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Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a participé à un processus de nomination interne. Il a échoué à une question de l’examen, laquelle évaluait « la connaissance du processus législatif fédéral», une qualification essentielle pour le poste. Il a soutenu que l’intimé aurait dû tenir compte de ses connaissances spécialisées puisqu’il a publié plusieurs ouvrages dans ce domaine; que l’intimé aurait dû prendre en considération ses fonctions actuelles dans l’évaluation de la connaissance du processus législatif fédéral. Il a fait valoir qu’une question de l’examen était mal formulée et que sa réponse était correcte. Décision Le Tribunal ne pouvait accepter l’argument du plaignant. L’administrateur général a un vaste pouvoir discrétionnaire dans le choix des méthodes d’évaluation des candidats. L’intimé a décidé que la qualification serait évaluée uniquement par la réponse écrite à une question spécifique de l’examen, et non pas sur la base des études et publications des candidats. En outre, il aurait été inéquitable envers les autres candidats d’accorder des éléments de réponse à une question particulière de l’examen du plaignant. Le Tribunal a estimé que le comité d’évaluation avait choisi d’évaluer la connaissance du processus législatif fédéral des candidats au moyen d’un examen écrit. L’intimé n’avait donc pas à prendre en considération les antécédents professionnels du plaignant dans l’évaluation de cette qualification. Le Tribunal a jugé que la méthode d’évaluation choisie par l’intimé était raisonnable, le résultat équitable et la question suffisamment claire. Le plaignant n’a simplement pas répondu à la question posée. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2009-0267
Rendue à:
Ottawa, le 7 février 2011

EMMANUEL DIDIER
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA JUSTICE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
John Mooney, vice-président
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Didier c. le sous-ministre de la Justice
Référence neutre:
2011 TDFP 0005

Motifs de la décision


Introduction


1 Emmanuel Didier, le plaignant, a posé sa candidature pour le poste d’avocat‑conseil aux groupe et niveau LA-BB-02 au ministère de la Justice. Le sous‑ministre de la Justice, l’intimé, a conclu que le plaignant ne possédait pas une des qualifications essentielles pour ce poste.

2 Le plaignant a présenté une plainte d’abus de pouvoir à l’encontre de cette décision. Le plaignant soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir en concluant qu’il n’était pas qualifié pour le poste. Selon lui, l'intimé a erronément omis de prendre en considération des éléments pertinents dans l’évaluation de ses compétences, notamment sa thèse de doctorat d’État en droit et ses publications, et a erré en jugeant que sa réponse à la question 3 de l’examen était incorrecte.

3 L’intimé nie avoir abusé de son pouvoir dans l’évaluation des qualifications du plaignant. Selon l'intimé, le plaignant n’a tout simplement pas répondu à la question 3 de l’examen de façon adéquate. L’intimé soutient qu’il n’avait pas à prendre en considération la thèse de doctorat d’État en droit de l’intimé ni ses publications antérieures dans l’évaluation de sa connaissance du processus législatif fédéral.

4 La Commission de la fonction publique (CFP) soutient que l’intimé n’a pas omis de prendre en considération des éléments pertinents dans l’évaluation des connaissances du plaignant. Si le plaignant croyait que sa thèse de doctorat contenait des éléments pertinents à sa réponse à la question 3, il lui incombait d’y référer dans sa réponse, ce qu’il n’a pas fait.

Contexte


5 Le 28 novembre 2008, l'intimé a commencé un processus de nomination interne annoncé pour doter sur une base intérimaire jusqu’en octobre 2010 un poste d’avocat‑conseil LA-BB-02 à la direction des Services législatifs, service de révision bijuridique (fiscalité et droit comparé) au ministère de la Justice.

6 Les candidats devaient écrire un examen composé de trois questions qui évaluaient leurs connaissances. Le plaignant a échoué à la question 3 de l’examen, laquelle évaluait « la connaissance du processus législatif fédéral », une qualification essentielle pour ce poste.

7 Le 14 avril 2009, l'intimé affichait une Notification de nomination ou de proposition de nomination qui annonçait que Me Marie-Claude Gaudreault serait nommée au poste susmentionné.

8 Le 28 avril 2009, le plaignant a présenté une plainte d’abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’art. 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), qui prévoit qu’une personne dans la zone de recours peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir par la CFP ou par l’administrateur général dans l’exercice des attributions que leur confère l’art. 30(2) de la LEFP qui traite de l’évaluation du mérite des candidats.

9 Les parties ont convenu de traiter cette plainte par voie de représentations écrites. L’article 99(3) de la LEFP prévoit que le Tribunal peut statuer sur une plainte sans tenir d’audience.

Questions en litige


10 Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir en choisissant d’évaluer la connaissance du processus législatif fédéral des candidats uniquement par un examen écrit?
  2. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a conclu que le plaignant avait échoué à la question 3 de l’examen écrit?

Analyse


11 L’expression « abus de pouvoir » n’est pas définie dans la LEFP; toutefois, l’art. 2(4) prévoit qu’elle inclut « la mauvaise foi et le favoritisme personnel ». Dans la décision Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, (Tibbs) leTribunal a jugé qu’il ressort clairement dans la LEFP que l’abus de pouvoir comprend plus que de simples erreurs ou omissions.

12 Le Tribunal a précisé dans plusieurs décisions qu’il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir dans un processus de nomination(voir, par exemple, Tibbs au para. 49).

Question I :   L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir en choisissant d’évaluer la connaissance du processus législatif fédéral des candidats uniquement par un examen écrit?

13 L’administrateur général avait établi comme critère de mérite la « connaissance du processus législatif fédéral ». Cette qualification était évaluée par la question 3 de l’examen écrit qui se lit comme suit :

Décrivez dans une présentation d’au plus mille (1000) mots le rôle des comparatistes dans la filière législative fédérale et les modes d’intervention qui peuvent être utilisés afin de maximiser la prise en compte du droit civil et de la common law dans la rédaction des projets de loi et règlements issus du gouvernement.

14 Me France Allard, avocate générale, gestionnaire et spécialiste du droit comparé, ministère de la Justice, a corrigé l’examen du plaignant. Elle a déterminé que le plaignant a échoué à la question.

15 Le plaignant soutient que l'intimé a écarté des éléments pertinents dans l’évaluation de cette qualification. Selon lui, l'intimé aurait dû tenir compte de ses connaissances spécialisées en jurilinguistique puisqu’il qu’il a publié plusieurs ouvrages dans ce domaine, dont deux ouvrages traitant de rédaction législative bilingue et bijuridique :

  • une thèse de doctorat d’État en droit, Droit des langues et langues du droit, au Canada. Étude comparée du droit linguistique et de la jurilinguistique des Provinces et de l’État fédéral en Common Law et en droit civil, Paris, Université de Paris 1 – Sorbonne, 1984
  • un ouvrage intitulé Langues et langages du droit, Montréal, Wilson et Lafleur, 1990.

Autrement dit, le plaignant soutient que l'intimé aurait dû, dans l’évaluation de sa connaissance du processus législatif fédéral, prendre en considération les écrits susmentionnés en sus de sa réponse à la question 3 de l’examen.

16 Le Tribunal ne peut accepter cet argument. L’article 36 de la LEFP accorde à l’administrateur général délégué un vaste pouvoir discrétionnaire dans le choix des méthodes pour évaluer les candidats :

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluationnotamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

[Soulignement ajouté]

17 Il revenait à l'intimé de décider comment il évaluerait la connaissance du processus législatif fédéral des candidats. Dans ce cas-ci, l'intimé a décidé que cette qualification serait évaluée uniquement par la réponse écrite à la question 3 de l’examen, et non par les études et publications des candidats. Ce choix s’inscrit pleinement dans le pouvoir discrétionnaire que lui accorde l’art. 36.

18 Les diplômes des candidats ont été pris en considération dans ce processus de nomination, mais lors d’une autre étape du processus, plus précisément lors de la présélection. Tel qu’indiqué dans l’énoncé de critères de mérite, pour être admissible au processus de nomination, les candidats devaient posséder certains diplômes en droit (il y avait différentes combinaisons possibles de baccalauréats en droit civil et en common law). Le plaignant a satisfait à cette exigence académique et fut invité aux autres étapes du processus afin d’être évalué en fonction des autres critères de mérite.

19 Dans Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024, au para. 42, le Tribunal a reconnu la souplesse que l’art. 36 accorde aux gestionnaires dans l’évaluation des qualifications et dans le choix des méthodes d’évaluation :

Aux termes du paragraphe 30(2) de la LEFP, les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour établir les qualifications liées au poste qu’ils souhaitent doter et pour choisir la personne qui non seulement satisfait aux qualifications essentielles mais représente la bonne personne pour occuper le poste visé. Un pouvoir discrétionnaire semblable est prévu à l’article 36 de la LEFP à l’intention des personnes qui détiennent les pouvoirs de dotation pour choisir et utiliser les méthodes d’évaluation qui permettront de déterminer si la personne satisfait aux qualifications essentielles […]

20 L'intimé ne pouvait suppléer la réponse du plaignant en cherchant des éléments de réponses dans les diplômes et les écrits antérieurs du plaignant puisqu’il avait décidé que cette connaissance serait évaluée uniquement par la réponse des candidats à la question 3 de l’examen. (Le plaignant n’a d’ailleurs pas mentionné ses écrits dans sa réponse à cette question de l’examen.)

21 Comme le souligne la CFP dans ses plaidoiries écrites, imputer des éléments de réponse au plaignant pour la question 3 de l’examen à partir de sources qui ne faisaient pas partie des méthodes d’évaluation choisies pour évaluer cette connaissance aurait été inéquitable envers les autres candidats.

22 Le Tribunal a rendu une décision similaire dans Jacobsen c. Sous-ministre d'Environnement Canada, 2009 TDFP 0008. Dans cette décision, le Tribunal avait jugé que la décision du comité d'évaluation d'utiliser un examen pour évaluer les connaissances des candidats relevait de son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’art. 36 de la LEFP,et que cette disposition n'oblige pas le comité d'évaluation à tenir compte de la scolarité des candidats lorsqu'il évalue les connaissances exigées pour un poste.

23 Le plaignant fait valoir qu’en ignorant ses diplômes dans l’évaluation de ses compétences, en particulier son doctorat d’État en droit, l'intimé et la CFP attribuent un contenu ou une valeur à ses diplômes et, ce faisant, enfreignent l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, ch. 3, R-U, qui prévoit que seules les provinces ont compétence en matière d’éducation. Le Tribunal est d’avis que l’argumentation du plaignant ne tient pas et qu’il ne démontre d’aucune façon que l’intimé a abusé de son pouvoir. Il revenait à l'intimé de décider comment il évaluerait la connaissance du processus législatif fédéral des candidats, et il a décidé de l’évaluer uniquement par une question de l’examen écrit, et non par les études et publications antérieures des candidats. Ni l'intimé ni la CFP n’ont attribué un contenu quelconque aux diplômes du plaignant comme le prétend ce dernier. Personne ne s’est immiscé dans des domaines de compétence provinciale.

24 Le plaignant soutient que l'intimé aurait dû prendre en considération ses fonctions actuelles dans l’évaluation de la connaissance du processus législatif fédéral. Selon lui, la nature de ses fonctions démontre qu’il possède cette connaissance puisqu’il est responsable de la section de droit comparé de la direction de la rédaction législative au ministère de la Défense nationale. Il a été, selon lui, le premier à décrire le plan d’énonciation des notions de droit civil et de common law dans les lois fédérales bijuridiques et bilingues. Selon lui, les descriptions juridiques et administratives de ce principe sont des éléments de réponse de la question 3 de l’examen, notamment la politique de rédaction législative du Cabinet.

25 Le Tribunal estime qu’il revenait au comité d'évaluation de choisir la méthode par laquelle il évaluerait la connaissance du processus législatif fédéral des candidats. Le comité d'évaluation avait choisi d’évaluer la connaissance du processus législatif fédéral des candidats au moyen d’un examen écrit, et non de leurs antécédents professionnels. Ce choix s’inscrit pleinement dans le pouvoir discrétionnaire que l’art. 36 de laLEFP accorde à l’intimé dans le choix des méthodes d'évaluation. L'intimé n’avait donc pas à prendre en considération les antécédents professionnels du plaignant dans l’évaluation de cette qualification. Ce choix de méthode d'évaluation ne constitue donc pas un abus de pouvoir.

26 Le plaignant a fait valoir que l'intimé a reconnu lors d’une rencontre tenue dans le cadre de la communication de renseignements (c’est-à-dire après le dépôt de la plainte du plaignant) qu’il « […] savait que le plaignant avait publié des ouvrages et documents pertinents et qu’il connaissait le sujet visé dans la troisième question ». Dans les arguments écrits de l'intimé où l’on retrouve un énoncé conjoint des faits de l'intimé et du plaignant, les propos de Me Allard sont décrits de façon plus nuancée. On y lit qu’au cours de la communication de renseignements, Me Allard aurait dit au plaignant « […] qu’elle reconnaissait que le plaignant semblait connaître les mécanismes du processus législatif fédéral en raison de ses publications antérieures mais que rien dans la réponse écrite du plaignant ne le démontrait […] ».

27 Le Tribunal est d’avis que le fait que Me Allard pensait que le plaignant « semblait » avoir connaissance du processus législatif fédéral en raison de ses publications antérieures importe peu. Tel qu’expliqué ci-dessus, l'intimé avait choisi d’évaluer cette qualification par la question 3 de l’examen, et non par les diplômes et publications des candidats. Le plaignant devait donc démontrer dans sa réponse à la question 3 qu’il possédait la connaissance du processus législatif fédéral, et il ne l’a pas démontré.

28 Le Tribunal juge que la méthode d’évaluation choisie par l'intimé est raisonnable et que le résultat est équitable (Voir Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 0011, au para. 77). Tous les candidats devaient répondre à la même question. Cette question sert à évaluer la connaissance du processus législatif fédéral puisqu’elle demande aux candidats d’expliquer comment les comparatistes peuvent maximiser la prise en compte du droit civil et de la common law dans la rédaction des projets de loi et règlements du gouvernement fédéral. Pour répondre adéquatement à cette question, il fallait faire référence au processus législatif fédéral.

29 Le plaignant soutient que son titre de docteur d’État en droit ainsi que la propriété intellectuelle sur sa thèse de doctorat et ses autres publications constituent des biens meubles incorporels au sens de l’art. 907 du Code civil du Québec. Il soutient que le fait de ne pas prendre en considération cette propriété intellectuelle dans son évaluation constitue ce que la common law qualifie de « conversion ». La « conversion » est une faute civile qui consiste à s’approprier un bien d’autrui pour son propre usage (voir Mozley & Whiteley’s Law Dictionary, E.R. Hardy Ivamy, Tenth Edition, Butterworths, London, Sidney, Toronto, 1988). Le Tribunal voit mal comment le plaignant peut prétendre que l'intimé s’approprie les droits incorporels du plaignant. Les diplômes et les écrits du plaignant lui demeurent propres et l'intimé ne les a appropriés d’aucune façon. Tout cela n’a rien à voir avec le fait que le plaignant n’a pas répondu adéquatement à la question 3.

30 Le plaignant soutient également que l'intimé a enfreint le droit à l’égalité garanti par l'art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) en ne prenant pas en considération les « […] diplômes, publications, contenues des cours, matières étudiées, travaux, thèse ou autres pour évaluer les connaissances des candidats […] ». Le Tribunal a déjà traité de la question du choix des méthodes d’évaluation. L’article 36 de la LEFP donne explicitement au comité d'évaluation un pouvoir discrétionnaire considérable dans le choix des méthodes d'évaluation. Le Tribunal ne voit pas comment le choix des méthodes d'évaluation de l'intimé peut enfreindre le droit à l’égalité protégé par la Charte puisque tous les candidats ont eu à répondre aux mêmes exigences. S’il fallait, comme le veut le plaignant, qu’un comité d'évaluation examine tous les écrits et contenus de cours des candidats, ainsi que les autres documents énumérés par le plaignant, le processus d’évaluation deviendrait un monstre bureaucratique ingérable.

31 Le Tribunal conclut donc que le plaignant n’a pas démontré que l'intimé a abusé de son pouvoir en choisissant d’évaluer la connaissance du processus législatif fédéral des candidats par un examen écrit.

Question II :   L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a conclu que le plaignant avait échoué à la question 3 de l’examen écrit?

32 Le plaignant soutient que la question 3 de l’examen écrit est mal formulée, et que sa réponse était correcte.

33 Le Tribunal a jugé dans plusieurs décisions que son rôle n’est pas de réévaluer les candidats, mais plutôt  de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination (voir par exemple Broughton c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2007 TDFP 0020).

34 Le Tribunal est d’avis que si le plaignant croyait que les termes utilisés n’étaient pas clairs, il aurait dû demander des éclaircissements. Le Tribunal juge également que la question est suffisamment claire. Il est clair qu’on demande aux candidats de décrire les modes d’intervention que les comparatistes peuvent utiliser dans le processus législatif fédéral afin de maximiser la prise en compte du droit civil et de la common law.

35 Selon le plaignant, l'intimé a mal employé le terme « comparatistes » puisque tous les avocats sont des « comparatistes » parce qu’ils doivent qualifier les situations juridiques de manière à leur appliquer les règles de droit pertinentes. Par exemple, un avocat ontarien qui rédige un testament d’un client domicilié à Montréal doit identifier des facteurs de rattachement à deux juridictions territoriales. Il doit donc comparer deux systèmes juridiques. Le Tribunal ne voit pas la pertinence de cette remarque. Même si beaucoup d’avocats doivent appliquer deux systèmes juridiques, il est clair que la question ciblait le rôle des « comparatistes » qui doivent travailler dans le cadre du processus législatif fédéral, non pas celui de tous les « comparatistes » au pays.

36 Le plaignant soutient que sa réponse à cette question est valable. Me Allard, qui a corrigé l’examen, en est arrivé à la conclusion contraire. Elle a déterminé que le plaignant avait échoué à la question. Elle a indiqué sur la copie de l’examen du plaignant qu’il « ne répond pas à la question », qu’il « est éditorial sur [la] place des comparatistes au Canada » et qu’il « ne démontre en rien [la] connaissance du processus législatif ». Selon l’intimé, le plaignant n’a tout simplement pas répondu à la question.

37 Le Tribunal a examiné la réponse du plaignant et est d’avis que la conclusion de l'intimé ne constitue pas un abus de pouvoir. Le plaignant, en effet, ne répond pas à la question posée. Il ne décrit pas le rôle des comparatistes dans le processus législatif fédéral et les méthodes d’intervention qui peuvent être utilisées pour maximiser la prise en compte du droit civil et de la common law. La réponse du plaignant est en grande partie une critique de la question posée, du ministère de la Justice et du gouvernement fédéral. Il critique la formulation de  la question, mais n’y répond pas. Selon le plaignant,les expressions utilisées sont « extrêmement vagues et générales ». Il critique, entre autres, l’utilisation du terme « comparatiste ». Le plaignant critique aussi le ministère de la Justice parce qu’il n’impose pas aux facultés de droit des programmes de bijuridisme. Il critique également le fait que le ministère embauche des juristes qui ne sont pas bilingues et bijuridiques. Le plaignant fait l’éloge du bijuridisme et critique le gouvernement fédéral pour son manque d’initiative dans ce domaine. Il écrit aussi que la question posée « […] est malheureusement une manifestation de cette frilosité et ce manque de curiosité, de vision et de rigueur qui caractérisent encore bien des aspects de l’Administration fédérale […] ». Le Tribunal est d’avis que l'intimé avait raison de conclure que la réponse du plaignant ne traite pas de la question fondamentale du rôle des comparatistes dans la filière législative fédérale et les modes d’intervention afin de maximiser la prise en compte du droit civil et de la common law.

38 Le plaignant soutient également que les éléments de réponse recherchés par l'intimé, comme la mention de la Loi sur les langues officielles, L.R.C., 1985, c.‑31(4e suppl.) et les directives du Cabinet sur la rédaction législative, sont mentionnés dans divers passages des travaux suivants du plaignant sur la jurilinguistique fédérale :

  • Didier, E. Langues et langages du droit, Montréal, Wilson et Lafleur, par. 573; p. 460 et s.;
  • Bastarache, M., Didier, E., et al., Language Rights in Canada, Les droits linguistiques au Canada, 1re et 2e éd.,Montréal, Wilson et Lafleur, 1987 et 2004,notamment au chap. 6 de la 2e édition.

39 Le Tribunal a déjà traité de cette question. L'intimé n’avait aucune obligation d’examiner les écrits antérieurs du plaignant pour y trouver des éléments de réponse.

40 Le plaignant fait valoir qu’en refusant d’accepter sa réponse, l'intimé a enfreint sa liberté d’expression garantie par l'art. 2b) de la Charte. Selon lui, ce refus constitue une forme de censure puisqu’il indique que les candidats ne peuvent contrevenir à l’idéologie administrative dominante dans le domaine du bijuridisme. Le Tribunal est d’avis que cette allégation est également sans fondement. L'intimé n’a d’aucune manière critiqué les vues du plaignant sur le bijuridisme et sa place au gouvernement fédéral. L'intimé a conclu que le plaignant a échoué à cette question parce qu’il n’a tout simplement pas répondu à la question posée.

41 Le plaignant soutient également que Me Allard ne possédait pas la compétence requise pour corriger sa réponse à la question 3 de l’examen. Il signale, entre autres, que même si elle est membre du Barreau du Québec, elle n’est pas membre du Barreau d’une province ou d’un territoire canadien qui applique la common law. Il signale aussi qu’il est mieux qualifié qu’elle pour répondre aux questions concernant le bijuridisme et le droit comparé puisqu’en plus d’être membre du Barreau du Québec, il est membre, entre autres, du Barreau de l’Ontario et a déjà été membre du Barreau du Nouveau-Brunswick.

42 Le Tribunal juge que cette allégation n’est pas fondée. L’appartenance à un Barreau n’est pas la seule façon d’acquérir des connaissances dans un domaine du droit. Comme le souligne l'intimé, Me Allard, la gestionnaire du poste à doter, est avocate générale et spécialiste du droit comparé au Service de révision bijuridique (fiscalité et droit comparé). Elle a notamment publié pour le compte du ministère de la Justice du Canada une étude intitulée : « La Cour Suprême du Canada et son impact sur l’articulation du bijuridisme ». Elle est donc fort compétente en la matière. De plus, le plaignant n’a pas démontré qu’elle a fait des erreurs dans la correction de sa réponse à la question 3 de l’examen.

43 Le Tribunal est donc d’avis que le plaignant n’a pas démontré que l'intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a conclu que la réponse du plaignant à la question 3 de l’examen était inadéquate.

Décision


44 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est rejetée.


John Mooney
Vice-président

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2009-0267
Intitulé de la cause :
Emmanuel Didier et le sous-ministre de la Justice
Audience :
Instruction sur dossier
Date des motifs :
7 février 2011

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Me Emmanuel Didier
Pour l'intimé :
Me Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique :
Me Lili Ste-Marie
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