Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Selon la plaignante, l’intimé aurait abusé de son pouvoir dans sa façon d’évaluer la personne nommée. La plaignante a affirmé par ailleurs que l’intimé avait fait preuve de favoritisme personnel à l’égard de la personne nommée et qu’un membre du comité d’évaluation était un ami de cette dernière, ce qui suscitait une crainte raisonnable de partialité. Décision Le comité d’évaluation avait évalué les qualifications essentielles pour le poste sur la base – entre autres – d’un exposé présenté par les candidats. Le Tribunal a jugé que le comité savait ou aurait dû savoir que la personne nommée avait utilisé des documents préparés par un tiers et protégés par les droits d’auteur. La personne nommée ne répondait peut-être pas aux qualifications essentielles puisqu’elle n’avait pas préparé elle-même son exposé. La décision de nomination a donc été prise sur la base d’éléments insuffisants, entraînant ainsi un résultat inéquitable. La nomination d’une personne ne possédant pas les qualifications essentielles n’est pas fondée sur le mérite; elle constitue par conséquent un abus de pouvoir. Le Tribunal a estimé que l’intimé n’avait pas fait preuve de favoritisme personnel à l’égard de la personne nommée dans sa décision de reclassifier le poste afin de répondre aux exigences organisationnelles, ni dans le choix de la zone de sélection, ni dans la conclusion que la personne nommée possédait l’expérience requise pour être retenue à la présélection. Le Tribunal a jugé d’autre part que ni le report de l’entrevue de la personne nommée, ni le choix du sujet de l’exposé, ni la manière d’effectuer la vérification des références ne s’apparentaient à du favoritisme personnel. Les éléments de preuve ont fait ressortir que l’un des membres du comité d’évaluation était un « bon ami » de la personne nommée. Appliquant le critère de crainte raisonnable de partialité adopté dans la décision Newfoundland Telephone Company c. Terre-Neuve ( Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, le Tribunal a conclu que le fait pour ce membre de ne pas avoir interrompu ses interactions sociales avec la personne nommée et de n’avoir pas été en mesure de nier catégoriquement avoir eu une discussion avec celle-ci au sujet de sa candidature une fois le processus amorcé, ce fait donne lieu à une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la personne nommée, ce qui constitue un abus de pouvoir. Plainte accueillie. Mesure corrective Le Tribunal a ordonné à l’administrateur général de révoquer la nomination dans les 30 jours.

Contenu de la décision

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Dossier :
2009-0015
Décision
rendue à :

Ottawa, le 14 octobre 2011

JANE BAIN
Plaignante
ET
LE SOUS-­MINISTRE DE RESSOURCES NATURELLES CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est accueillie
Décision rendue par :
Lyette Babin-MacKay, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Bain c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada
Référence neutre :
2011 TDFP 0028

Motifs de décision


Introduction


1 La plaignante, Jane Bain, s'est portée candidate à un processus de nomination interne annoncé à Ressources naturelles Canada (RNCan) visant le poste de directeur général adjoint, Direction de la planification et de la coordination des affaires (DGA - DPCA), un poste aux groupe et niveau CO-04 au Centre de recherche d'Ottawa de CanmetÉNERGIE. Elle a été évaluée et jugée qualifiée, mais c'est Geoffrey Murphy, un autre candidat qualifié, qui a finalement été nommé au poste.

2 Dans sa plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal), la plaignante soulève plusieurs allégations d'abus de pouvoir, y compris de favoritisme personnel à l'endroit de la personne nommée. Elle formule également une allégation de crainte raisonnable de partialité vu que l'un des membres du comité d'évaluation est un ami personnel de la personne nommée.

3 L'intimé, le sous-ministre de RNCan, nie tout abus de pouvoir.

Contexte


4 La plaignante, qui a commencé à travailler à RNCan en 1984, occupe depuis 1995 le poste de gestionnaire, Innovation technologique (PC-04), au sein de la DPCA. De son côté, la personne nommée travaille à RNCan depuis 1992 et est gestionnaire du Bureau du développement commercial (CO-03), DPCA, depuis 2002. Les postes de la plaignante et de la personne nommée relèvent tous deux du poste visé en l'espèce, devenu vacant en 2006.

5 De décembre 2006 à juillet 2007, puis d'août 2007 à mars 2008, la plaignante et M. Murphy ont tour à tour occupé par intérim le poste en question pour des périodes d'environ quatre mois. Durant la première séquence de nominations intérimaires, la classification du poste était SE-REM-02. Pour la deuxième séquence, le poste était de groupe et niveau PC-05.

6 Au printemps 2008, le poste a été classifié aux groupe et niveau CO-04, et un processus de nomination visant à le doter pour une période indéterminée a été lancé.

7 Le 15 mai 2008, l'intimé a publié sur Publiservice une annonce de possibilité d'emploi pour ce poste, établissant la date limite de candidature au 5 juin 2008. Lorsque la direction a constaté que la plaignante, qui suivait alors une formation linguistique, n'avait pas présenté sa candidature pendant la période d'affichage de la première annonce, l'intimé publiait le 11 juin 2008 une deuxième annonce fixant le dernier délai de candidature au 18 juin 2008. La plaignante a soumis sa candidature le 18 juin 2008.

8 Le processus de nomination était ouvert aux fonctionnaires de la fonction publique occupant un poste dans la région de la capitale nationale. Trente-six personnes ont postulé, dont dix fonctionnaires de RNCan.

9 Le comité d'évaluation (le comité) était composé de John Marrone (président), directeur général, Centre de la technologie de l'énergie de CANMET d'Ottawa (CTEC), maintenant appelé le Centre de recherche d'Ottawa de CanmetÉNERGIE (ci-après appelé Canmet), de Martin Aubé, alors directeur exécutif, CTEC, et de Safaa Fouda, scientifique de RNCan à la retraite et ancienne directrice générale adjointe des opérations au CTEC.

10 La présélection des candidats était fondée sur les qualifications essentielles relatives aux études, à l'expérience et à la compétence dans les langues officielles. Sept candidats ont été retenus à la présélection, y compris la plaignante et M. Murphy.

11 Les qualifications essentielles relatives aux connaissances, aux capacités et aux qualités personnelles ont été évaluées au moyen d'une entrevue, d'une présentation, d'un exercice de communication écrite et de la vérification des références. Les candidats devaient préparer, à l'aide de PowerPoint, un exposé de 15 minutes à présenter durant l'entrevue. Ils recevaient les questions d'entrevue 30 minutes avant le début de celle-ci. Par la suite, ils devaient effectuer un exercice de communication écrite de 30 minutes. Pour terminer, le comité a procédé à une vérification des références.

12 Les entrevues et présentations étaient prévues pour les 16 et 17 octobre 2008. La date d'entrevue a été communiquée par courriel aux candidats une semaine à l'avance, soit les 8 et 9 octobre 2008. Le courriel comportait les instructions suivantes :

Dans le cadre de votre entrevue, nous vous demandons de préparer une présentation PowerPoint de 10 diapositives, d'une durée maximale de 15 minutes à l'aide du modèle ci-dessous. L'exposé sera présenté dans une mission commerciale en Chine et portera sur une nouvelle technologie canadienne de votre choix; vous devrez décrire les avantages et les caractéristiques uniques de cette technologie et les possibilités en ce qui concerne son transfert.
[...]
Veuillez apporter trois copies papier de votre dossier de présentation pour les remettre aux membres du comité.

[traduction]
[caractères gras ajoutés]

13 L'entrevue de la personne nommée a finalement été reportée du 17 au 28 octobre 2008, pour des raisons qui seront exposées ci-après.

14 Les membres du comité ont évalué chaque candidat en procédant par consensus le jour de l'entrevue. Mme Fouda a compilé les résultats et préparé un résumé pour chaque candidat.

15 Mme Fouda a effectué la vérification des références auprès des répondants désignés par chaque candidat, en leur lisant des questions préparées et en notant leurs réponses. Elle a présenté ses conclusions aux autres membres du comité lors d'une rencontre subséquente. Les notes finales pour la vérification des références ont ensuite été attribuées par consensus.

16 Une fois l'évaluation terminée, le comité a déterminé que trois candidats possédaient les qualifications essentielles : M. Murphy, une autre personne et la plaignante, classés respectivement premier, deuxième et troisième.

17 Le 29 décembre 2008, l'intimé a publié une notification de nomination ou de proposition de nomination concernant la nomination de M. Murphy au poste visé.

18 Le 13 janvier 2009, la plaignante a présenté une plainte au Tribunal, en vertu de l'article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13(la LEFP).

Questions en litige


19 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. La manière dont le comité a évalué la présentation de la personne nommée constitue-t-elle un abus de pouvoir aux termes de l'article 77 de la LEFP?
  2. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir par favoritisme personnel à l'endroit de la personne nommée?
  3. Les liens d'amitié entre M. Aubé, membre du comité, et la personne nommée suscitent-ils une crainte raisonnable de partialité?

Analyse


20 La plainte a été présentée en vertu de l'article 77(1)a) de la LEFP, libellé comme suit :

77.(1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d'un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination pour l'une ou l'autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l'administrateur général dans l'exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[…]

21 La LEFPne définit pas ce qu'est un abus de pouvoir, mais l'article 2(4) indique qu'« [i]l est entendu que, pour l'application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

22 Aux termes de l'article 30(2), une nomination est fondée sur le mérite lorsque selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles - notamment la compétence dans les langues officielles – établies par l'administrateur général pour le travail à accomplir.

23 L'article 36 de la LEFP confère au comité le pouvoir discrétionnaire d'utiliser les outils d'évaluation de son choix.

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d'évaluation – notamment priseen compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues – qu'elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l'alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

24 Tel qu'il est établi dans la jurisprudence du Tribunal, il incombe au plaignant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination (voir les décisions Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008 et Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007).

Question I :  La manière dont le comité a évalué la présentation de la personne nommée constitue-t-elle un abus de pouvoir aux termes de l'article 77 de la LEFP?

25 La plaignante affirme que, contrairement aux instructions invitant les candidats à préparer et présenter un exposé, la personne nommée n'a pas préparé sa propre présentation. Ce candidat a plutôt utilisé une présentation protégée par les droits d'auteur qu'avait réalisée une entreprise, exception faite de la page titre et de la dernière page. Ainsi, on ne peut conclure que le comité a évalué ce candidat au regard de ses connaissances grammaticales, de sa capacité de communiquer par écrit, de sa capacité de préparer une présentation ni de l'aspect visuel et du caractère logique de son travail.

26 Le comité avait jugé utile de fournir aux candidats des instructions brèves et claires. Selon celles-ci, les candidats devaient préparer, à l'aide de PowerPoint, un exposé de 10 diapositives, d'une durée maximale de 15 minutes, à présenter dans une mission commerciale en Chine. Cet exposé, portant sur une nouvelle technologie canadienne de leur choix, devait décrire les avantages et les caractéristiques uniques de cette technologie et les possibilités quant à son transfert.

27 La préparation des présentations ne faisait l'objet d'aucun contrôle, et les instructions fournies aux candidats ne précisaient pas les sources à consulter ni la manière d'effectuer les recherches et d'obtenir l'information. Selon Mme Fouda, ces aspects n'avaient que peu d'intérêt aux yeux du comité. M. Marrone a affirmé que le comité ne se souciait pas de l'information utilisée : le seul objectif était d'évaluer la manière dont celle-ci était présentée. Les candidats n'avaient pas à fournir la source de leurs renseignements et le comité ne voulait pas évaluer la façon dont ils avaient préparé leur présentation, étant donné qu'il n'était pas présent à l'étape de la préparation.

28 Mme Fouda a déclaré que les candidats devaient présumer qu'ils se trouvaient dans une mission commerciale dans un pays étranger et qu'ils devaient présenter une technologie à mettre en application dans ce pays. Elle a ajouté que le comité cherchait à évaluer, entre autres, la manière dont les candidats parvenaient à persuader le public cible d'établir un partenariat visant la mise en œuvre ou la commercialisation de la technologie. Le comité évaluait si le débit, la logique et le pouvoir de persuasion des candidats étaient appropriés, si leur « argumentaire » était efficace, si les candidats avaient adapté leur présentation en fonction du public cible, s'ils établissaient le contact avec lui et s'ils étaient à l'écoute de celui-ci. Le comité évaluait également la grammaire et l'orthographe.

29 M. Marrone a expliqué que la plaignante a perdu des points pour sa présentation parce qu'elle n'a pas agi comme si elle s'adressait à un public chinois : elle a passé beaucoup de temps à décrire la Chine (un public chinois connaîtrait déjà le pays) et à parler des avantages de la technologie pour le Canada (ce à quoi un public chinois n'attacherait pas d'importance), et elle a utilisé des acronymes qui ne sont pas connus en Chine. Elle a présenté de nombreux faits sans formuler de recommandation. Son approche était très terre à terre; on dirait qu'elle s'adressait au comité plutôt qu'à un public.

30 Invitée à expliquer pourquoi la plupart des diapositives de M. Murphy comprenaient les mots « confidentiel » ou « MENOVA », Mme Fouda a indiqué qu'il n'est pas rare de ne lire que « Canmet » ou le nom d'un de ses partenaires sur de tels documents. Une entente permet de préciser qui s'occupera de la mise en marché d'un produit, de sorte qu'il importe peu qu'une présentation ait été préparée par Canmet ou par une entreprise privée. Le seul aspect qui compte est la manière dont le produit est présenté.

31 Pour sa part, M. Marrone a reconnu que sur toutes les pages de la présentation de la personne nommée, à l'exception de deux, apparaissaient les mots « tous droits réservés » [traduction], « Power-spar.com » et « MENOVA Energy ». Il a convenu que ces pages n'avaient fort probablement pas été préparées par M. Murphy, mais qu'elles avaient plutôt été tirées de documents rédigés par l'entreprise Menova. Il a toutefois soutenu que M. Murphy avait lui-même préparé sa présentation. Il avait navigué sur Internet pour trouver des images, structuré son discours autour de celles-ci et expliqué en quoi elles touchaient le public. Le comité ne se souciait pas du matériel utilisé; il évaluait uniquement la manière dont il était présenté.

32 M. Marrone a ajouté que le comité avait accordé des points pour l'aspect visuel des présentations et il a reconnu que M. Murphy n'avait pas créé ces images. Questionné sur la manière dont le comité pouvait évaluer la grammaire, l'orthographe et l'aspect visuel de la présentation si ce candidat n'avait pas préparé lui-même les diapositives et les avait plutôt tirées d'un site Web, M. Marrone a répondu qu'il ne s'agissait pas d'un examen universitaire. Les diapositives étaient celles de M. Murphy et ce qui importait était la manière dont il les avait présentées.

33 La personne nommée n'a pas présenté de témoignage pour préciser si sa présentation était protégée par les droits d'auteur ou non.

34 Après avoir soigneusement examiné la preuve, le Tribunal conclut que la majorité des diapositives figurant dans la présentation de la personne nommée provenaient de documents confidentiels et protégés par les droits d'auteur, préparés par une entreprise appelée MENOVA Energy Inc. ou pour le compte de cette entreprise, et qu'elles ont été insérées dans le modèle de présentation fourni. Les diapositives portaient des titres comme « MENOVA Energy – Systèmes Power - Spar » [traduction], « Le produit » [traduction], « Comparaisons » [traduction], « Possibilités de montage » [traduction], etc. Sur toutes les diapositives avait été inséré le logo du Centre de la technologie de l'énergie de Canmet, de Ressources naturelles Canada et du gouvernement du Canada. Seules la page titre et la dernière page ne comprenaient pas la mention « © 2008 Tous droits réservés Menova Energy Inc. CONFIDENTIEL » [traduction].

35 Le Tribunal note que M. Marrone a reconnu, dans son témoignage, que la plupart des diapositives de M. Murphy provenaient d'une source protégée par les droits d'auteur et étaient de nature confidentielle. Il a en outre admis que la personne nommée n'avait pas préparé elle-même les diapositives. De son côté, Mme Fouda est demeurée quelque peu vague au moment de dire si la personne nommée avait préparé la présentation elle-même ou non.

36 Par conséquent, selon le Tribunal, il est clair que durant son entrevue, la personne nommée a utilisé une présentation bâtie en grande partie à partir de renseignements protégés par les droits d'auteur. De même, le Tribunal estime qu'il est improbable que les membres du comité n'aient pas remarqué, pendant ou après l'entrevue, les mentions de droits d'auteur et de confidentialité sur la version papier des diapositives fournies par la personne nommée.

37 Le Tribunal doit maintenant déterminer si l'utilisation de documents protégés par les droits d'auteur et préparés par un tiers a une incidence sur l'évaluation de la personne nommée. M. Marrone et Mme Fouda soutiennent que ce n'est pas le cas. Le Tribunal ne partage pas cette opinion.

38 La plupart des diapositives comportent une mention de confidentialité et il semble, selon toute vraisemblance, que la personne nommée a eu accès à ces diapositives dans le cadre de son travail plutôt qu'en naviguant simplement sur Internet. Il est en effet probable qu'elle ait tiré ces documents de dossiers de RNCan qu'elle pouvait consulter de par le poste qu'elle occupait au Bureau de la planification et de la coordination des affaires de Canmet.

39 Selon le Canadian Oxford Dictionary, édition 2004, le verbe préparer (prepare en anglais) se définit de la manière suivante : « 1 verbe transitif, mettre en état d'être utilisé, étudié, etc. verbe transitif, rendre prêt, assembler (des aliments, un repas, etc.) en vue de la consommation […] » [traduction].

40 Cette définition générale du verbe préparer signifie que la personne qui prépare une présentation la « met en état d'être étudiée ». Or, un document protégé par les droits d'auteur et utilisé à des fins semblables a déjà été « mis en état d'être étudié »; il a donc déjà été préparé, selon la définition courante du mot.

41 La notion de préparation suppose la création d'une présentation et non pas l'utilisation d'une présentation tirée en grande partie d'un document préparé par quelqu'un d'autre.

42 Les marques de droits d'auteur sont visibles, et la preuve présentée au Tribunal démontre que M. Marrone, le président du comité, en était conscient. En ce qui concerne les autres symboles relatifs à un tiers, Mme Fouda et M. Marrone ont tous deux reconnu leur présence. Étant donné la grande visibilité de ces symboles sur les diapositives de la présentation, les membres du comité auraient probablement dû remarquer, durant l'entrevue ou le processus d'évaluation, que la présentation provenait directement d'un tiers. Après avoir constaté la situation, le comité aurait dû être préoccupé par le fait que la personne nommée avait utilisé du matériel confidentiel protégé par les droits d'auteur, matériel auquel les autres candidats n'auraient par ailleurs peut-être pas pu avoir accès.

43 L'utilisation par M. Murphy de matériel protégé par les droits d'auteur et préparé par un tiers soulève plusieurs questions. Selon le guide d'évaluation, la présentation et l'exercice de communication écrite visaient à évaluer la capacité de communiquer de vive voix et par écrit et de faire des présentations à l'intention de cadres supérieurs du gouvernement ou du secteur privé. Puisque M. Murphy n'a pas préparé sa présentation, il se peut qu'il ne réponde pas aux exigences de l'énoncé des critères de mérite en ce qui a trait à sa capacité de communiquer par écrit.

44 Dans la décision Tibbs, le Tribunal a établi cinq critères généraux permettant de déterminer si le pouvoir discrétionnaire exercé par un gestionnaire délégataire constitue un abus de pouvoir. On compte parmi ces critères le fait qu'un délégué se fonde sur des éléments insuffisants ou que l'exercice de son pouvoir discrétionnaire mène à un résultat inéquitable.

45 En l'espèce, la décision d'accepter une présentation qui n'avait pas été préparée par la personne nommée contrevient clairement à l'instruction invitant chaque candidat à préparer lui-même sa présentation. Le Tribunal juge qu'en acceptant d'évaluer M. Murphy dans ces circonstances, le comité a fondé sa décision sur des éléments insuffisants. En outre, l'évaluation favorable d'une présentation que ce candidat n'a pas préparée lui-même a entraîné un résultat inéquitable.

46 Bien que le comité ait choisi un sujet et un pays sur lesquels les candidats pouvaient facilement trouver des renseignements sur Internet, le Tribunal juge qu'il est improbable que la personne nommée ait pu trouver sur Internet le document confidentiel protégé par les droits d'auteur qu'elle a utilisé, puisque ce matériel n'est pas diffusé publiquement. Quoi qu'il en soit, même si ce candidat avait trouvé l'information sur Internet, la preuve dont a été saisi le Tribunal démontre qu'il a utilisé les diapositives d'un tiers et qu'il n'a pas préparé lui-même sa présentation.

47 Le Tribunal reconnaît que la préparation des présentations ne faisait l'objet d'aucun contrôle et que les instructions données aux candidats ne précisaient pas les sources à consulter ni la manière d'effectuer les recherches et d'obtenir l'information. Toutefois, il n'est pas raisonnable que le comité n'ait pas été préoccupé ni intéressé par le matériel utilisé, comme l'ont indiqué M. Marrone et Mme Fouda dans leur témoignage.

48 Ces constatations vont à l'encontre des critères d'évaluation que le comité avait décidé d'utiliser pour évaluer cette capacité, lesquels étaient énoncés dans le guide d'évaluation :

Clarté : La communication est claire, directe et facile à comprendre; elle traduit bien ce que la personne veut exprimer.

Concision : La communication est brève et va droit au but.

Logique : Les idées sont élaborées logiquement et présentées dans un ordre raisonnable.

Exhaustivité : Le message contient tous les renseignements essentiels (objectifs, dates de remise, sources à consulter, salutations appropriées, en-têtes, date, etc.).

Usage : Dans sa communication, la personne respecte les règles de grammaire et utilise le vocabulaire approprié (choix des termes).

Communication écrite : Les erreurs de ponctuation et d'orthographe, s'il en existe, sont négligeables.

La communication de vive voix sera évaluée durant l'entrevue.

[traduction]

49 Le Tribunal estime que certains critères, comme la clarté, le respect des règles de grammaire, le nombre d'erreurs dans le texte écrit, la logique et la concision, ne peuvent être évalués simplement à l'aide de la présentation orale de l'information, mais qu'ils dépendent directement de la préparation en tant que telle. Il convient de noter que le comité a jugé que la présentation de M. Murphy était logique et respectait les règles de grammaire. Les notes des membres du comité font notamment état de la clarté de la présentation, de son aspect imagé et de la personnalité qui s'en dégage, ainsi que du fait qu'elle est bien adaptée au public cible. Toutefois, il demeure impossible de déterminer quelles parties de l'évaluation se rapportent au matériel que ce candidat a lui-même préparé et celles qui concernent les diapositives protégées par les droits d'auteur et qu'il a utilisées pour la majeure partie de sa présentation.

50 Le comité a estimé que la personne nommée possédait la capacité de communiquer de vive voix et par écrit et de donner des présentations à l'intention de cadres supérieurs du gouvernement ou du secteur privé, mais il n'en demeure pas moins que ce candidat n'a pas lui-même préparé le matériel qu'il a présenté.

51 Entre permettre aux candidats de réaliser des recherches pour trouver des renseignements en vue de préparer une présentation et évaluer favorablement un candidat pour une présentation préparée par autrui – ce que le comité savait ou aurait dû savoir –, il y a tout un pas à franchir. Un processus de nomination n'est certes pas réalisé dans les mêmes conditions qu'un examen universitaire, mais un comité d'évaluation ne devrait pas pour autant accepter un travail protégé par les droits d'auteur et effectué par un tiers dans un cadre professionnel. Un processus de nomination doit témoigner d'un certain degré de rigueur, même si celui-ci n'est pas aussi élevé que pour un examen universitaire, au même titre qu'il doit respecter les valeurs de la LEFP visant à préserver le mérite.

52 La LEFP établit que les nominations doivent être fondées sur le mérite; à cet égard, l'article 30(2) précise qu'une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles. La nomination d'une personne qui ne possède pas ces qualifications n'est pas fondée sur le mérite. Or, effectuer une nomination qui n'est pas fondée sur le mérite constitue un abus de pouvoir (voir les décisions Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités, 2007 TDFP 0044, para. 38, et Patton c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 0008, para. 35).

53 Par conséquent, le Tribunal juge que le comité d'évaluation a abusé de son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur des éléments insuffisants et en ne tenant pas compte de certains aspects importants au moment de conclure que la personne nommée possédait les qualifications essentielles évaluées. Cette décision a entraîné un résultat inéquitable, à savoir la conclusion selon laquelle ce candidat était entièrement qualifié. Il s'agit donc d'un abus de pouvoir.

Question II :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir par favoritisme personnel à l'endroit de la personne nommée?

54 La plaignante affirme que le favoritisme personnel était un facteur déterminant durant les diverses étapes du processus de nomination – avant et pendant le déroulement des activités.

55 L'article 2(4) de la LEFP stipule clairement que le favoritisme personnel constitue un abus de pouvoir. À ce sujet, le Tribunal a établi que la preuve de favoritisme personnel pouvait être directe ou circonstancielle (voir les décisions Glasgow, para. 44, et Jacobsen c. Sous-ministre d'Environnement Canada, 2009 TDFP 0008, para. 54).

56 Pour les motifs expliqués ci-dessous, le Tribunal a conclu que les faits suivants ne permettent pas de conclure au favoritisme personnel en l'espèce.

La classification du poste visé (CO-04);

Le choix de la zone de sélection;

La décision de retenir la candidature de la personne nommée à la présélection;

Le report de l'entrevue et de la présentation de la personne nommée;

Le choix du pays dont devait traiter la présentation;

La manière dont la vérification des références a été effectuée;

Les déclarations de M. Marrone durant sa discussion informelle avec le candidat Joseph Rubino.

La classification du poste

57 Tout en reconnaissant que le Tribunal n'a pas compétence pour statuer sur la question de savoir si la classification d'un poste est appropriée ou non, la plaignante soutient qu'il devrait tout de même tenir compte des conséquences, au regard des circonstances, des changements de classification effectués au fil des ans. Elle affirme que depuis la création du poste en 1995, la direction a toujours classifié celui-ci en fonction du groupe et du niveau de la personne qu'elle avait l'intention de nommer.

58 Elle soutient que la direction a classifié le poste aux groupe et niveau CO-04 pour favoriser M. Murphy personnellement, puisqu'il n'aurait pas satisfait aux exigences en matière d'études pour les groupes professionnels Recherche scientifique (SE) ou Sciences physiques (PC).

59 Il n'appartient pas au Tribunal de réviser les décisions de la direction en matière de classification des postes. Toutefois, pour donner suite aux allégations de favoritisme personnel envers M. Murphy présentées par la plaignante, le Tribunal a étudié les événements qui ont directement mené à la classification aux groupe et niveau CO-04 du poste visé par ce processus de nomination (voir par exemple la décision Rinn).

60 M. Marrone a expliqué en détail l'évolution de la classification du poste. Il avait initialement demandé l'autorisation de créer des postes de groupe et niveau EX-02, mais lorsque la demande a été approuvée pour un seul poste EX-01, le Bureau de la planification et de la coordination des affaires concentrait ses efforts sur le marketing. Ainsi, il a été décidé que le poste PC-05 existant (qui était auparavant un poste SE-REM-02) deviendrait un poste CO-04. Bien qu'il soit vrai que M. Murphy n'aurait pas satisfait aux exigences en matière d'études pour un poste SE-REM-02 ou PC-05, la preuve démontre que la classification du poste aux groupe et niveau CO-04 découlait d'un changement de priorité au sein de l'organisation, qui a décidé d'axer ses activités sur le marketing plutôt que sur les sciences.

61 Le Tribunal estime que la direction a établi la classification du poste aux groupe et niveau CO-04 en 2008 pour répondre à des exigences organisationnelles et non pas en vue de favoriser personnellement la personne nommée.

Le choix de la zone de sélection

62 La plaignante soutient que l'intimé a modifié le critère géographique utilisé pour l'établir à la région de la capitale nationale (RCN), afin de favoriser personnellement la personne nommée et d'augmenter ses chances d'obtenir le poste. Elle affirme que le fait de restreindre la zone de sélection à la RCN a empêché d'autres fonctionnaires qualifiés de postuler, ce qui a augmenté les chances des candidats existants, dont la personne nommée, d'obtenir le poste.

63 Elle n'a toutefois pas fourni de preuve à l'appui de son allégation selon laquelle l'intimé n'a pas pris en considération et respecté de façon équitable la LEFP et les Lignes directrices en matière de zone de sélection de la CFP au moment d'établir la zone de sélection pour ce processus.

64 Selon les articles 15 et 34(1) de la LEFP, les administrateurs généraux peuvent déterminer la zone de sélection d'un processus de nomination en établissant des critères géographiques, organisationnels ou professionnels. Selon les Lignes directrices en matière de zone de sélection de la CFP, la zone de sélection doit fournir un accès raisonnable aux nominations internes. L'objectif est de permettre au gestionnaire de choisir une personne qualifiée parmi un nombre suffisant de candidats. De même, la politique de RNCan en matière de zone de sélection exige que les zones de sélection fournissent un accès raisonnable aux possibilités d'emploi et permettent de recueillir la candidature d'un nombre raisonnable de candidats potentiels, de façon à répondre aux besoins ministériels sans compromettre la souplesse, l'efficacité et le rapport coût-efficacité du processus de nomination.

65 La politique de RNCan en matière de zone de sélection stipule que la zone de sélection pour les postes de groupe et niveau CO-04 doit normalement comprendre les fonctionnaires occupant un poste au Canada.

66 Jane van Doormaal, agente principale des ressources humaines, était responsable de la prestation de soutien et de conseils en ressources humaines pour ce processus. Elle a affirmé que M. Marrone avait décidé de limiter la zone de sélection aux fonctionnaires de la RCN parce qu'il y avait suffisamment de candidats potentiels dans la région. La justification relative à la zone de sélection qu'elle a fournie corrobore d'ailleurs cette affirmation.

67 M. Marrone a déclaré qu'au moment d'établir la zone de sélection, il savait que RNCan comptait 33 fonctionnaires de groupe et niveau CO-03 dans la RCN. Il était également convaincu que cette zone de sélection permettrait de trouver des candidats prometteurs. Il a précisé que 36 personnes avaient présenté leur candidature, dont 10 provenaient de RNCan.

68 Le Tribunal estime qu'un nombre suffisant de candidats ont postulé pour ce processus interministériel et que celui-ci a permis de trouver un nombre raisonnable de candidats qualifiés, comme l'exigent les lignes directrices de la CFP et la politique du ministère. En tout, trois candidats ont été jugés qualifiés, dont la plaignante et la personne nommée.

69 La plaignante n'a pas démontré que l'intimé avait établi la zone de sélection en vue de favoriser M. Murphy.

La décision de retenir la candidature de la personne nommée à la présélection

70 La plaignante allègue que la personne nommée ne possède pas la qualification essentielle « Expérience de la planification commerciale et stratégique au sein d'une organisation technologique ». Elle soutient que la personne nommée n'avait pas acquis une expérience suffisante de la production de rapports et de la planification opérationnelles, de la planification stratégique et de la production de divers documents gouvernementaux.

71 La plaignante a expliqué qu'elle est responsable des activités de planification opérationnelle de Canmet depuis 1995 et que sa propre expérience lui permet de se rendre compte du manque d'expérience de M. Murphy dans ce domaine. Ce dernier a été responsable de la planification opérationnelle seulement pendant son intérim au poste de DGA - DPCA, du 4 décembre 2006 au 31 mars 2007, période durant laquelle il a confié la production du plan des activités à un consultant. Pour appuyer son affirmation, la plaignante a présenté un document intitulé CTEC – Bureau de la planification et de la coordination des affaires – Ottawa – Mise à jour le 5 avril 2007 [traduction], selon lequel un consultant aurait préparé le plan des activités en mars 2007.

72 M. Marrone a convenu que la plaignante était responsable de la préparation du plan des activités depuis plusieurs années. Il a ajouté que des consultants avaient été embauchés à différentes occasions par le passé pour rédiger ce document. Il ne se rappelait pas qui l'avait rédigé en 2007.

73 Si le Tribunal ne peut substituer son évaluation des qualifications des candidats à celle du comité, il peut néanmoins déterminer si ce dernier a fait preuve d'abus de pouvoir dans son examen des candidatures (voir la décision Lavigne c. Canada (Justice), 2009 CF 684, para. 70).

74 En l'espèce, la preuve démontre que le comité estimait que M. Murphy avait l'expérience nécessaire en planification commerciale et stratégique dans un environnement axé sur la technologie. Selon son curriculum vitæ, il a occupé par intérim le poste de DGA - DPCA, pendant huit mois. La preuve établit également que durant cette période, il a confié à un consultant la préparation du plan des activités. Selon M. Marrone, cette pratique avait déjà été utilisée dans la division.

75 La plaignante n'a pas réussi à démontrer que l'expérience recherchée pouvait seulement être acquise par la préparation de plans des activités sans l'aide d'un consultant. Le Tribunal conclut donc que la plaignante n'a pas prouvé que le comité a abusé de son pouvoir en déterminant que M. Murphy possédait l'expérience nécessaire en planification commerciale et stratégique au sein d'une organisation technologique.

Le report de l'entrevue et de la présentation de la personne nommée

76 La plaignante affirme que l'intimé a favorisé personnellement la personne nommée en acceptant de reporter son entrevue après que ce candidat eut reçu les instructions sur la présentation, ce qui lui laissait plus d'une semaine pour se préparer. Elle souligne que les raisons invoquées par la personne nommée dans deux courriels pour justifier le report se contredisaient.

77 Selon la preuve présentée au Tribunal, un courriel datant du 9 octobre 2008 informait M. Murphy que son entrevue se déroulerait la semaine suivante, soit le vendredi 17 octobre 2008. Le lendemain, le 10 octobre 2008, M. Murphy a adressé à Mme van Doormaal un courriel sollicitant le report de son entrevue à la semaine du 20 octobre. Son courriel contenait le passage suivant :

« Bonjour Jane, je n'ai pas pu parler à Lisa. À cette date je dois faire une présentation à un SMA venant d'Australie qui pourrait devenir un collaborateur très important pour nous. Serait-il possible de reporter l'entrevue à lundi, mardi ou mercredi de la semaine suivante? Merci. »

[traduction]

78 Dans son témoignage, Mme van Doormaal n'a pas précisé les circonstances du report.

79 Mme Fouda a affirmé que le comité souhaitait que les candidats disposent tous d'un délai équivalent pour préparer leur entrevue. Elle ignore qui a décidé d'accéder à la demande de M. Murphy.

80 Selon M. Marrone, M. Murphy a informé Mme van Doormaal qu'il serait occupé en raison de la présentation qu'il ferait au sous-ministre adjoint australien le jour où son entrevue avait été prévue à l'origine, et qu'il n'aurait pas le temps de se préparer. À la lumière des conseils de Mme van Doormaal, qui estimait qu'une telle situation nécessitait la prise de mesures d'adaptation, M. Marrone a accepté la demande de M. Murphy. Ce dernier n'avait pas à mettre de côté ses activités professionnelles pour passer l'entrevue, ce qu'il aurait été contraint de faire pour préparer sa présentation.

81 La plaignante a présenté comme preuve un courriel envoyé par la personne nommée à M. Marrone le 17 mars 2009, qui contient le passage suivant : « En réponse à votre demande, j'étais en Chine du 31 octobre au 7 novembre – j'ai fait ma présentation le 4 novembre. Mon entrevue était le 28 octobre. Je crois que nous l'avions reportée d'une semaine étant donné que nous avions eu deux visites la semaine précédente et que j'avais pris un congé annuel les 16 et 17. J'espère que ces renseignements vous seront utiles. »[traduction]

82 M. Marrone a expliqué qu'en 2009, il avait communiqué avec M. Murphy pour connaître les circonstances entourant le report de l'entrevue d'octobre 2008. Il a reconnu que M. Murphy invoquait maintenant les congés annuels comme raison pour laquelle il ne pouvait passer l'entrevue à la date prévue à l'origine. Selon M. Marrone, un report d'une semaine était négligeable et n'avait aucune incidence sur la capacité de M. Murphy de faire des présentations, étant donné qu'il était impossible pour qui que ce soit d'acquérir la capacité de s'exprimer en public et d'exercer un pouvoir de persuasion en l'espace d'une semaine.

83 Même si les courriels semblent contradictoires, le Tribunal n'accorde pas beaucoup d'importance à la communication envoyée par M. Murphy en 2009. La preuve démontre qu'en octobre 2008, des documents produits à l'époque et auxquels M. Marrone et Mme van Doormaal se sont probablement fiés indiquent que M. Murphy a dû s'occuper d'une délégation en provenance d'Australie. M. Marrone a autorisé le report de l'entrevue à la lumière des conseils de Mme van Doormaal.

84 La preuve démontre que la décision de remettre l'entrevue reposait sur la demande datant de 2008, et non pas sur les motifs énoncés dans le courriel de 2009, dans lequel il semble y avoir confusion relativement aux événements survenus en 2008. La preuve démontre également que dans son courriel de 2008, la personne nommée a demandé que son entrevue soit reportée à une date très proche de la date initialement proposée. Les membres du comité se sont ensuite entendus pour tenir l'entrevue le 28 octobre 2008, compte tenu des disponibilités de chacun.

85 La plaignante n'a pas réussi à établir que M. Marrone, au moment d'autoriser le report de l'entrevue, était au courant de motifs autres que ceux que lui avait mentionnés Mme van Doormaal. Dans les circonstances, il était raisonnable d'accepter de reporter l'entrevue.

86 La plaignante n'a pas convaincu le Tribunal que le comité a favorisé personnellement M. Murphy en reportant son entrevue.

Le choix du pays dont devait traiter la présentation

87 La plaignante affirme que l'intimé a favorisé personnellement la personne nommée en décidant que le pays dont devait traiter la présentation serait la Chine. En effet, ce candidat s'était déjà rendu en Chine plusieurs fois, à l'occasion de missions commerciales de grande envergure.

88 Mme Fouda a pour sa part déclaré que le pays faisant l'objet de la présentation n'était pas important. Le comité voulait plutôt que les candidats décrivent le caractère unique de la technologie canadienne qu'ils avaient choisi de présenter ainsi que les mécanismes à mettre en place pour en permettre une éventuelle commercialisation dans un pays étranger.

89 Selon le témoignage de M. Marrone, Mme Fouda avait proposé que la présentation porte sur la Chine. Ce choix était judicieux étant donné qu'Internet contient une foule de renseignements sur ce pays et qu'il existe plusieurs projets de partenariat entre le Canada et la Chine. M. Marrone a reconnu que M. Murphy avait représenté le bureau en Chine et dans d'autres pays par le passé. Il a toutefois fait remarquer qu'un candidat connaissant bien la Chine n'était avantagé pour aucun des critères évalués. Selon lui, le choix de ce pays ne constituait pas un avantage pour M. Murphy. Le comité souhaitait plutôt évaluer la manière dont l'information était présentée.

90 Comme le Tribunal le soulignait dans la décision Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 0011, para. 26 à 28, l'article 36 de la LEFP autorise le recours à toute méthode d'évaluation appropriée permettant de déterminer si une personne est qualifiée. Selon le guide d'évaluation, la présentation visait à évaluer la capacité de communiquer (de vive voix et par écrit) et de donner des présentations à l'intention de cadres supérieurs du gouvernement ou du secteur privé.

91 M. Marrone a affirmé que la connaissance de la Chine n'était pas évaluée. Le choix du sujet et du pays est attribuable au fait que les candidats avaient accès à une multitude de renseignements sur Internet.

92 Le Tribunal a étudié les commentaires qu'ont formulés les membres du comité au sujet de la présentation. Il semble que seul M. Marrone a pris des notes sur la présentation de la plaignante et de M. Murphy. Ainsi, la Chine n'est mentionnée que dans les notes qu'a prises M. Marrone au sujet de la présentation de la plaignante. Selon ces notes, la présentation ne semblait pas s'adresser à un public chinois (c.-à-d. qu'elle n'était pas adaptée à une mission commerciale) et elle était davantage destinée à RNCan et au gouvernement du Canada. Les autres commentaires portent sur la manière dont chaque candidat a fait sa présentation, et ils pourraient s'appliquer tout autant à une présentation semblable donnée dans une mission commerciale dans un pays autre que la Chine.

93 Le Tribunal juge que la plaignante n'a pas réussi à établir que le choix de la Chine comme sujet de présentation était inapproprié, qu'il favorisait personnellement la personne nommée ou lui donnait un avantage indu. Le comité n'évaluait pas les connaissances des candidats à propos de la Chine.

La manière dont la vérification des références a été effectuée

a) la vérification des références de la plaignante et de la personne nommée

94 La plaignante soutient que l'intimé a accordé à la personne nommée une note supérieure à la sienne bien qu'elle ait obtenu de meilleurs résultats que cette personne à la vérification des références. Elle croit que le comité a favorisé personnellement M. Murphy en atténuant les commentaires moins positifs concernant sa capacité de superviser.

95 M. Marrone a reconnu qu'un répondant de M. Murphy, Dr Habib, avait formulé quelques commentaires négatifs sur la capacité de ce candidat de gérer des ressources financières et de superviser et de motiver du personnel, mentionnant particulièrement ses problèmes à composer avec des personnes exigeantes et difficiles. Son autre répondant, Eddy Chui, a également souligné que la personne nommée avait des difficultés à traiter avec une personne seulement.

96 Selon M. Marrone, les difficultés de M. Murphy à cet égard étaient attribuables à une seule personne du Bureau, qui se serait fait un devoir de lui causer des problèmes à tout prix. M. Marrone a souligné que cette situation atténuait l'aspect négatif des commentaires et que l'évaluation globale de M. Murphy était positive, abstraction faite de ces remarques.

97 Lors de la réunion de concertation du comité sur les commentaires des répondants, Mme Fouda a noté qu'à la lumière de la discussion avec MM. Marrone et Aubé et des précisions apportées par M. Chui, il était clair que les commentaires négatifs faisaient allusion à une personne en particulier.

98 M. Marrone a indiqué que Dr Habib lui avait parlé de cette situation particulière et il a ajouté que la plaignante pouvait appeler Dr Habib si elle souhaitait obtenir une confirmation.

99 M. Marrone a souligné que les commentaires formulés par Dr Habib au sujet de la plaignante étaient globalement positifs, mais que certains points étaient négatifs. En effet, la dernière remarque qu'a faite Dr Habib était qu'il ne voyait pas la plaignante occuper ce poste de gestionnaire.

100 M. Marrone a affirmé que la personne nommée et la plaignante avaient tous deux reçu des commentaires positifs et négatifs, mais que globalement, M. Murphy semblait être un meilleur gestionnaire. C'est pourquoi le comité ne voulait pas accorder trop d'importance aux commentaires négatifs attribuables à l'interaction avec une seule personne.

101 L'étendue du pouvoir discrétionnaire que prévoit l'article 36 de la LEFP permet à la direction de déterminer les outils utilisés pour évaluer les candidats. Comme il a déjà été mentionné, le rôle du Tribunal n'est pas de réévaluer les candidats, mais bien de déterminer s'il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination.

102 La LEFP exige que l'évaluation vise à nommer la bonne personne au poste à doter, et non pas à comparer les candidats entre eux pour la décision de sélection. La plaignante et l'intimé ont fourni des éléments de preuve portant sur les résultats de la vérification des références de la plaignante et de la personne nommée. Tous deux avaient reçu des commentaires positifs et négatifs.

103 Comme il a été établi dans la décision Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024, para. 53, la connaissance personnelle d'un membre du comité d'évaluation peut être considérée comme équivalente à une vérification des références et constitue une méthode d'évaluation acceptée.

104 Après avoir étudié le témoignage de M. Marrone, le Tribunal conclut que ce dernier et M. Aubé ont utilisé leur connaissance personnelle des relations de travail particulières au moment d'évaluer les commentaires fournis par Dr Habib et M. Chui. Par conséquent, le comité a décidé d'atténuer ou de réduire l'importance de certains commentaires fournis par DHabib, dans lesquels il critiquait la difficulté qu'éprouvait M. Murphy à traiter avec des personnes difficiles.

105 La plaignante n'a pas réussi à démontrer que le comité avait favorisé personnellement la personne nommée durant la vérification des références.

b) Le fait de ne pas communiquer avec le troisième répondant de la personne nommée

106 La plaignante affirme que le comité s'est fondé sur des éléments insuffisants, puisqu'il a consulté seulement deux des trois répondants désignés par la personne nommée. La plaignante est d'avis que le comité aurait pu évaluer cette personne de façon plus complète s'il avait communiqué avec les trois répondants.

107 Les candidats devaient donner le nom de trois répondants, dont un avait été leur superviseur. La plaignante et M. Murphy avaient tous deux proposé cinq répondants.

108 Pour évaluer la plaignante, Mme Fouda a obtenu les références de M. Marrone, de DHabib et d'une autre personne. Pour évaluer M. Murphy, elle a communiqué avec Dr Habib, qui était alors le superviseur de M. Murphy, et M. Chui, un pair. Elle a cessé d'essayer de communiquer avec le troisième répondant après que M. Marrone lui eut dit que le processus devait être achevé et les résultats diffusés.

109 Dans son témoignage, M. Marrone a reconnu que dans un courriel daté du 24 novembre 2008, M. Murphy lui demandait où en était le processus de nomination, indiquant qu'il envisageait d'accepter un autre poste. Dans un autre courriel, daté du 25 novembre 2008, M. Murphy indiquait qu'il ne pouvait plus attendre bien longtemps. Il demandait à obtenir des indications sur le résultat du processus au cours de la semaine, précisant toutefois à M. Marrone qu'il ne divulguerait ces renseignements à personne d'autre que les membres de l'autre groupe. M. Marrone n'a pas jugé la demande de M. Murphy comme étant inhabituelle ou inappropriée : un autre candidat l'avait en effet contacté pour s'informer de l'état d'avancement du processus.

110 M. Marrone a ensuite communiqué avec Mme Fouda, qui lui a appris qu'elle n'avait pas encore réussi à joindre le troisième répondant de M. Murphy. M. Marrone lui a demandé de mettre un terme à la vérification des références, jugeant que les commentaires de deux répondants seraient suffisants. Selon lui, l'évaluation se serait autrement poursuivie jusqu'en janvier 2009, et le comité aurait risqué de perdre un candidat de premier plan.

111 Peu après, Mme Fouda a transmis ses constatations à MM. Marrone et Aubé.

112 Le Tribunal estime curieux que M. Marrone ait demandé d'interrompre la vérification des références après que M. Murphy a formulé sa demande. Toutefois, la preuve fournie n'a pas convaincu le Tribunal que la décision de M. Marrone de ne pas communiquer avec le troisième répondant mène à une constatation de favoritisme personnel. Comme l'a affirmé M. Marrone, il souhaitait mettre un terme à un processus de nomination qui avait débuté environ six mois plus tôt et il ne voulait pas risquer de perdre un très bon candidat.

113 Lorsque Mme Fouda a reçu des instructions lui conseillant de ne plus essayer de communiquer avec le troisième répondant de M. Murphy, elle avait déjà obtenu les références de Dr Habib et M. Chui. Il n'était pas déraisonnable de la part de M. Marrone de décider de continuer le processus seulement avec les références déjà obtenues. Cette décision s'inscrit dans le pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 36 de la LEFP.

114 La plaignante n'a pas démontré que le comité avait favorisé personnellement M. Murphy en omettant de communiquer avec un troisième répondant, ni qu'il ne disposait pas de suffisamment de renseignements pour évaluer ce candidat.

Les déclarations de M. Marrone durant sa discussion informelle avec M. Rubino

115 M. Rubino, un agent de promotion commerciale occupant un poste de groupe et niveau CO-02, a fourni un témoignage qui, selon lui, prouve que le résultat du processus de nomination était décidé d'avance.

116 M. Rubino a présenté sa candidature pour ce processus, mais n'a pas passé l'étape de la présélection sur la base du critère « expérience ». Il était fortement en désaccord avec M. Marrone quant à cette décision et lui a donc demandé une discussion informelle à ce sujet. M. Rubino a affirmé que durant cette discussion, M. Marrone s'était dit surpris qu'il ait fait acte de candidature à un poste CO-04, classifié deux niveaux au-dessus de son poste actuel. Il a ajouté que M. Marrone avait alors parlé de sa propre expérience, qu'il avait acquise en montant les échelons un à un, et des responsabilités qu'il assumait avant d'atteindre le niveau de son poste actuel.

117 Pendant la discussion informelle, M. Marrone a affirmé qu'une autre possibilité d'emploi pour un poste de groupe et niveau CO-03 se présenterait une fois que le poste de DGA - DPCA, serait doté. Selon M. Rubino, ces paroles voulaient dire que le comité avait déjà arrêté son choix sur un candidat en particulier, M. Murphy en l'occurrence, car celui-ci était le titulaire du poste CO-03 dans l'unité.

118 Aux yeux de M. Marrone, M. Rubino a mal compris son affirmation à propos d'une future possibilité de promotion à un poste CO-03 une fois que le poste de DGA - DPCA, serait doté. En effet, quatre candidats participant au processus occupaient un poste CO-03; il était donc statistiquement probable qu'un poste de cette classification devienne vacant, si l'un de ces candidats était nommé. En outre, l'organisation compte 80 postes CO-03, et M. Marrone était au courant d'un grand nombre de possibilités d'emploi au sein du ministère.

119 À la lumière du témoignage des différentes parties, le Tribunal juge que les explications de M. Marrone sont raisonnables. En effet, selon le Tribunal, la preuve fournie ne permet pas de conclure que les déclarations de M. Marrone à propos des postes CO-03 montrent que la décision de nommer M. Murphy avait déjà été prise. M. Marrone a donné plusieurs raisons pour lesquelles des postes CO-03 pourraient devenir vacants. Le Tribunal n'est pas convaincu que M. Marrone sous-entendait que le poste qui pourrait éventuellement devenir vacant était celui de M. Murphy.

120 Bref, le Tribunal juge que la plaignante n'a pas apporté la preuve d'un abus de pouvoir de la part de l'intimé par favoritisme personnel à l'endroit de la personne nommée.

Question III :  Les liens d'amitié entre Martin Aubé, membre du comité, et la personne nommée suscitent-ils une crainte raisonnablede partialité?

121 La plaignante soutient que M. Aubé aurait dû refuser d'être membre du comité de sélection parce qu'il est un ami personnel de la personne nommée. Cette amitié donne lieu à une crainte raisonnable de partialité de M. Aubé envers cette personne.

122 Questionné sur la nature de sa relation avec M. Murphy, M. Aubé a affirmé qu'ils étaient de bons amis. Il a indiqué qu'ils s'étaient rencontrés il y a environ 15 ans, alors qu'ils travaillaient dans le même laboratoire. Leur amitié s'est développée lorsque M. Murphy a commencé à travailler sous ses ordres vers 1997-1998, au complexe de Bells Corners. Ils se voyaient de temps à autre à l'extérieur du travail pendant deux ou trois heures, environ tous les cinq ou six mois. Par la suite, après sa nomination au poste de directeur général, Secrétariat à l'énergie de Canmet, en 2002, M. Aubé a dû aller travailler dans un autre complexe de sciences physiques; à partir de cette date, ils ne se voyaient qu'à l'occasion et leurs rencontres étaient rares en dehors des heures de travail. La situation est demeurée inchangée pendant quelques années jusqu'à ce que M. Murphy revienne travailler dans le même secteur, leurs contacts redevenant alors plus fréquents.

123 M. Aubé a affirmé que leurs interactions avaient un aspect plus professionnel lorsque M. Murphy assurait l'intérim pour lui, mais il leur arrivait encore d'aller prendre un verre tous les deux mois environ. Durant le processus de dotation, leur relation est demeurée inchangée : ils se voyaient à l'occasion, au travail et à l'extérieur. M. Aubé a soutenu que son amitié avec M. Murphy n'a eu aucune incidence sur sa capacité de l'évaluer de façon impartiale. Selon lui, il a su mettre leur amitié de côté et évaluer uniquement les résultats de M. Murphy. Il savait qu'une évaluation partiale rendrait le processus inéquitable. Si on en venait à déterminer qu'il avait été partial, sa réputation en souffrirait et sa capacité d'exercer de façon indépendante les pouvoirs de dotation qui lui sont délégués serait remise en question.

124 M. Aubé a affirmé que la fréquence de ses interactions sociales avec la personne nommée n'a pas influé sur la nature de leur relation : ils étaient de bons amis. L'idée de voir un bon ami occuper un poste important lié au sien ne lui a jamais traversé l'esprit.

125 Durant le contre-interrogatoire, M. Aubé a reconnu qu'il n'avait pas révélé que lui et M. Murphy étaient de bons amis. Ce fait était bien connu puisqu'il travaillait dans le secteur depuis très longtemps. Il ne se souvenait plus du moment où il avait appris que M. Murphy avait postulé dans ce processus de nomination. M. Aubé a affirmé que M. Murphy avait probablement abordé le sujet avec lui. Il a toutefois oublié si M. Murphy lui avait demandé ce qu'il pensait de sa candidature.

126 M. Aubé a affirmé qu'il savait se montrer objectif et se garder d'être influencé par sa relation personnelle avec la personne nommée lorsque le comité discutait de l'évaluation des candidats durant le processus de nomination. Il pouvait faire la distinction entre ses liens professionnels et ses liens personnels avec M. Murphy lorsque le comité devait l'évaluer. De plus, durant les discussions, il limitait ses interventions aux réponses fournies par M. Murphy. Le comité commençait toujours en discutant des réponses des candidats, puis cherchait à en arriver à un consensus.

127 M. Aubé a indiqué qu'il n'avait pas fourni à Mme Fouda de références au sujet de M. Murphy durant la vérification des références qu'elle a réalisée. Les membres du comité n'ont pas abordé en détail tous les commentaires reçus pour chaque candidat, choisissant plutôt d'en dégager l'essentiel à la lumière des explications de Mme Fouda. La vérification des références a parfois permis de confirmer ce qui avait été observé durant l'entrevue. Les membres du comité ont déterminé le résultat de la vérification des références par consensus.

128 M. Aubé n'a pas pu expliquer pourquoi le résultat de M. Murphy, contrairement à celui de la plaignante, ne figurait pas sur la copie du guide d'évaluation qu'il avait utilisée pour noter les réponses des candidats à l'entrevue.

129 M. Aubé croit qu'il s'est acquitté de sa responsabilité de façon honnête et équitable.

130 Mme Fouda a affirmé que M. Aubé avait fourni des commentaires objectifs pour étayer ses notes et ses observations. Il a agi de façon appropriée tout au long du processus de nomination et n'a pas indûment influé sur son résultat.

131 La LEFP a entraîné un important changement dans les méthodes de dotation à la fonction publique. La Loi confère à la CFP et aux administrateurs généraux délégataires un pouvoir discrétionnaire considérable en matière de dotation, mais ils doivent l'exercer sans en abuser. Dans le même ordre d'idées, le processus de dotation est régi par un cadre législatif qui doit orienter les prises de décisions dans un souci de transparence et d'équité, deux des valeurs énoncées dans le préambule de la LEFP.

132 La définition de l'abus de pouvoir fournie à l'article 2(4) de la LEFP comprend expressément la notion de mauvaise foi. Selon la jurisprudence, le concept de mauvaise foi a un sens large, qui inclut le parti pris et la crainte de partialité et qui n'exige pas de preuve de faute intentionnelle (voir les décisions Gignac c. le sous ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010, para. 61 et 62 et Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029, para. 121 et 122).

133 Comme il a été noté dans la décision Gignac, la Cour suprême du Canada a expliqué en détail qu'il est bien établi qu'il y a un devoir d'agir de façon équitable dans toute décision administrative qui affecte les droits, privilèges et intérêts d'un individu (voir la décision Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). Parmi les facteurs qui permettent de déterminer l'étendue de l'obligation d'équité figurent la nature de la décision, le contexte législatif et les effets sur les personnes visées. Dans le cas d'une plainte en matière de dotation, le contexte législatif est caractérisé par le fait que le législateur exige expressément que les pratiques d'emploi soient équitables.

134 En examinant les questions de parti pris et de crainte raisonnable de partialité, les tribunaux ont reconnu qu'il est difficile d'établir une preuve directe de parti pris. La manière dont le critère de partialité doit être établi est décrite dans les motifs de dissidence de la décision Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394 :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [cette personne], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[caractères italiques ajoutés]

135 Ce critère a été adopté et appliqué à maintes reprises par les tribunaux (voir les décisions Newfoundland Telephone Company c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, et R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484).

136 Le critère de partialité approprié doit être examiné dans son contexte, au regard de la situation globale et à la lumière des fonctions à accomplir et de la volonté du législateur. Dans le contexte de la dotation et de la LEFP, le critère de crainte raisonnable de partialité se rattache aux exigences législatives relatives à l'équité et à la transparence des processus de nomination.

137 Un critère moins exhaustif ou moins rigoureux minimiserait les valeurs énoncées dans la LEFP et son préambule. En outre, lorsqu'il s'agit de définir le critère à utiliser et la nature des fonctions à accomplir, il ne faut pas se limiter, dans un contexte administratif, à une simple distinction entre les fonctions administratives et judiciaires. La teneur de l'obligation d'impartialité dans le cadre d'une fonction administrative peut varier, tout comme celle de toute règle d'équité procédurale, pour s'adapter au contexte des activités du décideur et à la nature de sa fonction. Comme le précise la décision Pelletier c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 1, para. 50, cette variabilité du contenu effectif des principes de justice naturelle reflète la très grande diversité des situations des décideurs administratifs et des rôles qu'ils sont appelés à jouer, conformément à la volonté des législateurs.

138 Le parti pris et la crainte raisonnable de partialité peuvent être établis lorsqu'il existe une relation personnelle suffisamment étroite entre une personne directement touchée par le résultat de la décision et une personne qui y participe. Dans l'ouvrage Principles of Administrative Law (Jones, David Phillip and de Villars, Anne, Thomson Carswell, Toronto; 2009), les auteurs étudient différentes situations où le décideur entretient une relation personnelle étroite avec une personne qui a un intérêt direct dans l'issue de la décision en question. Ils soulignent aux pages 408-409 qu'une telle situation pourrait susciter une crainte raisonnable de partialité :

Lorsqu'un décideur entretient une relation personnelle suffisamment étroite avec quelqu'un qui a un intérêt direct dans l'issue de la décision, cette relation suscite une crainte raisonnable de partialité, et la personne doit être écartée du processus décisionnel. […] Le cœur du problème […] consiste généralement à déterminer si la relation entre le décideur et la personne concernée […] est suffisamment étroite pour qu'une personne raisonnable s'interroge sur la capacité du décideur de porter un jugement impartial.

[traduction]

139 Les candidats qui participent à un processus d'évaluation doivent pouvoir avoir confiance en la nature équitable du processus. Une crainte raisonnable de partialité entache le processus et soulève des doutes quant à son intégrité. Conformément au principe d'équité, les membres du comité d'évaluation doivent éviter les situations qui pourraient susciter une crainte raisonnable de partialité de la part d'un décideur.

140 Pour appliquer le critère de crainte raisonnable de partialité établi par la Cour suprême, il faut se demander si un observateur relativement bien renseigné, qui étudierait le processus en l'espèce penserait que, selon toute vraisemblance, M. Aubé, consciemment ou non, ne pouvait pas prendre de décision équitable.

141 Le Tribunal juge que la preuve portant sur l'évaluation des candidats et la participation de M. Aubé à l'évaluation suscite effectivement une crainte raisonnable de partialité envers M. Murphy. En effet, M. Aubé ne s'est pas limité à commenter les réponses de M. Murphy ou à confirmer l'information rapportée par Mme Fouda, comme il l'a affirmé. En raison de l'amitié qui liait les deux hommes, la participation de M. Aubé au processus pourrait être perçue comme un avantage pour M. Murphy. La preuve démontre que durant l'évaluation des références, le comité a discuté des commentaires négatifs concernant ce candidat qui avaient été formulés durant la vérification des références. Lorsque le comité s'est penché sur un commentaire précis de Dr Habib à propos de M. Murphy, MM. Marrone et Aubé (comme en font foi les notes de Mme Fouda) ont tous deux :minimisé l'importance de cette remarque, invoquant leur connaissance directe du milieu de travail.

142 Par ailleurs, M. Aubé a confirmé qu'il n'a pas interrompu ses interactions sociales avec M. Murphy durant le processus de nomination. Le Tribunal note que M. Aubé n'a pas nié que M. Murphy lui avait demandé des commentaires sur sa candidature, et M. Murphy n'a pas été appelé à témoigner pour réfuter la supposition selon laquelle M. Aubé lui a effectivement fourni des commentaires à ce sujet. En outre, le Tribunal trouve surprenant que M. Aubé, un membre du comité, n'ait pas été en mesure d'affirmer catégoriquement qu'il n'avait eu aucune discussion avec son ami, M. Murphy, au sujet de sa candidature une fois le processus entamé, ou qu'il avait refusé de participer à une telle discussion.

143 M. Aubé a certifié qu'il pouvait évaluer M. Murphy de façon tout à fait neutre et désintéressée, et que c'est ce qu'il avait fait. Malgré tout, le Tribunal estime qu'une personne raisonnable aurait des doutes quant à sa capacité de le faire. Une relation d'amitié soulève des doutes raisonnables quant à savoir si M. Aubé, consciemment ou non, a pu être influencé dans sa décision concernant M. Murphy.

144 Devant ce processus de nomination, un observateur conclurait qu'il y a une crainte raisonnable de partialité du fait de la participation de M. Aubé dans le processus. Cet observateur constaterait que, contrairement à ce qu'il avait affirmé dans son témoignage, M. Aubé participait activement à des étapes clés du processus, durant lesquelles des renseignements éventuellement négatifs sur le candidat étaient étudiés, et qu'il aurait pu influer sur le résultat en faveur de son ami, qui était candidat dans le processus. L'observateur serait préoccupé par le fait que le membre du comité n'a pas mentionné, avant de participer au processus, que l'un des candidats était son ami. De plus, sachant que les autres membres du comité étaient au courant des liens d'amitié entre M. Aubé et la personne nommée, l'observateur, en réfléchissant de façon raisonnable, serait préoccupé par le fait qu'aucune mesure n'a été prise dès le départ quant à la possibilité que le processus de nomination soit entaché si aucun mécanisme de protection n'était mis en place pour empêcher qu'il y ait crainte raisonnable de partialité. L'observateur tiendrait également compte du fait que le membre en question a continué de fréquenter son ami durant le processus, ainsi que du fait qu'il n'a pas pu affirmer qu'ils n'avaient pas discuté du processus de nomination. À la lumière de tous ces facteurs, l'observateur conclurait que le comité n'a pas pu assumer ses responsabilités de façon équitable.

145 Pour tous les motifs susmentionnés, le Tribunal juge que les liens d'amitié entre M. Aubé et la personne nommée ont entaché le processus de nomination et suscitent une crainte raisonnable de partialité envers M. Murphy, ce qui constitue un abus de pouvoir.

Conclusion


146 Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal juge que le comité a abusé de son pouvoir dans la manière dont il a évalué la présentation de la personne nommée.

147 En ce qui concerne la question de parti pris, le Tribunal conclut qu'il y a crainte raisonnable de partialité envers la personne nommée à l'issue du processus de nomination.

Ordonnance


148 Le Tribunal ordonne que l'administrateur général révoque la nomination de M. Murphy dans les 30 jours.


Lyette Babin-MacKay
Membre


Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2009-0015
Intitulé de la cause :
Jane Bain et le sous-ministre de Ressources naturelles Canada
Audience :
Les 22 et 23 février 2010;
Du 14 au 17 juin 2010;
Du 15 au 17 novembre 2010;
Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
Le 14 octobre 2011

COMPARUTIONS

Pour la plaignante :
Chloé Charbonneau-Jobin
Pour l'intimé :
Martin Charron
Pour la Commission
de la fonction publique :
Lili Ste-Marie
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