Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi pour incapacité - elle a allégué que l’employeur l’avait contrainte à opter pour une mise à la retraite, la privant des avantages sociaux prévus à la convention collective et qu’il avait agi de façon discriminatoire - en juin 2007, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est absentée du travail jusqu’au 24 août 2009 - un plan de réintégration a été mis en place avec l’appui de la fonctionnaire s’estimant lésée, son médecin, l’employeur et l’assureur - le plan prévoyait un retour à temps partiel avec comme objectif un retour au travail à temps plein à compter d’octobre 2009 - la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas capable de respecter l’horaire de réintégration et a justifié chacune de ses absences avec des certificats médicaux - son psychiatre a évalué son état de santé et a conclu qu’elle ne pouvait travailler plus de 18 heures par semaine - entre octobre 2009 et son licenciement en novembre 2010, elle a travaillé un total de 172,5 heures et n’a pas travaillé après le 24 juin 2010 - son incapacité de respecter son horaire de retour progressif a causé des problèmes opérationnels pour la remplacer - l’arbitre de grief a décidé qu’il était raisonnable pour l’employeur de croire que la fonctionnaire s’estimant lésée ne pourrait reprendre son travail dans un avenir prévisible - le fait de continuer l’accommodement en permettant à la fonctionnaire s’estimant lésée de demeurer en congé et de pouvoir reprendre son travail quand sa santé le lui permettait constituait une contrainte excessive. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-09-28
  • Dossier:  566-02-5278 et 5279
  • Référence:  2012 CRTFP 102

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MARIE-JOSÉE GAUTHIER

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Comité des griefs des Forces canadiennes)

employeur

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Comité des griefs des Forces canadiennes)

défendeur

Répertorié
Gauthier c. Conseil du Trésor (Comité des griefs des Forces canadiennes) et Administrateur général (Comité des griefs des Forces canadiennes)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Amarkai Laryea, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Martin Desmeules, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 13 au 15 août 2012.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Marie-Josée Gauthier (la « fonctionnaire s’estimant lésée » ou Mme Gauthier) était conseillère en communications au Comité des griefs des Forces canadiennes (« l’employeur » ou « l’administrateur général » ou le CGFC). Le 29 novembre 2010, l’employeur a mis fin à l’emploi de Mme Gauthier pour incapacité. En décembre 2010, Mme Gauthier a déposé un grief pour contester la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi. Elle allègue que l’employeur l’a contrainte à opter pour une mise à la retraite et l’a privée des avantages sociaux prévus à sa convention collective. Elle allègue aussi que l’employeur a alors agi de façon discriminatoire à l’encontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP ») et de l’article 19 de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada, pour le groupe Services des programmes et de l’administration, expirant le 20 juin 2011.

2 Le grief a fait l’objet de deux renvois à l’arbitrage et d’un avis à la Commission canadienne des droits de la personne à l’effet que Mme Gauthier avait l’intention de soulever une question liée à l’interprétation ou à l’application de la LCDP. L’un des renvois à l’arbitrage fait état d’une violation de la convention collective et l’autre renvoi d’un licenciement pour une raison autre que le rendement, la discipline ou l’inconduite. Comme mesures correctives, Mme Gauthier demande que l’employeur renonce à la licencier, lui permette de continuer à être en congé sans solde et maintienne ses avantages sociaux. Lors de l’audience, Mme Gauthier demande aussi que j’ordonne que l’employeur lui verse 15 000 $ pour le préjudice moral qu’elle a souffert et une indemnité spéciale de 15 000 $ parce que l’acte discriminatoire était délibéré et inconsidéré.

II. Résumé de la preuve

3 Les deux parties ont soumis en preuve des documents ayant principalement trait à la santé de Mme Gauthier entre 2007 et 2010, à des échanges sur ses retours au travail et ses absences ainsi qu’aux démarches qu’elle a faites en vue d’une retraite pour raison de santé. Mme Gauthier a témoigné. L’employeur a appelé Najwa Asmar, Anne Sinclair et Bruno Hamel comme témoins. Mme Asmar est la gestionnaire des communications au CGFC. Elle était la superviseure de Mme Gauthier. Mme Sinclair est directrice exécutive des services corporatifs au CGFC. Les services corporatifs incluent le service des communications où Mme Gauthier travaillait. M. Hamel est le président du CGFC. Il est le premier dirigeant du CGFC et, à ce titre, il a pris la décision de licencier Mme Gauthier.

4 Mme Gauthier a été embauchée au service des communications du CGFC en avril 2002 et elle y a obtenu un poste indéterminé en novembre 2002. Ses tâches consistaient principalement à rédiger, réviser et traduire des textes, mettre à jour les sites intranet et Internet ainsi que s’acquitter de fonctions diverses liées aux communications. Mme Gauthier aimait son travail et sa superviseure était pleinement satisfaite de sa prestation de travail quand elle était présente.

5 À partir de 2004-2005, Mme Gauthier a commencé à être plus souvent absente pour cause de maladie. Puis en 2006-2007, ses absences se sont intensifiées atteignant en moyenne de deux à trois jours par mois. En juin 2007, elle ne pouvait plus travailler. Son médecin en a conclu qu’elle souffrait d’une dépression majeure. Il s’en suivit des périodes difficiles d’ajustement de médicaments. Plus tard, les médecins ont diagnostiqué que Mme Gauthier souffrait de bipolarité de type II. Elle a été absente du travail, sans interruption, du 27 juin 2007 au 24 août 2009. À l’exception du délai de carence du début de son absence, Mme Gauthier a alors reçu des prestations d’assurance-invalidité de la Financière Sun Life pour cette période.

6 À la fin de juillet 2009, Mme Gauthier a témoigné qu’on lui a dit qu’elle devrait retourner au travail. Elle ne se souvient pas qui lui aurait fait une telle demande mais elle a accepté de collaborer au développement d’un plan de réintégration ayant ultimement reçu son appui, celui de son médecin, de l’assureur et de l’employeur. Le plan prévoyait que Mme Gauthier retournerait au travail à temps partiel à compter du 24 août 2009 avec comme objectif un retour à temps plein à compter d’octobre 2009. La preuve révèle que Mme Gauthier a travaillé un total de 58,25 heures entre le 24 août et le 16 octobre 2009, soit une moyenne d’à peu près 7 heures par semaine. Elle a justifié chacune de ses absences par rapport au plan de réintégration par des certificats médicaux.

7 Le 20 octobre 2009, le Dr David Bakish, un psychiatre qui soignait Mme Gauthier, a évalué son état de santé et a conclu qu’elle ne pouvait travailler plus de 18 heures par semaine. Le 2 novembre 2009, le médecin de famille de Mme Gauthier a écrit dans un certificat médical que Mme Gauthier ne pouvait travailler plus de 17 heures par semaine pour les trois prochains mois. Le 16 février 2010, le Dr Bakish a revu Mme Gauthier et il a écrit qu’elle ne pouvait travailler plus de 18 heures par semaine et que son état de santé devrait être réévalué le 1er avril 2010. Le 26 février 2010, l’employeur a envoyé Mme Gauthier à Santé Canada pour une évaluation médicale. Le 7 avril 2010, le médecin de Santé Canada a vu Mme Gauthier et conclu qu’elle était inapte à travailler et qu’il écrirait ses recommandations plus précises quand il recevrait l’information médicale des médecins de Mme Gauthier. Le 31 mai 2010, le médecin de Santé Canada a conclu que Mme Gauthier pouvait retourner travailler deux après-midis par semaine pendant deux semaines, puis qu’elle pourrait ajouter une demi-journée par semaine toutes les deux semaines pour atteindre un maximum de 18 heures par semaine pour au moins six mois. Le médecin de Santé Canada n’a pu se prononcer sur une date probable de retour au travail à temps plein. Puis, le 1er juillet 2010, le médecin de famille de Mme Gauthier a justifié son absence jusqu’au 5 juillet, le 15 juillet son absence jusqu’au 6 août, le 16 août son absence jusqu’au 13 septembre, le 7 septembre son absence jusqu’au 18 octobre, et le 14 octobre son absence jusqu’au 4 janvier 2011.

8 Entre le 20 octobre 2009 et le 30 novembre 2010, date où elle fut licenciée, Mme Gauthier a travaillé un total de 172,5 heures. Au cours des cinq premières semaines de cette période, elle a travaillé 78,5 heures, soit en moyenne 15,7 heures par semaine. Au cours des 14 semaines suivantes, elle a travaillé 64,5 heures, soit en moyenne 4,6 heures par semaine. Puis entre le 1er mars 2010 et le 4 juin 2010, elle n’a pas travaillé. Entre le 7 juin et le 24 juin 2010, elle a travaillé un total de 27,5 heures. Par la suite, Mme Gauthier n’est jamais retournée au travail.

9  Il n’y a pas de litige entre les parties sur la légitimité des congés de maladie que Mme Gauthier a demandé à l’employeur. Qui plus est, chacun de ces congés, de courte ou de longue durée, fut appuyé par un certificat médical. Également, les témoins, y compris Mme Gauthier, s’entendent pour dire que ses tentatives de retour progressif au travail à temps partiel n’ont pas bien fonctionné. D’une part, l’employeur ne pouvait compter sur le fait que Mme Gauthier travaillerait les 17, 18 ou 20 heures hebdomadaires prévues à son plan de retour au travail car elle ne respectait pas ces heures. D’autre part, Mme Gauthier ne se sentait pas capable de travailler autant d’heures, d’autant plus que la perspective d’un retour éventuel à temps plein lui causait un grand stress qui contribuait, selon elle, à la détérioration de son état de santé. Par contre, elle admet que l’employeur était ouvert à l’idée d’adapter l’horaire de travail à ses besoins.

10 Au cours de la période en question, les fonctions de communication au CGFC était sous la responsabilité de Mme Asmar qui n’avait alors qu’une seule employée indéterminée pour l’assister, en l’occurrence Mme Gauthier. Lors des absences de Mme Gauthier entre 2007 et 2010, Mme Asmar a, tour à tour, fait appel à une étudiante, à des employés d’agence de placement et à des employés temporaires pour la remplacer. Étant donné que Mme Gauthier n’est pas revenue travailler à temps plein après 2007, les mesures pour la remplacer se sont poursuivies même lors de ses retours progressifs au travail. De façon générale, lorsque Mme Gauthier était présente, elle travaillait sur des tâches dont les échéances étaient à plus long terme. Par contre, Mme Asmar pouvait difficilement se fier sur elle pour des tâches qui devaient être faites le jour même ou pour des publications à échéance fixe. Ce qui causait le plus de problèmes à Mme Asmar n’était pas le nombre d’heures ou l’horaire préétabli, mais plutôt le fait que Mme Gauthier le respectait rarement.

11 Mme Sinclair a expliqué qu’il était devenu difficile, non seulement sur une base opérationnelle mais aussi d’une perspective administrative, de gérer les absences de Mme Gauthier. Les documents présentés en preuve indiquent qu’elle a soumis 20 certificats médicaux au cours d’une période de 3 ans pour justifier ses absences. Il était presque impossible de prévoir quand elle reviendrait au travail car la date prévue de retour au travail indiquée sur un certificat médical était souvent prolongée plusieurs fois par d’autres certificats médicaux. Dans ce contexte, les remplacements étaient de courte durée et l’employeur faisait appel à des étudiants, des employés d’agence ou des employés temporaires pour une période de moins de trois mois. Le cadre réglementaire de la fonction publique fédérale impose des limites sur la durée de ce type d’embauche et sur le nombre de renouvellements d’employés embauchés pour des courtes durées.

12 Selon Mme Sinclair, certains projets de communication assez importants n’ont pu être réalisés à cause des nombreuses absences de Mme Gauthier. Qui plus est, il devenait impossible d’assurer de la stabilité dans le service des communications qui ne comptait que deux postes permanents à temps plein, incluant celui de la gestionnaire Mme Asmar. Avec l’arrivée en mars 2009 du nouveau président, une importance accrue fut donnée aux communications internes et externes. Il fallait être capable d’offrir le service. À la fin de l’été 2010, Mme Asmar a informé Mme Sinclair qu’il y avait des possibilités qu’elle quitte son poste au CGFC pour aller travailler à Montréal. Le départ de Mme Asmar voudrait dire pour Mme Sinclair qu’elle ne pourrait plus compter sur aucune ressource stable permanente au service des communications.

13  Sur la base de l’information dont elle disposait alors et après avoir consulté M. Hamel, Mme Sinclair a écrit à Mme Gauthier le 7 octobre 2010. L’essence de cette lettre est contenue dans l’extrait qui suit :

[…]

La présente lettre a trait au congé prolongé pour raisons de maladie dont vous bénéficiez comme titulaire du poste de Conseillère en communications au sein du Comité des griefs des Forces canadiennes depuis le 27 juin 2007.

Dans les situations où le congé non payé pour raisons de maladie ou de blessure a dépassé deux ans et qu’il semble peu probable que l’employé retournera au travail dans un avenir prévisible, la direction est tenue de résoudre la situation.

À cette fin, nous vous demandons de nous faire part avant le vendredi 5 novembre, 2010, si :

  1. votre état de santé s’est amélioré au point ou vous pourrez réintégrer vos fonctions à temps plein d’ici le 5 novembre 2010 (cela doit être attesté par écrit par votre médecin traitant);
  2. vous souhaitez présenter une demande de retraite pour raisons de santé;
  3. vous choisissez de démissionner;

Si vous omettez de nous aviser de votre décision d’ici le 5 novembre 2010, je serai dans l’obligation de recommander au Président du Comité d’approuver un licenciement pour des raisons autres que disciplinaires (incapacité), en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Si vous optez pour une retraite médicale pour des raisons de santé et que Santé Canada n’approuverait pas votre demande, sachez que l’employeur n’aura d’autre choix que de procéder à un licenciement.

[…]

14 Mme Gauthier a été très déçue et triste de recevoir cette lettre. Elle ne comprenait pas le pourquoi de cette nouvelle approche de l’employeur. Elle a alors décidé de consulter un représentant syndical. Le 5 novembre 2010, le représentant syndical a écrit un courriel à Mme Sinclair pour lui demander une rencontre afin de discuter du cas de Mme Gauthier. Le même jour, Mme Gauthier a aussi écrit un courriel à Mme Sinclair pour lui dire qu’aucune des solutions proposées dans la lettre du 7 octobre 2010 ne lui convenait. Elle lui a aussi écrit que ses médecins croyaient pouvoir éventuellement stabiliser sa condition médicale. C’était seulement une question de temps, selon le courriel de Mme Gauthier. Elle demandait, comme l’avait fait le représentant syndical, une rencontre pour discuter de la situation.

15 La rencontre en question a eu lieu le 18 novembre 2010 en présence de Mme Gauthier et de son représentant, et d’au moins Mme Sinclair comme porte-parole de l’employeur. Mme Sinclair a expliqué les raisons qui l’avaient amenée à envoyer la lettre du 7 octobre 2010. Elle a expliqué qu’elle recherchait une certaine stabilité dans la section des communications et que son problème était l’incapacité de Mme Gauthier de revenir au travail. Mme Sinclair a dit qu’elle était prête à accepter que Mme Gauthier retourne progressivement au travail mais qu’elle voulait qu’éventuellement elle revienne au travail à temps plein. Mme Gauthier a dit qu’elle ne pouvait revenir au travail à temps plein mais qu’elle pourrait plus tard revenir travailler à temps partiel. Mme Sinclair a accepté de prolonger le délai de réponse à la lettre du 7 octobre au 25 novembre 2010, soit une semaine après la réunion du 18 novembre. Elle a aussi témoigné qu’elle avait informé Mme Gauthier qu’elle aurait pu la reprendre à temps partiel mais qu’elle ne croyait pas que Mme Gauthier, sur la base des expériences passées, ne puissent respecter son horaire.

16 En contre-interrogatoire, Mme Sinclair a dit qu’elle n’avait pas exploré la possibilité pour Mme Gauthier d’être mutée ailleurs dans la fonction publique fédérale. Elle a dit qu’elle ne pouvait amorcer de telles discussions tant que la situation de travail de Mme Gauthier ne s’était pas stabilisée.

17 Le matin du 29 novembre M. Hamel a fait parvenir à Mme Gauthier une lettre l’avisant qu’il mettait fin à son emploi. Les extraits suivants de cette lettre en résument l’essence :

[…]

La présente lettre vise à vous informer de ma décision de mettre fin à votre emploi pour des raisons autres que disciplinaires (incapacité), et ce, à compter du 30 novembre 2010.

Embauchée en novembre 2002, en tant que Conseillère en communications au sein du Comité des griefs des Forces canadiennes, vous bénéficiez d’un congé de maladie prolongé depuis juin 2007.

Au cours des trois dernières années, trois plans visant à vous réintégrer au travail de façon progressive ont été mis en place, conformément aux recommandations de vos médecins. Malheureusement, aucune de ces tentatives ne fut couronnée de succès et rien ne me laisse croire que votre situation pourrait s’améliorer dans un avenir prévisible.

Le 7 octobre dernier, le Comité vous a fait parvenir une lettre enregistrée vous demandant de choisir parmi les options qui s’offraient à vous et de lui faire savoir votre décision, au plus tard le 5 novembre 2010, faute de quoi, il serait dans l’obligation de procéder à votre licenciement.

Ayant été informé que vous n’aviez retenu aucune des options proposées, j’ai donc pris la décision de mettre fin à votre emploi, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés conformément à l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, en tant que Président du Comité des griefs des Forces canadiennes.

[…]

18 L’employeur avait accepté de reporter l’échéance du 5 novembre 2010, dont il est question dans la lettre de fin d’emploi, au jeudi 25 novembre 2010. Avant de recevoir cette lettre, Mme Gauthier a écrit à l’employeur le 29 novembre 2010 pour répondre à la lettre du 7 octobre 2010 et pour faire suite aux discussions qu’elle avait eues avec lui le 18 novembre 2010. La lettre de Mme Gauthier et celle de l’employeur, toutes deux datées du 29 novembre 2010, se sont croisées. Dans sa lettre, Mme Gauthier a rappelé qu’à la rencontre du 18 novembre 2010, elle avait informé l’employeur qu’aucune des options qui lui étaient offertes n’était convenable. Puis, elle l’a informé que sous la contrainte, elle choisissait de demander une retraite anticipée pour raisons médicales.

19 Le 27 janvier 2011, un médecin de Santé Canada a informé Mme Gauthier que sa demande de retraite pour raison médicale était refusée étant donné que son médecin avait établi que son invalidité était temporaire et que pour avoir droit à une telle retraite elle devrait être incapable de façon permanente « d’exercer régulièrement une position rémunératrice ». Dans les faits, son médecin avait écrit le 14 janvier 2011 que Mme Gauthier était « possiblement incapable de façon permanente » de travailler mais qu’il ne pouvait conclure à son invalidité complète et permanente. Il a aussi ajouté qu’il y avait des possibilités qu’elle puisse éventuellement reprendre le travail mais qu’il ne pouvait le garantir.

20 La décision de l’employeur de licencier Mme Gauthier a eu un impact très négatif sur elle. Elle était très stressée et est retombée en dépression. Elle était également très inquiète quant à sa situation financière et au fait qu’elle n’était plus couverte par le régime d’assurance-médicaments. Ses problèmes de thyroïde ne se sont réglés que 9 à 10 mois après novembre 2010 et elle a commencé à mieux se sentir à la fin de 2011. Elle n’a pas retravaillé depuis sa fin d’emploi au CGFC et son médecin lui a conseillé d’attendre après la présente audience avant de le faire.

21 Les témoins de l’employeur ont souligné que le fait que Mme Gauthier n’a jamais pu respecter le nombre d’heures prévues lors des retours progressifs au travail a causé des problèmes opérationnels pour la remplacer. L’employeur ne pouvait en effet planifier correctement les besoins de remplacement. Quand Mme Gauthier était là, elle fournissait une bonne prestation de travail mais Mme Asmar pouvait difficilement compter sur elle à cause de ses nombreuses absences pour lesquelles elle ne donnait parfois aucun préavis. Il arrivait même qu’elle n’appelait pas du tout pour aviser de son absence et qu’elle ne le fasse qu’à posteriori. Mme Gauthier a admis de tels comportements, mais a expliqué qu’ils étaient dus à sa maladie.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

22 Mme Gauthier a été complètement absente du travail pour une période de deux ans, puis elle a tenté divers retours progressifs qui se sont tous avérés des échecs. À l’automne 2010, il était devenu improbable que Mme Gauthier ne puisse, dans un avenir prévisible, fournir une prestation de travail. Dans de telles circonstances, le licenciement de Mme Gauthier ne constitue pas de la discrimination.

23 L’employeur a accommodé Mme Gauthier en acceptant qu’elle revienne au travail de façon progressive à temps partiel selon des horaires proposés et acceptés par Mme Gauthier et ses médecins. L’employeur a fait preuve de souplesse quant aux horaires. Cependant, Mme Gauthier n’était pas apte à travailler. L’employeur ne pouvait compter sur elle, même les journées où elle était censée être présente. Compte tenu des circonstances, il était en droit de la licencier. L’employeur avait besoin d’une main-d’œuvre stable pour assurer une certaine continuité, mais il devait constamment embaucher de la main-d’œuvre temporaire pour pallier les absences prévues ou non prévues de Mme Gauthier. L’employeur a démontré qu’il y avait contrainte excessive. Son obligation d’accommoder Mme Gauthier a cessé, car elle ne pouvait plus se présenter au travail dans un avenir prévisible.

24 Même après l’envoi de la lettre du 6 octobre 2010, l’employeur est demeuré ouvert à reprendre Mme Gauthier à temps partiel, et il l’en a informée. Cependant, elle n’a fourni aucun signe qu’elle pouvait reprendre le travail à temps partiel avec un retour éventuel à temps plein. Qui plus est, il était impossible pour l’employeur de faire la promotion de la candidature de Mme Gauthier auprès d’autres ministères ou agences fédérales, car on ne pouvait garantir qu’elle pourrait fournir une prestation de travail. Mme Gauthier a d’ailleurs elle-même admis qu’elle n’était pas en mesure de travailler à cette époque.

25 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4; Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095; Québec (Procureur général) c. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), 2005 QCCA 311; Scheuneman c. Canada (procureur général), [2000] A.C.F. No 1997; Canada (Procureur général) c. Pepper, 2010 CF 226; English-Baker c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 24; et Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8.

B. Pour Mme Gauthier

26 Une dépression majeure, suivie d’un diagnostic de bipolarité et plus tard d’hypothyroïdie, a empêché Mme Gauthier de travailler à temps plein. Il s’agit là de déficiences au sens de la LCDP. Elle reconnaît que ses retours progressifs au travail ont été difficiles, mais chacune de ses absences a été justifiée par un certificat médical. De plus, en tout temps, elle a informé l’employeur de sa situation médicale et de sa capacité de travailler en toute transparence.

27 La raison invoquée par l’employeur pour licencier Mme Gauthier était qu’elle ne pouvait retourner au travail dans un avenir prévisible. Pourtant, quand il a écrit sa lettre du 7 octobre 2010, l’employeur avait en main un certificat médical daté du 7 septembre attestant que Mme Gauthier pourrait retourner au travail le 18 octobre. Puis, le 14 octobre, Mme Gauthier a soumis un autre certificat médical attestant qu’elle ne pouvait travailler avant le 4 janvier 2011. La lettre du 7 octobre de l’employeur spécifiait que Mme Gauthier devrait retourner au travail à temps plein avant le 5 novembre, faute de quoi elle devait présenter une demande de retraite pour raison de santé, démissionner ou être licenciée.

28  L’employeur ne s’est pas basé sur le contenu des certificats médicaux fournis par Mme Gauthier pour prendre sa décision mais plutôt sur son historique d’absences. Il aurait plutôt dû se baser sur de l’information médicale et non pas sur ses impressions. L’employeur aurait pourtant pu demander une évaluation médicale de Mme Gauthier par des médecins de son choix, mais il ne l’a pas fait. Il n’avait en sa possession aucune preuve médicale que Mme Gauthier ne pourrait revenir au travail.

29 Mme Gauthier a prouvé qu’elle avait des déficiences et que celles-ci ont fait en sorte qu’elle a été licenciée. Il s’agit là d’une preuve prima facie de discrimination. L’employeur aurait pu faire plus pour l’accommoder et il n’avait pas atteint le point de la contrainte excessive. Mme Gauthier aurait pu être accommodée dans une autre organisation de l’administration publique centrale.

30 Mme Gauthier demande d’être réintégrée dans son poste et que ses avantages sociaux soient rétablis rétroactivement à la date de son licenciement. Elle ne demande aucun salaire rétroactif. Par contre, l’arbitre de griefs devrait ordonner que l’employeur lui verse 15 000 $ pour le préjudice moral dont elle a souffert et 15 000 $ à titre d’indemnité spéciale.

31 Mme Gauthier m’a renvoyé aux décisions suivantes : Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3; Centre universitaire de santé McGill; Hydro-Québec; Procureur Général du Canada c. Sketchley, 2005 CAF 404; English-Baker; Pepper; Naccarato v. Costco, 2010 ONSC 2651; Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2005 CRTFP 173; O’Leary c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CRTFP 10; et Giroux c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 102.

IV. Motifs

32 La preuve révèle que Mme Gauthier a été absente pour maladie pour une période de 26 mois sans interruption entre juin 2007 et août 2009. Puis, dans l’année qui suivit, avec l’accord de ses médecins et la collaboration de l’employeur, elle a tenté sans succès de reprendre le travail progressivement. En octobre 2010, l’employeur lui a lancé un ultimatum selon lequel elle devait revenir au travail à temps plein, appliquer pour une retraite médicale, démissionner ou être licenciée. Mme Gauthier ne pouvait revenir au travail car elle était malade. Le 29 novembre 2010, l’employeur l’a licenciée. Plus tard en janvier 2011, Mme Gauthier a appliqué pour une retraite médicale qui a été refusée car ses médecins ne pouvaient conclure que son invalidité était permanente.

33 Nul doute que Mme Gauthier était gravement malade entre 2007 et 2010, à un point tel qu’elle ne pouvait pas travailler du tout ou ne pouvait le faire qu’à temps partiel pour quelques semaines au cours de cette période. Au moment de son licenciement et selon son témoignage et les documents médicaux soumis en preuve, elle souffrait de bipolarité et de problèmes d’hypothyroïdie. L’employeur ne le conteste pas. Je suis d’accord avec Mme Gauthier que son état de santé de 2010 équivaut à une déficience au sens du paragraphe 3(1) de la LCDP. L’employeur ne le conteste pas non plus.

34 L’employeur a licencié Mme Gauthier parce qu’elle n’était pas capable de travailler. Mme Gauthier n’était pas capable de travailler parce qu’elle souffrait d’une déficience. L’employeur connaissait la déficience de Mme Gauthier. Rien ne me laisse croire, dans la preuve présentée, que Mme Gauthier aurait été licenciée si elle n’avait pas souffert d’une déficience. Sa déficience a donc directement contribué à son licenciement. Il s’agit là d’une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 de la LCDP. Cet article se lit comme suit :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

35 Comme la Cour suprême l’a établi dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, il incombait dès lors à l’employeur de prendre des mesures raisonnables afin d’accommoder les limitations de Mme Gauthier pour autant que ces mesures ne lui causaient pas de contraintes excessives. La Cour a aussi spécifié dans Meiorin que l’employeur devait faire des efforts soutenus et prolongés pour trouver une solution qui permette à l’employée de demeurer au travail malgré ses contraintes médicales. Pour ce, Mme Gauthier devait évidemment pouvoir travailler.

36 L’employeur avait aussi l’obligation de respecter l’article 19 de la convention collective qui porte sur l’élimination de la discrimination. Sauf pour les motifs illicites de discrimination, de façon générale, la convention collective comporte les mêmes obligations pour l’employeur que la LCDP. L’article 19 de la convention collective se lit comme suit :

19.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l'égard d'un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l'Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l'employé-e a été gracié.

37 La preuve révèle que d’août 2009 à octobre 2010 l’employeur a accommodé Mme Gauthier en lui permettant de travailler à temps partiel pour faciliter son retour progressif au travail. La preuve révèle aussi que Mme Gauthier n’a pu respecter le nombre d’heures de travail qu’elle était censée travailler. En novembre 2010, l’employeur l’a licenciée car elle n’était pas en mesure de revenir travailler dans un avenir prévisible. La question qui se pose est donc de savoir si le fait de continuer, en novembre 2010, à accommoder Mme Gauthier constituait pour l’employeur une contrainte excessive. Si c’est le cas, l’employeur était tout à fait en droit de licencier Mme Gauthier. Si ce n’est pas le cas, l’employeur a agi de façon discriminatoire à son égard, et il n’a pas respecté la LCDP et la convention collective.

38 Certes, la question d’un autre retour progressif à temps partiel a été abordée par Mme Gauthier et Mme Sinclair lors de la rencontre du 18 novembre 2010. Cependant, à cette rencontre, la question était plutôt de savoir si Mme Gauthier pouvait revenir au travail. Mme Sinclair en doutait. Quant à Mme Gauthier, elle n’a pas demandé à l’employeur d’examiner une quatrième alternative au trois proposées, c’est-à-dire de revenir travailler à temps partiel à partir de novembre 2010. Elle a plutôt exprimé qu’elle pourrait plus tard revenir au travail à temps partiel sans mention d’une date approximative quelconque.

39  En novembre 2010, l’employeur a exigé que Mme Gauthier reprenne le travail. Dans Meiorin, la Cour suprême a établi qu’une exigence ou une norme de l’employeur doit être adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail, que l’exigence est nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail et qu’il est impossible de composer avec la situation sans que l’employeur ne subisse de contrainte excessive. Sur la question de la contrainte excessive, dans Hydro-Québec au paragraphe 12, puis au paragraphe 16, la Cour suprême a apporté les précisions suivantes :

[…]

Ce qui est véritablement requis ce n’est pas la démonstration de l’impossibilité d’intégrer un employé qui ne respecte pas une norme, mais bien la preuve d’une contrainte excessive qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances.

[…]

Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

40 Au moment de son licenciement, l’aménagement requis par Mme Gauthier était, semble-t-il, de pouvoir continuer à être en congé de maladie non-payé et de pouvoir reprendre le travail quand sa santé le lui permettrait. En envoyant à Mme Gauthier la lettre du 7 octobre 2010 qui lui demandait de retourner au travail à temps plein le 5 novembre 2010 ou de quitter son emploi sans quoi elle serait licenciée, l’employeur mettait fin à la mesure d’accommodement jusque-là en place. Selon lui, le fait de ne pas savoir quand il pourrait compter sur les services de Mme Gauthier constituait une contrainte excessive.

41 Dans Hydro-Québec, la Cour suprême s’exprime ainsi sur l’obligation d’une employée de fournir une prestation de travail et sur l’interrelation de cette obligation avec la contrainte excessive :

[…]

15 L’obligation d’accommodement n’a cependant pas pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail. […]

16 Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

17 […] De même, en l’espèce, Hydro Québec a tenté pendant plusieurs années d’adapter les conditions de travail de la plaignante : aménagement physique du poste de travail, horaires à temps partiel, attribution d’un nouveau poste, etc. Cependant, en cas d’absentéisme chronique, si l’employeur démontre que, malgré les accommodements, l’employé ne peut reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura satisfait à son fardeau de preuve et établi l’existence d’une contrainte excessive.

18 L’incapacité totale d’un salarié de fournir toute prestation de travail dans un avenir prévisible n’est donc pas le critère de détermination de la contrainte excessive. Lorsque les caractéristiques d’une maladie sont telles que la bonne marche de l’entreprise est entravée de façon excessive ou lorsque l’employeur a tenté de convenir de mesures d’accommodement avec l’employé aux prises avec une telle maladie, mais que ce dernier demeure néanmoins incapable de fournir sa prestation de travail dans un avenir raisonnablement prévisible, l’employeur aura satisfait à son obligation. […]

19 L’obligation d’accommodement est donc parfaitement conciliable avec les règles générales du droit du travail, tant celle qui impose à l’employeur l’obligation de respecter les droits fondamentaux des employés que celle qui oblige les employés à fournir leur prestation de travail. L’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible.

[…]

42 Les faits dans Hydro-Québec diffèrent de la présente affaire. Néanmoins, les principes établis par la Cour suprême s’appliquent. Si l’employeur démontre que l’employé ne peut travailler dans un avenir raisonnablement prévisible, il établit l’existence d’une contrainte excessive. Quand l’employé ne peut remplir dans un avenir prévisible ses obligations, il n’incombe plus à l’employeur de l’accommoder. Sur ce point, dans Syndicat des professionnelles, la Cour d’appel du Québec écrivait :

76 […] En effet, dans la situation où la fin de l’emploi résulte de l’incapacité du salarié de fournir sa prestation de travail dans un avenir raisonnable, ce n’est pas tant son handicap qui fonde la mesure de congédiement que son incapacité de remplir les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail.

43  La Cour d’appel fédérale va dans le même sens dans Scheuneman où elle affirme que le congédiement d’un employé qui est incapable de recommencer à travailler dans un délai raisonnable ne constitue pas de la discrimination fondée sur une déficience. Dans English-Baker, l’arbitre de griefs conclut lui aussi que l’obligation d’accommoder ne veut pas dire que l’employeur conserve indéfiniment au sein de son effectif les employés incapables de travailler, car il s’agirait là d’une contrainte excessive.

44 Dans la présente affaire, Mme Gauthier, après une absence d’un peu plus de deux ans pour congé de maladie, a tenté de retourner progressivement au travail en août 2009. Sur ce, la preuve révèle que l’employeur l’a pleinement accommodée. Elle devait alors travailler 17 ou 18 heures par semaine. Elle n’a pas pu respecter cet engagement et elle est retombée malade. Entre le 1er mars 2010 et le 24 juin 2010, elle a travaillé un total de 27,5 heures et n’a plus retravaillé par la suite. Entre juillet et octobre 2010, les absences de Mme Gauthier ont été justifiées par quatre certificats médicaux consécutifs. Sur la base de ces faits, il devenait raisonnable pour l’employeur de croire que Mme Gauthier ne pourrait reprendre son travail dans un avenir prévisible.

45 Le 7 octobre 2010, l’employeur a lancé un ultimatum à Mme Gauthier l’exhortant de reprendre le travail le 5 novembre 2010 ou de quitter son emploi en prenant une retraite médicale, en démissionnant ou en étant licenciée. Il avait alors en sa possession un certificat médical daté du 7 septembre attestant de son absence jusqu’au 18 octobre 2010. Rien dans ce certificat médical ne laissait croire que Mme Gauthier ne pourrait reprendre le travail le 5 novembre 2010. Mais sur la base de l’expérience passée de certificats médicaux consécutifs pour des absences de moyenne durée, il était raisonnable pour l’employeur d’en douter. D’ailleurs, le 14 octobre 2010, quatre jours avant son retour prévu au travail, Mme Gauthier a produit un nouveau certificat médical justifiant son absence jusqu’au 4 janvier 2011. Dans un tel contexte, il était raisonnable que l’employeur en soit arrivé à la conclusion que Mme Gauthier ne reviendrait pas au travail dans un avenir prévisible.

46  L’employeur a accepté de reporter sa décision de licenciement. Lors d’une rencontre le 18 novembre 2010, l’employeur a signifié à Mme Gauthier qu’il était disposé à accepter son retour à temps partiel si elle pouvait éventuellement revenir à temps plein. Mme Gauthier a répondu qu’elle ne pouvait revenir à temps plein mais qu’elle pourrait éventuellement revenir à temps partiel.

47 Sur la base de l’information médicale alors disponible et à la lumière des faits en sa possession, l’employeur a décidé de licencier Mme Gauthier car rien ne lui laissait croire que sa situation pourrait s’améliorer dans un avenir prévisible. La preuve présentée me porte à croire que l’employeur a évalué l’ensemble de la situation avant de licencier Mme Gauthier, et qu’il était raisonnable qu’il conclue qu’elle ne reviendrait pas travailler dans un avenir prévisible.

48  La situation de Mme Gauthier diffère de celle dans Pepper. Dans Pepper, l’employeur n’avait aucune indication sur l’état de santé de l’employé et sa capacité de revenir au travail. Il a fondé sa décision sur un avis médical obtenu deux ans plus tôt. Dans Naccarato, la Cour a conclu que, sur la base de l’information en sa possession, l’employeur ne pouvait conclure que l’employé ne pouvait revenir au travail « dans un futur raisonnablement prévisible ». Dans la présente affaire, je suis d’avis que l’employeur avait assez d’information pour conclure que Mme Gauthier ne reviendrait pas au travail dans un futur prévisible.

49 Mme Gauthier a allégué qu’on lui avait dit en juillet 2009 qu’elle devait retourner au travail. Elle n’a pas précisé qui lui aurait dit une telle chose et dans quel contexte. Si elle ne pouvait retourner travailler, ses médecins auraient alors pu le confirmer, mais au contraire ils ont écrit qu’elle pouvait alors travailler à temps partiel. Mme Gauthier a aussi allégué dans son grief qu’elle avait été contrainte de demander une retraite médicale. Dans le contexte où l’offre de retraite médicale lui a été faite, je suis d’accord avec elle qu’il ne lui restait pas trop de choix étant donné qu’elle ne se sentait pas capable de revenir travailler. Cependant, je ne vois rien d’illégal pour un employeur de suggérer à une employée qui est incapable de travailler de faire une demande de retraite médicale. Il s’agit là d’une meilleure option que le licenciement.

50 Mme Gauthier a aussi affirmé qu’elle aurait pu être accommodée ailleurs dans l’administration publique centrale. Mme Sinclair a dit qu’elle n’avait pas exploré cette possibilité, car la situation de travail de Mme Gauthier ne s’était pas stabilisée. Cette explication me semble raisonnable. Je dois ajouter qu’aucune preuve ne m’a été présentée selon laquelle Mme Gauthier a demandé d’être transférée ou mutée ailleurs dans l’administration publique centrale. À partir de là, on peut difficilement blâmer l’employeur de ne pas l’avoir fait. On en pourrait non plus blâmer l’employeur, même si ce point n’a pas été soulevé dans l’argumentaire de Mme Gauthier, de ne pas l’avoir accommodée en lui offrant un poste à temps partiel au lieu de la licencier car, dans les faits et de son propre aveu, Mme Gauthier n’était alors pas capable de travailler dans un avenir prévisible que ce soit à temps plein ou à temps partiel. Qui plus est, elle ne savait pas quand elle le serait.

51 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

52 Le grief est rejeté.

Le 28 septembre 2012.

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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