Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un employé en cours de stage, a allégué que l’évaluation du rendement et la décision de l’employeur de le renvoyer étaient injustes et non fondées - l’employeur a soutenu que les arbitres de grief de la Commission n’ont pas compétence pour trancher des griefs concernant les renvois en cours de stage en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la <<LEFP>>) - les arbitres de griefs ont compétence s'il est démontré que l’employeur a agi de mauvaise foi en fondant sa décision sur des motifs non liés à l’emploi, comme la discrimination - l’objectif de la période de stage (soit d’évaluer si l’employé possède les qualités requises pour occuper un poste permanent) doit être à la base de la décision de l’employeur pour que cette décision soit prise de bonne foi - il incombe à l’employé en cours de stage de prouver que la décision n’a pas été prise de bonne foi et qu’elle invoquait de façon factice la LEFP, ou qu’elle était un subterfuge ou un camouflage - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas réussi à démontrer un manque de bonne foi de la part de son employeur - il n’a pas réussi à prouver que la décision de l’employeur était influencée par les commérages et les rumeurs circulant entre ses collègues qui le blâment pour la suspension de son coéquipier - ses évaluations du rendement n’appuyaient pas cette proposition - l’arbitre de grief a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre le grief. Dossier clos.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-10-01
  • Dossier:  566-02-3950
  • Référence:  2012 CRTFP 103

Devant un arbitre de grief


ENTRE

BRIAN WARMAN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Warman c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Beth Bilson, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui‑même

Pour l'employeur:
Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie‑Britannique),
les 19 et 21 juin 2012.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Brian Warman, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a été embauché pas le Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») à titre d’agent correctionnel 1 (CX-01) le 8 mai 2009. Il travaillait à l’Établissement Mission, un pénitencier fédéral à sécurité moyenne pour hommes. Le fonctionnaire a été renvoyé en cours de stage le 14 avril 2010. Il a présenté un grief dans le but de contester son licenciement.

2 L’avocat de l’employeur a présenté des observations concernant une objection à la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Cette objection a été soulevée pour la première fois dans une lettre de l’employeur adressée à la Commission et datée du 26 octobre 2011. Il a indiqué que l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « LRTFP »), édictée aux termes de la Loi sur la modernisation de la fonction publique (la « LMFP »), L.C. 2003, ch. 22, art. 2, qui porte sur le renvoi à l’arbitrage des griefs individuels dans certaines circonstances, peut faire l’objet d’une exception à l’article 211, qui se lit comme suit :

211. L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […]

L’article 61 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la nouvelle « LEFP »), édictée aux termes de la LMFP, aux articles 12 et 13, prévoit que les employés nommés à un poste par nomination externe feront l’objet d’une période de stage. L’article 62 de la LEFP indique qu’au cours de la période de stage, l’employeur peut licencier un fonctionnaire en lui remettant un avis dans lequel une date fixe de licenciement est précisée ou en lui versant une indemnité tenant lieu de préavis.

3 L’avocat de l’employeur a déclaré que ces dispositions indiquent clairement que la Commission n’a pas compétence pour trancher un grief concernant un employé renvoyé en cours de stage. Il a reconnu que la jurisprudence indique que la Commission a compétence seulement si le licenciement ne concerne pas des motifs liés à l’emploi, et que les raisons fournies par l’employeur constituent un subterfuge, un camouflage ou ne sont pas appropriées au licenciement, par exemple en cas de discrimination. Il a affirmé qu’il incombe à l’employeur de démontrer que les circonstances du licenciement correspondent aux critères énoncés dans la LEFP – soit que le fonctionnaire était un employé au moment de son licenciement, que le licenciement a eu lieu en cours de stage, et que le fonctionnaire a reçu un préavis approprié ou une indemnité tenant lieu de préavis. Bien que l’employeur ne soit pas tenu d’établir la cause du licenciement, il reconnaît qu’en pratique, l’employeur présente des motifs pour justifier le renvoi en cours de stage. Le fardeau de la preuve devient alors celui du fonctionnaire, qui doit démontrer que les motifs présentés par l’employeur sont tout simplement un camouflage visant à déguiser un motif illicite.

4 Comme l’objection à la compétence dépend de la capacité du fonctionnaire à faire la preuve que les motifs de son licenciement sont un subterfuge ou un camouflage, je reporte ma décision quant à l’objection à la fin de l’audience.

5 Le fonctionnaire a soulevé une question concernant la divulgation de certains documents en la possession de l’employeur qui portent sur une demande qu’il a présentée au Bureau de l’accès à l’information et protection des renseignements personnels. L’employeur a initialement affirmé qu’il avait répondu à la demande et qu’il avait fourni la plupart des documents demandés. Il a toutefois mentionné avoir retenu certains documents qu’il était dispensé de fournir. Après le début de la présentation de la preuve, l’employeur a indiqué qu’il avait été avisé que, bien que la documentation ait été préparée, il semblait qu’elle n’ait pas été transmise au fonctionnaire. Des dispositions ont été prises pour transmettre les documents au fonctionnaire par voie électronique; l’audience a été ajournée au lendemain afin de permettre au fonctionnaire de les examiner. Je suis convaincu que le fonctionnaire a eu suffisamment de temps pour examiner les documents et de les intégrer à ses arguments lors de l’audience. Le fonctionnaire n’a soulevé aucune autre objection.

Résumé de l’argumentation

6 L’employeur a cité deux témoins à comparaître, soit Corinne Justason, qui était la sous‑directrice de l’Établissement Mission au moment où le fonctionnaire occupait son poste, et Crystal Glaister qui, à titre de gestionnaire correctionnelle intérimaire, était la superviseure directe du fonctionnaire pendant la dernière partie de sa période d’emploi.

7  Le fonctionnaire a cité un témoin à comparaître, Anthony Irving, un agent correctionnel 2 (CX-02) qui était un des collègues du fonctionnaire. Le fonctionnaire a lui-même décidé de ne pas présenter d’éléments de preuve. Il a confirmé de nouveau ce choix à la suite de l’ajournement de l’audience pour trente minutes afin de lui permettre d’examiner les choix qui s’offraient à lui.

8 Mme Justason a identifié la lettre d’offre datée du 5 mai 2009 (pièce E-1), dans laquelle il est précisé que le fonctionnaire ferait l’objet d’une période de stage de douze mois à partir de la date de sa nomination, ainsi que la lettre datée du 14 avril 2010 (pièce E-2) dans laquelle on mentionne le renvoi du fonctionnaire en cours de stage et le fait qu’il recevrait un mois de salaire en guise d’indemnité tenant lieu de préavis. Les deux lettres portaient la signature de la directrice de l’Établissement Mission.

9 La lettre indiquant le renvoi du fonctionnaire en cours de stage renvoyait à trois rapports d’évaluation du rendement (RÉR) faits par deux gestionnaires correctionnels différents pendant la période d’emploi du fonctionnaire. La lettre stipulait :

[Traduction]

En dépit du fait que vous avez reçu de la rétroaction, tant formelle qu’informelle, aucune amélioration importante n’a été notée. On vous a constamment encouragé à examiner la politique et les procédures qui s’appliquent à votre poste et à demander conseil aux gestionnaires correctionnels et aux cadres supérieurs. Rien n’indique que vous ayez tenté de tirer les leçons de vos lacunes en matière de rendement ou d’assumer la responsabilité de vos erreurs.

Pour ces raisons, j’ai jugé que vous ne possédiez pas les qualités personnelles nécessaires pour être un agent correctionnel.

10  Mme Justason a affirmé avoir remis cette lettre en personne au fonctionnaire le 15 avril 2010, en présence d’un représentant de l’agent négociateur, Graham Walker. Selon ses souvenirs, le fonctionnaire n’a posé aucune question à ce moment‑là.

11  Mme Justason a aussi fait mention des circonstances entourant une lettre de réprimande qu’elle a remise au fonctionnaire en septembre 2009. Une enquête a été menée à la suite d’un incident qui s’est produit le 13 juillet 2009. Des accusations d’inconduite ont été portées contre le collègue de l’époque du fonctionnaire, qui s’est vu imposer une suspension disciplinaire. Même si le fonctionnaire lui‑même n’était pas impliqué dans cette inconduite, l’enquêteur a affirmé que le fonctionnaire n’avait pas été un témoin très coopératif et qu’il avait fourni des versions divergentes des événements. Mme Justason a déclaré que, dans le cadre d’une audience disciplinaire à laquelle étaient présents le fonctionnaire et un représentant de l’agent négociateur, le fonctionnaire a affirmé qu’il avait hésité à être franc, parce que les circonstances faisaient en sorte qu’il se sentait sous pression. Il a aussi reconnu qu’il avait été [traduction] « délibérément vague » à propos de ce qui s’était réellement passé.

12  Mme Justason a affirmé qu’après cette audience disciplinaire, le fonctionnaire était naturellement inquiet du résultat, puisqu’elle avait clairement indiqué au cours de l’audience qu’un renvoi immédiat en cours de stage était une possibilité. Elle a dit avoir consulté les ressources humaines et les bureaux des relations de travail pour savoir ce que devrait être la décision. Elle a finalement décidé de ne pas procéder au renvoi en cours de stage, et a émis une lettre de réprimande. Mme Justason a rencontré le fonctionnaire pour discuter de la lettre. Pendant cette réunion, elle a été directe avec lui lorsqu’elle a soulevé ses préoccupations relativement à son manque de franchise pendant l’enquête sur l’incident du mois de juillet. Elle lui a dit qu’elle le surveillerait attentivement pour vérifier s’il développait des valeurs éthiques et d’autres capacités, et que son renvoi en cours de stage était toujours possible. Elle a indiqué que le fonctionnaire était reconnaissant de ne pas avoir été renvoyé en cours de stage à ce moment‑là, et qu’il n’avait pas contesté sa lettre de réprimande.

13  Lors du contre-interrogatoire, le fonctionnaire a demandé à Mme Justason si elle se rappelait qu’il avait déclaré, lors de la rencontre avec l’enquêteur, qu’il revenait tout juste de vacances et que ses souvenirs étaient flous. Mme Justason a affirmé qu’elle se rappelait que le fonctionnaire avait été en vacances aux alentours de l’enquête, mais pas qu’il avait mentionné que cela avait troublé sa mémoire des événements. Lorsque le fonctionnaire lui a demandé si elle avait [traduction] « entendu des choses [à son sujet] » avant la tenue de l’audience disciplinaire, elle a répondu qu’elle ne se souvenait de rien, sauf du rapport de l’enquêteur et du contact qu’elle avait eu avec lui lors de l’audience disciplinaire elle‑même. Elle a ajouté que, comme l’indiquait la lettre de réprimande, le fonctionnaire avait reconnu avoir été [traduction] « délibérément vague » pendant l’enquête. Elle a pris en considération la pression qui pesait sur le fonctionnaire et l’intimidation qu’il pourrait avoir ressentie comme facteur d’atténuation, mais elle croyait tout de même que cela n’excusait en rien ce qu’elle considérait comme un manquement au Code de discipline (pièce E-5) des employés correctionnels. Elle a indiqué qu’elle avait pris la décision de ne pas renvoyer le fonctionnaire en cours de stage au début de sa période d’emploi afin de lui donner l’occasion de démontrer son intégrité, sa civilité ainsi que d’autres qualités qui feraient de lui un employé approprié pour un emploi permanent.

14  Mme Justason a affirmé qu’au début du mois d’avril 2009, elle a reçu le RÉR fait par Mme Glaister dans le cadre de [traduction] « l’examen annuel » du rendement du fonctionnaire (pièce E-7). Elle a déclaré qu’en tant que sous‑directrice, elle n’était pas directement responsable de la supervision des agents correctionnels, lesquels relèvent des gestionnaires correctionnels. Bon nombre de gestionnaires correctionnels relevaient d’elle, et elle comptait sur eux pour lui remettre des évaluations périodiques des agents correctionnels sous leur supervision. Elle était informée des questions concernant le personnel et d’autres problèmes auxquels devaient faire face les gestionnaires correctionnels, et elle participait à l’élaboration de recommandations à la directrice, au besoin.

15  Mme Justason a examiné attentivement le RÉR annuel du fonctionnaire, de même que la réfutation du fonctionnaire qui avait manifesté son désaccord relativement à l’évaluation de son rendement contenue dans le document. Elle était au courant des évaluations qui avaient été effectuées six mois et neuf mois après l’entrée en service du fonctionnaire, et des indications contenues dans ces évaluations voulant qu’il n’ait pas atteint les objectifs de rendement dans plusieurs catégories. Elle a discuté du RÉR avec Mme Glaister et a par la suite annexé des commentaires manuscrits au RÉR, concordant avec la conclusion de Mme Glaister selon laquelle le fonctionnaire devrait être renvoyé en cours de stage.

16  Mme Glaister a affirmé que lorsque le fonctionnaire a été renvoyé en cours de stage en avril 2010, elle occupait le poste de gestionnaire correctionnelle intérimaire et était la superviseure directe du fonctionnaire depuis septembre 2009. Elle était chargée de faire le RÉR final. C’est aussi elle qui avait effectué l’évaluation du rendement du fonctionnaire neuf mois après son entrée en service; l’évaluation de six mois avait été effectuée par son ancien superviseur, Aaron Fitzgerald.

17  Mme Glaister a indiqué qu’en tant que gestionnaire correctionnelle, elle était chargée de trois des cinq unités de l’Établissement Mission. Elle supervisait environ 24 agents correctionnels classifiés CX‑01 et CX‑02. En renvoyant à la description de travail des CX-01 (pièce R-8), elle a expliqué que la majorité des responsabilités des agents de ce niveau était liée à la [traduction] « sécurité passive », soit surveiller et observer les détenus, fouiller les cellules pour y trouver des produits de contrebande ou non autorisés, participer aux patrouilles mobiles et dénombrer les détenus. Un agent de niveau CX-02 participe davantage à la [traduction] « sécurité active », laquelle comprend des interactions avec les détenus, ainsi qu’à l’élaboration de programmes et l’évaluation de nombre de cas relativement à un certain nombre de détenus.

18  Mme Glaister a déclaré qu’elle avait effectué le premier RÉR du fonctionnaire neuf mois après le début du stage (le « RÉR de neuf mois ») (pièce E-9). Le fonctionnaire et elle ont signé ce rapport le 2 octobre 2009. Elle a recueilli de l’information auprès des agents correctionnels et des gestionnaires correctionnels, et s’est aussi basée sur ses propres observations du fonctionnaire. Elle a examiné le RÉR effectué six mois après le début du stage (le « RÉR de six mois ») fait par son prédécesseur, M. Fitzgerald (pièce E-10), et a résumé ce document dans le corps du RÉR de neuf mois.

19  Selon Mme Glaister, le RÉR de neuf mois contenait de nombreux commentaires selon lesquels le fonctionnaire apprenait et s’améliorait. Par ailleurs, des préoccupations subsistaient dans certains domaines, et l’évaluation a indiqué que le fonctionnaire n’avait pas atteint deux des cinq objectifs : le désir d’apprendre et de changer, et l’intégrité. Dans le RÉR de six mois, M. Fitzgerald avait conclu que le fonctionnaire n’avait pas atteint trois objectifs : le respect, le désir d’apprendre et de changer et les efforts axés sur les résultats. L’une des préoccupations que Mme Glaister a notées dans son évaluation concernait le fait que le fonctionnaire avait tendance à être très affirmatif lors de ses interactions avec les détenus; même s’il est souhaitable qu’un certain niveau de vigueur soit exercé, elle s’inquiétait du fait que le fonctionnaire n’était pas toujours respectueux. Elle s’inquiétait aussi de la réticence du fonctionnaire à assumer la responsabilité de ses propres erreurs et d’admettre qu’il avait encore des choses à apprendre relativement à son travail. Dans la section [traduction] « Mesures à prendre » du RÉR, Mme Glaister a indiqué :

[Traduction]

L’agent Warman doit démontrer qu’il est en mesure d’admettre la responsabilité de ses actes et de ses erreurs. L’agent Warman doit aussi démontrer qu’il accepte de se laisser orienter par les gestionnaires du PPCC [poste principal des communications et de contrôle] et les cadres supérieurs, et d’apprendre d’eux.

20  En ce qui a trait à sa discussion avec le fonctionnaire concernant l’évaluation de neuf mois, Mme Glaister a affirmé qu’elle ne se rappelait pas avoir dit : [traduction] « Vous ferez un très bon CX‑02 ». Elle a indiqué qu’elle souhaitait encourager le fonctionnaire à améliorer son rendement. Au cours de la conversation, elle s’est rappelé avoir reconnu l’intérêt du fonctionnaire envers les responsabilités des CX-02 et lui avoir mentionné qu’il devrait d’abord maîtriser les tâches des CX-01.

21  Le fonctionnaire a été invité à discuter de son RÉR avec Mme Glaister; ils ont parcouru le document ensemble. Mme Glaister a indiqué qu’elle n’était pas certaine si elle avait apporté des changements au document à la demande du fonctionnaire; elle avait modifié plusieurs RÉR qu’elle faisait au même moment, mais elle n’était pas certaine si tel était le cas de celui du fonctionnaire. Quoi qu’il en soit, il a signé le RÉR et a coché la case indiquant qu’il approuvait l’évaluation. Mme Glaister a déclaré qu’elle lui avait précisément indiqué qu’il avait le choix d’approuver ou non l’évaluation.

22  Dans le cadre de sa préparation à l’évaluation de 12 mois, Mme Glaister a encore une fois recueilli de l’information auprès de nombreuses sources. Elle a discuté avec un certain nombre d’agents correctionnels et de gestionnaires correctionnels, et a pris note de ces conversations (pièce E-11). Elle a tenté de rassembler de l’information sur l’expérience du fonctionnaire lors du programme de formation effectué avant son entrée en service, mais elle a affirmé n’avoir reçu aucune réponse de la part de son instructeur. Elle a affirmé avoir essayé d’obtenir différents points de vue, et ses notes indiquaient qu’elle semblait avoir réussi à le faire. Effectivement, certains des employés auxquels elle a parlé avaient travaillé plus étroitement que d’autres avec le fonctionnaire, et les notes de Mme Glaister faisaient état d’un vaste éventail de points de vue concernant son rendement. Elle a utilisé l’information recueillie pour préparer le RÉR, qui a permis de conclure que le fonctionnaire avait atteint un seul de ses cinq objectifs de rendement et qui incluait une recommandation voulant que le fonctionnaire soit renvoyé. Elle a examiné le document avec le fonctionnaire, qui a signé le document, mais qui a manifesté son désaccord avec son contenu; il a présenté une réfutation de l’évaluation, que Mme Glaister a prise en considération dans ses discussions avec Mme Justason au sujet de la recommandation finale qu’elle devait faire à la directrice, soit de renvoyer ou non le fonctionnaire en cours de stage.

23  Dans le RÉR, Mme Glaister a noté des commentaires positifs et négatifs sur le rendement du fonctionnaire ainsi que des commentaires d’autres employés indiquant que le fonctionnaire continuait de développer des compétences. Toutefois, l’évaluation comprenait également des préoccupations selon lesquelles le fonctionnaire était réticent aux directives, par exemple, qu’il défiait les ordres qu’on lui donnait, qu’il était perçu comme arrogant par certains employés et qu’il tardait à saisir les occasions de régler les problèmes de manière informelle avec les détenus. De plus, toujours selon l’évaluation, le fonctionnaire démontrait de l’intérêt envers les tâches des CX-02, mais ne faisait pas suffisamment d’efforts pour maîtriser les tâches des CX-01. Les évaluations de six et neuf mois ont été résumées et il a été fait mention de sa participation à l’enquête dans le cadre de laquelle il a été réprimandé en septembre.

24  Des exemples précis de préoccupations liées au rendement ont été fournis. L’un de ces exemples concernait un dénombrement incorrect des détenus, qui a nécessité un nouveau dénombrement. Un autre exemple portait sur le fait que le fonctionnaire n’avait pas réussi à assurer adéquatement la sécurité du secteur des visites et de la correspondance alors qu’il remplaçait un employé à cet endroit. Dans les deux cas, des exemples ont été présentés pour illustrer le défaut du fonctionnaire de demander des conseils et de l’information appropriés au besoin. D’autres exemples portaient sur le fait qu’il avait utilisé de façon répétée un stylo à encre rouge dans le journal de bord après avoir été informé que cela était inapproprié, et qu’il avait amené un détenu dans la chaufferie sans l’autorisation appropriée.

25  Mme Glaister a souligné que les notes qu’elle a prises lors de ses conversations avec d’autres employés incluaient à la fois des commentaires positifs et négatifs au sujet du fonctionnaire. Selon certains employés, il était trop [traduction] « nonchalant » relativement à ses tâches; un employé a indiqué que le fonctionnaire était arrivé avec un sandwich à la main alors qu’on l’avait appelé à l’aide. Un autre employé a raconté que le fonctionnaire avait refusé de répondre à une demande de renseignement, parce qu’il était [traduction] « en pause ». D’autres ont allégué qu’il était réticent à recevoir de conseils ou des directives.

26  Cependant, d’autres employés dont les commentaires ont été notés ont affirmé qu’ils étaient impressionnés par les compétences du fonctionnaire. Ils estimaient qu’il ne défiait pas l’autorité, mais qu’il essayait de comprendre comment les choses se déroulaient afin d’améliorer son rendement.

27 Mme Glaister a reconnu avoir reçu beaucoup de commentaires positifs au sujet du rendement du fonctionnaire. Néanmoins, elle a déduit que, dans l’ensemble, l’information qu’elle avait en main soulevait de sérieuses préoccupations à l’égard de la capacité du fonctionnaire à occuper le poste d’agent correctionnel, et portait à croire que son renvoi devrait être recommandé.

28 Mme Glaiser a été contre-interrogée exhaustivement par le fonctionnaire. Elle a reconnu qu’elle n’était pas au courant de toute l’information concernant les activités du fonctionnaire pendant qu’il exerçait ses fonctions à l’Établissement Mission. Par exemple, elle ne pouvait pas savoir exactement quand il accomplissait ses tâches dans l’unité résidentielle à laquelle il était régulièrement affecté, ni quand il était appelé à effectuer d’autres tâches. Elle a dit que des efforts étaient déployés durant la période de stage pour affecter des CX-01 au plus grand nombre possible de postes associés au niveau CX-01 afin que les employés puissent acquérir les compétences nécessaires. Elle s’est dite d’avis qu’à la fin de leur période de stage, les CX-01 avaient normalement occupé presque tous les postes pertinents, même si elle affirme qu’aucune [traduction] « liste de vérification » n’est utilisée pour consigner ces rotations. Elle ne connaissait pas précisément tous les postes qu’avait occupés le fonctionnaire, et les commentaires du RÉR allaient dans le sens des commentaires qu’elle avait recueillis auprès des employés selon lesquels le fonctionnaire n’avait pas tendance à aller vers les occasions d’effectuer toutes les tâches d’un poste classifié CX-01.

29 En ce qui concerne plusieurs des appréciations consignées au RÉR final, Mme Glaiser s’est fiée aux opinions des autres. Elle rejette le fait que ces opinions devraient être considérées comme des [traduction] « ouï‑dire », puisque dans bon nombre de cas, ils découlent d’observations directes faites par ceux qui lui ont fourni l’information. Elle a indiqué qu’en recueillant les commentaires auprès des autres employés, elle avait tenté de parler avec des employés occupant un large éventail de postes. Il y en avait certainement d’autres à qui elle n’avait pas parlé qui auraient pu exprimer leur opinion, mais elle était convaincue qu’elle avait obtenu un bon échantillon d’opinions. Même si elle n’était pas en mesure d’observer le fonctionnaire en tout temps, elle a pu tirer ses propres conclusions lors de la rédaction du RÉR.

30 Le fonctionnaire a demandé à Mme Glaister si le fait de voir le nom d’un agent correctionnel dans des rapports soumis par d’autres agents concernant des incidents spécifiques pouvait influencer l’opinion d’un gestionnaire correctionnel. Il a présenté plusieurs exemples (pièces G-3, G-4, G-5 et G-6) de rapports d’observations ou de déclarations d’un agent (RODA) où l’on citait le nom des agents en lien avec des incidents précis. Mme Glaister a répondu qu’elle espérait que ce type d’information n’influence pas la partialité d’un gestionnaire correctionnel. En ce qui concerne les rapports et les notes de l’enquêteur relativement à l’incident du 13 juillet 2007 qui a entraîné la réprimande du fonctionnaire, Mme Glaister a affirmé qu’elle ne se rappelait pas avoir eu accès à des documents dans lesquels le fonctionnaire était identifié, à part le rapport d’enquête lui-même.

31 Selon Mme Glaister, elle a suivi le même processus de collecte d’information auprès des autres employés dans le cas des autres recrues qui ont été évaluées selon le même échéancier que le fonctionnaire. Elle a admis qu’elle avait passé plus de temps sur l’évaluation du fonctionnaire en raison des préoccupations qui avaient été soulevées relativement à son rendement. À titre de comparaison, elle a affirmé qu’un seul autre agent en cours de stage n’avait pas atteint un objectif de rendement, à l’évaluation de six mois, mais que son rendement s’était amélioré par la suite.

32 Le témoin du fonctionnaire était M. Irving. Il a déclaré qu’au cours des 16 années à titre de CX-02, il avait travaillé avec plus de 20 collègues. Selon lui, le fonctionnaire est devenu son collègue en août 2009. Il connaissait l’ancien partenaire du fonctionnaire, dont la capacité de former de nouveaux agents était, selon lui, [traduction] « moyenne ». Selon M. Irving, la relation de celui-ci avec les détenus était [traduction] « parfois bonne, parfois mauvaise ».

33 M. Irving a affirmé que lorsqu’on lui a appris qu’il serait jumelé au fonctionnaire, il était quelque peu inquiet, parce qu’il avait entendu dire que le fonctionnaire était arrogant. Il a ensuite déclaré qu’au contraire, il avait trouvé que le fonctionnaire possédait de bonnes compétences et qu’il remettait beaucoup de choses en question par désir sincère d’apprendre. Il estimait que le fonctionnaire avait de bonnes idées qui l’avaient amené à accomplir de nouvelles choses. Par exemple, le fonctionnaire avait proposé une façon d’organiser leurs rondes d’inspection de l’unité qui, selon M. Irving, réglait certains problèmes de sécurité. La pratique qu’ils ont adoptée a ensuite été utilisée par d’autres agents.

34 M. Irving a déclaré que le fonctionnaire souhaitait apprendre comment faire les types de rapports que M. Irving devait rédiger dans le cadre de la gestion de cas des détenus sous sa responsabilité. Il a permis au fonctionnaire de l’aider avec quelques dossiers, et ce dernier a appris à rédiger ces rapports selon une norme acceptable. Il a aussi été témoin d’incidents au cours desquels le fonctionnaire a pris les mesures appropriées pour protéger la sécurité des détenus et du personnel.

35 M. Irving a dit qu’il avait entendu de nombreuses rumeurs à l’égard du fonctionnaire, incluant celle voulant qu’il soit [traduction] « arrogant ». Il était d’accord avec le fonctionnaire pour dire que de telles rumeurs pouvaient constituer une forme de harcèlement.

36 M. Irving a affirmé avoir participé à plusieurs reprises de dénombrement au cours de sa carrière et qu’un dénombrement erroné pouvait être causé par plusieurs facteurs. Il a ajouté qu’on ne lui avait jamais imposé de mesure disciplinaire en raison d’un dénombrement erroné.

37 Lorsqu’il a été abordé par Mme Glaister pour une entrevue concernant l’évaluation du rendement de 12 mois du fonctionnaire, M. Irving a dit qu’il avait demandé qu’une autre personne soit présente à titre de témoin. Il a affirmé que ses propos n’avaient jamais été déformés par Mme Glaister, mais qu’il pensait qu’il serait sage d’assurer que ses déclarations soient correctement consignées. Il a déclaré qu’on lui avait indiqué que certaines de ses déclarations précédentes n’avaient pas été fidèlement rendues. M. Irving a indiqué qu’on ne lui avait pas demandé de fournir des commentaires au sujet d’autres agents que le fonctionnaire.

38 M. Irving a fourni une appréciation morale du fonctionnaire au moment de l’enquête disciplinaire menée à l’été 2009 (pièce G-7). Lors de son contre‑interrogatoire, il a reconnu qu’au moment d’écrire la lettre, il était le partenaire du fonctionnaire depuis moins de deux semaines, mais il a affirmé qu’il croyait que ses déclarations de l’époque étaient justes. Il a aussi envoyé un message par courriel à Mme Justason et à la directrice, Diane Knopf (pièce G-8) quand le fonctionnaire a été renvoyé en cours de stage pour leur demander de revoir leur décision et de donner au fonctionnaire une autre chance de prouver qu’il pouvait réussir.

39 M. Irving a indiqué que le gestionnaire correctionnel affecté à une unité visite généralement cette unité quotidiennement et est appelé au besoin pour régler des problèmes précis dans l’unité. Il a souligné que ces visites étaient habituellement courtes. Il a également mentionné que, selon lui, la présence plus soutenue d’un gestionnaire serait nécessaire dans le but d’avoir une idée exacte de l’interaction entre un agent et les détenus.

40 Lors de son contre‑interrogatoire, M. Irving a admis qu’il était important que les agents se montrent coopératifs lors des enquêtes afin de découvrir la vérité. M. Irving n’était pas présent au moment de l’incident qui a mené à une enquête sur la conduite du collègue du fonctionnaire à l’été 2009, et il n’a pas participé à l’enquête. Il avait conclu que le fonctionnaire avait répondu aux questions de l’enquête de cette manière parce qu’il avait peur. Il était d’avis que le fonctionnaire pouvait tirer des leçons de cette expérience. Après l’enquête, l’expérience personnelle de M. Irving avec le fonctionnaire a été positive. Il a tenté de faire ressortir ce fait lors de son entrevue avec Mme Glaister dans le cadre de l’évaluation de 12 mois. Il a reconnu que ses déclarations positives apparaissaient dans le RÉR. Il a aussi indiqué qu’il n’était pas au courant du contenu des évaluations précédentes, ni du fait que le fonctionnaire n’avait pas atteint un certain nombre d’objectifs. Il n’était pas non plus au courant du contenu du RÉR effectué 12 mois après le début du stage lorsqu’il a écrit un message pour demander un nouvel examen du renvoi en cours de stage du fonctionnaire. Lors de son contre‑interrogatoire, il était d’accord avec le fonctionnaire pour dire que les évaluations du rendement ne constituaient pas [traduction] « le moyen le plus précis » d’évaluer le rendement.

Résumé de l’argumentation

41 Le fonctionnaire a soutenu que son évaluation était injuste et non fondée. Il a affirmé que pour cette raison, on lui avait refusé une vraie occasion de prouver qu’il pouvait réussir à titre d’agent correctionnel. Il avait le sentiment que la majeure partie de l’information à laquelle s’était fiée Mme Glaister pour rédiger son évaluation de 12 mois était entachée par les commérages et les rumeurs entre les employés à propos de l’enquête de l’été 2009. Le fonctionnaire a dit qu’il était blâmé par d’autres employés, parce que l’enquête avait mené à la suspension d’un collègue. D’autres employés s’étaient fait une opinion hostile de lui, même s’ils n’étaient pas bien placés pour évaluer son rendement quotidien relativement à ses tâches.

42 Le fonctionnaire a fait valoir qu’on lui avait infligé une sanction disciplinaire après l’enquête et qu’il ne l’avait pas contestée. Il croyait que la question serait réglée, et qu’elle ne referait pas surface dans l’évaluation définitive de sa période de stage quelques mois plus tard. Il a affirmé qu’il avait expliqué que ses souvenirs flous de l’incident du 13 juillet après ses vacances étaient la cause de ses hésitations lorsqu’il a relaté les événements à l’enquêteur. Il a ajouté qu’il croyait que Mme Justason comprenait la pression à laquelle il était soumis. Il a aussi cité l’exemple de sa participation à la reprise du dénombrement. Il a dit que cet incident n’avait pas fait l’objet d’une enquête approfondie de la part des superviseurs, mais qu’il figurait tout de même dans son RÉR définitif.

43 Le fonctionnaire a déclaré que les commentaires positifs des personnes qui travaillaient avec lui quotidiennement n’étaient pratiquement pas pris en compte, et que l’évaluation était faussée par l’influence des ouï-dire, des rumeurs et des insinuations. Le nuage qui planait au-dessus de lui depuis le moment de l’enquête l’a totalement empêché de démontrer qu’il pouvait être un bon agent.

44 L’avocat de l’employeur m’a rappelé son objection à ma compétence dans cette affaire. Il a déclaré que la raison d’être d’une période de stage était de permettre à l’employeur de déterminer si un employé était apte à occuper le poste auquel il avait été nommé.

45 L’avocat de l’employeur a affirmé que, loin d’inventer des motifs pour renvoyer le fonctionnaire, il lui avait donné de nombreuses occasions de démontrer qu’il pouvait s’améliorer et réussir. Peu après la nomination du fonctionnaire, quand le rapport d’enquête a révélé qu’il avait été très peu coopératif, l’employeur n’a pas utilisé ce motif pour le renvoyer; au contraire, il lui a permis de continuer. Selon l’évaluation de six mois, le fonctionnaire n’arrivait pas à satisfaire à la majorité de ses objectifs de rendement, mais l’employeur ne l’a pas renvoyé à ce moment-là; il a plutôt précisé dans le RÉR les mesures que devait prendre le fonctionnaire pour améliorer son rendement. Au moment de l’évaluation de neuf mois, il a été mentionné dans le RÉR que certains aspects relatifs au rendement du fonctionnaire s’étaient améliorés, mais qu’il ne satisfaisait toujours pas à deux des objectifs de rendement. Une fois de plus, l’employeur lui a permis de conserver son poste et lui a donné d’autres conseils relativement à ce qu’il devait faire pour réussir sa période de stage.

46 Dans l’évaluation définitive, l’employeur a conclu que le fonctionnaire ne satisfaisait qu’à un des objectifs de rendement, ce qui a poussé Mme Glaister et Mme Justason à recommander son renvoi en cours de stage. Mme Glaister s’était donné beaucoup de mal pour recueillir divers commentaires au sujet du rendement du fonctionnaire. À vrai dire, certains commentaires étaient positifs; M. Irving, par exemple, a été très élogieux à l’égard du fonctionnaire, comme il était en droit de le faire, mais l’avocat de l’employeur a noté qu’il n’avait pas eu accès aux évaluations de rendement précédentes ni aux évaluations faites par les autres employés.

47 L’avocat de l’employeur a soutenu que la preuve était insuffisante pour établir que le renvoi en cours de stage n’était pas basé sur des considérations relatives à l’emploi, et que le fonctionnaire ne s’était pas acquitté de la charge de preuve qui lui incombe.

Décision

48 Comme il a été indiqué au début de la présente décision, l’employeur s’est opposé à la compétence de l’arbitre de grief en vertu de la LRTFP pour trancher un grief portant sur un licenciement en cours de stage en vertu de la nouvelle LEFP. La seule circonstance faisant en sorte qu’un arbitre de grief puisse avoir compétence serait que la décision de l’employeur de mettre fin à la nomination pour une période de stage ait été prise de mauvaise foi.

49 Dans Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a fait des commentaires au sujet de la relation entre l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la prédécesseure de la LRTFP actuelle) et la LEFP qui ont fourni des indications à la Commission sur la façon de traiter la question de compétence qui nous concerne. Bien que le libellé de la LEFP semble laisser entièrement à la discrétion de l’employeur le choix de renvoyer ou non un employé en cours de stage sans avoir recours à un processus, la Cour, aux pages 440-441, a conclu qu’il serait anormal de considérer cette discrétion comme absolue :

[Traduction]

[…] un arbitre de grief saisi d’un grief déposé par un employé renvoyé en cours de stage a le droit d’examiner les circonstances de l’affaire pour s’assurer qu’elle est réellement ce qu’elle semble être. Il s’agirait alors d’une application du principe selon lequel la forme ne devrait pas avoir priorité sur le fond. L’utilisation du camouflage dans le but de priver une personne de la protection que lui accorde une loi est inadmissible. En fait, on s’approche alors de l’exigence légale la plus fondamentale pour toute forme d’activité défendue par la loi, soit la bonne foi.

[…] un arbitre de grief […] n’est pas concerné par un renvoi en cours de stage lorsqu’il est satisfait que la preuve démontre que les représentants de l’employeur ont agi de bonne foi au motif qu’ils ne considéraient pas que l’employé possédait les aptitudes requises pour occuper le poste visé.

50 Les arbitres de grief de la Commission ont eu de nombreuses occasions d’examiner les limites de leur compétence dans ce contexte. Même avant les modifications législatives apportées à la LMFP, il était clair d’après les décisions des arbitres de grief qu’une allégation que les motifs cités dans le cadre d’une décision de renvoi en cours de stage sont un [traduction] « subterfuge » ou un [traduction] « camouflage » n’est pas facilement acceptée.

51 Dans Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, un arbitre de grief a examiné de nouveau la jurisprudence passée de la Commission à la lumière des modifications législatives apportées à la LMFP. Le paragraphe 28(2) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (l’« ancienne LEFP »), L.R.C. (1985), ch. P-33, se lit comme suit :

28. (2) À tout moment au cours du stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de le renvoyer, pour un motif déterminé, au terme du délai de préavis fixé par la Commission pour lui ou la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie. Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de cette période.

52 Tel qu’il est mentionné dans des cas comme Penner, la Commission et les tribunaux interprètent cette disposition en prenant en considération l’objet de la période de stage. Dans Jacmain c. Procureur général (Canada) et autre, [1978] 2 R.C.S. 15, aux pages 38‑39, la Cour suprême du Canada a décrit les circonstances particulières pour un employé en stage :

Notre cas n’en est pas un de mesure disciplinaire. Le mauvais comportement de l’employé, son attitude acerbe, son ajustement défectueux à son entourage constituent pour son chef des raisons valables de ne pas vouloir lui accorder un emploi permanent dans son Service. Cela me semble évident, mais je m’appuierai quand même sur l’opinion unanime des arbitres dans l’affaire Re United Electrical Workers & Square D Co., Ltd. [(1956), 6 Lab. Arb. Cas. 289], à la p. 292 :

[TRADUCTION] Il est clair qu’un employé « en stage » jouit de moins de sécurité d’emploi qu’un employé titularisé. L’un est une période d’essai, de démonstration ou d’examen de ses qualifications et de son aptitude à remplir un emploi régulier en tant qu’employé permanent, alors que l’autre a satisfait à l’essai. Les normes établies par la compagnie ne sont pas nécessairement limitées à la qualité et au rendement; elles peuvent s’étendre au caractère de l’employé, à sa capacité de travailler en harmonie avec d’autres, à ses possibilités d’avancement et à son aptitude générale à rester dans l’entreprise […]

53 Dans le cas d’un employé en cours de stage, l’approche générale n’était pas de considérer le terme [traduction] « pour un motif déterminé » de l’article 28 comme signifiant l’exigence pour l’employeur d’établir un [traduction] « motif valable » dans la même mesure qu’il devrait le faire dans le cas d’un employé permanent protégé par une convention collective. La disposition a plutôt été interprétée comme enjoignant l’employeur à prendre une décision de bonne foi de mettre fin à la relation d’emploi pendant la période de stage, c’est-à-dire une décision liée aux qualités de l’employé en cours de stage en vue d’un emploi à long terme.

54 Dans l’article 62 de la nouvelle version de la LEFP, reproduite ci-dessus, toute référence au « motif » a été supprimée, et la nouvelle disposition établit simplement qu’un employeur peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis.

55 Dans Tello, l’arbitre de grief a examiné si ce changement de libellé de la LEFP modifiait les considérations qu’un arbitre de grief doit prendre en compte pour se prononcer sur une question de compétence en vertu de l’article 211 de la LRTFP. L’arbitre de grief a aussi étudié les répercussions de cette partie de la décision de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, portant sur l’ensemble des obligations juridiques des employées du secteur public.

56 L’arbitre de grief dans Tello a conclu que Dunsmuir avait eu pour effet de rassembler presque tous les emplois du secteur public sous le paradigme contractuel associé aux emplois du secteur privé. Cela signifie qu’un employeur du secteur public n’est pas lié par les principes de l’équité procédurale tels qu’ils sont décrits dans le droit administratif, mais par l’obligation minimale d’agir de bonne foi qui appartient aux employeurs du secteur privé. Les obligations des employeurs peuvent, bien entendu, être modifiées par une entente, puisqu’elles s’appliquent généralement aux employés permanents protégés par des conventions collectives.

57 L’arbitre de grief dans Tello a déclaré que les obligations de l’employeur dans le cadre de la nouvelle LEFP et les principes dans Dunsmuir doivent encore être évaluées en fonction de l’objet de la période de stage :

[110] Si un administrateur général renvoie un employé en cours de stage sans égard à l’objet de la période de stage — autrement dit, si la décision ne repose pas sur l’aptitude de l’employé à occuper un emploi de façon continue — cette décision est arbitraire et peut également être prise de mauvaise foi. Dans un tel cas, le licenciement n’est pas conforme à la nouvelle LEFP.

[111] Selon moi, le changement entre l’ancienne LEFP et la nouvelle LEFP, considéré dans le contexte de la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada sur l’approche adéquate à adopter en matière d’emploi dans le secteur public, ne modifie pas considérablement la substance de l’approche que les arbitres de grief devraient prendre à l’égard des griefs sur le renvoi d’un employé en cours de stage […]

58 Ce qui a changé, selon Tello, au paragraphe 111, est le fardeau de la preuve qui incombe aux parties :

[…] fardeau de la preuve qui incombe à l’administrateur général a été allégé. L’administrateur général n’a maintenant qu’à établir que l’employé était en stage, que la période de stage était encore en vigueur au moment du licenciement et qu’un préavis ou une indemnité en guise de préavis a été donné. L’administrateur général n’est plus tenu de prouver « un motif déterminé » pour le renvoi en cours de stage. En d’autres termes, l’administrateur général n’a pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, un motif légitime lié à l’emploi pour le licenciement. Toutefois, les Lignes directrices sur le renvoi en cours de stage du Conseil du Trésor exigent que la lettre de licenciement d’un employé en stage énonce le motif de la décision de licenciement. L’administrateur général demeure tenu de produire la lettre de licenciement comme pièce (généralement par l’intermédiaire d’un témoin) pour prouver qu’il a rencontré les exigences législatives du préavis et du statut de stagiaire. Cette lettre énonce habituellement le motif de la décision de licencier l’employé qui est en cours de stage. Le fardeau de la preuve devient alors celui du fonctionnaire. Il incombe au fonctionnaire de prouver que le licenciement reposait artificiellement sur la nouvelle LEFP, un subterfuge ou un camouflage. Si le fonctionnaire établit qu’il n’y avait pas de « motifs liés à l’emploi » légitimes justifiant le licenciement (autrement dit, si la décision ne reposait pas sur une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l’employé : Penner, à la page 438), le fonctionnaire se sera acquitté de son fardeau de la preuve. Outre ce changement au niveau du fardeau de la preuve, la jurisprudence rendue sous l’ancienne LEFP demeure pertinente pour déterminer la compétence sur les griefs à l’encontre du licenciement d’un employé en stage.

59 Ainsi, il n’incombe plus à l’employeur d’établir un motif légitime lié à l’emploi pour le licenciement; le fardeau revient alors au fonctionnaire, qui doit prouver que le licenciement « reposait artificiellement sur la nouvelle LEFP, était un subterfuge ou un camouflage ». L’approche utilisée dans Tello a été adoptée par des arbitres de grief dans bon nombre de décisions ultérieures : voir McMath c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 42, Ducharme c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 136, Boshra c. Administrateur général (Statistique Canada), 2011 CRTFP 97, and Premakanthan c. Administrateur général (Conseil du Trésor), 2012 CRTFP 67.

60 Dans l’affaire en instance, le fonctionnaire a indiqué qu’il estimait que la décision de l’employeur de le renvoyer en cours de stage avait été provoquée par les commérages et les rumeurs qui circulaient entre ses collègues qui, pour leur part, le blâment pour la suspension de son partenaire après l’incident du 13 juillet 2009. Selon lui, il était injuste que les conséquences de l’incident apparaissent dans toutes ses évaluations de rendement ultérieures, et a qualifié les commentaires des autres employés recueillis dans le cadre de l’évaluation de 12 mois de [traduction] « ouï‑dire ». Son seul témoin, M. Irving, a affirmé qu’il avait entendu des rumeurs au sujet du caractère difficile du fonctionnaire, mais que sa propre expérience avec le fonctionnaire avait changé les idées préconçues qu’il avait.

61 J’ai conclu que les éléments de preuves présentés par le fonctionnaire n’ont pas réussi à démontrer que l’employeur avait agi de mauvaise foi, ou que les motifs invoqués dans sa lettre de licenciement constituaient un subterfuge ou un camouflage. Il faut reconnaître que le fardeau qui incombe à un fonctionnaire dans une telle situation est lourd. Dans le cas du licenciement de l’un des collègues permanents du fonctionnaire, lequel serait régi par les normes du motif valable, il pourrait y avoir des limites à l’importance que l’employeur pourrait accorder à un événement qui s’est produit au début de la carrière de l’employé et pour lequel l’employé a déjà été réprimandé. La jurisprudence en vertu de l’ancienne et de la nouvelle LEFP indique clairement que de telles limites ne s’appliquent pas au cas d’un employé en cours de stage, et que l’employeur est autorisé à tenir compte de tout facteur qui pourrait se rapporter à un jugement relatif aux qualités de l’employé en vue d’un emploi à long terme.

62 Le fonctionnaire n’a pas été en mesure de prouver l’absence de bonne foi de l’employeur. Comme l’ont indiqué les témoins de l’employeur, le renvoi du fonctionnaire en cours de stage a été envisagé à de nombreuses reprises, incluant au moment où il a fait l’objet de mesure disciplinaire pour ne pas s’être montré coopératif dans le cadre de l’enquête disciplinaire de son collègue, et après les évaluations de six et de neuf mois, qui indiquaient toutes deux qu’il n’avait pas atteint des objectifs d’emploi importants.

[63] Dans le cadre de sa préparation à l’évaluation de 12 mois, Mme Glaister a recueilli des commentaires auprès de divers employés. Comme l’indiquent ses notes, ces employés ont exprimé des opinions variées, et sont entrés en contact avec le fonctionnaire de diverses façons. Le RÉR qu’elle a rédigé reflétait les aspects positifs et négatifs des commentaires au sujet du rendement du fonctionnaire. Bien que le fonctionnaire ait tenté de laisser entendre que l’insatisfaction de l’employeur était fondée sur un ou deux incidents qui semblaient les obséder, aucun des  trois RÉR n’appuyait cette déclaration; ces derniers renvoyaient tous à une série d’observations et d’exemples qui ont finalement amené l’employeur à conclure que le fonctionnaire devait être renvoyé. Il ne fait aucun doute que des collègues du fonctionnaire, comme M. Irving, ont vu son potentiel et croyaient qu’il aurait dû obtenir un poste permanent. Néanmoins, l’employeur n’avait pas l’obligation de privilégier le point de vue des collègues qui appuyaient le fonctionnaire, et avait le droit de conclure que la balance penchait en  faveur du renvoi.

64 Le fonctionnaire a aussi laissé entendre que Mme Justason n’était vraiment pas bien placée pour recommander son renvoi, puisqu’elle ne l’avait pas directement supervisé et qu’elle avait eu peu de contacts avec lui. Comme cela se passe dans plusieurs organisations complexes, Mme Justason déléguait une partie importante de ses pouvoirs en matière de ressources humaines aux autres, et comptait sur les personnes qui lui rendaient des comptes pour assumer leurs responsabilités avec diligence. En l’espèce, Mme Justason s’attendait à ce que Mme Glaister prépare le terrain en vue de l’évaluation définitive, et lui faisait confiance pour la communication de tout point important. Elle a discuté de l’évaluation avec Mme Glaister et elles ont décidé ensemble de la recommandation qui devait être faite à la directrice. Ce type de processus est commun chez les employeurs; même si Mme Justason n’avait pas personnellement eu beaucoup d’occasions d’observer le fonctionnaire directement, cela ne signifie pas que son apport au résultat définitif est arbitraire.

65 Je conclus que je n’ai pas compétence pour entendre ce grief.

66 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

67 J’ordonne la fermeture du dossier.

Le 1er octobre 2012.

Traduction de la CRTFP

Beth Bilson,
arbitre de grief

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