas à tenir compte du fait que le plaignant s'était préparé pour l'entrevue en fonction de qualifications différentes.

26 En ce qui a trait à la correction des résultats d'entrevue du plaignant, sa note finale lui a été accordée par consensus des membres du comité d'évaluation. La LEFP n'exige plus l'évaluation du mérite relatif des candidats ni leur classement, quoique rien n'empêche les gestionnaires d'utiliser cette méthode. L'art. 30(2)a) de cette loiexige seulement que la personne nommée soit qualifiée pour le poste (voir Aucoin c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada, 2006 TDFP 0012).

27 Le plaignant a aussi soutenu que l'intimé aurait dû utiliser des vérifications de référence, de concert avec l'outil d'évaluation choisi, pour évaluer la qualité personnelle du leadership. En vertu de l'art. 36 de la LEFP, l'administrateur général à qui est délégué le pouvoir de nomination peut avoir recours à toute méthode d'évaluation qu'il estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications essentielles visées à l'art. 30(2) de la LEFP (voir Trachy c. Sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités, 2008 TDFP 0002). En l'espèce, l'intimé a choisi d'évaluer le leadership avec une mise en situation dans le cadre d'une entrevue et non au moyen de vérifications de références à cette fin. Il relevait de son pouvoir discrétionnaire, en vertu de l'art. 36 de la LEFP, d'en faire ainsi.

28 Le Tribunal estime que le plaignant n'a pas démontré que l'intimé a fait preuve de mauvaise foi dans l'évaluation de la qualité personnelle du leadership. En l'espèce, les méthodes d'évaluation et de correction choisies ne sont pas déraisonnables. De même l'intimé n'avait pas à prendre en considération le fait que le plaignant s'était préparé en fonction de qualifications qui n'étaient pas comprises dans l'ECM.

Autre question


29 Le plaignant indique également que l'intimé a refusé, lors de la discussion informelle et durant la communication de renseignements, de lui fournir une copie intégrale des questions et des réponses attendues, de ses feuilles de correction annotées et des résultats qu'il a obtenus. Il a dû faire deux demandes d'ordonnance de communication de renseignements pour les obtenir. Il soutient que cela démontre que l'intimé a manqué de transparence.

30 Selon la politique de la CFP en matière de discussion informelle, les administrateurs généraux doivent s'assurer que les personnes dont la candidature n'a pas été retenue et qui demandent la tenue d'une discussion informelle ont accès à suffisamment d'information les concernant pour pouvoir comprendre la décision et en discuter. En l'espèce, le plaignant a demandé d'obtenir une copie de ses résultats au moment de sa discussion informelle. L'intimé a refusé et a expliqué qu'il ne remettait pas copie des résultats car les questions pourraient être utilisées pour d'autres processus.

31 Un des objectifs de la discussion informelle est d'assurer la transparence et la communication pendant le processus de nomination. Le fait de refuser de donner une copie de ses documents d'évaluation au plaignant peut lui avoir donné l'impression que l'intimé manquait de transparence. L'intimé a expliqué les raisons pour lesquelles il n'était pas prêt à partager l'information au stade de la discussion informelle. Cependant, après le dépôt de la plainte et lors de la communication des renseignements, il aurait été souhaitable que l'intimé fournisse ces documents au plaignant lorsqu'il les a demandés, pour qu'il puisse préparer sa plainte plutôt qu'il ait à faire deux demandes d'ordonnances de communication de renseignements afin de les obtenir.

Décision


32 Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.


Lyette Babin-MacKay
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2010-0356
Intitulé de la cause :
Daniel Lapierre et le Commissaire du Service correctionnel du Canada
Audience :
Les 2 et 3 juin 2011
Montréal (Québec)
Date des motifs :
Le 1er décembre 2011

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Daniel Lapierre
Pour l'intimé :
Léa Bou Karam
Pour la Commission
de la fonction publique :
Marc Séguin (représentations écrites)
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