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Informations sur la décision

Résumé :

Quatre plaignants ont formulé des allégations selon lesquelles l’intimé aurait élaboré le processus de nomination de manière à choisir des gestionnaires même s’il s’agissait de doter des postes de spécialistes dont un certain nombre ne comportaient aucune fonction de gestion. La candidature du plaignant, monsieur B., n’a pas été retenue lors de la présélection initiale en raison des qualifications essentielles relatives à l’expérience. Selon ce dernier, les critères de présélection auraient exclu abusivement les candidats qui possédaient une expérience de spécialiste, et l’intimé aurait fait preuve d’abus de pouvoir dans l’évaluation de son expérience. Les autres candidats ont été présélectionnés mais n’ont pas réussi à l’examen écrit qui servait à évaluer les autres qualifications essentielles. Selon eux, l’examen écrit aurait présenté entre autres les lacunes suivantes : non-évaluation des connaissances; instructions trompeuses données aux candidats; et absence de barème de correction. En outre, l’examen aurait été compromis parce que administré sur une longue période. L’intimé a contesté toutes les allégations en affirmant que les critères de présélection avaient été évalués de façon uniforme par des cadres dirigeants chevronnés. Il a ajouté que l’examen écrit a été conçu de manière professionnelle afin d’évaluer efficacement les qualifications essentielles, qu’il contenait des instructions claires à l’intention des candidats, et que les renseignements relatifs au processus de nomination en l’espèce ont été mis largement à la disposition des candidats éventuels. Décision Le Tribunal a estimé que les candidats qui ne possédaient aucune expérience directe en gestion pouvaient répondre aux critères de présélection en l’espèce. Les plaignants ont avancé que les qualifications essentielles n’étaient pas conformes à la norme de qualification établie pour les postes vu qu’il n’y avait aucune évaluation des connaissances. Toutefois, la norme de qualification applicable en l’occurrence n’exige pas l’évaluation des connaissances. Le Tribunal a jugé que les plaignants n’avaient pas apporté la preuve d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé par rapport à l’établissement des qualifications essentielles. Le Tribunal a jugé d’autre part que les plaignants n’avaient pas démontré que l’examen écrit était peu fiable comme outil d’évaluation. L’intimé a fourni aux candidats des renseignements suffisants et cohérents sur l’objet de l’examen écrit. S’agissant du barème de correction, le Tribunal a conclu que quand bien même l’intimé aurait pu informer les candidats par rapport aux notes de passage pour chaque compétence, il n’état pas tenu de le faire. L’examen a été administré à divers endroits pendant plusieurs mois. Cependant, les candidats devaient signer une entente de confidentialité les obligeant à ne pas discuter de son contenu. Il n’a pas été démontré en preuve que l’examen avait été compromis. Pour ce qui a trait à l’évaluation de l’expérience de monsieur B., le Tribunal a conclu à un abus de pouvoir de la part de l’intimé. En effet, celui-ci a éliminé la candidature du plaignant en question sur la base d’éléments insuffisants. Les éléments de preuve ont démontré que l’intimé n’avait pas tenu compte du contenu intégral du dossier de candidature de monsieur B. L’évaluation de l’expérience de ce dernier sans prise en considération de tous les renseignements qu’il avait fournis constituait donc un abus de pouvoir. Le Tribunal a ordonné à l’intimé d’évaluer les qualifications relatives à l’expérience de monsieur B. sur la base du contenu intégral de son dossier de candidature initial. Plainte accueillie en ce qui concerne monsieur B. Plaintes rejetées en ce qui concerne les autres plaignants.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers:
2008-0026, 0032, 0034 et 0074
Rendue à:
Ottawa, le 9 septembre 2011

ROBERT BROOKFIELD, GARRY MOORE, ALEXANDER MCNIVEN ET TERRY WOOD
Plaignants
ET
LE SOUS-MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte de R. Brookfield est accueillie
Les plaintes de G. Moore, A. McNiven et T. Wood sont rejetées
Décision rendue par:
Merri Beattie, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Brookfield c. le sous-ministre des Affaires étrangères et du Commerce international
Référence neutre:
2011 TDFP 0025

Motifs de décision


Introduction


1 En novembre 2006, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) a mené un processus de nomination interne annoncé en vue de doter des postes d'agent du service extérieur au groupe et au niveau FS-04 (les postes FS-04). Selon les quatre plaignants, Robert Brookfield, Garry Moore, Alexander McNiven et Terry Wood, l'intimé aurait élaboré le processus de nomination de façon à pouvoir choisir des gestionnaires, en dépit du fait que les postes FS-04 sont des postes de spécialistes et que bon nombre d'entre eux ne comportent aucune fonction de gestion.

2 La candidature de M. Brookfield n'a pas été retenue lors de la présélection initiale des dossiers de candidature en raison des qualifications essentielles relatives à l'expérience. Selon M. Brookfield, les critères de présélection auraient exclu abusivement les candidats qui possédaient une expérience de spécialiste; l'intimé aurait, d'autre part, fait preuve d'abus de pouvoir dans la façon d'évaluer son expérience.

3 MM. Moore, McNiven et Wood ont satisfait aux critères de présélection, mais n'ont pas réussi à l'examen écrit qui servait à évaluer les autres qualifications essentielles. Selon eux, l'examen écrit présenterait des lacunes étant donné qu'il ne permettait pas d'évaluer les connaissances, que les instructions fournies aux candidats étaient trompeuses et que le barème de correction n'était pas fourni. Ils ajoutent que l'examen a été compromis parce qu'il a été administré au cours d'une longue période.

4 L'intimé, le sous-ministre du MAECI, conteste ces allégations et soutient qu'il n'a pas abusé de son pouvoir dans ce processus de nomination. Il défend les qualifications essentielles qu'il a choisies et affirme que les critères de présélection ont été évalués de façon uniforme par de hauts fonctionnaires chevronnés. Il affirme également que l'examen écrit a été conçu de manière professionnelle afin d'assurer l'évaluation efficace des qualifications essentielles, qu'il a été approuvé par la Commission de la fonction publique (CFP) et qu'il contenait des instructions claires à l'intention des candidats. Selon l'intimé, les renseignements concernant ce processus de nomination ont été amplement communiqués aux candidats éventuels.

5 La CFP a présenté des observations concernant l'élaboration des qualifications essentielles en vertu des articles 30(2) et 31(2) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). La CFP a également fourni des observations en ce qui concerne ses Lignes directrices en matière d'évaluation et l'équité dans les processus de nomination.

Contexte


6 En juillet 2005, le MAECI a entrepris la conversion de la classification du groupe Service extérieur (FS), qui est passé de deux à quatre niveaux. Aucun poste existant n'a été converti au niveau FS-04; tous les postes de ce niveau sont nouveaux. Sur le plan de la gestion, le MAECI considère les employés et les postes du groupe FS comme un bassin de ressources. Chaque niveau du groupe FS compte deux bassins de postes; un bassin de postes salariés (qui correspond aux postes auxquels les employés sont nommés) et un bassin de postes attitrés (qui correspond aux postes auxquels les employés sont affectés – et non nommés – à tour de rôle).

7 En décembre 2006, un processus de nomination visant à doter les nouveaux postes FS-04 a été annoncé sur Publiservice. Les qualifications essentielles relatives aux études et à l'expérience ont été évaluées au moyen des dossiers de candidature. Un examen écrit a ensuite permis d'évaluer huit compétences essentielles.

8 Lorsque les avis de nomination ou de proposition de nomination ont été publiés en janvier 2008, diverses plaintes d'abus de pouvoir ont été présentées au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l'article 77 de la LEFP. Les parties concernées ont échangé des renseignements au sujet des plaintes, et les plaignants ont présenté leurs allégations, conformément au Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6 (le Règlement du Tribunal). De nombreuses plaintes ont ensuite été retirées. En fin de compte, les quatre plaintes restantes ont été jointes en vertu de l'article 8 du Règlement du Tribunal aux fins de la tenue d'une audience devant le Tribunal. À la suite de l'audience, les parties ont présenté des observations écrites au Tribunal.

9 M. Brookfield s'est lui-même représenté et M. Moore a représenté MM. McNiven et Wood, en plus de se représenter lui-même devant le Tribunal.

Questions à trancher


10 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l'établissement des qualifications essentielles?
  2. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans la façon d'évaluer l'expérience de M. Brookfield?
  3. L'examen écrit était-il un outil d'évaluation fiable?

Analyse


Question I : L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l'établissement des qualifications essentielles?

Qualifications essentielles relatives à l'expérience – critères de présélection

11 Les qualifications essentielles relatives à l’expérience énoncées ci-après ont servi à la présélection des candidats dans le processus en question :

Expérience dans un des deux domaines suivants :

  • 1. Expérience de l’exécution de programmes complexes liés à l’une des spécialisations figurant sur la liste (voir ci-dessous).

OU

  • 2. Expérience de l’élaboration et de la mise en œuvre de politiques sur diverses questions liées à l’une des spécialisations figurant sur la liste (voir ci-dessous).

Expérience dans au moins quatre des cinq domaines suivants :

  • 3. Expérience de la direction d’équipes de projets multidisciplinaires.
  • 4. Expérience de la participation à des processus de consultation avec divers intervenants.
  • 5. Expérience de la gestion de ressources humaines et financières.
  • 6. Expérience de la représentation du Canada et de la négociation en son nom dans le cadre d’enjeux internationaux complexes.
  • 7. Expérience dans des postes variés et à responsabilités croissantes, à l’administration centrale, dans un bureau régional ou dans une mission à l’étranger.

[traduction]

12 La liste en question comprenait 19 domaines de spécialisation.

13 M. Brookfield avance que les candidats ne pouvaient satisfaire aux critères de présélection établis à moins de posséder une expérience de la gestion. Selon lui, même si les candidats ne devaient posséder que quatre des cinq dernières qualifications, les qualifications 3, 5 et 7 étaient liées à la gestion.

14 La qualification 5 relative à l'expérience exige clairement une expérience directe de la gestion; toutefois, les éléments de preuve démontrent que les qualifications 3 et 7 n'exigent pas une telle expérience.

15 James Lambert, directeur général de la Direction générale de l'Amérique latine et des Caraïbes, a été appelé à témoigner par l'intimé. M. Lambert a participé à l'élaboration de l'énoncé des critères de mérite (ECM) pour ce processus. Il a affirmé que le comité qui a établi l'ECM savait que les candidats potentiels ne posséderaient pas tous l'expérience de la gestion traditionnelle et hiérarchique exigée à la qualification 5. Néanmoins, l'expérience de la collaboration avec autrui dans un rôle de leader est nécessaire à l'exécution efficace des tâches associées aux postes de niveau supérieur du groupe FS. M. Lambert a expliqué que les candidats pouvaient satisfaire à cette exigence, en possédant soit une expérience de gestion traditionnelle, soit une expérience de la direction d'une équipe, comme l'exigeait la qualification 3, étant donné qu'ils devaient posséder uniquement quatre des cinq dernières qualifications relatives à l'expérience.

16 Lucie Edwards a également été appelée à témoigner par l'intimé. Au moment de la tenue du processus, Mme Edwards occupait le poste de sous-ministre adjointe principale au MAECI et était membre du comité chargé d'effectuer la présélection des dossiers de candidature en fonction des qualifications essentielles relatives à l'expérience. Elle a confirmé que la qualification 3 relative à l'expérience exigeait une expérience en leadership, et non une expérience de la gestion traditionnelle.

17 Mme Edwards a expliqué que la qualification 7 relative à l'expérience pouvait être démontrée par des promotions à des postes de niveau plus élevé comportant des responsabilités en matière de gestion, mais qu'elle pouvait également être démontrée au moyen de la réalisation de travaux plus approfondis ou de l'acquisition d'un respect et d'une reconnaissance accrus au sein d'un groupe d'experts.

18 Les éléments de preuve présentés par M. Lambert et Mme Edwards n'ont pas été contredits. Par conséquent, le Tribunal estime que seule la qualification 5 relative à l'expérience exige une expérience de la gestion; les qualifications 3 et 7 n'exigent pas une telle expérience. Le Tribunal conclut donc que les candidats qui ne possédaient aucune expérience directe de la gestion pouvaient satisfaire aux critères de présélection établis pour ce processus.

Qualifications essentielles – compétences

19 Outre les critères de présélection, les huit compétences suivantes ont été établies en tant que qualifications essentielles aux fins d'évaluation dans ce processus : gestion par l'action; raisonnement conceptuel; perfectionnement d'autrui; communication interactive efficace; relations interpersonnelles et respect; jugement; « réseautage » et établissement d'alliances; leadership d'équipe.

20 M. Moore soutient que cinq des huit compétences sont liées à la gestion, malgré le fait que les postes FS-04 sont des postes de spécialistes et non de gestionnaires. Les éléments de preuve n'appuient toutefois pas cette argumentation.

21 La meilleure preuve présentée au Tribunal à ce sujet est le Manuel technique sur les tests d'habiletés du Service extérieur, qui renferme les définitions des compétences. Selon ces définitions, seule la compétence « gestion par l'action » comprend la gestion d'employés, soit la mobilisation du personnel et la gestion du comportement et du rendement des employés.

Exigences de la LEFP

22 L'article 30(2) de la LEFP confère à l'administrateur général le pouvoir d'établir les qualifications. Ce pouvoir discrétionnaire de l'administrateur général est limité par l'article 31 de la LEFP, selon lequel les qualifications essentielles établies par l'administrateur général doivent respecter ou dépasser les normes de qualification établies par l'employeur, le Conseil du Trésor. Ces deux dispositions doivent être lues ensemble.

30. (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) Selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles […] établies par l'administrateur général pour le travail à accomplir […]

31. (1) L'employeur peut fixer des normes de qualification, notamment en matière d'instruction, de connaissance, d'expérience, d'attestation professionnelle ou de langue, nécessaires ou souhaitables à son avis du fait de la nature du travail à accomplir et des besoins actuels et futurs de la fonction publique.

(2) Les qualifications mentionnées à l'alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i) doivent respecter ou dépasser les normes de qualification applicables établies par l'employeur en vertu du paragraphe (1).

23 Les plaignants soutiennent que l'intimé a établi les qualifications essentielles de façon à pouvoir choisir des gestionnaires, même si le but du processus était de doter des postes de spécialistes, et non de gestionnaires. Le Tribunal estime que les qualifications essentielles sont liées aux tâches du poste FS‑04, comme l'exige l'article 30(2) de la LEFP.

24 Selon l'annonce de possibilité d'emploi et plusieurs autres documents fournis à l'audience, le but du processus de nomination annoncé en question était d'établir un bassin de candidats qualifiés aux fins de nomination à un poste FS-04 dans les domaines commercial/économique et politique/économique. Les éléments de preuve démontrent que les personnes nommées sont inscrites dans le bassin de postes salariés et qu'un processus distinct est mené pour sélectionner des personnes en vue d'une affectation à un poste attitré spécifique.

25 Les postes salarié FS-04 sont visés par une description de travail générique, que les plaignants ont présentée en preuve. Cette description énumère cinq activités principales, dont les deux suivantes :

Gérer une unité de travail;

Diriger et coordonner plusieurs groupes de travail consultatifs multidisciplinaires.

[traduction]

26 Les plaignants ont également présenté un document daté de juillet 2005, qui renferme des questions et des réponses au sujet de la conversion et de la restructuration du groupe FS. Il ressort clairement de ce document que les postes FS-04 sont des postes d'experts ou de conseillers principaux; en d'autres termes, des postes de spécialistes. Toutefois, il est également indiqué dans le document que la plupart des titulaires de postes FS-04 ont un certain nombre d'employés sous leur responsabilité.

27 L'intimé communique avec les employés du MAECI au moyen d'avis administratifs envoyés par voie électronique. Plusieurs de ces avis ont été présentés au Tribunal avec le consentement des parties. Dans l'un d'entre eux, daté du 18 décembre 2006, il est question d'un choix de carrière entre la spécialisation FS et le rôle de gestion de la haute direction (EX). Les plaignants soutiennent essentiellement que les deux rôles s'excluent mutuellement. Toutefois, les éléments de preuve démontrent que les titulaires de poste FS-04 sont des spécialistes, et que même si certains n'ont pas de responsabilités en matière de gestion, la plupart en ont.

28 D'après M. Moore, les connaissances sont essentielles à l'exécution des tâches du poste FS‑04, et M. Lambert a confirmé dans son témoignage que tel est le cas, même si les connaissances ne figurent pas parmi les qualifications essentielles établies pour le processus en question.

29 Les postes FS-04 sont de nouveaux postes, et ce processus de nomination visait à doter des postes salariés. Les candidats participant au processus devaient posséder d'importantes qualifications relatives à l'expérience. L'expérience que ces candidats étaient tenus de posséder devait les aider grandement à acquérir les connaissances liées aux fonctions du poste générique FS-04. En outre, il n'existe aucune exigence selon laquelle les qualifications relatives aux connaissances doivent être évaluées au cours d'un processus de nomination. En fait, en vertu de l'article 30(1) de la LEFP, les personnes nommées doivent posséder les qualifications qui sont, selon l'administrateur général, essentielles pour le travail à accomplir. Les éléments de preuve présentés par M. Lambert et Mme Edwards, ainsi que les éléments de preuve documentaire, en particulier la description de travail générique du poste FS-04 et le Manuel technique sur les tests d'habiletés du Service extérieur, démontrent que l'intimé a respecté ses obligations en vertu de l'article 30(1).

30 Les plaignants soutiennent que les qualifications essentielles ne respectent pas les normes de qualification, mais ils appuient leur argumentation sur une norme établie par l'intimé et sur la norme de classification.

31 Selon l'article 31 de la LEFP, c'est l'employeur, et non l'intimé, qui établit les normes de classification. En vertu de l'article 2 de la LEFP, dans le cas du MAECI, c'est le Conseil du Trésor qui est l'employeur. Le Tribunal fait remarquer que le Conseil du Trésor a établi deux séries de normes, qui ont chacune un but distinct. Ces deux séries de normes sont publiées sur le site Web du Conseil du Trésor et sont accompagnées d'une liste de questions et de réponses à cet égard. Selon le Conseil du Trésor, « les normes de qualification définissent les exigences minimales nécessaires (habituellement en matière d'études ou d'attestations professionnelles) pour accomplir efficacement le travail. Les administrateurs généraux et les gestionnaires doivent respecter ces normes lorsqu'ils nomment ou mutent un employé dans un poste au sein de l'administration publique centrale. » Par ailleurs, les « normes de classification décrivent la valeur relative des caractéristiques du travail au sein d'un groupe professionnel et déterminent les niveaux des postes dans la hiérarchie du groupe en question. »

32 Le Tribunal a déjà abordé la question des deux types de normes établies par le Conseil du Trésor. Dans la décision Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités, 2007 TDFP 0044,le Tribunal a établi que conformément à la LEFP, il peut examiner une plainte selon laquelle un administrateur général a établi des qualifications essentielles qui ne respectent pas ou ne dépassent pas les normes de qualification applicables. Dans la décision Kilbray et Wersch c. le procureur général du Canada et la Commission de la fonction publique du Canada, 2009 CF 390, la Cour fédérale a confirmé l'approche adoptée par le Tribunal dans la décision Rinn.

33 En l'espèce, aucune des parties n'a fourni la norme de qualification du Conseil du Trésor pour le groupe FS à titre d'élément de preuve. Dans leur témoignage, MM. Brookfield et Moore ont tous deux reconnu qu'ils ne connaissent pas les normes de qualification. Le Tribunal estime que l'intimé aurait dû fournir la norme de qualification applicable. Néanmoins, le Tribunal fait remarquer que la norme de qualification du groupe FS, qui est un document public, établit uniquement une exigence minimale en matière d'études pour les postes supérieurs au niveau FS-01. Cette exigence a été respectée. La norme applicable ne fait pas état de l'obligation d'évaluer les connaissances pour les postes FS-04.

34 Le Tribunal est convaincu que l'intimé a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée aux termes de l'article 30(2) de la LEFP en établissant les qualifications essentielles pour le processus de nomination en question, y compris en ce qui concerne l'exigence prévue à l'article 31(2).

35 M. Brookfield soutient également que l'intimé aurait dû concevoir le processus de nomination de façon à ce que les spécialistes juridiques soient admissibles. Toutefois, même si les secteurs d'où les candidats potentiels sont susceptibles de provenir sont pris en compte au moment d'établir la zone de sélection, en vertu de la LEFP, un processus de nomination annoncé n'a pas pour but d'assurer l'admissibilité d'un groupe ou d'une personne en particulier au sein de la zone de sélection. Ce processus était ouvert aux candidats possédant une spécialisation en droit international ainsi qu'aux candidats issus de 18 autres domaines de spécialisation. Aucun candidat possédant telle ou telle spécialisation n'avait reçu – ou n'aurait dû recevoir – de garantie de succès dans ce processus de nomination. Le but d'un processus de nomination annoncé est de trouver des personnes qualifiées pour accomplir les tâches liées au(x) poste(s) à doter.

Question II :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans la façon d'évaluer l'expérience de M. Brookfield?

36 M. Brookfield soutient que l'intimé a abusé de son pouvoir de plusieurs façons lorsqu'il a évalué son expérience. Comme il l'explique ci-après, le Tribunal estime que le plaignant n'a pas apporté la preuve d'un abus de pouvoir en ce qui concerne les instructions relatives aux dossiers de candidature ou la compétence du comité de présélection. De la même façon, le Tribunal n'est pas convaincu que l'intimé a abusé de son pouvoir en réexaminant les dossiers de candidature des postulants qui avaient présenté une plainte et l'avaient par la suite retirée.

37 Le Tribunal juge que c'était un abus de pouvoir de la part de l'intimé que de ne pas évaluer tous les documents contenus dans le dossier de candidature de M. Brookfield.

38 Les éléments de preuve montrent qu'avant de publier l'annonce de possibilité d'emploi initiale et au moment de sa publication, l'intimé a indiqué aux candidats potentiels qu'ils devaient clairement démontrer qu'ils satisfaisaient aux critères de présélection. Initialement, la date limite de présentation des dossiers de candidature avait été fixée au 18 décembre 2006. Le 14 décembre 2006, l'intimé a publié une autre annonce de possibilité d'emploi, dans laquelle il a modifié la date de clôture pour la fixer au 22 décembre 2006. Le 18 décembre 2006, l'intimé a publié un avis administratif informant pour la première fois les candidats potentiels du fait qu'ils devaient fournir des exemples démontrant clairement qu'ils possédaient les qualifications demandées.

39 M. Brookfield avait posé sa candidature le 6 décembre 2006; il soutient que l'intimé aurait dû lui dire qu'il pouvait – ou même qu'il devrait – encore une fois poser sa candidature. Le Tribunal estime que l'intimé n'avait aucune obligation de la sorte.

40 Le Tribunal reconnaît que selon l'ancienne structure du groupe FS, le processus relatif aux promotions était très différent, et beaucoup d'employés du groupe FS n'avaient jamais participé à ce type de processus de nomination. Néanmoins, les candidats ont la responsabilité de se renseigner au sujet des exigences des processus de nomination, et quatre jours avant la date de clôture finale, l'intimé a fourni des renseignements sur les détails requis. Le Tribunal fait remarquer que M. Brookfield n'a pas fourni d'éléments de preuve indiquant que des circonstances l'ont empêché de fournir des documents à l'appui de son dossier de candidature. En outre, étant donné qu'au terme de son évaluation il a été conclu qu'il possédait deux qualifications relatives à l'expérience, M. Brookfield a dû fournir suffisamment de détails au sujet de ces qualifications.

41 Le Tribunal a établi que les personnes qui évaluent les candidats doivent connaître les tâches liées au poste à doter (voir notamment la décision Sampert c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 0009). Les membres du comité d'évaluation ne sont pas tenus de connaître le travail effectué par les candidats. Il incombe à ces derniers de présenter leur expérience de travail de façon à ce que les évaluateurs comprennent en quoi celle-ci est liée aux qualifications à évaluer. En l'espèce, il n'a pas été démontré en preuve que le comité n'avait pas la compétence nécessaire pour évaluer les dossiers de candidature.

42 Plusieurs plaintes présentées par des candidats qui, comme M. Brookfield, ont vu leur candidature éliminée du processus à l'étape de la présélection ont par la suite été retirées. M. Brookfield affirme que l'intimé s'est fondé sur les nouveaux renseignements que ces candidats ont fournis dans leurs allégations pour réévaluer leur candidature. Toutefois, il n'y a aucune preuve que l'intimé a accepté les nouveaux renseignements présentés par ces candidats. Dans leurs allégations, ceux-ci ont fait référence aux renseignements qu'ils avaient présentés dans leur dossier de candidature initial.

43 En ce qui concerne l'évaluation de la candidature de M. Brookfield, les éléments de preuve établissent clairement que ce dernier a joint à son dossier de candidature au processus un document distinct faisant état de son expérience en matière de litiges, et que celui-ci n'a pas été pris en compte au moment de l'évaluation de sa candidature. Mme Edwards a déclaré que lorsqu'elle avait évalué le dossier de candidature de M. Brookfield, elle ne disposait pas du document qu'il avait fourni par rapport à l'expérience en matière de litiges.

44 Lorsque M. Brookfield a tenté de questionner Mme Edwards au sujet du contenu du document, l'intimé s'est fortement opposé à la tenue d'une nouvelle évaluation devant le Tribunal ou par celui-ci. Le Tribunal a déclaré qu'il n'évaluerait pas de nouveau M. Brookfield, mais qu'il examinerait la façon dont l'évaluation avait été menée.

45 Dans la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, le Tribunal a établi que le fait pour un délégué de prendre des décisions sur la base de documents insuffisants constitue un abus de pouvoir. En l'espèce, l'intimé a évalué les qualifications essentielles relatives à l'expérience sur la base des dossiers de candidature reçus. Les éléments de preuve démontrent que l'intimé n'a pas tenu compte du contenu intégral du dossier de candidature de M. Brookfield.

46 Le Tribunal conclut que l'intimé a abusé de son pouvoir dans la façon d'évaluer l'expérience de M. Brookfield sans tenir compte de tous les renseignements qu'il avait fournis.

Question III :  L'examen écrit était-il un outil d'évaluation fiable?

47 Avant l'audience, le Tribunal a accueilli la demande de l'intimé de protéger le contenu de l'examen écrit et du manuel technique connexe. Dans leur réponse à cette demande, les plaignants ont convenu que les documents d'examen devaient être considérés confidentiels, mais ont fait valoir qu'ils devaient en prendre connaissance pour préparer le contre-interrogatoire des témoins de l'intimé. Le Tribunal a ordonné que M. Moore puisse examiner les documents en question conformément aux conditions établies par la Cour fédérale dans la décision Canada (procureur général) c. Gill, 2001 A.C.F. 1171 (QL), et la décision Aucoin c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada, 2006 TDFP 0012, que le Tribunal a rendue par la suite. À la demande de l'intimé, le Tribunal a également accepté la mise sous scellés du manuel technique et de l'exemplaire du livret d'examen déposés en preuve. Compte tenu de la nature de la plainte de M. Brookfield, le Tribunal ne lui a pas permis de consulter les documents d'examen, et M. Brookfield n'était pas présent à l'audience lors du témoignage sur le contenu de l'examen et le manuel technique.

48 M. Moore soutient que l'intimé a abusé de son pouvoir en évaluant la plupart des compétences en gestion et en omettant d'évaluer les connaissances. Le Tribunal a déjà abordé la question des qualifications essentielles établies pour ce processus de nomination et a conclu qu'il n'y a eu aucun abus de pouvoir. Les éléments de preuve démontrent également que dès juillet 2005, l'intimé avait informé ses employés que les compétences fondamentales du groupe FS feraient l'objet d'un examen au cours du processus de nomination pour le poste FS-04. Le document de questions et de réponses daté de juillet 2005 indique que les connaissances seraient également évaluées; toutefois, les renseignements que l'intimé a par la suite fournis aux employés portent uniquement sur les compétences. Plus important encore, l'annonce de possibilité d'emploi et l'ECM indiquent clairement que huit compétentes feraient l'objet d'une évaluation au cours du processus.

49 L'ECM renseigne les candidats sur les qualifications pour le poste. Il précise les critères en fonction desquels les candidats seront évalués. Cet énoncé est fourni par écrit, notamment afin d'informer clairement tous les candidats potentiels des exigences du poste et de ce qu'ils auront à démontrer pour être nommés. En l'espèce, l'ECM a été fourni au moment où le processus a été annoncé; il constitue donc la meilleure preuve des qualifications établies pour ce processus de nomination. Il n'est nullement indiqué sur l'ECM que les connaissances seraient évaluées. Au contraire, il est clairement mentionné que les candidats seraient tenus de démontrer qu'ils possèdent huit compétences.

50 Compte tenu des éléments de preuve, il est clair que les plaignants se sont préparés pour cet examen à partir des éléments qu'ils jugeaient importants pour l'exécution des tâches du poste FS-04. Toutefois, les éléments de preuve ne permettent pas de conclure que l'intimé est responsable de l'approche qu'ils ont adoptée.

51 De la même façon, les éléments de preuve n'appuient pas l'argumentation de M. Moore selon laquelle les instructions d'examen étaient trompeuses. Le livret d'examen de M. Moore, qui a été déposé en preuve, comprend une description de l'examen ainsi que les instructions d'examen. La description de l'examen précise que les compétences seraient évaluées et énumère les huit compétences en question. Elle mentionne également que les connaissances ne seraient pas évaluées. La section des instructions établit un lien suffisant avec les compétences. En outre, la première page du livret d'examen indique aux candidats de porter attention au contenu de l'examen. Même si M. Moore a raison lorsqu'il déclare que les compétences ne sont pas mentionnées dans la section des instructions du livret, il est évident qu'elles seraient évaluées dans l'examen.

52 Le Tribunal conclut que l'intimé a fourni suffisamment de renseignements cohérents aux candidats au sujet de l'objet de l'examen écrit.

53 M. Moore affirme que l'intimé aurait dû fournir le barème de corrections, et la CFP mentionne que le fait d'indiquer la note de passage pour chaque question d'examen permet aux candidats de gérer leur temps et assure la transparence.

54 L'examen écrit est exhaustif. Les candidats devaient aborder des questions et des enjeux particuliers dans le contexte de l'exécution d'une tâche donnée. Ils devaient traiter tous les éléments mentionnés dans les instructions. En l'espèce, les notes n'étaient pas attribuées par question. Même si l'intimé aurait pu indiquer aux candidats la note de passage et la note attribuée à chaque compétence, il n'avait pas l'obligation de le faire.

55 En outre, M. Moore affirme que l'intimé aurait dû informer les candidats qu'ils devaient posséder chacune des qualifications. Le Tribunal estime que les candidats ont été correctement avisés. L'ECM et l'examen en soi énumèrent les qualifications essentielles, c'est-à-dire les huit compétences. De plus, l'article 30(2) de la LEFP établit l'exigence selon laquelle les candidats doivent posséder les qualifications essentielles pour que leur candidature soit prise en considération pour une nomination. Même si les plaignants n'avaient peut-être jamais participé à un processus de nomination, il n'était pas raisonnable pour eux de présumer qu'ils devaient uniquement posséder certaines qualifications essentielles.

56 Selon M. Moore, d'autres outils d'évaluation auraient pu être plus efficaces. Il affirme que les candidats devaient fournir une description détaillée de leur expérience de travail, mais que l'intimé ne s'en est pas servi au-delà de l'étape de présélection du processus.

57 Le Tribunal a conclu dans plusieurs décisions que l'article 36 de la LEFP confère aux détenteurs de pouvoirs de dotation un vaste pouvoir discrétionnaire par rapport au choix et à l'utilisation des méthodes d'évaluation visant à déterminer si les candidats possèdent les qualifications établies (voir notamment la décision Tibbs). M. Moore n'a présenté aucun élément de preuve démontrant que la décision de l'intimé d'utiliser l'examen écrit constitue un abus de pouvoir. Au contraire, les éléments de preuve présentés par l'intimé montrent que l'examen constituait un bon outil pour l'évaluation des qualifications établies.

58 M. Moore soutient que l'examen écrit a été gravement compromis parce qu'il a été administré au cours d'une longue période. Toutefois, aucun des éléments de preuve dont le Tribunal est saisi n'appuie cette allégation.

59 S'il est vrai que l'examen a été administré à divers endroits pendant plusieurs mois, il n'y a aucune preuve que l'intimé ne l'a pas protégé. Au contraire, selon le témoignage de M. Moore, les candidats ont dû signer un accord de confidentialité les obligeant à ne pas discuter du contenu de l'examen. En outre, il n'a pas été démontré en preuve que l'examen avait été compromis.

Décision


60 Pour les motifs susmentionnés, les plaintes de MM. Moore, McNiven et Wood sont rejetées.

61 Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal juge fondée l'allégation de M. Brookfield selon laquelle l'intimé aurait fait preuve d'abus de pouvoir dans la façon d'évaluer son expérience. Par conséquent, la plainte de M. Brookfield est accueillie.

Ordonnance


62 Le Tribunal ordonne à l'intimé d'évaluer – dans les 60 jours suivant la présente décision – les qualifications relatives à l'expérience de M. Brookfield sur la base du contenu intégral de son dossier de candidature initial.


Merri Beattie
Membre

Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2008-0026, 0032, 0034 et 0074
Intitulé de la cause :
Robert Brookfield et le sous-ministre des Affaires étrangères et du Commerce international
Audience :
Les 27, 28 et 29 octobre 2009
Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
Le 9 septembre 2011

COMPARUTIONS

Pour les plaignants :
Robert Brookfield et Garry Moore
Pour l'intimé :
Amita Chandra
Pour la Commission
de la fonction publique :
Marie-Josée Montreuil
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