Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a formulé à l’encontre de l’intimé des allégations d’abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite, de favoritisme personnel et de parti pris. Après la présentation de la plainte au Tribunal, l’intimé a ouvert une enquête sur le processus de nomination, d’où il ressortait que des erreurs avaient été commises dans l’évaluation des candidats. L’intimé n’a pas révoqué la nomination. Il a plutôt décidé de constituer un nouveau comité d’évaluation et de procéder à la réévaluation des candidats. La personne nommée a été jugée qualifiée, pas le plaignant. Décision L’intimé a admis que c’était une erreur d’utiliser une note de passage globale plutôt que d’évaluer séparément chacune des qualifications essentielles. Le Tribunal a jugé que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application des critères de mérite puisque la personne nommée de possédait pas l’une des qualifications essentielles pour le poste. Le Tribunal a établi d’autre part que l’un des membres du comité d’évaluation entretenait une relation d’amitié étroite avec le mari de la personne nommée. En appliquant le critère de crainte raisonnable de partialité, le Tribunal a estimé qu’un observateur raisonnablement informé penserait que, selon toute vraisemblance, le membre du comité en question ne saurait prendre de décision équitable. Le Tribunal a donc conclu que cet état de choses donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité. Le Tribunal a déterminé que le plaignant n’avait pas démontré que la nomination était entachée de favoritisme personnel. S’agissant de la réévaluation des candidats, le Tribunal a fait remarquer que l’utilité d’un recours était subordonnée au caractère définitif du processus de nomination. Par ailleurs, si la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) fournit aux administrateurs généraux un mécanisme à utiliser à leur discrétion pour corriger toute erreur, omission ou conduite irrégulière dans un processus de nomination, elle confère aussi aux fonctionnaires le droit de recours auprès du Tribunal. Ces deux mécanismes n’ont pas été conçus pour s’appliquer simultanément. Le pouvoir conféré à l’administrateur général pour ouvrir une enquête et prendre des mesures correctives ne peut se substituer au mécanisme de recours devant le Tribunal prévu par la LEFP. Le Tribunal n’a donc pas pris en considération la réévaluation des candidats pour statuer sur la question de savoir s’il y avait eu abus de pouvoir dans le processus de nomination. Il a conclu que la réévaluation des candidats n’était pas une réparation appropriée par rapport à ce qui constituait un abus de pouvoir en l’espèce. L’intimé aurait dû révoquer la nomination pour ensuite amorcer un nouveau processus de dotation, le cas échéant, et afficher les droits de recours s’il y a lieu. Plainte accueillie. Le Tribunal a ordonné à l’administrateur général de révoquer la nomination dans les 90 jours suivant la décision.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier :
2007–0380
Décision
rendue à :

Ottawa, le 20 octobre 2011

NICOLAS MARCIL
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est accueillie
Décision rendue par :
John Mooney, vice-président
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Marcil c. le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités
Référence neutre :
2011 TDFP 0031

Motifs de décision


Introduction


1 Le plaignant, Nicolas Marcil, a pris part à un processus de nomination interne annoncé visant à doter un poste de gestionnaire, Bureau de la sécurité nautique (poste de gestionnaire, BSN), de groupe et niveau PM-05, au Bureau de la sécurité maritime de Sarnia, qui relève du ministère des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités (Transports Canada). Le plaignant a été jugé qualifié, mais l'intimé, le sous-ministre de Transports Canada, a déterminé qu'une autre candidate, Katherine Morris, était la bonne personne pour le poste, et l'a donc nommée.

2 Le plaignant a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) au motif que l'intimé aurait abusé de son pouvoir en appliquant les critères de mérite de façon inappropriée. Il affirme également que l'intimé a fait preuve de favoritisme personnel envers la personne nommée et que l'un des membres du comité d'évaluation a favorisé Mme Morris en raison de la relation personnelle qu'il entretenait avec le mari de cette dernière. Par ailleurs, le plaignant soutient que le comité d'évaluation a fait preuve de parti pris contre lui parce qu'il avait dénoncé des pratiques irrégulières relativement à la passation de marchés dans son organisation.

3 L'intimé nie tout abus de pouvoir. Il nie avoir favorisé qui que ce soit dans le processus de nomination et soutient que le comité d'évaluation n'avait pas de parti pris contre le plaignant.

4 Selon la Commission de la fonction publique (CFP), les nominations devraient respecter ses Lignes directrices en matière d'évaluation, selon lesquelles les outils d'évaluation doivent permettre d'évaluer efficacement les qualifications et les évaluations doivent être menées de façon impartiale.

5 Après le processus de nomination, l'intimé a mené une enquête sur celui-ci et a constaté qu'il y avait eu une erreur dans l'évaluation des candidats. Il a donc décidé de procéder à une réévaluation, après quoi il a été conclu que Mme Morris était qualifiée, mais pas le plaignant.

6 Le plaignant avance que l'intimé n'aurait pas dû réévaluer les candidats puisqu'une plainte avait déjà été présentée au Tribunal au sujet de la nomination de Mme Morris. Il soutient aussi que l'intimé n'a pas dûment tenu compte de ses besoins d'accommodement durant la réévaluation et que Mme Morris avait en outre bénéficié d'un avantage indu, puisqu'elle occupait le poste visé depuis deux ans au moment de la réévaluation.

7 Selon l'intimé, le Tribunal devrait prendre en considération la réévaluation des candidats pour déterminer s'il y a eu abus de pouvoir. L'intimé affirme également avoir pris à l'égard du plaignant les mesures d'accommodement appropriées et soutient que Mme Morris n'a pas bénéficié d'un avantage indu durant le processus de réévaluation.

8 La CFP estime également que le Tribunal devrait se concentrer sur la deuxième évaluation plutôt que sur la première pour déterminer s'il y a eu abus de pouvoir. La CFP ne se prononce pas sur la question de savoir si les besoins d'accommodement du plaignant ont été dûment satisfaits durant la réévaluation. Elle estime cependant que si le Tribunal établit que l'intimé n'avait pas satisfait les besoins d'accommodement du plaignant de façon appropriée, il doit conclure à l'abus de pouvoir.

Contexte


9 Le 1er décembre 2006, l'intimé a affiché sur Publiservice une annonce de possibilité d'emploi visant le poste de gestionnaire, BSN (processus de nomination no 06-MOT-CC-TOR-009514). En tout, onze personnes ont postulé. De ce nombre, cinq candidats, dont le plaignant, possédaient les qualifications essentielles établies. Le gestionnaire a déterminé que Mme Morris était la bonne personne pour le poste et a donc envoyé, le 29 juin 2007, une notification de nomination ou de proposition de nomination aux candidats. Le nom des quatre autres candidats qualifiés a été placé dans un bassin de candidats qualifiés en vue d'éventuelles nominations à venir.

10 Le 1er août 2007, le plaignant a présenté une plainte au Tribunal en vertu de l'article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

11 En 2008, après que le plaignant eut présenté sa plainte, l'intimé a lancé une enquête visant à déterminer si le principe du mérite avait été respecté dans le processus de nomination. L'enquêteuse a publié en décembre 2008 un rapport (le rapport d'enquête) qui concluait que des erreurs avaient été commises durant le processus de nomination. Selon le rapport d'enquête, si les candidats avaient été évalués correctement, le plaignant et Mme Morris, la personne nommée, auraient échoué à l'une des qualifications essentielles.

12 Après avoir pris connaissance de cette erreur, plutôt que de révoquer la nomination de Mme Morris et de lancer un nouveau processus de nomination, l'intimé a décidé de réaliser de nouveaux examens et entrevues et de réévaluer tous les candidats en août 2009. Le deuxième comité d'évaluation était composé de membres complètement différents. Lors de la réévaluation, le plaignant n'a pas obtenu la note de passage pour la qualification essentielle « leadership », mais le comité a jugé que Mme Morris possédait toutes les qualifications essentielles.

13 Le plaignant a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu'il entendait soulever une question liée à l'interprétation ou à l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6. La CCDP a informé le Tribunal qu'elle n'avait pas l'intention de présenter d'observations en l'espèce.

Questions en litige


14 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l'application du mérite?
  2. L'intimé a-t-il fait preuve de favoritisme personnel à l'endroit de la personne nommée?
  3. Richard Huras était-il un ami du mari de la personne nommée et, le cas échéant, cette situation donne-t-elle lieu à une crainte raisonnable de partialité?
  4. L'intimé a-t-il fait preuve de parti pris contre le plaignant?
  5. Le Tribunal doit-il tenir compte de la réévaluation des candidats?

Analyse


15 L'article 77(1)a) de la LEFP stipule qu'une personne qui est dans la zone de recours peut présenter une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou elle n'a pas fait l'objet d'une proposition de nomination au motif que la CFP ou l'administrateur général a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination. Tel qu'il a été établi dans la jurisprudence du Tribunal, il incombe au plaignant d'établir la preuve d'un abus de pouvoir, selon la prépondérance des probabilités (voir par exemple la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, para. 49).

Question I :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l'application du mérite?

16 Le plaignant affirme qu'il y a eu plusieurs irrégularités dans le processus de nomination relativement à l'application du mérite.

17 Au sujet de l'évaluation de candidats dans un processus de nomination, le Tribunal a conclu dans nombre de décisions que son rôle est de déterminer s'il y a eu abus de pouvoir, et non pas de réévaluer les candidats ou de reprendre le processus de nomination (voir par exemple la décision Broughton c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2007 TDFP 0020).

18 En l'espèce, le comité d'évaluation était composé de Raymond Krick, directeur régional, Sécurité maritime, région de l'Ontario, et président du comité, de Richard Huras, gestionnaire, Projets spéciaux, et de Carrie Miller, directrice régionale par intérim, Ressources humaines, région de l'Ontario. M. Krick était le gestionnaire délégataire. Depuis, MM. Krick et Huras ont quitté la fonction publique et Mme Miller est décédée.

Erreur d'évaluation relevée durant l'enquête

19 Debra Taylor est la directrice générale du bureau régional de l'Ontario. Au printemps 2008, elle a appris que l'évaluation tenue dans le cadre du processus de nomination visant le poste de gestionnaire, BSN, avait peut-être été entachée d'erreurs. Elle a donc recommandé la tenue d'une enquête. Le sous-ministre a accepté cette recommandation, et une enquête a été lancée.

20 Rawan El-Komos, chef de la Dotation ministérielle et des programmes de perfectionnement de Transports Canada, est responsable de l'intégrité globale de la dotation au sein de Transports Canada. Elle a indiqué que l'enquête avait commencé en mai 2008 pour se terminer en novembre 2008. Le rapport d'enquête a été envoyé au sous-ministre, et toutes les parties concernées ont eu l'occasion d'en commenter les conclusions.

21 L'intimé avance que le Tribunal n'a pas compétence pour examiner le rapport d'enquête, notamment les conclusions de l'enquêteuse. De son côté, la CFP soutient que le Tribunal peut examiner le rapport d'enquête puisqu'il s'inscrit dans le contexte de la plainte.

22 La plainte a été présentée au Tribunal en vertu de l'article 77 de la LEFP, avant la décision de l'intimé de lancer une enquête sur le processus de nomination. Le mandat du Tribunal est établi à l'article 88(2) de la LEFP. Aux termes de cette disposition, le Tribunal doit instruire les plaintes présentées en vertu des articles 65(1), 74, 77 et 83 et statuer sur elles. La LEFP ne renferme aucune disposition empêchant le Tribunal de prendre connaissance d'un rapport d'enquête. Il ne s'agit pas d'une question de compétence, mais plutôt d'une question de preuve. Le Tribunal a accepté que soit déposé en preuve le rapport d'enquête, puisque son contenu était pertinent en l'espèce. Cependant, pour les raisons énoncées ci-dessous, le Tribunal a accordé peu d'importance au rapport d'enquête.

23 L'intimé ajoute que si le Tribunal décide de prendre en compte le rapport d'enquête, il doit garder à l'esprit que les opinions qui y sont émises ne sont pas celles de l'administrateur général, mais de l'enquêteuse. L'intimé insiste sur le fait que le contenu du rapport d'enquête ne doit pas d'emblée être considéré comme vrai, puisqu'il repose à plusieurs égards sur un double ouï-dire.

24 Le Tribunal estime que, bien qu'il soit autorisé à tenir compte du rapport d'enquête, il n'est tenu de se soumettre à aucune des conclusions qui s'en dégagent. Il doit plutôt tirer ses propres conclusions sur le processus de nomination à la lumière de la preuve présentée à l'audience.

25 Le Tribunal juge que le rapport d'enquête est sans grande valeur probante, car son auteure n'a pas eu à témoigner sur sa véracité ni sur son contenu.

26 Avant de prendre sa retraite en 2008, M. Krick était directeur régional, Sécurité maritime, région de l'Ontario. Dans leur témoignage, lui et Mme El-Komos ont fait état des erreurs commises dans le processus de nomination. Ils ont expliqué que selon l'enquête, les membres du comité d'évaluation avaient regroupé de façon incorrecte les qualifications relatives aux connaissances, aux capacités et aux qualités personnelles. Ils avaient ensuite attribué une note de passage globale à chaque groupe de qualifications plutôt que de déterminer si les candidats possédaient chacune des qualifications essentielles. Si le comité d'évaluation avait utilisé une note de passage distincte pour chaque qualification essentielle, ni le plaignant ni Mme Morris n'auraient été jugés qualifiés. En effet, ils auraient tous deux obtenu une note inférieure à la note de passage pour l'une des qualifications essentielles. Le plaignant aurait obtenu un résultat insuffisant pour la qualification « Connaissance des rôles, des responsabilités et des pouvoirs de la Direction de la sécurité maritime », tandis que Mme Morris se serait vu attribuer une note inférieure à la note de passage pour la qualification « Capacité de communiquer verbalement et par écrit ».

27 Le plaignant soutient que l'attribution de notes globales pour l'évaluation des candidats constituait une erreur.

28 Le plaignant a également fait remarquer quelques lacunes dans la manière dont l'enquête s'était déroulée. Toutefois, le Tribunal ne commentera pas ces allégations puisque les lacunes ne seraient importantes que si elles étaient pertinentes dans le contexte du processus de nomination examiné, ce qui n'est pas le cas.

29 À la lumière des éléments de preuve non contestés présentés par M. Krick et Mme El-Komos, le Tribunal juge que Mme Morris ne possédait pas l'une des qualifications essentielles pour le poste. Il s'agit donc de déterminer si cette erreur constitue un abus de pouvoir au sens de l'article 77(1)a) de la LEFP. L'intimé convient qu'il était incorrect d'utiliser une note de passage globale de cette façon, mais il soutient que cette erreur ne constitue pas un abus de pouvoir.

30 La LEFP ne définit pas ce qu'est un abus de pouvoir, mais l'article 2(4) indique qu'il comprend les notions de mauvaise foi et de favoritisme personnel. Dans la décision Kane c. le Procureur général du Canada et la Commission de la fonction publique, 2011 CAF 19, la Cour d'appel fédérale, en attente de l'autorisation d'interjeter appel à la Cour suprême du Canada, a établi que l'abus de pouvoir peut également être causé par une erreur :

[64] [L]'abus de pouvoir, d'une part, et l'erreur, l'omission et la conduite irrégulière, d'autre part, sont des catégories qui se chevauchent. Tout abus de pouvoir comporte une conduite irrégulière et une erreur, alors que certains cas d'erreur, d'omission et de conduite irrégulière peuvent également constituer un abus de pouvoir.

31 Le fait qu'une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend donc de la nature et de la gravité de l'erreur. Dans l'affaire Rochon c. le sous-ministre des Pêches et des Océans, 2011 TDFP 0007, tout comme en l'espèce, une note globale avait été attribuée. Dans cette décision, le Tribunal a conclu qu'il y avait eu abus de pouvoir et a révoqué la nomination. Le Tribunal avait alors déclaré ce qui suit :

[73] [Le Tribunal] juge également que cette négligence était suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir. L'intimé a évalué deux des qualifications essentielles sur la base d'un résultat combiné plutôt que d'évaluer chacune d'elles séparément.

[…]

[81] En conclusion, l'art. 30 de la LEFP stipule que les nominations doivent être fondées sur le mérite, et qu'une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles pour le travail à accomplir. En l'espèce, le Tribunal juge que l'intimé n'a pas démontré que M. Yamamoto possédait toutes les qualifications essentielles, parce qu'il n'a pas établi clairement que deux des qualifications relatives aux capacités avaient bel et bien été évaluées, ni que M. Yamamoto possédait chacune des qualifications relatives à l'expérience. Ces erreurs et omissions sont graves et constituent un abus de pouvoir en vertu de l'art. 77(1) de la LEFP.

32 En l'espèce, l'intimé a convenu que si chaque qualification essentielle avait été évaluée correctement, le comité d'évaluation aurait conclu que Mme Morris ne possédait pas l'une d'elles. Il est donc logique de croire que Mme Morris n'aurait pas dû être nommée au poste. En effet, l'article 30(1) de la LEFP stipule que les nominations doivent être fondées sur le mérite, et l'article 30(2) précise qu'une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne nommée possède toutes les qualifications essentielles établies par l'administrateur général pour le travail à accomplir.

33 La nomination d'une personne qui ne possède pas toutes les qualifications essentielles n'est donc pas fondée sur le mérite. Le Tribunal estime qu'une telle erreur est suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir (voir par exemple la décision Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités, 2007 TDFP 0044, para. 38).

34 Par conséquent, en nommant Mme Morris, l'intimé a abusé de son pouvoir dans l'application du mérite.

35 Cette conclusion est suffisante pour statuer sur la plainte. Cependant, le Tribunal doit également examiner les autres allégations présentées par le plaignant au sujet de l'évaluation initiale de Mme Morris.

Autres allégations

Expérience de la gestion d'un programme maritime qui s'adresse au public

36 Le plaignant affirme que le dossier de candidature de Mme Morris ne montrait pas qu'elle possédait la qualification « Expérience de la gestion d'un programme maritime qui s'adresse au public », qui fait pourtant partie des qualifications essentielles pour le poste. Il fait également remarquer que les membres du comité d'évaluation n'ont produit aucun document indiquant comment ils avaient déterminé qu'elle possédait cette qualification.

37 Le plaignant a renvoyé le Tribunal au rapport d'enquête qui précisait que le nombre insuffisant de renseignements inscrits au dossier pour la plupart des candidats ne permettait pas d'établir clairement s'ils possédaient une expérience de la gestion d'un programme maritime qui s'adresse au public.

38 Le Tribunal rappelle que le rapport d'enquête a peu de valeur probante pour déterminer si Mme Morris possédait cette qualification. L'enquêteuse – qui n'a pas été appelée à témoigner – n'a pas désigné nommément Mme Morris; elle a plutôt utilisé l'expression « la plupart des candidats ».

39 M. Krick a déclaré que lui et M. Huras avaient effectué la présélection, comme l'indique la Déclaration signée par les personnes présentes au jury. M. Huras a passé en revue les curriculum vitæ avec un conseiller en ressources humaines, et M. Krick a examiné les résultats. Selon M. Krick, Mme Morris a su démontrer qu'elle possédait une « expérience de la gestion d'un programme maritime qui s'adresse au public ». Dans sa demande d'emploi, Mme Morris a indiqué qu'elle avait siégé au Conseil consultatif maritime canadien à titre de surintendante de la coordination de programmes, de septembre 2005 jusqu'au moment où le processus de nomination a eu lieu, ce qui démontrait, aux yeux de M. Krick, qu'elle possédait une vaste expérience de la gestion de programmes maritimes.

40 Mme Morris a également abordé la question de son expérience de la gestion de programmes maritimes destinés au public. Elle travaille à la fonction publique depuis 25 ans, dont 14 ans pour la Garde côtière canadienne, à laquelle elle s'est jointe en 1993. À l'époque, la Garde côtière canadienne relevait du ministère des Pêches et des Océans. En 1999, alors qu'elle travaillait pour le BSN, lequel relevait de la Garde côtière canadienne, elle était responsable des relations avec les clients.

41 Selon son curriculum vitæ – déposé en preuve – Mme Morris répondait à cette exigence relative à l'expérience. Mme Morris a en outre ajouté dans son curriculum vitæ que lorsqu'elle travaillait en tant que surintendante de la coordination de programmes à la Garde côtière canadienne, de septembre 2005 jusqu'au moment où le processus a eu lieu, elle représentait les Services maritimes à l'occasion de séances d'information et de rencontres avec le public et des représentants de l'industrie. Dans le cadre de ses fonctions, elle élaborait et mettait en œuvre des plans d'activités pour le Bureau de sécurité nautique, préparant des accords de responsabilité détaillés pour chaque secteur de programme. Dans son curriculum vitæ, Mme Morris indique par ailleurs que lorsqu'elle travaillait à titre d'agent des affaires nautiques pour la Garde côtière canadienne en 1999 et 2000, elle a organisé et animé des consultations sur la sécurité nautique, fonctions qui comprenaient la communication avec les participants.

42 Le Tribunal estime qu'aucun élément de preuve ne permet de tirer une conclusion différente de celle à laquelle est parvenu le comité d'évaluation, ni de contredire les témoignages de Mme Morris et de M. Krick ou l'information fournie dans le curriculum vitæ.

Formation en gestion de risques

43 Le plaignant affirme que Mme Morris ne possédait pas de formation en gestion de risques, critère qui figurait parmi les qualifications constituant un atout.

44 Le Tribunal fait remarquer que le mot « risque » n'est pas défini dans les documents se rapportant au processus de nomination. Par conséquent, il donnera au terme son sens habituel, qui est suffisamment large pour englober les risques d'ordre financier et les risques liés à la sécurité personnelle des individus.

45 Le Tribunal estime que le plaignant n'a pas réussi à établir que le comité d'évaluation avait évalué de façon inappropriée cette qualification constituant un atout. La preuve démontre que Mme Morris possédait cette qualification, qui avait été évaluée durant l'entrevue. Les candidats devaient décrire leur formation en gestion de risques. Dans les notes qu'il a prises durant l'entrevue, M. Krick a indiqué que Mme Morris possédait une certaine formation en gestion de risques. Toujours selon ces notes, Mme Morris a déclaré durant l'entrevue que la gestion de risques avait été abordée dans les séances de formation sur les ressources humaines et la planification des activités qu'elle avait suivies. M. Krick a également noté que Mme Morris avait suivi une formation sur la gestion de risques et le service à la clientèle relativement à la sécurité personnelle. Durant l'entrevue, Mme Morris a ajouté qu'elle pouvait établir les priorités et contribuer à leur atteinte en respectant les contraintes financières liées à l'exécution de programmes. Dans son témoignage, Mme Morris a précisé qu'elle avait suivi une formation en gestion de risques alors qu'elle travaillait comme agente des communications. Elle a également souligné que dans le cadre d'un emploi précédent, elle avait assuré la surveillance du budget pour veiller à ce que le niveau de risque demeure gérable. Son témoignage à l'égard de cette qualification constituant un atout n'a pas été contesté.

Échelle de cotation pour les qualifications relatives à l'expérience et à la formation

46 Le plaignant soutient également que l'évaluation des candidats était inadéquate parce qu'aucune échelle de cotation n'a été établie pour les sept qualifications constituant un atout relatives à l'expérience et à la formation. Le Tribunal n'est pas convaincu par cet argument. En effet, ces critères ont été évalués durant l'entrevue. Cette partie de l'évaluation consistait simplement à poser des questions aux candidats pour savoir s'ils possédaient les qualifications constituant un atout relatives à l'expérience et à la formation. Par exemple, pour l'une des questions, les candidats devaient indiquer s'ils possédaient un grade universitaire dans le domaine de la sécurité maritime. Bref, soit le candidat avait obtenu un tel grade, soit il n'en avait pas obtenu. L'utilisation d'une échelle de cotation n'aurait pas nécessairement été pertinente pour ce type de question (réussite/échec).

La justification du choix de la bonne personne

47 Le plaignant affirme aussi que le critère de la bonne personne aurait dû être décrit avant la présélection. Selon lui, le comité d'évaluation aurait dû indiquer la pondération accordée à chaque qualification avant le début du processus de nomination. Puisque cette mesure n'a pas été prise, il était facile pour M. Krick d'adapter le critère de la bonne personne pour favoriser Mme Morris.

48 Le terme « bonne personne » ne se trouve pas dans la LEFP. Il est toutefois utilisé dans la collectivité des ressources humaines pour décrire le principe qui permet de décider quel candidat sera nommé parmi les personnes qualifiées dans un processus de nomination. Le mérite et les autres critères pris en compte pour nommer une personne sont inscrits dans une justification du choix de la bonne personne. Le Tribunal a également utilisé ce terme pour illustrer le pouvoir discrétionnaire qu'ont les gestionnaires de choisir, parmi les candidats qualifiés, la personne qui, selon eux, convient le mieux pour le poste à doter. En l'espèce, la preuve indique que toutes les qualifications essentielles et les qualifications constituant un atout, à l'instar des exigences opérationnelles et des besoins organisationnels, avaient été établies avant le début de la présélection. Tous ces éléments figuraient dans l'annonce de possibilité d'emploi. La justification du choix de la bonne personne a été rédigée après l'évaluation des candidats, ce qui n'a rien d'irrégulier. En aucun cas la loi n'exige que ce principe soit défini avant l'évaluation des candidats. Il peut en effet être établi après l'évaluation, puisque la justification de nomination dépend souvent des candidats évalués et de leur rendement. Par exemple, la justification pourrait être différente si deux candidats offrent le même rendement pour une même qualification essentielle. Dans une telle situation, le gestionnaire délégataire pourrait examiner une qualification constituant un atout pour faire son choix. Mais si l'un des candidats obtient un très bon résultat pour une qualification essentielle, alors qu'un autre candidat réussit avec difficulté à montrer qu'il la possède, le gestionnaire délégataire pourrait décider de ne pas accorder beaucoup d'importance aux qualifications constituant un atout et de nommer le candidat ayant obtenu un excellent résultat. Il ne s'agit là que de deux exemples qui illustrent que le fait de définir le principe de la bonne personne avant l'évaluation des candidats pourrait indûment nuire à l'efficacité du processus de nomination.

49 En l'espèce, le comité d'évaluation a préparé la justification du choix de la bonne personne après l'évaluation des candidats. Selon M. Krick, il avait été établi que Mme Morris était la bonne personne parce qu'elle possédait toutes les qualifications essentielles et qu'elle avait obtenu le meilleur résultat pour les qualités personnelles. Le comité d'évaluation avait déterminé que les qualités personnelles étaient un facteur important dans ce processus de nomination, puisqu'il visait un poste de gestionnaire. M. Krick a fait référence à la justification figurant dans le Rapport du jury de sélection du 31 mai 2007, dans lequel il est aussi indiqué que Mme Morris a été choisie parce qu'elle figurait parmi les trois candidats ayant obtenu la meilleure note globale pour les qualifications essentielles. Selon la justification, Mme Morris possédait d'ailleurs trois des qualifications constituant un atout les plus importantes. Tel qu'il est indiqué plus haut, il était tout à fait correct de définir la justification du choix de la bonne personne après l'évaluation des candidats.

Allégations de pratiques irrégulières dans d'autres processus de dotation

50 Le plaignant a soulevé des questions quant à la nomination d'autres personnes dans d'autres processus de nomination. Le Tribunal n'a pas compétence pour étudier ces processus et le plaignant n'a pas réussi à établir quelque lien que ce soit entre ceux-ci et le processus en question.

Question II :  L'intimé a-t-il fait preuve de favoritisme personnel à l'endroit de la personne nommée?

51 Le plaignant affirme que l'intimé a fait preuve de favoritisme personnel envers Mme Morris. La preuve qu'il a présentée porte sur trois aspects : la zone de sélection, l'ajout de la qualification constituant un atout « formation en gestion de risques », et la nomination intérimaire de Mme Morris au poste de gestionnaire de cas.

Élargissement de la zone de sélection

52 Le 1er décembre 2006, l'intimé a affiché une annonce de possibilité d'emploi sur Publiservice pour le poste de gestionnaire, BSN. La date limite de candidature était établie au 15 décembre 2006. Le processus de nomination était ouvert exclusivement aux employés de Transports Canada travaillant à Sarnia, en Ontario, et dans certains bureaux de la région de la capitale nationale (RCN), identifiés par le code postal. Le 7 décembre 2006, la zone de sélection a été élargie pour inclure tous les fonctionnaires résidant ou travaillant à Sarnia, et la date limite de candidature a été reportée au 21 décembre 2006. Au départ, Mme Morris ne faisait pas partie de la zone de sélection puisqu'elle travaillait pour le ministère des Pêches et des Océans. Elle faisait toutefois partie de la nouvelle zone de sélection puisqu'elle travaillait à Sarnia. Le plaignant soutient que M. Krick a agrandi la zone de sélection dans le but précis de permettre à Mme Morris de participer au processus de nomination.

53 M. Krick a affirmé qu'il avait décidé d'élargir la zone de sélection pour qu'elle comprenne tous les fonctionnaires fédéraux travaillant à Sarnia parce qu'il y avait parmi eux des candidats potentiels issus d'autres ministères. Par exemple, le ministère des Pêches et des Océans comptait 200 fonctionnaires possédant une expérience dans le domaine maritime. M. Krick ne voulait pas élargir la zone de sélection à tout le pays parce qu'une telle mesure aurait été impossible à gérer et aurait pu forcer l'intimé à payer des frais de réinstallation. Il a précisé qu'il ne souhaitait favoriser personne en élargissant la zone de sélection, et que M. Huras, qui selon le plaignant était un ami du mari de Mme Morris, n'avait exercé aucune influence pour l'amener à agir de la sorte en vue d'inclure Mme Morris.

54 Le Tribunal estime qu'il n'y a pas de preuve que la zone de sélection a été élargie en vue de favoriser Mme Morris. Il accepte l'explication de l'intimé, selon laquelle des fonctionnaires d'autres ministères pouvaient posséder l'expérience recherchée, particulièrement les personnes travaillant au ministère des Pêches et des Océans, dont le BSN avait déjà relevé.

Ajout du critère « formation en gestion de risques » aux qualifications constituant un atout

55 Le plaignant affirme que l'intimé a ajouté la qualification constituant un atout « formation en gestion de risques » pour favoriser Mme Morris. L'intimé nie qu'il a ajouté cette qualification à cette fin.

56 Le Tribunal estime que les explications fournies par M. Krick, selon lesquelles la gestion de risques était liée au travail à accomplir, étaient convaincantes. M. Krick a indiqué que les décisions relatives aux dépenses comportent un élément de risque et que, puisque le BSN offre un important programme éducatif sur la sécurité du public en matière de navigation de plaisance, il est nécessaire de réaliser des évaluations en gestion de risques pour atteindre tous les plaisanciers. Il a ajouté qu'à l'époque, il était fréquent que cette qualification constituant un atout soit ajoutée aux énoncés des critères de mérite (ECM) pour les postes de Transports Canada. Le témoignage de M. Krick a été confirmé par celui de Mme Taylor, qui a affirmé qu'elle se serait attendue à ce que la formation en gestion de risques fasse partie des qualifications constituant un atout dans l'ECM. Elle a expliqué que la direction de Transports Canada avait mis en œuvre des pratiques de gestion de risques dans le secteur de l'aviation et qu'elle essayait de les étendre à l'échelle du ministère.

57 Le Tribunal estime qu'aucun des éléments de preuve présentés n'appuie l'allégation du plaignant concernant la formation en gestion de risques.

58 Le Tribunal fait remarquer que les arguments du plaignant au sujet de cette qualification constituant un atout sont quelque peu incohérents. D'un côté il avance que Mme Morris ne possède pas cette qualification constituant un atout, mais de l'autre il soutient que l'intimé l'a ajoutée à l'ECM pour la favoriser. Si Mme Morris n'avait pas possédé cette qualification comme l'affirme le plaignant, il n'aurait pas été logique que l'intimé l'ajoute à l'ECM dans le but de la favoriser.

Nomination intérimaire au poste de gestionnaire de cas

59 Larry Dart, directeur régional des services généraux à Toronto à l'époque où le processus de nomination a eu lieu, était responsable de toutes les fonctions de ressources humaines. Il a affirmé que l'intimé avait pour pratique de ne pas offrir de détachement ou de nomination intérimaire à un employé provenant de l'extérieur du BSN pour un poste au sein de ce bureau. Il a avisé M. Krick qu'il ne serait pas indiqué de demander à un fonctionnaire ne travaillant pas au BSN d'y occuper un poste de façon intérimaire puisque l'intimé cherchait à regagner la confiance de ses employés, après avoir connu quelques problèmes de dotation.

60 Mme Morris a occupé de façon intérimaire le poste PM-05 de gestionnaire de cas, Sécurité maritime, à Transports Canada, du 26 février au 17 juin 2007. Le plaignant affirme que M. Krick a créé ce poste et y a nommé Mme Morris de façon intérimaire pour qu'elle acquière des connaissances et de l'expérience en sécurité maritime, lui permettant ainsi de se préparer à une future nomination à durée indéterminée à un poste de gestionnaire au sein du BSN.

61 M. Krick a expliqué que l'intimé avait créé le poste de gestionnaire de cas parce que la Direction générale de la sécurité maritime avait hérité de nouvelles responsabilités après la modification de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, ch. 26. La Direction générale devait offrir des services de communication auprès des propriétaires et exploitants de navires commerciaux de petite taille. Les tâches liées à ce poste intérimaire n'étaient aucunement liées à celles du poste de gestionnaire, BSN. En tant que gestionnaire de cas, Mme Morris devait assurer la liaison avec les exploitants de navires commerciaux de petite taille et avec la Police provinciale de l'Ontario au sujet des questions d'application de la loi et recueillir des données sur les exploitants de navires de petite taille. Aucune des tâches liées à ce poste ne concernait les bateaux de plaisance, et Mme Morris n'avait aucune responsabilité relative au budget, aux ressources humaines ou à la supervision de personnel. Or, le titulaire du poste de gestionnaire, BSN, est responsable des programmes de communication en matière de navigation de plaisance ainsi que du budget, de la dotation et de la supervision. La clientèle visée et la nature des tâches étaient différentes pour les deux postes.

62 M. Krick a ajouté que le poste avait été offert à un fonctionnaire ne travaillant pas au BSN parce que tous les employés du BSN étaient déjà entièrement occupés.

63 Le Tribunal estime que le plaignant n'a pas réussi à prouver que la nomination intérimaire de Mme Morris au poste de gestionnaire de cas ait pu lui conférer un avantage indu pour un éventuel processus de nomination au poste de gestionnaire, BSN. Dans son témoignage, qui n'a pas été contesté, M. Krick a indiqué que les deux postes étaient différents autant par leur nature que pour ce qui concerne les responsabilités et les tâches.

Question III :  Richard Huras était-il un ami du mari de la personne nommée et, le cas échéant, cette situation donne-t-elle lieu à une crainte raisonnable de partialité?

64 Le plaignant affirme que M. Huras a favorisé Mme Morris parce qu'il entretenait des liens étroits avec elle et son mari.

65 Mme Morris a affirmé que son mari et M. Huras n'étaient que de simples connaissances. M. Huras et son mari avaient fréquenté ensemble le Collège de la Garde côtière canadienne. M. Huras avait également été le garçon d'honneur lors du précédent mariage du mari de Mme Morris, en 1971. Mme Morris a ajouté que M. Huras était présent lors de son mariage avec Geoff Morris, en 2005. En novembre 2007, M. Huras a également assisté à la fête qu'elle avait organisée pour le 60e anniversaire de son mari. Mme Morris a ensuite affirmé que M. Huras n'était pas son ami. Elle avait travaillé avec lui une fois et ne l'avait pas trouvé très coopératif. Au cours des dix dernières années, elle et son mari ne l'avaient vu qu'à quatre reprises à l'extérieur du travail.

66 MM. Krick et Dart ont tous deux affirmé que M. Huras ne les avait pas avisés de sa relation personnelle avec M. Morris.

67 M. Dart a affirmé qu'après l'annonce du processus de nomination, mais avant l'évaluation des candidats, le plaignant l'avait informé que M. Huras entretenait une « relation extérieure » [traduction] avec le mari de Mme Morris. M. Dart a ajouté qu'il avait discuté de la question avec M. Krick et que ce dernier avait souligné qu'il existe un grand nombre de « relations extérieures » entre les différents fonctionnaires de Sarnia. Par exemple, certains jouent au golf ensemble. Il avait donc été déterminé que la composition du comité d'évaluation respectait les politiques de la fonction publique. Toutefois, l'intimé a décidé qu'il serait préférable qu'une personne de l'extérieur de la région siège au comité d'évaluation de façon à préserver l'intégrité du processus de nomination. C'est pourquoi l'intimé a demandé à Mme Miller de se joindre au comité d'évaluation. Elle avait le niveau d'un cadre supérieur et ne travaillait pas dans la région de Sarnia; elle travaillait au bureau de Toronto. M. Dart a ajouté que, exception faite des affirmations du plaignant, aucun autre élément de preuve n'indiquait alors que M. Huras avait une relation d'amitié avec M. ou Mme Morris; le processus de nomination s'est donc poursuivi.

68 L'intimé soutient que les relations personnelles n'ont aucunement influé sur le processus de nomination. M. Huras était le garçon d'honneur au premier mariage de M. Morris, mais leur relation s'est estompée au fil des ans. Mme Morris et son mari n'ont vu M. Huras à l'extérieur du travail que quatre fois au cours des dix dernières années. Dans une petite ville comme Sarnia, il est pratiquement certain que les fonctionnaires se connaissent. L'intimé a insisté sur le fait que l'évaluation des candidats ne reposait pas sur les commentaires de M. Huras, mais plutôt sur le consensus entre les membres du comité d'évaluation. En outre, bien que M. Huras ait fait partie du comité d'évaluation, il n'était pas le gestionnaire subdélégataire investi des pouvoirs de dotation. C'est M. Krick qui possédait ce pouvoir et qui a finalement pris la décision de nommer Mme Morris.

69 Dans diverses décisions précédentes, le Tribunal a déterminé que l'apparence de parti pris constitue un abus de pouvoir. À ce sujet, voir la décision Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029, para. 125, dans laquelle le Tribunal faisait référence au critère de crainte raisonnable de partialité établi dans la décision Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369. Dans une décision plus récente, soit la décision Newfoundland Telephone Company c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; [1992] A.C.S. no 21 (QL), para. 22 (QL), la Cour suprême a expliqué ce critère de la façon suivante : « [C]e critère consiste à se demander si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur ». Ce critère objectif s'applique également aux membres du comité d'évaluation (voir par exemple la décision Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010, para. 64-71).

70 La transparence et l'équité sont deux des valeurs énoncées dans le préambule de la LEFP par rapport aux modalités des processus de nomination (voir la décision Gignac aux para. 67-68). Dans le contexte de la dotation et de la LEFP, le critère de crainte raisonnable de partialité se rattache aux exigences législatives relatives à l'équité et à la transparence des processus de nomination. Les candidats participant à un processus de nomination doivent pouvoir se fier à la nature équitable du processus. Une crainte raisonnable de partialité entache le processus et soulève des doutes quant à son intégrité. Conformément au principe d'équité, les membres du comité d'évaluation doivent éviter les situations qui pourraient susciter une crainte raisonnable de partialité de la part d'un décideur.

71 Le Tribunal estime que la preuve ne permet pas d'établir que M. Huras avait des liens étroits avec Mme Morris. Le fait qu'il ait assisté à son mariage en 2005 ne permet pas de conclure qu'il entretenait une relation personnelle avec elle.

72 Cependant, la situation avec le mari de Mme Morris est assez différente. En effet, MM. Huras et Morris avaient certainement déjà entretenu une relation personnelle étroite dans le passé puisque M. Huras était le garçon d'honneur au premier mariage de M. Morris, en 1971. Généralement, le garçon d'honneur est un membre de la famille ou un ami proche du marié. Bien qu'il soit possible que les relations personnelles s'estompent au fil du temps, la preuve en l'espèce indique que MM. Huras et Morris ont entretenu leur relation malgré les années et qu'ils se sont vus à certains moments très importants de la vie personnelle de M. Morris. De fait, M. Huras a été invité au mariage de M. et Mme Morris en 2005, puis à la célébration du 60e anniversaire de M. Morris en 2007.

73 Le plaignant a attiré l'attention du Tribunal sur une entrevue tenue entre Lynn Farbotko, conseillère en ressources humaines, et M. Huras, le 25 août 2008, dans le cadre de l'enquête ministérielle portant sur ce processus. Lorsque Mme Farbotko lui a demandé si l'un ou l'autre des candidats avait une relation sociale étroite avec un des membres du comité d'évaluation, M. Huras a répondu qu'il connaissait Mme Morris professionnellement depuis 15 ans, mais qu'il la connaissait à l'extérieur du travail seulement parce qu'elle avait épousé un de ses amis trois ou quatre ans auparavant. L'utilisation du mot « ami » est révélatrice puisque celui-ci témoigne généralement d'une relation étroite entre deux personnes. Bien que le Tribunal ait indiqué ci-dessus qu'il n'accorderait pas beaucoup d'importance au rapport d'enquête parce que l'auteure n'a pas été appelée à témoigner, ce rapport conserve une certaine valeur probante car il confirme tous les autres éléments de preuve qui font état des liens d'amitié entre M. Huras et le mari de la personne nommée.

74 Le Tribunal estime qu'il ne peut tirer aucune conclusion du fait que M. Morris n'ait rencontré M. Huras qu'à quatre reprises au cours des dix dernières années. Deux personnes peuvent entretenir des liens d'amitié sans se rencontrer fréquemment.

75 Le Tribunal conclut qu'il existait une relation étroite entre MM. Huras et Morris : ils étaient amis. M. Huras faisait partie du comité d'évaluation et a participé à l'évaluation des candidats. M. Huras avait quelque chose à perdre ou à gagner dans ce processus de nomination. Les résultats de Mme Morris auraient pu influer sur sa relation personnelle avec M. Morris. En appliquant le critère de crainte raisonnable de partialité établi par la Cour suprême, un observateur raisonnable et informé penserait que, selon toute vraisemblance, M. Huras ne pouvait pas prendre de décision équitable. La relation étroite entre M. Huras et le mari de Mme Morris donne donc lieu à une crainte raisonnable de partialité.

Question IV :  L'intimé a-t-il fait preuve de parti pris contre le plaignant?

76 Le plaignant affirme que le comité d'évaluation avait un parti pris contre lui parce qu'il avait dénoncé des pratiques irrégulières relativement à la passation de marchés et auxquelles son ancien gestionnaire avait participé. Selon le plaignant, son ancien gestionnaire avait octroyé des marchés à un fournisseur du secteur privé sans suivre les lignes directrices établies. Le plaignant a informé M. Dart et d'autres personnes de ces pratiques irrégulières. Ces interventions ont donné lieu à une enquête sur le sujet. Selon le plaignant, les membres du comité d'évaluation le voyaient comme un fauteur de troubles et l'ont puni pour sa dénonciation.

77 Le plaignant a avisé M. Krick des pratiques irrégulières de passation de marchés, mais M. Krick n'était pas préoccupé par la question. Le plaignant s'est donc adressé à l'échelon supérieur, soit à M. Dart. Celui-ci lui a répondu qu'il s'en occuperait.

78 M. Dart a déclaré que le plaignant l'avait appelé pour l'informer des pratiques irrégulières. M. Dart a précisé que le plaignant, contrairement à ce qu'il soutient, n'était pas à l'origine de l'enquête puisque la décision à cet effet avait déjà été prise. Toutefois, M. Dart a convenu que le plaignant avait effectivement contribué à signaler ces pratiques irrégulières. M. Dart a recommandé à Mme Taylor de retirer à l'ancien gestionnaire du plaignant ses pouvoirs de signer des documents financiers, ce à quoi Mme Taylor a consenti. M. Dart a ajouté que le plaignant n'était pas le seul à avoir des problèmes avec son ancien gestionnaire. D'autres personnes avaient en effet présenté des allégations contre ce gestionnaire.

79 M. Krick a affirmé qu'il entretenait des relations de travail normales avec le plaignant. Il a ajouté que les allégations du plaignant selon lesquelles l'intimé l'avait puni dans ce processus de nomination ne tenaient pas debout, étant donné que le plaignant avait été jugé qualifié dans les trois processus de nomination simultanés auxquels il avait participé, soit le processus de nomination étudié en l'espèce, un processus visant un poste GT-04 d'agent de la sécurité nautique et un processus visant un poste PM-02 d'agent de programme spécialisé en sécurité nautique. Le plaignant s'est vu offrir le poste de groupe et niveau GT-04, qu'il a accepté.

80 Jane Garvin travaille à Transports Canada à titre d'agent de programme spécialisé en sécurité nautique. Elle a affirmé que pendant l'intérim de Mme Morris au poste de gestionnaire, BSN, et avant le processus de nomination, Mme Morris lui avait donné une note de M. Krick sur laquelle étaient inscrits le nom et le numéro de téléphone d'une personne-ressource travaillant au sein de l'entreprise privée impliquée dans les marchés irréguliers et lui avait demandé de donner à cette personne des roulottes de démonstration (kiosques de démonstration mobile) pour une transaction d'affaires. Le Tribunal ne peut pas déduire, à partir de ces éléments de preuve, que M. Krick participait aux pratiques irrégulières de passation de marchés. Le plaignant n'a pas réussi à établir qui avait écrit cette note, quand elle avait été rédigée ni même ce qu'elle signifiait. Le plaignant n'a pas fourni suffisamment de contexte pour montrer que cette demande était irrégulière. Que Mme Morris ait demandé ou non à Mme Garvin de donner à cette personne une roulotte de démonstration, cela ne permet pas de prouver que M. Krick ou Mme Morris prenaient part aux pratiques irrégulières. De plus, dans son témoignage, M. Krick a affirmé qu'il n'avait pas demandé à Mme Garvin de prêter une roulotte de démonstration au fournisseur à qui avaient été octroyés les marchés irréguliers. Le plaignant n'a pas présenté une preuve suffisante pour établir le lien entre M. Krick et les pratiques irrégulières de passation de marchés reprochées.

81 Le Tribunal estime que la preuve n'est pas suffisante pour établir que le plaignant était perçu comme un fauteur de troubles ou un dénonciateur. Le plaignant n'était pas à l'origine de l'enquête sur les pratiques irrégulières puisque, comme l'a indiqué M. Dart, cette enquête était déjà en cours lorsque le plaignant l'a informé au sujet des pratiques irrégulières.

82 Le Tribunal estime que la preuve présentée est insuffisante pour établir qu'il y a crainte raisonnable de partialité de la part des membres du comité d'évaluation contre le plaignant. Le Tribunal a déjà tiré ses conclusions quant à la participation, avérée ou non, de M. Krick aux pratiques irrégulières. Le plaignant n'a pas laissé entendre que les deux autres membres du comité d'évaluation avaient participé d'une quelconque manière à ces pratiques, et l'ancien gestionnaire du plaignant n'était en aucun cas lié à ce processus de nomination.

83 Le Tribunal estime qu'un observateur raisonnable et informé qui examinerait l'ensemble du processus et, en particulier, le rôle des membres du comité d'évaluation, ne pourrait pas conclure qu'il y a crainte raisonnable de partialité de la part des membres du comité d'évaluation. Le plaignant n'a pas réussi à établir la preuve d'une crainte réelle ou raisonnable de partialité contre lui, selon la prépondérance des probabilités.

84 Par ailleurs, il n'a pas été démontré en preuve que le comité d'évaluation a puni le plaignant d'une quelconque manière dans ce processus de nomination pour sa dénonciation. Au contraire, le comité d'évaluation a jugé le plaignant qualifié pour ce processus de nomination et dans les deux autres processus réalisés en même temps. Il s'est d'ailleurs vu offrir une promotion à un poste GT-04, qu'il a acceptée.

Question V :  Le Tribunal doit-il tenir compte de la réévaluation des candidats?

Réévaluation

85 Mme El-Komos a affirmé que lorsqu'elle a constaté, par l'entremise du rapport d'enquête, qu'il y avait eu erreur dans l'évaluation en raison de l'utilisation de notes globales, elle a recommandé que les candidats soient réévalués et la nomination de Mme Morris révoquée, s'il s'avérait que celle-ci était non qualifiée. Elle a discuté de la question avec Mme Taylor, Michael R. Stephenson, directeur régional par intérim, et Richard Bégin, son directeur, et tous se sont entendus sur cette solution. Mme Taylor a ajouté qu'elle avait décidé de ne pas recommander à l'administrateur général de révoquer la nomination de Mme Morris parce que le bureau de Sarnia avait besoin de stabilité et de continuité au sein de son personnel. Elle a également tenu compte du fait que la nomination avait été effectuée plus d'un an et demi auparavant.

86 Le nouveau comité d'évaluation était composé de Michael J. Dwyer, gestionnaire, directeur régional, Sécurité maritime, région de l'Ontario, qui était également le président du comité d'évaluation, ainsi que de John Murray, gestionnaire, BSN, région de la capitale nationale, et de Liliane Trempe, gestionnaire, Opérations de la dotation, Dotation ministérielle, RCN. Tous les nouveaux membres possédaient une vaste expérience de la participation aux activités de ce type de comité, et aucun n'avait participé à la première évaluation des candidats ni ne connaissait les candidats prenant part au processus de nomination.

87 M. Dwyer a expliqué que le nouveau comité d'évaluation s'était fondé sur l'ECM qui avait été utilisé dans la première évaluation. Aucune note globale n'a été attribuée durant la réévaluation. Une note de passage a été établie pour chaque qualification essentielle. À l'issue de la réévaluation, le plaignant n'a pas obtenu la note de passage pour le « leadership », une qualification essentielle relative aux qualités personnelles. Mme Morris a quant à elle obtenu la note de passage pour toutes les qualifications essentielles. La justification du choix de la bonne personne précisait que Mme Morris possédait toutes les qualifications essentielles et qu'elle avait obtenu la note la plus élevée pour les critères relatifs aux qualités personnelles.

Objection du plaignant

88 Le plaignant soutient que le Tribunal ne devrait pas tenir compte de la réévaluation des candidats en l'espèce. Il a seulement accepté d'être réévalué parce qu'il n'avait pas le choix. Le plaignant avance qu'en réévaluant les candidats, l'intimé supplantait l'autorité du Tribunal. L'intimé le privait également des droits de recours dont il aurait pu bénéficier si le Tribunal avait ordonné des mesures correctives. Le plaignant soutient en outre que la réévaluation était inéquitable puisque ses besoins d'accommodement n'avaient pas été dûment satisfaits et que Mme Morris avait bénéficié d'un avantage indu de par le fait qu'elle occupait le poste depuis plus de deux ans au moment de la réévaluation.

89 L'intimé soutient que non seulement le Tribunal devrait prendre en considération les résultats de la réévaluation, mais qu'il devrait également fonder son examen sur cette réévaluation pour déterminer s'il y a eu abus de pouvoir. Aux termes de l'article 15(3) de la LEFP, l'administrateur général peut prendre des mesures correctives dans les cas où, après avoir mené une enquête, il est convaincu qu'il y avait erreur dans le processus de nomination. Selon l'intimé, la réévaluation a corrigé toute irrégularité qui aurait pu se produire pendant la première évaluation, notamment l'utilisation inappropriée de notes globales et le favoritisme personnel. En outre, il ne peut y avoir aucune allégation de favoritisme en ce qui a trait à la réévaluation étant donné que la composition du comité d'évaluation était entièrement différente et que les membres n'entretenaient aucune relation personnelle avec Mme Morris ni avec le plaignant. La question des notes globales ne se pose pas non plus pour ce qui est de la réévaluation étant donné que le nouveau comité d'évaluation n'a pas utilisé cette méthode de notation. Selon l'intimé, il serait très judicieux, d'un point de vue stratégique, que le Tribunal tienne compte de la réévaluation : les administrateurs généraux seraient ainsi encouragés à mener des enquêtes et à prendre des mesures correctives, le cas échéant, s'ils ont connaissance d'irrégularités dans un processus de nomination après la présentation d'une plainte en vertu de l'article 77 de la LEFP.

90 La CFP fait valoir également que le Tribunal devrait prendre en considération la réévaluation des candidats afin de déterminer s'il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination susmentionné.

91 Le Tribunal a décidé de laisser les parties présenter leurs éléments de preuve au sujet de la réévaluation et de surseoir à sa décision en ce qui a trait à l'objection du plaignant.

92 Pour les raisons exposées ci-après, le Tribunal juge qu'il ne devrait pas prendre en considération la réévaluation des candidats pour déterminer s'il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination. L'article 77(1) de la LEFP stipule ce qui suit :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d'un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination pour l'une ou l'autre des raisons suivantes :

[…]

93 Il est clair selon le libellé de l'article 77 que c'est la nomination ou la proposition de nomination qui doit faire l'objet de la plainte, et non pas les autres mesures ou actions ayant eu lieu après la nomination ou la proposition de nomination. Le fait de prendre en considération la réévaluation pour déterminer s'il y a eu abus de pouvoir risquerait de nuire au processus de recours établi par le Tribunal en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l'article 109 de la LEFP, soit le pouvoir de régir par règlement les modalités de présentation de plaintes au Tribunal. Le Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6, modifié par DORS/2011-116, prévoit un processus de recours structuré, qui comprend un échange d'information complet et des délais stricts pour la présentation des allégations et des réponses aux allégations. Selon l'article 98(1) de la LEFP, le Tribunal doit instruire les plaintes avec célérité, dans la mesure du possible. De fait, le processus de plainte du Tribunal pourrait être indûment retardé si le Tribunal était tenu d'attendre que l'enquête d'un administrateur général soit terminée avant d'instruire une plainte présentée en vertu de l'article 77. L'utilité d'un recours est subordonnée au caractère définitif du processus de nomination.

94 Les mécanismes énoncés aux articles 77 et 15(3) de la LEFP fonctionnent séparément étant donné qu'ils sont de nature différente, avec des buts différents, et qu'ils prévoient des motifs différents pour ce qui concerne la révocation et les mesures correctives. Le processus de plainte prévu à l'article 77 fournit aux fonctionnaires un recours indépendant auprès d'une tierce partie neutre, contrairement au processus prévu par l'article 15(3). L'article 77 de la LEFP vise à fournir aux fonctionnaires un droit de recours s'ils estiment que l'administrateur général a abusé de son pouvoir dans un processus de nomination. Voir la décision Liang c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada, 2007 TDFP 0033, para. 33 à 40. L'article 15(3) a pour but de fournir à l'administrateur général un mécanisme qu'il peut utiliser à sa discrétion pour corriger toute erreur, omission ou conduite irrégulière dans un processus de nomination. Par exemple, il est possible d'invoquer l'article 15(3) pour corriger une erreur dans un processus de nomination si aucun des candidats ne présente de plainte en vertu de l'article 77 de la LEFP. Ces deux mécanismes de recours n'ont pas été conçus pour fonctionner de façon simultanée. Le pouvoir conféré à l'administrateur général par l'article 15(3) de la LEFP ne peut remplacer le mécanisme de recours prévu par l'article 77 de la LEFP.

95 Par conséquent, le Tribunal ne prendra pas en considération la réévaluation des candidats pour déterminer s'il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination visé.

96 Il reste au Tribunal à statuer sur la question de savoir s'il doit prendre en considération la réévaluation des candidats aux fins de l'application de l'article 81(1) de la LEFP, qui stipule que, s'il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l'administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées.

97 Le Tribunal a établi, dans des décisions antérieures, qu'il pouvait tenir compte de mesures prises par l'intimé une fois la plainte présentée pour établir s'il doit ordonner la révocation d'une nomination ou des mesures correctives. Par exemple, dans la décision Morgenstern c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2010 TDFP 0018, il était inutile que le Tribunal ordonne à l'administrateur général de révoquer la nomination, puisque l'intimé avait déjà procédé à la révocation de la nomination.

98 Toutefois, en l'espèce, le Tribunal juge qu'il convient de révoquer la nomination de Mme Morris. Le Tribunal juge que l'intimé a abusé de son pouvoir, étant donné que la personne nommée ne possédait pas toutes les qualifications essentielles pour le poste et qu'il y avait une crainte raisonnable de partialité. Le Tribunal ne croit pas que la réévaluation des candidats constitue une réparation appropriée en l'espèce au regard de la constatation d'abus de pouvoir. L'intimé aurait dû révoquer la nomination pour ensuite amorcer un nouveau processus de dotation, le cas échéant, et afficher les droits de recours s'il y a lieu.

99 Étant donné que le Tribunal a déterminé qu'il ne prendrait pas en considération la réévaluation, il ne formulera aucun commentaire sur l'allégation du plaignant selon laquelle ses besoins d'accommodement n'auraient pas été dûment satisfaits pendant la nouvelle évaluation, pas plus qu'il ne tiendra compte de son allégation selon laquelle Mme Morris aurait bénéficié d'un avantage indu au cours de la deuxième évaluation. De la même façon, le Tribunal n'abordera pas la question de la réparation pécuniaire demandée par le plaignant relativement aux mesures d'accommodement qui n'auraient pas été prises pendant sa réévaluation.

Décision


100 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est accueillie.

Mesures correctives et ordonnance


101 Le Tribunal ordonne à l'administrateur général de révoquer la nomination de Mme Morris dans les 90 jours suivant la présente décision.

John Mooney
Vice-président


Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2007-0380
Intitulé de la cause :
Nicolas Marcil et le sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités
Audience :
Les 2, 3 et 4 mars 2010;
Sarnia (Ontario)
Les 15, 16, 17 et 18 juin 2010; et Le 19 avril 2011
Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
Le 20 octobre 2011

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Nicolas Marcil
Pour l'intimé :
Sean Kelly
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
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