Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les deux plaignantes étaient candidates dans le même processus de nomination. Elles ont formulé des allégations d’abus de pouvoir à l’encontre de l’intimé au motif que celui-ci n’aurait pas pris en compte leurs besoins d’accommodement pour ce qui concerne les horaires respectifs d’un examen et d’une entrevue. L’intimé avait fixé les horaires de ces deux activités à des dates où les plaignantes étaient en congé annuel au cours de l’été. Décision Le Tribunal a jugé que l’une des plaignantes n’avait proposé aucune solution ni donné à l’intimé la possibilité de la joindre pour convenir d’une nouvelle date pour l’examen écrit. Elle s’était donc fermée aux discussions qui auraient pu favoriser la poursuite de sa candidature dans le processus de nomination. De son côté, l’autre plaignante avait gardé contact avec l’intimé durant son congé et cherché à discuter de sa situation avec le gestionnaire délégataire. Elle avait proposé à l’intimé de reporter l’entrevue à deux jours ouvrables plus tard que la date prévue initialement. Le Tribunal a donc conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir pour ce qui concerne cette plaignante par son refus d’exercer son pouvoir discrétionnaire et du fait d’avoir adopté une politique qui entravait sa capacité d’examiner le cas particulier de cette plaignante avec un esprit ouvert; que l’intimé s’était fondé sur des éléments insuffisants et avait fait preuve d’insouciance grave par sa décision de poursuivre le processus sans répondre aux requêtes de la plaignante qui souhaitait discuter de sa situation et envisager d’autres solutions. Une plainte rejetée. Une plainte accueillie. Le Tribunal a ordonné à l’intimé de révoquer la nomination de la candidate retenue dans les 60 jours suivant la date de son ordonnance.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers :
2010-0574 et 0590
Décision
rendue à :

Ottawa, le 22 décembre 2011

TRACEY KRESS ET SHELLEY LAVALLEE
Plaignantes
ET
LE SOUS-MINISTRE D’AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte de S. Lavallee est rejetée
La plainte de T. Kress est accueillie
Décision rendue par :
Kenneth J. Gibson, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Kress c. le sous-ministre d’Affaires indiennes et du Nord Canada
Référence neutre :
2011 TDFP 0041

Motifs de décision


Introduction


1 Dans le cadre d'un processus de nomination visant un poste FI-03 de gestionnaire, Planification et analyse financières, offert à Regina en Saskatchewan, les plaignantes, Tracey Kress et Shelley Lavallee ont formulé des allégations d'abus de pouvoir à l'encontre de l'intimé, le sous-ministre d'Affaires indiennes et du Nord Canada, au motif que celui-ci n'aurait pas pris en compte les besoins d'accommodement de Mmes Lavallee et Kress pour ce qui concerne respectivement le report d'un examen écrit et le report d'une entrevue. D'après leurs allégations, le processus de nomination aurait été mené trop rapidement, ce qui constituait un manquement aux valeurs de dotation que sont l'équité, la transparence et l'accessibilité.

2 L'intimé nie avoir abusé de son pouvoir. Il affirme avoir décidé d'accélérer le processus de nomination dans le but de renforcer le leadership et d'assurer la stabilité au sein de l'unité des finances, compte tenu de la charge de travail à venir. La décision d'accélérer le processus avait été prise en fonction du calendrier établi, avant même que ne soit affichée l'annonce de possibilité d'emploi. L'intimé ajoute que les plaignantes n'ont pas soumis leur demande d'accommodement en temps opportun.

Contexte


3 L'annonce de possibilité d'emploi pour le poste de gestionnaire, Planification et analyse financières, a été affichée le 3 août 2010. La date limite de candidature était fixée au 11 août 2010. Le poste était ouvert aux employés de la fonction publique fédérale occupant un poste dans la région de la Saskatchewan.

4 En tout, 19 personnes ont présenté leur candidature. Le 16 août 2010, dix candidats ayant passé l'étape de la présélection, dont les deux plaignantes, ont été invités à passer un examen écrit en ligne prévu pour le 19 août 2010. De ce nombre, neuf candidats ont passé l'examen le 19 août 2010. Mme Lavallee ne l'a pas passé et sa candidature a donc été éliminée du processus de nomination.

5 Le 20 août 2010, les quatre candidats qui avaient réussi à l'examen écrit, dont Mme Kress, ont été convoqués à une entrevue prévue pour le 26 août 2010. Mme Kress ne s'est pas présentée à l'entrevue; sa candidature a donc été rejetée.

6 Le 8 septembre 2010 a paru une notification de nomination ou de proposition de nomination annonçant la nomination de Rhiannon Shaw au poste FI-03 visé. Mme Kress a présenté sa plainte le 13 septembre 2010, et Mme Lavallee a présenté la sienne le 23 septembre 2010.

7 Les plaignantes ont présenté leur plainte en vertu de l'article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), qui permet à un candidat non retenu de présenter une plainte selon laquelle il n'a pas été nommé en raison d'un abus de pouvoir de la part de l'administrateur général dans l'exercice de ses attributions. Par ailleurs, l'article 2(4) de la LEFP stipule que, pour l'application de la loi, il est entendu qu'on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

8 Pour les besoins de l'audience, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) a procédé à la jonction des dossiers conformément à l'article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6.

Questions


9 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir par son refus d'approuver la demande de report de l'examen écrit de Mme Lavallee?
  2. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir par son refus d'approuver la demande de report de l'entrevue de Mme Kress?

10 Les plaignantes avaient soulevé d'autres allégations, mais elles ont indiqué lors de la conférence préparatoire que ces allégations ne seraient pas abordées à l'audience.

Preuve et argumentation

a) Preuve concernant Mme Lavallee

11 Mme Lavallee a postulé pour le poste FI-03, passé l'étape de la présélection et reçu le 16 août 2010 un courriel de l'équipe de dotation des ressources humaines l'invitant à passer un examen écrit en ligne le 19 août 2010, de 9 h à 10 h. Le courriel précisait qu'elle devait être disponible et avoir accès à un ordinateur à l'heure convenue. Elle devait alors passer l'examen, puis le renvoyer par courriel au plus tard à 10 h.

12 Un peu plus d'une demi-heure après la réception de ce courriel, Mme Lavallee a répondu qu'elle serait à l'extérieur de la province pour un congé annuel du 17 au 23 août 2010. Elle a donc demandé le report de l'examen écrit après le 23 août 2010.

13 Le 17 août 2010, l'équipe de dotation des ressources humaines a répondu au courriel de Mme Lavallee en lui indiquant que la gestionnaire responsable avait décidé que tous les candidats devaient passer l'examen le 19 août 2010. L'équipe de dotation des ressources humaines a demandé à Mme Lavallee de fournir une adresse électronique où elle serait joignable le 19 août 2010 à 9 h.

14 Mme Lavallee a affirmé qu'elle n'avait pas vu le courriel du 17 août 2010 parce qu'elle était déjà en congé. Elle a fourni une copie de la réponse automatique qui avait été envoyée à l'équipe de dotation des ressources humaines, confirmant qu'elle serait en congé du 17 au 23 août 2010 et qu'elle répondrait à ses courriels le 24 août 2010.

15 À son retour de congé le 24 août 2010, Mme Lavallee a vu le courriel de l'équipe de dotation des ressources humaines daté du 17 août 2010. Elle y a répondu, mentionnant qu'elle était stupéfaite de constater que sa demande de report de la date de l'examen avait été refusée et que l'examen lui avait été envoyé à la date prévue au départ. Elle a affirmé que son congé était prévu depuis huit mois et qu'elle participait à la conférence annuelle de l'Association canadienne des commissions de police à Saint John, au Nouveau-­Brunswick, à titre de vice-présidente et de représentante autochtone du Regina Board of Police Commissioners.

16 Dans le courriel du 24 août 2010, Mme Lavallee soulignait que même si elle avait pu avoir accès à l'examen, elle n'aurait pas pu se rendre dans un endroit propice pour le passer. Elle a affirmé que pour subir un examen, il faut se trouver dans un endroit calme et qu'il serait inapproprié d'exécuter cette tâche sur un ordinateur public à l'hôtel ou à l'aéroport. Elle a ajouté que dans d'autres processus auxquels elle avait participé, des dispositions avaient été prises pour faire installer un ordinateur dans une salle de conférence ou pour fournir un local privé afin de faciliter la consultation de documents et de manuels.

17 Mme Lavallee a rappelé qu'elle travaille au gouvernement depuis 28 ans et qu'elle a participé à de nombreux processus de dotation. Elle a expliqué qu'il était normal de répondre aux besoins d'accommodement des candidats qui sont en congé ou qui tombent malades durant un processus. À la lumière de son expérience, Mme Lavallee était convaincue qu'on lui permettrait de passer l'examen à une autre date. Elle a par ailleurs souligné qu'elle n'avait jamais vu un processus de dotation se dérouler aussi rapidement. Selon elle, l'intimé aurait dû inscrire les dates importantes sur l'annonce de possibilité d'emploi pour que les candidats en soient avisés.

18 Durant le contre-interrogatoire, Mme Lavallee a reconnu qu'elle n'avait pas informé l'intimé avant le 16 août 2010 de la possibilité qu'il faille reporter son examen. Elle a toutefois fait remarquer que rien dans l'annonce de possibilité d'emploi ne précisait qu'il fallait procéder ainsi. Elle a aussi reconnu que pendant son congé elle n'avait pas donné suite au courriel de l'équipe de dotation des ressources humaines pour savoir où en était sa demande de report. Elle n'avait pas laissé de coordonnées à l'intimé et, durant le congé, l'intimé ne pouvait la joindre que par courriel, auquel elle n'avait cependant pas accès. Selon Mme Lavallee, après l'envoi de son courriel le 16 août 2010, elle était en congé et pouvait utiliser son temps libre à sa guise.

19 Nicky King est conseillère en ressources humaines à Affaires indiennes et du Nord Canada. Elle a affirmé que la gestionnaire délégataire, Loree MacPherson, voulait doter rapidement le poste FI-03. Selon Mme King, il régnait au sein de l'unité de travail un climat d'instabilité et les nominations intérimaires causaient certains problèmes de personnel. Mme King a affirmé que l'ensemble du processus de dotation était planifié et que les outils étaient en place avant que l'annonce de possibilité d'emploi ne soit affichée, le 3 août 2010. Le processus de dotation a duré un total de cinq semaines, depuis l'affichage de l'annonce de possibilité d'emploi jusqu'à la publication de la notification de nomination ou de proposition de nominationdela personne nommée, le 8 septembre 2010.

20 Mme King a préparé et envoyé le courriel du 16 août 2010 pour convoquer les candidats à l'examen écrit. Elle a discuté de la demande de Mme Lavallee de faire reporter l'examen avec Mme MacPherson. Cette dernière a décidé que, pour des raisons opérationnelles, tous les candidats devaient passer l'examen le 19 août 2010. Mme King a souligné que puisque l'examen était envoyé par courriel, les candidats pouvaient le passer n'importe où.

21 Mme King a transmis la décision de Mme MacPherson à Mme Lavallee dans le courriel du 17 août 2010 susmentionné, provenant de l'équipe de dotation des ressources humaines. Constatant que Mme Lavallee ne répondait pas à ce courriel, Mme King lui a envoyé un nouveau message le 18 août 2010, au travail et à la maison, dans lequel elle l'informait que si elle ne passait pas l'examen au moment prévu, sa candidature serait rejetée. Mme King a affirmé qu'elle avait aussi essayé de joindre Mme Lavallee par téléphone le 17 août et avant l'examen le 19 août 2010, mais que ses boîtes vocales à la maison et au travail étaient pleines, l'empêchant de laisser un nouveau message.

22 Mme King a déclaré qu'elle n'avait jamais discuté d'un plan d'urgence à appliquer dans l'éventualité où un candidat ne serait pas disponible. Questionnée sur ce qui arriverait si un candidat n'était pas disponible en raison d'une maladie, elle a répondu qu'elle ne savait pas ce que ferait la direction, chaque situation étant examinée au cas par cas.

23 Mme King a affirmé qu'en deux ans et demi de travail dans le domaine de la dotation, elle n'avait jamais participé à un processus aussi accéléré. Elle a également indiqué qu'il lui était arrivé de voir des annonces de possibilité d'emploi assorties de calendrier d'exécution, mais qu'il s'agissait d'une pratique très rare, car elle limite la marge de manœuvre de la direction.

24 Mme MacPherson était directrice, Services ministériels, et aussi gestionnaire d'embauche pour le processus de dotation. Elle a affirmé que le poste FI-03 était occupé de façon intérimaire et qu'elle souhaitait le doter pour une période indéterminée afin de renforcer le leadership et d'assurer la stabilité au sein de l'unité. Il fallait trouver quelqu'un qui puisse gérer la charge de travail et les relations professionnelles, lesquelles avaient déjà causé des problèmes au sein de l'unité. Le poste était déjà occupé par intérim, mais Mme MacPherson a décidé de lancer un processus annoncé plutôt qu'un processus non annoncé, étant donné qu'elle n'était responsable de l'unité que depuis peu et qu'elle souhaitait connaître les personnes disponibles.

25 En juin 2010, Mme MacPherson a obtenu l'autorisation de doter le poste. Elle a ensuite rencontré le personnel des ressources humaines en juillet pour planifier le processus. Mme MacPherson a décrit en détail les attentes auxquelles aurait à répondre la personne nommée au poste FI-03. Essentiellement, le titulaire du poste serait chargé de gérer les nouvelles contraintes budgétaires et les exigences en matière de production de rapports financiers. Étant donné qu'en 2010 les rapports de situation financière étaient demandés en octobre plutôt qu'en décembre, Mme MacPherson voulait que le poste FI-03 soit doté avant le mois de septembre pour que le titulaire ait le temps d'acquérir une certaine expérience.

26 Mme MacPherson a affirmé qu'elle avait pris en considération la demande de report de Mme Lavallee, mais qu'elle avait décidé de ne pas y accéder en raison des délais qu'elle devait respecter pour doter le poste avant septembre 2010. Elle estimait que l'échéancier établi pour le processus était raisonnable.

27 Lorsqu'on lui a demandé si Mme Lavallee aurait pu passer l'examen le 24 août 2010, Mme MacPherson a répondu qu'elle n'avait eu connaissance d'aucune discussion avec le personnel quant aux solutions envisageables. Elle a relu la dernière phrase du courriel qu'avait envoyé Mme Lavallee le 24 août 2010 et a affirmé qu'aucune solution n'y était proposée. Mme MacPherson a ajouté qu'elle aurait été préoccupée si Mme Lavallee avait reçu l'examen le 24 août 2010, étant donné qu'il avait déjà été envoyé à d'autres personnes.

28 En ce qui concerne l'affichage de l'échéancier sur l'annonce de possibilité d'emploi, Mme MacPherson a affirmé que son rôle consistait à préparer l'énoncé des critères de mérite (ECM) du poste, et non pas de produire l'annonce de possibilité d'emploi. Aucune discussion concernant la mention de dates dans l'annonce de possibilité d'emploi n'a été portée à son attention.

b) Preuve concernant Mme Kress

29 Ayant passé l'étape de la présélection pour le processus de nomination visant le poste FI-03, Mme Kress a été convoquée à l'examen écrit du 19 août 2010. Elle était en congé cette journée-là, mais étant donné qu'elle se trouvait à la maison, elle s'est libérée pour passer l'examen à la date prévue. Elle a réussi à l'examen et a donc reçu le 20 août 2010 un courriel de convocation à une entrevue prévue pour le 26 août 2010. Mme Kress a aussitôt répondu qu'elle souhaitait se présenter à l'entrevue, mais qu'elle serait en vacances à l'extérieur du pays jusqu'au 30 août 2010. Elle demandait donc que l'entrevue ait lieu après son retour. Mme Kress a également communiqué par téléphone avec Mme King le 20 août 2010.

30 Mme King a essayé de joindre Mme MacPherson le vendredi 20 août 2010, mais en vain. Ce n'est que le lundi 23 août 2010 qu'elle a réussi à lui parler, après quoi elle a rédigé un courriel à Mme Kress le jour même pour l'informer que la gestionnaire avait décidé que la seule date d'entrevue possible était le 26 août 2010. Mme King demandait par ailleurs à Mme Kress de confirmer sa présence.

31 Mme Kress a répondu le 23 août 2010, indiquant qu'elle était aux États-Unis en vacances avec sa famille et qu'elle demeurait à l'hôtel pour un séjour déjà payé se terminant le vendredi 27 août 2010. Elle précisait qu'elle serait disponible pour l'entrevue dès le lundi matin suivant, le 30 août 2010. Elle demandait également les coordonnées de la gestionnaire pour discuter de sa situation.

32 Le 24 août 2010, Mme King a répondu que la décision de réaliser l'entrevue le 26 août 2010 était définitive, et que si Mme Kress ne s'y présentait pas, sa candidature serait éliminée du processus de nomination.

33 Le lendemain matin, le 25 août 2010, Mme Kress a répondu à Mme King qu'elle croyait savoir que dans un processus de nomination à la fonction publique des efforts raisonnables doivent être faits pour répondre aux besoins d'accommodement des candidats. Elle a également redemandé les coordonnées de la gestionnaire.

34 Cet après-midi-là, Mme MacPherson a envoyé à Mme Kress un courriel indiquant que pour des raisons opérationnelles il lui était impossible de reporter son entrevue à la semaine suivante. Il s'agit du seul message qu'a reçu Mme Kress de la part de Mme MacPherson en réponse à ses deux demandes visant à discuter de sa situation.

35 Mme Kress a affirmé que, selon elle, l'intimé ne s'est pas montré raisonnable, compte tenu du fait qu'elle demandait un report de deux jours ouvrables seulement. Elle a ajouté que si la date de l'entrevue lui avait été communiquée plus tôt, elle aurait pu modifier ses projets de vacances. Cependant, elle avait déjà fait les réservations à l'hôtel et les frais étaient non remboursables, sans compter que son mari avait également pris congé pendant cette période.

36 Il a été demandé à Mme Kress de décrire les mesures qu'elle avait prises pour que la direction soit au courant de ses besoins. Mme Kress, qui travaille à la fonction publique depuis vingt ans, a répondu qu'elle n'avait pris aucune mesure parce qu'il était inhabituel qu'un processus de dotation se déroule aussi rapidement. Elle a ajouté que lorsqu'elle travaillait à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, il lui arrivait de voir des annonces qui indiquaient la semaine durant laquelle les entrevues seraient tenues et qui précisaient que les candidats devaient être disponibles pendant cette période.

37 Mme King a déclaré que lors de sa discussion avec Mme Kress le 20 août 2010, la seule solution que proposait cette dernière était de fixer l'entrevue au 30 août 2010. Mme King a indiqué qu'il était impossible de reporter l'entrevue à la semaine du 30 août 2010 parce qu'un des membres du comité d'évaluation, l'expert en la matière, serait alors en congé. Lorsqu'il lui a été demandé si le comité avait songé à réaliser l'entrevue de Mme Kress par téléphone, Mme King a répondu que cette solution n'avait pas été envisagée.

38 Mme MacPherson a affirmé qu'elle avait étudié la demande de report de Mme Kress, mais qu'elle avait déjà invité trois candidats à passer une entrevue, ce qui constituait selon elle un nombre raisonnable. Par conséquent, elle a décidé de conserver l'échéancier établi, afin que la personne retenue entre en fonction au tout début de septembre 2010. Selon Mme MacPherson, l'échéancier qu'elle avait établi pour le processus de nomination était raisonnable, et la durée du processus n'était pas exceptionnelle.

39 Mme Kress ne s'est pas présentée à l'entrevue. Sa candidature a donc été rejetée du processus de nomination.

c) Argumentation des parties

40 Les plaignantes soutiennent que l'intimé a exercé son pouvoir discrétionnaire defaçon déraisonnable. Il n'a pas annoncé à l'avance le calendrier du processus et a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en imposant des délais de façon stricte et inflexible. De plus, l'intimé n'a pas répondu de façon appropriée aux demandes raisonnables et opportunes des plaignantes. Selon ces dernières, ce comportement constitue une insouciance grave qui relève de la mauvaise foi.

41 Les plaignantes ont fait référence à un document de l'École de la fonction publique du Canada (EFPC) intitulé La dotation collective : Guide du gestionnaire, daté d'avril 2008, qui précise à la section « Considérations pratiques » que les dates prévues des entrevues et des examens devraient être inscrites sur l'annonce de possibilité d'emploi pour veiller au suivi du processus et attribuer aux candidats la responsabilité de se rendre disponibles. Les plaignantes soutiennent qu'une telle mesure aurait souligné la nécessité pour les candidats d'être disponibles aux dates prévues de l'examen et de l'entrevue, mais cette information n'apparaissait pas dans l'annonce de possibilité d'emploi.

42 Les plaignantes soutiennent qu'il n'est pas raisonnable de demander aux candidats de communiquer à l'avance leur horaire de vacances et les dates de leurs rendez-vous chez le médecin. Elles font remarquer que selon l'annonce de possibilité d'emploi, si l'organisation communiquait avec les candidats par rapport au processus, ceux-ci devaient alors faire connaître leurs besoins d'accommodement. Les plaignantes affirment que c'est exactement ce qu'elles ont fait dès qu'elles ont été informées de la date de l'examen et de l'entrevue respectivement.

43 Pour sa part, l'intimé affirme qu'il a examiné la demande de report de l'examen de Mme Lavallee, mais qu'il a décidé de poursuivre le processus selon le calendrier initial. Il ajoute qu'au moment de prendre cette décision, rien n'indiquait à quel moment Mme Lavallee serait disponible pour passer l'examen.

44 L'intimé rappelle que les candidats ont eux aussi des responsabilités dans un processus de dotation. Il fait remarquer que Mme Lavallee avait planifié son congé huit mois auparavant, mais qu'elle n'en avait pas informé la direction au moment de présenter sa candidature. Elle a supposé que sa demande de report serait acceptée et n'a fait aucun suivi par téléphone ou par courriel pour vérifier si elle avait été approuvée. L'intimé estime donc que c'est plutôt Mme Lavallee qui s'est montrée insouciante.

45 En ce qui concerne Mme Kress, l'intimé soutient qu'elle n'a pas donné de renseignements sur ses projets de congé au moment de présenter sa candidature, pas plus qu'elle ne l'a fait après avoir passé l'examen écrit. Elle a simplement demandé que l'entrevue soit reportée et n'a proposé aucune solution qui lui aurait permis de participer au processus.

46 Pour ce qui est du document de l'EFPC, l'intimé affirme qu'il s'agit d'un guide destiné à fournir des conseils généraux. Il ne s'agit pas d'une directive ou d'une politique ayant force exécutoire. Par ailleurs, le document porte sur la dotation collective, c'est-à-dire les situations où un bassin de candidats est établi. Or, le processus de dotation en l'espèce ne visait qu'un seul poste.

47 L'intimé soutient que le préambule de la LEFP confère aux gestionnaires un grand pouvoir discrétionnaire en dotation et qu'en l'espèce, ce pouvoir a été exercé de façon raisonnable compte tenu des exigences opérationnelles.

Analyse


Question I :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir par son refus d'approuver la demande de report de l'examen écrit de Mme Lavallee?

48 Mme MacPherson a décidé de lancer un processus de nomination annoncé pour doter le poste FI-03 pour une période indéterminée en raison de problèmes avec le personnel de l'unité de travail. En juin 2010, elle a obtenu l'autorisation de doter le poste, puis elle a établi un calendrier d'exécution susceptible d'aboutir à une nomination au plus tard en septembre 2010 afin que la personne retenue acquière de l'expérience avant d'avoir à préparer les rapports sur la situation financière en octobre 2010. Aucune des plaignantes n'a remis en question ces explications.

49 Le préambule de la LEFP stipule que les gestionnaires de la fonction publique devraient disposer d'une marge de manœuvre pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens. Le Tribunal estime que c'est l'objectif que visait Mme MacPherson dans ce processus de nomination. L'intimé avait de bonnes raisons d'établir un échéancier qui mènerait à une nomination au plus tard en septembre 2010. Le Tribunal juge qu'il n'y avait pas de précipitation excessive dans le déroulement du processus.

50 Mme MacPherson a déclaré qu'elle ne connaissait pas les solutions qui s'offraient à Mme Lavallee par rapport à son examen; que cette dernière ne l'avait pas avisée du moment où elle serait disponible, ce qui semble indiquer qu'elle était prête à envisager des solutions pour reporter l'examen mais qu'aucune ne lui a été proposée. Cependant, il semble assez clair que Mme Lavallee, d'après le courriel qu'elle a envoyé le 16 août 2010, demandait que son examen ait lieu après le 23 août 2010, date de son retour de congé.

51 Il est important de noter que lorsque Mme King a transmis la décision de Mme MacPherson à Mme Lavallee le 17 août 2010, elle s'est contentée de dire que Mme MacPherson avait décidé que tous les candidats devaient passer l'examen le 19 août 2010.

52 Il est clair que Mme MacPherson n'était ouverte à aucune solution impliquant le report de l'examen. Si elle l'avait été, elle aurait pu le proposer elle-même ou, à tout le moins, suggérer à Mme Lavallee d'en discuter. Elle a plutôt refusé la demande de Mme Lavallee parce qu'elle devait respecter les délais pour pouvoir doter le poste au plus tard en septembre 2010.

53 Quoi qu'il en soit, les candidats aussi ont leur part de responsabilité dans un processus de nomination. Mme Lavallee a affirmé que son congé était planifié depuis huit mois. Au moment de présenter sa candidature pour le poste FI-03, elle savait ou aurait dû savoir, d'après les renseignements sur l'annonce de possibilité d'emploi, qu'elle devrait être disponible pour l'évaluation. Puisque la plaignante savait qu'elle ne serait pas disponible pendant une partie du processus d'évaluation, elle aurait pu en informer l'intimé au moment de présenter sa candidature. Si elle l'avait fait, d'autres solutions, décrites ci-dessous, auraient pu être envisagées de façon à lui permettre de passer son examen tout en respectant les délais prévus.

54 En fait, Mme Lavallee n'a informé l'intimé qu'elle serait en congé qu'après avoir été convoquée à l'examen. Elle a ensuite demandé le report de l'examen et est partie en congé, présumant que sa demande serait acceptée. Elle n'a fourni à l'intimé aucun moyen de la joindre pendant son congé. Ce que Mme Lavallee tenait pour acquis ne s'est pas concrétisé et, malgré les efforts de Mme King, l'intimé n'a pas été en mesure de communiquer avec elle durant son congé.

55 Mme Lavallee a affirmé que pendant son congé elle pouvait utiliser son temps libre à sa guise. Cependant, elle était en congé de son propre poste. Elle était tout de même tenue de respecter les exigences raisonnables relatives à un processus de nomination pour un autre poste. Ainsi, elle aurait dû s'assurer qu'elle demeure joignable durant le processus.

56 Mme Lavallee connaissait la date de l'examen, mais elle est tout de même partie en congé sans savoir si sa demande de report allait être acceptée. Exerçant son pouvoir discrétionnaire, l'intimé a décidé de tenir l'examen à la date prévue, mais il n'a pas été en mesure de communiquer cette information à Mme Lavallee. Mme King a déclaré que, puisque l'examen était envoyé par courriel, il était possible de le passer n'importe où.

57 Mme Lavallee a déclaré que même si elle avait pu recevoir l'examen, elle ne disposait d'aucun endroit propice à ce genre d'activité. Cependant, si l'intimé avait pu communiquer avec Mme Lavallee, il aurait pu l'aider à trouver un lieu approprié pour passer l'examen. Par exemple, elle aurait pu utiliser un local du gouvernement fédéral à St. John, au Nouveau-­Brunswick. Mme Lavallee a affirmé qu'elle avait déjà participé à des processus de nomination où ce genre de dispositions avaient été prises. Un tel arrangement aurait pu lui permettre de passer l'examen dans les délais établis pour le processus de nomination. Si cette solution s'était avérée irréalisable, les parties auraient pu en envisager d'autres.

58 Comme il est démontré plus bas, les circonstances entourant la plainte de Mme Lavallee sont très différentes de celles de la plainte de Mme Kress. Contrairement à Mme Kress, Mme Lavallee n'a donné à l'intimé aucun moyen de la joindre pendant son congé. Ce faisant, Mme Lavallee a fermé la porte aux discussions qui auraient pu lui permettre de poursuivre le processus de nomination.

59 Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que l'intimé n'a pas abusé de son pouvoir en refusant de reporter l'examen de Mme Lavallee. La plainte de Mme Lavallee est donc rejetée.

Question II :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir par son refus d'approuver la demande de report de l'entrevue de Mme Kress?

60 Le cas de Mme Kress et celui de Mme Lavallee ont plusieurs points communs, mais il y a une différence importante. Mme Kress a gardé contact avec l'intimé durant son congé et a cherché à discuter de sa situation avec Mme MacPherson lorsqu'elle a appris la date de l'entrevue.

61 Les deux plaignantes ont soutenu que si les dates d'évaluation avaient figuré dans l'annonce de possibilité d'emploi, ces problèmes d'horaire auraient pu être évités. Le processus de nomination s'est déroulé en plein été à une vitesse inhabituelle, durant la période de vacances. Mmes Lavallee, Kress et King ont toutes déclaré qu'elles n'avaient jamais vu un processus de nomination se dérouler aussi rapidement durant leurs nombreuses années passées à la fonction publique.

62 La Commission de la fonction publique (CFP) a indiqué que sa Série d'orientation – Évaluation, sélection et nomination précise que les gestionnairesdevraient élaborer un plan d'évaluation qui contient, entre autres, l'échéancier de l'évaluation. Ce document stipule également que les gestionnaires devraient communiquer autant de renseignements pertinents que possible à propos du processus de nomination. La CFP a affirmé que ces renseignements pouvaient comprendre les échéanciers prévus. Elle a ajouté que le fait de communiquer cette information de façon ouverte et en temps opportun permet de respecter la valeur directrice qu'est la transparence.

63 Selon l'article 16 de la LEFP, l'intimé est tenu de se conformer aux lignes directrices de la CFP, comme les Lignes directrices en matière de nomination (voir par exemple la décision Robert et Sabourin c. le Sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2008 TDFP 0024, para. 69). Cependant, la Série d'orientation et le document de l'EFPC auxquels se sont fiées les plaignantes ne sont pas des lignes directrices de la CFP. L'intimé n'est donc pas tenu de s'y conformer.

64 Mme MacPherson a affirmé que son rôle consistait à rédiger l'ECM du poste, et non pas à préparer l'annonce de possibilité d'emploi. Bien que la préparation même de l'annonce puisse être effectuée par le personnel des ressources humaines, les documents de la Série d'orientation et les lignes directrices pertinentes de la CFP stipulent clairement que le gestionnaire demeure responsable de son contenu. Comme l'a déterminé le Tribunal dans la décision Poirier c. le sous-ministre des Anciens Combattants, 2011 TDFP 0003, une annonce de possibilité d'emploi comportant d'importantes lacunes peut mener à une situation d'abus de pouvoir.

65 L'intimé n'était pas tenu d'inclure le calendrier d'évaluation dans l'annonce de possibilité d'emploi, mais il aurait été utile de le faire dans les circonstances. Mme King a affirmé que le plan d'évaluation avait été élaboré en juillet 2010. Il n'aurait pas été difficile d'intégrer l'information à l'annonce de possibilité d'emploi.

66 Les plaignantes auraient certes gagné à connaître d'avance les dates d'évaluation, mais le fait que l'intimé ne les ait pas incluses dans l'annonce de possibilité d'emploi ne constitue pas en soi un abus de pouvoir. Cependant, en ne fournissant pas ces renseignements malgré le caractère accéléré du processus de nomination, l'intimé a alourdi les responsabilités de la gestionnaire, qui devait s'assurer du respect des valeurs de nomination que sont l'accessibilité, l'équité et la transparence, lesquelles sont énoncées dans les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP.

67 Lorsque Mme King a informé Mme Kress que la gestionnaire avait décidé de réaliser les entrevues à la date prévue, Mme Kress a demandé le nom et les coordonnées de la gestionnaire pour discuter de sa situation directement avec elle. Après avoir reçu un autre courriel de Mme King, qui confirmait que la gestionnaire n'était pas prête à modifier la date d'entrevue, Mme Kress a redemandé ces renseignements. Ainsi, la veille de l'entrevue, Mme MacPherson a envoyé un bref courriel dans lequel elle répétait qu'elle ne pouvait pas répondre aux besoins d'accommodement de Mme Kress pour des raisons opérationnelles. Il n'a pas été démontré en preuve que Mme Kress, après avoir essuyé trois refus à sa demande, a de nouveau essayé d'aborder la question avant l'entrevue.

68 Le Tribunal n'est pas convaincu par l'argument de l'intimé selon lequel Mme Kress n'a proposé aucune solution qui lui aurait permis de participer au processus de nomination. Dans son courriel du 23 août 2010, Mme Kress affirmait qu'elle pouvait être disponible dès le matin du lundi 30 août. Peut-être cette solution n'était--elle pas acceptable pour l'intimé, mais il s'agit néanmoins d'une solution.

69 Le Tribunal fait remarquer d'autre part que Mme Kress a demandé par deux fois le nom et les coordonnées de Mme MacPherson pour discuter de sa situation. Elle a obtenu réponse à ces requêtes dans les deuxième et troisième courriels, qui l'informaient que sa demande de report de l'entrevue avait été refusée. Moins de 24 heures avant le moment prévu pour l'entrevue, il était raisonnable de la part de Mme Kress de croire qu'il lui était inutile de continuer à essayer de discuter avec la gestionnaire.

70 Aucune preuve n'a été présentée pour expliquer pourquoi Mme MacPherson n'a pas discuté avec Mme Kress au sujet de sa situation. Au moment de réaliser les entrevues, seulement quatre candidats étaient toujours en lice. Il n'a pas été démontré en preuve que le fait de discuter avec un des candidats aurait constitué un fardeau important pour Mme MacPherson, particulièrement dans un contexte où sa décision allait probablement entraîner l'élimination de la candidature de cette personne. À l'audience, le représentant de la plaignante a indiqué qu'il aurait été possible de réaliser l'entrevue par téléphone – une solution qui, selon Mme King, n'avait jamais été proposée. Aucun élément de preuve ne permet de déterminer si une entrevue téléphonique aurait pu être effectuée dans cette situation, mais cette solution, entre autres, aurait pu être examinée si Mme MacPherson avait répondu aux deux demandes de discussion de Mme Kress.

71 Le Tribunal estime que l'affirmation de l'intimé, selon laquelle Mme Kress n'a proposé aucune solution, est inexacte. En effet, Mme Kress a indiqué qu'elle était disponible pour passer une entrevue le 30 août 2010, deux jours ouvrables après la date initialement prévue. De son côté, l'intimé n'a présenté aucune proposition et en aucun cas il n'a laissé entendre à Mme Kress qu'il était ouvert à la discussion. Il a simplement insisté pour que Mme Kress se présente à l'entrevue le 26 août 2010, sans quoi sa candidature serait éliminée du processus de nomination. En outre, même s'il y avait d'autres solutions qui auraient pu permettre à Mme Kress de demeurer candidate dans le processus, celles-ci n'ont pas pu être envisagées puisque Mme MacPherson n'a pas répondu à la demande de discussion de Mme Kress. À l'instar de Mme Lavallee dans la situation décrite précédemment, Mme MacPherson s'était fermée à la discussion.

72 Mme MacPherson a affirmé qu'elle avait examiné la demande de report de l'examen de Mme Lavallee, mais qu'elle avait décidé de ne pas y accéder en raison des délais établis. Elle a indiqué qu'elle avait tout autant examiné la demande de Mme Kress mais qu'elle avait refusé de reporter l'entrevue en raison des délais établis et parce qu'elle pouvait déjà compter sur trois candidats disponibles, un nombre qu'elle jugeait suffisant.

73 Dans la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, para. 70, le Tribunal a relevé cinq catégories de situation où il est possible de conclure à l'abus de pouvoir. Ces catégories comprennent les situations où un délégué refuse d'exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d'examiner des cas individuels avec un esprit ouvert. À la lumière de la preuve présentée en l'espèce, le Tribunal conclut qu'en décidant de suivre son calendrier d'évaluation à la lettre, Mme MacPherson n'avait pas l'esprit ouvert, et qu'en refusant d'étudier d'autres solutions qui auraient permis à Mme Kress de demeurer dans le processus de nomination, elle avait entravé son pouvoir discrétionnaire.

74 La décision Tibbs fait état d'une autre catégorie d'abus de pouvoir, soit les situations où un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (notamment lorsqu'il ne dispose d'aucun élément de preuve ou qu'il ne tient pas compte d'éléments pertinents). En l'espèce, étant donné que les candidats n'avaient pas été informés du calendrier d'exécution serré du processus de nomination, il incombait à Mme MacPherson de donner suite à la demande de Mme Kress et de discuter de sa situation. Une discussion sur les solutions qui auraient permis à Mme Kress de poursuivre le processus aurait constitué un élément pertinent en l'espèce; Mme MacPherson s'est donc fondée sur des éléments insuffisants par son refus de répondre aux demandes de Mme Kress.

75 Mme Kress affirme qu'elle a agi en se fondant sur ses nombreuses années d'expérience en matière de processus de nomination. Lorsqu'elle a appris la date de l'entrevue, elle a réagi rapidement et de bonne foi en communiquant avec l'intimé pour trouver une solution. Le fait qu'elle n'a pas demandé à l'avance la date de l'entrevue n'aurait pas dû entraîner l'élimination de sa candidature sans qu'elle ait la possibilité de discuter des différentes solutions. La preuve indique clairement que Mme King jouait seulement un rôle d'intermédiaire entre Mmes Kress et MacPherson. Mme King n'avait pas le pouvoir d'accorder des demandes d'accommodement sans l'approbation de Mme MacPherson. Toute discussion sur des changements de dispositions à l'égard de l'entrevue de Mme Kress devait passer directement par Mme MacPherson.

76 Comme il a déjà été mentionné, l'article 2(4) de la LEFP stipule que l'abus de pouvoir comprend notamment la mauvaise foi. Dans certaines de ses décisions, le Tribunal a reconnu que la notion de mauvaise foi avait un sens large : il n'est pas nécessaire de démontrer qu'il y a eu intention inappropriée dans les cas d'incurie ou d'insouciance grave (voir par exemple la décision Cameron et Maheux c. l'Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 0016, para. 55).

77 En l'espèce, le Tribunal estime qu'en omettant de répondre à la demande de Mme Kress, qui souhaitait discuter de sa situation, Mme MacPherson a fait preuve d'insouciance grave, puisque ce comportement a empêché les parties d'explorer les solutions qui auraient permis à Mme Kress de demeurer dans le processus de nomination.

78 Le préambule de la LEFP stipule que le gouvernement du Canada doit adopter des pratiques d'emploi équitables et transparentes. À titre de gestionnaire délégataire, Mme MacPherson avait le devoir de réaliser un processus de nomination conforme aux valeurs que sont l'équité et la transparence. L'ajout des dates d'évaluation à l'annonce de possibilité d'emploi aurait contribué à la transparence du processus. Selon la section « Généralités » des Lignes directrices en matière de nomination de la CFP, pour respecter la valeur qu'est l'équité, il faut adopter des pratiques qui témoignent d'un juste traitement des personnes. Or, dans les circonstances, c'était faire preuve d'insouciance et de manque d'équité que de ne pas discuter de la situation de Mme Kress.

79 Le Tribunal conclut que l'intimé a abusé de son pouvoir pour ce qui concerne l'établissement de la date de l'entrevue de Mme Kress.

Décision


80 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte de Mme Lavallee est rejetée, et la plainte de Mme Kress est accueillie.

Ordonnance


81 À l'audience, le représentant des plaignantes a demandé que la nomination de Mme Shaw soit révoquée dans le cas où le Tribunal accueillerait une plainte.

82 Le Tribunal fait remarquer que le processus de nomination n'a pas été effectué en vue d'établir un bassin de candidats qualifiés. Il visait à doter un poste, soit celui de gestionnaire, Planification et analyse financières.

83 L'article 77(1) de la LEFP stipule qu'une personne qui est dans la zone de recours peut présenter une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou n'a pas fait l'objet d'une proposition de nomination en raison d'un abus de pouvoir. En l'espèce, le Tribunal a jugé qu'en raison de l'abus de pouvoir de l'intimé, Mme Kress n'a pas eu de chance réelle de voir sa candidature prise en considération. Bien qu'il n'y ait aucune preuve démontrant que Mme Shaw n'était pas qualifiée pour le poste, le seul moyen dont dispose le Tribunal pour rendre justice à Mme Kress dans ce processus est de révoquer la nomination de Mme Shaw.

84 Par conséquent, en vertu de l'article 81(1) de la LEFP, le Tribunal ordonne à l'intimé de révoquer la nomination de Mme Shaw au poste de gestionnaire, Planification et analyse financières, dans les 60 jours suivant la date de la présente décision.


Kenneth J. Gibson
Membre

Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2010-0574 et 2010-0590
Intitulé de la cause :
Tracey Kress et Shelley Lavallee et le sous-ministre d’Affaires indiennes et du Nord Canada
Audience :
Les 13 et 14 septembre 2011
Regina (Saskatchewan)
Date des motifs :
Le 22 décembre 2011

COMPARUTIONS

Pour les plaignants :
Grant Boland
Pour l'intimé :
Lesa Brown
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau (observations écrites)
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