Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaintes portaient sur une allégation d’abus de pouvoir dans un processus de nomination non annoncé et une autre allégation selon laquelle la personne nommée n’aurait pas possédé les qualifications essentielles pour le poste. Décision Le Tribunal a établi que le simple fait de recourir à un processus non annoncé ne constitue pas un abus de pouvoir en soi. La partie plaignante doit montrer, selon la prépondérance des probabilités, que le choix d’utiliser un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir. Le témoignage du gestionnaire délégataire concordait avec la justification, laquelle a été rédigée au moment de la nomination. En l’espèce, le Tribunal était convaincu que la décision d’opter pour un processus de nomination non annoncé a été prise pour répondre à des besoins opérationnels urgents actuels et à venir. En outre, l’intimé a respecté les Lignes directrices en matière de choix du processus de nomination de la Commission de la fonction publique (CFP). Bien qu’il y ait eu des lacunes dans les documents liés au processus, celles-ci étaient mineures et ne permettaient pas de conclure à l’abus de pouvoir. L’utilisation de l’ancien formulaire n’a eu aucun effet sur la teneur de la justification; celle-ci était conforme à la nécessité de démontrer que le choix du type de processus répondait aux critères du ministère. Le gestionnaire délégataire s’est assuré que la décision d’utiliser un processus non annoncé a été documentée en temps opportun. Pour ce qui concerne la valeur « accessibilité » et les décisions de nomination, la CFP encourage expressément les gestionnaires à exercer leur jugement et leur pouvoir discrétionnaire. Le Tribunal a reconnu l’utilité des lignes directrices pour les administrateurs généraux tout en faisant remarquer que lui n’est pas tenu de les respecter et qu’il doit les interpréter de façon cohérente et en conformité avec le cadre législatif. À la lumière du cadre législatif global, le Tribunal a conclu que la justification écrite était conforme aux lignes directrices. S’agissant du témoignage de deux plaignants selon lequel le processus non annoncé était inéquitable parce qu’ils n’avaient pas eu la possibilité de faire acte de candidature, une telle perception subjective de l’équité n’était pas valable au regard du contexte législatif. Les processus de nomination non annoncés ne sont pas inéquitables de par le simple fait qu’ils excluent la possibilité de candidature d’employés; cette situation est inhérente à leur nature. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers:
2008-0490, 0491, 0492, 0493, 0494 et 0495
Rendue à:
Ottawa, le 9 février 2011

DIANA JARVO, MICHELE DONALD, KIMBERLY DROVER,
Plaignants
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par:
Merri Beattie, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Jarvo c. le sous‑ministre de la Défense nationale
Référence neutre:
2011 TDFP 0006

Motifs de la décision


Introduction


1 Les plaintes portent sur la nomination de Sylvia Budd au poste de gestionnaire des services de soutien (AS‑04), au Centre des services de santé des Forces canadiennes, ministère de la Défense nationale (MDN), à la base des Forces canadiennes (BFC) de Shilo, au Manitoba, au terme d’un processus non annoncé. Les plaignants, Diana Jarvo, Michele Donald, Kimberly Drover, Linda North, Shirley Miller et Joachim de Cangas, affirment que le fait d’opter pour un processus de nomination non annoncé constitue un abus de pouvoir. Ils soutiennent également que Mme Budd ne possède pas les qualifications essentielles requises pour le poste AS-04 en question.

2 L’intimé, le sous‑ministre de la Défense nationale, nie ces allégations. Il affirme que des besoins opérationnels urgents justifiaient le recours à un processus non annoncé; il soutient également que Mme Budd a été évaluée et qu’elle possédait toutes les qualifications essentielles requises pour le poste.

Contexte


3 Le Centre des services de santé (CSS) fournit des soins de santé primaires au personnel militaire affecté de façon permanente à la BFC de Shilo ou s’y trouvant temporairement dans le cadre d’une opération ou d’un entraînement. Le CSS comprend du personnel civil et militaire, et est dirigé par le major Paul Caines, commandant et gestionnaire de clinique.

4 De décembre 2007 à avril 2008, Mme Budd occupait de façon intérimaire le poste de gestionnaire des services de soutien. Le 9 juin 2008, le major Caines a envoyé au personnel du CSS un courriel annonçant que le poste avait été offert à Mme Budd. Une notification de candidature retenue a ensuite été diffusée le 17 juin 2008. Enfin, le 2 juillet 2008, une Notification de nomination ou de proposition de nomination a été publiée, annonçant la nomination de Mme Budd au poste de gestionnaire des services de soutien (AS‑04) pour une durée indéterminée au terme d’un processus non annoncé. La nomination de Mme Budd a pris effet à cette date.

5 Les plaignants ont présenté des plaintes d’abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’art. 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). Le Tribunal a procédé à la jonction des plaintes conformément à l’article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6.

Questions en litige


6 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en optant pour un processus de nomination non annoncé?
  2. L’intimé a‑t‑il commis, dans le déroulement du processus de nomination, des erreurs qui constituent un abus de pouvoir?
  3. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en nommant une personne non qualifiée?

Analyse


Question I :  L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en optant pour un processus de nomination non annoncé?

7 L’article 33 de la LEFP autorise explicitement l’utilisation de processus de nomination non annoncés. Cependant, l’art. 77(1)b) de la LEFP stipule qu’il est possible de porter plainte relativement au choix discrétionnaire d’utiliser un processus annoncé ou non annoncé, au motif qu’il y a eu abus de pouvoir. Le Tribunal a établi que le simple fait de recourir à un processus non annoncé ne constitue pas un abus de pouvoir en soi. Pour qu’une plainte en vertu de l’art. 77(1)b) de la LEFP soit accueillie, le plaignant doit montrer, selon la prépondérance des probabilités, que le choix d’utiliser un processus non annoncé constituait un abus de pouvoir (voir, par exemple, la décision Rozka c. le sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 0046).

8 Le major Caines affirme qu’au moment de son arrivée au CSS, en janvier 2008, deux des cinq postes sous sa responsabilité étaient vacants, soit ceux de gestionnaire des services cliniques et de commis‑chef. La gestionnaire des services de soutien, Lorraine Lockhart, occupait de façon intérimaire le poste de gestionnaire des services cliniques, et Mme Budd occupait celui de gestionnaire des services de soutien, également par intérim. Mme Lockhart a par la suite été nommée au poste de gestionnaire des services cliniques, laissant ainsi le poste de gestionnaire des services de soutien vacant au terme de la nomination intérimaire de Mme Budd, en avril 2008.

9 Le major Caines a expliqué que le gestionnaire des services de soutien doit fournir des conseils en matière de ressources humaines au commandant; il est responsable de la planification des activités, de la planification et de la surveillance du budget, ainsi que de la coordination de l’infrastructure. Selon le major Caines, ce poste est essentiel pour la planification des activités du CSS, car il permet d’obtenir de l’information sur la situation générale des ressources humaines et de l’analyser.

10 Le 11 juin 2008, le major Caines a préparé et signé une justification écrite expliquant son choix de recourir à un processus non annoncé pour pourvoir au poste de gestionnaire des services de soutien. Dans cette justification et dans son témoignage, le major Caines a expliqué que les postes de gestion vacants et les nominations intérimaires pesaient lourdement sur l’équipe de gestion. Au terme de l’intérim de Mme Budd, les tâches du gestionnaire des services de soutien ont été réparties parmi les autres gestionnaires, ce qui a accentué cette fatigue. Il a ajouté, dans son témoignage, que l’équipe de gestion travaillait de longues journées pour essayer de maintenir les services en place, mais que cette solution n’était pas viable à long terme. Selon le major Caines, la qualité des services se détériorait. Par exemple, le suivi des approbations d’administration centrale relatives aux ressources humaines n’était pas assuré et certaines initiatives, comme la dotation de postes cliniques clés, étaient au point mort.

11 Le major Caines a déclaré qu’il prévoyait que la situation empirerait puisque à l’époque, le CSS se préparait pour la planification de ses activités et le retour d’Afghanistan de 800 soldats en août et en septembre 2008. Il a décidé d’opter pour un processus de nomination non annoncé pour doter le poste rapidement, et ainsi diminuer l’épuisement de l’équipe de gestion et améliorer la productivité afin de répondre aux besoins opérationnels.

12 Les plaignants contestent cette justification. Plus précisément, ils remettent en question le fait que les employés étaient stressés ou fatigués. Selon les plaignants, s’il y avait effectivement une tension au sein de l’équipe, la nomination d’un employé déjà en poste n’améliorerait en rien la situation. Ils ont cité Amy Kipfer comme témoin. Mme Kipfer est agente des ressources humaines à la BFC de Shilo. Elle a indiqué qu’elle n’avait eu connaissance d’aucune plainte ou absence en raison du stress ou de la fatigue.

13 Le Tribunal n’est pas convaincu par l’argumentation des plaignants à ce sujet. Le témoignage du major Caines à l’audience correspondait à la justification qu’il avait rédigée au moment de la nomination. Le Tribunal juge que les observations et explications du major Caines concernant l’effet des circonstances sur les gestionnaires, qui relèvent directement de lui, dressent un portrait plus fiable de la situation que le témoignage de Mme Kipfer. En outre, bien que cette nomination n’ait pas augmenté le nombre d’employés au CSS, elle a tout de même augmenté le nombre de gestionnaires et, par conséquent, remédié aux problèmes mentionnés par le major Caines. Par ailleurs, les déclarations du major Caines, selon lesquelles les capacités des gestionnaires seraient davantage mises à l’épreuve en raison du retour des troupes et de la planification des activités, n’ont pas été contestées.

14 Le Tribunal est convaincu que la décision d’opter pour un processus de nomination non annoncé a été prise pour répondre à des besoins opérationnels urgents actuels et futurs. De plus, le Tribunal estime que l’intimé a respecté les Lignes directrices en matière de choix du processus de nomination de la Commission de la fonction publique (CFP). Conformément à ces lignes directrices, le MDN a établi des critères régissant l’utilisation de processus de nomination non annoncés. En plus de critères applicables à des situations particulières, le MDN a précisé qu’il est possible d’opter pour un processus non annoncé dans des circonstances « autres », si c’est ce qui répond le mieux aux besoins du MDN. La justification écrite et le témoignage du major Caines montrent que sa décision a été prise dans ce genre de circonstances.

15 La preuve présentée au Tribunal ne permet pas de conclure que la décision du major Caines d’opter pour un processus de nomination non annoncé constituait un abus de pouvoir.

Question II :  L’intimé a‑t‑il commis, dans le déroulement du processus de nomination, des erreurs qui constituent un abus de pouvoir?

16 Dans nombre de décisions, le Tribunal a établi qu’il était possible que des erreurs ou omissions graves dans le processus de nomination mènent à une constatation d’abus de pouvoir, même si l’intimé n’avait pas abusé de son pouvoir dans le choix d’un processus non annoncé (voir, par exemple, Robert et Sabourin c. le sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration, 2008 TDFP 0024).

17 Il est également arrivé au Tribunal de juger que des erreurs ou omissions n’étaient pas suffisamment graves ou importantes pour conclure à un abus de pouvoir (voir Morris c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2009 TDFP 0009 [Morris]). En l’espèce, le Tribunal estime que les documents liés au processus comportent des lacunes; toutefois, celles‑ci sont mineures et ne s’apparentent pas à un abus de pouvoir.

18 Selon les Lignes directrices en matière de choix du processus de nomination de la CFP, le major Caines devait rédiger une justification expliquant en quoi la décision d’opter pour un processus non annoncé respectait les critères du MDN et les valeurs de dotation. Le MDN a créé un formulaire intitulé Justification des nominations non annoncées à cette fin.

19 En l’espèce, une ancienne version du formulaire de justification a été utilisée, mais le Tribunal n’accorde pas beaucoup d’importance à ce fait. L’utilisation de l’ancien formulaire n’a eu aucun effet sur la teneur de la justification. En effet, la justification satisfait adéquatement à l’exigence du MDN en ce sens qu’elle explique pourquoi le processus non annoncé était le meilleur moyen de répondre aux besoins du CSS à l’époque. Étant donné que le MDN accepte que des processus non annoncés soient utilisés dans des circonstances « autres », la justification est valide, puisqu’elle démontre que le choix du type de processus répond aux critères du ministère.

20 Les plaignants soutiennent que les procédures n’ont pas été respectées, car le document justifiant la décision de recourir à un processus non annoncé n’a été fourni qu’une fois la décision prise.

21 Le Tribunal estime que le major Caines a respecté l’exigence du MDN et que la décision d’utiliser un processus non annoncé a été justifiée en temps opportun. Selon la justification, le MDN exige que si un gestionnaire, après avoir procédé à un examen et à une discussion, décide d’utiliser un processus de nomination non annoncé, une justification écrite doit être préparée et signée. Les éléments de preuve montrent que le major Caines a envoyé une demande de dotation à Mme Kipfer le 27 mai 2008. Il souhaitait doter le poste de gestionnaire des services de soutien, mais il n’avait pas décidé du type de processus de nomination à utiliser. Le major Caines a déclaré qu’il aurait préféré recourir à un processus externe annoncé; cependant, à l’époque, il souhaitait d’abord et avant tout doter le poste rapidement. Après avoir discuté de la situation avec le médecin‑chef de la base et consulté Mme Kipfer, le major Caines a décidé, au début de juin, d’utiliser un processus non annoncé. La justification a été mise au point le 11 juin 2008, soit avant la publication des avis officiels de nomination, et avant la nomination.

22 Les plaignants soutiennent également que la justification écrite n’est pas conforme à l’obligation de tenir compte des valeurs de dotation. Pour se prononcer sur cette allégation, le Tribunal examinera lesdites valeurs.

23 Le préambule de la LEFP définit deux valeurs fondamentales, soit le mérite et l’impartialité. L’article 30 de la LEFP stipule que les nominations doivent respecter ces deux valeurs fondamentales. Le préambule fait également état d’une fonction publique dont les membres proviennent de toutes les régions du pays. Les gestionnaires jouissent d’un certain pouvoir discrétionnaire en matière de dotation, mais le préambule exige qu’ils se prévalent de cette marge de manœuvre d’une manière juste, transparente et respectueuse des employés. Les problèmes liés aux nominations doivent être résolus au moyen de recours et de dialogues efficaces.

24 Conformément à l’art. 29 de la LEFP, la CFP a établi des lignes directrices qui régissent les processus de nomination. Ces lignes directrices fournissent une orientation aux personnes investies de pouvoirs délégués quant à l’interprétation de la LEFP. Le Tribunal reconnaît la valeur de ces conseils, et leur utilité pour les administrateurs généraux. Cependant, le Tribunal n’est pas tenu de respecter ces lignes directrices et il doit les interpréter de façon cohérente et conforme au cadre législatif. Le fait qu’une loi du Parlement doit avoir préséance sur des instruments subordonnés incompatibles ou contradictoires constitue un principe juridique fondamental. Par conséquent, le Tribunal doit examiner les lignes directrices de la CFP à la lumière du contexte global de la LEFP, en suivant le sens grammatical et ordinaire qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la Loi ainsi que l’intention du législateur (voir Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. [Markham : Butterworths, 2002] pp. 1, 259, 272).

25 L’article 33 de la LEFP stipule clairement qu’il est permis d’avoir recours à un processus de nomination non annoncé. La LEFP n’accorde aucune préférence aux processus annoncés par rapport aux processus non annoncés.

26 Dans ses Lignes directrices en matière de nomination, la CFP définit l’équité, la transparence, l’accessibilité et la représentativité comme valeurs directrices pour les gestionnaires investis de pouvoirs de nomination. En l’espèce, les allégations se rapportent à l’équité, à la transparence et à l’accessibilité. Par conséquent, le Tribunal examinera ces valeurs dans les présents motifs.

27 Selon les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP, un processus est transparent lorsque les renseignements concernant les stratégies, les décisions, les lignes directrices et les pratiques sont communiqués ouvertement et en temps opportun. Le Tribunal souligne que, dans le cadre d’un processus de nomination non annoncé, les mesures qui contribuent à la transparence comprennent la notification aux employés, la possibilité de discuter de façon informelle avec le responsable au sujet des raisons justifiant la décision et l’examen du processus au moyen d’un recours au Tribunal (voir, par exemple, Morris).

28 Aux termes des Lignes directrices en matière de nomination, une décision de nomination équitable est prise de façon objective et est exempte d’influence politique et de favoritisme personnel. Toujours selon les lignes directrices, les pratiques doivent témoigner d’un juste traitement des personnes. Cette définition signifie que, dans le contexte de la dotation à la fonction publique, la valeur d’équité ne peut être évaluée du point de vue restrictif d’une seule personne. Pour prendre des décisions de nomination objectives, les gestionnaires délégataires doivent tenir compte de plusieurs perspectives et chercher à concilier des intérêts souvent incompatibles lorsqu'il s’agit d’étudier les différentes possibilités qui s’offrent à eux pour doter un poste. En d’autres termes, les gestionnaires doivent évaluer l’équité selon différentes perspectives, tout en sachant qu’il est peu probable que leur décision paraisse équitable aux yeux de tous.

29 En ce qui a trait à l’accessibilité, le préambule de la LEFP fait état d’une fonction publique dont les membres sont issus de toutes les régions du pays. Toutefois, la LEFP n’exige pas que l’accessibilité soit respectée pour toutes les nominations à la fonction publique. L’article 29 autorise les processus de nomination internes, qui sont limités aux personnes déjà employées à la fonction publique. L’article 34 autorise des processus de nomination à accès encore plus restreint, notamment en fonction du lieu de résidence ou de travail d’une personne.

30 Les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP soulignent que les citoyens de partout au pays devraient avoir une possibilité raisonnable de postuler et de voir leur candidature prise en considération pour un poste à la fonction publique. Toutefois, il est évident que, dans le cas d’un processus non annoncé choisi conformément à l’art. 33  de la LEFP, la personne nommée est la seule à avoir accès au poste.

31 Dans un document d’appui (Lignes directrices en matière de nomination : facteurs à prendre en considération – Choix du processus), la CFP conseille aux gestionnaires de songer à prendre en considération l’accès aux possibilités d’emploi et de perfectionnement au moment de prendre une décision sur le choix du processus de nomination.

32 Ni la LEFP, ni les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP ne garantissent à un employé le droit d’accès à toutes les possibilités d’emploi. La CFP encourage d’ailleurs expressément les gestionnaires à utiliser leur jugement et leur marge de manœuvre pour ce qui est de l’accessibilité et des décisions de nomination.

33 Les Lignes directrices en matière de choix du processus de nomination de la CFP indiquent que les gestionnaires doivent s’assurer que la justification écrite démontre en quoi un processus non annoncé respecte les valeurs directrices. Ils doivent évaluer toutes les conséquences possibles de la décision d’opter pour un processus non annoncé; cela étant dit, l’accessibilité ne peut être respectée pour tous les processus de nomination non annoncés. Le respect de cette valeur doit être évalué au regard de l’ensemble des nominations dans la fonction publique, et non pas au cas par cas.

34 En l’espèce, la justification écrite traite expressément de la question de la transparence a été respectée : des notifications officielles et informelles ont été envoyées aux employés. Elle souligne également que l’équité a été respectée, car il était possible de discuter, de façon informelle, avec le major Caines au sujet de la décision prise. Qui plus est, le major Caines a honoré ces engagements et a notifié les employés en temps opportun. Il les a informés de la nomination dans un courriel avant la diffusion de la première notification officielle, et il a prolongé la période habituelle allouée aux discussions informelles après cet avis. En tout, il a donné aux employés plus de 20 jours pour discuter de la décision avec lui, avant que la nomination ne soit faite. La CFP exige pour sa part qu’au moins cinq jours soient accordés. La discussion informelle était offerte aux personnes qui souhaitaient obtenir des renseignements sur la décision de nomination. De l’information sur la présentation de plaintes au Tribunal a également été communiquée. De plus, il est important de noter que le major Caines a fait preuve de transparence en énonçant dès le départ les raisons qui ont justifié cette décision de nomination. Il n’y a pas de preuve démontrant qu’il n’a pas ouvertement donné ses raisons aux employés qui ont demandé à participer à une discussion informelle.

35 En plus de soutenir que la justification écrite ne traitait pas de la question de l’équité, deux des plaignants ont déclaré à l’audience que le processus était inéquitable, essentiellement parce qu’ils n’avaient pas eu l’occasion de postuler. À la lumière des dispositions législatives susmentionnées, cette vision subjective de l’équité n’est pas valable. Aux termes de la LEFP, les processus de nomination non annoncés ne sont pas inéquitables de par le simple fait que certains employés ne peuvent pas postuler; en fait, cette accessibilité limitée est inhérente à ce type de processus. Compte tenu de la nature même des processus de nomination non annoncés, l’impossibilité de postuler ne peut pas être raisonnablement considérée comme un manque d’équité.

36 Les éléments de preuve versés au dossier montrent que le major Caines a pris en compte la difficulté qu’avaient les gestionnaires à gérer la charge de travail supplémentaire causée par les postes vacants. Il a également pris en considération le personnel militaire qui profite des services du CSS, ainsi que la capacité de l’organisation à répondre à cette demande. Par conséquent, le major Caines a pris la décision qu’il croyait appropriée dans les circonstances. Cependant, il avait également prévu que certains employés ne souscriraient pas à sa décision, et il a communiqué avec eux en plus de se rendre disponible pour discuter. Aucun élément de preuve ne montre que la décision du major Caines d’opter pour un processus de nomination non annoncé était inéquitable.

37 À la lumière du cadre législatif global, le Tribunal conclut que la justification écrite traite des valeurs directrices de façon convenable.

38 Le Tribunal accepte l’observation des plaignants, selon laquelle la justification n’établit pas de lien avec le plan des ressources humaines. Dans son témoignage, Mme Kipfer a souligné qu’à la page 16 du plan des ressources humaines du CSS, il est noté que les femmes sont sous‑représentées dans les postes de direction, situation à laquelle la nomination permettrait de remédier. Cependant, la justification écrite ne contenait qu’un énoncé général sur l’équité en matière d’emploi, qui n’expliquait pas le lien entre la nomination et le plan des ressources humaines, contrairement à ce qui est exigé dans la justification du MDN.

39 Le Tribunal estime qu’il s’agit effectivement d’une omission dans la documentation exigée par le MDN; toutefois, aucun élément de preuve ne démontre que les lignes directrices de la CFP n’ont pas été respectées. Celles‑ci exigent que le choix du type de processus de nomination corresponde au plan des ressources humaines de l’organisation. Les lignes directrices ne précisent cependant pas si ce lien doit être consigné. Les plaignants ont présenté en preuve le plan des ressources humaines, mais ils n’ont pas réussi à démontrer que le processus non annoncé en l’espèce ne respectait pas son contenu.

40 Le MDN exige également que les gestionnaires décrivent les répercussions que pourrait avoir un processus non annoncé sur les autres membres de l’unité de travail. Il s’agit d’un facteur important, puisque, par définition, un processus non annoncé empêche certaines personnes éventuellement intéressées de présenter leur candidature. En l’espèce, la justification ne comprend aucune section consacrée aux conséquences qu’aurait la nomination sur les employés de l’organisation. Cependant, en étudiant la justification dans son ensemble, le Tribunal constate que le major Caines a pris en compte les répercussions de ce processus de nomination sur ses employés à tous les niveaux.

41 La justification écrite démontre que le major Caines avait d’abord et avant tout considéré les conséquences négatives de la situation sur son équipe de gestionnaires. La justification fait état des problèmes que causait la répartition des tâches, notamment un épuisement professionnel et une réduction de la productivité. Le document explique également qu’il était nécessaire de pourvoir au poste de gestionnaire des services de soutien rapidement pour diminuer l’épuisement de l’équipe. Enfin, la justification indique qu’un employé à l’interne possédait les qualifications essentielles pour le poste. Il ne faisait aucun doute qu’une nomination rapide au moyen d’un processus non annoncé aurait des effets positifs sur l’équipe de gestion. Le major Caines a également traité de ces questions dans son témoignage, ajoutant que les tâches des gestionnaires augmenteraient encore davantage en raison du retour des troupes d’Afghanistan.

42 En outre, le major Caines a indiqué qu’il savait que cette décision aurait probablement des répercussions négatives sur les autres employés. Il avait prévu y remédier en communiquant sa décision, en se rendant disponible auprès des employés qui souhaitaient en discuter de façon informelle et en leur accordant suffisamment de temps pour le faire. Ces mesures sont énumérées dans la justification écrite.

43 Dans les circonstances, le major Caines a choisi de diminuer le stress des gestionnaires et de gérer les demandes opérationnelles, malgré les répercussions négatives probables sur les autres employés. Le Tribunal estime que l’information contenue dans la justification écrite est suffisamment probante pour établir que le major Caines s’est conformé à l’obligation qu’il avait d’étudier les effets de sa décision d’opter pour un processus de nomination non annoncé.

44 Par ailleurs, les plaignants soutiennent que la justification écrite n’explique pas pourquoi une seule candidature a été prise en considération pour le poste.

45 Le Tribunal juge quant à lui que la justification contient l’information nécessaire pour expliquer pourquoi une seule candidature a été examinée. Le major Caines avait déterminé que Mme Budd possédait toutes les qualifications essentielles pour le poste de gestionnaire des services de soutien, comme il est indiqué dans la justification écrite. En nommant Mme Budd sans tenir compte de la candidature d’autres personnes, le major Caines pouvait agir rapidement, ce qui était nécessaire compte tenu de l’épuisement et de la baisse de productivité observés chez le personnel, comme en témoigne la justification écrite.

46 Les plaignants remettent en question l’évaluation du major Caines, selon laquelle Mme Budd possédait les qualifications essentielles. Cette question sera abordée plus loin dans les présents motifs. En ce qui a trait à l’exigence du MDN d’expliquer pourquoi une seule candidature a été prise en considération, le Tribunal est convaincu que la justification écrite y répond.

47 La justification écrite n’était pas structurée de manière parfaitement conforme aux exigences du MDN : elle présentait certaines lacunes sur le plan de la forme. Elle n’expliquait pas non plus en quoi la nomination correspondait au plan des ressources humaines de l’organisation. Cependant, ces lacunes ne sont pas suffisamment importantes pour conclure à un abus de pouvoir. Le Tribunal estime que la justification, dans son ensemble, contient toute l’information nécessaire pour répondre aux objectifs de la CFP et du MDN en ce qui a trait aux processus de nomination non annoncés. De plus, à la lumière d’un examen minutieux de la justification, le Tribunal estime qu’elle ne soulève aucune préoccupation sur le plan du contenu.

48 À partir de ces éléments de preuve, le Tribunal estime que ni le processus de nomination non annoncé ni la documentation s’y rapportant ne contenaient des erreurs ou des omissions suffisamment importantes pour mener à une constatation d’abus de pouvoir.

Question III :  L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en nommant une personne non qualifiée?

49 Les plaignants soutiennent que la nomination de Mme Budd n’était pas fondée sur le mérite. Selon eux, aucun élément de preuve ne montre qu’elle possède toutes les qualifications essentielles.

50 Il est clairement établi que dans une plainte présentée au Tribunal, le fardeau de la preuve incombe au plaignant (voir la décision Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008). Le Tribunal juge que les plaignants n’ont présenté aucun élément de preuve à l’appui de leur argumentation.

51 L’intimé a présenté des éléments de preuve démontrant que Mme Budd avait été évaluée au début juin et que cette évaluation avait été consignée à la mi‑juin, avant sa nomination le 2 juillet 2008.

52 Les plaignants soutiennent que l’évaluation de Mme Budd était fondée sur la connaissance personnelle du major Caines et donc inadéquate; toutefois, le Tribunal a déjà déterminé que la connaissance personnelle d’un évaluateur constitue une méthode d’évaluation acceptée (voir Visca c. le sous‑ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024). Le major Caines travaillait avec Mme Budd depuis seulement quatre mois, mais elle relevait directement de lui. En outre, le major Caines a affirmé qu’il avait également fondé son évaluation sur le curriculum vitæ et les rapports d’examen du rendement de Mme Budd. Il n’y a pas de preuve démontrant que cette combinaison d’outils ne permettait pas de réaliser une évaluation adéquate.

53 Le major Caines a consigné ses conclusions dans une évaluation écrite. Les plaignants affirment que cette évaluation écrite ne démontre pas en quoi Mme Budd possède trois des qualifications essentielles, soit la compétence en anglais, la qualification relative aux études et l’expérience de l’utilisation de la suite Microsoft Office.

54 Selon l’évaluation écrite, Mme Budd utilisait la suite Microsoft Office quotidiennement, ce qui prouve clairement qu’elle possédait cette qualification.

55 En ce qui a trait aux études, les plaignants affirment que l’intimé n’a fourni aucun élément de preuve qui démontrait que Mme Budd possédait la qualification établie pour la nomination, ni même qu’elle répondait à l’exigence minimale en matière d’études établie dans la Norme de qualification pour les postes AS.

56 Aux termes de l’art. 30(2) de la LEFP, une personne nommée doit posséder les qualifications essentielles établies. Selon l’art. 31(2) de la LEFP, les qualifications établies pour le processus de nomination doivent respecter ou dépasser la Norme de qualification.

57La Norme de qualification pour les postes AS établit que l’exigence minimale en matière d’études est un diplôme d’études secondaires ou une équivalence approuvée par l’employeur. Cette équivalence peut correspondre à une combinaison acceptable d’études, de formation et/ou d’expérience. Pour la nomination étudiée en l’espèce, le major Caines exigeait un diplôme universitaire en gestion des soins de santé, en administration des affaires ou dans une autre discipline liée aux soins de santé, ou une combinaison acceptable d’études, de formation et/ou d’expérience.

58 Pour que la nomination de Mme Budd soit fondée sur le mérite, il fallait qu’elle  réponde à l’exigence en matière d’études établie pour le processus, qui dépassait l’exigence minimale définie dans la Norme de qualification.

59 Dans leur argumentation, les plaignants ont souligné que, dans le cadre de ce processus de nomination, deux ans d’études postsecondaires équivalaient à un diplôme universitaire. Cependant, ils n’ont présenté aucune preuve démontrant qu’il s’agissait de l’exigence établie. De son côté, le major Caines a déclaré qu’il avait établi que l’équivalence acceptable était une expérience de deux ans ou plus dans le domaine des soins de santé, combinée à des cours de niveau postsecondaire et à une formation liée aux soins de santé. Ce témoignage correspond à l’évaluation rédigée au terme du processus de nomination. L’évaluation écrite décrit l’expérience, les cours de niveau postsecondaire et la formation de Mme Budd. En outre, le curriculum vitæ de Mme Budd, présenté en preuve, montre qu’elle possédait l’équivalence requise et donc qu’elle possédait la qualification essentielle en matière d’études.

60 Le Tribunal est convaincu que Mme Budd a été évaluée en fonction de la qualification en matière d’études telle qu’elle avait été établie et définie par le major Caines, et qu’elle a été jugée qualifiée.

61 Le major Caines n’a pas consigné son évaluation des compétences de Mme Budd dans les langues officielles, ce qui constitue une omission. Cependant, l’exigence linguistique pour ce poste est « Anglais essentiel », et les plaignants n’ont présenté aucun élément de preuve démontrant que Mme Budd ne possède pas cette qualification.

62 Les plaignants soulignent enfin qu’il n’est pas indiqué textuellement dans l’évaluation écrite que Mme Budd répond aux exigences. Toutefois, l’évaluation contient, pour chaque qualification, un court texte expliquant comment le major Caines a établi que Mme Budd possédait la qualification. L’évaluation écrite est brève, mais elle contient suffisamment de renseignements pour étayer la conclusion à laquelle le major Caines est arrivé, soit que Mme Budd était qualifiée. Selon le Tribunal, cette évaluation est plus complète qu’une évaluation où seul un crochet ou un simple mot est utilisé pour déterminer si une personne possède une qualification.

63 Le Tribunal est convaincu que le major Caines a évalué adéquatement Mme Budd et jugé qu’elle était qualifiée pour le poste.

Décision


64 Pour tous les motifs susmentionnés, les plaintes sont rejetées.


Merri Beattie
Membre


Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2008-0490, 0491, 0492, 0493, 0494, 0495
Intitulé de la cause :
Diana Jarvo et le sous‑ministre de la Défense nationale
Audience :
Les 24, 25 et 27 mars 2009
Winnipeg (Manitoba)
Date des motifs :
Le 9 février 2011

COMPARUTIONS

Pour les plaignants :
Louis Bisson
Pour l'intimé :
Lesa Brown
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
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